Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Interprétation de la convention - Recalcul du traitement suite à une promotion - Délai - Rétroactivité du redressement - Grief continu - le fonctionnaire s'estimant lésé a été promu d'un poste de PM-2 à AU-1, en septembre 1999 - au moment de sa promotion, la convention collective PM était toujours en négociation et son salaire suite à sa promotion était donc calculé selon la grille salariale des PM telle qu'elle existait en septembre 1999 - en août 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé a appris que la convention collective des PM avait été signée et que les taux de rémunération des PM avaient été modifiés rétroactivement - le fonctionnaire s'estimant lésé a fait plusieurs tentatives auprès de l'employeur et du syndicat afin d'obtenir un recalcul de son traitement, mais il s'est fait répondre qu'il n'y avait rien à faire; on l'a aussi menacé de mesures disciplinaires en raison du ton agressif de son courriel original, s'il ne laissait pas tomber sa demande de recalcul du traitement - l'affaire est restée en veilleuse jusqu'au rendement de la décision Buchmann et ADRC - en raison des points communs entre la situation de Buchmann et la sienne, le fonctionnaire s'estimant lésé a décidé de présenter un grief en février 2002 - en août 2002, l'employeur a distribué une note de service portant sur l'interprétation de l'affaire Buchmann et informant qu'il était indiqué d'appliquer la règle << Lajoie ou meilleure décision >> aux mesures salariales pendant les périodes de rétroactivité, mais seulement pour les situations survenues pendant les périodes de rétroactivité des dernières conventions collectives, période que le fonctionnaire s'estimant lésé avait manquée - le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu avoir été promu pendant la période de rétroactivité d'une convention collective et que sa situation était la même que dans l'affaire Buchmann - le fonctionnaire s'estimant lésé a prétendu que, même si la décision dans l'affaire Coallier limitait la durée du redressement à 25 jours avant le dépôt d'un grief, la Commission avait à maintes reprises trouvé des moyens de contourner cette limite - le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir qu'il n'avait pas déposé de grief initialement par crainte des représailles - l'arbitre ne croyait pas que le fonctionnaire s'estimant lésé craignait de se voir imposer des mesures disciplinaires et il a rejeté le grief. Grief rejeté. Décisions citées :Canada (Office national du film) c. Coallier [1983] A.C.F. 813; Smith et Conseil du Trésor (166-2-25960); Re Province of British Columbia and British Columbia Nurses' Union, 5 L.A.C. (3d) 404.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-10-07
  • Dossier:  166-34-31859
  • Référence:  2003 CRTFP 90

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

FRANCIS CAMILLERI
fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
employeur

Devant :   Yvon Tarte, président

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:  
Paul Reniers, Institut professionnel de la fonction publique
                          du Canada

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
les 10 et 11 juillet 2003.


Faits

[1]    Dans l'ensemble, les faits qui ont donné lieu à ce grief ne sont pas contestés. Au moment de l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé, Francis Camilleri, travaillait pour le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique, parce qu'il avait pris un an de congé de son poste d'attache à titre de AU-1 à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC).

[2]    Le fonctionnaire s'estimant lésé avait été embauché en janvier 1998 à titre de PM-2, puis promu dans un poste AU-1 en septembre 1999. À la date de sa promotion, la négociation de la convention collective des PM n'était pas encore terminée. Son traitement au moment de sa promotion à titre de AU avait donc été calculé en fonction de la grille des PM, telle qu'elle était en septembre 1999.

[3]    En août 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé a appris que la convention collective des PM avait été signée et que les taux de rémunération des PM avaient été modifiés rétroactivement. Après en avoir discuté avec la direction, il s'est fait dire que son taux de rémunération au moment de sa promotion à un poste du groupe AU, en septembre 1999, ne serait pas recalculé en fonction des nouvelles échelles de traitement des PM, avec leurs augmentations rétroactives.

[4]    Un échange de courriels (pièces G-1, G-2 et G-13) dans lesquels le fonctionnaire s'estimant lésé a exprimé son mécontentement et sa frustration a suivi. David Gray, un représentant syndical de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) avait alors dit au fonctionnaire s'estimant lésé que [traduction] « bien que je sympathise avec votre situation, il n'y a rien que le syndicat puisse faire pour vous aider, sauf tenter de ne pas laisser la même chose se reproduire » (pièce G-2).

[5]    M. Camilleri a parlé à sa superviseure immédiate à l'époque, Marion Van der Putten, qui lui a dit que déposer un grief serait une perte de temps, puisqu'il n'avait pas d'arguments à faire valoir.

