Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Rétrogradation (disciplinaire) - Vol - Stress post-traumatique- Iniquité des punitions - Facteurs atténuants - Réintégration des fonctions - le fonctionnaire s'estimant lésé était un pompier/surveillant au site historique du Canada Forteresse-de-Louisbourg - il a fait l'objet de mesure disciplinaire pour avoir volé de l'essence à l'employeur - après avoir été confronté, il a confessé, a collaboré et a manifesté du regret - deux autres personnes ont également été prises sur le fait dans le cadre de la même enquête - l'employeur a décidé de rétrograder le fonctionnaire s'estimant lésé en le plaçant dans un poste saisonnier d'ouvrier jardinier - l'un des deux autres employés était en congé d'invalidité à l'époque et, à la suite des événements, il a pris sa retraite, évitant ainsi de subir les conséquences - le troisième employé a été retiré de son poste intérimaire et a repris son ancien poste à temps plein après une suspension de deux semaines - les médecins du fonctionnaire s'estimant lésé ont prétendu qu'au moment des vols, il souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique - l'expert de l'employeur était en désaccord et estimait que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une maladie dépressive grave et que son état mental ne l'avait pas entraîné à voler - le vol était dû à un mauvais jugement, un symptôme type de la dépression - l'arbitre a statué que le fonctionnaire s'estimant lésé savait que ses actions étaient fautives et qu'il méritait donc une sanction disciplinaire - elle a cependant conclu que la sanction avait été trop sévère, compte tenu qu'il était un employé de longue date, que l'épisode était une aberration survenue pendant une période de grand stress, qu'il avait fait preuve d'ouverture et que la sentence reçue par le fonctionnaire s'estimant lésé était plus sévère que celle des deux autres fonctionnaires - deux experts médicaux ont convenu que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas susceptible de récidiver, et tous s'entendaient pour dire qu'il demanderait vraisemblablement de l'aide si les symptômes réapparaissaient - l'arbitre a ordonné que le fonctionnaire s'estimant lésé soit affecté à un poste à temps plein d'une durée indéterminée dans la même région géographique et, si aucun poste n'était disponible, qu'il réintègre son ancien poste - elle a également ordonné que le fonctionnaire s'estimant lésé rembourse à l'employeur la valeur de l'essence volée, qu'il continue de suivre les programmes ou de prendre les médicaments prescrits par ses médecins et qu'au cours des deux années suivant sa réintégration, l'employeur puisse obtenir périodiquement une preuve de son aptitude à travailler ou des rapports annuels de ses médecins. Grief accueilli.* Décision citée :Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. *L'arbitre est demeurée saisie de l'affaire au cas où les parties avaient de la difficulté à exécuter sa décision. La demande de l'employeur pour l'aide de l'arbitre est toujours en vigueur.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-04-05
  • Dossier:  166-33-31789
  • Référence:  2004 CRTFP 25

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

JOHN ALFRED SPAWN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE PARCS CANADA


employeur

Devant :   Evelyne Henry, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:  
David Landry, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Richard E. Fader, avocat pour l'Agence Parcs Canada


Affaire entendue à Sydney (Nouvelle-Écosse),
du 9 au 12 décembre 2003.


[1]    M. Spawn a déposé un grief à l'encontre de la décision de l'Agence Parcs Canada de le rétrograder de son poste à temps plein de pompier/surveillant (GS-PRC-06) au profit d'un poste saisonnier d'ouvrier jardinier (GL-ELE-03).

[2]    La décision de rétrograder M. Spawn pour des motifs disciplinaires est annoncée dans une lettre, datée du 19 septembre 2001 et rédigée par le directeur intérimaire de l'unité de gestion, Tim Reynolds (pièce E-5) :

[Traduction]

Maritect Investigations and Security Ltd. a mené une enquête relativement au vol d'essence au site historique du Canada Forteresse-de-Louisbourg. D'après la preuve recueillie et selon votre propre admission, vous avez été reconnu coupable d'avoir volé de l'essence à l'Agence Parcs Canada. J'ai pris connaissance de votre inconduite et j'ai conclu que ce comportement était incompatible avec le haut niveau de confiance, d'honnêteté et d'intégrité rattaché au poste de personnel de surveillance.

Votre manque de professionnalisme et d'éthique a porté préjudice au lien de confiance avec votre employeur et à la confiance de la direction à l'égard de votre capacité de continuer à exécuter les fonctions de votre poste actuel.

Par conséquent, en vertu du pouvoir qui m'est délégué aux termes de l'article 12 de la Loi sur l'Agence Parcs Canada, vous êtes rétrogradé au poste saisonnier d'ouvrier jardinier, GL-ELE-3, à compter de 16 heures, le mercredi 19 septembre 2001.

Votre emploi est maintenu du fait que vous recevez et continuerez de recevoir des services d'aide aux employés et en raison des facteurs atténuants présentés lors de votre audience disciplinaire. Veuillez fournir à votre gestionnaire la confirmation que vous continuez de recourir au Programme d'aide aux employés afin de traiter vos problèmes personnels. La direction accueille favorablement cette initiative et vous encourage à vous prévaloir de services d'un thérapeute jusqu'à ce que vos problèmes personnels soient réglés.

De plus amples discussions auront lieu relativement à des mesures pour la restitution de la valeur de l'essence volée.

Vous serez en probation pendant deux ans et, advenant tout autre incidence reliée à un vol au travail, vous serez congédié de l'Agence. Une copie de la présente lettre sera placée dans votre dossier personnel. Vous avez le droit de déposer un grief à l'encontre de la mesure prise par la direction en vous adressant directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[3]    L'employeur a cité trois témoins à comparaître : un témoin expert, Dr Edwin Michael Rosenberg, M.D., F.R.C.P(C); le directeur Timothy (Tim) Jacob Reynolds et la directrice de l'unité de gestion, Mme Carol Mary Whitfield.

[4]    Le Dr Rosenberg a présenté son curriculum vitae (pièce E-1) et a déclaré sous serment détenir les qualifications et le niveau de scolarité. Le Dr Rosenberg est spécialisé en psychiatrie. Il a beaucoup d'expérience en matière de syndrome de stress post-traumatique et est compétent à titre d'expert.

[5]    Le Dr Rosenberg a rencontré, à la demande de l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Spawn, le 17 septembre 2002, afin d'effectuer une évaluation indépendante. La rencontre a duré une heure et demie. Le Dr Rosenberg a soumis un rapport de neuf pages à Mme Whitfield (pièce E-2), daté du 10 octobre 2002.

[6]    Le Dr Rosenberg avait reçu de l'employeur une copie de la présentation du grief, ainsi que des copies des rapports provenant du médecin de famille traitant M. Spawn, du Dr Buhariwalla (pièce E-3(a)) et de son psychologue, M. Wayne Yorke, M.A., C.A.M.S. (pièce E-3(d)).

[7]    Le Dr Rosenberg était d'avis que M. Spawn ne souffrait pas du syndrome de stress post-traumatique, mais bien d'une maladie dépressive importante. Dans son rapport, il écrit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

M. Spawn est d'humeur euthymique (humeur normale) pour le moment et est apte à retourner au travail.

La maladie dépressive est caractérisée par une baisse du moral, des fluctuations au niveau de l'appétit ou du poids, des troubles du sommeil, un manque d'intérêt à l'égard des plaisirs et la perte de la capacité de penser, de se concentrer ou de prendre des décisions. En outre, il n'est pas rare que les personnes souffrant de dépression manifestent un manque de jugement (l'acte mental de comparer les choix entre un ensemble de valeurs afin de choisir une ligne de conduite). (Par exemple, il arrive fréquemment que des personnes souffrant d'une grave maladie dépressive commettent des vols à l'étalage).

Compte tenu de l'histoire racontée par M. Spawn, et après avoir examiné le document du grief et les rapports médicaux et psychologiques en annexe, j'estime que M. Spawn ne souffrait pas et ne souffre toujours pas du syndrome de stress post-traumatique et qu'il n'a manifesté aucun des symptômes nécessaires pour établir un tel diagnostic.

Le syndrome de stress post-traumatique est une affection qui peut faire suite à un facteur de stress traumatique extrême, pouvant être relié à une expérience personnelle directe pouvant entraîner la mort, constituer une menace de mort ou une blessure sévère, le fait d'être témoin d'un événement pouvant occasionner la mort d'une autre personne ou une blessure ou l'annonce d'une menace ou d'une blessure sévère d'un membre de la famille ou autre personne proche. La réponse à ce facteur de stress est la peur intense, un sentiment d'impuissance ou l'horreur. Les groupes de symptômes associés comprennent le fait de revivre constamment l'événement, l'évitement des circonstances rappelant l'événement et l'activation neuro-végétative.

Je suis d'avis que M. Spawn souffrait plutôt d'une profonde maladie dépressive, qui pourrait avoir été précédée par l'exposition à divers éléments de stress, notamment le décès de plusieurs personnes et, tout particulièrement, le stress constant de composer avec un enfant dont le comportement est devenu « difficile ».

Comme mentionné précédemment, il n'est pas rare que des personnes souffrant de dépression fassent preuve d'un manque de jugement. Ce manque de jugement deviendra apparent, plus souvent qu'autrement, lorsque la personne ne sollicite pas l'aide d'un médecin ou d'un psychiatre dès l'apparition des symptômes. Par conséquent, si l'aide médicale ou psychologique n'est pas obtenue, elle sera sollicitée lorsque le comportement deviendra tellement perturbateur que les autres devront obligés la personne à obtenir un diagnostic et un traitement.

La dépression majeure est généralement perçue comme une affection chronique et récurrente dont les premiers épisodes peuvent avoir été déclenchés pas des facteurs de stress psychologiques particuliers. J'estime que c'est ce qui s'est passé dans le cas de M. Spawn.

De plus, lorsqu'une personne souffrant de dépression est exposée de manière continue à des facteurs de stress, les symptômes de dépression augmentent et perdurent.

Il faut mentionner que M. Spawn consultait également un psychiatre de sa localité (Dr A. Munshi) qui lui a prescrit des antidépresseurs (Trazodone) pour la période de septembre 2001 à janvier 2002. M. Spawn n'est pas suivi actuellement par un psychiatre, mais il voit régulièrement son psychologue pour assurer un suivi.

Bien que la maladie dépressive a tendance à réapparaître, ses symptômes, lorsqu'ils sont décelés tôt, pourront être traités de diverses façons. Les personnes ayant déjà souffert de dépression doivent être à l'affût des symptômes récurrents et solliciter de l'aide professionnelle dès leur apparition avant de perdre leur capacité fonctionnelle en raison des symptômes reliés à l'humeur.

[...]

[8]    Selon le Dr Rosenberg, le geste commis par M. Spawn, c'est-à-dire le vol de l'essence, n'était pas un exemple d'impulsion irrésistible ou d'incapacité d'arrêter un geste. Il s'agissait d'un exemple parfait du manque de jugement type causé par la dépression. Les thérapeutes conseillent aux patients souffrant de dépression d'éviter de prendre des décisions importantes ayant une incidence sur leur vie, dans leurs relations personnelles, par exemple, ou concernant la vente d'une entreprise ou un changement d'emploi. Leur jugement est affecté par leurs pensées dépressives.

[9]    Le Dr Rosenberg était en désaccord avec le diagnostic posé par le Dr Buhariwalla, dont fait état la lettre du 12 octobre 2001 (pièce E-3(a)), et avec l'opinion formulée par le Dr Paul Sheard, F.R.C.P.(C) (pièce E-3(b)) dans la lettre du 12 février 2003. Le Dr Rosenberg ne savait pas comment le Dr Sheard en était arrivé à cet avis puisqu'il ne décrivait pas le traitement prescrit à M. Spawn et ne précisait pas quels symptômes s'étaient atténués. Selon le Dr Rosenberg, un rapport adéquat doit décrire les symptômes et la manière dont ils ont mené directement à la décision de voler. Le rapport ne renferme pas ces renseignements. D'après son expérience, le Dr Rosenberg estime qu'il est rare que le syndrome de stress post-traumatique mène à commettre un vol.

[10]    Le Dr Rosenberg était d'accord avec le diagnostic primaire du psychologue, M. Yorke, selon lequel M. Spawn souffrait de trouble d'humeur majeur déprimé accompagné d'anxiété. Le Dr Rosenberg n'était pas d'accord avec son diagnostic provisoire : [traduction] « Syndrome de stress post-traumatique découlant d'un stress causé par un incident critique ». Dans sa lettre du 12 octobre 2001, M. Yorke mentionne que le traitement a réussi, mais ne précise pas quels symptômes ont été atténués. Dans sa lettre du 12 septembre 2001, M. Yorke ne décrit pas les symptômes et ne propose pas de diagnostic.

[11]    Le Dr Rosenberg n'était pas d'accord avec la conclusion du rapport du Dr Munshi (pièce E-3(g)). Ce que le Dr Munshi décrit comme des symptômes associés au syndrome de stress post-traumatique manifestés par M. Spawn est plus typique de la dépression majeure.

[12]    Le Dr Rosenberg a déclaré qu'il n'était pas inhabituel que des personnes souffrant de dépression fassent preuve de manque de jugement. Lorsque M. Spawn a volé l'essence, il a évalué ses choix; il savait qu'il était mal de prendre l'essence, il a choisi un plan d'action expéditif, il a fait preuve de manque de jugement. Les personnes souffrant de dépression ne volent pas nécessairement.

[13]    En ce qui a trait à une rechute, le Dr Rosenberg a déclaré que les études épidémiologiques démontraient que chez 60 % des personnes souffrant de dépression, la dépression pouvait réapparaître.

[14]    Lors du contre-interrogatoire, le Dr Rosenberg a réitéré ou clarifié son témoignage. Le Dr Rosenberg n'a pas transmis de copie de son rapport à M. Spawn. Il ne se rappelait pas si M. Spawn avait expressément demandé une copie du rapport.

[15]    Le Dr Rosenberg a déclaré qu'il était commun que des personnes souffrant du syndrome de stress post-traumatique souffrent également de dépression majeure. Le Dr Rosenberg est d'accord avec l'affirmation de M. Yorke, en page 2 de la pièce E-3(d) :

[Traduction]

[...]

Il est possible que la série d'événements survenus avant le vol aient bouleversé M. Spawn de sorte à affecter son jugement et à le rendre confus, ses gestes sont devenus ceux d'une personne ayant des capacités réduites.[...]

[16]    Le Dr Rosenberg a déclaré que, selon son expérience, il existe un lien minime entre le syndrome de stress post-traumatique et la criminalité. Lorsqu'on lui a présenté un document du National Center for Post-Traumatic Stress Syndrome, ministère des Anciens Combattants (pièce G-1), intitulé PTSD and Criminal Behavior, le Dr Rosenberg a fait remarquer que le document portait sur des études menées dans le milieu carcéral et non auprès de l'ensemble de la population.

[17]    M. Tim Reynolds travaille pour Parcs Canada depuis 1976. Il est actuellement directeur du parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, et ce depuis le début des années 90. Il relève de Carol Whitfield, la directrice de l'unité de gestion pour le Cap Breton.

[18]    M. Reynolds a participé à une enquête disciplinaire effectuée le 13 septembre 2001. Étaient présents lors de l'audience d'enquête, avec M. Spawn, son représentant Edward Kennedy, et, pour la partie patronale, avec M. Reynolds, la directrice intérimaire du parc historique, Anne O'Neill, le gestionnaire, Protection des ressources patrimoniales, Sandy McLain, et la gestionnaire, Ressources humaines, pour le Cap Breton, Paulette Budge.

[19]    M. Reynolds a commencé la réunion de la manière habituelle et a déclaré que l'affaire était très grave. Mme Budge a pris des notes lors de la réunion et préparé un rapport (pièce E-4). M. Reynolds affirme que le rapport n'est pas un compte rendu exact de la réunion.

[20]    M. Spawn était très émotif et pleurait beaucoup. Il a expliqué que plusieurs événements s'étaient produits dans sa vie depuis le 1er avril 2000, notamment le décès accidentel d'une jeune fille de son quartier qu'il n'a pas réussi à réanimer. M. Spawn était très bouleversé par cet incident et craignait pour ses enfants. En juillet 2000, M. Spawn a été appelé sur les lieux d'un accident de la route dans lequel un jeune homme qu'il connaissait est mort. Un ami proche et un superviseur qui avait été son confident était également décédé en juillet 2000. En février 2001, sa fille adolescente a quitté le domicile.

[21]    M. Spawn a admis avoir pris l'essence autour de la période où sa fille a quitté la maison, alors qu'il passait beaucoup de temps sur la route afin de tenter de parler à sa fille. Il a admis qu'il a continué pendant tout l'été après qu'elle est retournée à la maison à la condition de pouvoir utiliser la voiture familiale.

[22]    Selon M. Reynolds, M. Spawn a admis avoir pris de l'essence à 20 ou 25 reprises, sans savoir le nombre exact de fois. Tout a commencé après le départ de sa fille, en février, vers la fin de l'hiver. M. Spawn a déclaré qu'il aurait pu prendre de l'essence aussi peu que 10 fois ou autant que 30 fois. Il se rappelait avoir été très malade après coup.

[23]    M. Spawn s'est excusé.

[24]    M. Reynolds a déclaré qu'il avait lui-même pris la décision de rétrograder M. Spawn. Il présidait le comité disciplinaire. Les gestionnaires siégeant au comité étaient présents à l'audience disciplinaire, ainsi que Mme Whitfield, qui avait participé par téléconférence à partir d'Halifax, et un conseiller en relations de travail d'Ottawa.

[25]    Le comité a étudié la situation de M. Spawn qui était très sérieuse et constituait une rupture importante du lien de confiance. Son travail était de protéger les biens de Parcs Canada. Son poste de surveillant consistait à protéger le parc contre l'activité même dont il s'était rendu coupable. Il avait réellement compromis sa capacité d'assumer ses fonctions.

[26]    Le comité a étudié diverses options telles que le licenciement immédiat et la rétrogradation, y compris la possibilité d'une suspension de longue durée. Comme le comité compatissait avec M. Spawn et estimait qu'un renvoi serait inapproprié, il a été décidé de le retirer de son poste de surveillance et de créer un poste d'ouvrier pour la période estivale. M. Reynolds a écrit la lettre à M. Spawn (pièce E-5) qui décrivait les mesures prises. Ces mesures étaient assorties des conditions suivantes : M. Spawn devait recevoir des services d'aide aux employés et rembourser la valeur de l'essence. L'employeur n'a pas reçu le remboursement. Une période de probation de deux ans a été établie; M. Spawn était en congé non payé pendant la première année et a occupé le poste d'ouvrier jardinier pendant la deuxième année.

[27]    M. Reynolds a présenté le rapport d'enquête (pièce E-6) produit par Maritect Investigations and Security Ltd.

[28]    Lors du contre-interrogatoire, M. Reynolds a mentionné qu'il n'était pas présent à la réunion entre M. Spawn et Maritect, mais qu'il avait pris connaissance du rapport avant la réunion disciplinaire du 13 septembre 2001.

