Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension pour une période indéterminée - Licenciement (disciplinaire) - Divulgation non autorisée de renseignements personnels - cette décision renvoie à un grief porté à l'encontre d'une suspension pour une période indéterminée et à un grief porté à l'encontre d'un licenciement au motif que des renseignements personnels auraient été divulgués de manière inappropriée, contrairement à la loi sur la protection des renseignements personnels - au cours de l'enquête, le fonctionnaire s'estimant lésé a été informé que, de l'avis de l'employeur, il avait effectué 16 interrogations dans le registre des NAS de DRHC alors qu'il n'avait pas besoin d'effectuer ces interrogations aux fins de son travail - à l'audience, lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé a vu la documentation pour la première fois, il a pu exposer une raison valide, liée à son travail, pour laquelle il avait accédé à ce registre, et cette explication n'a pas été contestée par l'employeur - l'arbitre a par conséquent conclu que, si la documentation en question avait été présentée au fonctionnaire s'estimant lésé pendant l'enquête interne, ce dernier aurait exposé la même raison liée au travail, qui aurait été acceptée - après avoir examiné la preuve produite, l'arbitre a déterminé qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel, où le fonctionnaire s'estimant lésé croyait sincèrement qu'il aidait la Couronne dans le cadre d'une enquête - par conséquent, il a ordonné la réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé dans son ancien poste - l'arbitre a souligné qu'il ne fallait pas voir dans cette décision l'affirmation que la divulgation à un tiers de renseignements que l'employeur a recueillis auprès du public ne justifie pas en soi le congédiement - il a indiqué que, dans d'autres circonstances, le congédiement pour ce type d'action pourrait bien constituer la voie à suivre - l'arbitre a terminé en disant qu'il s'agissait d'une infraction grave, et que le fonctionnaire s'estimant lésé avait déjà subi une longue suspension, mais il s'est dit convaincu que le lien de confiance n'avait pas été irrémédiablement rompu au point de ne pouvoir être rétabli et que, par conséquent, le licenciement n'était pas nécessaire. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-05-05
  • Dossier:  166-2-31658 et 166-2-31813
  • Référence:  2003 CRTFP 36

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

MICHAEL BRECHT
Fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Développement des ressources humaines Canada)

Employeur

Devant:   Joseph W. Potter, Vice-président

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:              
David Landry, Alliance de la Fonction publique
                                     du Canada

Pour l'employeur:        Stéphane Hould, avocat


Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan),
du 25 au 27 mars 2003.


[1]      Le 17 mai 2002, Michael Brecht, un employé de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) à Saskatoon, a été informé par lettre qu'il était suspendu sans solde pour une période indéterminée (pièce G-14). Le 3 septembre 2002, M. Brecht a été congédié (voir la pièce G-6).

[2]      La lettre de congédiement est reproduite ci-après :
(traduction)

Vous auriez divulgué des renseignements personnels de manière inappropriée, contrairement à la loi sur la protection des renseignements personnels. L'enquête administrative menée sur ce dossier est maintenant close. J'ai remarqué que vous aviez choisi de ne pas répondre à la plupart des questions qui vous avaient été posées par les enquêteurs. Je dois néanmoins rendre une décision en tenant compte de l'information dont je dispose.

J'en arrive à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, vous avez effectivement divulgué des renseignements personnels de manière inappropriée et, pour cette raison, rompu le lien de confiance indispensable à votre emploi à DRHC.

La protection des renseignements personnels est une responsabilité fondamentale qui incombe à tous les fonctionnaires. En conséquence, je mets fin à votre emploi à DRHC, décision qui prend effet à l'heure de fermeture des bureaux, aujourd'hui, le 3 septembre 2002, conformément à l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Vous avez le droit de déposer un grief pour contester ma décision dans les vingt-cinq jours ouvrables de la réception de la présente lettre.

[3]      M. Brecht a déposé un grief à l'encontre tant de la suspension pour une période indéterminée que de son congédiement, et la présente décision porte sur ces deux volets.

