Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Mesure disciplinaire - Suspension (cinq jours) - Liberté d'expression des fonctionnaires - Critiques à l'égard de l'employeur - Restrictions applicables aux fonctionnaires - Obligation de loyauté - Obligation de soulever des préoccupations à l'interne - suite à la crainte d'une attaque au charbon aux États-Unis, en 2001, Santé Canada a décidé de stocker des antibiotiques et des vaccins contre la variole en prévision de cas d'urgence - le fonctionnaire s'estimant lésé, alors qu'il était à l'emploi de Santé Canada, ne faisait pas partie de l'équipe d'intervention et n'avait pas accès à tous les renseignements sur lesquels la décision d'accumuler des stocks avait été fondée - lorsque la presse a communiqué avec lui pour obtenir ses commentaires relativement à cette décision, il aurait dit que l'accumulation de stocks d'antibiotiques n'était pas nécessaire et ne servait qu'à donner bonne conscience au ministre de la Santé - le fonctionnaire s'estimant lésé a écopé d'une suspension de cinq jours parce que l'employeur estimait que ses commentaires avaient miné les relations entre sa superviseure et le fonctionnaire s'estimant lésé, les relations entre ce dernier et ses collègues, la crédibilité du Ministre et du Ministère, la confiance de la population canadienne à l'égard du Ministère et l'aptitude du fonctionnaire s'estimant lésé à effectuer son propre travail - l'employeur a aussi fait valoir que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas tenté de faire part de ses préoccupations à l'interne - l'employeur a soutenu que les fonctionnaires ne devraient s'opposer publiquement aux politiques gouvernementales que dans certaines circonstances données - l'employeur a expliqué que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas exposé des actes fautifs ou illégaux, qu'il n'avait pas exprimé ses préoccupations à l'interne, que ses commentaires avaient eu une incidence sur son aptitude à s'acquitter de ses fonctions et qu'il n'avait pas démontré que le stockage n'était pas nécessaire ou que le Ministre tentait d'impressionner la galerie - le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas nié avoir fait ces commentaires, mais s'est défendu en disant qu'ils ne représentaient qu'une tranche d'une conversation de 20 minutes, qu'ils avaient été cités hors contexte et que c'était la journaliste qui l'avait d'abord contacté - il a prétendu qu'il n'avait jamais eu l'intention de manquer de respect au Ministre ou de le discréditer, et que ses commentaires avaient plutôt pour but d'apaiser les craintes - le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu qu'il s'était prévalu du droit de liberté d'expression qui lui est reconnu par la Constitution et que les arguments de l'employeur devaient être pesés dans le contexte de la Charte - le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que, selon la doctrine des préoccupations légitimes du public, il n'était pas tenu de recourir aux mécanismes internes de discussion, et qu'il avait toujours agi de bonne foi, sans intention de nuire et toujours par souci de l'intérêt public - à titre subsidiaire, le fonctionnaire s'estimant lésé a affirmé que la sanction était excessive compte tenu de son dossier disciplinaire vierge, de ses longs états de service, du fait que ce sont les médias qui ont communiqué avec lui et qu'il a tenté de les renvoyer à quelqu'un d'autre, ainsi que du fait que ses commentaires n'étaient pas controversés et qu'il a agi de bonne foi, sans intention de nuire - l'arbitre a statué qu'il fallait établir un équilibre entre la liberté d'expression protégée par la Constitution et le devoir d'un fonctionnaire fédéral de faire en sorte que la fonction publique à l'endroit de laquelle il a une obligation de loyauté soit impartiale et efficace - selon l'arbitre, le droit des fonctionnaires de s'exprimer est assorti de certaines obligations, et les fonctionnaires qui souhaitent critiquer publiquement les politiques gouvernementales devraient en règle générale faire des efforts raisonnables pour corriger la situation à l'interne d'abord - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé savait ou aurait dû savoir qu'il pouvait soulever la question avec sa superviseure immédiate et n'a pas démontré que la situation ne justifiait pas de passer outre aux mécanismes internes normaux de discussion - l'arbitre a aussi conclu que la véracité ou le caractère justifiable de critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire devrait être étayé par une preuve - l'arbitre a maintenu que les commentaires persistants et parfois agressifs du fonctionnaire s'estimant lésé contestant les politiques de son employeur étaient inacceptables et non fondés sur une preuve, et qu'il n'avait aucune justification pour s'en prendre au ministre de la Santé - selon l'arbitre, le fonctionnaire s'estimant lésé était plus intéressé à critiquer le Ministère qu'à apaiser les craintes - de l'avis de l'arbitre, les commentaires attribués au fonctionnaire s'estimant lésé reflétaient étroitement les discussions qu'il avait choisi d'avoir avec des journalistes et ses contacts répétés avec les médias menaient à conclure que la possibilité que ses opinions et ses commentaires antérieurs soient mal interprétés ne l'inquiétait pas - l'arbitre a conclu que les commentaires du fonctionnaire s'estimant lésé avaient nui à ses relations avec sa superviseure, à son aptitude à effectuer son travail et à son utilité comme fonctionnaire et que, par conséquent, cette suspension de cinq jours était tout à fait justifiée compte tenu des critères applicables aux sanctions disciplinaires. Grief rejeté. Décisions citées :Fraser c. Canada (CRTFP), [1985] 2 R.C.S. 455; Forgie c. Conseil du Trésor (Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada), (166-2-15843); conf. [1987] A.C.F. No 541 (C.A.) (QL); Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82; Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. No 36 (C.A.) (QL). ______________________

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-12-17
  • Dossier:  166-2-31567
  • Référence:  2003 CRTFP 115

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

SHIV CHOPRA
fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Santé Canada)

employeur

Devant :   Yvon Tarte, président

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé :  
David Yazbeck, avocat

Pour l'employeur :   Richard Fader, avocat
Hasna Farah, stagiaire en droit


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 30 septembre et le 1er octobre 2003.


[1]    Cette affaire est le renvoi à l'arbitrage d'un grief déposé par Shiv Chopra pour contester la suspension de cinq jours qui lui a été imposée par sa superviseure Diane Kirkpatrick, le 25 mars 2002.

[2]    Les événements qui ont donné lieu à cette sanction disciplinaire se sont produits peu après les regrettables incidents du 11 septembre 2001.

[3]    L'employeur condamne les commentaires (reproduits dans la presse écrite et électronique) que M. Chopra avait faits au sujet de la décision que le gouvernement du Canada avait prise à l'époque d'accumuler des stocks d'antibiotiques et de vaccin antivariolique.

[4]    Le contexte de l'affaire est décrit dans la lettre disciplinaire (pièce E-2) que je reproduis intégralement ici :

[Traduction]

         Cette lettre donne suite à nos rencontres d'octobre 2001 avec votre représentant syndical ainsi qu'à nos échanges écrits en novembre 2001. J'aurais voulu communiquer plus tôt avec vous à ce sujet, mais j'ai attendu que la période des Fêtes soit passée et que le long congé que vous avez pris pour voyager à l'étranger soit terminé. Je pensais qu'il vous serait ainsi plus facile de prendre connaissance de mon évaluation et de ses conclusions.

         Notre première rencontre, le 12 octobre 2001, portait sur vos déclarations publiées dans un article du numéro du 12 octobre 2001 du Winnipeg Free Press. Notre deuxième rencontre, le 23 octobre 2001, concernait votre entrevue télévisée diffusée par CJOH le lundi 15 octobre 2001. Notre correspondance écrite (le courriel du 16 novembre 2001 que je vous ai adressé et votre réponse par courriel, datée du 23 novembre 2001) a été échangée par suite de la publication d'articles dans le numéro du vendredi 26 octobre 2001 de la Montreal Gazette et du mardi 6 novembre 2001 du Calgary Herald, où figuraient des commentaires qui vous étaient attribués.

         L'article du Winnipeg Free Press, intitulé « Panic Over Anthrax Attack Unfounded, Experts Advise » vous citait : [traduction] » L'accumulation de stocks d'antibiotiques sert tout simplement à permettre au ministre de la Santé (*Allan**Rock) de faire bonne impression et de dire «Nous sommes prêts» ». Dans votre entrevue à CJOH, vous avez déclaré [traduction] : « Il n'est pas nécessaire d'accumuler des stocks d'antibiotiques ». La Montreal Gazette vous cite disant [traduction] : « C'est en qualité de citoyen que j'ai su qu'on allait accumuler des stocks d'antibiotiques, et je sais, en ma qualité de scientifique, que c'est tout à fait inutile. » De même, dans le Calgary Herald, au sujet de l'accumulation de stocks de vaccin contre la variole, on vous cite disant [traduction] : « Ce n'est pas nécessaire. »

         Vous avez été identifié comme un représentant de Santé Canada dans ces articles, de même que dans votre entrevue télévisée. Dans chaque cas, vous avez fait des commentaires sur les craintes du public quant à l'utilisation du bacille du charbon comme arme de bioterrorisme, en contestant la décision du gouvernement d'accumuler des stocks d'antibiotiques. Vous avez aussi déclaré catégoriquement qu'il n'était pas nécessaire d'accumuler des stocks de vaccin antivariolique. Pourtant, vous ne saviez rien de la position du Ministère sur ces questions.

