Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Compétence - Interprétation de la convention collective - Obligation de l'employeur de prendre des mesures raisonnables concernant la santé et la sécurité au travail des employés - Effectif minimum - les fonctionnaires s'estimant lésés, des pompiers dans une base des Forces canadiennes, ont déclaré que leur sécurité était menacée en raison du nombre insuffisant d'employés à l'effectif de chaque quart au Service des pompiers - selon eux, l'employeur manquait ainsi à la clause 22.01 de la convention collective, stipulant qu'il devait prendre toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail de ses employés - l'employeur a contesté la compétence de la Commission, en soutenant que la clause invoquée était de nature consultative et qu'on ne pouvait pas se baser sur elle dans un grief individuel - l'agent négociateur maintenait qu'il s'agissait des responsabilités de l'employeur à l'égard des employés, en réclamant subsidiairement une prorogation du délai de présentation d'une plainte fondée sur l'article 99 - l'arbitre a analysé la jurisprudence et conclu que l'obligation prévue par la clause 22.01 visait l'agent négociateur plutôt qu'un employé pris individuellement - il a jugé que l'employeur ne subirait aucun préjudice si le délai de présentation d'une plainte fondée sur l'article 99 était prorogé - la Commission a décidé de proroger le délai. Demande de prorogation de délai accueillie. Griefs rejetés. Décisions citées :Albus c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossiers de la CRTFP nos 166-2-16887 et 16888) (1987) (QL); Preeper c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP no 166-2-21892 (1992) (QL).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-11-08
  • Dossier:  166-2-31876
    166-2-31892
    166-2-31893
  • Référence:  2004 CRTFP 160

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

J.P. PARSONS, D. MCLEAN ET D. MCLEAN ET AUTRES

fonctionnaires s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Dénationale)

employeur

 

Devant :  Joseph W. Potter, vice-président

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés :  Edith Bramwell, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
le 29 juin 2004.
(Observations écrites déposées le 16 septembre ainsi que les 7 et 14 octobre 2004.)


[1]   John P. Parsons est pompier à la base des Forces canadiennes (BFC) Shilo, au Manitoba. Le 19 octobre 2001, il a déposé le grief suivant :

[Traduction]

L'employeur n'assure pas ma sécurité (article 22.01), tant que les problèmes de l'effectif minimum du Service des pompiers/SMU de la BFC Shilo n'auront pas été corrigés.

[2]   Le 8 janvier 2002, l'employeur a répondu au grief de M. Parsons en déclarant notamment :

[Traduction]

Bref, une augmentation de l'effectif minimum n'est pas justifiée pour le moment puisque les tâches que le Service des pompiers est censé exécuter sont bien en deçà de sa capacité actuelle et peuvent être accomplies en toute sécurité. Je dois toutefois souligner qu'on a autorisé une augmentation de l'effectif, qu'on y voit et que, même si cette mesure n'est pas liée à votre grief, elle va partiellement compenser ce que vous estimez être des problèmes d'effectif, dans l'avenir. Je ne peux donc pas accueillir votre grief.

[3]   La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 12 novembre 2002, rejetait le grief mais précisait aussi :

[Traduction]

Depuis que vous avez reçu la réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, nous avons pris les mesures de dotation nécessaires pour porter l'effectif minimum à sept employés par quart, en plus de doter d'autres postes au Service des pompiers.

[4]   L'agent négociateur a renvoyé le grief à l'arbitrage le 23 janvier 2003.

[5]   La clause 22.01 de la convention collective du fonctionnaire s'estimant lésé se lit comme suit :

22.01   L'Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l'Alliance à cet égard, et les parties s'engagent à se consulter en vue d'adopter et de mettre rapidement en ouvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d'accidents de travail.

[6]   Pendant qu'on constituait un dossier et qu'on traitait le grief de M. Parsons, on a aussi traité un grief déposé par 17 autres pompiers de la BFC Shilo (Dwayne McLean et autres). En outre, M. McLean a déposé un grief individuel le 19 octobre 2002, en déclarant qu'on n'avait pas remédié aux problèmes de l'effectif minimum à la BFC Shilo. Ces affaires ont toutes été entendues ensemble.

[7]   Malheureusement, les tentatives en vue d'obtenir un règlement du problème par la médiation ont échoué, de sorte qu'il a été décidé de tenir une audience, en juin 2004.

[8]   Le 16 juin 2004, l'employeur a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) pour contester sa compétence en l'espèce. La lettre se lit comme suit :

[Traduction]

La présente lettre a pour but de vous informer de la contestation par l'employeur de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour entendre le grief renvoyé à l'arbitrage en rubrique.