[4]      À l'ouverture de l'audience, on a demandé l'autorisation d'exclure les témoins, ce que j'ai permis.

Contexte

[5]      M. Brecht a commencé à travailler pour DRHC à Saskatoon le 16 octobre 2000, à titre d'agent d'enquêtes et de contrôle. Avant d'occuper un poste au sein de la fonction publique fédérale, M. Brecht avait travaillé pendant 16 ans à titre d'enquêteur privé pour Robinson Investigations à Saskatoon.

[6]      À titre d'agent d'enquêtes et de contrôle, M. Brecht avait pour tâche, notamment, d'enquêter sur les demandes frauduleuses de prestations d'assurance-emploi. Pour exécuter ses fonctions, M. Brecht devait avoir accès à diverses banques de données de DRHC, dont un registre des numéros d'assurance sociale (NAS). Il est possible d'obtenir, grâce à cette banque de données, les NAS qui sont attribués à tous les citoyens canadiens ainsi que d'autres renseignements personnels, dont l'adresse du particulier au moment où le NAS lui est attribué, sa date ainsi que son lieu de naissance, et d'autres éléments d'information de cette nature.

[7]      Peu après avoir commencé à travailler pour DRHC, M. Brecht a reçu de son employeur un document intitulé « Politique d'utilisation acceptable du code d'utilisateur » (pièce E-6). Le document est libellé en partie dans les termes suivants :
(traduction)

Les utilisations d'un système informatique qui suivent seraient considérées comme étant irrégulières :

.      l'utilisation du système et des données à des fins
      autres que le soutien de projets autorisés;

[8]      Le 13 mai 2002, la GRC a appelé M. Brecht pour lui demander s'il était possible de le rencontrer. M. Brecht a cru que la demande se rapportait à une enquête ordinaire liée au travail à laquelle il travaillait en collaboration avec la GRC à cette époque-là.

[9]      Au cours de la conversation qu'ils ont eue avec M. Brecht, les agents de la GRC ont informé ce dernier que son nom était ressorti dans le cadre d'une enquête qu'ils étaient en train de mener. Ils ont indiqué à M. Brecht qu'il risquait d'être accusé d'abus de confiance, d'utilisation illégale d'un ordinateur, de complot et de communication inappropriée de renseignements en relation avec la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les agents de la GRC ont suggéré à M. Brecht de retenir les services d'un avocat et lui ont fait la lecture de ses droits.

[10]      Après le départ des agents de la GRC, M. Brecht s'est rendu directement au bureau de son superviseur, Jacqueline Young, pour l'informer de ce qui venait de se produire, y compris de la possibilité qu'il soit accusé.

[11]      Mme Young a demandé à M. Brecht à quoi tout cela se rapportait, et il a répondu qu'il ne pouvait penser à rien, si ce n'est au fait qu'il avait repéré certains noms et adresses pour Robinson Investigations, son ancien employeur. Il a expliqué que Robinson Investigations effectuait du travail pour la Couronne.

[12]      Mme Young a demandé à M. Brecht la raison pour laquelle il ne l'avait pas consultée avant de divulguer ces renseignements, et M. Brecht a répondu qu'il aurait dû effectivement lui en parler.

[13]      Un conseiller du bureau régional était justement de passage au bureau de Saskatoon au moment où ces événements se sont produits, et M. Brecht a demandé s'il pouvait parler à ce dernier ainsi qu'à son superviseur. Le conseiller, Wayne Young, s'est présenté au bureau, puis M. Brecht a expliqué de nouveau ce qui s'était produit dans son bureau avec les agents de la GRC. M. Young a déclaré que le gestionnaire devait être avisé.

[14]      Mme Young est alors allée parler à la gestionnaire, Linda Cox, pour lui faire part des événements. Mme Cox a fait venir M. Brecht dans son bureau où, encore une fois, ce dernier a expliqué la situation et indiqué qu'il ne pouvait penser à rien, si ce n'est au fait qu'il y avait un rapport avec certains renseignements qu'il avait obtenus grâce au système et qu'il avait ensuite fournis à son ancien employeur.