         Dans nos rencontres d'octobre 2001 qui ont été organisées pour établir les faits, ainsi que dans nos échanges écrits de novembre 2001, vous vous êtes fait offrir la possibilité d'expliquer les circonstances entourant votre décision de parler aux médias et d'avancer des renseignements ou des preuves pour étayer vos déclarations.

         Vous m'avez dit que vous aviez parlé aux médias à titre de citoyen canadien et de microbiologiste compétent, sans toutefois avancer la moindre preuve à l'appui de vos déclarations. Vous n'avez pas pris d'autres mesures pour éviter qu'on vous associe à Santé Canada; vous n'avez rien fait pour corriger cette impression par la suite. Vous avez reconnu que vous étiez associé au Ministère et reconnu aussi qu'il était possible que des déclarations faites aux médias soient mal citées. Cela ne vous a toutefois pas empêché de parler aux médias, et vous n'avez pas nié que les citations qu'ils vous ont attribuées étaient fondées. Vous n'avez pas avancé de renseignements ni de preuves à l'appui de vos déclarations.

         Vous ne m'avez donné aucune information qui me permette de conclure que vos propos étaient des déclarations acceptables d'un fonctionnaire, conformément à la loi. Vous n'avez donné aucun renseignement ni aucune preuve laissant entendre que vous vous exprimiez sur une question qui mettait en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens. D'ailleurs, vos déclarations aux médias révèlent qu'il ne s'agissait pas fondamentalement d'un danger pour la santé. Qui plus est, vous êtes un scientifique de Santé Canada. La nature de votre poste d'évaluateur des médicaments à la Division de l'innocuité pour les humains de la Direction des médicaments vétérinaires fait que vous travaillez sur des dossiers importants et délicats. C'est votre poste qui donnait leur intérêt médiatique à vos déclarations. Même si vous n'étiez pas partie à la décision du gouvernement et que vous parliez d'une question qui ne relève pas de votre domaine de compétence comme évaluateur des médicaments, vos commentaires aux médias ont donné au public l'impression que vous aviez des connaissances particulières en raison de votre poste. Votre conduite a sapé votre capacité de vous acquitter impartialement et efficacement des fonctions d'un évaluateur des médicaments dans la fonction publique et sapé aussi la perception qu'a le public de cette capacité.

         Vous n'avez pas du tout tenté de soulever ou d'exprimer votre point de vue à l'interne. Il y a des mécanismes en place pour entendre et discuter des analyses dans le processus décisionnel sur les questions scientifiques et réglementaires. Par exemple, dans mes rencontres avec le personnel, j'ai à plusieurs reprises souligné que je suis disposée à entendre ses commentaires sur toutes les préoccupations ou tous les problèmes qu'il pourrait avoir. Les fonctionnaires peuvent aussi soulever ces questions avec leurs gestionnaires, qui peuvent ensuite en saisir différents comités chargés de les discuter et de trouver des solutions. Vous auriez dû soulever toutes vos préoccupations à l'interne ainsi qu'auprès de la direction, afin qu'on puisse en discuter.

         Vous ne vous êtes prévalu d'aucun des mécanismes existants avant de parler aux médias. Vous avez même déclaré que ce n'était pas nécessaire, en raison de ce que vous saviez sur le charbon et sur la variole en tant que microbiologiste bien informé, et que la question n'avait rien à voir avec le mandat de la Direction des médicaments vétérinaires.

         Vous avez déclaré que vous aviez parlé aux médias pour apaiser des craintes, mais j'estime que vos commentaires dénonçant les mesures gouvernementales (en l'occurrence la décision d'accumuler des stocks) et votre interprétation négative des motifs du Ministre pour les prendre sapent les efforts du gouvernement pour protéger la santé des Canadiens.

         Vous n'avez avancé aucune preuve que l'accumulation de stocks de médicaments en tant que mesure de santé publique était le moindrement dangereuse pour la santé.

         Même si vous savez ce qu'est le charbon en tant que microbiologiste, vous ne faisiez pas partie de l'équipe de réaction d'urgence du gouvernement chargée de contrer ce danger ainsi que d'autres menaces pour la santé publique, de sorte que vous n'étiez pas au courant de tous les renseignements sur lesquels les décisions d'accumuler des stocks avaient été fondées. Vous avez tiré publiquement la conclusion que l'accumulation de stocks était inutile sans avoir tous les faits en main, ce qui équivaut à un manque d'objectivité et de respect à l'endroit de ceux qui étaient chargés d'évaluer et de gérer ces dossiers. Agir ainsi quand le gouvernement du Canada et les autres gouvernements du monde font face à une crise de terrorisme international et que nos citoyens ont peur revient à manquer de jugement, et le faire de façon répétée après que je vous eus signalé mes réserves de vive voix mine sérieusement notre relation professionnelle.

         Vous êtes au courant de la politique du gouvernement sur les communications et de la restriction imposée aux porte-parole désignés autorisés à discuter de questions de fait et de sujets correspondant à leur domaine de compétence. La direction ne vous a pas désigné comme porte-parole sur ce sujet. En tant que fonctionnaire, vous avez fait fi de la politique ministérielle.

         Comme vous le savez, l'obligation de loyauté des fonctionnaires envers leur employeur a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans Fraser c. C.R.T.F.P. et récemment confirmée par la Cour fédérale dans Chopra c. Canada et Haydon c. Canada. Ces jugements portent sur l'équilibre qui doit être respecté entre le maintien d'une fonction publique impartiale et efficace et la liberté d'expression des fonctionnaires, en précisant les circonstances dans lesquelles des critiques publiques de l'employeur pourraient être acceptables. Je ne crois pas que vos commentaires aux médias correspondent à la définition de l'une ou l'autre de ces circonstances exceptionnelles.

         En outre, dans une décision récente de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, son vice-président a conclu que les fonctionnaires devaient tenter de résoudre un problème à l'interne avant d'en parler publiquement. Je le répète, vous n'avez pas tenté de soulever vos opinions ou d'en parler à l'interne avant de vous adresser aux médias.

         Après examen du dossier - et compte tenu de vos observations du 12 et du 23 octobre ainsi que du 23 novembre -, je vous informe officiellement que je considère votre conduite comme inacceptable. Cette critique d'une décision du gouvernement en période de crise internationale manquait d'objectivité, et votre conduite a été incompatible avec votre responsabilité comme fonctionnaire. Elle mine la relation employeur-employé indispensable et constitue un manquement à votre obligation de loyauté.

         Je vous informe donc que vous serez suspendu sans traitement pour une période de cinq jours ouvrables. Cette suspension sera servie du jeudi 4 avril 2002 au mercredi 10 avril 2002 inclusivement.

         Une copie de cette lettre sera versée à votre dossier personnel pour une période de deux ans. Vos longs états de service et votre dossier disciplinaire vierge ont contribué à mitiger cette sanction disciplinaire.

         J'espère sincèrement que cette sanction vous fera comprendre à quel point la direction considère ce genre de comportement comme grave et que vous devez vous abstenir de ce genre d'inconduite dans l'avenir. À défaut, vous écoperez de sanctions disciplinaires plus dures pouvant aller jusqu'au congédiement.

[5]    Deux personnes ont témoigné : Diane Kirkpatrick pour l'employeur et Shiv Chopra pour lui-même.

La preuve

Pour l'employeur

[6]    Diane Kirkpatrick est la directrice générale de la Direction des médicaments vétérinaires de la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada (SC). Elle occupe ce poste depuis la fin de 2000. Sa compétence et son expérience sont essentiellement axées sur l'évaluation des risques.

[7]    Plusieurs cadres supérieurs — dont le directeur de la Division de l'innocuité humaine, où M. Chopra travaille — relèvent directement d'elle. Mme Kirkpatrick relève du sous-ministre adjoint de la Direction générale de la salubrité des aliments, qui est essentiellement responsable de l'évaluation des médicaments et de l'innocuité des produits et des aliments pour la santé humaine et animale.

[8]    En 2001, M. Chopra, qui est spécialisé en microbiologie, était scientifique principal dans une équipe chargée de l'évaluation des médicaments et de la salubrité des aliments. Il n'avait aucune responsabilité comme porte-parole du ministère.

[9]    Lorsqu'ils ne s'entendent pas sur des questions scientifiques ou d'ordre ministériel, les fonctionnaires devraient tenter de résoudre le problème 1) au sein de leur équipe, 2) avec leurs gestionnaires, 3) en renvoyant la question aux comités spéciaux formés pour évaluer les contestations de données, 4) en la renvoyant à la Direction, qui consulte des spécialistes de l'extérieur et enfin 5) en la renvoyant au comité de révision des sciences, présidé par le témoin.

[10]    Dans le monde des sciences, où les désaccords sont fréquents, les meilleures conclusions sont toujours celles qui sont tirées après des consultations et des discussions approfondies. Le débat scientifique au sein des sections et des équipes de SC doit être encouragé, pour faire en sorte que les meilleures décisions soient toujours prises. (Les questions scientifiques sont rarement unidimensionnelles, et c'est pourquoi le travail d'équipe et les discussions internes sont activement encouragées.)