[29]    C'est M. Reynolds qui a demandé à M. Spawn de parler des organismes communautaires au sein desquels il oeuvrait; il voulait en savoir plus au sujet de l'homme.

[30]    M. Reynolds savait que M. Spawn n'avait pas fait l'objet de mesures disciplinaires par le passé et a pris en compte le fait qu'il était un bon employé. M. Reynolds ne se rappelle pas avoir lu l'évaluation de rendement de M. Spawn, mais il avait sa description de travail en main et le gestionnaire responsable des services de surveillance avait participé au processus décisionnel.

[31]    M. Reynolds savait que M. Spawn devait remplir les véhicules d'essence dans le cadre de ses fonctions. M. Reynolds ne savait pas qu'une personne patrouillant à l'extérieur stationnerait dans l'enceinte.

[32]    M. Spawn avait donné à M. Reynolds la permission de parler à son conseiller. M. Reynolds n'avait pas parlé directement à M. Yorke; le gestionnaire, Ressources humaines, l'avait fait. Le seul document médical dont M. Reynolds disposait au moment de la décision était la note écrite à la main par M. Yorke (pièce E-3(f)).

[33]    M. Reynolds a indiqué que la décision du comité n'était pas unanime. La majorité des membres du comité se sont prononcés en faveur de la rétrogradation de M. Spawn. Le comité était composé de quatre personnes qui ont rencontré M. Spawn, le 13 septembre 2001 (M. Reynolds, Mme Anne O'Neill, Sandy McLain et Mme Paulette Budge), ainsi que de deux agents des relations de travail, Guy Lauze d'Ottawa et Brenda Henn d'Halifax, et de Mme Carol Whitfield, également d'Halifax à ce moment.

[34]    M. McLain était le gestionnaire qui était mécontent de la décision. Il connaissait M. Spawn et estimait que la mesure disciplinaire était trop sévère. Il a recommandé une suspension. M. Reynolds ne se rappelle pas de la durée de la suspension recommandée, ni du commentaire précis de M. McLain.

[35]    M. Reynolds ne s'est pas penché sur la condition du remboursement. Cela relevait de Mme Whitfield et de la direction de la Forteresse-de-Louisbourg. Aucune estimation de la valeur devant être recouvrée par l'employeur n'a été faite.

[36]    M. Reynolds a affirmé que lui-même et le comité avaient tenu compte du stress important que M. Spawn avait subi. Il n'a pas tenu compte du fait que le jugement de M. Spawn était affecté par la maladie car il ne connaissait pas l'existence de la maladie alors, mais seulement l'existence de situations très stressantes.

[37]    Mme Whitfield est au service de Parcs Canada depuis 1968 et est directrice de l'unité de gestion du Cap Breton depuis mai 1998. Elle est essentiellement responsable de l'ensemble des parcs de Cap Breton et gère cinq sites historiques nationaux. Elle assure également la supervision des parcs nationaux des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, par l'entremise de M. Reynolds. Mme Whitfield est responsable de toutes les activités de Parcs Canada dans l'Île du Cap Breton et la partie continentale nord de la Nouvelle-Écosse. Son bureau est situé au site historique du Canada de la Forteresse-de-Louisbourg.

[38]    Mme Whitfield a décrit le site Louisbourg et son organisation. Elle a expliqué que dans l'enceinte se trouvaient des immeubles administratifs, divers ateliers de métier, une bibliothèque, des magasins, des laboratoires de restauration et une énorme collection d'artefacts archéologiques. Dans le plan d'activités, les ressources matérielles, essentiellement des immeubles, sont évaluées à 156 millions de dollars. On y compte cinq millions d'artefacts de valeur inestimable dégagés par les archéologues et 15 000 antiquités et reproductions. La valeur de remplacement des antiquités achetées en France dans les années 60 et au début des années 70 est évaluée entre 8 et 10 millions de dollars.

[39]    M. Spawn oeuvrait au sein du groupe des pompiers/surveillants qui assure la sécurité 24 heures sur 24 pendant toute l'année. Il y a un minimum de deux pompiers/surveillants en fonction en tout temps. Les postes ont été créés initialement pour assurer une protection contre les vols et les intrusions, mais à la suite d'un incendie dans les années 70, deux camions de pompier ont été achetés et le personnel de surveillance a reçu une formation pour lutter contre les incendies de bâtiments. Les employés responsables de la protection contre les incendies et de la surveillance est la première équipe d'intervention en cas d'incendie; l'un d'eux demeure assis à surveiller un tableau, alors que l'autre assume les autres fonctions. Au cours de l'été, ils fournissent les premiers soins au public et s'acquittent de diverses autres fonctions, ce qui comprend la vérification de l'équipement de lutte contre les incendies et la formation du personnel en matière de premiers soins. Ils assurent un service de répartition pour les gardiens des parcs nationaux des Hautes-Terres-du-Cap-Breton et font des dépôts bancaires des produits des entrées pendant l'été.

[40]    Le personnel de lutte contre les incendies/surveillance relève des gardiens, qui sont deux à Louisbourg. Un gardien travaille normalement pendant la journée, cinq jours par semaine. Il peut se passer beaucoup de temps entre les occasions où le gardien et le surveillant travaillent en même temps, en raison du roulement.

[41]    La direction ne connaissait pas les problèmes de M. Spawn parce qu'il n'en avait parlé à personne. À au moins deux occasions, le gestionnaire responsable de M. Spawn lui a demandé comment il allait, et M. Spawn avait répondu que tout allait bien.

[42]    Mme Whitfield savait, d'après une lettre écrite par la gardienne Lee Anne Reeves, que M. Spawn avait dit à celle-ci avoir participé à une séance d'intervention en cas de crise à la suite du décès de Devon Fudge, le jeune homme victime d'un accident de la route.

[43]    Mme Whitfield a présenté la description de travail de M. Spawn à titre de pompier/surveillant GS-PRC-06 (pièce E-7). Cet emploi nécessite une attention soutenue et une capacité de réagir rapidement en situations d'urgence. Il exige aussi de patrouiller seul la nuit. Ce poste est confronté à divers facteurs de stress. Il donne également accès à tous les bâtiments et à tous les biens. Le surveillant fonctionne seul, sans supervision. Il fait l'objet d'un niveau élevé de confiance.

[44]    Mme Whitfield a présenté la description du poste d'ouvrier jardinier (pièce E-8). Ce poste relève normalement d'un contremaître qui travaille les mêmes heures que le titulaire. Ce dernier n'a pas habituellement accès à tous les bâtiments et, lorsque c'est le cas, les bâtiments sont normalement occupés. Il est investi d'un certain niveau de confiance, mais rien de comparable au surveillant.

[45]    La décision ultime de rétrograder M. Spawn a été prise par M. Reynolds, mais Mme Whitfield a participé activement à l'audience disciplinaire par téléconférence.

[46]    Avant la téléconférence, Mme Whitfield avait communiqué avec Tom Meagher, gestionnaire des biens de Louisbourg, pour lui demander s'il avait des postes vacants pour lesquels M. Spawn serait qualifié. Il a déclaré qu'aucun poste n'était vacant et qu'il ne prévoyait aucune ouverture. La deuxième question était de savoir s'il y aurait du travail pour lui et pendant quelle partie de la saison, si Mme Whitfield devait proposer une rétrogradation disciplinaire au niveau d'ouvrier jardinier. M. Meagher a indiqué qu'il avait du travail, mais pas le budget nécessaire.

[47]    Il existe plusieurs postes saisonniers pour ouvrier jardinier, mais seul un poste GL-ELE-3 est occupé pendant toute l'année et ce dernier assure également le déneigement en hiver. Il y a aussi des menuisiers, des peintres et autres gens de métiers, certains travaillent pendant toute l'année, d'autres en saison.

[48]    Les facteurs dont Mme Whitfield a tenu compte relativement à la rétrogradation disciplinaire étaient le niveau de confiance requis et les postes disponibles. Mme Whitfield était consciente du fait qu'il n'y avait pas eu seulement un incident de vol, mais bien une série de vols échelonnés sur une longue période, certains captés sur vidéocassette. Mme Whitfield connaissait aussi la bonne réputation dont jouissait M. Spawn avant ces événements.

[49]    Un an avant l'incident, M. McLain avait demandé à Mme Whitfield de réviser la durée de la saison pour le poste de M. Spawn. Bien qu'il s'agissait d'un poste de pompier/surveillant de durée indéterminée/saisonnier, M. Spawn avait bénéficié d'un service prolongé pendant toute l'année en raison notamment des congés d'autres employés. M. Spawn comptait plus de 10 ans de service. Au cours de l'été 2000, il a été désigné employé à temps plein à l'année pour une durée indéterminée. M. McLain avait une bonne opinion de M. Spawn.

[50]    Mme Whitfield a écouté attentivement ceux qui étaient présents à l'audience disciplinaire et a lu le rapport de l'audience (pièce E-4). Il ressortait clairement que la personne visée était sous l'effet d'une pression et d'un stress énormes; c'est pourquoi elle a envisagé de proposer une solution autre que le licenciement. C'est au cours de la téléconférence qu'elle a proposé la création d'un poste supplémentaire d'ouvrier de niveau ELE-3, pendant une période de 20 semaines, pour M. Spawn.

[51]    Mme Whitfield a indiqué que M. Spawn n'avait pas encore remboursé la valeur de l'essence prise.

[52]    Lors du contre-interrogatoire, Mme Whitfield a affirmé que M. McLain avait, à deux reprises, tenté de savoir comment M. Spawn composait avec les décès accidentels de Christine Kennedy et Devon Fudge. M. Spawn n'a pas révélé à Mme Reeves ou à M. McLain qu'il avait besoin de soutien.

[53]    Mme Whitfield se rappelait avoir discuté de M. Spawn et des vols avec M. McLain en août 2001. Elle ne se souvenait pas de la date exacte. Elle était à Halifax en formation linguistique du 1er août au 21 septembre 2001. La conversation a porté essentiellement sur la punition qui devrait être imposée. M. McLain croyait qu'on devrait suspendre M. Spawn pendant une durée prolongée et lui permettre de retourner ensuite à son poste de pompier/surveillant. Mme Whitfield avait discuté avec des agents des relations de travail au sujet de la rupture du lien de confiance dans le cas d'un surveillant, et elle avait informé M. McLain que l'évaluation préliminaire pointait dans la direction d'un congédiement immédiat. Leurs discussions visaient à déterminer si la mesure disciplinaire imposée devrait être un licenciement ou une suspension.

[54]    Mme Whitfield a trouvé étrange la position de M. McLain était donné que, dans le cas d'un autre incident de vol, Mme Reeves lui avait assuré qu'aucun surveillant ne volerait parce qu'ils savaient tous que cela signifierait la fin de leur emploi, voire même des emplois de tous les surveillants qui pourraient être donnés à contrat. Ces propos ont été tenus après le vol de fournitures à la suite d'une fête du personnel bénévole.

[55]    Mme Whitfield a pris connaissance du vol d'essence pour la première fois tard en juin, lorsque le gestionnaire des biens, Tom Meagher, lui a révélé qu'au moins 400 litres d'essence avaient été volés. Il n'avait aucune idée qui aurait pu commettre le vol ou comment.

[56]    Afin d'accéder à l'essence, il faut une clé pour allumer la pompe. La clé est codée. Chaque porte-clés contient la clé d'un véhicule et d'une pompe à essence. La pompe prend en note le code de la clé utilisée. M. Meagher reçoit un rapport périodique de la quantité d'essence utilisée par les menuisiers, par les gardiens, etc. Le système est fondé sur une réparation des coûts; dans certains cas la clé est unique, dans d'autres, la même clé se retrouve sur plusieurs porte-clés.

[57]    Selon Mme Whitfield, l'information n'indique pas nécessairement quel véhicule a été utilisé. Par exemple, deux véhicules de gardien ont la même clé pour l'essence. Cependant, le vol a été découvert parce que la clé utilisée pour obtenir de l'essence était unique à un véhicule qui ne servait plus. L'ancien camion du superviseur de l'entretien n'avait pas fonctionné depuis le 31 mars 2001, en attendant qu'on en dispose à titre de biens de la Couronne. Bien que ce véhicule n'ait pas servi après le 1er avril 2001, le relevé de la pompe à essence indiquait que plus de 400 litres avaient été déversés dans son réservoir. L'enquête a révélé que la personne utilisant la clé était M. T.T.; plus d'une personne volait de l'essence.

[58]    À la suite de la conversation de juin avec M. Meagher, Mme Whitfield a demandé au contremaître responsable des services, Danny Baldwin, de placer une caméra vidéo afin de surveiller la pompe à essence dans l'enceinte fermée à clé. La caméra a été installée au début juillet. Le 23 juillet 2001, Mme Whitfield a visionné les vidéocassettes en compagnie de MM. Baldwin et Meagher. Les vidéocassettes avaient clairement capté les vols commis les 14 et 23 juillet. Après avoir visionné trame par trame quatre extraits, ils étaient certains d'avoir affaire à trois ou quatre voleurs. Au moins un voleur était un surveillant en uniforme; Mme Whitfield n'était pas certaine qu'il s'agissait de M. Spawn. M. Eugene Taylor, le gardien qui supervisait les surveillants, a fourni l'horaire de travail des surveillants.

[59]    En sa qualité de superviseur, contrairement à son rôle d'agent de la paix à titre de gardien, M. Taylor a été appelé à visionner les vidéocassettes. Il a été possible d'établir que trois véhicules non gouvernementaux étaient en cause. En regardant les enjoliveurs et le modèle des véhicules, conjointement avec l'horaire de travail, il a été établi qu'un des véhicules pourrait être celui de John Spawn. Ce dernier était en fonction pendant la période de 10 h à minuit au cours de laquelle les photos ont été prises. Lorsque M. Spawn est entré au travail en après-midi, ils ont jeté un coup d'oeil à son véhicule et ont convenu qu'il correspondait à l'un des véhicules apparaissant sur la cassette.

[60]    Mme Whitfield voulait avoir une meilleure preuve concernant M. Spawn et voulait identifier les autres voleurs, alors elle a demandé à M. Baldwin d'installer une caméra de meilleure qualité. Outre l'acquisition d'une meilleure caméra, la direction a décidé de charger Maritect Investigations de mener une enquête. Ils ont changé la caméra et employé du personnel de surveillance. Ils ont appris que M. T.T. avait l'habitude de voler de l'essence le dimanche soir. Pendant la fin de semaine de la fête du Travail, Maritect a posté du personnel de surveillance; ils n'ont surpris personne. Ils ont continué le dimanche suivant et ont pris sur le fait M. C.B., un ouvrier dont le poste d'attache était au niveau ELE-3 et qui occupait un poste de surveillant PRC-4 à titre intérimaire pendant une période de probation. Ce poste est visé par une possibilité de formation pour accéder aux postes de pompier/surveillant.

[61]    Par conséquent, M. C.B. a été replacé dans son poste d'attache avec une suspension. Mme Whitfield croit que la suspension était de deux semaines. Le poste ELE-3 de M. C.B. est un poste d'une durée indéterminée de 12 mois.

[62]    M. T.T. n'a pas été pris sur le fait, mais les cassettes révélaient que M. T.T. avait été surpris de voir M. Spawn entrer pour voler de l'essence. M. T.T. avait rapidement sauté dans sa voiture sans allumer les phares et s'était rendu à l'arrière de l'enceinte. Lorsque M. Spawn a quitté après avoir volé de l'essence, M. T.T. est retourné pour terminer de faire le plein de son réservoir et de son bidon, puis est parti. Mme Whitfield croyait que M. T.T. avait eu une telle frousse qu'il déciderait de ne plus le refaire. M. T.T. était un pompier/surveillant en congé d'invalidité. Il a aussi été rétrogradé à un deuxième poste de ELE-3. Alors qu'il percevrait des prestations d'assurance-invalidité, M. T.T. a signé des documents de retraite pour raisons médicales. Parce que M. T.T. recevait des prestations d'assurance-invalidité, la mesure disciplinaire prise contre lui ne pouvait pas s'appliquer à son salaire. S'il était retourné au travail, son salaire aurait été réduit à celui de ELE-3.

[63]    Mme Whitfield trouvait que ces trois affaires de vol étaient compliquées : l'une des personnes étaient en congé d'invalidité et l'autre occupait un poste intérimaire. Anne O'Neill a suspendu les trois individus le 10 septembre 2001. La lettre de suspension de M. Spawn a été produite comme pièce G-3.

[64]    Mme Whitfield n'a pas parlé au fonctionnaire s'estimant lésé au sujet de l'incident avant le printemps 2003.

[65]    Selon l'évaluation faite par Mme Whitfield de la rupture du lien de confiance et selon les discussions avec les spécialistes des relations de travail, tout portait à croire que le renvoi était la norme dans des situations aussi graves. Après avoir écouté M. McLain et avoir lu les rapports disciplinaires de Mme Budge, elle a envisagé une option autre que le renvoi complet. Elle a tenu compte du stress important vécu par M. Spawn et des douleurs de M. T.T. en raison de son invalidité. Les deux personnes avaient commis des vols pendant une longue période. Dans le cas de M. C.B., il s'agissait d'un incident unique. Il était arrivé au travail sans avoir assez d'essence pour retourner à son domicile à Sydney. Mme Whitfield ne savait pas de manière certaine quel était le quart de travail de M. C.B. et si le poste d'essence de Louisbourg était fermé lorsqu'il a quitté. Il y a trois postes d'essence entre Louisbourg et Sydney.

[66]    Mme Whitfield a participé à deux conférences téléphoniques, l'une le 13 septembre 2001, après les audiences disciplinaires, et l'autre dans l'après-midi du 14 septembre 2001. Elle a eu un compte rendu de ce qui s'était passé pendant les trois audiences disciplinaires. En l'absence de Mme Whitfield, M. Reynolds agit comme directeur intérimaire de l'unité de gestion, et Mme O'Neill avait alors agi comme directrice des sites historiques de Louisbourg. Deux personnes remplacent Mme Whitfield quand elle est absente. Le 13 septembre 2001, Mme Whitfield a entendu parler du stress que vivait M. Spawn, ce qui influencé sa manière de penser. Elle a pris en compte le fait qu'il avait un bon dossier et qu'il comptait quelque 12 ans de service.

[67]    Lorsqu'elle a pris sa décision en septembre 2001, Mme Whitfield n'avait pas à sa disposition le rapport du Dr Rosenberg, daté du 22 octobre 2002 (pièce E-2), dans lequel il explique que la maladie de M. Spawn aurait pu affecter son jugement. Mme Whitfield savait que M. Spawn vivait des pressions énormes. Cependant, elle n'avait pas compris qu'il s'agissait d'une maladie et de ce fait ne pouvait pas se demander s'il lui était possible de guérir ou non. Elle étudiait le cas d'une personne qui, lorsqu'elle était confrontée à des situations stressantes dans sa vie, faisait preuve d'un manque de jugement et volait. Mme Whitfield estimait que, compte tenu des biens devant être protégés et de la confiance dont devaient être investis les pompiers/surveillants, elle ne pouvait pas maintenir M. Spawn à un poste au sein duquel, s'il était confronté à des situations stressantes, il risquerait de faire preuve d'un manque de jugement. Le groupe a discuté de l'opinion de Mme Whitfield et a pris une décision ensemble. M. Reynolds était d'accord avec la décision.