[15]      M. Brecht a répété que les renseignements qu'il avait communiqués se rapportaient à un travail que Robinson Investigations effectuait pour la Couronne.

[16]      Mme Cox a demandé si les renseignements en question avaient été fournis à un moment où M. Brecht était un employé de DRHC, ce à quoi M. Brecht a répondu par l'affirmative. Ce dernier a déclaré également que personne d'autre n'avait pris part à la communication des renseignements en question.

[17]      La décision ayant alors été prise de le renvoyer chez lui, M. Brecht a pris un congé annuel.

[18]      Michael Robinson est propriétaire de Robinson Investigations; il a témoigné que son entreprise effectue du travail pour le ministère de la Justice fédéral depuis un certain nombre d'années, y compris au moment où M. Brecht travaillait pour l'entreprise. L'une des tâches qui lui avait été attribuées consistait à fournir au ministère de la Justice les adresses actuelles de certains particuliers. Le travail que Justice effectuait se rapportait à des actions en justice instituées par des particuliers ayant fréquenté des pensionnats.

[19]      M. Robinson a communiqué avec M. Brecht à deux reprises au moment où ce dernier était un employé de DRHC, et lui a demandé s'il pouvait l'aider à retrouver deux personnes. M. Brecht a fourni une adresse à M. Robinson.

[20]      M. Robinson a témoigné qu'aucun enquêteur de DRHC ne lui avait, à quelque moment que ce soit, parlé à ce sujet.

[21]      La directrice générale de la région de la Saskatchewan de DRHC, Mary Lou Deck, a ensuite été informée de la situation; il a été déterminé qu'une enquête administrative devait être effectuée. La décision a été prise également de suspendre M. Brecht en attendant l'issue de l'enquête.

[22]      Par conséquent, Mme Cox a rencontré M. Brecht le 17 mai 2002 pour lui remettre la lettre l'informant de sa suspension sans solde pour une période indéterminée, en attendant l'issue de l'enquête (pièce G-14).

[23]      Jean-François Bellemare est enquêteur principal à DRHC à Ottawa; on lui a demandé de se rendre à Saskatoon pour y mener une enquête administrative, en compagnie de l'enquêteur principal Claude Jacques, avec qui il a rencontré M. Brecht le 27 mai 2002. M. Brecht leur a répété ce qu'il avait déjà expliqué à Mme Young et à Mme Cox au sujet de la visite des agents de la GRC et de la possibilité que des accusations soient portées à son égard.

[24]      Les enquêteurs ont ensuite décidé d'examiner toutes les interrogations que M. Brecht avait effectuées dans la base de données des NAS au moyen de son code d'utilisateur au cours de la période du 1er mai 2001 au 1er mai 2002. Pour obtenir cette information, ils ont fait parvenir une demande au bureau de DRHC à Bathurst, qui leur a par la suite remis un rapport à cet égard (pièce E-8). Le rapport indiquait toutes les dates ainsi que les heures auxquelles M. Brecht avait eu accès à la base de données des NAS au cours de la période pertinente.

[25]      Toute cette enquête interne était longue; au mois de juin 2002, Mme Deck a demandé aux enquêteurs de l'informer de l'évolution du dossier. Le 12 juillet 2002, on lui a remis un rapport provisoire recommandant que M. Brecht soit rétabli dans un poste ne lui donnant pas accès à des renseignements personnels. Le rapport provisoire indiquait également qu'il fallait recueillir des renseignements supplémentaires et que, en outre, la GRC poursuivait de son côté son enquête dans ce dossier.

[26]      Après avoir reçu le rapport de Bathurst, les enquêteurs ont interrogé le système de gestion des enquêtes et de contrôle. Lorsqu'une personne occupant un poste comme celui qu'occupait M. Brecht soumet une requête liée au travail, un numéro de dossier est attribué automatiquement. En passant en revue tous les cas où M. Brecht avait accédé au système pendant la période d'un an, les enquêteurs ont découvert que ce dernier avait effectué seize interrogations qui, à leur avis, ne se rapportaient à aucun dossier auquel M. Brecht travaillait alors. Les enquêteurs ont estimé qu'il n'avait pas été nécessaire, aux fins de son travail, que M. Brecht effectue ces seize renvois au système de base de données.