[11]    En octobre 2000, le Ministère avait communiqué à tous ses fonctionnaires un message du sous-ministre concernant le débat scientifique dans le cadre du processus décisionnel de Santé Canada (pièce E-5), où l'on peut lire notamment ce qui suit :

[Traduction]

La Cour fédérale du Canada a rendu récemment une décision ayant trait à la liberté d'expression et à la nécessité d'avoir une fonction publique impartiale et efficace. La Cour a confirmé l'obligation qu'ont les fonctionnaires de faire preuve de loyauté, tel qu'établi dans un jugement antérieur de la Cour suprême du Canada dans le dossier de Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, et les restrictions que cette obligation pourrait imposer quant à la possibilité de faire des déclarations publiques. La Cour fédérale, dans sa décision récente, a donné à entendre que les fonctionnaires mis en cause ont tenté à plusieurs reprises d'obtenir à l'interne une réponse à leurs préoccupations; de plus, la Cour a indiqué que, de façon générale, la critique exprimée publiquement (tel que mentionné dans le jugement Fraser — et, notamment, sur les politiques qui mettent en péril la vie, la santé ou la sécurité) sera justifiée, dans la mesure où des tentatives raisonnables de régler les questions à l'interne ont été faites et ont été infructueuses.

[12]    En octobre 2001, Mme Kirkpatrick a appris que le fonctionnaire s'estimant lésé devait participer à un symposium sur les « Tueurs muets » (« Silent Killers ») le jeudi 25 octobre 2001, à Montréal. Elle lui a écrit la note suivante (pièce E-6) le 22 octobre 2001 :

[Traduction]

         J'ai été informée de ce Symposium (de la façon précisée plus loin), et j'aimerais vous demander de me préciser le contexte de votre exposé, étant donné que vous n'avez aucune responsabilité quant à la réglementation et au contrôle des pesticides au Ministère. À cet égard, j'ai pris note que votre poste à Santé Canada n'est pas précisé dans l'annonce du Symposium, et je pars donc du principe que vous y prendrez la parole comme simple citoyen. Si c'est le cas, vous devriez explicitement le préciser quand on vous présentera à l'auditoire, ainsi que dans vos réponses à toutes les questions des médias.

         Cela dit, étant donné que votre exposé porte sur une question qui relève de la responsabilité du Ministère, je tiens à vous rappeler que vous devez vous assurer que tout ce que vous direz dans votre exposé sera fondé; à cette fin, vous pouvez communiquer avec Geraldine Graham (736-3660), à l'ARLA. J'aimerais aussi profiter de cette occasion pour vous rappeler votre responsabilité comme fonctionnaire et comme employé du Ministère. Si vous avez des réserves quant aux mesures et aux positions que le Ministère a prises sur cette question, vous devriez les soulever à l'interne avant de les exprimer publiquement. Je me ferai un plaisir de vous aider à cet égard.

[13]    Dans les jours et les semaines qui ont suivi les événements du 11 septembre, l'atmosphère était tendue et pleine d'appréhension à SC. Le Ministère avait concentré ses efforts sur la mise en place des mécanismes nécessaires pour éviter et contrer le bioterrorisme. Le témoin était membre d'une équipe qui se réunissait toutes les semaines, voire plus souvent au besoin, en cas d'urgence.

[14]    Après le 11 septembre, on a signalé plusieurs attentats au charbon aux États-Unis; certains avaient causé des morts. SC a décidé d'accumuler des stocks d'antibiotiques au cas où la population en aurait eu besoin d'urgence. Cette décision d'accumuler des stocks d'antibiotiques et de vaccin contre la variole a été prise par l'Équipe d'intervention d'urgence (EIU) de SC. Ni Mme Kirkpatrick, ni M. Chopra n'étaient membres de l'EIU, puisque leur Direction n'a aucune responsabilité directe à l'égard des maladies infectieuses.

[15]    Avant le 12 octobre 2001, le témoin n'avait eu connaissance d'aucune préoccupation que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait pu avoir quant à la décision du Ministère d'accumuler des stocks d'antibiotiques et de vaccin, et M. Chopra n'avait pas exprimé de préoccupations à cet égard en se prévalant des mécanismes internes dont il a déjà été question.

[16]    Le 12 octobre 2001, le Winnipeg Free Press a publié un article qui se lit notamment comme suit (pièce E-8) :

[Traduction]

Les experts estiment que la panique résultant des attaques au charbon n'est pas fondée

Service des dépêches de la Presse canadienne, Helen Branswell, TORONTO - Si quelqu'un a besoin de preuves de la terreur causée par le charbon depuis les attentats terroristes du 11 septembre, Vision mondiale Canada peut les lui fournir. Cette organisation caritative a récemment envoyé des paquets de graines à 800 000 foyers, dans le cadre de sa campagne annuelle d'envoi de paquets pour la moisson afin de lever des fonds. Plutôt que de sortir leur chéquier, des destinataires apeurés ont composé le 911.

Le charbon, qu'on appelait jadis le Fléau noir, est devenu le premier suspect lorsque des paquets inquiétants arrivent dans des salles du courrier tendues ou que des contenants non identifiés sont abandonnés dans le métro.

Pourtant, une grande partie de l'hystérie qui entoure l'utilisation du charbon comme arme bioterroriste n'est pas fondée, d'après les experts.

Shiv Chopra, un microbiologiste du Bureau des médicaments de vétérinaire de Santé Canada, a carrément déclaré : « On en parle depuis Hitler, quand les Nazis étudiaient les possibilités de créer des armes biologiques. Jusqu'à présent, aucune de ces armes n'a fonctionné ».

M. Chopra critique durement la décision de Santé Canada d'accumuler des stocks d'antibiotiques pour parer à une éventuelle attaque bioterroriste, en disant que c'est une affaire de relations publiques.

Selon lui, « l'accumulation de stocks d'antibiotiques ne fait que donner bonne impression pour que le ministre de la Santé (*Allan**Rock*) puisse dire : «Nous sommes prêts.» »

« Je pense que c'est juste de l'hyperbole journalistique qui effraie inutilement les gens en leur disant : «Il va arriver quelque chose». En fait, il n'arrivera rien. »

Les autres experts ne sont pas aussi catégoriques, mais ils n'en estiment pas moins que la menace d'une attaque terroriste au charbon a été grandement surestimée dans les semaines qui ont suivi le 11 septembre, le jour où l'existence d'un terrorisme d'envergure a frappé la conscience collective de l'Amérique du Nord.

...

Cela ne revient pas à dire que ce soit impossible. Par exemple, une explosion accidentelle dans une installation militaire de Sverdlovsk, en Russie, en 1979, a projeté un nuage de spores de charbon qui se sont propagées avec le vent en causant au moins 79 cas de maladie et 68 décès.

[17]    Mme Kirkpatrick a été estomaquée par les commentaires attribués au fonctionnaire s'estimant lésé. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi M. Chopra avait parlé à la presse de questions dont il n'était aucunement responsable, à un moment où le Ministère s'efforçait d'assurer la sécurité du public.

[18]    Mme Kirkpatrick a convoqué une rencontre pour établir les faits au cours de laquelle les propos échangés seraient enregistrés (pièce E-9). M. Chopra s'est présenté avec son représentant syndical. Il a déclaré que c'était la journaliste qui l'avait contacté et qu'il s'était exprimé en qualité de citoyen intéressé. Il n'a pas nié avoir fait les commentaires qui lui étaient attribués, en déclarant toutefois qu'ils avaient été exprimés dans une conversation qui avait duré 20 minutes et qu'ils avaient été cités hors contexte. À la fin de la rencontre, M. Chopra a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Je tiens à répéter que, de mon point de vue, il n'y a aucune intention, il n'y en a jamais eu et il n'y en a jamais maintenant même d'impliquer ou d'insinuer quoi que ce soit de dérogatoire ou de manquant de respect à l'endroit du Ministre. On peut citer des choses hors contexte, et à mon avis, quand on tient compte de l'ensemble de ce que j'ai dit, c'est équilibré, c'est plutôt en faveur de la sécurité du public, de déclarations sensées pour apaiser les craintes, d'un message global aux médias pour calmer les esprits plutôt que de dire que le Ministre n'en fait pas assez, et, de mon point de vue, c'est tout à fait équilibré.

[19]    Pendant toute la discussion lors de cette rencontre, M. Chopra a maintenu qu'il avait le droit, en tant que citoyen canadien, de s'exprimer librement et publiquement.

[20]    Le 18 octobre 2001, la station de télévision CJOH d'Ottawa a diffusé un reportage (pièce E-10) dans lequel figurait une interview de M. Chopra dont un extrait est reproduit textuellement :

[Traduction]

         Le Dr Shiv Chopra, qui est microbiologiste à Santé Canada, est d'accord avec le professeur de médecine de l'université : l'hystérie qui entoure l'utilisation du charbon comme arme de bioterrorisme n'est pas fondée.

         Dr SHIV CHOPRA (SANTÉ CANADA) : N'importe quel organisme peut être utilisé pour commettre un crime, mais, du point de vue des terroristes, l'organisme recherché va infecter les gens et se propager de lui-même. Il devrait être contagieux, ce qui n'est pas le cas du charbon. Par conséquent, ça n'arrivera pas. Nous n'avons pas besoin d'accumuler des stocks d'antibiotiques. Nous n'avons pas besoin d'en prendre. Nous n'avons pas besoin d'en prendre à des fins préventives. Il suffit de garder son calme.

         GREENWELL : Alors, pourquoi le gouvernement a-t-il décidé d'accumuler des stocks?