[68]    Lorsqu'on a demandé à Mme Whitfield si le fait que la maladie de M. Spawn pouvait être corrigée avait été tenu en compte, elle a répondu que les gestionnaires n'ont pas de connaissances médicales et qu'ils n'ont pas traité de l'affaire sous cet angle pour prendre la décision de rétrograder le fonctionnaire s'estimant lésé.

[69]    Mme Whitfield a signé la lettre adressée à M. Spawn lui demandant de se rendre chez le Dr Rosenberg. Cette demande a été faite à la suite de l'audience au deuxième palier de la procédure de règlement du grief de M. Spawn. L'agent négociateur avait alors fait valoir le syndrome de stress post-traumatique comme motif. Mme Whitfield n'était pas présente à cette audience; c'est à la suite de l'audience que le besoin de confirmer ce diagnostic s'est fait sentir. Elle devait communiquer avec le Dr Rosenberg, dont le nom lui avait été donné. Mme Sheedy, directrice générale de l'Est du Canada, attendrait d'obtenir le rapport du Dr Rosenberg avant de répondre au grief.

[70]    Mme Whitfield se rappelle que M. McLain lui aivait dit qu'il avait confiance en M. Spawn, lorsque la question de la confiance a été soulevée au cours de leurs conversations. M. McLain était gestionnaire de la protection des ressources patrimoniales. À l'époque, les surveillants étaient sous sa direction; par la suite, ils ont été placés sous la direction d'Anne O'Neill, gestionnaire de la mise en valeur du patrimoine et des services aux visiteurs. Le changement s'est produit à l'automne 2002.

[71]    Lors du réinterrogatoire, Mme Whitfield a indiqué que MM. Spawn et T.T. avaient été tous deux rétrogradés à des postes saisonniers de niveau ELE-3. Les deux individus avaient volé pendant une période prolongée, en remplissant non seulement le réservoir de leur véhicule d'essence, mais également des bidons. M. T.T. n'avait pas été congédié en raison de circonstances atténuantes; il souffrait de douleurs atroces et il avait des problèmes financiers.

[72]    Contrairement aux deux autres, M. C.B. n'avait volé qu'à une seule occasion; ses dettes de jeu lui avaient causé des problèmes financiers et il avait en sus un problème d'alcool. Mme Whitfield ne se rappelle pas de ses états de service. Les trois employés étaient entrés en poste avant son arrivée, en 1998, et Mme Whitfield croyait qu'ils avaient tous commencé au début des années 90.

[73]    Mme Whitfield n'a pas d'estimation du montant que M. Spawn doit rembourser. L'estimation du montant que M. T.T. devait payer a été calculé récemment parce qu'il voulait prendre sa retraite. Ce montant s'élevait entre 800 $ et 1 000 $.

[74]    Mme Whitfield a produit l'organigramme de l'unité de gestion du Cap Breton comme pièce E-9 et a donné une explication.

[75]    M. Spawn a appelé six témoins : le psychologue Wayne M. Yorke, le psychiatre Paul Sheard, Mme Lee Anne Reeves, M. Eugene Taylor, M. Alexander (Sandy) McLain et lui-même.

[76]    M. Wayne M. Yorke, M.A., C.A.G.S. est psychologue agréé depuis 1980 ou 1981 environ. Il pratique en Nouvelle-Écosse depuis 1973. Il est chercheur en psychologie depuis 1999. Les parties conviennent que M. Yorke est un expert du domaine de la psychologie.

[77]    M. Yorke a rencontré M. Spawn pour la première fois autour du 12 septembre 2001, et le traite depuis cette date. M. Yorke a identifié ses lettres du 12 septembre 2000, pièce E-3(f), du 12 octobre 2001, pièce E-3(d) et du 8 avril 2003, pièce E-3(e).

[78]    Lorsque M. Spawn est venu le voir, il manifestait des symptômes de dépression et d'anxiété modérée à élevée. Il avait les nerfs à vif, pleurait et avait des pensées confuses. Comme il est normal dans ces cas, M. Yorke a recommandé à M. Spawn de consulter un médecin pour éliminer les possibilités de malaise ou de maladie.

[79]    Le 20 septembre 2001, le Dr Buhariwalla a référé M. Spawn à M. Yorke parce qu'il souffrait du syndrome de stress post-traumatique. Le diagnostic primaire du M. Yorke était A) un trouble de l'humeur majeur déprimé avec anxiété et B) le diagnostic provisoire, un syndrome de stress post-traumatique découlant d'un stress causé par un incident critique. Le diagnostic provisoire devait faire l'objet d'une enquête plus approfondie. L'enquête a permis de confirmer le diagnostic avec mention que l'affection était aiguë et non chronique, signifiant ainsi une durée de trois à six mois à compter du début du traitement.

[80]    Selon M. Yorke, le pronostic était très favorable. M. Spawn est allé au-delà de son traitement et suit bien le programme. Ce traitement est continu pour éviter le déclenchement potentiel d'événements et les rechutes.

[81]    M. Yorke estime qu'il existe un lien entre le syndrome de stress post-traumatique et le vol d'essence commis par M. Spawn parce que le syndrome de stress post-traumatique entraîne des comportements inappropriés. La réaction aux symptômes varie d'une personne à une autre. Le jugement est affecté en raison d'un état mental confus. L'engourdissement de l'affect, l'incertitude et la confusion réduisent la capacité de juger.

[82]    M. Yorke a déclaré qu'au cours du traitement, rien ne permettait, d'après leurs conversations, de croire que M. Spawn avait la mentalité d'un criminel. Compte tenu du dossier personnel de M. Spawn et de sa participation dans la communauté où il était un citoyen respecté ne présentant pas d'attitude criminelle, il est cliniquement hautement improbable que M. Spawn commette de tels actes à nouveau. D'après les renseignements révélés par M. Spawn au cours des séances de thérapie et d'après l'évaluation faite par M. Yorke de son système de valeur, M. Yorke estime qu'il est peu probable que M. Spawn récidive.

[83]    Lors du contre-interrogatoire, M. Yorke a indiqué qu'il n'avait rencontré M. Spawn qu'une seule fois, lorsqu'il a rédigé la lettre du 12 septembre 2001, à la suite d'une visite initiale, le 5 ou 6 septembre 2001. M. Yorke ne se rappelle pas exactement la date de la première rencontre. À la fin de l'entrevue, le 12 septembre 2001, M. Spawn a demandé une note à Mme O'Neill afin de confirmer qu'il avait consulté M. Yorke et qu'il tentait de régler ses problèmes.

[84]    M. Yorke ne connaissait pas M. Spawn auparavant, et la première entrevue a duré près d'une heure. M. Yorke a rédigé sa note du 12 septembre 2001 (pièce E-3(f)) en se fondant sur l'information donnée par M. Spawn.

[85]    Selon M. Yorke, il est très possible que la série de vols, de février à septembre 2001, aient été causés par l'état mental de M. Spawn. Ce dernier comprenait la différence entre le bien et le mal. M. Yorke a déclaré : [traduction] « Je dirais qu'il pensait que c'était correct tout en sachant bien, tout ce temps, la différence entre le bien et le mal; ce n'était pas un acte impulsif ». Il était dans un état de confusion qui correspond au syndrome de stress post-traumatique.

[86]    Le Dr Paul Mackenzie Sheard, F.R.C.P. (C), est un psychiatre actif depuis 1984. Les parties conviennent que le Dr Sheard est un expert dans son domaine.

[87]    Le Dr Sheard a rencontré M. Spawn pour la première fois le 21 janvier 2003 après avoir été référé par le Dr Buhariwalla. M. Spawn a été référé au Dr Sheard pour obtenir un traitement continu; il avait besoin de plus de soutien et d'une révision de sa médication. Le Dr Buhariwalla avait prescrit des antidépresseurs à M. Spawn afin de bloquer les retours en arrière, médicament normalement utilisé pour traiter le syndrome de stress post-traumatique. Le médicament convenait entièrement; le Dr Sheard a augmenté légèrement la dose, soit de 100 mg à 150 mg, et a fixé six autres rencontres afin de discuter davantage. Au cours des trois ou quatre derniers mois, le médicament a été réduit à 50 mg.

[88]    Le diagnostic du Dr Sheard, produit comme pièce E-3(b), est que M. Spawn souffrait du syndrome de stress post-traumatique. Le Dr Sheard a décrit les symptômes et les raisons de son diagnostic. Le Dr Sheard a déclaré que tous les autres symptômes de dépression et d'anxiété que manifestait M. Spawn pouvaient être associés à ce syndrome.

[89]    Le Dr Sheard a déclaré que l'état de M. Spawn s'était grandement amélioré et qu'il était confiant que l'amélioration se poursuivrait. Le Dr Sheard a indiqué que M. Spawn avait été confronté à des situations qui pouvaient être considérées comme menaçantes et qu'il poursuivrait son travail de pompier volontaire. Le Dr Sheard était très confiant que M. Spawn puisse cesser de prendre des médicaments et reprendre sa vie comme avant le traumatisme.

[90]    Le Dr Sheard estime que le risque de récidive est nul. Son opinion prend appui sur les antécédents de M. Spawn et sur le fait que l'instabilité émotionnelle associée aux vols avait déjà été réglée. Le Dr Sheard a ajouté qu'une fois que les vols étaient connus et que M. Spawn avait confessé ses vols, une entrave majeure à la guérison avait été dissipée. Le Dr Sheard a expliqué que la confession de tous les vols démontre que M. Spawn n'avait pas un esprit criminel; les criminels ne confessent que le strict minimum; ils savent que plus ils confessent de crimes, plus les punitions sont graves.

[91]    Lors du contre-interrogatoire, le Dr Sheard a déclaré ne pas avoir noté le nombre de vols et la période au cours de laquelle ils sont survenus, mais il croyait qu'il y avait eu 40 ou 50 vols, sur une période de trois mois.

[92]    Le Dr Sheard a rédigé la lettre du 12 février 2003 pour aider l'avocat de M. Spawn dans cette affaire. Lors de leur première rencontre, M. Spawn n'était pas entièrement rétabli, mais il était apte à retourner à son poste original quand la lettre a été écrite, le 12 février 2003.

[93]    Mme Lee Anne Reeves occupe le poste de gardienne de parc principale de la Forteresse-de-Louisbourg depuis 1992. Mme Reeves était superviseure des surveillants en l'absence de Doug Perrault, de 1996 à 2000, et superviseure principale de mars 2000 à novembre 2000, puis elle est revenue à son poste de superviseure secondaire.

[94]    Mme Reeves a supervisé M. Spawn et trouvait qu'il était un très bon employé qui travaillait de manière efficace et était disposé à relever de nouveaux défis.

[95]    Mme Reeves a rédigé une lettre, le 16 octobre 2001 (pièce G-4); lettre à laquelle elle a joint une lettre de référence rédigée le 15 juillet 2000 (pièce G-5). Mme Reeves a suivi le cours de réanimation cardio-respiratoire et de premiers soins donné par M. Spawn.

[96]    Mme Reeves savait que M. Spawn souffrait d'un traumatisme quelconque à la suite du décès accidentel d'une jeune fille survenu sur un terrain appartenant à Parcs Canada dans le quartier résidentiel où demeurait M. Spawn. Le comportement de M. Spawn était inchangé en apparence, mais il pensait à la jeune fille et à son collègue qui avait assisté à la scène depuis le service des pompiers volontaires. Lorsqu'on lui demandait comment il se sentait, M. Spawn détournait la conversation vers son collègue pompier volontaire. Mme Reeves croit que M. Spawn a assisté à une séance d'intervention en cas de crise offerte par le service des incendies à la suite de l'accident de Christine Kennedy.

[97]    Mme Reeves ferait confiance à M. Spawn advenant que son programme de traitement porte fruit.

[98]    Lors du contre-interrogatoire, Mme Reeves a précisé qu'elle avait discuté de l'accident de Christine Kennedy avec M. Spawn dans les jours suivant l'accident. Il est normal de voir des surveillants aller et venir dans le bureau du gardien. C'est à une de ces occasions qu'ils ont discuté.

[99]    Si M. Spawn avait des préoccupations, il aurait pu en faire part à Mme Reeves. De mai à la mi-octobre 2001, Mme Reeves a été affecté à un autre parc. De février à mai 2001, elle occupait le poste de superviseure secondaire. Les gardiens travaillent cinq jours par semaine, normalement de 8 h à 16 h. L'horaire varie selon les saisons; pendant certaines périodes les gardiens travaillent en soirée, mais à d'autres périodes aucun gardien n'est présent à ces heures. La Forteresse-de-Louisbourg ne compte que deux gardiens. Eugene Taylor était le superviseur principal.

[100]    Mme Reeves a indiqué que le Programme d'aide aux employés est disponible au travail et qu'il est bien connu.

[101]    M. Eugene Taylor est gardien supérieur à Parcs Canada et il est basé à la Forteresse-de-Louisbourg depuis l'automne 2000. M. Taylor travaillait au parc des Hautes-Terres-du-Cap-Breton depuis juin ou juillet 1998.

[102]    M. Taylor a supervisé M. Spawn et le personnel de surveillance à compter de l'automne 2000, et il supervise toujours le personnel de surveillance. Il a déclaré que M. Spawn était un bon employé, qu'il était consciencieux, qu'il effectuait bien son travail et qu'il faisait preuve d'initiative en ce qui avait trait à l'atteinte de ses buts et à l'exécution des tâches assignées. M. Taylor estimait que, dans un groupe de 13 ou 14, M. Spawn comptait parmi les deux ou trois employés sur lesquels il pouvait compter le plus pour voir à ce que l'équipement soit entretenu correctement et fonctionne bien tous les jours.

[103]    M. Taylor n'a rien remarqué d'anormal dans le comportement de M. Spawn avant l'enquête de Maritect, le 10 septembre 2001.

[104]    M. Sandy McLain avait été absent en congé de maladie la majeure partie de l'été 2001. M. Spawn posait plus de questions au sujet de M. McLain que les autres. M. Taylor a reconnu une note qu'il a écrite à cet égard le 31 juillet 2002 (pièce G-6).

[105]    M. Spawn ne paraissait pas déshonnête aux yeux de M. Taylor. Ce dernier trouve plutôt qu'il n'était pas dans sa nature d'agir ainsi et que, si M. Spawn était suivi par un médecin, il n'hésiterait aucunement à lui faire confiance de nouveau.

[106]    Lors du contre-interrogatoire, M. Taylor a affirmé qu'il n'avait pas de contact quotidien avec le personnel de surveillance. Il voyait M. Spawn deux ou trois fois par semaine pour discuter des buts, de la formation et d'autres choses. M. Taylor a confirmé que les pompiers/surveillants exécutent leurs tâches sans grande supervision.

[107]    Entre février et septembre 2001, M. Taylor n'a rien remarqué qui aurait pu lui faire douter du jugement exercé par M. Spawn. Il a été très surpris de ce qu'il a appris quand les incidents ont été dévoilés.

[108]    M. Alexander (Sandy) Gilford McLain travaillait à Parcs Canada depuis juin 1968 quand il a pris sa retraite, le 28 novembre 2003. M. McLain est devenu gardien de parc en chef à la Forteresse-de-Louisbourg en juin 1990. Son rôle a changé de sorte à inclure le parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, et il est devenu gestionnaire de la protection des ressources patrimoniales pour l'unité de gestion du Cap Breton en mai 1997; il a ensuite été assigné au centre de service d'Halifax en mai 2002 jusqu'à sa retraite.

[109]    M. McLain est devenu le gestionnaire de M. Spawn lorsqu'il s'est joint à la Forteresse-de-Louisbourg au début des années 90 et il l'était toujours jusqu'à la rétrogradation de M. Spawn. M. McLain n'a pas supervisé M. Spawn directement. M. McLain a reconnu l'évaluation de rendement de M. Spawn pour 1999/2000 (pièce G-2) dans laquelle il agissait comme agent de révision. L'évaluation de rendement était entièrement satisfaisante. M. McLain aurait personnellement coté le rendement de M. Spawn comme étant supérieur. M. Spawn faisait preuve de leadership, il se portait volontaire pour les tâches additionnelles et il était agréable avec les visiteurs et les autres employés.

[110]    M. McLain n'était pas en fonction du 15 juin au 18 octobre 2001. Bien que résidant à Ingonish, M. McLain passait la majeure partie du temps à sa ferme de Lawrencetown dans la vallée d'Annapolis, à 582 kilomètres de Sydney.

[111]    M. McLain a d'abord été informé du vol d'essence par Eugene Taylor, vers la fin de juillet 2001. Il se rappelle avoir reçu un appel de Mme Whitfield dans la semaine suivante. M. Taylor lui avait notamment dit que Mme Whitfield voulait lui parler. M. McLain a attendu environ une semaine avant d'appeler le bureau de Mme Whitfield. Elle a appelé M. McLain entre le 6 et le 9 août 2001.

[112]    Mme Whitfield voulait discuter de la situation. Elle a demandé à M. McLain de prendre part au processus disciplinaire au lieu de son remplaçant, étant donné le caractère sensible de l'affaire.

[113]    Mme Whitfield a expliqué les circonstances qu'elle connaissait à ce moment, comment le vol de l'essence avait été dévoilé. Danny Baldwin avait remarqué que 400 litres d'essence avaient été facturés à un véhicule qui n'était pas en service. À la suite de cela, elle avait décidé de faire installer de l'équipement de surveillance. Jusqu'alors, trois ou quatre personnes avaient été filmées en flagrant délit. L'une des personnes identifiées était John Spawn. M. McLain ne se rappelle pas avoir entendu le nom d'aucune autre personne alors. Mme Whitfield a mentionné avoir visionné la vidéocassette avec M. Taylor, le 23 juillet. Comme elle n'avait pas été satisfaite des résultats, elle avait ordonné l'installation de nouvel équipement de surveillance.

[114]    M. McLain a suggéré la possibilité d'alerter le service de police local. Mme Whitfield préférait traiter l'affaire sur un plan « personnel » et non « criminel ». Elle avait l'intention de recueillir la preuve sur vidéocassette et de confronter le ou les individus lorsqu'elle aurait déterminé qui exactement commettait les vols. Ces personnes devraient alors démissionner ou elles seraient congédiées. M. McLain a fait remarquer que, si la police était informée, elle utiliserait peut-être des éléments traceurs pour identifier l'essence. Cette option a été rejetée.

[115]    Lorsque le nom de M. Spawn a été mentionné comme suspect, M. McLain a expliqué à Mme Whitfield qu'il avait parlé à M. Spawn au sujet de sa santé à la suite des incidents qu'il avait vécus. M. McLain avait remarqué des changements dans le comportement de M. Spawn. M. McLain a affirmé que M. Spawn pourrait invoquer ces incidents pour se défendre, si des mesures étaient prises contre lui, étant donné que M. McLain avait cherché à lui parler à la suite de l'accident de Christine Kennedy.