[27]      En ce qui concerne la recommandation formulée à son intention le 12 juillet, selon laquelle M. Brecht devrait être rétabli dans un poste différent, Mme Deck a déclaré qu'il aurait été difficile d'y donner suite puisqu'il existait très peu de postes ne donnant pas droit à un tel accès. Au moment même où cette recommandation a été formulée, ou à peu près, les enquêteurs chargés du dossier prenaient connaissance des seize interrogations susmentionnées, faites sans nécessité apparente. Il a donc été déterminé qu'il y avait lieu de maintenir la suspension de M. Brecht pour une période indéterminée.

[28]      Une rencontre a ensuite été prévue le 7 août 2002 afin d'interroger M. Brecht sur ces seize interrogations. L'avocat de M. Brecht accompagnait ce dernier à la rencontre, et étaient présents également MM. Bellemare et André Lefebvre, ce dernier étant le gestionnaire de la section des enquêtes spéciales. M. Bellemare a témoigné qu'au cours de l'interrogatoire du 7 août, on avait donné à M. Brecht un nom et un numéro d'assurance sociale en particulier avant de lui demander pourquoi il avait interrogé la banque de données sur ce numéro. On ne lui a montré aucune documentation écrite. Sur les conseils de son avocat, M. Brecht a refusé de donner quelque renseignement que ce soit sur les seize interrogations. Plus tard au cours de l'interrogatoire, M. Brecht a déclaré qu'il avait peut-être ainsi accédé au système relativement à un dossier auquel il travaillait avec un collègue et qui concernait les pêcheurs du Nord; il a demandé qu'on lui fournisse des renseignements supplémentaires sur ces accès. Aucun ne lui a été fourni. Une transcription de l'interrogatoire du 7 août, produite sous la cote G-4, confirme la séquence des événements exposée ci-dessus.

[29]      M. Bellemare a conclu que l'explication donnée par M. Brecht sur les seize interrogations en question était fausse, ce qu'indique le rapport d'enquête qui a été remis à la direction (pièce G-5, page 3).

[30]      Au cours de l'audience d'arbitrage, on a montré à M. Brecht les rapports que M. Bellemare avait demandés au bureau de Bathurst (pièces E-8 et E-9), et qui exposaient en détail la date et l'heure de chacune des seize interrogations en question. C'était la première fois que M. Brecht voyait ces documents et, à mesure qu'il les a passés en revue, il a donné la raison (liée au travail) pour laquelle il avait accédé au système. Cette raison liée au travail n'a pas été contestée au cours de son contre-interrogatoire.

[31]      Après avoir reçu le rapport sur l'enquête interne le 19 août 2002, Mme Deck a consulté ses collègues de l'administration centrale pour déterminer la voie qu'il convenait de suivre. Au terme de cette discussion, Mme Deck a décidé de congédier M. Brecht au motif qu'il avait fourni de l'information à son ancien employeur et au motif également qu'il avait à seize reprises accédé sans raison apparente au registre des NAS. Mme Deck a reconnu que la lettre de congédiement ne faisait aucune mention des seize interrogations.

[32]      Le 3 septembre 2002, Mme Deck a rencontré M. Brecht dans son bureau et lui a remis la lettre de congédiement (pièce G-6).

Arguments pour le compte de l'employeur

[33]      La question à trancher dans la présente affaire est de savoir si M. Brecht a divulgué à son ancien employeur, Robinson Investigations, des renseignements confidentiels qu'il a obtenus dans le système de DRHC.

[34]      Il n'existe aucune preuve directe sur les renseignements que M. Brecht a fournis à Robinson Investigations, car cette preuve se trouve dans les dossiers qui sont en la possession de la GRC. Toutefois, M. Brecht a admis qu'il avait effectivement fourni des renseignements obtenus grâce au système de DRHC.

