Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Temps supplémentaire - Séance d'information avant le début du quart - Employés tenus par l'employeur de se présenter au travail avant le début de leur quart - Droit des employés d'être rémunérés - plusieurs agents de correction ont contesté que l'employeur les oblige à se présenter au travail avant le début de leur quart en refusant de leur payer ce temps - une directive de l'employeur stipulait que les agents devaient se présenter avant le début de leur quart dans la salle réservée à la séance d'information préalable au travail - la preuve a révélé que la plupart des agents arrivaient au travail 30 minutes avant le début de leur quart, mais que la séance d'information elle-même durait en moyenne de 15 à 20 minutes - la convention collective prévoyait le paiement d'une indemnité après chaque période complète de 15 minutes de travail - les dispositions de la convention collective doivent être respectées - l'employeur avait transformé la pratique des employés d'arriver plus tôt en une fonction expressément liée à leur emploi - les fonctionnaires s'estimant lésés avaient le droit de se faire payer du temps supplémentaire pour les 25 jours précédant le dépôt du grief. Grief accueilli. Décision citée :Lirette c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP nos 166-2-15325 et 15328 (1987) (QL).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-09-22
  • Dossier:  166-02-31816
    166-02-31818
    166-02-31827
    166-02-31829
    166-02-32008
  • Référence:  2004 CRTFP 139

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

VERNON BRIDEAU ET AUTRES
fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

employeur



Devant :   Mary Ellen Cummings, commissaire

Pour les fonctionnaire
s'estimant lésés
:  
John Mancini, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur :  Stéphane Hould

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 13 juillet 2004.


[1]    En juillet 2002, plusieurs agents correctionnels de l'établissement de l'Atlantique ont déposé des griefs identiques. Ces griefs ont été renvoyés à l'arbitrage. Comme les revendications étaient les mêmes et que la preuve et les arguments seraient les mêmes, les parties se sont entendues sur la tenue d'une seule audience. La Commission a entendu le témoignage de Vernon Brideau, agent correctionnel et président de la section locale du syndicat. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada) (« l'employeur ») n'a pas cité de témoins et n'a pas contre-interrogé M. Brideau. Une argumentation juridique a été présentée au nom de l'employeur et au nom des agents correctionnels et de leur agent négociateur, Syndicat des agents correctionnels du Canada.

[2]    Les griefs allèguent que l'employeur oblige les agents correctionnels à se présenter au travail avant le début de leur quart de travail, mais qu'il n'est pas disposé à les rémunérer en conséquence.

La preuve

[3]    L'établissement de l'Atlantique est un pénitencier à sécurité maximale moderne, employant 155 agents correctionnels et hébergeant 200 détenus. Les quarts de travail des agents correctionnels sont de 12 heures ou 8 heures, selon leur affectation. L'employeur a ordonné, par l'intermédiaire d'une consigne de poste, qu'avant le début de chacun de leur quart, les agents se présentent à une séance d'information et signalent leur présence au surveillant correctionnel.

[4]    M. Brideau a expliqué que la plupart des agents correctionnels arrivent environ 30 minutes avant le début de leur quart. Les agents doivent alors être admis dans l'établissement, après quoi ils s'arrêtent tout d'abord à leur boîte postale. Les agents se rendent ensuite à la salle où se tiennent les séances d'information et signalent leur présence au surveillant correctionnel. Selon M. Brideau, la durée des séances est variable. Lorsque les agents se présentent après quelques jours d'absence, la séance peut durer jusqu'à 15 ou 20 minutes, afin de les informer des événements, notamment de la confiscation de couteaux ou d'alcool, de l'admission de détenus et autre détail que les agents correctionnels doivent savoir pour effectuer leur travail en toute sécurité. M. Brideau a déclaré que pendant l'été, les séances durent souvent de 15 à 20 minutes, parce que les détenus sont plus agités. Les séances peuvent également être très courtes, surtout si les agents correctionnels étaient en poste le jour précédent. À son avis, les séances durent en moyenne entre 15 et 20 minutes. Après la séance d'information, l'agent doit se rendre à son lieu d'affectation pour une autre courte séance d'information avec l'agent qu'il remplace. M. Brideau a expliqué que tout cela devait se faire avant l'heure de début du quart.

[5]    Il a affirmé que la plupart des agents correctionnels arrivent de 20 à 30 minutes avant le début de leur quart parce qu'ils ne savent pas combien de temps durera la séance d'information et qu'ils doivent relever leurs collègues à l'heure prévue pour le début de leur quart. M. Brideau a soutenu qu'à la fin d'un quart, son remplaçant pouvait arriver parfois 10 minutes à l'avance, mais également 10 minutes après la fin du quart.