[116]    M. McLain connaissait le syndrome de stress post-traumatique car il avait participé à deux séances d'information au travail sur le sujet. Il avait lu des bulletins de l'employeur et avait discuté de son rôle avec l'infirmière au travail; comme gestionnaire, il serait un des premiers intervenants.

[117]    La première fois que M. McLain a parlé à M. Spawn de la question, il voulait savoir si M. Spawn avait participé à des séances d'intervention en cas de crise. La fois suivante, il lui a demandé comment il se sentait. C'était à l'automne 2000, à la première journée d'un cours de réanimation cardio-respiratoire. La fois suivante, c'était à la réunion de l'unité pour Noë l. La première fois, M. Spawn a répondu de manière énergique qu'il allait bien, mais qu'il était inquiet de son partenaire à cause de l'incident. M. McLain lui a demandé une deuxième fois comment il se sentait, lors d'un cours de premiers soins. M. McLain a fait remarquer que pendant deux jours M. Spawn semblait presque trop énergique, comme s'il avait consommé trop de caféine, alors qu'autour de Noë l 2000, il semblait avoir le moral à plat malgré la bonne humeur de ses collègues.

[118]    M. McLain et Mme Whitfield ont discuté de l'affaire de nouveau au début septembre 2001, lorsqu'elle l'a appelé pour traiter d'autres questions. Elle lui a essentiellement donné un compte rendu de l'enquête.

[119]    Le 10 septembre 2001, M. McLain était dans le bureau lors de la rencontre entre M. Spawn et Maritect. Pendant son congé, M. McLain est retourné à Sydney fréquemment pour rencontrer le chirurgien. Le matin du 10 septembre, M. Taylor lui a demandé de se rendre au bureau de Louisbourg. M. Taylor savait que M. McLain venait à Sydney. M. McLain n'a pas participé à l'entretien. Il a demandé à M. Spawn d'aller dans le bureau où se trouvaient les deux hommes qui voulaient lui parler et il a ensuite quitté le bureau. M. McLain s'est rendu au bureau de Mme O'Neill où on lui a appris que M. Spawn voulait lui parler.

[120]    M. Spawn attendait avec M. Baker de Maritect, qui est parti à l'arrivée de M. McLain. M. Spawn était dans un état très fragile, il s'est excusé à maintes reprises, a dit regretter infiniment ses gestes. Il a parlé de Mme Kennedy, de Devon Fudge et de l'ancien capitaine, Joey Trimms, ainsi que de sa vie à la maison. M. Spawn pouvait plus facilement parler à M. McLain de ses problèmes personnels parce que les deux hommes avaient vécu dans le même quartier de septembre 1991 à septembre 1997. M. McLain le connaissait et il connaissait sa famille et les personnes dont il parlait. M. McLain connaissait la fille qui avait été victime de l'accident depuis qu'elle était petite et il connaissait son père.

[121]    M. McLain a dit à M. Spawn qu'il était déçu et lui a demandé d'obtenir de l'aide en lui donnant le numéro du Programme d'aide aux employés. M. Spawn avait de la difficulté à quitter le bureau et M. McLain a dû lui répéter de retourner à la maison. M. McLain lui a rendu visite le jour suivant et lui a dit que s'il ne consultait pas un thérapeute sous peu, il serait peut-être indiqué de parler à son prête.

[122]    M. McLain était présent lors de l'audience disciplinaire, le 13 septembre 2001. Il était d'accord avec les notes de la pièce E-4. M. McLain a demandé combien de fois M. Spawn avait volé de l'essence. Il n'a pas posé d'autres questions parce que la preuve était concluante et que M. Spawn fournissait l'information sans qu'on ait à lui demander.

[123]    Comme il s'agissait d'un acte criminel, M. McLain voulait savoir l'heure et la date. En cas de récidive, il voulait connaître les paramètres. M. McLain ne savait pas ce que Maritect avait demandé à M. Spawn. Il savait seulement que, lorsque l'enquêteur de Maritect, M. Jamieson, était venu chercher M. McLain, il lui avait dit que M. Spawn avait confessé. M. McLain connaissait l'information fournie par les vidéocassettes.

[124]    Après les rencontres avec les trois individus, M. Spawn, M. T.T. et M. C.B., M. McLain a demandé à Tom Meagher de fournir une estimation de la quantité d'essence volée. Le seul chiffre qu'il a pu donner était 400 litres. Ils ont discuté de la valeur de l'essence. Ils se sont demandé quelle était la valeur parce que le gouvernement payait 50 ¢ ou moins à ce moment. M. McLain voulait connaître la valeur de l'essence volée parce qu'il voulait que l'affaire soit traitée comme des infractions criminelles, ce qui aurait entraîné une déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour un vol de moins de 5 000 $ ou une mise en accusation pour un vol de plus de 5 000 $. D'après l'information recueillie, il semblait s'agir d'un vol mineur qui serait passible d'une amende pour une première infraction.

[125]    Après les audiences disciplinaires, M. Reynolds, Mme Budge, Mme O'Neill et M. McLain ont discuté. M. Reynolds a demandé qu'on lui propose des mesures disciplinaires pouvant être prises. M. McLain a recommandé le remboursement de la valeur de l'essence, une suspension de deux à quatre semaines, ainsi que la poursuite des séances de thérapie comme le recommandait le Dr Yorke dans sa lettre (pièce E-3(f)). Aucune autre recommandation n'a été soumise et celle de M. McLain n'a pas été rejetée. Le groupe avait comme consigne de communiquer avec Mme Whitfield pour tenir une conférence téléphonique. La conversation s'est déroulée essentiellement entre M. Reynolds et Mme Whitfield. Cette dernière a réitéré sa position initiale, c'est-à-dire la démission ou le congédiement. La discussion s'est quelque peu enflammée et Mme Whitfield s'est fait rappelé qu'elle avait chargé le comité de prendre la mesure disciplinaire qui s'imposait et que, si elle voulait dicter la ligne de conduite au comité, elle devrait s'adresser à l'unité de gestion. L'appel s'est terminé et un autre a été fixé au 14 septembre 2001.

[126]    Le 14 septembre 2001, huit personnes ont participé à la conférence téléphonique : Mme Whitfield et Mme Brenda Henn d'Halifax, M. Reynolds, Mme O'Neill et Mme Budge de l'unité de gestion, M. Guy Lauze et une autre personne nommée Keith d'Ottawa et M. McLain de sa résidence à Lawrencetown. L'appel a eu lieu à 14 h, le 14 septembre 2001, et a duré 141 minutes pour M. McLain. Il a été le dernier à se joindre à la téléconférence.

[127]    Plusieurs options, s'étendant de la suspension au congédiement, ont été étudiées. Il a été question des politiques ministérielles. Mme Whitfield a exprimé fermement son opposition à ce que les incidents soient traités comme des infractions criminelles, et elle voulait que toutes les options soient étudiées avant qu'une décision finale soit prise.

[128]    On a demandé à M. McLain s'il ferait toujours confiance aux trois individus ayant commis les vols et il a répondu par l'affirmative. Il a expliqué que, si ces messieurs étaient traités de manière juste et équitable, ils seraient les employés les plus honnêtes que l'employeur puisse avoir à son service parce qu'ils sauraient ne pas avoir droit à une deuxième chance. M. McLain a recommandé des suspensions variant de deux à quatre semaines, la consultation thérapeutique et le remboursement de la valeur de l'essence.

[129]    Des discussions ont suivi concernant différentes options. M. McLain croyait que les mesures disciplinaires devraient être défendables, sinon l'employeur serait en mauvais posture auprès des employés. M. McLain sentait que ses commentaires n'étaient pas accueillis favorablement et qu'ils suscitaient du mécontentement. Il a soutenu que, si on le lui demandait, il répondrait qu'il accordait sa confiance à ces personnes et, après avoir expliqué sa position, il a quitté la conférence téléphonique. Il n'a plus rien entendu jusqu'à son retour au travail à la mi-octobre 2001.

[130]    M. McLain a expliqué la description de travail de M. Spawn (pièce E-7), qu'il avait aidé à rédiger. M. McLain a affirmé que M. C.B. occupait le poste de pompier/surveillant dans le cadre d'une possibilité de perfectionnement. M. C.B. avait été mis en disponibilité de son poste d'attache. En 1999 ou 2000, M. McLain avait fait le nécessaire pour que M. C.B. reprenne du service dans un poste de perfectionnement au sein duquel il serait exposé à moins de stress. Après la formation de trois mois dans un poste de niveau GS-PRC-4, il avait occupé un poste de niveau GS-PRC-6 et ce depuis un an ou plus. M. T.T. avait une longue expérience de la gestion du matériel et devait être mis en disponibilité en 1996 ou 1997. Il a réussi le concours pour un poste de pompier/surveillant.

[131]    M. McLain a déclaré qu'à titre de gardien, il avait participé à quelque 50 à 75 procédures criminelles. Il conseillait également les autres employés sur la manière de traiter les affaires. Selon son expérience, les criminels n'admettaient jamais leurs crimes. Même quand ils étaient pris sur le fait, ils insistaient pour que des preuves soient présentées.

[132]    Pendant toute sa carrière, M. McLain avait été sous l'impression que l'essence était achetée et distribuée pour des véhicules et de l'équipement particuliers et que le coût était établi au kilomètre ou à l'heure et présenté à des fins budgétaires. Le site de Louisbourg est doté d'un système de clés; une clé étant attitrée à chaque véhicule. Les utilisations d'essence pour les petits appareils ou l'équipement d'entretien paysager ou de lutte contre les incendies sont notées dans un registre, et l'information est transmise tous les mois au bureau de gestion du parc automobile. Un préposé au garage ferait le rapprochement entre les lectures des quantités d'essence et les lectures inscrites sur le compteur kilométrique des véhicules, et il établirait un coût au kilomètre ou à l'heure pour les véhicules et l'équipement. M. McLain croyait que l'essence était la seule chose qui était étroitement surveillée.

[133]    M. McLain a expliqué qu'il existait un autre système de clés : la clé d'accès qui fonctionne avec un clavier numérique pour assurer une meilleure sécurité. Ce système a été instauré au début des années 90 lorsque les postes de commissionnaires ont été supprimés. Les claviers numériques ont été installés dans l'enceinte, à l'entrée principale et dans certaines bâtisses. Les surveillants sont dotés d'un code, les gardiens d'un autre, parce que la technologie ne permet pas de faire autrement. Selon M. McLain, les clés pour l'essence sont reliées à l'équipement et les clés d'accès, aux personnes.

[134]    Lors du contre-interrogatoire, M. McLain a affirmé qu'il avait été voisin de M. Spawn pendant quelque temps lorsqu'il demeurait à Louisbourg. Ils ont joué au hockey ensemble huit ou dix fois au cours d'une période de trois ans. Il a été invité à quatre ou cinq fêtes aux domiciles d'amis qu'ils avaient en commun et une fois à la résidence de M. Spawn. Louisbourg est une petite ville de 1 400 ou 1 500 habitants. En 2001, M. McLain vivait à Ingonish où il était basé.

[135]    Pendant la période de février à mai 2001, M. McLain n'avait eu aucune réserve à l'égard du rendement ou du jugement de M. Spawn. Il a remarqué des changements de comportement à trois occasions lors de rencontres avec M. Spawn : la première fois dans la semaine suivant le décès de Mme Kennedy, la deuxième fois lorsqu'il a participé à une formation de premiers soins à l'automne et la troisième fois à la rencontre de Noël 2000.

[136]    M. McLain a indiqué que le Programme d'aide aux employés est bien connu au sein de l'unité de gestion du Cap Breton grâce à l'autoroute de l'information interne disponible à la Forteresse-de-Louisbourg et au parc des Hautes-Terres. Des bulletins accompagnent aussi périodiquement les talons de chèque de paie.

[137]    M. McLain a envisagé la possibilité d'une collusion entre les surveillants puisque personne n'avait été pris. Il a rejeté cette idée parce qu'une personne avait été prise sur le fait et que les deux autres accusés avaient confessé. M. C.B. a admis à M. McLain avoir commis trois vols. Il connaissait le volume volé chaque fois : la première, 10 litres, la deuxième, 10 litres et la troisième (lorsqu'il a été pris), 17 litres. Il conduisait une Neon de Chrysler. M. McLain a parlé aux trois personnes entre le 10 et le 13 septembre 2001. M. Spawn a admis avoir commencé en mars ou avril 2001. M. T.T. avait commencé en janvier 2001. M. T.T. était en congé d'invalidité depuis un accident survenu la veille de Noë l 1999.

[138]    M. McLain a déclaré que M. Reynolds avait pris la décision concernant la rétrogradation, à la suite d'une recommandation de Mme Whitfield, car la décision ultime relevait de celle-ci.

[139]    M. Spawn est entré au service de Parcs Canada en 1988, et il a commencé à la Forteresse-de-Louisbourg dans un poste d'électricien pour une durée déterminée. Il est devenu pompier/surveillant en avril 1991 dans un poste saisonnier, mais il a travaillé pendant toute l'année. En 2000, son poste est devenu un poste de durée indéterminée à temps plein.

[140]    M. Spawn a entendu parler des vols d'essence pour la première fois lors de l'entrevue menée par Maritect, le 10 septembre 2001. Il travaillait le quart de 15 h à 23 h. À l'heure du midi, il avait reçu un appel lui demandant de se rendre au bureau du gardien avant le début de son quart. Il n'était pas accompagné d'un représentant et il n'a pas choisi d'appeler un avocat quand on lui a offert cette possibilité.

[141]    M. Spawn ne se rappelle pas le nombre de fois qu'il a volé de l'essence. Il convient avoir parlé de 20 à 25 fois, mais ce pourrait être moins ou plus, il n'est pas certain. Il n'a pas tenu le compte du nombre de fois qu'il a pris de l'essence.

[142]    M. Spawn a décrit comment il volait l'essence en la pompant dans le réservoir de son véhicule et parfois dans des bidons d'essence qu'il déversait ensuite dans sa voiture. M. Spawn a expliqué qu'il avait agi sans réfléchir. M. Spawn n'a pas de dossier criminel et n'a pas fait l'objet de mesures disciplinaires auparavant. Aucune accusation criminelle n'a été portée contre M. Spawn. Ce dernier s'est rappelé avoir commencé à prendre de l'essence à la fin de l'hiver ou au début du printemps; il se souvient qu'il ne restait que très peu de neige au sol.

[143]    M. Spawn n'avait pas de problèmes financiers quand il a commencé à prendre de l'essence, mais il croyait en avoir. Il vivait d'un chèque de paie à un autre, mais n'accusait pas d'arriérés dans ses factures. Il ne pouvait pas se permettre de grandes dépenses, mais il vivait confortablement. Il n'existait pas de différences au plan financier entre 2001 et les années précédentes.

[144]    M. Spawn ne savait pas qu'une autre personne volait également de l'essence. Il a entendu parler que M. T.T. prenait lui aussi de l'essence pour la première fois lorsqu'il a entendu les témoignages dans le cadre de la présente audience. M. Spawn n'a pas visionné les vidéocassettes des vols.

[145]    En parlant de la pièce E-6, le rapport de Maritect Investigation, M. Spawn a déclaré qu'à ce moment tout semblait amplifié, que les moindres incidents prenaient des proportions énormes, que les dépenses constituaient seulement un élément de ce qui lui semblait être un gros problème. M. Spawn a déclaré que ce qu'il a décrit constituait les tâches normalement accomplies dans le cadre de son travail. Il a répondu à toutes les questions. On n'a pas communiqué avec lui par la suite pour apporter des clarifications ou parce que ses réponses étaient inexactes ou insuffisantes. À l'issue de l'entrevue, il a demandé à voir M. McLain et il s'est excusé. Il a déclaré être dans un bourbier; il n'était pas dans son assiette avant l'été. Il avait tenté de communiquer avec M. McLain pour s'excuser, pour dire comment il regrettait et comment il était embarrassé de ne pas être bien. M. Spawn a dit à M. McLain que quelque chose clochait en lui, qu'il ne savait pas pourquoi il avait agi de cette manière. Il a eu la possibilité de s'expliquer, mais le reste est flou.

[146]    M. Spawn convient que la pièce E-4 énonce de manière assez exacte comment s'est déroulée l'audience disciplinaire du 13 septembre 2001.

[147]    Lorsqu'il est rentré à la maison le 10 septembre 2001, M. Spawn a appelé le Programme d'aide aux employés dont le numéro apparaissait sur un aimant de réfrigérateur. Il a parlé à Warren Zierssonan qui voulait réduire sa pratique et qui lui a recommandé de communiquer avec M. Yorke. M. Spawn a parlé à M. Yorke le jour même et l'a vu le jour suivant et de nouveau le 12 septembre 2001. C'est alors que M. Yorke lui a préparé une note (pièce E-3(f)). M. Spawn a présenté la note de M. Yorke à l'audience disciplinaire, le 13 septembre 2001. À l'audience, M. Spawn n'avait pas préparé de notes. Personne ne lui a dit d'arrêter de parler. Personne ne lui a posé de questions au sujet de M. Yorke. M. Spawn était très bouleversé le 13 septembre 2001; il pleurait, il était confus, son corps était engourdi comme si tout cela était irréel.

[148]    On n'a rien dit à M. Spawn au sujet du nombre de fois que de l'essence avait été volée, ni sur la quantité approximative de litres, ni sur la valeur approximative de l'essence. M. Spawn ne sait pas comment il est retourné chez lui; il se rappelle vaguement avoir parlé avec Eddy Kennedy.

[149]    Le 19 septembre 2001, M. Spawn a rencontré Paulette Budge, Tim Reynolds, Anne O'Neill et Eddy Kennedy qui lui ont remis la lettre de rétrogradation (pièce E-5).

[150]    Après une consultation auprès de l'agent négociateur au palier final de la procédure de règlement des griefs, en juillet 2002 à Ottawa, M. Spawn a vu le Dr Rosenberg, à la demande de Parcs Canada. L'agent négociateur a recommandé différents médecins de Sydney, mais Parcs Canada a rejeté leurs noms, c'est pourquoi il s'est rendu à Halifax.

[151]    Le Dr Rosenberg a dit à M. Spawn qu'il était en possession de documents transmis par l'employeur, mais n'a jamais montré ces documents à M. Spawn. M. Spawn avait tous ses documents en main, mais le Dr Rosenberg n'a pas voulu les voir.

[152]    M. Spawn a vu le rapport du Dr Rosenberg pour la première fois en août 2003. Il a demandé une copie à l'issue de la rencontre avec le Dr Rosenberg. Ce dernier lui a affirmé qu'il faudrait à peu près un mois pour préparer son rapport. Environ un mois plus tard, M. Spawn a appelé le Dr Rosenberg et lui a parlé personnellement pour se faire dire que l'information avait été envoyée à l'employeur.