         CHOPRA : Je suis perplexe.

[21]    Après la rencontre qu'elle avait eue avec le fonctionnaire s'estimant lésé le 12 octobre, Mme Kirkpatrick a été étonnée de constater qu'il avait décidé une fois de plus d'exprimer publiquement son opinion sur l'accumulation de stocks d'antibiotiques.

[22]    Mme Kirkpatrick a convoqué le fonctionnaire s'estimant lésé à une seconde rencontre, pour établir les faits relatifs à l'entrevue qu'il avait accordée à CJOH, le 23 octobre 2001. Cette rencontre a été enregistrée elle aussi, et sa transcription a été déposée en preuve (pièce E-11). Le fonctionnaire s'estimant lésé a de nouveau insisté sur son droit de s'exprimer en tant que citoyen intéressé, alors que Mme Kirkpatrick a fait valoir qu'il fallait concilier sa liberté d'expression avec son obligation de loyauté envers l'employeur.

[23]    Trois jours plus tard, le 26 octobre 2001, un article de Lyle Stewart a été publié dans la Montreal Gazette (pièce E-12). Cet article est reproduit intégralement, avec son titre :

[Traduction]

La crise? Quelle crise? Le gouvernement se sert des craintes non fondées d'une attaque au charbon pour justifier son attaque contre les libertés individuelles.

Il n'y a peut-être pas de meilleur exemple de la campagne d'opérations psychologiques de notre gouvernement contre nos libertés civiques que la crainte absolument non fondée d'une attaque au charbon, qui transforme un débat national en une cacophonie de prophètes de malheur. Même sans parler de la farce absolument inutile qu'est l'affaire

Bayer c. Apotex, commençons par rappeler certains faits tout simples :

- on n'a jamais signalé de cas de charbon chez un être humain au Canada;

- les risques de charbon sont très faibles;

- même si quelqu'un devait être infecté, il serait facilement traité à peu de frais, en prenant de la pénicilline;

- l'accumulation de stocks d'antibiotiques brevetés coûteux comme la ciprofloxacine est tout simplement un moyen de plus pour gonfler les profits des compagnies pharmaceutiques;

- le charbon frappe naturellement; il n'est pas contagieux.

Ce sont certains des faits que le scientifique de Santé Canada Shiv Chopra a tenté de souligner publiquement la semaine dernière, quand la campagne organisée pour semer la panique quant au charbon s'est accélérée. Les déclarations outrancières des médias et du gouvernement sur le charbon apeurent les Canadiens sans raison valable. Pour s'être efforcé de faire la part des choses, M. Chopra s'est fait par deux fois mettre sur la sellette par des gestionnaires de Santé Canada, qui lui auraient recommandé d'avoir plus « d'équilibre » dans ses déclarations publiques. Un porte-parole de Santé Canada a aussi déclaré que les médias ne seront plus autorisés à poser des questions aux scientifiques fédéraux au sujet de la peur qu'inspire le charbon.

En entrevue, M. Chopra nous a dit que « Le Ministère se sent encouragé par cette guerre. Le moment est venu pour lui de s'en prendre aux gens qu'il croit vulnérables. »

M. Chopra a naturellement des difficultés depuis longtemps avec la direction de Santé Canada, parce qu'il refuse de compromettre ses principes scientifiques et d'approuver des médicaments — surtout des antibiotiques — sans les tester comme il se doit. Cet été, le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu un jugement déclarant que le Ministère a été coupable de discrimination contre lui en raison de son origine ethnique en lui refusant des promotions pendant ses 30 ans de carrière. Le Ministère a aussi tenté de le bâillonner dans le passé, mais l'ordre qu'on lui avait donné de se taire a été cassé par la Cour fédérale.

M. Chopra nous a confié qu'il avait entendu dire « comme citoyen, que le gouvernement allait accumuler des stocks d'antibiotiques. Comme scientifique, je sais que c'est absolument inutile. Comment dois-je réagir à cela en tant que scientifique compétent, moi qui suis aussi un père de famille et un membre de la collectivité? N'ai-je aucun droit d'exprimer mon opinion ou mes réserves? »

« La Cour fédérale a déclaré que j'ai une obligation envers le public, mais ils me disent que non, que je dois trouver un équilibre. Quel équilibre? L'équilibre qu'ils jugent approprié? Ou celui qui est approprié, selon mon jugement? »

Le jugement de M. Chopra est conditionné par sa formation de vétérinaire. Il l'a très bien dit : « J'ai eu des bacilles de charbon dans mes mains. J'ai fait des vaccins anticharbonneux avec. Je sais quelles précautions prendre. Ce que (les gestionnaires de Santé Canada) m'ont dit, c'est : «Les gens meurent : c'est la guerre. » Ils m'ont dit que je m'ingérais dans leur gestion de la crise. »

La crise? Quelle crise? Il faut s'être fait délibérément administrer une dose massive de spores de charbon pour être infecté. M. Chopra souligne que nous sommes en contact avec ces spores tout le temps. Nous les touchons en travaillant dans le jardin et en préparant des aliments pour la cuisson, mais, dit-il, « les gens ne sont pas infectés par le bacille du charbon. Notre organisme se guérit lui-même. »

Hier, M. Chopra devait participer à un symposium de l'Université McGill sur les pesticides intitulé « Tueurs muets : comment notre santé, notre fertilité et nos fonctions cérébrales sont menacées (

Silent Killers: How our Health, Fertility and Brain Function Are Being Threatened). » Cette semaine, il a reçu une lettre de menaces de Diane Kirkpatrick, une haute fonctionnaire de Santé Canada, lui disant que sa participation au symposium devrait être approuvée par le Ministère.

Par conséquent, puisque le Ministère doit enquêter sur les commentaires qu'il a faits au sujet du charbon, M. Chopra a décidé qu'il ferait mieux de ne pas aggraver ses problèmes; il a annulé sa participation au symposium d'hier à McGill.

Il s'est expliqué en disant : « Je m'inquiète pour mon emploi. J'ai peur de ce qu'ils pourraient faire. Cela me met dans une situation très dangereuse. »

C'est une autre victoire de notre gouvernement dans sa lutte contre la liberté d'expression. L'hystérie continue à prévaloir sur la raison et sur la simple logique, à son grand plaisir. Dans ce cas-ci, sans qu'il l'ait voulu, les commentaires de M. Chopra ont aussi sapé les efforts déjà fragiles d'Allan Rock pour se présenter comme un héros et pour marquer des points dans la campagne imminente au leadership du Parti libéral. De toute évidence, avec l'esprit tordu qui préside maintenant à Ottawa, M. Chopra va devoir payer pour ça.

[24]    Mme Kirkpatrick a réagi avec incrédulité à la publication de cet article. Elle a conclu que M. Chopra avait fait fi de sa recommandation de se prévaloir des mécanismes internes qui étaient à sa disposition afin d'obtenir tous les faits sur lesquels le Ministère s'était fondé pour prendre la décision d'accumuler des stocks, des faits dont ni lui, ni elle n'avaient été informés.

[25]    Le 6 novembre 2001, le Calgary Herald a publié un article intitulé [traduction] « La crainte inspirée par le bioterrorisme commence à s'apaiser : le public canadien est mieux informé » (pièce E-13), dont les derniers paragraphes se lisent comme suit :

[Traduction]

La question n'a pas été soulevée à la Chambre des communes lundi — c'est bien différent de ce qui se passait il y a quelques semaines, quand le ministre de la Santé Allan Rock s'est fait amèrement reprocher ce qu'on déclarait être des préparations insuffisantes.

À ce moment-là, M. Rock avait parlé d'accumuler des stocks de 30 millions de doses de vaccin contre la variole, mais certains se demandent si nous avons besoin de ce vaccin.

Un porte-parole du Ministre a déclaré lundi : « Nous envisageons différentes options, mais nous n'avons pas encore pris de décisions fermes. »

Shiv Chopra, un microbiologiste de Santé Canada, a déclaré que ce serait du gaspillage d'accumuler suffisamment de vaccin contre la variole pour toute la population.

« Ce n'est pas nécessaire », a-t-il dit, en expliquant que 80 p. 100 de la population du Canada a déjà été vaccinée contre la variole et que c'est suffisant pour éviter tout risque d'épidémie.

M. Chopra a précisé que « Le vaccin protège toute la vie. Même si sa protection s'estompe avec le temps chez quelques individus, ça ne fait pas de différence, parce que si 80 p. 100 de la population est immunisée, le virus ne peut pas se répandre. »

[26]    Comme ses deux rencontres convoquées pour établir les faits n'avaient pas persuadé M. Chopra de cesser de faire des commentaires aux médias, Mme Kirkpatrick lui a envoyé par écrit une série de questions sur les articles de la Montreal Gazette et du Calgary Herald, en lui enjoignant d'y répondre (pièce E-14); les réponses de M. Chopra figurent aussi dans cette pièce.