La lecture des articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) révèle clairement qu'ils n'autorisent pas ces renvois. Le paragraphe 91(1) de la Loi précise expressément la limite du droit d'un fonctionnaire de présenter un grief. Le grief ne peut pas porter sur une question à l'égard de laquelle il existe un autre recours administratif de réparation en vertu d'une loi fédérale. Étant donné que ces griefs portent sur une question de santé et de sécurité au travail, l'employeur est d'avis que la Partie II du Code canadien du travail prévoit un tel recours administratif à leur égard.

En outre, les griefs sont fondés sur l'article 22 (Santé et sécurité) de la convention collective. Il est clair que cette clause est de nature consultative et qu'on ne peut pas l'invoquer dans un grief individuel.

Quoi qu'il en soit, depuis le dépôt du grief, le Ministère a entrepris une procédure de dotation pour accroître l'effectif en le portant à sept employés par quart. Une copie de l'avis de concours est jointe pour votre information.

Dans ce contexte, les griefs ne sont pas arbitrables; l'employeur demande donc en toute déférence que ces renvois à l'arbitrage soient rejetés sans audience, faute de compétence.

[9]   L'agent négociateur a répondu le 24 juin 2004 en déclarant notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La clause 22.01 précise les responsabilités de l'employeur à l'égard tant des employé-e-s que du syndicat. Par conséquent, on peut se fonder sur elle pour déposer soit un grief individuel, soit une plainte en vertu de l'article 99 de la LRTFP. Les obligations précisées dans cette clause, que l'employeur a accepté d'assumer à la table de négociation, vont au-delà des exigences légales minimums du Code canadien du travail. Comme elles dépassent le minimum prévu par le Code, celui-ci ne prévoit pas de « recours administratif de réparation » (para. 91(1) de la LRTFP) si l'employeur ne s'en acquitte pas. La limite imposée par le para. 91(1) de la LRTFP ne s'applique donc pas aux griefs en l'espèce.

[…]

L'Alliance est d'avis que l'article 22 peut être invoqué dans un grief individuel, compte tenu des obligations de l'employeur envers les employé-e-s pris individuellement qu'établit la première phrase (« L'Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. »). Par le passé, lorsqu'on a conclu que, dans une affaire donnée, le recours optimal pour obtenir réparation d'un manquement à l'article 22 aurait été une plainte fondée sur l'article 99, on s'est basé de plus près sur l'obligation de consulter l'Alliance (voir Preeper et autres 166-2-21892 et Albus 166-2-16887).

Toutefois, si la Commission devait conclure que ces griefs auraient plutôt dû faire l'objet d'une plainte fondée sur l'article 99, l'Alliance lui demande subsidiairement, en toute déférence, au nom des fonctionnaires s'estimant lésés, de convertir le grief dont elle est saisie en plainte fondée sur l'article 99 ou de proroger le délai de présentation d'une plainte fondée sur cet article. Comme le fond de la plainte serait le même que celui des griefs, l'employeur ne peut pas prétendre qu'il subirait un préjudice quelconque en raison d'une modification des motifs. Par contre, le préjudice que les pompiers subiraient s'ils n'étaient pas autorisés à convertir leurs griefs en plainte serait énorme : ils perdraient leurs droits de faire appliquer des dispositions de leur convention collective, à cause de la lenteur de l'employeur et de ses promesses non tenues.

[…]

[10]   La Commission a écrit à l'employeur, avec copie à l'agent négociateur, pour l'informer que la question de compétence devrait être soulevée au début de l'audience, et l'affaire a été entendue comme prévu le 29 juin 2004.

[11]   À l'audience, Me Newman a de nouveau soulevé la question de compétence en soulignant que la jurisprudence étaye l'argument que ce renvoi à l'arbitrage devrait plutôt être fondé sur l'article 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), conformément aux décisions rendues dans Albus c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossiers de la CRTFP 166-2-16887 et 16888 (1987) (QL), et Preeper c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-21892 (1992) (QL).

[12]   Subsidiairement, Me Newman a soutenu que la Partie II du Code canadien du travail prévoit un recours administratif de réparation, ce qui rendrait par conséquent l'affaire inarbitrable en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP.

[13]   Le dernier argument invoqué par Me Newman a consisté à dire que l'employeur a pris des mesures de dotation pour accroître l'effectif minimum en le portant à sept employés par quart, ce que les fonctionnaires s'estimant lésés réclamaient. Bien que ces mesures de dotation ne soient pas encore terminées, on prévoyait que l'effectif aurait augmenté en septembre 2004. Les griefs n'allaient donc plus avoir alors qu'un intérêt théorique.