[35]      Le 13 mai 2002, M. Brecht a admis à Mme Cox qu'il avait remis à Robinson Investigations des renseignements personnels qu'il avait obtenus en consultant le système de DRHC. M. Brecht aurait dû savoir que le fait de fournir ce genre d'information n'était pas permis. Il avait reçu un exemplaire du document de DRHC (Politique d'utilisation acceptable du code d'utilisateur), qui se lit en partie dans les termes suivants (pièce E-6) :
(traduction)

Les utilisations d'un système informatique qui suivent seraient considérées comme étant irrégulières :

.      l'utilisation du système et des données à des fins       autres que le soutien de projets autorisés;

[36]      Divulguer à un tiers des renseignements personnels obtenus dans le système de DRHC est très grave. La raison pour laquelle les renseignements sont recueillis au départ est de permettre au gouvernement d'administrer ses différents programmes, et il incombe aux employés du gouvernement de protéger ces renseignements.

[37]      La décision de M. Brecht de divulguer ces renseignements à un tiers a mis en péril l'intégrité du système de DRHC. M. Brecht avait accès aux renseignements en question pour faciliter l'application de la Loi sur l'assurance-emploi, et non pour les communiquer à un ami.

[38]      De l'avis de l'employeur, la seule pénalité qui convienne dans ce cas est le congédiement. L'employeur ne peut être considéré comme comptant parmi son personnel des employés qui agissent à titre d'intermédiaires pour des intérêts privés tout en ayant accès à ce genre d'information.

[39]      La suspension pour une période indéterminée devrait être maintenue également puisqu'il était impossible de rétablir M. Brecht dans un autre poste au sein de l'organisation.

[40]      Subsidiairement, étant donné que M. Brecht n'a fourni aucune explication au cours de l'enquête, une longue suspension devrait s'ensuivre.

[41]      La jurisprudence suivante a été déposée par l'avocat de l'employeur : Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354; Chong et Conseil du Trésor (Revenu Canada- Douanes et Accises) (1986), 10 CRTFP Décision 48; Ward et Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt) (1986), 10 CRTFP Décision 46.

Arguments pour le compte du fonctionnaire s'estimant lésé

[42]      M. Brecht n'a jamais nié le fait qu'il a fourni des renseignements provenant de DRHC, et son récit est demeuré le même depuis le début.

[43]      Au cours de l'enquête interne, M. Brecht a été avisé par son avocat de ne pas répondre à certaines questions au motif que la GRC poursuivait son enquête sur sa situation. La politique ministérielle sur les Lignes directrices relatives aux enquêtes administratives indique que la communication d'éléments d'information est facultative (voir la section 4.5 de la pièce G-3). Il est donc injuste de prétendre aujourd'hui que M. Brecht a refusé de coopérer et de le pénaliser pour cette raison.

[44]      Certaines des conclusions tirées dans le rapport d'enquête sont tout simplement erronées. La preuve a établi que Robinson Investigations aidait la Couronne dans le cadre d'une enquête au civil, un élément d'information que le rapport ne reconnaît toutefois pas. Deuxièmement, le rapport indique que M. Brecht a refusé de coopérer avec son employeur dans le cadre de l'enquête, alors que ce n'est pas ce qui s'est produit. M. Brecht a toujours coopéré.

[45]      Le rapport indique également que l'explication que M. Brecht a donnée relativement aux seize interrogations était fausse. Encore une fois, cela est faux. Lorsqu'il a vu les documents pour la première fois à l'audience d'arbitrage, M. Brecht a été en mesure de fournir une raison commerciale incontestée pour justifier les interrogations en question.

[46]      La personne qui a rédigé la lettre de congédiement a accepté le rapport d'enquête et pris une décision sur ce fondement. Miner la crédibilité d'une personne sur la foi d'une fausseté est un geste très grave, et c'est ce qui s'est produit en l'espèce.

[47]      M. Brecht était un bon employé et il n'avait jamais fait l'objet de la moindre mesure disciplinaire. Le congédiement n'est pas la mesure qui convient dans de telles circonstances.

