[1] Lyne Simard est employée par le Service correctionnel Canada depuis quelques années et travaille depuis mars 2000 comme instructrice au Centre de tri des industries Corcan.
[2] Suite à une enquête disciplinaire, M
me Simard est licenciée le 11 octobre 2001, au motif qu'elle a admis avoir une relation d'ordre personnel avec un délinquant.
[3] Le 2 novembre 2001, M
me Simard conteste cette décision de l'employeur. Le dossier est référé à l'arbitrage le 22 octobre 2002 et l'audience a lieu le 18 mars 2003.
[4] Le 13 février 2003, M
me Simard est avisée par un agent du greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission ») que le syndicat retire sa représentation dans le dossier et qu'en conséquence, elle pouvait se représenter elle-même ou être représentée par un avocat ou autre personne de son choix.
[5] Le 19 février 2003, les parties sont de nouveau avisées par l'agent du greffe de la Commission que l'audience relative au grief a lieu le 18 mars 2003 et qu'à défaut de se présenter à l'audience, le commissaire peut statuer sur la question au vu de la preuve présentée par l'une ou l'autre des parties.
[6] Le 11 mars 2003, M
me Simard est avisée à nouveau que la cause procède le 18 mars 2003.
Les faits [7] Le 18 mars 2003, M
me Simard ne se présente pas à l'audition et l'employeur consent à faire sa preuve tout en soulignant qu'il invoquera en plaidoirie que l'attitude de M
me Simard équivaut à un abandon de grief.
[8] Le 9 juillet 2001, le directeur régional des industries Corcan, M. Daniel Richer, a appris qu'une de ses employées, soit Mme Lyne Simard, entretenait une relation avec un délinquant en libération d'office. M. Richer a mandaté M
me Sonja Ellefsen, gestionnaire de projets à l'administration régionale, et M
me Joyce Malone, administratrice régionale intérimaire, de recueillir et analyser les faits concernant la relation que M
me Simard entretiendrait avec le délinquant.
[9] L'enquête dont le rapport est déposé comme pièce E-2 révèle que le délinquant est en libération d'office et réside depuis le 29 juin 2001 chez M
me Simard.
[10] M
me Joyce Malone, l'une des enquêteurs et signataire du rapport d'enquête (pièce E-2), témoigne à l'audition. En se référant au rapport d'enquête et au témoignage de M
me Malone, on peut retenir ce qui suit.
[11] Le délinquant « X » a travaillé à l'atelier dirigé par M
me Simard du 18 septembre 2000 au 28 février 2001 (pièce E-2, page 12). Par la suite, le délinquant est en semi-liberté au CRC Madeleine Carmel. Quelques semaines plus tard, en mars 2001, il téléphone à M
me Simard pour lui dire qu'il n'aime pas être au CRC et qu'il est malheureux. Pour lui remonter le moral et discuter, M
me Simard le rencontre. Elle lui donne alors son adresse et une relation commence à ce moment.
[12] En mars 2001, le délinquant mentionne à l'agent de libération conditionnelle qui le supervise qu'il est en relation avec quelqu'un.
[13] En avril 2001, une rencontre communautaire est faite au domicile de M
me Simard par un agent de libération conditionnelle. À ce moment, cette dernière déclare qu'elle travaille dans le domaine de l'alimentation.
[14] Par la suite, en mai 2001, M
me Simard s'objecte à la tenue d'une enquête communautaire. Elle invoque avoir peur du bris de confidentialité et la connaissance de sa relation avec un détenu pourrait nuire à la notoriété de sa famille.
[15] Le 7 juin 2001, M
me Simard accepte finalement la tenue de l'enquête communautaire et à cette occasion, elle déclare à M
me Johanne Prairie, responsable de l'enquête, qu'elle travaille dans une épicerie à grande surface.
[16] Vers la fin du mois de juin 2001, le délinquant est en libération d'office et va résider chez M
me Simard.
[17] Le 9 juillet 2001, suite à un congé de vacances, M
me Simard retourne au travail. Elle rencontre alors M
me Landry, sa surveillante qui la confronte avec la situation. M
me Simard avoue sa relation avec le délinquant.
[18] M
me Simard est en congé sans solde pendant la tenue de l'enquête et elle est ensuite congédiée par M. Daniel Richer, directeur régional des industries Corcan.
[19] Il est à noter que pendant la période de congé sans solde, M
me Simard reçoit à nouveau la visite de M. Grondin (agent de libération conditionnelle) et elle lui avoue alors avoir menti lors de l'enquête communautaire.
