Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (disciplinaire) - Agent correctionnel - Droit de l'employeur de demander un examen psychiatrique - Refus de collaborer à un examen psychiatrique - Compensation en lieu d'une réintégration - le fonctionnaire s'estimant lésé, CX ayant à son actif 23 ans de service, a été licencié pour avoir refusé de collaborer à une évaluation médicale, à la demande de l'employeur - au cours de 2001, l'employeur avait remarqué que l'attitude du fonctionnaire s'estimant lésé était de plus en plus négative et qu'il était peu communicatif, il avait aussi été mis en cause dans deux incidents au travail (une mesure disciplinaire lui avait été imposée dans l'un des cas) et avait déposé une plainte contre sa superviseure - lors d'une rencontre syndicale en mai 2001, le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait allusion à des armes à feu après que les personnes présidant la rencontre eurent déclaré ne pas vouloir répondre à ces questions au sujet de la plainte qu'il avait déposée contre sa superviseure - il a été décidé de transférer le fonctionnaire s'estimant lésé à un poste qui n'exigeait pas l'utilisation d'une arme et de le soumettre à une évaluation psychiatrique - trois rendez-vous ont été pris avec deux psychiatres différents sans qu'il soit possible d'en arriver à des conclusions précises du fait, selon l'employeur, que le fonctionnaire s'estimant lésé refusait de collaborer - le fonctionnaire s'estimant lésé a d'abord été suspendu avec salaire à la suite du premier rendez-vous, sans salaire après le deuxième rendez-vous, et il a finalement été licencié lorsqu'il ne s'est pas présenté au troisième rendez-vous - l'arbitre a conclu que l'employeur avait le droit de demander la tenue d'un examen médical et qu'il avait agi de bonne foi à cet égard - il a également statué que la suspension avec salaire du fonctionnaire s'estimant lésé ne constituait pas une mesure disciplinaire, mais bien une mesure de prudence de la part de l'employeur - l'arbitre a conclu que le licenciement était de nature disciplinaire - même si les psychiatres n'ont pas pu effectuer une évaluation complète du fonctionnaire s'estimant lésé, la preuve démontrait que ni l'un ni l'autre n'avait relevé d'indication à savoir qu'il était dangereux - l'arbitre a statué que l'employeur avait licencié trop rapidement le fonctionnaire s'estimant lésé - cependant, compte tenu du fait qu'il avait dénigré l'employeur et qu'il conservait une agressivité envers des personnes de la direction de l'établissement, sa réintégration a été jugée inappropriée - comme en ont d'ailleurs convenu les deux parties lors de l'audience, la réintégration ne constituait pas une option appropriée - l'arbitre a donc statué que le fonctionnaire s'estimant lésé devrait recevoir une compensation en lieu d'une réintégration et est demeuré saisi de l'affaire pour permettre aux parties de faire des représentations sur le montant de la compensation. Grief accueilli en partie. Décisions citées : Ville de St. Lambert et Fraternité des policiers de St. Lambert Inc., [1998] R.J.D.T. 415 (QL); Loyer, 2004 CRFTP 16; Bell Canada et le Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1988] T.A. 319 (QL).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-03-01
  • Dossier:  166-2-31819
  • Référence:  2004 CRTFP 17

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

GILLES ALAIN LOYER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :   Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:  
Richard Mercier, avocat, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Sherbrooke (Québec),
du 9 au 12 septembre 2003.


[1]    Gilles Alain Loyer travaille au Service correctionnel depuis 1978, et depuis 1989, à l'établissement Cowansville. Le 11 octobre 2001, il dépose un grief pour contester le licenciement qui lui est imposé par l'employeur le 28 septembre 2001.

[2]    Le 13 avril 2002, le grief est renvoyé à l'arbitrage et la cause est entendue au cours de la semaine du 9 septembre 2003. Le présent grief est entendu simultanément avec un autre dossier concernant M. Loyer, soit une sanction disciplinaire de 600 $. Ce dernier dossier a fait l'objet d'un grief et d'une décision distincte (2004 CRTFP 16).

[3]    Les parties conviennent que la preuve présentée dans le dossier de la sanction disciplinaire de 600 $ (2004 CRTFP 16) soit versée dans le présent dossier et vice versa. Chacun des dossiers fait l'objet d'une décision distincte.

Les faits

[4]    Bien que le motif du licenciement de M. Loyer soit le fait qu'il ait refusé de collaborer, au cours de l'été 2001, à une évaluation médicale exigée par l'employeur, la preuve présentée porte sur l'ensemble de la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé au cours de l'année 2001, et des années antérieures.

[5]    M. Claude Guérin est sous-directeur de l'établissement. Suite au fait que la direction ait été informée par des employés et par le syndicat que lors d'une réunion syndicale le 24 mai 2001, M. Loyer aurait tenu des propos bizarres, laissant croire qu'il était découragé et exaspéré, il fut convaincu que M. Loyer avait besoin d'aide et que, pour sa propre sécurité et celle des autres agents, il devait voir un médecin.

[6]    Selon M. Guérin, M. Loyer a des difficultés de fonctionnement dans les mois précédant mai 2001. Il est impliqué dans un incident survenu à la détention, il se plaint contre sa superviseure, Mme Manon Bisson, et il est peu communicatif.