[48]      Dès le départ, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait preuve de franchise dans ses discussions avec la direction. Il n'a pas tenté de cacher quoi que ce soit. Encore aujourd'hui, M. Brecht ignore à quoi la GRC faisait référence exactement.

[49]      Mme Deck a tenu pour acquis que le rapport était juste et a agi sur le fondement de celui-ci. Le rapport n'est pas juste. En outre, la lettre de congédiement mentionne uniquement l'aspect de la divulgation de renseignements. Il ne fait aucune mention des seize interrogations, alors que Mme Deck a déclaré qu'elle avait pris cet élément en considération pour prendre sa décision de congédier M. Brecht.

[50]      L'employeur a congédié M. Brecht pour avoir divulgué des renseignements personnels, mais il ignore la nature de la divulgation. Le congédiement était fondé sur ce que M. Brecht lui-même a dit à son superviseur. M. Brecht devrait être réintégré, et l'arbitre devrait demeurer saisi de l'affaire en cas de besoin.

[51]      La jurisprudence suivante a été déposée par le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé : Niedermeiser (dossier de la Commission 166-2-27859); McGoldrick (dossier de la Commission 166-2-25796); Bastie (dossier de la Commission 166-2-22285); Labrie (dossier de la Commission 166-2-26301); Allen (dossier de la Commission 166-2-25656).

Réplique

[52]      Les renseignements en question ont été divulgués par M. Brecht à un ami, qui en a tiré profit. Mme Deck a déclaré que cet élément à lui seul justifiait le congédiement.

Décision

[53]      M. Brecht a été congédié par voie de lettre signée par Mme Deck en date du 3 septembre 2002 (pièce G-6). Cette dernière y explique que le congédiement est dû au fait que « .Vous auriez divulgué des renseignements personnels de manière inappropriée, contrairement à la loi sur la protection des renseignements personnels . ».

[54]      Mme Deck a témoigné que sa décision de congédier le fonctionnaire concerné était fondée sur les conclusions tirées dans le rapport interne. Ces conclusions faisaient mention de la divulgation de renseignements ainsi que des seize interrogations inexpliquées dans le registre des numéros d'assurance sociale.

[55]      Mme Deck a déclaré qu'elle aurait congédié le fonctionnaire s'estimant lésé sur le seul fondement de la divulgation de renseignements, mais il reste qu'elle disposait de deux facteurs lorsqu'elle pris la décision de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé. Or, rien dans la lettre de congédiement ne renvoie aux seize interrogations en question.

[56]      Au cours de l'enquête, M. Brecht a été informé que, de l'avis de l'employeur, il avait effectué seize interrogations au registre des NAS de DRHC alors qu'il n'avait pas besoin de le faire aux fins de son travail. Au départ, M. Brecht n'a pas répondu à cette allégation sur les conseils de son avocat, mais plus tard au cours de l'interrogatoire, il a demandé des renseignements supplémentaires afin de déterminer s'il pouvait offrir une explication à cet égard. Aucun autre renseignement n'a été fourni à M. Brecht, et les enquêteurs ont tiré la conclusion que ce dernier était récalcitrant.

[57]      Au cours de l'audience d'arbitrage, lorsqu'il a vu la documentation pour la première fois, M. Brecht a été en mesure de fournir une explication valide sur la raison pour laquelle il avait accédé à la banque de données aux fins de son travail. Cette explication n'a pas été mise en doute par l'employeur, et je ne peux qu'en conclure que, si l'on avait montré cette documentation à M. Brecht au cours de l'enquête interne, ce dernier aurait offert la même raison liée au travail, et cette raison aurait été acceptée.

[58]      Le rapport d'enquête conclut que M. Brecht a fait preuve d'un manque de coopération dans le cadre de l'enquête administrative. Mme Deck a témoigné que ces conclusions du rapport d'enquête avaient joué un rôle important dans la décision qu'elle avait prise de congédier M. Brecht. Compte tenu de la preuve présentée à la présente audience, je n'appuie pas la conclusion que M. Brecht a fait preuve d'un manque de coopération. Initialement, il a bel et bien indiqué qu'il refusait de répondre aux questions de l'employeur sur les conseils de son avocat, mais il a plus tard demandé qu'on lui fournisse des renseignements supplémentaires pour pouvoir déterminer s'il pouvait répondre. Aucun autre renseignement ne lui a été fourni.