[153]    M. Spawn nie avoir dit au Dr Rosenberg avoir eu l'idée de voler de l'essence pour garder sa fille sur la route. Ils ont parlé des problèmes avec sa fille et du fait qu'il était tout le temps sur la route pour la trouver. Sa fille avait quitté la maison. Selon M. Spawn, le Dr Rosenberg lui a demandé ce qui lui causait le plus grand stress, le décès de Christine Kennedy ou les problèmes avec sa fille. Il a répondu le décès de Christine Kennedy. Le Dr Rosenberg lui a alors demandé pourquoi il n'avait pas répondu sa fille, puisqu'elle était liée à lui plus étroitement. Il a répondu que sa fille était importante, mais que dans le cas de Christine, il ne pouvait pas changer la situation, alors qu'avec sa fille c'était possible.

[154]    Après le 19 septembre 2001, M. Spawn n'a pas travaillé et il a retiré de l'assurance-emploi. En janvier 2002, il est allé travailler au chantier naval d'Halifax comme électricien. Il gagnait plus d'argent que dans son emploi précédent, mais ses dépenses avaient doublé. Comme il devait payer pour sa maison, en plus de se loger et de se nourrir à Halifax, il lui revenait moins d'argent. Il a été mis en disponibilité en septembre 2002. Il a été sans emploi de septembre 2002 à mai 2003 lorsqu'il est entré de nouveau au service de Parcs Canada comme GL-ELE-3. Il a travaillé de mai au 31 octobre 2003. Son emploi a été prolongé de la mi-septembre à la fin octobre 2003. M. Spawn touche actuellement des prestations d'assurance-emploi. Il a présenté quelque 20 à 25 demandes d'emploi auprès de différentes entreprises au Canada.

[155]    M. Spawn a deux enfants à sa charge à la maison et il a une hypothèque à payer. Sa conjointe travaille à temps partiel.

[156]    M. Spawn a déclaré qu'il ne commettrait plus jamais de vols d'essence. Lorsque les incidents se sont produits, il souffrait d'une maladie sans le savoir. Maintenant, il reconnaît les signes et il ferait appel aux services d'aide à sa disposition. En septembre 2002, lorsqu'il a été congédié et qu'il ne pouvait pas se trouver de travail, M. Spawn a consulté son médecin de famille qui lui a prescrit des médicaments et l'a référé au Dr Sheard.

[157]    Lors du contre-interrogatoire, M. Spawn a affirmé qu'il était un électricien agréé et qu'il pouvait travailler comme électricien partout au Canada.

[158]    À titre de pompier/surveillant, M. Spawn utilisait les véhicules de patrouille qui lui étaient assignés pour la nuit, que ce soient des camions ou des voitures. M. Spawn commettait généralement les vols en soirée. À diverses occasions, il a mis de l'essence dans l'un de ses véhicules. M. Spawn a soutenu n'avoir fait aucun effort pour dissimuler le fait qu'il remplissait d'essence le réservoir de son véhicule. En soirée, le personnel de nettoyage travaillait dans l'enceinte et il ne savait jamais où il se trouvait.

[159]    M. Spawn a déclaré qu'il ne savait pas quels renseignements les enquêteurs avaient. Il ne connaissait pas l'existence de la caméra et il ne l'a pas vue.

[160]    M. Spawn ne se rappelle pas des détails de l'enquête; il se fie à ce qui est écrit dans le rapport (pièce E-6). Il était très confus à ce moment. M. Spawn n'a pas fait de confession à M. McLain avant la confrontation avec les enquêteurs de Maritect. M. Spawn n'a pas appelé le téléphone cellulaire de M. McLain, car il devait, selon le protocole, passer d'abord par son superviseur M. Taylor, avant de parler au gestionnaire.

[161]    Les documents que M. Spawn voulait montrer au Dr Rosenberg étaient les rapports médicaux du Dr Buhariwalla, de M. Yorke, d'autres documents touchant l'affaire et les lettres de référence.

[162]    Le 10 septembre 2001, lorsque M. Spawn a rencontré les enquêteurs, il avait l'intention de dire la vérité. À compter d'avril 2000, sa vie avait été très confuse. En regardant les choses maintenant, il devait se rendre à l'évidence qu'il n'était pas bien.

[163]    M. Spawn ne sait pas du tout s'il a pris de l'essence lors de la dernière semaine avant l'entrevue. À son avis, il l'a fait pour la première fois à la fin de l'hiver ou au début du printemps, parce qu'il y avait de la neige et que le sol était boueux. Sa fille est partie pour la première fois à la fin février 2001, pendant l'hiver. M. Spawn avait l'intention de dire la vérité dans la mesure du possible, le 13 septembre 2001. Il ne se rappelle pas ce qu'il a dit. Il n'a pas remis en question l'exactitude de la pièce E-4. Quand il a dit avoir été malade physiquement, M. Spawn voulait dire qu'il avait vomi.

[164]    M. Spawn a déclaré que la séance d'intervention en cas de crise au service des incendies consistait en une réunion avec les collègues pompiers afin de discuter de l'incident. Il s'agissait d'une discussion non dirigée organisée par le pompier en chef Joey Trimms. L'un des pompiers présents avait reçu de la formation en matière d'intervention en cas de crise.

[165]    M. Spawn a déclaré qu'on n'avait pas communiqué avec lui concernant le remboursement. Si quelqu'un avait pu lui dire, il aurait volontiers payé ce qu'il devait. M. Spawn a soulevé la question du remboursement la première fois en s'adressant à Sandy McLain et a ensuite posé la question lors de la réunion avec Tom Meagher. M. Meagher ne pouvait pas lui répondre. M. Spawn n'a aucune idée du montant qu'il doit et si quelqu'un lui avait dit [traduction] « un montant, pendant cette période de quatre mois, je lui aurais dit oui ».

Argumentation de l'employeur

[166]    L'employeur a présenté des ouvrages de référence contenant de la jurisprudence et des lois.

[167]    L'employeur prétend que l'affaire est simple et que les faits importants sont bien établis. La rétrogradation se justifie en cinq points :

  1. Le fonctionnaire s'estimant lésé occupait le poste de pompier/surveillant;
  2. Il a volé de l'essence de son employeur à des fins personnelles;
  3. Ses vols se sont échelonnés sur une période de huit mois;
  4. Il a volé entre 20 et 25 fois;
  5. Il n'a pas signalé lui-même les vols, qui ont été dévoilés au cours d'une enquête.

[168]    L'affaire porte sur une question d'atténuation, à savoir si le syndrome de stress post-traumatique peut être invoqué comme défense afin d'atténuer la décision relative à la rétrogradation. Il incombe au fonctionnaire s'estimant lésé de démontrer sa théorie de défense fondée sur des questions médicales.

[169]    Quelle norme de preuve devrait s'appliquer? L'employeur soutient que nous ne devrions pas nous fier entièrement aux experts et aux avis médicaux. À la fin de la journée, la défense peut soit concorder avec la prépondérance des probabilités ou non. L'employeur invoque Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, aux pages 357-358 :

[Traduction]

On ne peut apprécier la crédibilité des témoins intéressés, notamment lorsque la preuve est contradictoire, uniquement en se demandant si le témoin, par son comportement, donne l'impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l'objet d'un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités qui entourent les conditions qui existent alors. En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c'est la compatibilité que reconnaîtrait d'emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions. Seulement alors, sera-t-il possible pour la Cour d'évaluer de manière satisfaisante les témoignages de personnes vives d'esprit jouissant d'expérience et de confiance, ainsi que ceux de personnes passées maîtres dans l'art de dire des demi-mensonges et de combiner l'exagération bien calculée et la suppression partielle de la vérité.[...]

En l'espèce, il faudrait beaucoup plus d'éléments de preuve qu'il n'existe dans le dossier pour me convaincre que Shostak ne connaissait pas le mot commun pour « confinement » dans le langage ukrairien. Le confinement de femmes enceintes est un fait bien connu de la vie quelle que soit la race ou la langue. J'estime que le fait de demander à la Cour de croire que Shostak ignorait le mot commun pour confinement en ukrainien est difficilement conciliable avec les réalités de la vie. [...]

[170]    Il s'agit de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé était dans un tel état d'esprit qu'il ne peut pas être tenu responsable de son vol.

[171]    L'employeur invoque d'abord la décision d'Innis Christie dans l'affaire Canada Post Corp. and C.P.A.A. (MacMillan) (Re) (2002), 102 L.A.C. (4th) 97, portant sur un congédiement à la suite d'un vol. Le fonctionnaire s'estimant lésé a volé environ 24 000 $ pendant une longue période alors qu'il occupait un poste non supervisé. Le fonctionnaire s'estimant lésé bénéficiait de facteurs atténuants : un bon dossier et un alcoolisme et un problème de jeu fonctionnels. Il a été statué que l'invalidité n'excusait pas l'inconduite.

[172]    Dans cette décision, l'arbitre a énoncé un critère s'appliquant à ce type d'affaires. Dans le premier paragraphe, sous le titre « Décision », l'arbitre a statué ce qui suit :

[Traduction]

En ce qui a trait à la preuve médicale, j'estime que le syndicat n'a pas démontré que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait de trouble affectif bipolaire pendant la période visée. En l'absence de preuve de dépression majeure, je suis convaincu qu'il ne satisfaisait pas à la définition reconnue pour cette affection. La question pour moi n'est toutefois pas de savoir s'il satisfaisait à la définition médicale de cette affection, mais bien de savoir s'il était dans un état d'esprit tel qu'il ne peut pas être tenu responsable des vols dans le cadre de son emploi. Par conséquent, j'ai tenté de comprendre le diagnostic d'hypomanie prononcé par le Dr Sheard à l'égard du fonctionnaire s'estimant lésé et les effets très différents de ceux de la question de l'« étiquetage » de la définition du trouble bipolaire. [...]

[...]

Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis même pas convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'un trouble mental, pouvant être décrit comme de l'hypomanie, d'une telle gravité que le fonctionnaire s'estimant lésé ne pouvait pas être tenu responsable des vols dans le cadre de son emploi. Je suis d'accord avec la conclusion du Dr Gosse selon laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé a fait preuve d'un niveau trop élevé d'aptitude, de rationalité et de jugement pendant les deux ans précédant son congédiement pour permettre de conclure qu'il souffrait d'hypomanie au point de ne plus pouvoir être tenu responsable de ses gestes.

[173]    L'employeur a ensuite renvoyé aux pages 114-115 de la décision de Postes Canada dans laquelle l'arbitre a cité un critère en quatre points tiré d'une décision de l'arbitre Ish dans l'affaire Re Canada Safeway Ltd. And R.W.D.S.U. (MacNeil) (1999), 82 L.A.C. (4th) 1 :

[Traduction]

  1. Il faut établir la présence d'une maladie, d'une affection ou d'une situation vécue par le fonctionnaire s'estimant lésé. Il peut s'agir d'une réelle maladie ou de circonstances dans la vie d'une personne qui entraînent une détresse psychologique intense et peuvent s'avérer aussi débilitantes qu'une maladie reconnue. [...]
  2. Une fois que l'existence d'une maladie ou d'une affection a été confirmée, il faut établir un lien étroit entre la maladie ou l'affection et l'inconduite. La simple existence d'un stress psychologique n'entraîne pas automatiquement un comportement répréhensible, comme le vol. Encore une fois, les experts en fournissent généralement la preuve. Il ne s'agit pas d'un critère scientifique et souvent un conseil d'arbitrage, en sa qualité de juge des faits, tire des conclusions qui l'orientent dans une direction ou une autre.
  3. Si un lien est établi entre la conduite aberrante et la maladie ou l'affection, le conseil d'arbitrage doit tout de même être persuadé que le transfert de responsabilité du fonctionnaire s'estimant lésé était suffisant pour réduire la culpabilité de celui-ci ... même si la dépendance à l'alcool ou au jeu est démontrée [page 115] et même s'il est établi qu'en l'absence de cette affection une conduite aberrante, telle que le vol, ne serait pas survenue, il peut toujours être conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé était assez responsable de ses gestes pour ne pas justifier une substitution de peine. C'est exactement ce qui s'est produit dans l'affaire SaskTel [Ish, non publiée, 14 juillet 1998] dans laquelle il a été conclu, après avoir reconnu que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une dépendance pathologique ou compulsive au jeu ayant pu contribuer à lui faire commettre des vols, que le fonctionnaire s'estimant lésé était pleinement conscient de son problème et des possibilités s'offrant à lui pour corriger ce problème. Autrement dit, l'existence d'une dépendance ne justifie pas à elle seule une conduite aberrante grave. Plusieurs personnes sont aux prises avec un problème d'alcool, de narcotique ou de jeu, mais un très petit nombre d'entre eux volent de l'argent.
  4. En présumant que les trois éléments susmentionnés ont été établis, le conseil d'arbitrage doit être convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé a été réhabilité. Il faut notamment que le conseil d'arbitrage croit que les problèmes fondamentaux du fonctionnaire s'estimant lésé sont contrôlés. Il est naturellement impossible d'obtenir une certitude absolue et il ne faut pas la rechercher. Cependant, il faut être confiant, dans une certaine mesure, que l'employé peut retourner au travail et y être efficace et que les problèmes sous-jacents ayant mené aux comportements répréhensibles ont été réglés afin de minimiser le risque d'une récidive ou de l'apparition d'un comportement semblable à l'avenir. Encore une fois, outre la preuve fournie par le fonctionnaire s'estimant lésé, une preuve d'expert est habituellement soumise afin d'attester de la réhabilitation.

[174]    Ce critère a été suivi dans Re Canada Safeway Ltd. And Bakery, Confectionery & Tobacco Workers' International Union, Local 252, (2003), 113 L.A.C. (4th) 385, ce qui a permis de conclure à l'insuffisance du lien entre l'historique traumatique et émotionnel et le vol.

[175]    L'employeur a attiré l'attention sur les pages 406 et 407 de la décision qui traite de deux des conditions qu'il a invoquées : premièrement, qu'un lourd fardeau repose sur le fonctionnaire s'estimant lésé et, deuxièmement, qu'il existence une distinction entre la preuve médicale présentée par l'avocat d'un patient et celle soumise par un évaluateur indépendant. Il a alors cité le paragraphe 3 de la page 16 :

[Traduction]

Malgré la preuve objective que la fonctionnaire s'estimant lésée avait été confrontée à du stress et à des perturbations émotionnelles, l'évaluation de [page 407] Mme Yasenik à l'égard de l'état mental et de la réponse de la fonctionnaire s'estimant lésée était essentiellement fondée sur l'autoévaluation de celle-ci, et la démarche habituelle pour apprécier une telle autoévaluation n'a peut-être pas été suivie. [...] De plus, bien que le rapport ait été préparé avant qu'une relation thérapeutique soit établie avec la fonctionnaire s'estimant lésée, le fait que son témoignage ait été fourni après l'établissement d'une telle relation, l'impartialité inhérente à cette relation est alors préoccupante. Comme les arbitres l'ont déclaré dans d'autres affaires, le rôle d'un thérapeute diffère considérablement de celui d'un évaluateur indépendant. Je n'ai aucune réserve à l'égard de la bonne foi, de la franchise et de la sincérité de Mme Yasenik, mais il est extrêmement difficile de conserver le recul objectif de l'expert indépendant une fois que l'on devient conseiller, et mandataire.

[176]    Il a aussi cité ce qui suit de la page 408-409 :

[Traduction]

[...] L'arbitre Picher (Canada Post, supra, 29 L.A.C. (4th) 143 ) a réintégré dans son poste un employé des Postes qui avait volé et utilisé une carte de crédit provenant de la poste, en se fondant sur la preuve psychiatrique. L'arbitre a accepté cette preuve qui ne comportait pas les lacunes contenues dans le rapport de Mme Yasenik. [...]

[...] Cependant, afin que le fonctionnaire s'estimant lésé soit réintégré, avec condition ou autrement, le syndicat doit [page 409] démontrer selon la prépondérance des probabilités que tous les éléments du critère énoncé par l'arbitre Christie ont été satisfaits. [...] je pourrais ajouter, cependant, que si la preuve fournie par le syndicat avait été fiable, c'est-à-dire en l'absence des lacunes que j'ai relevées, il aurait pu s'agir d'un de ces rares cas où la réintégration conditionnelle aurait été justifiée.

[177]    L'employeur a aussi invoqué une autre affaire de Canada Safeway, à l'onglet 5 de la documentation, Re Canada Safeway Ltd. And United Food and Commercial Workers, Local 401, (2001), 94 L.A.C. (4th) 86. L'arbitre Smith avait alors déclaré ce qui suit aux pages 110-111 :

[Traduction]

En ce qui a trait à la maladie mentale, il ne fait aucun doute que le simple fait d'être malade n'entraîne pas une intention négative, ni que dans toute circonstance la fonctionnaire s'estimant lésé peut échapper aux conséquences de sa conduite. J'accueille favorablement les commentaires du conseil d'arbitrage dans l'affaire Re Maritime Paper Products Ltd., supra, aux pages 6-7 :

Il faut en conclure que la question n'est pas simplement d'établir que le fonctionnaire s'estimant lésé souffre d'un trouble mental, mais bien de déterminer l'effet de ce trouble sur l'état d'esprit blâmable du fonctionnaire s'estimant lésé. Il faut alors évaluer si le trouble mental mine la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de comprendre pleinement le sens de ses gestes. Le cas échéant, la responsabilité et l'imputabilité du fonctionnaire s'estimant lésé sont réduites et les actes ne sont pas blâmables. Si, toutefois, l'évaluation est autre, alors les actes sont blâmables. Cela semble certes mieux indiqué dans le cadre de la relation d'emploi établi que la reconnaissance de l'incapacité mentale comme motif complet et suffisant pour exempter un employé de sa responsabilité à l'égard d'une inconduite dans toutes les situations.

[...]

Premièrement, il est important de mentionner que, même si je n'ai aucun doute quant à la sincérité des opinions du Dr O'Kelley, il est le psychiatre traitant et son objectif premier est le succès du traitement administré à la fonctionnaire s'estimant lésée et non la vérité ou l'exactitude de son récit des événements. Selon son point de vue, les besoins de sa patiente priment sur ceux de l'employeur. Il ressort donc de ses réponses lors du contre-interrogatoire qu'il agissait davantage comme un mandataire, que comme un observateur objectif. La preuve fournie par lui en est donc affaiblie. [...]

Et aux pages 113-114 :

[Traduction]

[...]

La fonctionnaire s'estimant lésée demande d'être réintégrée à un poste de très grande confiance, poste dont les principales fonctions comportent le maniement d'argent [page 114], ce qui constitue la composante la plus importante, voire la seule importante, de son travail. La présente situation se démarque de la réintégration à la suite d'un vol au travail dans un poste ne comportant pas le maniement direct d'argent en tout temps ou à la suite d'une conduite aberrante confirmant une affectation mentale invalidante. Le problème en l'espèce est que les conséquences sont les mêmes pour l'employeur que la fonctionnaire s'estimant lésée ait volé en toute connaissance de cause ou en ne sachant pas ce qu'elle faisait. L'employeur ne peut plus se fier à son honnêteté. Par conséquent, le rétablissement de la relation d'emploi m'appert impossible.