[6]    M. Brideau a reconnu que la pratique d'arriver à l'avance afin d'assister à des séances d'information est la norme depuis quelque temps. Cependant, au cours de l'été 2002, des employés ont décidé de déposer des griefs parce qu'ils estimaient donner à l'employeur sur une base régulière au moins 10 minutes de leur temps chaque jour, et que, lorsque certains n'arrivaient pas tôt, l'employeur leur reprochait d'arriver en retard. M. Brideau estime que l'employeur tient pour acquis ce temps supplémentaire.

[7]    En réponse à ma question, M. Brideau a affirmé que les agents correctionnels n'ont pas à signer de registre lorsqu'ils arrivent aux séances d'information, ni lorsqu'ils quittent à la fin de leur quart. Par conséquent, il est impossible de connaître l'heure précise de leur arrivée et de leur remplacement à la fin de leur quart.

Argument

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

[8]    La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers-Syndicat des agents correctionnels du Canada CSN, prévoit que l'employeur doit rémunérer les heures qu'un employé effectue en sus des 8 ou 12 heures de son quart de travail. Cependant, le paragraphe 21.14 impose une limite au droit de réclamer des heures supplémentaires :

21.14 L'employé-e recevra une indemnité pour chaque période complète de quinze (15) minutes de travail qu'il exécute en temps supplémentaire.

[9]    On a fait valoir, pour le compte des fonctionnaires s'estimant lésés et du syndicat, que l'affaire était assez simple. Comme l'a expliqué M. Brideau, la plupart des agents arrivent 30 minutes plus tôt pour participer à une séance d'information durant en moyenne 15 à 20 minutes. En additionnant le temps consacré à la séance et le temps nécessaire pour être admis dans l'établissement et pour passer un court moment avec l'agent quittant son poste, tout en reconnaissant qu'à la fin du quart l'agent peut être remplacé 10 minutes d'avance ou 10 minutes en retard, je devrais conclure que les agents correctionnels travaillent en moyenne 20 minutes de plus par jour et qu'ils devraient être rémunérés en conséquence.

Pour l'employeur

[10]    L'avocat de l'employeur a fait valoir que le témoignage de M. Brideau n'établissait pas que les agents travaillaient une période supplémentaire de 15 minutes. Il a soutenu qu'au contraire une période supplémentaire de 10 minutes par jour était normalement accordée aux employés. Même si les agents travaillaient 10 minutes au début et ne quittaient que 10 minutes après la fin de leur quart, l'exigence prévue au paragraphe 21.14 de travailler une « période complète de 15 minutes en temps supplémentaire » n'était pas satisfaite parce qu'il n'était pas possible d'additionner des petites périodes. L'avocat a affirmé qu'il était normal qu'un employé professionnel arrive 20 ou 30 minutes avant le début de son quart et qu'il reste 10 ou 20 minutes après. En réponse à une question de ma part, l'avocat a affirmé que la période précédant l'arrivée des agents dans la salle où se tiennent les séances d'information ne devrait pas être considérée comme du temps travaillé.

[11]    L'avocat a invoqué la décision de la Commission dans l'affaire Lirette c. Conseil du Trésor (Transports Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-15325 et 15328 (1987) (QL). La Commission a statué que les fonctionnaires s'estimant lésés étaient tenus d'assister à des séances d'information qui, aux termes de la directive de l'employeur, ne devaient pas durer plus de 10 minutes. La convention collective pertinente prévoyait le paiement d'une indemnité après chaque période complète de 15 minutes de travail. Comme les séances ne prenaient, en moyenne, pas plus de 10 minutes, la Commission a conclu que le seuil minimum de 15 minutes n'était pas atteint. La Commission a également fait valoir que les quelques minutes consacrées aux séances d'information faisaient partie intégrante des fonctions des employés et qu'il était normal de s'attendre à ce que des employés professionnels assument cette responsabilité.

Réponse de l'agent négociateur

[12]    Comme l'a souligné le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés, l'affaire gravite autour du fait que la directive de l'employeur stipulait que les séances d'information ne dureraient pas plus de 10 minutes et, qu'en pratique, elles ne duraient en moyenne que 10 minutes.

Analyse et décision

[13]    Les parties et la Commission sont limitées par l'absence de registre permettant de connaître le temps précis qu'il faut aux fonctionnaires s'estimant lésés pour traverser la barrière, participer à la séance d'information et se rendre à leur poste, ainsi que par le manque d'information sur le nombre de fois que les agents peuvent quitter plus tôt. Je remarque que l'impossibilité de déterminer la durée des séances d'information a été invoquée comme motif de rejet du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 5 novembre 2002, le commissaire adjoint à la Gestion des ressources humaines a répondu en partie ce qui suit :

[Traduction]

Comme il est impossible de connaître la durée précise des séances d'information ou de déterminer quels agents participent auxdites séances ou quels agents quittent leur poste avant la fin de leur quart prévu à l'horaire, je ne peux pas établir la validité du présent grief et, compte tenu des mesures correctives que vous avez demandées, votre grief est rejeté.