[59]      Le 13 mai 2002, des agents de la GRC se sont rendus au bureau de M. Brecht à DRHC et l'ont informé que, selon un dossier sur lequel ils faisaient enquête, il risquait d'être accusé relativement à une série d'infractions, dont celle d'abus de confiance et de divulgation irrégulière de renseignements. À ce jour, M. Brecht ne sait rien d'autre.

[60]      Immédiatement après avoir été ainsi informé, M. Brecht a tout raconté à Mme Young, son superviseur. Plus tard le même jour, M. Brecht et Mme Young ont informé Mme Cox, gestionnaire intérimaire, des événements en question.

[61]      Ces faits, qui n'ont pas été contestés, ont été révélés par les témoins de l'employeur dans le cadre de leur interrogatoire principal. Rien de ce que l'on m'a informé n'indique que M. Brecht a fait preuve d'un manque de coopération à cet égard.

[62]      M. Robinson et M. Brecht ont tous deux indiqué que ce dernier avait divulgué des renseignements à Robinson Investigations. Les renseignements avaient été obtenus grâce au système de DRHC et divulgués à un moment où M. Brecht était un employé de DRHC. Nous ignorons si ce sont les renseignements auxquels les agents de la GRC renvoyaient lorsqu'ils se sont présentés au bureau de M. Brecht pour l'informer qu'il risquait d'être accusé. Toutefois, nous savons effectivement que c'est l'une des raisons pour laquelle l'employeur a décidé de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé.

[63]      M. Brecht a déclaré avoir fourni les renseignements en question parce qu'il croyait que M. Robinson travaillait avec la Couronne dans le cadre d'un dossier. M. Robinson est venu témoigner qu'il travaillait effectivement pour la Couronne. Le rapport d'enquête de DRHC indique que la Couronne s'en remet à la police pour mener des enquêtes criminelles, non pas des enquêtes privées, et il invite le lecteur à conclure que M. Brecht ne disait pas la vérité à cet égard. M. Robinson a déclaré que la Couronne travaillait à un dossier au civil et qu'elle avait eu recours aux services de son entreprise à de nombreuses occasions par le passé pour de tels dossiers.

[64]      Si les enquêteurs avaient parlé à M. Robinson au cours de leur enquête, cette question aurait peut-être pu être clarifiée. Ils n'en ont rien fait. Ils ont plutôt conclu que M. Brecht ne disait pas la vérité. J'ai observé le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé, dont j'ai entendu le témoignage principal et le contre-interrogatoire, et j'en arrive à la conclusion qu'il était sincère. La preuve démontre clairement que M. Brecht croyait divulguer les renseignements en question pour aider la Couronne. Non seulement le croyait-il, mais le fait est que, d'après le témoignage de M. Robinson, M. Brecht a fourni les renseignements que la Couronne recherchait. Cette preuve n'a été réfutée d'aucune façon.

[65]      À mon avis, il aurait été plus utile de montrer le rapport d'enquête à M. Brecht après sa rédaction et de lui demander d'y répondre. L'employeur a choisi de s'en abstenir et de se fonder sur ce rapport pour décider de la voie à suivre.

[66]      À l'ouverture de l'enquête, M. Brecht a été suspendu. On savait alors qu'il avait divulgué à un tiers, en l'occurrence son ancien employeur, des renseignements provenant de DRHC. De fait, M. Brecht a admis tout cela dès le départ et il ne l'a jamais nié. Ces renseignements étaient encore connus de l'employeur le 12 juillet 2002, lorsque l'on a recommandé à Mme Deck de réintégrer M. Brecht. Au cours de son témoignage, Mme Deck a déclaré avoir écarté cette recommandation à ce moment-là parce qu'elle venait alors de prendre connaissance du fait qu'il était allégué que M. Brecht avait accédé à seize reprises au système sans en avoir eu besoin.