En outre, les opérations de l'employeur ne permettent pas une supervision étroite de la fonctionnaire s'estimant lésée pour s'assurer qu'elle exécute son travail de manière honnête. Aucun argument présenté ne m'a convaincu d'ordonner une réintégration conditionnelle comme le suggère le syndicat. Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, cite l'arbitre Adams aux pages p. 7-91 :

[Traduction]

« [...] dans un sens très général, l'honnêteté est la pierre angulaire d'une relation viable entre un employeur et ses employés. Si les employés doivent être surveillés constamment pour s'assurer qu'ils inscrivent honnêtement leurs allées et venues, ou pour s'assurer que des outils, du matériel et de l'équipement coûteux ne sont pas volés, l'entreprise commerciale aura tôt fait de se transformer en établissement pénitencier. [...] »

[178]    Le poste de l'employée est au coeur de l'affaire citée parce qu'il s'agit d'un poste de confiance.

[179]    L'employeur a fait valoir que l'affaire dont j'étais saisie devait se fonder sur la jurisprudence susmentionnée, laquelle a statué que l'employeur devait évaluer les faits en fonction de la prépondérance des probabilités et des réalités de la vie.

[180]    Premièrement, en ce qui concerne la maladie ou affection dont souffrait ou non le fonctionnaire s'estimant lésé : bien que les experts ne soient pas entièrement d'accord, il semble se dégager un consensus. L'employeur en a tenu compte et a donné au fonctionnaire s'estimant lésé le bénéfice du doute à cet égard. Ce bénéfice du doute lui a permis de conserver son emploi.

[181]    Quant au point suivant, le besoin d'établir un lien entre la maladie et le comportement, il incombe au syndicat de démontrer l'existence d'un lien entre la dépression et le vol d'essence. L'employeur prétend qu'il n'existe pas de lien. Selon l'employeur, la motivation du vol d'essence est claire; la situation financière du fonctionnaire s'estimant lésé était précaire. Comme le Dr Rosenberg le dit, le vol d'essence était la manière la plus facile de soulager son problème. Il ne faut pas oublier ce qu'il faut démontrer en l'espèce, existe-t-il un lien de causalité entre l'état mental et le vol? Ni le Dr Sheard, ni M. Yorke ne regardaient dans cette direction. Ils ne regardaient pas vers le passé, mais vers l'avenir; ils étaient axés sur le traitement et non sur l'évaluation.

[182]    Le Dr Sheard a affirmé ne pas être un expert en matière de motivation; il voit la forêt et non les arbres. M. Yorke ne savait pas combien de vols avaient été commis ou pendant quelle période. À l'instar du Dr Sheard, il s'intéressait au traitement, non à la psychiatrie légale. Il n'y a pas eu de témoignage réel d'un lien, seulement deux mandataires faisant tout en leur pouvoir pour aider leur patient. Le Dr Rosenberg est le seul expert à s'être penché sur les événements survenus pour se poser des questions.

[183]    Quelle a été la conclusion du Dr Rosenberg? Premièrement, que le fonctionnaire s'estimant lésé savait que ce qu'il faisait était mal; deuxièmement, qu'il ne fonctionnait pas comme un automate; troisièmement, qu'il percevait les choix qui s'offraient à lui et qu'il a fait le mauvais choix; quatrièmement, que sa motivation était de régler la crise financière qu'il vivait.

[184]    En faisant abstraction des conclusions de l'expert, la défense du fonctionnaire s'estimant lésé concorde-t-elle avec les réalités de la vie? Pourquoi la maladie se manifesterait-elle sous une seule forme : le vol d'essence? La preuve n'est pas contredite; personne ne s'inquiétait des décisions prises par le fonctionnaire s'estimant lésé pendant la période où il volait. La question a été posée à tous les témoins; aucun d'eux n'avait d'inquiétudes. Le bon sens indique, en sus des témoignages entendus, qu'il n'existe pas de lien entre l'affection du fonctionnaire s'estimant lésé et son comportement. En dépit d'une capacité réduite, la motivation et la possibilité étaient au coeur des vols. Comme l'a dit le Dr Rosenberg, le fonctionnaire s'estimant lésé a choisi la solution la plus rapide.

[185]    En ce qui concerne le troisième élément, le critère en quatre points, l'employeur a fait valoir que, même si une condition est établie, il faut un transfert de responsabilité suffisant pour réduire la culpabilité à l'égard de la conduite. La preuve démontre sans l'ombre d'un doute que le fonctionnaire s'estimant lésé savait que ses actes étaient répréhensibles. Pendant les périodes d'équilibre, alors qu'il prenait conscience du caractère répréhensible de son comportement, le fonctionnaire s'estimant lésé avait la responsabilité de solliciter de l'aide ou de se dénoncer.

[186]    L'employeur a renvoyé à la page 115 de la décision Canada Post, supra, dans laquelle il est statué que [traduction] « [...] mais, il a été conclu qu'il était toujours responsable parce qu'il avait été pleinement conscient de son problème et des options qui lui étaient offertes pour que son problème se règle ».

[187]    Le fonctionnaire s'estimant lésé doit s'acquitter d'un lourd fardeau; il avait l'obligation de demander de l'aide. Les représentants de la direction ont parlé avec lui à trois reprises. Il disait que tout allait bien. Le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé de l'aide seulement après avoir été pris. Un autre problème concernant le transfert de responsabilité découle de la durée de la période au cours de laquelle les vols sont survenus.

[188]    Lorsqu'on a demandé au Dr Sheard et à M. Yorke pourquoi ils croyaient que le fonctionnaire s'estimant lésé vomissait après chaque vol, le Dr Sheard a répondu qu'il avait alors eu des réactions humaines plus normales. M. Yorke a déclaré qu'il atteignait alors un point d'équilibre. L'employeur est d'avis qu'à ce stade l'employé aurait dû demander de l'aide ou se dénoncer. Il aurait dû faire quelque chose pour faire cesser les vols. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a rien fait avant d'être pris. Il a volé 25 fois de février à septembre, ce qui signifie que pendant tous ces mois, de nombreuses occasions se sont présentées. C'est pourquoi, le fonctionnaire s'estimant lésé a échoué au point trois du critère en ne se dénonçant pas et en ne demandant pas d'aide.

[189]    Au-delà du caractère suffisant du transfert de responsabilité, le fonctionnaire s'estimant lésé est confronté au problème de la motivation et du temps écoulé entre avril 2000, lorsque s'est produit l'accident de la route, et février 2001, lorsque sa fille a quitté la maison. C'est pendant cette période qu'elle faisait la navette entre Sydney et son domicile. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait besoin d'essence pour la garder à la maison. La clarté du motif laisse croire à un choix rationnel, contrairement à un transfert de responsabilité.

[190]    L'employeur a pris connaissance de la pièce E-6, qui constituait, à son avis, une transcription fidèle de la réunion ayant eu lieu une semaine suivant l'un des vols et de manière inattendue pour le fonctionnaire s'estimant lésé. L'employeur renvoie à la quatrième page (019/024) pour démontrer qu'à ce stade le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il avait été démasqué. Il ne s'agit pas d'une autodénonciation. À la page suivante, le fonctionnaire s'estimant lésé mentionne avoir volé 20 ou 25 fois. Il a déclaré lors de son témoignage qu'il avait tenté de dire la vérité aux enquêteurs. Sur la même page, le fonctionnaire s'estimant lésé admet que l'essence était prise à des fins personnelles. Plus loin en page 022/024, il affirme que dans la semaine ayant précédé l'entrevue, les vols s'étaient poursuivis et qu'ils avaient généralement lieu en soirée.

[191]    Le 13 septembre 2001, d'après la pièce E-4 qui, aux dires de Tim Reynolds, constituait un compte rendu exact de la réunion disciplinaire, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré [traduction] « je passe mon temps à harceler ma femme au sujet du budget. Je ne cesse de lui dire qu'il faut régler nos problèmes financiers et ça la rend folle ». Il a aussi dit [traduction] « je savais qu'il était mal de prendre de l'essence. Je savais que je devais faire quelque chose à ce sujet. J'attendais que Sandy revienne ».

[192]    Le fonctionnaire s'estimant lésé sait qu'il commet des actes répréhensibles, qu'il doit se dénoncer, mais il continue à retarder l'échéance.

[193]    À la dernière page de la pièce E-4, il est indiqué que M. McLain a demandé au fonctionnaire s'estimant lésé s'il se souvenait de la première fois où il avait pris de l'essence. La réponse fut la suivante : [traduction] « John - lorsque Chrissy a quitté en février. Je ne sais pas exactement quand. Il neigeait. Vers la fin de l'hiver ». Ces déclarations ont été faites à l'automne 2001, alors que les événements étaient plus frais en mémoire. Le fonctionnaire s'estimant lésé reliait le début des vols à un incident qui était survenu, ce qui assure une meilleure exactitude quant à la date. De plus, cela va dans le sens de la motivation du fonctionnaire s'estimant lésé de se prévaloir contre le coût croissant de l'essence. M. Yorke a déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé utilisait l'essence pour composer avec la situation difficile qu'il vivait avec sa fille et pour faire la navette.

[194]    Dans le rapport du Dr Rosenberg, pièce E-2, à la page 2, on trouve aussi ce qui suit :

[Traduction]

À la fin de l'hiver et au début du printemps de 2001, M. Spawn a eu l'idée de voler de l'essence pour permettre à sa fille de faire la navette. Il pensait que cela l'aiderait. Toutes les fois, il était malade physiquement. Il a pris de l'essence environ 10 ou 15 fois pour remplir le réservoir de sa voiture. Il savait qu'il commettait un acte répréhensible, mais il aurait fait n'importe quoi pour que sa famille reste ensemble.

[195]    À la page 6 de son rapport, le Dr Rosenberg affirme que :

[Traduction]

Même si M. Spawn a déclaré que c'était l'accident de la route ayant causé la mort d'une voisine qui l'avait bouleversé le plus, à mon avis, cet accident n'a aucunement influé sur les réflexions de M. Spawn concernant l'utilisation illicite d'essence. Je crois plutôt que ce sont l'inquiétude de M. Spawn relativement à sa famille et son incapacité à composer avec les problèmes de comportement de sa fille qui ont mené à l'utilisation illicite d'essence et donc au vol.

[196]    En regroupant les faits reliés au motif, ceux-ci ressortent clairement par rapport au point trois. Le motif oriente dans la direction opposée : il suggère une pensée rationnelle. Il y a la malencontreuse partie du témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé où il nie avoir fait ces déclarations au Dr Rosenberg. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait l'obligation de se dénoncer; il avait accès au Programme d'aide aux employés alors le transfert de responsabilité n'est pas suffisant.

[197]    Le quatrième point porte sur la question de la réhabilitation potentielle. Les témoignages du Dr Sheard et de M. Yorke sont ceux de mandataires du patient. Les statistiques données par le Dr Rosenberg relativement aux chances de rechute constituent la meilleure preuve disponible. Dans le cas du fonctionnaire s'estimant lésé, le vol a été commis pas une personne qui occupait un poste assurant la protection contre le vol. Il savait que ces actes étaient répréhensibles, mais il a continué.

[198]    Ce qui nous amène à la question de la preuve après le licenciement. Cette preuve est intéressante. Personne n'a indiqué que la décision de rétrograder le fonctionnaire s'estimant lésé était une mauvaise décision au moment où elle a été prise. Les témoins experts pour le fonctionnaire s'estimant lésé ont même déclaré qu'il avait fallu un an après sa rétrogradation pour que le fonctionnaire s'estimant lésé aille mieux. Le Dr Sheard a aussi affirmé que M. Spawn n'était pas rétabli en janvier 2003.

[199]    La Cour suprême traite de la question de la preuve après le licenciement dans la décision se trouvant à l'onglet 8 du dossier des sources invoquées par l'employeur, l'affaire Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. L'employeur a renvoyé aux paragraphes 11, 12 et 13. La question porte sur l'information que détenait l'employeur au moment où il a pris sa décision. Même si des précisions sont apportées aux faits connus au moment de la prise de décision, l'employeur était justifié de prendre la décision relative à la rétrogradation; même les témoins du fonctionnaire s'estimant lésé estiment que celui-ci n'était pas encore rétabli alors. La défense du fonctionnaire s'estimant lésé est fondée sur la preuve après le licenciement.

[200]    La jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) traite de la question de la preuve subséquente au licenciement dans Funnell et le Conseil du Trésor (ministère de la Justice), dossier de la CRTFP 166-2-25762, (1995) (QL). Dans cette affaire, l'arbitre a appliqué la décision dans l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra. L'employeur a renvoyé aux pages 18 et 19 en faisant valoir que la preuve après le licenciement n'est pas acceptée, à moins qu'elle ne permette de mieux comprendre la situation au moment du licenciement. Personne ne laisse croire que le fonctionnaire s'estimant lésé était mieux au moment où l'employeur a pris sa décision de le rétrograder.

[201]    En conclusion, l'employeur a indiqué qu'il avait déjà fait preuve de clémence dans sa décision. Quel message est envoyé aux employés? Plusieurs personnes souffrent de dépression, elles ne volent pas toutes et surtout pas sur une période de huit mois. Le manque de jugement du fonctionnaire s'estimant lésé ne s'est manifesté que dans un aspect de son emploi. Carol Whitfield et Tim Reynolds lui ont donné le bénéfice du doute et avaient déjà atténué les conséquences des vols, tout particulièrement pour une personne devant garder des biens nationaux de grande valeur. Il ne serait pas convenable de réintégrer le fonctionnaire s'estimant lésé dans son poste en demandant à l'employeur de le surveiller constamment et d'assumer un tel risque.

[202]    En ce qui concerne le pouvoir de redressement de l'arbitre, l'employeur a invoqué l'affaire Tourigny et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-2-16434 (1987) (QL). Cette affaire portait sur un licenciement. L'arbitre a conclu que la mesure était trop sévère et a donné à l'employeur l'option de placer le fonctionnaire s'estimant lésé dans un poste situé dans un autre lieu de travail. La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de l'arbitre.

[203]    Le principe d'offrir à l'employeur l'option de réintégrer l'employé dans un autre poste a été appliqué à plusieurs reprises par la CRTFP. L'employeur a renvoyé également à l'affaire Fontaine-Ellis et le Conseil du Trésor (Santé Canada), dossier de la CRTFP 166-2-27804 (1998) (QL).

[204]    Le pouvoir de redressement consistant à offrir à l'employeur une option a été exercé lorsque la mesure disciplinaire imposée était jugée injustifiée. En l'espèce, l'employeur estime que la rétrogradation à titre disciplinaire constituait une réponse raisonnable aux vols à répétition. Le fonctionnaire s'estimant lésé jouit ainsi du bénéfice du doute et d'une réponse atténuée de l'employeur.

Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé

[205]    Le fonctionnaire s'estimant lésé reconnaît que la présente affaire porte sur l'atténuation. Il établit une distinction entre l'application faite par l'employeur de la décision dans l'affaire Faryna v. Chorny, supra, et les faits de la cause en espèce. Dans la présente affaire, les témoignages du fonctionnaire s'estimant lésé, du Dr Sheard, de M. Yorke, de Mme Reeves, de M. Taylor et de M. McLain, concordent tous quant à la probabilité de récidive du fonctionnaire s'estimant lésé.

[206]    Dans son témoignage, le Dr Rosenberg a déclaré que les statistiques démontraient que les chances de rechute sont de 60 % chez les patients souffrant de dépression majeure; il a indiqué expressément que ces statistiques ne visaient pas M. Spawn. En traitant de manière générale des statistiques, le Dr Rosenberg a précisé que, même quand elles avaient été confrontées à une dépression majeure, des personnes telles qu'Abraham Lincoln et Winston Churchill avaient pu mener des vies responsables.

[207]    En 2002, le Dr Rosenberg a donné à M. Spawn un bulletin de santé de 80 %, en déclarant qu'il était plus normal que la majorité d'entre nous.

[208]    En ce qui concerne la décision de l'arbitre Christie dans l'affaire Canada Post, supra, et le critère en quatre points, le fonctionnaire s'estimant lésé souligne qu'il y était question d'alcoolisme et de dépendance au jeu et que le trouble bipolaire n'avait pas été établi. Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que, dans l'affaire Canada Post, supra, le Dr Sheard (la même personne qui a été citée à comparaître à titre de témoin expert en l'espèce), avait déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé devrait suivre un traitement de cinq ans ou plus. Dans l'affaire Canada Post, supra, aucun pronostic n'avait été prononcé.

[209]    En ce qui a trait à la décision dans l'affaire Canada Safeway, supra, à l'onglet 4, le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu que la preuve du trouble de jugement n'avait pas été jugée suffisamment digne de foi. Dans la présente cause, les trois experts ont conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une maladie qui affectait son jugement.

[210]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas d'accord avec l'appellation de mandataires du patient accolée au Dr Sheard et à M. Yorke par l'employeur. Tous les experts ont été choisis par l'une ou l'autre des parties; aucun n'a donné un avis indépendant. Le fonctionnaire s'estimant lésé prétend qu'ils sont tous crédibles.

[211]    Le fonctionnaire s'estimant lésé m'invite à lire attentivement la page 402 de la décision Canada Safeway, supra, à l'onglet 5. Il renvoie à la deuxième phrase de la citation du syndicat tirée de l'affaire Maritime Paper Products Ltd. : [traduction] « L'évaluation doit donc viser à déterminer si le trouble mental est suffisant pour miner la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de comprendre pleinement la signification de ces actes ». À cet égard, les trois praticiens, tout particulièrement le Dr Rosenberg, ont expliqué que la capacité de M. Spawn était réduite quand il avait commis ces actes.

[212]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé à la pièce E-2, rapport du Dr Rosenberg, à la page 7 :

[Traduction]

La maladie dépressive est caractérisée par une baisse du moral, des fluctuations au niveau de l'appétit ou du poids, des troubles du sommeil, un manque d'intérêt à l'égard des plaisirs et la perte de la capacité de penser, de se concentrer ou de prendre des décisions. En outre, il n'est pas rare que les personnes souffrant de dépression manifestent un manque de jugement (l'acte mental de comparer les choix entre un ensemble de valeurs afin de choisir une ligne de conduite). (Par exemple, il arrive fréquemment que des personnes souffrant d'une grave maladie dépressive commettent des vols à l'étalage).

[213]    En renvoyant à l'affaire Canada Safeway, supra, le fonctionnaire s'estimant lésé a mentionné que plusieurs facteurs avaient été retenus contre le fonctionnaire s'estimant lésé, notamment la dissimulation, la mémoire sélective et un pronostic erroné.

[214]    Quant au critère en quatre points mentionné dans l'affaire Canada Post, supra, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir, en ce qui a trait au premier, que les trois experts médicaux s'accordaient sur le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une maladie qui a été déclenchée par l'accident de la jeune fille.

[215]    Quant au deuxième point, le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu que le Dr Sheard avait déclaré qu'il existait un lien de causalité entre la maladie et le vol découlant de l'instabilité émotionnelle. M. Yorke a déclaré que la maladie avait mené au vol parce que le fonctionnaire s'estimant lésé a vu la victime de l'accident de véhicule tout terrain et qu'il a ensuite perçu sa fille comme étant la victime.