[14]    On peut comprendre que l'employeur n'ait pas pu déterminer la durée des séances d'information tenues par le passé, quels agents y avaient assisté et à quelle fréquence les agents pouvaient quitter plus tôt, mais il aurait pu établir un registre après coup. Il aurait également pu contrôler si les agents correctionnels quittaient plus tôt ou non. Bien qu'un mécanisme plus officiel de signature à l'arrivée et au départ puisse réduire la souplesse dont, j'en suis convaincue, l'employeur et les employés ont tiré des avantages, un contrôle strict permettrait à l'employeur d'éviter et d'atténuer ses coûts d'heures supplémentaires et, en bout de ligne, la perception que l'employeur abuse des agents correctionnels.

[15]    Dans la présente affaire, les fonctionnaires s'estimant lésés ont l'obligation d'établir le bien-fondé de leur revendication. J'estime que M. Brideau a été franc et direct. Il a expliqué que les séances d'information étaient parfois très courtes, et que tous les agents n'y assistaient pas tout le temps. Il a déclaré que les agents travaillaient au moins 10 minutes en sus par jour, même en tenant compte des fois où les agents étaient remplacés plus tôt. Il a fait valoir que les séances d'information duraient en moyenne de 15 à 20 minutes. Le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés a insisté sur un point important, à savoir que, comme les agents ne peuvent pas savoir quelle sera la durée de la séance, ils doivent arriver une demi-heure plus tôt afin de prévoir le temps nécessaire pour assister à une séance de 15 à 20 minutes et pour se rendre à leur poste et parler au collègue qui termine, et ce avant le début de leur quart de travail.

[16]    L'employeur est en mesure de contrôler la durée des séances d'information et d'éviter de créer ainsi l'attente que les employés arrivent 30 minutes à l'avance. À l'instar de l'employeur dans l'affaire Lirette c. Conseil du Trésor (Transports Canada), supra, il pourrait ordonner que la séance dure moins de 15 minutes. Je suis consciente qu'une telle directive pourrait empêcher l'employeur de communiquer toute l'information nécessaire. Or, si l'employeur estime que les agents correctionnels doivent assister à des séances d'information plus longues, alors il devrait les rémunérer en conséquence.

[17]    Il peut être usité, comme le prétend l'employeur, que des employés professionnels arrivent 20 à 30 minutes avant le début de leur quart de travail et qu'ils demeurent 10 à 20 minutes après. Cependant, les agents correctionnels sont syndiqués et leurs conditions d'emploi sont régies, en grande partie, par une convention collective. Ces conditions doivent être respectées et on ne peut pas en faire abstraction sous prétexte que ces employés sont des professionnels. À l'établissement de l'Atlantique, l'employeur a essentiellement transformé la pratique consistant à arriver plus tôt en une fonction expressément liée à l'emploi. Afin de se conformer à la consigne du poste, les employés doivent arriver 20 à 30 minutes à l'avance pour avoir le temps de passer la barrière, d'aller à la salle où se tiennent les séances d'information et d'assister à une séance pouvant durer entre 5 et 20 minutes, et de se rendre ensuite à leur poste pour le changement de quart. Il est simplement impossible physiquement pour les employés d'accomplir tout cela en 10 minutes, comme le demande l'employeur. Même si M. Brideau a affirmé que parfois il pouvait quitter plus tôt, cela n'est pas toujours le cas.

[18]    La revendication des fonctionnaires s'estimant lésés porte sur la période s'échelonnant entre l'arrivée à la salle des séances d'information et le moment où les agents peuvent remplacer leurs collègues, après une autre courte séance d'information avec ceux-ci. Je suis convaincue, d'après la preuve, que les fonctionnaires s'estimant lésés travaillent, en moyenne, 15 minutes additionnelles au début de leur quart et que, par conséquent, ils ont droit à une rémunération pour cette période.

[19]    Le paragraphe 20.10 de la convention collective limite essentiellement les revendications à une période de 25 jours précédant le dépôt du grief.

[20]    À la demande des parties, je demeure saisie de l'affaire pour une période de 90 jours au cas où elles ne pourraient pas s'entendre sur le quantum des dommages.

Mary Ellen Cummings,
commissaire

Toronto, le 22 septembre 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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