[27]    À la suite de ces événements, Mme Kirkpatrick a été convaincue que les commentaires répétés de M. Chopra avaient eu de grandes répercussions. Premièrement, sa relation professionnelle avec le fonctionnaire s'estimant lésé avait été sapée. Deuxièmement, les collègues et les superviseurs du fonctionnaire s'estimant lésé avaient été touchés, puisque leurs décisions et leur compétence avaient été mises en doute par les commentaires de M. Chopra. Troisièmement, la crédibilité du Ministre et du Ministère avait été minée. Quatrièmement, les commentaires du fonctionnaire s'estimant lésé avaient sapé la confiance que les Canadiens doivent avoir en leur ministère de la Santé. Enfin, cinquièmement, la capacité de M. Chopra de faire son propre travail avait été réduite par ses commentaires non fondés.

[28]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait des commentaires publiquement sans commencer par obtenir tous les faits pour s'assurer de leur bien-fondé, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de son travail de scientifique. En dernière analyse, il n'a présenté aucune preuve pour démontrer que l'accumulation de stocks d'antibiotiques ou de vaccin était nuisible pour la population.

[29]    Les raisons invoquées pour l'imposition d'une sanction disciplinaire sont clairement exposées dans la pièce E-2, datée du 25 mars 2002. La sanction n'a pas été imposée avant ce mois-là pour diverses raisons, notamment le temps des Fêtes, les longues vacances du fonctionnaire s'estimant lésé et le fait que Mme Kirkpatrick tenait à prendre le temps d'évaluer la situation. (Elle a aussi eu de longues discussions avec les spécialistes des ressources humaines et des services juridiques à cet égard.)

[30]    Même si elle n'a jamais ordonné à M. Chopra de ne pas parler aux médias, Mme Kirkpatrick estime qu'il est clair, à la lecture de la pièce E-12, que ce dernier comprenait qu'il ne devait pas continuer à le faire.

[31]    Mme Kirkpatrick est d'avis que les commentaires de M. Chopra avaient attisé les craintes plutôt que de les apaiser puisqu'ils sapaient la confiance du public en son gouvernement, dont ils attaquaient la crédibilité.

[32]    Jusqu'en octobre 2001, le dossier disciplinaire de M. Chopra était vierge.

[33]    Ce sont les conclusions et les critiques de M. Chopra qui donnaient leur intérêt médiatique à ses commentaires. Ses opinions étaient incompatibles avec les décisions prises par son Ministère et revenaient à contester l'intégrité du Ministre. M. Chopra a précisé dans la pièce E-11 que le fait qu'il ne disposait pas de certains renseignements était sans importance, puisqu'il avait le droit de s'exprimer, en tant que citoyen canadien.

[34]    Le témoin a déclaré avoir tenu compte du fait que M. Chopra n'était pas un porte-parole du Ministère et qu'il n'avait pas soulevé ses préoccupations à l'interne, au moins au début, pour décider si elle devait prendre des mesures disciplinaires.

[35]    Le fonctionnaire s'estimant lésé s'était déjà exprimé publiquement à plusieurs reprises (pièce G-4) sans écoper de sanctions disciplinaires. Mme Kirkpatrick l'explique en se fondant sur la nature des questions soulevées dans la pièce G-4, qui relèvent du mandat de sa Direction, contrairement aux commentaires de M. Chopra dans cette affaire-ci.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[36]    Le seul autre témoin a été le fonctionnaire s'estimant lésé. M. Chopra, qui a déposé son curriculum vitae en preuve (pièce G-5), a fait des études en Inde et au Canada. Il est titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat en microbiologie de l'Université McGill, de Montréal. Il a occupé divers postes à SC depuis 1969.

[37]    Peu après avoir commencé à témoigner, M. Chopra a déclaré que le bacille du charbon est souvent présent dans le sol. Bien que le charbon soit généralement dangereux pour les animaux, il ne l'est habituellement pas pour l'être humain. Quand on constate qu'un animal est infecté, le troupeau dont il fait partie est habituellement abattu, la grange est brûlée et les carcasses sont ensevelies dans des fosses de huit pieds de profondeur. Le bacille peut parfois former des spores que l'être humain peut inhaler. En pareil cas, le traitement avec des antibiotiques comme la pénicilline permet d'éviter tous les problèmes connexes.

[38]    Quand on a constaté des incidents d'infections au charbon aux États-Unis et que la décision d'accumuler des stocks d'antibiotiques a été prise, un journaliste de la Presse canadienne a communiqué avec M. Chopra pour lui demander ce qu'il en pensait.

[39]    M. Chopra a bien vite déclaré au journaliste que c'était [traduction] « de la foutaise absolue », puisque le charbon n'est pas contagieux. Il a dit avoir tenté de renvoyer le journaliste à d'autres experts, mais s'être fait répliquer qu'ils ne voulaient pas répondre à ses questions. M. Chopra a témoigné avoir dit alors au journaliste : [traduction] « Alors, je peux vous renseigner en ma qualité de simple citoyen. »

[40]    Le fonctionnaire s'estimant lésé voulait expliquer qu'on ne devrait pas se servir d'antibiotiques sans raison valable et qu'une surutilisation de ces médicaments finit par leur faire perdre leur efficacité. Il voulait aussi expliquer que l'accumulation de stocks ne donne rien.

[41]    À l'audience, M. Chopra a dit se demander si l'on faisait des tests spéciaux sur le charbon aux États-Unis, parce qu'il pensait que les incidents rapportés chez nos voisins étaient attribuables à des spores spéciales.

[42]    Quand le gouvernement a dit aux citoyens de ne pas s'inquiéter parce qu'il a des antibiotiques, le fonctionnaire s'estimant lésé a commencé à s'inquiéter lui-même. En effet, l'antibiotique dont on a accumulé des stocks après le 11 septembre — la ciprofloxacine ou Cypro — est contre-indiquée pour les jeunes enfants.

[43]    M. Chopra a admis les propos qui lui sont attribués dans la pièce E-8, à savoir que l'accumulation de stocks d'antibiotiques ne faisait que permettre au Ministre de faire bonne impression, puisqu'il pouvait prétendre que le gouvernement était prêt. Il a reconnu qu'il n'avait aucune idée de l'identité de la ou des personnes qui avaient pris la décision d'accumuler les stocks et que ses commentaires concernant le Ministre étaient hypothétiques plutôt que basés sur une connaissance factuelle de la situation.

[44]    L'atmosphère de la rencontre convoquée le 12 octobre 2001 pour établir les faits était tendue. M. Chopra se sentait marqué; il avait le sentiment que Mme Kirkpatrick [traduction] « voulait l'avoir d'une façon ou d'une autre ».

[45]    M. Chopra admet avoir probablement tenu les propos qui sont reproduits entre guillemets dans les articles des journaux, mais estime que tout le reste ne peut être considéré que comme l'interprétation des journalistes de ce qu'il a dit. Par exemple, il confirme avoir dit dans la pièce E-12 [traduction] « Je m'inquiète pour mon emploi » et [traduction] « J'ai peur de ce qu'ils pourraient faire. Cela me met dans une situation très dangereuse », mais nie avoir déclaré au journaliste qu'il avait [traduction] « reçu une lettre de menaces de Diane Kirkpatrick, une haute fonctionnaire de Santé Canada, lui disant que sa participation au symposium devrait être approuvée par le Ministère », puisque cela ne figure pas entre guillemets dans l'article. Il a ajouté qu'il ne savait pas où le journaliste a obtenu ces renseignements.

[46]    Dans toute cette affaire, M. Chopra n'a pas cherché à communiquer avec les médias pour déclarer que ce que son Ministère et son Ministre faisaient était répréhensible, même s'il en était fermement convaincu. Toutefois, comme [traduction] « la sécurité est son affaire », il estimait avoir l'obligation de s'exprimer en tant que citoyen compétent.

[47]    Il estime qu'on devrait lui reconnaître le mérite d'avoir calmé les esprits. Il n'a jamais eu l'intention de critiquer le Ministère ni le Ministre. En outre, il ne lui a jamais été directement enjoint de ne pas faire de commentaires aux médias.

[48]    Si M. Chopra n'a pas eu recours aux mécanismes internes de discussion dans ce contexte, c'est parce qu'il n'était pas personnellement intéressé à ces dossiers, qu'il n'avait aucune idée des responsables des décisions prises et qu'il ne savait pas à qui s'adresser. De toute manière, quand un journaliste lui téléphone à l'improviste pour lui demander ce qu'il pense de la décision d'accumuler des stocks, une décision qui le touche personnellement et touche aussi sa famille ainsi que l'ensemble de la population, M. Chopra est convaincu qu'il a le droit de s'exprimer.

[49]    Les commentaires publiés dans les articles et diffusés aux nouvelles n'ont pas été faits par M. Chopra dans l'intention de nuire et n'étaient pas non plus conçus pour faire du tort aux dirigeants politiques ou administratifs du Ministère, ni pour les [traduction] « calomnier ».

[50]    Durant toute la période en question, personne n'a dit au fonctionnaire s'estimant lésé comment ses commentaires pourraient influer sur l'exécution de ses fonctions.

Arguments

Pour l'employeur

[51]    Dans la foulée des événements du 11 septembre, SC a dû relever énergiquement de grands défis. Comme c'était une situation de crise, il n'avait de toute évidence pas besoin de contestations non fondées de sa bonne foi par un de ses hauts fonctionnaires, surtout lorsque l'intéressé n'avait pas eu recours aux mécanismes internes de discussion.