[216]    Le troisième point de l'argumentation de l'employeur est une répétition du deuxième point auquel l'énoncé suivant « le conseil d'arbitrage doit tout de même être persuadé que le transfert de responsabilité du fonctionnaire s'estimant lésé était suffisant » devrait être ajouté. Cette affaire porte expressément sur des dépendances à l'alcool et au jeu et sur le fait que de nombreuses personnes aux prises avec ces dépendances ne volent pas. En l'espèce, les trois experts médicaux, le Dr Rosenberg, le Dr Sheard et M. Yorke, ont déclaré d'une manière ou d'une autre que M. Spawn était mieux et qu'il était peu probable qu'il récidive. Ils ont tous soutenu que les vols avaient été commis alors que le jugement du fonctionnaire s'estimant lésé était affecté et ses capacités étaient réduites.

[217]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas conscient de son problème avant le 10 septembre 2001. Après avoir fait des excuses empreintes d'émotions à M. McLain et lui avoir dit éprouver beaucoup de regrets, le fonctionnaire s'estimant lésé a promis d'appeler le Programme d'aide aux employés comme le suggérait M. McLain. C'est alors que M. Spawn a pris conscience de la situation et a appelé M. Yorke.

[218]    Le quatrième point prévoit que le conseil d'arbitrage doit être convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé est réhabilité. Il n'existe pas de certitude absolue. La preuve démontre que les récidives sont peu probables. Mme Reeves, M. Taylor et M. McLain, qui connaissaient tous M. Spawn, ont affirmé qu'ils lui feraient confiance, et leur opinion concorde avec la preuve médicale. M. Reynolds et Mme Whitfield ne connaissaient pas le fonctionnaire s'estimant lésé.

[219]    Le fonctionnaire s'estimant lésé rejette l'argument de l'employeur selon lequel personne ne s'inquiétait des décisions prises par le fonctionnaire s'estimant lésé au travail. La lettre de Mme Reeve, datée du 16 octobre 2001 (pièce G-4), témoigne de l'existence d'inquiétudes. M. McLain a parlé à M. Spawn à trois occasions. M. McLain trouvait que M. Spawn n'était pas avenant comme à l'habitude; il n'était pas dans son état normal.

[220]    Bien que le fonctionnaire s'estimant lésé n'ait pas été conscient de son problème, il se rappelle avoir été malade au moins une fois après avoir pris de l'essence. Personne ne lui a demandé quelles étaient ses pensées lorsqu'il commettait les vols. Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il était désemparé lors de l'audience disciplinaire, ce qui confirme le diagnostic d'instabilité émotionnelle.

[221]    Le Dr Rosenberg a soutenu que M. Spawn ne souffrait pas du syndrome de stress post-traumatique parce qu'il n'avait pas de retours en arrière. Cependant, lorsqu'il a été question de la page 2 de son rapport (pièce E-2), le Dr Rosenberg a reconnu son erreur à cet égard.

[222]    Le pronostic du Dr Sheard était catégorique : M. Spawn ne récidiverait pas parce qu'il avait eu de l'aide, qu'il n'avait pas un esprit criminel, qu'il avait admis le vol et qu'il n'y avait pas d'élément de tromperie. Le Dr Sheard le croit encore plus fermement aujourd'hui qu'il ne le croyait lorsqu'il a rédigé le rapport parce qu'il sait que le fonctionnaire s'estimant lésé a agi de manière contraire à sa nature.

[223]    En réponse à l'argument concernant la motivation expliquant que le fonctionnaire s'estimant lésé a volé parce qu'il avait des problèmes financiers, comme mentionné à la pièce E-6, page 4, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que cela était seulement un élément de ce qui était mentionné. Le fonctionnaire s'estimant lésé croyait avoir des problèmes financiers, mais il sait maintenant que ce n'était pas le cas. Le fait de vivre d'un chèque de paie à un autre était la norme; il pouvait payer ses factures. Le Dr Rosenberg n'a pas demandé à M. Spawn s'il avait des problèmes financiers; il a présumé que c'était le cas. La vérité était toutefois autre.

[224]    La pièce E-6 constitue, de manière générale, une admission anticipée faite par une personne s'étant présentée seule à une entrevue, sans représentant. Il a fait une admission sincère et il a montré qu'il éprouvait des regrets et qu'il acceptait ses torts. Il est intéressant de noter, au sujet des pièces E-6 et E-4, que les déclarations faites alors par le fonctionnaire s'estimant lésé n'ont jamais été remises en question. Les faits donnés ont été acceptés.

[225]    En ce qui concerne la motivation, M. Yorke a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique aigu et non chronique et a donné les détails concernant cette affection. M. Yorke a vu le patient plus de 25 fois en deux ans. Il a affirmé que M. Spawn s'était débarrassé du syndrome de stress post-traumatique et qu'il ne récidiverait pas parce que cela n'était pas dans sa nature. Il en est venu à cette conclusion parce qu'il a été en mesure d'établir, d'après une évaluation du système de valeurs de M. Spawn, que celui-ci n'avait pas un esprit criminel. M. Spawn avait réintégré le service des incendies et avait été confronté à l'impuissance de réanimer une personne. À son avis, il était fort possible que son comportement répréhensible ait été relié au syndrome de stress post-traumatique.

[226]    Le Dr Rosenberg s'est dit d'accord avec le paragraphe suivant, à la page 2 de la pièce E-3d) :

[Traduction]

Il est possible que la série d'événements survenus avant le vol aient bouleversé M. Spawn de sorte à affecter son jugement et à le rendre confus, ses gestes sont devenus ceux d'une personne ayant des capacités réduites. [...]

[227]    On a demandé à M. Reynolds et à Mme Whitfield s'ils avaient tenu compte de la maladie de M. Spawn et de ses capacités réduites. Ils ont répondu par la négative, même si l'évaluation avait été faite par le Dr Rosenberg, spécialiste choisi par l'employeur, alors qu'on attendait la réponse du dernier palier.

[228]    Le fonctionnaire s'estimant lésé ne voulait pas consulter le Dr Rosenberg, mais il est allé et a coopéré. En raison de la relation existant alors entre l'employeur et le fonctionnaire s'estimant lésé, on pouvait naturellement penser que le fait d'agir de bonne foi pourrait avoir une influence, si les résultats de l'évaluation montraient que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une affection ou d'une maladie qui pouvait se traiter et qui pouvait expliquer les vols.

[229]    Le fonctionnaire s'estimant lésé attire l'attention sur ce fait parce que l'employeur a invoqué Cie minière Québec Cartier, supra, pour discréditer la preuve médicale.

[230]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas d'accord avec l'argument de l'employeur selon lequel personne n'a fait valoir que la décision relative à la rétrogradation était erronée. M. McLain avait recommandé une suspension de deux à quatre semaines, sous réserve de la consultation continue de son thérapeute M. Yorke, ainsi que le rétablissement dans le poste. L'agent négociateur a déposé le grief et Mme Reeves a rédigé une lettre (pièce G-4) le 16 octobre 2001.

[231]    Quant au paragraphe 13 de l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, le fonctionnaire s'estimant lésé renvoie à la pièce E-6. Le fonctionnaire s'estimant lésé ne connaissait pas la terminologie médicale, mais il savait que quelque chose clochait. La lettre de M. Yorke (pièce E-3(f)) a été soumise lors de l'audience disciplinaire. Le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé plus particulièrement au second paragraphe. La preuve révèle que l'employeur ne détenait pas beaucoup d'information avant le 19 septembre 2001.

[232]    L'employeur avait la pièce E-3(f), la lettre de M. Yorke, et M. Sandy McLain a parlé du syndrome de stress post-traumatique lors de la réunion. L'employeur était au courant de l'accident de Christine Kennedy et des autres incidents ayant bouleversé la vie de M. Spawn. Tout était connu, et il aurait fallu faire une évaluation.

[233]    Dans l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, l'arbitre en est venu à la conclusion fatidique que le congédiement était justifié à ce moment. Le Code du travail du Québec habilite expressément les arbitres à imposer des mesures de redressement à l'égard de sanctions disciplinaires, mais pas dans les causes ne portant pas sur des sanctions disciplinaires, comme c'était le cas dans cette décision.

[234]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a attiré l'attention sur la page 18 de la décision Funnell, supra. Au troisième paragraphe, se trouve la citation suivante tirée de Cie minière Québec Cartier, supra :

[Traduction]

         Ce qui m'amène à la question soulevée précédemment visant à savoir si l'arbitre peut tenir compte de la preuve subséquente aux événements dans le cadre d'un grief portant sur le congédiement d'un employé par une société. À mon avis, un arbitre peut invoquer une telle preuve, mais seulement lorsqu'elle est pertinente au litige dont il est saisi. Autrement dit, la preuve sera admissible seulement si elle permet de clarifier le caractère raisonnable et approprié du congédiement en question au moment où il est survenu. [...]

[235]    En ce qui concerne l'argument selon lequel M. Reynolds et Mme Whitfield ne savaient pas alors que le fonctionnaire s'estimant lésé souffrait d'une maladie qui pouvait se traiter, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir qu'ils détenaient de nombreux éléments de preuve, ainsi que la lettre de M. Yorke. En toute justice, il aurait fallu en tenir compte. La preuve après le congédiement fournit un nouvel éclairage quant au caractère approprié de la mesure disciplinaire.

[236]    En ce qui concerne l'onglet 13, Re New Tel Communications and Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 410 (1998), 71 L.A.C. (4th) 73, le fonctionnaire s'estimant lésé a établi une distinction du fait que cette affaire portait sur un problème de jeu ayant donné lieu à de la falsification et au déni. L'arbitre a statué que la dépendance au jeu n'était pas reliée au vol et n'avait pas causé celui-ci. L'affaire, en page 93, fait ressortir l'un des problèmes dans l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, plus particulièrement au sujet de la section sur le redressement du Code du travail du Québec.

[237]    La CRTFP a toujours eu le pouvoir de modifier la mesure disciplinaire imposée. La présente affaire porte sur une mesure disciplinaire; il n'est pas question d'absentéisme innocent. L'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, ne fait aucunement mention du pouvoir de la CRTFP de modifier une sanction s'il est indiqué de le faire.

[238]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé à l'article de Morgan Cooper et d'Andrew Luchak dans le Labour Arbitration Yearbook, page 13, intitulé « Post-Discharge Evidence of Rehabilitation: Can It Be Used at Arbitration? » Le fonctionnaire s'estimant lésé a cité les pages 20 et 21 :

[Traduction]

... Il en découle que les arbitres à qui l'on soumet une preuve de réhabilitation après le congédiement doivent étudier minutieusement les dispositions des lois et conventions collectives portant sur le pouvoir de redressement. Un examen des dispositions du Code du travail du Québec portant sur les pouvoirs des arbitres révèle que l'alinéa permettant à un arbitre d'infirmer la décision d'un employeur et de la remplacer par une décision qu'il estime être juste et raisonnable porte pour titre « matière disciplinaire ». Bien que l'alinéa 100.12f) du Code du travail du Québec portant sur les pouvoirs des arbitres limite clairement ces pouvoirs aux questions disciplinaires, il est important de noter que les pouvoirs de redressement conférés par la loi aux arbitres des autres provinces pourraient être interprétés de manière plus libérale.

[239]    En ce qui a trait au pouvoir de redressement de la CRTFP, il ne fait aucun doute que l'arbitre n'est pas habilité à faire une nomination. Il ressort clairement de Fontaine-Ellis, supra, et autres affaires que l'arbitre peut recommander des options.

[240]    M. Spawn cherche à réintégrer son poste d'attache à temps plein à titre de pompier/surveillant, poste qu'il a occupé pendant 10 ans, tout comme M. C.B., qui a réintégré son poste d'attache à temps plein. Le fonctionnaire s'estimant lésé demande que l'arbitre demeure compétent s'il était réintégré et que les parties étaient confrontées à des problèmes dans le cadre de la mise en application de la décision.

[241]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas d'accord avec Mme Whitfield quand elle prétend que la sanction habituelle en matière de vol est le congédiement. Ce n'est pas automatique; la preuve est que les trois employés ont été réintégrés, deux ont été rétrogradés. L'un des employés rétrogradés n'a pas été pénalisé du fait qu'il touchait des prestations d'assurance-invalidité. M. C.B. travaille maintenant toute l'année. M. Spawn a été rétrogradé à un poste de niveau GL-ELE-3, dont le travail dure cinq mois par année. Si la réintégration de M. Spawn risquait d'envoyer un mauvais message, alors le message a déjà été lancé puisque les trois coupables ont été réintégrés.

[242]    Il existe d'autres facteurs atténuants. M. Spawn comptait 13 années de service. Il a d'abord travaillé comme électricien, puis comme pompier/surveillant. Il a travaillé 12 mois par année jusqu'à ce qu'il soit nommé employé à temps plein embauché pour une période indéterminée. Son dossier disciplinaire est vierge. Son rendement était bon à tous les égards; il était parmi les deux ou trois meilleurs surveillants des incendies.

[243]    Un autre facteur atténuant est la confiance de ceux qui le connaissaient et qui ont affirmé qu'ils lui feraient confiance à nouveau : M. Taylor, M. McLain et Mme Reeves.

[244]    Le fonctionnaire s'estimant lésé est également repentant et accepte pleinement sa responsabilité.

[245]    Les témoins de l'employeur ont soutenu que le comité disciplinaire avait tenu compte de tous ces facteurs lors de la conférence téléphonique. Il y avait beaucoup de désaccords au sein du comité. On a demandé à M. McLain s'il ferait confiance à M. Spawn, et il a répondu par l'affirmative. Il y a eu des désaccords et la rétrogradation est ce qui en est ressorti. Le fait que l'on n'ait pas demandé l'avis de M. McLain une autre fois constitue un facteur atténuant.

[246]    La preuve médicale relativement à la probabilité de récidive du fonctionnaire s'estimant lésé constitue aussi un facteur atténuant. On a demandé à M. Reynolds s'il avait tenu compte du jugement réduit du fonctionnaire s'estimant lésé. Il a répondu que l'employeur ne détenait pas de preuve médicale lui permettant d'en arriver à cette conclusion.

[247]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi fait valoir que M. C.B. a bénéficié d'une sanction moins sévère. Mme Whitfield a déclaré que l'on n'avait pas vérifié l'histoire de M. C.B., ni si les postes d'essence étaient ouverts quand il a terminé son travail. M. C.B. a été pris sur le fait. On ne sait pas s'il se serait dénoncé. M. McLain a affirmé que M. C.B. lui avait dit avoir pris 10 litres d'essence, les deux premières fois, et 17 litres, la dernière fois. Comme elle croyait qu'il n'avait commis qu'un seul vol, Mme Whitfield a décidé de la réintégrer dans son poste à temps plein.

[248]    Le fonctionnaire s'estimant lésé ne nie pas avoir pris de l'essence. Il ne prétend pas avoir agi comme un robot et il regrette maintenant ses actes. M. Spawn a été sévèrement puni. Pendant deux ans, il a occupé un poste de niveau GL-ELE-3, l'un des postes les moins bien rémunérés de l'Agence Parcs Canada. Il a été en probation pendant deux ans. Sa sanction a été très lourde.

[249]    Les facteurs atténuants sont reliés au potentiel de réhabilitation de M. Spawn; c'est essentiellement ce qui est en cause ici.

[250]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé à Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, chapitre 7:4422 sur le potentiel de réhabilitation, plus particulièrement à la page 7-250 :

[Traduction]

[...] Bien que les opinions soient divisées à cet égard, plusieurs arbitres ont conclu qu'une évaluation comme celle-là peut comprendre celle du comportement de l'employé au cours de la période écoulée entre le congédiement et l'audience d'arbitrage. De nombreux arbitres ont donc explicitement étudié et invoqué le potentiel de réhabilitation de personnes qui avaient par exemple gravement menacé, voire physiquement agressé des membres de la direction, qui avaient commis un vol ou même des actes de sabotage. [...] Dans le même ordre d'idées, certains arbitres, en présumant implicitement qu'un employé qui admet immédiatement son écart de conduite et/ou présente des excuses à la suite de son inconduite reconnaît ainsi son comportement répréhensible et par conséquent serait plus apte à se conformer aux normes prévues, s'appuient sur le fait selon lequel on peut améliorer la sanction disciplinaire imposée. [...]

[251]    En ce qui concerne la situation économique, bien que M. Spawn ait ses documents d'électricien, il n'y a pas de travail comme électricien. Il est le seul pourvoyeur; il ne peut pas survivre avec un emploi saisonnier d'ouvrier jardinier. Il est un travailleur d'un certain âge dans une petite ville, ce qui lui cause un préjudice.

[252]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé au chapitre 7:3544 de Brown et Beatty, supra, concernant la rétrogradation disciplinaire. Il a cité la page 7-160 :

[Traduction]

         Après une période raisonnable, qui variera nécessairement en fonction des faits de chaque affaire, l'employeur devra réévaluer l'aptitude du fonctionnaire s'estimant lésé à réintégrer son poste antérieur. Comme l'a dit un arbitre : « Lorsque la rétrogradation est utilisée à titre de sanction, elle doit être assortie de limites précises et ne pas placer le fonctionnaire s'estimant lésé dans la situation de tout autre employé qui tenterait d'être promu à l'ancien poste du fonctionnaire s'estimant lésé ». À cet égard, l'employée a le droit de savoir que la rétrogradation est temporaire ou qu'elle pourra poser sa candidature pour le prochain poste vacant. De plus, il a été établi que, même si la rétrogradation comporte implicitement l'idée que l'employé ne pourra pas poser sa candidature pour un emploi duquel il a été rétrogradé pendant la période de rétrogradation, il ne serait pas indiqué de nier à l'employé la possibilité de répondre à un avis pour tout un autre poste en vertu d'une entente.

La rétrogradation de M. Spawn agit présentement comme une sanction permanente parce qu'il a été affecté à un poste saisonnier de GL-ELE-3.

[253]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a également attiré l'attention sur le chapitre 7:3300, malhonnêteté, et plus particulièrement sur la fin du paragraphe 7:3310, vol, à la page 7-62 :

[Traduction]

[...] Cependant, dans la très grande majorité des récentes décisions, après avoir examiné les circonstances particulières entourant un grief, les arbitres ont conclu qu'il était possible de rapprocher les intérêts conflictuels de l'employeur et du fonctionnaire s'estimant lésé et d'imposer une sanction moins sévère que le congédiement, et que cet exercice d'équilibre devrait aussi s'appliquer dans le cas d'une réintégration temporaire en attendant l'issue de l'arbitrage.

[254]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé au chapitre sur les sanctions 7:3314, en page 7-104 :

[Traduction]

7:3314 Sanction. Comme mentionné précédemment, une majorité d'arbitres acceptent maintenant qu'une personne ne peut pas être congédiée automatiquement de son emploi après avoir commis un vol ou plus. [...]