[7]    M. Guérin se souvient que, en 1991, M. Loyer a vécu des moments dépressifs à l'occasion de son divorce. Il aurait eu des propos suicidaires et parce que sa famille avait peur que M. Loyer ne se suicide, la Cour lui avait alors retiré ses armes de chasse.

[8]    C'est dans ce contexte qu'il fut décidé de muter M. Loyer à des postes n'exigeant pas le port d'armes à compter du 1er juin 2001 (pièce E-14). Parallèlement, on demande à M. Loyer de voir son médecin.

[9]    M. Cyr, président du syndicat en 2001, a été témoin des propos tenus par M. Loyer le 24 mai 2001. M. Loyer voulait qu'on s'occupe du grief qu'il avait logé contre sa superviseure. Il se disait exaspéré d'attendre. Il aurait dit « qu'il a des problèmes, que c'est difficile à endurer, et aurait fait allusion à des armes ou quelque chose comme ça. »

[10]    Le lendemain, plusieurs employés s'inquiètent de l'état d'esprit de M. Loyer. C'est pourquoi il a décidé d'informer la direction pour qu'on aide M. Loyer et rassure les autres employés.

[11]    M. Serge Ouimette est retraité depuis mai 2003. En 2001, il est surveillant correctionnel et M. Loyer est placé sous ses ordres. Avant de parler des évènements survenus à la réunion syndicale du 24 mai 2001, M. Ouimette relate des incidents survenus à la détention en février 2001.

[12]    Selon M. Ouimette, M. Loyer a provoqué un incident en ne fermant pas à clef une porte d'un local.

[13]    Dans une note de service datée du 27 février 2001, M. Ouimette avise M. Loyer qu'il est retiré de tous les postes reliés à la détention (pièce E-22). Dans cette note, il indique que plusieurs membres du personnel ont remarqué un changement d'attitude chez M. Loyer. Ce dernier exprime vivre des frustrations reliées à son travail, ce qui a pour effet de créer un climat de tension qui se répercute sur ses collègues et sur la clientèle.

[14]    Par la suite, M. Ouimette et d'autres membres de la direction rencontrent M. Loyer le 28 février 2001. À ce moment, compte tenu que M. Loyer verbalise beaucoup de frustrations, on lui recommande d'avoir recours au Programme d'aide aux employés (PAE). De plus, on incite M. Loyer à consulter un médecin et de fournir une évaluation psychiatrique. L'établissement se réservait le droit d'exiger une évaluation par un médecin choisi par l'employeur. Le tout est confirmé dans une lettre transmise à M. Loyer le 2 mars 2001 (pièce E-23).

[15]    M. Ouimette souligne de plus qu'il a dû imposer une suspension d'une journée à M. Loyer en juin 2001, parce que ce dernier insistait pour revenir travailler à un poste de détention plutôt que de se rendre au lieu de travail qui lui était assigné (pièce E-24).

[16]    Mme Brigitte Dubé est directrice de l'établissement Cowansville depuis septembre 2000. Elle compte 23 ans d'expérience dans le système carcéral. Le premier contact qu'elle a avec M. Loyer est un message téléphonique, dans lequel ce dernier conteste une évaluation de rendement.

[17]    Par la suite, en décembre, elle reçoit une lettre et un cadeau (un poulet congelé venant de la ferme de M. Loyer). Il souligne dans cette lettre qu'il a des conflits avec sa superviseure, Mme Bisson, et qu'il conteste son évaluation de rendement. Mme Dubé lui répond le 17 janvier 2001 (pièce E-30).

[18]    Mme Dubé participe avec d'autres membres de la direction à la rencontre avec M. Loyer le 28 février 2001. Comme eux, elle conclut que M. Loyer semble mécontent et a des problèmes. Elle souhaite qu'il voie un médecin.

[19]    Par la suite, vient l'incident à l'assemblée syndicale. Compte tenu que les propos de M. Loyer ont ébranlé des employés et craignant pour la propre sécurité de M. Loyer, Mme Dubé décide de référer M. Loyer à une expertise psychiatrique. Une lettre est adressée à Santé Canada décrivant le comportement de M. Loyer et demandant une expertise (pièce E-31).

[20]    Dès le ler juin, on prévient M. Loyer que, désormais, il ne peut occuper le poste de travail exigeant le port d'une arme et on lui indique qu'il devra se présenter pour une évaluation médicale (pièce E-14).

[21]    Par la suite, M. Loyer est informé qu'il doit rencontrer le Dr Marc Guérin le 21 juin 2001 (pièce E-33).

[22]    M. Loyer avait antérieurement été examiné par le Dr Guérin. Dès le début de la rencontre, il y a une altercation entre M. Loyer et le Dr Guérin et l'examen ne peut être fait. Le Dr Guérin recommande de référer M. Loyer à un autre spécialiste.

[23]    Informée de l'échec de l'entrevue avec le Dr Guérin, Mme Dubé décide de placer M. Loyer en congé avec solde à partir du 27 juin 2001.

[24]    Le 29 juin 2001, on réfère M. Loyer au Dr Pierre Talbot, psychiatre à l'Institut Pinel. Ce dernier est plus particulièrement en mesure d'évaluer l'état de dangerosité d'un individu.