[6]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il croyait s'être fait dire en 2000 qu'il écoperait de sanctions disciplinaires en raison du ton agressif de son courriel original (pièce G-2) s'il ne laissait pas tomber sa demande de recalcul du traitement auquel il avait droit à sa promotion. (Sur ce point, je dois préciser que M. Gray n'a jamais été informé d'une telle menace dans ses conversations avec le fonctionnaire s'estimant lésé.)

[7]    L'affaire est restée en veilleuse jusqu'en début de 2002, quand la décision Buchmann et ADRC (2002 CRTFP 14) a été rendue. C'est en raison des points communs entre la situation de Buchmann et la sienne que M. Camilleri a décidé de présenter un grief en février 2002.

[8]    En août 2002, l'ADRC a distribué une note de service à l'intention des commissaires adjoints (pièce G-11), une note de service sur la rémunération à l'intention des directeurs des ressources humaines et des gestionnaires de la rémunération régionaux (pièce G-12), ainsi qu'un communiqué sur la rémunération à l'intention de tous les employés (pièce E-3). Tous ces documents portent sur l'interprétation et l'application de la décision Buchmann.

[9]    La pièce E-3 se lit comme suit :

[Traduction]

OBJET : Mise en oeuvre de la décision d'arbitrage du grief Buchmann

Ce communiqué a pour objet de vous informer de la décision de l'arbitrage du grief Buchmann. Cette décision ne s'appliquera que dans les situations particulières où les employés ont assuré un intérim ou été mutés ou promus durant la période de rétroactivité des dernières conventions collectives. Il est important de prendre bien note du fait que, même si cela n'entraînera pas de changements du traitement de tous les employés, votre bureau de rémunération local va entreprendre un examen complet de tous les dossiers de paye afin d'identifier chacun des employés visés.

Cette décision d'arbitrage résulte du fait que les mesures de dotation en période de rétroactivité n'ont pas fait l'objet d'un nouveau calcul; autrement dit, seule la règle du calcul d'application directe de l'échelle de traitement de la décision Lajoie a été appliquée. L'ADRC a maintenant autorisé l'application de la meilleure des deux décisions - soit Lajoie, soit Buchmann - pour les employés intéressés rétroactivement à la date d'expiration des conventions collectives antérieures (voir les dates au tableau ci-dessous). Si les résultats du nouveau calcul faisaient régresser l'employé dans la nouvelle échelle de rémunération, son traitement serait calculé directement dans l'échelle de façon qu'il bénéficie toujours du calcul le plus avantageux de son traitement.

Groupe Application de Buchmann
rétroactivement au :

Tous les groupes de l'AFPC 1er novembre 2000
AU 22 juin 2001
CO 22 juin 2001
ES/SI 22 juin 2002
CS 1er mai 2002
EDLAT 1er novembre 2000
EDS 1er novembre 2000
FI 7 novembre 2001
LS 1er novembre 2000
PS 1er octobre 2000
SE 1er octobre 2000
PE 1er octobre 2001

Les taux de rémunération résultant d'une promotion, d'une mutation ou d'un intérim durant la période de rétroactivité seront recalculés. Le service de la rémunération s'attend à avoir terminé son examen de tous les comptes des employés ainsi qu'à avoir fait les changements à la hausse dans les échelles de traitement résultant des nouveaux calculs au plus tard à la fin mars 2003; les chèques auront été délivrés à cette date, conformément au calcul des sommes à verser.

Remarque : La Direction générale des programmes du personnel de direction procédera au même examen et, au besoin, au recalcul des traitements des SM/EX.

Le travail que représente l'examen des quelque 6 200 dossiers de paye de la région est impressionnant, surtout compte tenu des autres priorités de la charge de travail. Nous avons identifié environ 13 500 mesures de dotation qui pourraient exiger un nouveau calcul par suite de cette décision. Le dossier de paye de ceux d'entre vous pour qui la décision pourrait avoir des répercussions sera examiné et, si votre traitement est rajusté à la hausse, vous toucherez un chèque rétroactif d'ici à la fin mars 2003.

Si vous avez des questions ou des inquiétudes quant à un changement de votre traitement résultant de la décision, veuillez vous adresser par écrit à votre conseiller en rémunération et avantages sociaux.

[10]    Dans sa réponse à M. Camilleri au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l'employeur lui a déclaré que sa demande était irrecevable parce que tardive et que, de toute façon, la politique de l'employeur quant à l'application de la décision Buchmann se limitait à la période de rétroactivité immédiate, que le fonctionnaire s'estimant lésé avait laissée passer. Cette réponse, qui a été versée au dossier, se lit comme suit :

[Traduction]

Je réponds à votre grief dans lequel vous avez réclamé un nouveau calcul de votre taux de rémunération au moment de votre promotion d'un poste PM-02 à un poste AU-01, le 20 septembre 1999. J'ai pris connaissance de toute l'information et tenu compte des points soulevés par votre représentant de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC).