[14]   Mme Bramwell a répondu en reconnaissant que, dans cette affaire, l'obligation de l'employeur est effectivement envers l'agent négociateur plutôt que l'employé-e. Par conséquent, ces renvois devraient être convertis en plainte fondée sur l'article 99. L'employeur ne subirait alors aucun préjudice, étant donné qu'aucune des raisons invoquées par les fonctionnaires s'estimant lésés n'a été modifiée depuis le début de l'affaire.

[15]   La lecture de la clause 22.01 donne à penser que la première phrase décrit une obligation envers les employé-e-s, tandis que la seconde donne à penser une obligation envers l'agent négociateur. Il est donc possible, en l'occurrence, de déposer des griefs individuels alléguant un manquement à la première phrase de la clause 22.01. Cela dit, subsidiairement, l'agent négociateur devrait pouvoir déposer une plainte fondée sur l'article 99.

[16]   Me Newman a répliqué qu'il faut lire la clause en son entier et situer les termes dans le contexte approprié : c'est une disposition de consultation.

[17]   Il a proposé que l'audience soit ajournée et que la décision sur la question de compétence soit reportée après septembre 2004, afin que l'employeur puisse mener à bien ses mesures de dotation.

[18]   Mme Bramwell s'est opposée à un ajournement de l'audience à ce moment-là, en demandant qu'on l'autorise à présenter des preuves pour étayer son argument sur la question de compétence. Elle a reconnu que la décision allait trancher cette question.

[19]   J'ai décidé d'entendre les arguments des parties sur la question de compétence, y compris tous les témoins que Mme Bramwell jugerait nécessaires de convoquer pour présenter ses arguments. Les parties devaient faire le point sur la question de la dotation et en informer la Commission en septembre. À ce moment-là, si les mesures de dotation avaient été menées à bien, la question n'aurait plus eu sa raison d'être.

La preuve

[20]   Dwayne McLean est pompier à la BFC Shilo depuis 1981. À l'époque, il y avait toujours cinq pompiers de service. Ces cinq pompiers intervenaient dans tous les cas d'urgence à la BFC Shilo. Si l'on avait besoin d'une ambulance, on faisait venir un chauffeur et un ambulancier, mais ni l'un, ni l'autre ne faisaient partie de l'effectif de cinq pompiers de service par quart.

[21]   M. McLean a quitté la BFC Shilo en 1992 lorsqu'il a été muté à Calgary. À son retour à la BFC Shilo, en 2000, il a constaté qu'un service d'ambulanciers avait été incorporé au Service des pompiers. Ses collègues pompiers avaient reçu une formation en premiers soins, mais l'effectif était toujours de cinq pompiers. Autrement dit, quand on demandait une ambulance, deux d'entre eux assuraient ce service-là, de sorte qu'il ne restait plus que trois pompiers.

[22]   M. McLean s'est plaint du nombre de postes à l'effectif en avril, mai et juin 2001, tant à l'interne (pièces G-2, G-3 et G-5) qu'à l'externe, en présentant une plainte fondée sur le Code canadien du travail (pièces G-4 et G-6). La direction a tenté de lui donner satisfaction en portant temporairement l'effectif minimum à sept pompiers. La plainte de M. McLean aurait alors été réglée, mais l'effectif a été ramené à cinq pompiers seulement.

Arguments sur la question de compétence

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

[23]   L'avocat de l'employeur a notamment fait valoir que le paragraphe 91(1) et l'article 92 de la LRTFP interdisent à un arbitre d'entendre les griefs parce qu'il existe un autre recours administratif. Il a déclaré que ce recours devrait plutôt être fondé sur le Code canadien du travail.

[24]   Les obligations découlant du Code canadien du travail sont différentes de celles que prévoit la convention collective, et le libellé est différent dans chaque cas. Dans la convention collective, il y a consultation parce que « l'employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s ». On ne peut invoquer le Code canadien du travail pour lui faire respecter cette obligation.

[25]   L'avocat de l'employeur a aussi maintenu qu'il serait préférable d'entendre cette affaire en tant que plainte fondée sur l'article 99. Or, la première phrase de la clause 22.01 pourrait justifier une conclusion que les fonctionnaires eux-mêmes peuvent présenter un grief dans ce contexte. C'est une question extrêmement technique qu'on ne devrait pas invoquer simplement pour abroger un grief. L'employeur a une obligation, et les fonctionnaires s'estimant lésés ont constamment maintenu qu'il a manqué à cette obligation.

[26]   Subsidiairement, si la Commission devait juger qu'une plainte fondée sur l'article 99 serait préférable, elle devrait autoriser sans tarder la conversion des griefs en plainte fondée sur l'article 99. L'employeur ne subirait aucun préjudice si la Commission autorisait les employés à agir de la sorte. Le principal problème a en effet toujours été l'absence de dispositions propres à assurer la santé et la sécurité des employé-e-s tant que l'effectif sera de cinq pompiers seulement.