[25]    Le Dr Talbot a témoigné à l'audience et il confirme avoir eu de la difficulté à interroger M. Loyer. Il a rédigé un rapport pour Santé Canada relatant la rencontre du 29 juin 2001 (pièce E-16). Il ressort de ce document, ainsi que du témoignage du Dr Talbot, que M. Loyer se disait obligé par son employeur de subir une évaluation médicale.

[26]    Bien qu'au départ M. Loyer indique au Dr Talbot qu'il ne répondrait pas aux questions, ce dernier lui demande de rester le temps qu'il examine les documents qui sont au dossier que Santé Canada lui a transmis.

[27]    Le Dr Talbot questionne M. Loyer sur la plainte de harcèlement. Ce dernier rétorque que Mme Bisson a fait circuler bien des rumeurs sur ce dossier. M. Loyer parle des conflits qu'il a avec son employeur. En constatant que le Dr Talbot prend des notes, il refuse d'en dire davantage. M. Loyer se dit méfiant à l'égard des autres; il ne veut pas qu'on note des choses qui pourraient revenir contre lui.

[28]    Le Dr Talbot constate qu'il est difficile de continuer l'entrevue et que M. Loyer a déjà visité son médecin personnel, le Dr Jacques St-Hilaire. Le Dr Talbot lui demande s'il peut se référer à ce dernier pour obtenir plus de détails; M. Loyer semble acquiescer.

[29]    Dans son rapport, le Dr Talbot conclut qu'il ne peut « donner une opinion formelle en rapport avec la capacité ou l'incapacité de monsieur [Loyer] à effectuer normalement les tâches de son poste. De la même façon que je ne puis vous renseigner sur son état de dangerosité pour lui-même et pour les autres. » Le Dr Talbot ajoute à ce rapport le fait que, en terminant l'entrevue du 29 juin 2001, il demande à M. Loyer de signer une autorisation de consultation de dossier adressée au Dr St-Hilaire, son médecin traitant. Bien qu'il ait semblé acquiescer au départ, M. Loyer refuse de signer cette autorisation et dit qu'il en parlera à son médecin.

[30]    Étant donné l'échec des rendez-vous du 21 juin avec le Dr Guérin et du 29 juin avec le Dr Talbot, un autre rendez-vous est fixé pour le 13 juillet 2001 avec le Dr Talbot.

[31]    Entre-temps, le Dr Talbot expédie à Santé Canada un rapport de ses constatations à la suite de l'examen de l'expertise produite par le Dr Guérin (pièce E-19).

[32]    La rencontre du 13 juillet 2001 s'est étendue sur près de une heure et 40 minutes.

[33]    Cependant, tel qu'il le note dans son rapport (pièce E-18), le Dr Talbot ne peut formuler un diagnostic précis. Il signale qu'au départ M. Loyer voulait enregistrer l'entrevue, ce à quoi il s'est objecté.

[34]    M. Loyer était constamment sur la défensive; il n'a pas, selon le Dr Talbot, fourni de consentement formel qui permettrait la rédaction de cette expertise.

[35]    Compte tenu de ce deuxième échec, Mme Dubé écrit à M. Loyer pour l'informer que des mesures disciplinaires seraient prises contre lui s'il refusait de se présenter à un rendez-vous médical.

[36]    S'étant informé auprès de Santé Canada et auprès de la direction régionale du Service correctionnel, Mme Dubé apprend qu'il est inhabituel qu'un employé ait plus de trois rendez-vous chez un médecin expert et que l'attitude de M. Loyer le place en situation difficile.

[37]    Après avoir discuté du cas de M. Loyer, l'employeur décide de placer M. Loyer en congé sans solde à compter de la réception de la lettre du 16 août 2001 (pièce E-38) et ce, jusqu'à ce qu'il soit examiné par un médecin.

[38]    Un autre rendez-vous avec le Dr Talbot est fixé pour le 29 août 2001.

[39]    M. Loyer ne s'est pas présenté au rendez-vous; il a fait parvenir une lettre à Mme Dubé dans laquelle il lui indique qu'il est suspendu de ses fonctions sans solde depuis le 16 août 2001, qu'il doit travailler et qu'il faudrait lui fixer des rendez-vous en dehors de la journée de travail. Une copie de cette lettre est expédiée au Premier ministre et à son député fédéral (pièce E-41).

[40]    Puisque quatre rendez-vous fixés avec un médecin n'ont pas permis d'obtenir de rapports précis sur l'état de santé, et compte tenu du manque de collaboration de M. Loyer, Mme Dubé convoque M. Loyer pour une rencontre disciplinaire le 20 septembre 2001.

[41]    Lors de cette rencontre, dont le compte rendu est produit (pièce E-43), Mme Dubé souligne à M. Loyer et à son représentant syndical que les rapports des médecins font état que M. Loyer n'a pas collaboré ni participé à l'examen. Elle lui rappelle qu'il a été prévenu qu'il pourrait faire l'objet de licenciement.

[42]    Mme Dubé poursuit en indiquant que s'il devait y avoir un cinquième rendez-vous, il serait aux frais de M. Loyer. On veut savoir si M. Loyer est prêt à collaborer cette fois-là.