[20] Il ressort aussi de l'enquête qu'en août 1999, M
me Simard a suivi le cours d'orientation pour les nouveaux employés. À l'intérieur de ce cours, les relations entre le personnel et les détenus sont abordées de manières spécifiques. En janvier 2001, M
me Simard a suivi le cours Gestion des délinquants au travail où encore tout l'aspect relationnel avec les détenus est traité.
[21] Lors de l'entrevue avec les membres du comité d'enquête, M
me Simard a beaucoup insisté sur le fait qu'elle perçoit son travail de manière positive et elle croit qu'une facette importante de son boulot est la relation d'aide avec les détenus. Dans ce sens, elle leur offre beaucoup d'écoute, elle les conseille et elle se montre sensible à leurs situations.
[22] Sa volonté d'être en relation d'aide avec eux a amené M
me Simard à connaître certaines difficultés à l'automne 2000. Un détenu qui avait travaillé à son atelier a communiqué avec elle à son domicile, il l'a visité au travail à la fin d'une permission de sortir sans surveillance et il lui a écrit trois lettres. M
me Simard a signalé ces incidents aux membres de l'équipe de gestion de cas de ce détenu. Des mises au point entre le détenu et M
me Simard furent nécessaires pour éclaircir la nature de la relation entre eux (mauvaise perception du détenu) et le personnel de l'établissement a bien conseillé M
me Simard quant au recul qu'elle devait avoir vis-à-vis sa main-d'ouvre détenue.
[23] Cet incident a toutefois démontré que M
me Simard éprouve des difficultés à tracer ses limites relationnelles avec les détenus. Elle donne à certains d'entre eux son numéro de téléphone personnel et elle les invite à communiquer avec elle s'ils connaissent des problèmes. Elle se montre très empathique et disponible pour eux. Suite à cet incident, M
me Simard nous dit avoir appris à prendre plus de distance avec les détenus et elle a changé son numéro de téléphone. En entrevue, elle a aussi ajouté que le cours qu'elle a suivi en janvier 2001 lui a confirmé son besoin de conserver des distances « professionnelles » avec les détenus.
[24] Lors de son témoignage, M. Grondin, agent de libération conditionnelle, corrobore les demandes apparaissant au rapport d'enquête. Le délinquant lui a semblé avoir une relation honnête et sincère avec M
me Simard et cette dernière a toujours affirmé travailler dans le domaine de l'alimentation sauf à une occasion après qu'elle ait été confrontée par son surveillant et placée en congé sans solde pendant l'enquête disciplinaire.
[25] M. Daniel Richer est directeur régional des opérations Corcan. Il explique que sa décision de congédier M
me Simard tient compte de divers facteurs.
[26] Le rapport d'enquête indique clairement que M
me Simard entretient une relation continue avec un délinquant. Ce contact n'est d'ailleurs pas un cas isolé car antérieurement, M
me Simard a eu des problèmes parce qu'elle avait donné des renseignements personnels à un détenu. Elle avait à cette époque été mise en garde de ne pas entretenir de lien intime avec les délinquants.
[27] Il tient aussi compte du fait que M
me Simard a suivi les cours relativement aux relations personnelles à être évitées avec les délinquants. Il y a possibilité de manipulation (pièces E-14 et E-15).
[28] Le rôle de M
me Simard est de former les détenus dans le cadre d'apprentissage à la vie du travail. Il ne s'agit pas d'un rôle de relation d'aide. D'ailleurs, le Code de conduite professionnelle (pièce E-6) et le Code disciplinaire (pièce E-5) incitent les employés à éviter de se mettre en situation de conflit d'intérêts dans leurs relations avec les délinquants ou des membres de leur famille.
[29] Selon M. Richer, il peut se produire un phénomène de « contamination » ou d'endoctrinement lorsqu'un employé se lie d'une trop grande amitié avec un délinquant en particulier. Souvent, le délinquant s'identifie à une victime incomprise et mal perçue par la société. Il serait aussi incompris des gardiens qui seraient majoritairement anti-détenus et peu d'entre eux seraient pro-détenus. Selon M. Richer, M
me Simard est pro-détenus et lors de l'enquête, elle a indiqué ne pas avoir parlé avec M
me Landry (sa surveillante), de sa relation avec un délinquant car cette dernière ne l'aurait pas comprise. M
me Landry selon elle n'est pas pro-détenus.
[30] M. Richer conclut en indiquant que M
me Simard était bien renseignée sur la situation, qu'elle a menti lors de rencontre avec les agents de libérations, qu'elle n'a pas dénoncé la situation à sa surveillante et qu'elle a tendance à percevoir ses supérieurs ou ses collègues en clan de pro-détenus ou d'anti-détenus. Cette situation compromet l'esprit de collaboration qui doit régir les interventions en milieu carcéral.
[31] M
me Simard n'a pas témoigné. Cependant, en se référant au rapport d'enquête, on peut découvrir sa version des faits.
