Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Fin d'emploi - Non-renouvellement d'un terme - Demande de rejet du grief fondée sur l'article 84 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) (Règlement) - Compétence - Alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) - la fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief concernant le refus de l'employeur de renouveler son terme d'emploi - l'employeur s'est opposé à la compétence d'un arbitre nommé en vertu de la LRTFP pour instruire le grief et a demandé le rejet dudit grief, faute de compétence - l'employeur a ajouté que le non-renouvellement d'un terme d'emploi ne constitue pas un licenciement au sens de l'article 92 de la LRTFP - la fonctionnaire s'estimant lésée a répliqué que la décision de l'employeur était abusive et motivée par de la mauvaise foi - la Commission a conclu que le recours à la procédure stipulée à l'article 84 du Règlement n'était pas approprié dans les circonstances - en prenant les faits allégués pour avérés, il existait, à la face même du dossier, un argument défendable que le grief constituait un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)a) de la LRTFP. Demande rejetée. Décisions citées :Gascon c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2000 CRTFP 68; Kehoe c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines), 2001 CRFTP 9; Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.); Vogan c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-26900 (1996) (QL); Lecompte c. Conseil du Trésor (Santé Canada), dossier de la CRTFP 166-2-28452 (1999) (QL); Marta c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2001 CRTFP 31.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date:  2004-07-05
  • Dossier:  166-2-31934
  • Référence:  2004 CRTFP 81

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

DANIELLE LONGPRÉ

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Défense nationale)

employeur

Devant :  Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:   Bertrand Myre, Association canadienne des employés professionnels

Pour l'employeur :  Hélène Brunelle, avocate


(Décision rendue sans audience)


[1]   L'employeur demande à la Commission d'exercer son pouvoir de rejeter, faute de compétence, un grief présenté par Danielle Longpré.

[2]   Danielle Longpré débute un emploi pour une durée déterminée le 4 janvier 2000, au ministère de la Défense nationale, comme responsable de la bibliothèque. Son emploi est prolongé à plusieurs reprises par d'autres termes.

[3]   Sa dernière offre d'emploi est pour une durée déterminée du 29 mars au 28 juin 2002 (pièce au dossier). Le 22 mai 2002, Mme Longpré est informée que son terme n'est pas renouvelé, par manque de travail, et que, en conséquence, son emploi se termine le 28 juin 2002.

[4]   Dès le 4 juillet 2002, la fonctionnaire s'estimant lésée, conteste la décision de l'employeur de mettre fin à son emploi. Elle considère qu'il s'agit d'un congédiement déguisé et qu'il s'agit d'une décision abusive et de mauvaise foi. Au cours de la procédure de grief, elle prétend que son terme n'a pas été renouvelé en représailles du fait qu'elle a présenté des griefs les 28 mars et 23 avril 2002 (pièce au dossier).

[5]   Le grief est renvoyé à l'arbitrage le 13 février 2003. L'employeur s'objecte à la compétence d'un arbitre de grief; il allègue que le non-renouvellement de la nomination d'une personne nommée pour une période déterminée ne constitue pas un licenciement au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Après divers échanges, la Commission demande aux parties de soumettre des représentations écrites à l'été 2003, pour qu'une décision soit rendue à partir des écrits déposés. Le dossier m'est transmis le 11 décembre 2003.

Les arguments des parties

[6]   Selon l'employeur, une personne nommée pour une période déterminée cesse d'être fonctionnaire à l'expiration de cette période, en application de l'article 25 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique :

25. Le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période.

[7]   L'employeur soumet de plus que :

[…]

Le renvoi de Mme Longpré ne constitue pas un « licenciement » au sens de l'article 92 de la L.R.T.F.P. Son emploi a cessé conformément à ce qui était prévu dans son contrat de travail et non par suite d'une décision de l'employeur indépendamment de ce contrat. De plus, au sujet de la mesure corrective demandée, [l]a Commission n'a pas le pouvoir de l'accorder. L'article 8 de la L.E.F.P. stipule : « Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission [de la fonction publique] a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n'est pas régie par aucune autre loi fédérale. »

[…]

[8]   à cet égard, l'employeur demande à la Commission :

[…]

[…] de prendre connaissance du jugement de la Cour d'appel dans l'affaire Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100, ainsi que les décisions de La Commission, Hanna (dossier de la Commission 166-2-29643) et Pieters 2001 CRTFP 100 (dossier de la Commission 166-2-30615). […]

[…]

[9]   De son côté, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée soumet que, même si la Loi sur l'emploi dans la fonction publique dicte à l'article 25 que « le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période », un arbitre de grief a compétence pour examiner la conduite de l'employeur.