[43]    M. Loyer répond qu'il a toujours collaboré, que ça serait sa parole contre celle des médecins. Il souligne qu'il avait fait part au syndicat qu'il voulait être accompagné d'un témoin lors des rendez-vous avec les médecins.

[44]    Mme Dubé cherche toujours à savoir si M. Loyer voulait collaborer. M. Loyer répète qu'il a toujours collaboré; qu'il a demandé à son psychiatre personnel une expertise pour préparer sa défense.

[45]    M. Loyer rappelle à Mme Dubé qu'il a déjà été sous les soins d'un psychiatre en 1991, pour des questions personnelles, à la suite de son divorce. À cette occasion, il devait prendre des médicaments et son état physique et mental en ont subit un dur coup. Il a déjà « mis un genou à terre » et ne veut revivre cela.

[46]    Mme Dubé termine la réunion du 20 septembre 2001 en indiquant qu'elle réfléchirait à la question et qu'elle ne pouvait aider M. Loyer s'il ne collabore pas.

[47]    La dernière rencontre qui suit est celle du licenciement le 28 septembre 2001. L'employeur confirme par écrit (pièce E-44) que M. Loyer n'a pas convaincu l'employeur des raisons qui l'auraient empêché de se présenter à des rendez-vous médicaux et/ou collaborer lors de ceux-ci.

[48]    L'employeur considère qu'il a des motifs raisonnables de connaître l'état de santé de M. Loyer.

[49]    Appelé comme témoin par M. Loyer, M. Gaétan Blanchard travaille comme agent correctionnel (CX-01 et CX-02) depuis 30 ans. Il souligne que M. Loyer travaille bien en général, tout en soulignant qu'il est arrivé une occasion dans les années 1990 à 1995 que certains détenus semblaient agressifs à l'endroit de M. Loyer.

[50]    M. Andrew Cathcart, un autre collègue de M. Loyer, relate l'incident survenu à la détention en 1999-2000.

[51]    Il explique que, à cet endroit il existe des petites salles où le personnel spécialisé peut rencontrer un détenu en particulier. La directive veut que, lorsqu'un surveillant et/ou un agent de libération rencontre un détenu dans une salle, les gardiens en service (généralement trois) verrouillent la porte de cette salle.

[52]    Alors que Mme Bisson et un agent de libération rencontrent un détenu dans une salle, M. Loyer laisse la porte non verrouillée. Cela vient au fait que les gardiens avaient auparavant remarqué que le détenu en question était agité. M. Loyer aurait déduit de cette discussion qu'il valait mieux laisser la porte non verrouillée pour qu'il puisse intervenir, si cela s'avérait nécessaire.

[53]    Les choses se sont passées autrement, puisque c'est un autre détenu qui, revenant de la douche, a remarqué la présence de l'agent de libération conditionnelle dans la salle. Ce détenu a ouvert la porte pour lui parler, ce qui eut pour effet de provoquer un effet de surprise pour ceux qui étaient dans la salle.

[54]    Mme Bisson est sortie en colère et a engueulé M. Loyer. M. Cathcart est intervenu pour signaler que la décision de ne pas verrouiller la porte faisait suite à une discussion entre les trois gardiens en service.

[55]    Dans son témoignage, M. Loyer revient sur cette question.

[56]    Pour sa part, M. Loyer souligne qu'il travaille au Service correctionnel depuis 1978. Il est à l'établissement Leclerc de 1978 à 1989, et par la suite, il demande un transfert à Cowansville.

[57]    M. Loyer se dit intéressé à son travail et il a suivi plusieurs cours spécialisés offerts par l'employeur.

[58]    En 1991, il vit un divorce et sa santé mentale et physique se détériorent; il doit prendre des médicaments et il devient dépressif au point que sa famille craint qu'il se suicide. Une demande est adressée à la Cour pour qu'on lui enlève ses armes de chasse. Ces derniers lui furent restitués après 12 mois (pièce F-3).

[59]    Il est examiné à cette époque (1991) par le Dr Guérin.

[60]    M. Loyer réfère ensuite à l'incident avec Mme Roberte Nadon (décision 2004 CRTFP 16). Il conclut que, en général, il n'a pas de difficulté à travailler avec des collègues de sexe féminin.

[61]    C'est l'incident survenu à la cellule qui préoccupe davantage M. Loyer. Il avoue avoir laissé la porte débarrée et avoir indiqué à Mme Bisson qu'il avait cru bien faire en agissant ainsi. Selon lui, Mme Bisson ne devait pas le réprimander et l'engueuler en présence de collègues de travail et de détenus.

[62]    Il s'en est plaint à la direction et Mme Bisson lui a présenté des excuses pour s'être emportée. Cependant, cette dernière note dans un rapport d'évaluation que M. Loyer ne respecte pas les procédures mises en place et qu'il aurait dû aviser les personnes impliquées pour décider de la situation (de verrouiller ou non la porte de la petite salle d'entrevue).

[63]    M. Loyer considère que cette mention ne doit pas apparaître sur son évaluation, puisque Mme Bisson lui a présenté des excuses relativement à cet événement.