[52]    L'affaire la plus importante dans la jurisprudence sur des situations comme celles-ci est Fraser c. Canada (CRTFP), [1985] 2 R.C.S. 455, un arrêt de la Cour suprême du Canada qui a depuis été jugé compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982). En outre, dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82, la juge Tremblay-Lamer a conclu que l'« obligation de loyauté en common law, telle qu'elle est définie dans l'arrêt Fraser, laisse suffisamment de place à la liberté d'expression garantie par la Charte et constitue donc une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte ».

[53]    La doctrine relative aux déclarations publiques des fonctionnaires établie dans Fraser et dans les décisions subséquentes est fondée sur les trois volets suivants :

  1. l'opposition publique aux politiques de gouvernement serait justifiée si le gouvernement se livrait à des actes illégaux, si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si la critique n'avait aucun effet sur la capacité du fonctionnaire qui la fait de s'acquitter efficacement de ses fonctions (ou sur la perception de cette capacité par le public);
  2. l'opposition et les critiques devraient commencer par être exprimées à l'interne, avec les mécanismes appropriés;
  3. tous les commentaires publics d'un fonctionnaire critiquant son employeur devraient être fondés ou raisonnablement justifiables.

[54]    Étant donné que les décisions que M. Chopra a publiquement critiquées dans cette affaire n'étaient pas illégales et ne mettaient pas en danger la sécurité du public, il était tenu de soulever ses préoccupations à l'interne. Le grief doit être rejeté pour la simple raison que M. Chopra ne l'a pas fait.

[55]    En ce qui concerne le premier volet que nous venons d'exposer, la conduite de M. Chopra ne satisfait pas aux critères de l'arrêt Fraser. Il ne dénonçait pas de malversations ou des actes illégaux, mais estimait simplement que les décisions prises par SC et par le Ministre étaient inutiles. En outre, ses commentaires sapaient manifestement sur sa capacité de s'acquitter de ses tâches comme fonctionnaire.

[56]    L'affaire Haydon a établi le principe que des critiques exprimées publiquement dans des situations autres que celles qui correspondent aux exceptions prévues dans l'arrêt Fraser ne peuvent être justifiées que si des tentatives raisonnables pour résoudre le problème à l'interne se sont révélées infructueuses. M. Chopra n'a fait absolument aucun effort pour faire connaître ses préoccupations en se prévalant des mécanismes appropriés mis en place au Ministère. La situation dans cette affaire est identique à celle qui existait dans Haydon et Conseil du Trésor (2002 CRTFP 10), où le vice-président Potter a déclaré que la première étape du processus dans des affaires comme celles-là consiste à soulever une préoccupation quelconque à l'interne.

[57]    Le troisième volet de la doctrine revient à dire que les déclarations publiques doivent être fondées ou raisonnablement justifiables. Or, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais démontré que l'accumulation de stocks était inutile ou que le Ministre essayait d'impressionner la galerie. La lecture de la transcription de la rencontre organisée le 23 octobre 2001 pour établir les faits (pièce E-11) montre clairement que la véracité de ses commentaires importait peu pour M. Chopra; il s'intéressait bien davantage à son droit de faire valoir son opinion.

[58]    M. Chopra n'a fait preuve d'aucun remords pour les commentaires inacceptables qu'il a faits en période de crise. La suspension de cinq jours est justifiée et devrait être maintenue.

[59]    À l'appui de sa thèse, l'employeur me renvoie aux décisions et à l'ouvrage suivants :

  1. Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.)
  2. Gannon v. Conseil du Trésor (Défense nationale), (2002 CRTFP 32), demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale en instance
  3. Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.)
  4. Robert Goyette et autre (dossiers de la Commission 166-2-2914 et 2915)
  5. Arthur J. Stewart c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 1 C.F. 133 (C.A.)
  6. Re Ministry of Attorney-General, Corrections Branch v. British Columbia Government Employees' Union (1981), 3 L.A.C. (3d) 140
  7. Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455
  8. Forgie c. Conseil du Trésor (Commission d'appel de l'immigration), (dossier de la Commission 166-2-15843); confirmée [1987] A.C.F. no 541 (C.A.)
  9. Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36 (C.A.)
  10. Laboucane c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), (dossiers de la Commission 166-2-16086 à 16088)
  11. Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (Division de première instance)
  12. Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), (2002 CRTFP 10)
  13. Chopra c. Conseil du Trésor (Santé Canada), (2001 CRTFP 23)
  14. Scott c. Agence des douanes et du revenu du Canada, (2001 CRTFP 82)
  15. Canadian Union of Public Employees, Local 5 v. The Corporation of the City of Hamilton, [1993] OLRB REP., NOVEMBER, 1214
  16. Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, Gorsky, Usprich et Brandt (Carswell, 1994).

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[60]    Dans cette affaire, l'employeur a une très lourde charge de la preuve puisqu'il a imposé une sanction disciplinaire à M. Chopra parce que celui-ci s'était prévalu du droit de liberté d'expression qui lui est reconnu par la Constitution. Les arguments de l'employeur doivent être pesés dans le contexte de la Charte. Pour que je puisse conclure qu'une sanction disciplinaire est justifiée dans cette affaire, l'employeur doit démontrer que les commentaires attribués au fonctionnaire s'estimant lésé n'auraient pas dû être faits.

[61]    L'interprétation que l'employeur donne des arrêts Fraser et Haydon, supra, est erronée et ne devrait donc pas être acceptée. Ni l'un ni l'autre de ces arrêts n'impose l'obligation d'avoir recours aux mécanismes internes de discussion.

[62]    Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas sérieusement contesté. M. Chopra a toujours agi de bonne foi, sans intention de nuire et toujours par souci de l'intérêt public.

[63]    La question fondamentale à trancher en l'espèce consiste à savoir si une société libre et démocratique peut « composer » avec les commentaires que M. Chopra a faits. En démocratie, la liberté d'expression et de discussion est un principe essentiel.

[64]    M. Chopra est un expert en microbiologie dont les déclarations publiques étaient globalement des exposés scientifiques qui n'ont pas été contredits. Qui plus est, les opinions qu'il a exprimées étaient les mêmes que celles d'autres experts.

[65]    L'employeur n'a produit aucun élément de preuve pour démontrer que les commentaires de M. Chopra avaient eu la moindre répercussion sur les Canadiens, sur ses collègues ou sur sa relation avec sa superviseure. Rien dans la preuve n'a montré que ses commentaires avaient causé de l'appréhension ou que ses collègues avaient refusé de travailler avec lui, ou encore que sa capacité de s'acquitter de ses fonctions avait été sapée, si ce n'est l'allégation de Mme Kirkpatrick que les commentaires publics de M. Chopra avaient eu des répercussions nuisibles.

[66]    Si l'un ou l'autre des commentaires en question avait eu l'impact que Mme Kirkpatrick prétend, elle aurait sûrement pris une décision plus rapidement et aurait enjoint au fonctionnaire s'estimant lésé de cesser de les faire dès la première occasion.

[67]    Comme nous l'avons déjà établi, ni la loi, ni une directive interne ne précisent que les fonctionnaires doivent toujours commencer par avoir recours aux mécanismes internes de discussion. En définitive, la liberté d'expression est d'importance fondamentale dans notre société. La jurisprudence n'exige pas non plus que les fonctionnaires qui s'expriment publiquement doivent prouver que leurs commentaires sont fondés ou qu'ils peuvent être raisonnablement justifiés. Si je devais conclure autrement pour l'un ou l'autre de ces motifs, l'effet de bâillon qui en résulterait serait inacceptable.

[68]    La doctrine des préoccupations légitimes du public a été établie dans Chopra c. Conseil du Trésor, supra. Elle précise que les fonctionnaires fédéraux peuvent discuter publiquement de questions d'intérêt public sans commencer par avoir recours aux mécanismes internes de discussion. Les commentaires que M. Chopra a faits en l'espèce concernaient des préoccupations légitimes du public et portaient sur des questions de santé et de sécurité publiques. Par conséquent, il avait le droit de dire qu'on ne peut pas mettre la santé des Canadiens en danger pour des fins politiques.

[69]    Les exceptions limitant la liberté d'expression qui figurent dans les arrêts Fraser et Haydon ainsi que dans des décisions subséquentes ne peuvent pas être appliquées strictement. La Charte exige une interprétation large parce qu'elle a été conçue pour assurer une protection générale de tous les droits qu'elle garantit.

[70]    Même si M. Chopra n'était pas tenu de prouver que ses commentaires étaient fondés, le fait reste qu'ils l'étaient, ou qu'ils étaient raisonnablement justifiables. L'employeur n'a rien produit en preuve pour démontrer le contraire.

[71]    Si M. Chopra a été identifié comme un fonctionnaire de SC par les médias, ce n'est pas lui qui l'avait choisi, et cela ne devrait pas être invoqué pour le bâillonner. M. Chopra a déjà tenu des propos critiques à l'endroit de SC dans le passé. L'employeur avait toléré ce genre de conduite en ne lui imposant pas de sanctions.

[72]    Il n'y a aucune raison logique pour justifier l'imposition d'une sanction dans cette affaire. N'importe quelle personne raisonnable aurait jugé justifiés les commentaires du fonctionnaire s'estimant lésé.