Mon analyse du dossier m'a révélé que vous avez accepté l'offre du poste AU-01 le 20 septembre 1999, mais que vous n'avez pas déposé le grief avant le 20 février 2002. Vous avez dépassé de loin les délais prévus dans votre convention collective pour la présentation d'un grief. Je considère par conséquent votre grief comme irrecevable, et il doit donc être rejeté pour cette raison.

Cela dit, je tiens à vous informer que l'Agence a décidé de changer sa façon de traiter les promotions, les mutations et les nominations intérimaires durant la période de rétroactivité des conventions collectives. Cette décision a été prise pour refléter les principes de la décision d'arbitrage du grief Buchmann et elle a pris effet — pour tous les employés de l'Agence — le 31 janvier 2002, soit à la date où cette décision a été rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP).

Je dois vous informer que les mesures correctives que vous réclamez ne peuvent pas vous être accordées.

[11]    Dans son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu qu'il n'avait pas subi de sanctions disciplinaires pour avoir envoyé la pièce G-2 et qu'il avait déposé des griefs concernant sa rémunération en mai 1999 et en décembre 2000 (pièces E-1 et E-2).

Arguments

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[12]    La preuve a clairement démontré que M. Camilleri a été promu durant la période de rétroactivité d'une convention collective. Il s'agit donc de savoir s'il a droit à un nouveau calcul de son traitement au moment de sa promotion, conformément aux principes établis dans Buchmann (supra).

[13]    Les faits en l'espèce sont identiques à ceux de Buchmann, sauf pour le moment du dépôt des griefs des intéressés.

[14]    M. Camilleri a tardé à présenter son grief pour plusieurs raisons, dont sa conviction, fondée ou non, qu'il risquait d'écoper de sanctions disciplinaires s'il ne laissait pas tomber.

[15]    Le fait reste que le fonctionnaire s'estimant lésé a parlé de ses préoccupations à l'employeur en août 2000. Rien dans Buchmann n'empêche l'employeur de remonter en arrière pour recalculer le traitement de M. Camilleri.

[16]    Bien que la décision rendue dans Coallier (Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. 813) limite la durée du redressement à 25 jours avant le dépôt d'un grief dans les affaires de paye, les arbitres de griefs de la Commission ont trouvé à maintes reprises des moyens de contourner cette limite. Les principes d'équité et de préclusion peuvent justifier qu'on remonte au-delà de ces 25 jours.

[17]    Dans cette affaire, l'employeur était parfaitement au courant de la réclamation du fonctionnaire s'estimant lésé en août 2000. M. Camilleri a agi rapidement pour déposer son grief quand la décision Buchmann a été rendue, et s'il n'a pas déposé de grief avant, c'est qu'il était convaincu qu'il avait intérêt à ne pas le faire, par crainte de représailles.

[18]    À l'appui de sa position, le fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué Coallier et Office national du film (dossier de la Commission 166-8-13465), Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. 813; Macri et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-15319); Phillips et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-20996), Butra et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-22221), Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 161-2-703) et Buchmann et Agence des douanes et du revenu du Canada (2002 CRTFP 14).

Pour l'employeur

[19]    Le fonctionnaire s'estimant lésé demande à la Commission de rendre une décision qui obligerait l'employeur à recalculer le traitement de tous les employés qui ont été promus durant la période de rétroactivité d'une convention collective.

[20]    La Commission ne devrait pas permettre que cela se fasse. Il faut qu'il y ait des limites dans des cas comme celui-ci. Par analogie, les paiements accordés dans les affaires d'équité salariale ne remontent qu'à la date de la plainte.

[21]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a informé la direction de ses préoccupations en août 2000. S'il était mécontent de la réponse de l'employeur à sa demande de recalcul, c'était à ce moment-là qu'il devait présenter un grief. M. Camilleri connaît manifestement bien la procédure de règlement des griefs puisqu'il a déposé des griefs concernant son traitement en mai 1999 et en décembre 2000 (pièces E-1 et E-2).

[22]    Le fait demeure que le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé conseil à son syndicat en août 2000 et qu'il n'a fait rien d'autre pour protéger ses droits. Sa situation est identique à celle de M. Buchmann, sauf qu'il n'a pas présenté de grief. L'employeur n'est pas d'avis qu'il y ait eu le moindre obstacle susceptible de justifier l'inaction de M. Camilleri.