[10]   Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée souligne que la Cour d'appel fédérale est intervenue dans le cas d'un renvoi en cours de stage (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429).

[11]   De plus, un arbitre de grief est intervenu dans le cas Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-2-19981 (1990) (QL), pour décider d'octroyer un dédommagement au fonctionnaire s'estimant lésé pour le reste de la période visée par son terme, concluant ainsi qu'il avait été licencié injustement avant la fin de son terme. En outre, la fonctionnaire s'estimant lésée soumet qu'elle a été victime de représailles.

[12]   Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée produit sept onglets contenant divers documents tels les évaluations de rendement, les correspondances relatives à la réorganisation de la bibliothèque et de la jurisprudence.

[13]   L'employeur réplique que, dans l'affaire Pieters (supra) :

[…]

[…] le Président Yvon Tarte a récemment examiné la question de savoir si la non-reconduction d'un contrat à durée déterminée constitue un licenciement au sens de l'article 92 le la LRTFP. à la page dix-sept (17) de sa décision, le Président Tarte indique :

« Les arbitres saisis d'un grief contestant le défaut de l'employeur de ne pas reconduire le contrat d'emploi ont tous conclu qu'ils n'ont pas compétence pour trancher la question en vertu des dispositions pertinentes de la Loi : Hanna (supra), Blackman (supra), Beaulieu (supra), Lecompte (supra) et Marta (supra). »

Ainsi, la jurisprudence de la CRTFP est bien établie à l'effet que l'arbitre n'a pas compétence pour entendre le grief d'un fonctionnaire qui s'estime lésé parce que son contrat de travail est arrivé à échéance. Par conséquent, conformément au paragraphe 96(3) de la LRTFP, la réponse émise par l'employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est «finale et obligatoire».

[…]

[14]   En réponse aux arguments soumis par le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée, l'employeur expose ce qui suit :

[…]

En réponse à la soumission de Monsieur Bertrand à l'effet que «ce n'est pas parce qu'une décision découle de L.E.F.P. qu'un(e) arbitre n'a pas compétence pour entendre le grief», nous soumettons respectueusement que le paragraphe 92(3) de la LRTFP soustrait les licenciements prévus sous le régime de la LEFP de la compétence de l'arbitre et ce, sous réserve des principes énoncés dans les affaires Penner et Laird.

En réponse à la soumission de Monsieur Bertrand quant à l'applicabilité des principes énoncés dan l'affaire Penner, nous soumettons respectueusement que ces principes ne s'appliquent pas en l'espèce. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a déterminé que l'arbitre est sans compétence à l'égard d'un renvoi en période de stage dès qu'il est établi que l'employeur a conclu de bonne foi que l'employé ne possédait pas les aptitudes requises. L'arrêt Penner n'examine pas la question soulevée en l'espèce, soit la non-reconduction d'un contrat à terme. Nous réitérons que la plaignante n'a pas été renvoyée en période de stage avant la fin de son terme.

En réponse à la soumission de Monsieur Bertrand, quant à l'applicabilité des principes énoncés dans l'affaire Laird, nous soumettons respectueusement que ces principes ne peuvent trouver application dans les présentes circonstances. Dans Laird, il a été déterminé que la décision de l'employeur de mettre le fonctionnaire en disponibilité avant la fin du terme prévu au contrat était motivée par la mauvaise foi. Ce faisant, l'arbitre a conclu qu'il avait compétence pour attribuer un dédommagement au fonctionnaire pour le reste de la période visée par le contrat déterminé. En l'espèce, l'employeur n'a pas mis fin au contrat de la plaignante de façon prématurée. Il n'est nullement question d'une mise en disponibilité et par conséquent l'argument du congédiement déguisé est sans fondement.

[…]

[Le passage souligné l'est dans l'original.]