[64]    Il a porté plainte contre Mme Bisson, mais constate que personne ne lui donne raison. M. Loyer se sent isolé et stressé face à son milieu de travail; il a, d'ailleurs, au cours des années 1999 et 2000, consulté le Dr Jacques St-Hilaire, psychiatre. Dans une lettre datée du 5 septembre 2003 (pièce F-4), le Dr St-Hilaire confirme cet état de stresse en 1999-2000, mais souligne que, depuis le printemps 2000, M. Loyer semble motivé et vit une quiétude avec ses collègues. C'est le constat qu'il fait lors de la rencontre du 13 novembre 2001 avec M. Loyer.

[65]    Pour en venir à l'incident survenu lors de l'assemblée syndicale du 24 mai 2001, M. Loyer s'est présenté à l'assemblée parce qu'il voulait qu'on l'écoute relativement au grief qu'il avait logé. S'étant fait répondre que cette question n'était pas à l'ordre du jour, il a souligné à l'assemblée « que si certains vivaient des choses aussi difficiles, ils se tireraient peut-être. »

[66]    Par la suite, la direction l'a convoqué et on lui a interdit d'occuper des postes exigeant le port d'arme; on lui indique aussi qu'il doit rencontrer un médecin.

[67]    M. Loyer admet que, depuis plusieurs mois, il prend des notes sur les événements qui se produisent, dont les rencontres avec des collègues ou ses supérieurs hiérarchiques.

[68]    Quand on lui annonce en juin 2001 qu'il doit rencontrer le Dr Guérin, il y voit l'occasion de faire rectifier des choses que le Dr Guérin avait noté sur lui en 1991. Il veut faire rectifier la mention que, en 1991, on lui aurait enlevé ses armes de chasse de peur qu'il ne menace sa famille, alors qu'en réalité on lui enlevait ses armes par crainte qu'il n'attente à sa vie.

[69]    Dès le début de la rencontre médicale le 21 juin 2001, il aborde le Dr Guérin avec cette demande de correction. Il manifeste de la méfiance sur les rapports qui pourront être faits et exige que le Dr Guérin lui donne une copie du mandat qu'il a reçu de la part de Santé Canada.

[70]    Le Dr Guérin refuse de lui donner une copie mais lui permet de lire le mandat. M. Loyer dit avoir alors constaté que le Dr Guérin est informé par l'employeur de l'ensemble des choses qu'on lui « reproche », notamment le fait qu'il avait des problèmes avec les employées de sexe féminin, des problèmes avec les détenus, des problèmes avec un supérieur et qu'il aurait prononcé des paroles suicidaires.

[71]    Devant ces faits, M. Loyer se sent piégé et trouve que « cela est vache. » Il exige une copie du mandat sinon il dit vouloir quitter. En définitive, il quitte.

[72]    M. Loyer se dit ne pas être plus en confiance avec le Dr Talbot. Il confirme le fait que les entrevues avec le Dr Talbot se sont déroulées de façon difficile. M. Loyer a souligné au Dr Talbot qu'il a logé une plainte contre Mme Bisson.

[73]    Même lors de son témoignage dans le présent dossier en septembre 2003, M. Loyer semble préoccupé par rapport à Mme Bisson. Il dépose une lettre que son procureur a fait parvenir à la directrice pour souligner que Mme Bisson dénigrerait M. Loyer lorsque des employeurs privés demandent des renseignements relativement à des emplois sollicités par M. Loyer en 2001-2002 après son licenciement (pièce F-7).

[74]    M. Loyer est licencié le 28 septembre 2001 pour avoir, à quatre reprises, refusé de se présenter et/ou de collaborer en vue de se faire examiner par un médecin de l'employeur pour connaître son état de santé. L'employeur considère qu'il avait des motifs raisonnables de connaître l'état de santé de M. Loyer. De plus, l'employeur considère qu'il n'a pas été convaincu des raisons qui auraient empêchées M. Loyer de se présenter ou de collaborer lors des rendez-vous médicaux (lettre de licenciement au dossier).

Plaidoiries

[75]    L'avocate de l'employeur souligne que l'employeur a le droit d'exiger un rapport médical sur un employé lorsque l'employeur a des raisons de croire que l'employé peut être incapable d'exercer ses fonctions.

[76]    Les événements survenus dans la période de février à mai 2001, conjugués à la conduite de M. Loyer lors de l'assemblée syndicale du 24 mai 2001, justifient que l'employeur s'inquiète de l'état de santé de M. Loyer. M. Loyer manifeste de l'impatience et de l'agressivité face à ses collègues et ses supérieurs, et lors de l'assemble syndicale, il cherche à régler ses problèmes.

[77]    Déjà, lors de la rencontre disciplinaire du 28 février 2001, il est noté que M. Loyer verbalise des frustrations qu'il vit au travail et on lui recommande de voir son médecin et de produire une évaluation psychologique.

[78]    Face aux craintes exprimées par des employés relativement à l'état de M. Loyer et à la possibilité qu'il pose un geste déplorable face à lui-même ou à ceux qui l'entourent, et compte tenu du profil antérieur de M. Loyer quant à la crainte d'une tentative de suicide en 1991, la direction était justifiée d'exiger une expertise médicale.

[79]    Compte tenu du manque de collaboration de M. Loyer lors des rencontres médicales et de son refus de collaborer et d'expliquer sa conduite, la direction est justifiée de le licencier. Selon l'avocate de l'employeur, même si l'arbitre en venait à la conclusion que la décision de l'employeur n'est pas justifiée, l'attitude de méfiance et de non-collaboration manifestée par M. Loyer au cours de l'été 2001 justifie qu'il n'y a pas réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé dans l'établissement.