[67]      Mme Deck a témoigné avoir congédié le fonctionnaire s'estimant lésé après avoir examiné et accepté le rapport d'enquête, un rapport concluant qu'il n'existait aucune raison commerciale apparente d'effectuer les seize interrogations en question. Nous savons aujourd'hui que cette conclusion s'est révélée inexacte à l'audience d'arbitrage.

[68]      Je ne doute pas que le fait de divulguer des renseignements du DRHC à un tiers est un acte grave. Mme Deck a témoigné qu'elle aurait congédié le fonctionnaire en cause sur ce seul fondement. Toutefois, le fait demeure qu'une recommandation ministérielle a été formulée en vue du rétablissement du fonctionnaire à un moment où l'on savait que ce dernier avait divulgué à un tiers des renseignements provenant de DRHC.

[69]      À mon avis, je dois maintenant déterminer si le congédiement constituait une réponse disciplinaire justifiée compte tenu de la preuve.

[70]      Le dossier disciplinaire de M. Brecht était vierge et son rapport de rendement était favorable. Il est clair, à mon avis, qu'il ne pouvait être qualifié d'« employé problème ». Toutefois, il a effectivement fait quelque chose qu'il n'aurait pas dû faire, et il aurait dû savoir que cela n'était pas permis.

[71]      L'employeur recueille des renseignements personnels auprès de tous les Canadiens et Canadiennes, qui s'attendent à ce que la banque de données contenant ces renseignements demeure confidentielle. Révéler de tels renseignements dans un but autre que celui pour lequel ils ont été recueillis est répréhensible, et je crois que M. Brecht en est conscient. Toutefois, j'estime qu'il s'agit ici d'un cas exceptionnel, un cas où le fonctionnaire s'estimant lésé croyait véritablement qu'il aidait la Couronne dans le cadre d'une enquête.

[72]      J'ai pris connaissance du fait que, le 12 juillet, l'employeur avait recommandé le rétablissement du fonctionnaire s'estimant lésé ailleurs au sein de l'organisation, sachant à ce moment-là que ce dernier avait divulgué des renseignements personnels. Compte tenu de l'ensemble de la preuve que j'ai entendue ainsi que de la jurisprudence déposée, je crois que, dans ces circonstances très exceptionnelles, le rétablissement est justifié.

[73]      Par conséquent, j'ordonne le rétablissement du fonctionnaire s'estimant lésé dans son ancien poste à compter du 12 juillet 2002. C'est ce jour-là que l'on a recommandé à Mme Deck de rétablir M. Brecht. Pour la période qui s'est écoulée entre le début de sa suspension pour une période indéterminée (17 mai 2002) et le 12 juillet 2002, la suspension sans solde devrait être maintenue.

[74]      Il ne faudrait pas voir dans la présente décision l'affirmation que la divulgation à un tiers de renseignements que l'employeur a recueillis auprès du public ne justifie pas en soi le congédiement. Dans d'autres circonstances, le congédiement pour ce type d'action pourrait bien constituer la voie à suivre. Il s'agit d'une infraction grave, et le fonctionnaire s'estimant lésé en a subi ce que l'on n'a d'autre choix que de considérer comme étant une longue suspension. Toutefois, je suis convaincu que le lien de confiance n'a pas été irrémédiablement rompu ici au point de ne pouvoir être rétabli. M. Brecht, j'en suis convaincu, est une personne qui, par le passé, a apporté une contribution positive à son milieu de travail, et qui pourra continuer à le faire à l'avenir. Je ne peux qu'espérer que l'avenir le confirme.

[75]      Je demeure saisi du dossier relativement à l'exécution de la présente décision au cas où les parties éprouveraient des difficultés, à condition qu'une demande à cet égard me soit présentée au plus tard le 1er juillet 2003.

Joseph W. Potter,
Vice-président

OTTAWA, le 5 mai 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.
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