[23]    En ce qui concerne la notion de « grief continu », l'employeur se fonde sur la décision de l'arbitre Getz dans Re Province of British Columbia and British Columbia Nurses' Union, 5 L.A.C. (3d) 404, où l'on peut lire ce qui suit, à la page 414 :

[Traduction]

Le professeur J.M. MacIntyre, qui était à l'époque vice-président de la Commission des relations du travail, a écrit dans

Re Government Employees Relations Bureau and Registered Psychiatric Nurses' Assoc. of B.C. and Registered Nurses' Assoc. of B.C., 19 novembre 1980 (L 193/80) [non encore rapportée] que « la distinction entre un seul événement ayant des effets récurrents et l'événement récurrent lui-même n'est vraiment pas simple ». Après avoir étudié la jurisprudence, je me sens obligé de dire que décrire la distinction telle qu'elle la comprend comme n'étant « vraiment pas simple » est un euphémisme. Même s'il est vrai que la jurisprudence établit cette distinction, j'ai cherché en vain une explication du raisonnement ou du principe sur lequel elle repose, un critère quelconque sur lequel on pourrait se fonder pour déterminer de quel côté de la ligne une affaire donnée tombe, voire une application uniforme des critères qui ont été proposés ou retenus. La jurisprudence dans ce domaine est pour le moins confuse, et il est difficile de résister à l'impression que c'est une façade très élaborée servant à masquer ce qui n'est guère plus qu'une tentative d'éviter certaines des conséquences les plus désagréables du non-respect des délais. Comme Gorsky l'a écrit à la p. 34 d'Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (1981), l'étude de la jurisprudence est une quête stérile dans une jungle de précédents. Heureusement, la jurisprudence arbitrale ne lie pas les parties. Elle n'est rien d'autre qu'une source de sagesse collective où l'on espère trouver la raison, de sorte qu'elle est tout au plus persuasive. Bien qu'il soit sage de régler sa conduite selon le principe du stare decisis, ce n'est sage que dans la mesure où ce qui a été décidé était sage et raisonnable en soi. À mon avis, il n'y a aucun principe discernable dans la jurisprudence arbitrable à ce sujet, et c'est pourquoi je me propose d'en faire largement fi. [page 415]

La meilleure analyse du problème, et de loin, est celle du professeur Gorsky. Il a écrit — et je suis d'accord avec lui — qu'il est important de se rappeler que ce qui nous intéresse est une allégation de manquement à la convention collective par l'employeur. En

common law, dans les poursuites intentées pour non-respect d'un contrat, le délai applicable à la recevabilité des plaintes commence à la date où l'engagement n'a pas été respecté. Le fait que les torts subis par suite de ce manquement à une promesse continuent d'exister ne signifie pas qu'il y a un nouveau manquement à chaque nouvelle perte; il n'y a d'ordinaire qu'un seul manquement. Le droit contractuel reconnaît une forme de manquement qui pourrait être caractérisé — à tort — de « continu », autrement le manquement à plusieurs promesses distinctes (quoique peut-être identique) sur une période donnée, comme ce qui se produit dans le cas d'un contrat de vente par versements lorsque l'acheteur s'engage à faire des versements périodiques, mais c'est exceptionnel. Comme Gorsky l'a déclaré (à la p. 35) :

La règle à employer pour décider si le grief est isolé ou continu est celle qui s'est établie en droit contractuel. La récurrence du tort ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu'avec le manquement le plus récent. Quand il n'y a pas d'obligation pareille et que le tort ne fait que continuer ou s'aggraver avec chaque manquement successif, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le tort subi.

[24]    Dans Smith et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-25960), qui portait sur les crédits de congé annuel et sur le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas fait son choix dans les délais, le vice-président d'alors Tenace a écrit ce qui suit à la page 7 de sa décision :

À mon avis, la position de l'employeur est techniquement solide. De son propre aveu, le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il avait le droit de déposer un grief au moment où il a fait son choix le 22 juillet 1991. Il l'a tout simplement oublié jusqu'à ce qu'il voie le bulletin de l'Alliance au printemps de 1993. S'il faut attribuer la faute à quelqu'un, ce n'est pas à l'employeur. Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi reçu de mauvais conseils de son représentant syndical. Ici encore, on ne peut blâmer l'employeur.

Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a allégué qu'il s'agissait d'un grief continu, qui durait depuis le moment où le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait son choix pour la première fois. Je ne suis pas d'accord. Selon sa convention collective, le fonctionnaire s'estimant lésé avait vingt-cinq jours à compter de la date où il avait été avisé verbalement ou par écrit, ou la date où il avait pris connaissance pour la première fois des agissements ou circonstances ayant donné lieu à son grief, pour présenter un grief. Il ne l'a pas fait.