[80]    Pour sa part, l'avocat de M. Loyer considère qu'il s'agit clairement d'un dossier disciplinaire et que M. Loyer a été congédié pour « l'ensemble de son oeuvre. » L'employeur aurait profité des circonstances et amplifié les choses suite au propos à caractère suicidaire prononcé par M. Loyer lors de l'assemblée syndicale du 24 mai 2001 pour en faire une question médicale.

[81]    M. Loyer compte 23 ans de service. À la suite de l'incident du 24 mai 2001, on maintient M. Loyer à son emploi tout en restreignant qu'il occupe des postes n'exigeant pas le port d'armes. Cependant, les choses se précipitent de juillet à septembre 2001, parce que, selon l'employeur, M. Loyer ne collabore pas avec les médecins auxquels il est référé.

[82]    M. Loyer est peut-être justifié de se méfier lorsqu'il constate que le Dr Guérin a un dossier détaillé sur lui dans lequel l'employeur souligne ses lacunes, son attitude envers les femmes, ses rapports avec ses supérieurs, son attitude agressive, etc.

[83]    L'employeur prétend qu'il veut aider M. Loyer et que c'est pour son bien qu'il veut qu'il y ait une expertise médicale, alors qu'en réalité il s'acharne sur M. Loyer par voie disciplinaire en le suspendant sans solde et en exigeant une expertise médicale au frais de M. Loyer pendant la journée et à l'Institut Pinel qui est, il ne faut pas l'oublier, un établissement carcéral.

Motifs

[84]    Il y a lieu, dans un premier temps, d'examiner la nature de la mesure imposée par l'employeur. La lettre de l'employeur parle de licenciement; cependant, lors de son témoignage, Mme Dubé, directrice de l'établissement, explique qu'on avait préféré employer ce terme pour ne pas faire perdre certains avantages au fonctionnaire s'estimant lésé.

[85]    La lettre du 28 septembre 2001 fait état du refus de collaborer et le compte rendu de la rencontre du 28 septembre 2001 (pièce E-43) indique clairement que « le but de la rencontre était d'ordre disciplinaire. »

[86]    M. Loyer a d'abord été suspendu avec salaire de ses fonctions en juin, suspendu sans salaire en août et puis licencié en septembre. Dans la cause Ville de St. Lambert et Fraternité des policiers de St. Lambert Inc., [1998] R.J.D.T. 415, l'arbitre souligne que l'étendue de la compétence de l'arbitre dépend de la mesure contestée.

Lorsqu'il demande à l'employé de recourir au Programme d'aide aux employés et de consulter un psychiatre, l'employeur vise essentiellement à se rassurer quant à la capacité psychologique du plaignant d'effectuer son travail. Ces mesures sont donc de nature administrative; dans un tel cas, le rôle de l'arbitre se limite à examiner si la décision de l'employeur était déraisonnable, discriminatoire ou abusive. Quant aux suspensions visant à forcer le plaignant à accéder aux demandes de l'employeur, elles visent à corriger l'insubordination du plaignant et, en ce sens, elles sont de nature disciplinaire. L'arbitre a compétence pour les maintenir, les annuler ou les remplacer par toute autre mesure qu'il peut juger adéquate.

[87]    Compte tenu que les lettres de l'employeur datées du 1er juillet et du 31 août font état que le refus de l'employé de se présenter ou de collaborer à l'examen médical peut entraîner des mesures administratives et/ou disciplinaires, et que la rencontre du 28 septembre 2001 est qualifiée de nature disciplinaire, et compte tenu du contexte de l'ensemble de la preuve présentée, c'est sous l'angle disciplinaire que le présent dossier doit être examiné.

[88]    Il se dégage des témoignages et des documents déposés à l'audience que M. Loyer a développé, au cours des années 2000-2001, une attitude défensive à l'égard de ses collègues et principalement à l'égard de ses supérieurs hiérarchiques.

[89]    Tel que je l'ai mentionné dans ma décision 2004 CRTFP 16, M. Loyer a mal accepté les recommandations du comité d'enquête sur le harcèlement. Il est vrai que l'accent a davantage été placé sur l'aspect sexiste que sur le problème de relations interpersonnelles.

[90]    Par la suite, M. Loyer développe une attitude défensive à l'égard de sa supérieure, Mme Bisson. M. Loyer cherche même à rencontrer la directrice de l'établissement, Mme Dubé, pour régler le litige qui existe entre lui et Mme Bisson.

[91]    M. Loyer n'admet pas que Mme Bisson note dans un rapport d'évaluation que M. Loyer ne satisfait pas aux objectifs relativement à un événement survenu à la détention. À la pièce E-25, on y note :

A-C-D ) A été rencontré par son G.U. sur une situation en détention avec le détenu ----- où l'officier avait jugé que le détenu était agressif. Il n'avait pas avisé qui de droit avant l'entrevue et la situation n'était pas fondée. Par la suite l'employé avait fait une plainte par écrit contre la gestionnaire qui s'était avérée non fondé.