[73]    Si je devais néanmoins conclure qu'une sanction est justifiée, ce devrait plutôt être une réprimande. En raison du dossier disciplinaire vierge de M. Chopra, de ses longs états de service, du fait que ce sont les médias qui ont communiqué avec lui et qu'il a tenté de les renvoyer à quelqu'un d'autre, ainsi que du fait que ses commentaires n'étaient pas controversés et qu'il a agi de bonne foi, sans intention de nuire, en tentant honnêtement d'informer ses interlocuteurs, la suspension de cinq jours est excessive.

[74]    Le grief devrait donc être accueilli.

[75]    À l'appui de sa thèse, le fonctionnaire s'estimant lésé m'a renvoyé aux décisions et aux textes suivants :

  1. Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Canada Act 1982 (R.-U.), 1982, ch. 11
  2. Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta, [2002] A.J. No. 1086
  3. Biggs v. Village of Dupo, 892 F 2d 1298, [1990] CA7-QL 11 No. 88-1995
  4. Canada (Treasury Board - Health Canada) and Chopra (2001), 96 L.A.C. (4th) 367 (2001 CRTFP 23)
  5. Corporal Robert Read and Commanding Officer, « C » Division RCMP, Sept. 10, 2003, File No.: 2000-02-004 (D-81)
  6. Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455
  7. Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (Division de première instance)
  8. Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), (2002 CRTFP 10)
  9. Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
  10. Laboucane et Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossiers 166-2-16086 à 16088
  11. Lewicki c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2002 CRTFP 37
  12. Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69
  13. Pickering v. Board of Education, 391 U.S. 563 (S. Ct. 1968)
  14. Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada (2001 CRTFP 105)
  15. R.W.D.S.U., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8
  16. Re Ministry of Attorney General and British Columbia Government Employees Union (1981), 3 L.A.C. (3d) 140
  17. Re Park'n'Fly (2000), 90 L.A.C. (4th) 276
  18. Re Snow Lake School District No. 2309, [2001] M.G.A.D. No. 66
  19. Re Wainwright School Division No. 32 and Canadian Union of Public Employees, Local 1606 (1984), 15 L.A.C. (3d) 344
  20. Simard c. Service canadien du renseignement de sécurité (2002 CRTFP 52)
  21. Windsor Star (1992), 26 L.A.C. (4th) 129
  22. Federal Employment Law in Canada (Toronto: Carswell, 1990)
  23. Stephen M. Kohn, Concepts and Procedures in Whistleblower Law (Westport: Quorum Books, 2001)

Réplique

[76]    Bien que la liberté d'expression soit importante en démocratie, une fonction publique équitable, efficace et impartiale l'est aussi. Il faut donc concilier d'importants intérêts.

[77]    La preuve contredit la prétention du fonctionnaire s'estimant lésé qu'on ne lui avait pas enjoint de cesser. Divers courriels et les procès-verbaux des rencontres organisées pour établir les faits révèlent clairement le contraire (pièces E-5, E-6, E-9 et E-11).

[78]    Les déclarations publiques que le fonctionnaire s'estimant lésé avait faites auparavant étaient de nature différente, et les circonstances étaient elles aussi différentes. On n'a jamais rien fait pour laisser entendre à M. Chopra qu'il pouvait contester les motifs du Ministre.

[79]    Dans toute cette affaire, M. Chopra a manqué aux règles du bon sens. Il doit maintenant payer pour sa conduite inacceptable.

Motifs de la décision

[80]    Cette affaire soulève une fois de plus la question toujours importante, mais difficile, de l'équilibre à respecter entre la liberté d'expression protégée par la Constitution et le devoir d'un fonctionnaire fédéral de faire en sorte que la fonction publique à l'endroit de laquelle il a une obligation de loyauté soit impartiale et efficace.

[81]    Il est depuis longtemps reconnu que les fonctionnaires fédéraux doivent faire preuve de prudence et de modération lorsqu'ils critiquent publiquement la politique gouvernementale. Dans notre société, le droit des fonctionnaires de s'exprimer est assorti de certaines obligations.

[82]    Toute discussion sur cette question doit partir de l'arrêt de la Cour suprême du Canada (CSC) dans l'affaire Fraser, supra. M. Fraser, qui était fonctionnaire, avait été puni pour avoir publiquement critiqué la politique gouvernementale de conversion au système métrique. (L'affaire n'avait pas donné lieu à une discussion des droits et libertés garantis par la Charte puisque les événements en question s'étaient produits avant la proclamation de la Charte, en 1982; elle avait été renvoyée à l'arbitrage devant la CRTFP et avait fini par se retrouver devant la CSC.)

[83]    La CSC a souscrit à l'opinion de l'arbitre de grief qui estimait qu'un « fonctionnaire ne peut tout simplement pas se permettre, au nom de la liberté de parole, de discréditer l'employeur auprès de la population qu'il sert ».

[84]    Les emplois dans la fonction publique comportent « deux dimensions, l'une se rapportant aux tâches de l'employé et à la manière dont il les accomplit, l'autre se rapportant à la manière dont le public perçoit l'emploi » (Fraser, supra, p. 469).

[85]    Même si le poste qu'occupait M. Fraser n'avait rien à voir avec la politique de conversion au système métrique, la Cour a conclu que ses déclarations à ce sujet étaient liées à son emploi « parce qu'il est important et nécessaire d'avoir une fonction publique impartiale et efficace ».

[86]    Et elle a poursuivi en ces termes à la page 470 de son arrêt :

         La fonction publique fédérale au Canada fait partie de l'exécutif du gouvernement. À ce titre, sa tâche fondamentale est d'administrer et d'appliquer les politiques. Pour bien accomplir sa tâche, la fonction publique doit employer des personnes qui présentent certaines caractéristiques importantes parmi lesquelles les connaissances, l'équité et l'intégrité.

         Comme l'arbitre l'a indiqué, il existe une autre caractéristique qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n'est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n'est pas non plus tenu d'endosser publiquement ses politiques. En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du gouvernement.

         Comme l'a souligné l'arbitre, il existe un motif important à l'appui de cette règle générale de loyauté, à savoir l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique.

[87]    Enfin, la CSC s'est prononcée sur la question de l'incidence des déclarations publiques du fonctionnaire sur son travail de la façon suivante, aux pages 472 et 473 :

... En ce qui a trait à l'empêchement d'accomplir le travail précis, je crois que selon la règle générale la preuve directe de l'incidence néfaste devrait être exigée. Toutefois cette règle n'est pas absolue. On peut déduire qu'il y a eu incidence néfaste lorsque, comme en l'espèce, la nature du poste du fonctionnaire est à la fois importante et délicate et lorsque comme en l'espèce, le fond, la forme et le contexte de la critique du fonctionnaire est extrême. En l'espèce, la déduction de l'arbitre, savoir que la conduite de M. Fraser pouvait ou allait susciter des inquiétudes, de la gêne ou de la méfiance de la part du public à l'égard de son aptitude à accomplir ses fonctions, n'était pas déraisonnable.

         Si on examine l'incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d'avis qu'une preuve directe n'est pas nécessairement exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments d'étude, d'argumentation écrite et orale, de connaissance générale de la part d'arbitres qui ont l'expérience du secteur public et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers. Un arbitre peut déduire qu'il y a une incidence néfaste d'après l'ensemble de la preuve si des éléments de preuve indiquent un type de conduite qui peut raisonnablement l'amener à conclure qu'elle est de nature à diminuer l'efficacité du fonctionnaire. Y avait-il en l'espèce de tels éléments de preuve sur la conduite? Pour répondre à cette question il devient pertinent d'examiner le fond, la forme et le contexte des critiques de M. Fraser contre les politiques du gouvernement.

         Sur ce point, l'arbitre a conclu que la preuve était écrasante. Les critiques principales portaient sur deux politiques importantes qui, à ce moment-là, suscitaient des divisions - le programme de conversion au système métrique et la

Charte. En ce qui a trait à la forme, la critique a été prolongée et, comme les médias nationaux accordaient beaucoup d'attention à M. Fraser, elle était d'un ton de plus en plus désobligeant. Avec le temps, sa critique a dépassé les deux politiques mentionnées. Il a commencé à contester et à attaquer la personnalité du Premier Ministre et l'intégrité du gouvernement. Il l'a d'abord fait à un niveau local, puis à un niveau régional et enfin à un niveau international.

[88]    L'arrêt Fraser a été suivi de la décision Forgie, supra, dans laquelle un arbitre de griefs de la CRTFP a conclu que les fonctionnaires fédéraux étaient tenus de tenter de résoudre les problèmes à l'interne avant de critiquer publiquement la politique du gouvernement. Le président suppléant Bendel l'a expliqué aux pages 62 et 63 de sa décision :

         À mon avis cependant, un employé qui critique publiquement des pratiques douteuses fait face à un lourd fardeau; il doit établir qu'il a fait tout ce qui était raisonnablement possible pour résoudre le problème de l'intérieur : il s'agit là d'une facette de son obligation de loyauté envers l'employeur. Un employé ne peut se contenter d'affirmer qu'il doutait d'obtenir un règlement satisfaisant du problème par la voie interne; il lui appartient d'établir qu'il a fait des tentatives raisonnables pour porter ses critiques à l'attention d'une personne en autorité au sein de l'organisme...

[89]    Conformément à l'arrêt Fraser, supra, je suis convaincu que ce principe, qui découle inéluctablement du devoir de réserve des fonctionnaires quant aux questions politiques, doit être respecté dans tous les cas sauf si la situation est urgente et qu'il serait impossible ou inacceptable d'avoir recours aux mécanismes internes de discussion.