[15]   Selon les pièces au dossier, il ressort que, lors des discussions au premier palier de la procédure de grief (lettre du 12 août au dossier), l'employeur rejette l'allégation de la fonctionnaire s'estimant lésée voulant que son terme n'ait pas été renouvelé en guise de représailles parce qu'elle avait logé des griefs les 28 mars et 23 avril 2002.

[16]   L'employeur soumet qu'un rapport relatif à la restructuration du fonctionnement de la bibliothèque a été soumis en janvier 2002, et que l'économie de coûts justifiait le non-renouvellement du terme de la fonctionnaire s'estimant lésée.

Motifs de la décision

[17]   La question devant la Commission est de savoir si elle devrait rejeter, faute de compétence, le grief présenté par la fonctionnaire s'estimant lésée. La demande de l'employeur renvoie aux pouvoirs de la Commission énoncés à l'article 84 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) (règlement), qui se lit comme suit :

84. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et malgré toute autre disposition du présent règlement, la Commission peut rejeter un grief pour le motif qu'il ne constitue pas un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'article 92 de la Loi.

(2) En déterminant s'il y a lieu de rejeter un grief pour le motif visé au paragraphe (1), la Commission :

a) soit demande aux parties de présenter un exposé écrit de leurs arguments, dans le délai et de la manière qu'elle précise;

b) soit tient une audience.

[…]

[18]   Pour sa part, l'article 92 de la LRTFP stipule ce qui suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)

f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[…]

(3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la

Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

[…]

[19]   Dans Gascon c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2000 CRTFP 68, la Commission était saisie d'une requête lui demandant de rejeter un grief faute de compétence. Dans sa décision, la Commission a précisé au paragraphe 14 que le recours à la procédure prévue à l'article 84 du règlement est approprié lorsque le dossier soulève de sérieux doutes à savoir si le grief constitue un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage. De plus, au paragraphe 15, la Commission a affirmé que, à la face même du dossier devant elle, existait un argument défendable à l'effet que le grief constituait un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage. La Commission a donc rejeté la requête.

[20]   Une approche similaire a été suivie dans Kehoe c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines), 2001 CRTFP 9.

[21]   Je suis en accord avec l'employeur pour dire qu'un grief présenté à l'encontre du non-renouvellement d'un terme ne peut être renvoyé à l'arbitrage en l'absence de mauvaise foi de la part de l'employeur ou encore de motifs disciplinaires. Voir Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.), Vogan c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-26900 (1996) (QL), Lecompte c. Conseil du Trésor (Santé Canada), dossier de la CRTFP 166-2-28452 (1999) (QL), Marta c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2001 CRTFP 31.

[22]   La fonctionnaire s'estimant lésée allègue que l'employeur a pris contre elle des représailles suite aux griefs des 28 mars et 23 avril 2002. Cependant, bien avant ces griefs, on retrouve à l'onglet 2 des documents produits, un rapport d'évaluation daté du 20 février 2002, où l'employeur se questionne sur la qualité du travail de la fonctionnaire s'estimant lésée.

[23]   L'employeur allègue un motif administratif, soit la restructuration de la bibliothèque. Les documents présentés aux onglets 3 et 5 font état d'une étude de rationalisation de la bibliothèque. Cependant, la lettre du 24 mai 2002, sur l'impact du réaménagement, spécifie que le réaménagement, s'il a lieu, ne doit pas débuter avant septembre 2002.

[24]   Dans le présent dossier, je ne sais pas si la fonctionnaire s'estimant lésée pourra établir que l'employeur a agi de mauvaise foi ou qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire plutôt que du non-renouvellement d'un terme. Cependant, en prenant les faits allégués pour avérés, j'arrive à la conclusion que, à la face même du dossier devant la Commission, il existe un argument défendable « arguable case » que le grief en est un qui peut être renvoyé à l'arbitrage.

[25]   Pour les motifs qui précèdent, je considère qu'il n'est pas approprié d'avoir recours à la procédure prévue à l'article 84 du règlement. La demande de l'employeur de rejeter le grief à sa face même, sans qu'il n'y ait d'audience, n'est pas acceptée. J'ordonne à la Secrétaire adjointe - Politiques et Opérations de contacter les parties pour fixer cette affaire au rôle des audiences afin qu'elle soit entendue par un arbitre de grief.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 5 juillet 2004

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