[32] Elle n'est pas d'accord avec la mention que ce soit elle qui ait invité le délinquant à une soirée. Elle prétend plutôt que c'est ce dernier qui l'a invitée.
[33] Elle croyait qu'il était possible de fréquenter un délinquant surtout à partir du moment où ce dernier obtenait sa libération conditionnelle.
[34] Elle affirme avoir contacté M. Louis Fréchette, coordonnateur régional du programme d'aide aux employés afin de savoir si elle avait le « droit » de fréquenter le délinquant. M. Fréchette, après avoir pris les informations, lui a posté le document concernant les conflits d'intérêts, l'a référé à un psychologue et l'a avisé qu'elle n'avait pas le droit de sortir avec un ex-détenu. Elle devait donc, d'après les conseils de M. Fréchette, aviser son supérieur et, à la rigueur, choisir entre son emploi ou sa relation. Toutefois, elle affirme qu'il lui était impossible de discuter de cette situation avec sa superviseure puisque, selon elle, « M
me Louise Landry jugeait les détenus ».
Les plaidoiries [35] L'employeur soutient que la fonctionnaire s'estimant lésée a rompu le lien de confiance en mentant, en cachant sa relation avec un délinquant, en ne prévenant pas ses supérieurs et en persistant dans sa volonté à maintenir une telle relation pour l'avenir. De plus, l'employeur dépose des décisions traitant de questions similaires :
Côté c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) 2002 CRTFP 103 (dossier de la Commission 166-2-31033),
O'Connell c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) (dossiers de la Commission 166-2-27507 et 27519),
Lachapelle c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) (dossier de la Commission 166-2-23956).
Motifs de la décision [36] La preuve a démontré que M
me Simard était au courant des dangers possibles à maintenir des relations personnelles avec un délinquant.
[37] Les cours qui lui furent dispensés et les règles de discipline mettant en garde les employés d'éviter tout conflit d'intérêt et de prévenir les autorités de leur relation avec les délinquants sont explicites à ce sujet.
[38] Déjà antérieurement, M
me Simard a vécu une situation difficile après avoir divulgué son adresse personnelle à un détenu.
[39] Elle avait été mise en garde par M
me Landry de prendre ses distances avec les délinquants.
[40] M
me Simard dit s'être informée auprès du service d'aide aux employés. On peut comprendre qu'à ce moment, elle doutait de la légalité des relations qu'elle entretenait avec un délinquant. Même après avoir été mise en garde, elle a persisté dans sa relation et a menti aux agents de libérations conditionnelles en prétendant qu'elle travaillait dans le domaine de l'alimentation.
[41] J'ai examiné les documents pertinents qui ont été déposés à l'audience. Je suis notamment d'accord avec la mention qui est indiquée dans le cas
Lachapelle qui dit :
" .dans un établissement correctionnel, les règles et les procédures sont importantes et il est essentiel d'être en mesure de prévoir ce qui arrivera dans les relations avec les détenus. Les employés devraient donc se conformer à des règles qui sont peut être fort différentes de celles auxquelles on pourrait s'attendre ailleurs dans la société. ".
[42] Même si je prends pour acquis que les règlements de l'employeur ont leurs raisons d'exister, je crois que chaque cas est un cas d'espèce et qu'il importe de vérifier si le manquement à de tels règlements visant les relations personnelles avec un détenu affecte la crédibilité et la confiance que l'employeur peut avoir envers cette personne.
[43] Dans l'espèce, je crois que c'est à juste titre que le directeur, M. Richer, évoque cette idée de « contamination » ou d'influencer que peut subir un employé dans ses relations trop intimes avec un délinquant. La fonctionnaire s'estimant lésée, M
me Simard, porte un jugement négatif sur ses collègues de travail qui familiarisent moins avec les délinquants. Ainsi, M
me Simard dit qu'elle n'a pas parlé des faits à sa surveillante, M
me Landry, puisque cette dernière jugeait les délinquants.
[44] Finalement, M
me Simard, à l'exception de son témoignage lors de l'enquête disciplinaire, n'a fourni aucune autre explication. Elle n'a pas discuté avec l'employeur et ne s'est pas présentée à l'audition.
[45] Je ne peux retenir l'argument de l'employeur voulant que l'attitude de M
me Simard constitue un abandon de grief. Cependant, il faut considérer que son attitude dénote qu'elle savait qu'il était risqué d'entretenir des relations avec un délinquant et qu'elle y risquait son emploi.
[46] Compte tenu de la preuve présentée, je considère que le lien de confiance a été rompu et que le congédiement est justifié. Je rejette donc le grief.
Jean-Pierre Tessier,
Commissaire
OTTAWA, le 2 juillet 2003