[25]    M. Camilleri connaissait la procédure de règlement des griefs et avait accès à une représentation syndicale.

[26]    L'employeur a interprété et appliqué la décision Buchmann de façon équitable et ne devrait donc pas être pénalisé pour l'inaction du fonctionnaire s'estimant lésé. Il faut qu'il y ait une date limite dans des affaires comme celles-ci.

[27]    Si l'argument de l'employeur sur la notion de « grief continu » n'était pas accepté, le fonctionnaire s'estimant lésé n'aurait quand même droit qu'à une période de rétroactivité de vingt-cinq jours avant le dépôt de son grief.

[28]    À l'appui de sa position, l'employeur a aussi invoqué Coallier (supra), Ouellette et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-21255) ainsi que Sittig et Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-24117).

Réplique du fonctionnaire s'estimant lésé

[29]    Les principes d'équité doivent l'emporter sur la décision arbitraire d'un employeur d'imposer unilatéralement une date limite pour la mise en oeuvre du recalcul rétroactif des traitements.

[30]    Il faut aussi souligner que la décision de la Colombie-Britannique que l'employeur a invoquée est antérieure à l'arrêt Coallier de la Cour d'appel fédérale.

Motifs de la décision

[31]    L'arrêt Coallier, qui porte sur une question de paye, établit clairement les principes qui doivent régir mon interprétation des faits en l'espèce.

[32]    À moins que le principe de préclusion, une renonciation ou d'autres considérations équitables ne soient invoquées pour justifier une déviation de la règle générale établie dans Coallier, dans des affaires comme celles-ci, sur une question de paye, les fonctionnaires s'estimant lésés ont droit à un redressement pour une période n'excédant pas 25 jours avant le dépôt du grief, comme la convention collective applicable le précise.

[33]    Il n'existe ici aucune considération particulière qui me convainque de déroger à la règle des 25 jours. M. Camilleri était parfaitement conscient de ses droits et savait manifestement comment s'en prévaloir. Je n'accepte pas sa prétention qu'il croyait qu'on lui imposerait des sanctions disciplinaires s'il ne renonçait pas à son grief. Si tel avait été le cas, il en aurait certainement parlé avec M. Gray. Or, on a demandé à M. Gray, durant son témoignage, de décrire ses conversations avec le fonctionnaire s'estimant lésé, et il n'a mentionné ni des menaces, ni une perception de menaces.

[34]    Je rejette par ailleurs l'argument de l'employeur que je devrais me fonder sur une vieille décision rendue en Colombie-Britannique ainsi que sur ce que le vice-président Tenace a écrit dans Smith (supra), pour conclure que je ne devrais pas considérer qu'il s'agit en l'occurrence d'un grief continu.

[35]    L'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Coallier est clair, il est plus récent que la décision de la Colombie-Britannique invoquée par l'employeur et il n'a jamais été renversé. Je devrais aussi souligner que la décision rendue dans Smith est compatible avec les principes énoncés dans Coallier. Avant la citation qui figure au paragraphe 24 de la présente décision et qui est avancée par l'employeur à l'audience, le vice-président avait écrit ceci :

La question à trancher est de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé peut faire recalculer ses congés annuels à compter du 22 juillet 1991, date à laquelle il a fait son choix, plutôt que du 24 novembre 1992, date de la décision de la Cour d'appel fédérale dans

Boucher (supra). La différence est d'environ 16 mois. Il convient également de mentionner que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas déposé son grief avant le 30 novembre 1993.

La position de l'employeur est qu'il n'était nullement obligé de remonter plus loin que vingt-cinq jours avant la date où le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé son grief, si l'on se fonde sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans

La Reine (Office national du film) c. Coallier (supra).

[36]    M. Camilleri était tout à fait conscient de sa situation en août 2000. Comme M. Buchmann et d'autres, il aurait pu présenter un grief à ce moment-là. Il ne l'a pas fait. Son inaction va lui coûter environ deux années de rétroactivité. Néanmoins, il n'est pas totalement privé de redressement. Conformément à Coallier (supra), il a droit au redressement réclamé pour une période de vingt-cinq jours avant le dépôt de son grief.

[37]    Le grief est donc accueilli en partie. Je vais demeurer saisi de cette affaire pour une période de 60 jours, dans l'éventualité où les parties auraient de la difficulté à exécuter ma décision.

Yvon Tarte,
président

OTTAWA, le 7 octobre 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.