[90]    Dans Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82, une affaire dans laquelle M. Chopra était requérant, la Cour a confirmé le principe que les fonctionnaires qui souhaitent critiquer publiquement les politiques gouvernementales devraient en règle générale faire des efforts raisonnables pour corriger la situation à l'interne (voir le paragraphe 112 de la décision).

[91]    Enfin, la véracité ou le caractère justifiable de critiques exprimées publiquement par un fonctionnaire devrait être étayé par une preuve. Dans Grahn, supra, le juge Hugessen a écrit ce qui suit à la page 2 :

Il n'en reste pas moins qu'après avoir pris la décision très grave d'accuser ses supérieurs d'illégalités, le requérant devait en démontrer le bien-fondé s'il tenait à éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions.

[92]    Après avoir appliqué la jurisprudence aux faits en l'espèce, je dois conclure que la suspension de cinq jours imposée à M. Chopra était justifiée.

[93]    Les commentaires persistants et parfois agressifs du fonctionnaire s'estimant lésé contestant les politiques de son employeur étaient inacceptables. M. Chopra prétend qu'il tentait simplement d'apaiser l'hystérie médiatique en période de crise internationale. Il affirme que ses commentaires portaient sur des questions de santé et de sécurité publiques et qu'ils sont par conséquent protégés par la Charte.

[94]    Bien qu'on puisse facilement accepter l'idée qu'une surutilisation d'antibiotiques puisse finir par les rendre inefficaces et que des antibiotiques puissent être contre-indiqués pour de jeunes enfants, le fait reste que, dans des situations d'urgence, le gouvernement peut devoir disposer d'importantes quantités d'antibiotiques et de vaccin. Un article déposé en preuve par le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-7, onglet 7) le confirme :

[Traduction]

Ottawa agit certainement avec sagesse en s'assurant d'avoir assez de médicaments en mains pour parer à la possibilité très faible que de nombreux Canadiens soient atteints du charbon ou de la variole.

[95]    En pareil cas, on suppose que le gouvernement pèse les avantages et les inconvénients d'inoculations de masse. Pour être en mesure de prendre ses décisions, il doit avoir les ressources nécessaires, que ce soient des antibiotiques ou des vaccins.

[96]    M. Chopra a affirmé catégoriquement que l'accumulation de stocks d'antibiotiques ou de vaccin était inutile, sans avancer de preuves. Il n'avait aucune justification pour s'en prendre aux motifs du ministre de la Santé, et ce nonobstant son explication à l'audience, où il a déclaré n'avoir eu aucune intention de nuire. Il a admis n'avoir eu connaissance d'aucun fait précis pour justifier cette déclaration, qui attaquait clairement l'intégrité et les motifs du Ministre responsable de son Ministère.

[97]    Enfin, les commentaires de M. Chopra à Lyle Stewart, de la Montreal Gazette (pièce E-12) montrent qu'il tenait davantage à critiquer et à attaquer son Ministère qu'à calmer les esprits. Des remarques comme [traduction] « Le Ministère se sent encouragé par cette guerre » et [traduction] « Le moment est venu pour lui de s'en prendre aux gens qu'il croit vulnérables » ont une allure théâtrale, en plus d'être dérogatoires et de ne reposer sur aucune preuve.

[98]    Dans tout son témoignage, M. Chopra a tenté de se distancer de certains des commentaires qui lui étaient attribués quand ils étaient présentés sans guillemets dans les articles publiés par les journaux. Même si je reconnais que les médias peuvent à l'occasion mal interpréter ou mal représenter les propos de quelqu'un, le fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas invoquer cette possibilité pour se défendre. Il ne suffit pas qu'il dise que, parce que certains propos ne sont pas présentés entre guillemets, l'employeur ne peut pas prouver qu'il les a tenus. Après avoir entendu le témoignage de M. Chopra, je conclus que les commentaires qui lui sont attribués reflètent étroitement les discussions qu'il a choisi d'avoir avec des journalistes. En outre, les contacts répétés qu'il a eus avec les médias m'amènent à conclure que la possibilité que ses opinions et ses commentaires antérieurs aient été mal interprétés ne l'inquiétait pas.

[99]    Le passage suivant de la pièce E-12 est particulièrement révélateur à cet égard :

[Traduction]

Hier, M. Chopra devait participer à un symposium de l'Université McGill sur les pesticides intitulé « Tueurs muets : comment notre santé, notre fertilité et nos fonctions cérébrales sont menacées ». Cette semaine, il a reçu une lettre de menaces de Diane Kirkpatrick, une haute fonctionnaire de Santé Canada, lui disant que sa participation au symposium devrait être approuvée par le Ministère.

Par conséquent, puisque le Ministère doit enquêter sur les commentaires qu'il a faits au sujet du charbon, M. Chopra a décidé qu'il ferait mieux de ne pas aggraver ses problèmes; il a annulé sa participation au symposium d'hier à McGill.

Il s'est expliqué en disant : « Je m'inquiète pour mon emploi. J'ai peur de ce qu'ils pourraient faire. Cela me met dans une situation très dangereuse. »

[100]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu avoir dit ce qu'on lui attribue entre guillemets. Il nie toutefois avoir discuté du contenu de la note que Mme Kirkpatrick lui avait envoyée au sujet du symposium de Montréal (pièce E-6). Sur ce point, je ne le crois tout simplement pas. M. Chopra défie la crédulité quand il dit ne pas savoir où le journaliste a obtenu ses renseignements sur une note de service interne et sur un séminaire auquel il devait participer, de même que l'endroit où il a trouvé le nom de sa superviseure. Puisqu'il a admis à l'audience avoir dit qu'il s'inquiétait pour son emploi, qu'il craignait ce que son employeur pourrait faire et que « cela » le mettait « dans une situation très dangereuse », il a certainement dû parler de la pièce E-6 avec le journaliste, et, ce faisant, il lui a sûrement révélé le nom de Mme Kirkpatrick.

[101]    Le fonctionnaire s'estimant lésé est en défaut aussi dans cette affaire parce qu'il ne s'est pas prévalu des mécanismes internes d'examen et de discussion. Je ne peux tout simplement pas accepter sa piètre excuse qu'il ne savait pas à qui s'adresser. Il savait ou aurait dû savoir qu'il pouvait soulever la question avec sa superviseure immédiate et obtenir d'elle les noms d'autres contacts au Ministère. C'est d'ailleurs exactement ce que Mme Kirkpatrick a fait dans la pièce E-6, en lui rappelant qu'il devait s'assurer que tout ce qu'il dirait dans son exposé serait fondé et que, à cette fin, il pouvait [traduction] « communiquer avec Geraldine Graham [...] à l'ARLA ».

[102]    M. Chopra n'a pas démontré que la situation qui a suivi les attentats du 11 septembre exigeait qu'il passe outre aux mécanismes internes normaux de discussion. Les avantages et les inconvénients de l'accumulation de stocks d'antibiotiques et de vaccin faisaient l'objet d'une discussion publique par d'autres scientifiques qui n'étaient pas au service de SC, au cours de cette même période. Le gouvernement ne commettait pas d'actes criminels et il n'existait pas non plus de danger immédiat pour la santé ou la sécurité des Canadiens qui aurait pu justifier certains des commentaires de M. Chopra.

[103]    Je devrais ajouter que, même si M. Chopra avait tenté sans succès de soulever ses préoccupations et de régler le problème à l'interne, certains de ses commentaires, particulièrement ceux qui concernaient les motifs du Ministre, de même que ses déclarations qu'on aurait essayé de le bâillonner, n'en seraient pas moins inacceptables.

[104]    En l'espèce, les déclarations publiques du fonctionnaire s'estimant lésé ont eu une incidence néfaste sur son emploi des deux façons que la CSC a décrites dans l'arrêt Fraser, supra. Premièrement, Mme Kirkpatrick a témoigné que les critiques publiques du Ministère et du Ministre que le fonctionnaire s'estimant lésé a faites avaient sapé sa relation avec lui. Ce fait a été confirmé par M. Chopra lui-même lorsqu'il a témoigné que sa relation avec sa superviseure était tendue. Les tensions entre Mme Kirkpatrick et M. Chopra qui résultent de ces incidents sont évidentes à la lecture de la transcription des deux rencontres organisées pour établir les faits (pièces E-9 et E-11). Il est certain que ces tensions réduisent la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de faire son travail.

[105]    Deuxièmement, je conclus que les déclarations répétées de M. Chopra, des déclarations qui allaient au-delà de ce qui constitue un débat scientifique acceptable, sapaient son utilité comme fonctionnaire. Ses attaques contre le Ministre, contre son Ministère et contre sa superviseure étaient répétées et dérogatoires. Je n'ai aucun doute que sa conduite en l'espèce a sérieusement sapé son utilité comme fonctionnaire.

[106]    L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a proposé que je ramène la sanction imposée à une réprimande si je devais conclure que des mesures disciplinaires étaient justifiées. Compte tenu de ce qui précède, j'estime que la suspension de cinq jours dont M. Chopra a écopée était tout à fait justifiée compte tenu des critères applicables aux sanctions disciplinaires.

[107]    Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

Yvon Tarte,
président

OTTAWA, le 17 décembre 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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