H ) M. Loyer se plaint régulièrement des procédures qu'il juge inadéquates, même si celles-ci ont été mises en place par des gens qualifiés pour le faire EX ) Surv/corr.

[Le nom du détenu à été rayé pour préserver l'anonymat.]

[92]    M. Loyer réitère, lors de son témoignage, qu'il ne peut être jugé de façon négative à la suite de cet événement puisqu'il s'agissait d'une décision d'équipe et que, d'ailleurs, Mme Bisson s'est excusée d'avoir fait des remarques en public sur la conduite de M. Loyer.

[93]    Sur ce point, M. Loyer a tord; il confond deux choses. Les excuses de Mme Bisson portent sur la façon dont elle a réagit à l'événement en l'engueulant en présence de ses collègues et des détenus et non sur le fait qu'elle blâme le geste qu'il a posé en laissant la porte d'entrevue débarrée.

[94]    Par la suite, M. Loyer n'accepte pas qu'on ne donne pas suite à la plainte qu'il a logée contre Mme Bisson. Il conteste le fait d'avoir été retiré de la détention et de ne plus y être assigné.

[95]    M. Loyer voudrait que le syndicat pousse la chose plus loin et c'est pourquoi le 24 mai 2001, il éclate lors de l'assemblée syndicale.

[96]    En juin 2001, la direction trouve prudent de le retirer des postes exigeant le port d'armes à la suite de cet incident. D'ailleurs, déjà en février et mars, on juge que M. Loyer manifeste beaucoup d'insatisfaction et de frustrations à l'égard de son travail et la direction suggère à M. Loyer de voir son médecin traitant et de produire un rapport médical.

[97]    Compte tenu de ces faits, l'employeur est justifié, en juin 2001, d'exiger une expertise médicale. Je crois que la direction est de bonne foi lorsqu'elle souligne que cette expertise permet de rassurer les employés et de vérifier l'état de santé de M. Loyer afin d'établir si la manifestation de découragement et d'impatience qui a été constatée peut porter M. Loyer à poser des gestes malheureux envers lui-même ou des gestes envers les autres qui compromettraient la sécurité en milieu carcéral.

[98]    À partir de là, il reste à examiner la conduite de l'employeur et de M. Loyer pour déterminer si les mesures disciplinaires proposées par la suite sont justifiées.

[99]    En juin, M. Loyer travaille dans des postes n'exigeant pas le port d'armes et le 21 juin 2001, il doit rencontrer le Dr Guérin à la demande de l'employeur. L'entrevue se déroule très mal. Initialement, M. Loyer veut faire corriger un rapport antérieur émis par le Dr Guérin en 1991. De plus, M. Loyer devient méfiant et exige de voir le mandat du psychiatre. M. Loyer réagit mal en constatant que le psychiatre a en main un rapport de l'employeur exposant les « travers » de M. Loyer, tels que son animosité envers les femmes, ses rapports avec ses supérieurs, etc. Le Dr Guérin recommande de référer M. Loyer à un autre psychiatre pouvant mieux évaluer les questions de dangerosité.

[100]    Informée de l'échec de la rencontre d'examen avec le psychiatre, Mme Dubé, la directrice, décide de retirer M. Loyer du travail et de le suspendre avec traitement. Il s'agit là d'une décision administrative pour laquelle la directrice fournit peu d'explications lors de l'audience. Elle dit vouloir aider M. Loyer.

[101]    Je ne vois dans cette suspension aucun élément disciplinaire et on peut l'expliquer comme un geste de prudence voulant éviter que M. Loyer ne manifeste de geste d'impatience ou de contestation au travail comme, interprète-t-on, il l'a fait auprès du Dr Guérin.

[102]    Le 29 juin 2001, M. Loyer est référé au Dr Talbot. Selon la preuve, le dialogue est difficile. M. Loyer veut noter des propos et agit sur la défensive. Le Dr Talbot ne peut produire de rapport d'expertise.

[103]    Un rendez-vous est fixé pour le 13 juillet 2001, et là encore l'expertise ne peut avoir lieu bien que l'entrevue ait durée une heure et 40 minutes. M. Loyer voulait enregistrer l'entrevue puis s'est ensuite ravisé.

[104]    À la suite de cela, M. Loyer est suspendu sans traitement. On lui fixe un autre rendez-vous pour le 29 août 2001. M. Loyer ne s'y présente pas et est convoqué le 20 septembre 2001, pour une rencontre disciplinaire; il est congédié le 28 septembre 2001.

[105]    Un des éléments que je trouve important lors de la rencontre du 20 septembre 2001, est le fait que M. Loyer indique que, antérieurement, il a déjà dû voir un psychiatre et qu'il était, en 1991, sous le coût de médications. Selon ses dires, il était à cette époque dans un état dépressif et sa santé s'est détériorée. Il a, selon son expression, « mis un genou à terre » et il ne veut plus revivre cette expérience.

[106]    Il est dommage que M. Loyer se soit refermé lors de ses visites auprès des psychiatres (Dr Guérin et Dr Talbot). Ses difficultés de 1991 peuvent être un des facteurs, mais il y a aussi le fait que M. Loyer voit dans ces demandes d'expertise davantage une démarche disciplinaire qu'une démarche d'aide.