[255]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé à la décision Ronald Hampton (dossier de la CRTFP 166-2-28445 (1998) (QL)), dans laquelle un employé a été congédié. Il avait obtenu les questions et réponses d'un concours auquel il était candidat. Le fonctionnaire s'estimant lésé a cité le dernier paragraphe de la page 19, le premier paragraphe de la page 20 et le dernier paragraphe de la page 21. La citation suivante se trouve au début de la page 22 :

[...]    et le témoignage de M. Donaldson selon lequel la conduite reprochée n'était absolument pas dans le tempérament du fonctionnaire militent fortement en faveur de cette conclusion, plus particulièrement si l'on tient compte de ses treize années de service exemplaire. [...]

[256]    Dans Hampton, supra, le fonctionnaire s'estimant lésé a été réintégré avec une suspension de quatre mois, sans qu'aucune preuve médicale ne soit présentée. Les facteurs atténuants dans le cas de M. Spawn sont beaucoup plus valables que dans l'affaire Hampton, supra.

[257]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé à la décision John W. Taylor (dossier de la CRTFP 166-2-28563 (1999) (QL)), à la page 21 :

         La Commission a déjà indiqué que l'employeur se doit d'aider les employés à faire face à leurs maladies par le truchement des programmes de traitement et de réadaptation. La commissaire Simpson a affirmé dans l'affaire Herritt (supra) (page 15) :

En règle générale, l'alcoolisme et la toxicomanie sont considérés comme des maladies. Cela étant, il incombe dans une certaine mesure à l'employeur d'aider l'employé à faire face à ces maladies par le biais de programmes de traitement et de réadaptation.

[258]    L'employeur savait que M. Spawn souffrait d'une affection grave. Il avait les propos de M. McLain à l'appui et était au courant de l'accident de Christine Kennedy.

[259]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite cité le quatrième paragraphe, à la page 24, de la décision Taylor, supra. Le quatrième paragraphe de la page 27 et le deuxième paragraphe de la page 28 se lisent comme suit :

         Toutefois, le fait que M. Taylor a pris l'initiative d'obtenir de l'aide en assistant aux réunions des AA et aux séances de counselling du PAE (Mme McKenna) joue en sa faveur. Il participait à ces séances de counselling avant son licenciement et continue de s'y rendre neuf mois après son congédiement. Il importe en l'occurrence qu'il a reconnu avoir besoin d'aide avant le congédiement.

[...] Toutefois, ils admettent aussi qu'il a fait beaucoup de progrès depuis sa première visite. Il assiste aux séances du PEA et aux rencontres des AA sur une base régulière. Il s'est également inscrit au collège en vue de se perfectionner.

Les arbitres ont tenu compte de ces conditions, et ces conditions se retrouvent également en l'espèce.

[260]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite renvoyé à la décision Tasso Vasilas (dossier de la CRTFP 166-2-28149 (1998) (QL)). Cette affaire portait sur de la fraude s'élevant à 18 000 $. L'arbitre compare Vasilas et un autre employé qui était aussi impliqué dans la fraude mais qui n'a pas été congédié, puis il réintègre Vasilas dans ses fonctions. Le fonctionnaire s'estimant lésé renvoie à la page 17.

Réponse de l'employeur

[261]    Sur la question de la confiance, l'employeur renvoie au contrôle judiciaire par la Cour fédérale de la décision dans l'affaire Carl S. Gannon [2004], F.C.J. No. 1947 (QL), paragraphe 20 :

[Traduction]

[...] Le requérant prétend que rien ne démontre que son gestionnaire immédiat et les autres personnes qu'il côtoyait au travail avaient perdu confiance en lui et que, par conséquent, la conclusion de l'arbitre était manifestement déraisonnable et sujette à révision. Cet argument n'est simplement pas fondé. La haute direction d'une organisation est responsable de la gestion générale des opérations et doit être confiante que ses employés exécuteront adéquatement les responsabilités qui leur sont assignées. [...]

[262]    Dans leurs témoignages, Mme Whitfield et M. Reynolds ont parlé du niveau de confiance que la haute direction doit avoir à l'égard de l'employé.

[263]    Le deuxième point porte sur l'existence d'une différence entre une capacité réduite quelconque et une capacité réduite suffisante pour atténuer la culpabilité. La preuve médicale est claire à cet égard; M. Spawn savait que ce qu'il faisait était répréhensible. Il a perçu les options qui lui étaient offertes et a choisi la mauvaise. Il n'a pas agi sous l'effet d'une pulsion irrésistible. Le Dr Rosenberg a déclaré que M. Spawn avait choisi la manière la plus rapide de garder sa fille à la maison. Cela ne suffit pas à atténuer sa culpabilité.

[264]    Troisièmement, les trois médecins ont dit que M. Spawn était mieux, mais en toute justice à l'égard du Dr Rosenberg, il faudrait donner plus de poids à son analyse statistique de 60 %. Le quatrième point est lié au fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a versé aucun remboursement. S'il éprouvait vraiment des regrets, M. Spawn aurait fait de plus grands efforts au chapitre du remboursement.

[265]    En ce qui a trait à l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, l'important n'est pas ce que l'employeur aurait dû savoir au moment de l'imposition de la mesure disciplinaire, mais ce qu'il savait. M. Spawn n'était alors pas bien du tout, comme en ont témoigné ses propres médecins. Dans l'affaire Funnell, supra, l'arbitre mentionne la question de la réhabilitation dans un avenir prévisible ou rapproché.

[266]    Bien que l'Agence Parcs Canada ne relève pas de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, une autorité semblable s'applique. L'arbitre n'est pas habilité à faire une nomination.

[267]    Il faut rendre justice à Mme Whitfield et M. Reynolds sur la question de la mesure disciplinaire discriminatoire. L'employeur invoque l'affaire Canada (Conseil du Trésor) c. Barratt (C.F.A.), [1984] A.C.F. No 240 (QL), à la page 9. La Cour fédérale a essentiellement dit que la direction pouvait évaluer la situation seulement en fonction de ce qu'elle savait et que cette question avait été soulevée en arbitrage. Mme Whitfield croyait que M. C.B. n'avait commis un vol qu'à une seule occasion. Mme Whitfield et M. Reynolds ont agi de bonne foi; l'accusation de mesure disciplinaire discriminatoire est injuste.

[268]    L'allégation selon laquelle la rétrogradation est une sanction permanente découle du caractère inhabituel de la rétrogradation disciplinaire. Ce n'est pas une mesure fréquente dans cet univers. Il faudrait tenir compte du fait que 72 % du personnel est saisonnier et du fait qu'un poste inexistant a été créé. M. Spawn peut participer à un concours pour un autre poste.

[269]    Quant à l'argument selon lequel les actes du fonctionnaire s'estimant lésé n'étaient pas dans son tempérament, l'employeur fait valoir que la preuve relativement au tempérament n'est pas entièrement fiable. Il ne devrait pas être très persuasif. Chaque partie pourrait appuyer sa cause sur une preuve de cet ordre. Il n'y aurait pas de fin.

[270]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à répondre à l'argumentation de l'employeur relativement aux décisions Gannon, supra, et Barratt, supra. Il a déclaré que, dans l'affaire Gannon, le contexte était entièrement différent.

[271]    En ce qui a trait à l'affaire Barratt, supra, le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé à la fin de la page 11 de la décision dans l'affaire Monique Laurin (dossier de la CRTFP 166-2-28147 (1998) (QL)).

Motifs de la décision

[272]    Je dois me prononcer sur le caractère approprié de la décision prise par l'employeur de rétrograder M. John Spawn de son poste de pompier/personnel de surveillance à temps plein de niveau GS-PRC-6 à un poste saisonnier (40 % du temps) d'ouvrier jardinier GL-ELE-3.

[273]    Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire s'estimant lésé a pris de l'essence à plusieurs occasions entre la fin février ou le début mars et le début septembre 2001. Lorsqu'il a été confronté à la suite de l'enquête sur les vols d'essence, M. Spawn a confessé les vols au-delà de ce que l'enquête avait permis de révéler et a exprimé des remords.

[274]    M. Spawn était l'un des trois pompiers/surveillants pris sur le fait dans le cadre de l'enquête. Aucun des voleurs n'a été congédié; les trois ont été rétrogradés.

[275]    Pendant l'audience disciplinaire, M. Spawn a collaboré et a exprimé des remords. Il a indiqué à l'employeur que quelque chose clochait chez lui. M. Spawn a expliqué à l'employeur qu'il était confronté à des problèmes personnels et avait vécu plusieurs expériences traumatisantes. M. Spawn a consulté le Programme d'aide aux employés et a suivi un traitement.

[276]    Les deux parties ont présenté des témoignages d'experts médicaux. L'expert de l'employeur, le Dr Rosenberg, a vu M. Spawn le 17 septembre 2002. Le Dr Rosenberg n'accepte pas le diagnostic et le pronostic des experts de M. Spawn relativement à la maladie de celui-ci.

[277]    Je n'ai pas à me prononcer sur le diagnostic qui est le plus exact puisque tous les experts s'accordent pour dire que M. Spawn souffrait d'une dépression majeure qui a affecté son jugement. Ils ont tous convenu que M. Spawn connaissait la différence entre le bien et le mal, bien que M. Yorke ait conclu, dans la pièce E-3(d), que ses gestes étaient devenus [traduction] « ceux d'une personne dont la capacité était réduite ».

[278]    M. Spawn satisfait aux deux premiers points du critère en quatre points énoncé par l'employeur dont l'arbitre Ish fait mention dans l'affaire Re Canada Safeway Ltd. and R.W.D.S.U. (MacNeill) (1999), 82 L.A.C. (4th) 1, mais il échoue au troisième point. M. Spawn savait qu'il commettait des actes répréhensibles. Son jugement était affecté, mais non au point de l'exonérer complètement. M. Spawn mérite une sanction disciplinaire pour son inconduite.

[279]    La mesure disciplinaire vise à corriger un comportement et, dans certains cas, à créer un effet dissuasif. J'estime que la rétrogradation est justifiée à titre de sanction disciplinaire dans la mesure où elle vise à corriger un comportement. La rétrogradation à un taux de rémunération inférieur et à un poste saisonnier, équivalant à 40 % du poste à temps plein antérieur, constitue une sanction trop sévère. Cette sanction entraîne une perte de salaire et de prestige et comporte une autre sanction, c'est-à-dire un congédiement saisonnier prolongé. Au plan de la sévérité, cette sanction s'apparente à un congédiement. Je ne crois pas que cela soit justifié dans les circonstances. M. Spawn était un employé de longue date. Son inconduite est une aberration survenue pendant une période de grand stress, alors que son rendement au travail était jusque-là entièrement satisfaisant. M. Spawn a faire preuve d'ouverture et de franchise à l'égard de son inconduite. Il n'a jamais tenté de tromper l'employeur ou qui que ce soit. M. Spawn ne se souvient des affirmations que le Dr Rosenberg dit qu'il a faites, ce qui est lié davantage à un problème de perception de sa part qu'à une tentative de changer les faits.

[280]    Il a été le plus sévèrement puni des trois pompiers/surveillants pris à voler de l'essence. Un employé a réintégré son poste d'attache au niveau GL-ELE-3 à temps plein après une suspension de deux semaines. Un autre a été rétrogradé, mais comme il touchait des prestations d'assurance-invalidité et qu'il a ensuite pris une retraite pour invalidité, il n'a pas eu à subir les conséquences de ses vols pendant une longue période parce qu'il n'était pas au travail. Les écarts entre les sanctions ne résistent pas à un examen.

[281]    Je ne suis pas convaincue que l'inconduite de M. Spawn était plus grave que celle de M. C.B. Mme Whitfield a déterminé que l'inconduite de M. C.B. était de moindre importance parce qu'elle croyait que celui-ci en était à son premier vol lorsqu'il s'est fait prendre sur le fait. Elle a tenu compte de sa dépendance au jeu ayant mené à des problèmes financiers, ainsi que de son problème d'alcool. M. McLain, qui a assisté à toutes les entrevues disciplinaires le 13 septembre 2001, a affirmé que M. C.B. avait admis avoir volé à trois occasions et qu'il connaissait la quantité volée chaque fois. Ce témoignage n'a pas été contesté. M. C.B. occupait un poste de pompier/surveillant à titre intérimaire et est retourné à son poste d'attache à temps plein de niveau GL-ELE-3, une situation beaucoup plus enviable que celle de M. Spawn.

[282]    L'ancien gestionnaire des surveillants recommandait une suspension de longue durée pour M. Spawn. M. McLain estimait que le comportement de M. Spawn n'était pas dans son tempérament et qu'il était relié à un trouble mental causé par ses problèmes personnels. À son avis, il était improbable que M. Spawn se comporte de cette manière de nouveau. Deux experts médicaux ont confirmé cet avis.

[283]    En ce qui concerne le pronostic, le Dr Rosenberg a cité des statistiques de nature générale. Il a conclu que M. Spawn était en mesure de reprendre le travail lorsqu'il l'a vu en septembre 2002. Le Dr Rosenberg a affirmé que, selon les statistiques, les chances de réapparition de la dépression étaient de 60 %. Le Dr Rosenberg a aussi précisé que ce ne sont pas toutes les personnes souffrant de dépression qui volent.

[284]    Les médecins de M. Spawn ont déclaré qu'il était improbable qu'il récidive et ont prononcé un pronostic beaucoup plus optimiste. Tous les experts s'accordaient pour dire que la dépression peut être un symptôme du syndrome de stress post-traumatique. Tous les experts, que ce soit dans leur témoignage ou leurs rapports, ont convenu que M. Spawn, maintenant qu'il était conscient de son affection, consulterait vraisemblablement si les symptômes se manifestaient de nouveau. Il s'agit d'un autre facteur atténuant.

[285]    L'employeur m'a demandé de ne pas tenir compte de la preuve après la mesure disciplinaire pour deux raisons; l'une de ces raisons se rapportant à l'affaire Cie minière Québec Cartier, supra, et la deuxième, étant reliée au fait que le Dr Sheard et M. Yorke agissaient à titre de mandataires de M. Spawn puisqu'ils le traitaient de manière continue.

[286]    Je ne crois pas que l'affaire Cie minière Québec Cartier c. Québec, supra, s'applique en l'espèce. La présente affaire est différente pour les motifs suivants : 1) elle traite d'une rétrogradation disciplinaire mettant en cause une sanction disciplinaire, non pas d'un congédiement au titre d'un absentéisme non-disciplinaire dont la question portait sur le maintien du lien d'emploi; 2) l'employeur étudiait toujours la mesure disciplinaire dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et, donc, la question n'était pas définitive avant d'obtenir la réponse du palier final, qui a été rendue le 22 octobre 2002. La preuve disponible avant cette date ou dont l'employeur a tenu compte est pertinente afin d'évaluer la décision finale de l'employeur; 3) la restriction imposée aux arbitres au Québec ne s'applique pas en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Cour suprême aurait pu en arriver à une autre conclusion sous le régime de cette loi; 4) même s'il ne connaissait pas tous les détails de l'affection dont souffrait M. Spawn lorsque la décision a été prise de le rétrograder, M. Reynolds savait qu'il consultait un psychologue professionnel et avait entendu les observations de M. McLain; 5) la preuve médicale après la mesure disciplinaire est pertinente pour éclairer la situation qui prévalait lors de la prise de décision relative à la rétrogradation.

[287]    Je rejette l'argument selon lequel les experts médicaux du fonctionnaire s'estimant lésé, parce qu'ils traitaient celui-ci de manière continue, agissaient à titre de mandataires. Premièrement, j'estime que la preuve fournie était très utile justement du fait qu'il le traitait de manière continue. Ils connaissent mieux M. Spawn et son affection que le Dr Rosenberg, qui n'a vu le fonctionnaire s'estimant lésé que pendant quelques heures. Rien dans les témoignages de M. Yorke et du Dr Sheard ne permet de douter de la pertinence de leur avis médical professionnel, surtout en ce qui concerne le pronostic quant à la probabilité de récidive. Personne ne peut offrir de garantie, mais M. Yorke et le Dr Sheard s'accordaient pour dire que M. Spawn n'avait pas une mentalité de criminel. Leur opinion était fondée sur une évaluation professionnelle de M. Spawn et, contrairement à l'arbitre Smith dans l'affaire Re Canada Safeway, supra, je conclus que rien dans leurs réponses du contre-interrogatoire ne permet de croire qu'ils agissaient à titre de mandataires.

[288]    Je ne peux pas faire abstraction du fait que M. Spawn savait qu'il commettait des gestes répréhensibles. Son jugement était affecté, mais il savait qu'il n'était pas bien de voler. Bien que son affection médicale constitue un facteur atténuant, elle n'excuse pas entièrement son inconduite. Cette dernière mérite une sanction disciplinaire, mais j'estime que la rétrogradation à un poste saisonnier est trop sévère dans les circonstances. Pour avoir un effet correctif, la sanction ne doit pas être excessive.

[289]    J'ordonne donc la réintégration de M. Spawn dans un poste à temps plein d'une durée indéterminée. L'employeur peut affecter M. Spawn à un poste autre que celui de pompier/surveillant, mais le poste doit être à temps plein et d'une durée indéterminée dans la même région géographique. S'il n'y a pas de poste disponible, M. Spawn devra réintégrer son poste de pompier/surveillant dans les trois semaines suivant la date de réception de la présente décision.

[290]    M. Spawn ne sera pas rémunéré pour la période où il n'a pas travaillé et il doit rembourser à l'employeur la valeur de l'essence volée. Il incombe à M. Spawn et à ses gestionnaires de déterminer la valeur de ce remboursement, et ce dans les plus brefs délais.

[291]    M. Spawn consultera M. Yorke afin de l'aider à déterminer la quantité d'essence volée. Il pourrait être utile à M. Spawn d'utiliser les dossiers d'entretien et de vidanges d'huile des véhicules, s'il les a en main, afin d'évaluer combien d'essence ses véhicules ont consommée, combien d'essence a été achetée et combien d'essence a été prise. Je recommande que M. Spawn continue de voir M. Yorke pour l'aider à surmonter toutes réactions d'évitement potentielles à la réalité de ce qu'il peut avoir à divulguer à l'employeur.

[292]    Pour sa part, l'employeur devrait tenter de fournir des estimations en comparant la consommation d'essence au cours de la période où les vols ont été commis et au cours des mêmes mois de l'année suivante. Il faut tenir compte de ce que d'autres peuvent avoir pris, ainsi que de l'ensemble des facteurs pouvant causer des écarts au chapitre de la comparaison entre deux périodes similaires, du 1er mars au 10 septembre.

[293]    M. Spawn doit rembourser l'employeur le plus rapidement possible, mais selon une modalité acceptable pour les deux parties ou par retenues salariales n'excédant pas 10 % de son salaire net, jusqu'au remboursement complet.

[294]    La réintégration de M. Spawn est assortie d'une condition : il doit suivre les programmes et/ou prendre les médicaments prescrits pas ses médecins. Pendant les deux années suivant la réintégration, l'employeur peut exiger périodiquement de M. Spawn une preuve de son aptitude à travailler et/ou des rapports annuels de M. Yorke ou du Dr Sheard.

[295]    Je demeure saisie de l'affaire pendant une période de 90 jours suivant la date de la présente décision au cas où les parties éprouveraient des difficultés à appliquer ma décision.

Evelyne Henry,
commissaire

OTTAWA, le 5 avril 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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