[107]    La lettre du Dr St-Hilaire, datée du 5 septembre 2003 (pièce F-4), est révélatrice sur ce que vivait M. Loyer. Le Dr St-Hilaire note :

... Monsieur Loyer était de retour au travail depuis février 2000, qu'il était motivé et qu'il vivait une quiétude avec ses collègues et les détenus.

Voilà pourquoi, à l'époque, je pouvais dire que Monsieur Loyer ne présentait pas de trouble psychiatrique, qu'il était apte à son travail régulier d'agent de correction depuis février 2000, qu'il ne présentait aucune dangerosité envers ses collègues féminins et qu'il était motivé à faire son travail. Étant donné qu'il ne montrait aucun trouble psychiatrique, il ne nécessitait aucune prise de médication.

[108]    Pourquoi le Dr St-Hilaire parle-t-il d'absence de dangerosité envers ses collègues féminins? M. Loyer a-t-il laissé entrevoir au Dr St-Hilaire que l'administration le perçoit comme un antiféministe et qu'il serait agressif envers ses collègues féminins?

[109]    L'employeur ne peut baser sa décision de septembre 2001 en tenant compte de la lettre du Dr St-Hilaire, car elle est postérieure aux événements. L'employeur avait cependant en main ou pouvait avoir par Santé Canada les rapports du Dr Talbot.

[110]    Le rapport du 10 juillet 2001 (pièce E-19) est très significatif. Le Dr Talbot mentionne, en référence à la rencontre du 21 juin 2001 avec le Dr Guérin et à la rencontre du 29 juin 2001 avec lui-même, que :

Le fonctionnement de monsieur lors de cette rencontre, tel que décrit par le Dr Guérin, trahit une émotion agressive qui n'a pas été activement manifeste lorsque je l'ai rencontré et trahit au moins ce que j'ai appelé des pertes de contrôle sur la qualité de son vocabulaire...

[111]    Le Dr Talbot se donne la peine d'écrire une note entre la rencontre du 29 juin et celle prévue pour le 13 juillet 2001. Il mentionne au Dre Carole Leclair, médecin-évaluateur régional, que le Dr Guérin et lui-même n'ont pu constater « d'éléments d'un décrochage avec perte du testing sur la réalité et élaborations délirantes psychotiques. »

[112]    Je constate, par ailleurs, que l'employeur n'a jamais insisté pour que M. Loyer produise une expertise médicale de la part de son médecin traitant.

[113]    M. Loyer compte 23 ans de service. Il est vrai qu'en 1999 et 2000, il démontre des signes de méfiance et une certaine agressivité envers la direction et ses collègues de travail.

[114]    Il est évident que l'employeur devait réagir devant le refus de collaborer manifesté par M. Loyer. En août 2001, l'employeur a suspendu M. Loyer sans traitement.

[115]    Puisque, selon les propos de la directrice, on voulait donner une dernière chance à M. Loyer, on aurait dû être pro actif avec lui et faire porter sur M. Loyer le fardeau de réagir et de démontrer sa volonté de vouloir retourner au travail plutôt qu'il ne se replie et qu'il adopte une attitude défensive. Il est vrai que, en août 2001, l'employeur n'avait obtenu aucune évaluation complète de l'état de santé de M. Loyer. Cependant, les remarques de Dr Talbot ne semblent pas laisser présager que M. Loyer est dans un état psychique de désorganisation.

[116]    Rien ne pressait pour prendre une décision définitive de licenciement en septembre 2001. M. Loyer aurait pu, par exemple, être suspendu sans traitement en exigeant que, pour son retour au travail, il produise une expertise médicale de son médecin traitant, qu'il accepte que son médecin fournisse des renseignements au médecin choisi par l'employeur et qu'il accepte de subir une contre expertise par un médecin choisi par l'employeur.

[117]    Dans la décision Bell Canada et le Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1988] T.A. 319, de même que dans la décision Ville de St. Lambert (supra), les arbitres prenaient en considération le dossier de l'employé, trouvant disproportionné le recours hâtif au congédiement pour sanctionner le refus de l'employé de se soumettre à des examens médicaux.

[118]    Dans le présent cas, je crois que la décision de licenciement prise par l'employeur est hâtive et inappropriée.

[119]    Compte tenu du fait qu'après son licenciement M. Loyer a dénigré l'employeur et que j'ai pu constater, lors de l'audience en 2003, qu'il conserve une agressivité envers des personnes de la direction de l'établissement, sa réintégration est inappropriée et je dois, comme en ont convenu les parties d'ailleurs lors de l'audience, penser à établir une compensation en lieu d'une réintégration.

[120]    Compte tenu des circonstances, je ne crois pas que M. Loyer méritait d'être licencié en septembre 2001. J'annule donc la mesure de licenciement prise par l'employeur.

[121]    Aucune des parties ne souhaite la réintégration et comme je l'ai exprimé précédemment, je crois qu'elle ne serait pas appropriée. Je me dois de déterminer une compensation au lieu d'une réintégration.

[122]    Compte tenu de la complexité du dossier et de l'impossibilité pour les parties de faire des représentations sur le montant de la compensation sans avoir des paramètres sur la nature de la décision, je conserve ma juridiction pour entendre les parties sur le montant de compensation à déterminer. Ces parties seront convoquées à cet effet par le greffier de la Commission.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 1er mars 2004.

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