[27]   Mme Bramwell m'a reporté à la jurisprudence suivante : Macko et autres c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et accise), dossiers de la CRTFP 166-2-25571, 25573, 25575 et 25577 (1994) (QL); Cohen-Patterson et autres c. Conseil du Trésor (Santé et Bien-être Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-22692 à 22715 (1993) (QL); Labelle et autres c. Conseil du Trésor (Conseil canadien des relations du travail, Approvisionnements et Services Canada, Statistique Canada, Consommation et Corporations Canada et Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-19059, 18630, 18631, 18750, 18882 et 169-2-483 (1990) (QL) et enfin Re: Timberjack Inc. and Glass, Molders, Pottery, Plastics and Allied Workers Union, Local 446 (1996), 62 L.A.C. (4th) 438.

Pour l'employeur

[28]   La clause 22.01 est une disposition de consultation. L'employeur est tenu d'avoir des consultations afin de prendre des dispositions raisonnables concernant la santé et la sécurité. L'article 124 du Code canadien du travail prévoit essentiellement la même obligation, en imposant peut-être même une charge plus lourde à l'employeur. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un renvoi approprié en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP.

[29]   Si cette affaire devait devenir une plainte fondée sur l'article 99, il faudrait répondre à la question de savoir s'il y a eu « consultation valable », et la décision ne pourrait pas porter alors sur l'effectif minimum. La seule obligation de l'employeur envers l'agent négociateur consiste à le consulter. Par conséquent, il ne serait pas logique de convertir ces griefs en une plainte fondée sur l'article 99.

Suivi

[30]   Conformément à la demande que l'employeur m'a présentée de vive voix, et compte tenu du fait qu'on y a accédé en tenant l'affaire en suspens jusqu'en septembre, quand la procédure de dotation était censée avoir été menée à bien, la Commission a écrit aux parties le 8 juillet 2004 pour lui déclarer qu'elle correspondrait avec elles en septembre [traduction] « [...] pour déterminer les progrès accomplis, le cas échéant […] ».

[31]   Le 16 septembre 2004, Mme Bramwell a écrit à la Commission pour l'informer que [traduction] « [...] l'Employeur ne s'était pas acquitté de l'engagement de dotation qu'il avait pris à l'audience ». Elle a réclamé une décision.

[32]   L'employeur a répondu le 7 octobre 2004 en déclarant avoir mis six noms sur une liste d'admissibilité, mais que les conditions d'emploi n'étaient pas encore toutes établies. Quand cela serait fait, il embaucherait le personnel voulu. Sa réponse se terminait comme suit : [traduction] « [...] il serait prématuré qu'une décision soit rendue maintenant. »

[33]   Mme Bramwell a répliqué le 14 octobre 2004 en déclarant notamment :

[Traduction]

Il n'y a aucune raison de droit pour accueillir la demande de l'Employeur, qui équivaut à une tentative d'obstruction de la procédure de la Commission, et l'agent négociateur estime en toute déférence que cette demande de l'Employeur devrait être rejetée.

Décision sur la question de compétence

[34]   Il est malheureux que la procédure de dotation ait été si longue, mais je peux comprendre que les compétences nécessaires pour ce travail doivent être vérifiées et qu'il faut du temps pour le faire. Au moment de l'audience, en juin, l'employeur m'a fait dire qu'il avait pris des mesures pour doter d'autres postes, et que cela répondrait aux préoccupations des fonctionnaires s'estimant lésés. Ces mesures étaient censées avoir été menées à bien pour le mois de septembre, et c'est pourquoi j'avais accepté de reporter ma décision jusque-là. En octobre, on m'a informé que les mesures de dotation n'étaient pas encore terminées, mais qu'on en voyait la fin. Même s'il semble que la solution des problèmes ne tardera guère, l'agent négociateur a réclamé une décision. Ma tâche consiste à rendre une décision si le problème n'a pas été résolu, et je ne crois pas devoir me contenter d'attendre pour rédiger ma décision parce qu'il semble que les mesures de dotation requises seront bientôt terminées. Quand les parties se présentent à l'audience, elles s'attendent à ce qu'une décision soit rendue, et elles ont le droit qu'elle le soit en temps opportun. C'est ce que je vais m'efforcer de faire.

[35]   L'employeur soutient que les fonctionnaires s'estimant lésés ne peuvent pas renvoyer cette affaire à l'arbitrage en vertu du paragraphe 91(1) et de l'article 92 de la LRTFP, lequel prévoit notamment ce qui suit :

92.(1)  Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

  1. l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

  2. […]

  3. […]

[…]

[36]   L'employeur avance cet argument parce que la clause 22.01 de la convention collective est une obligation envers l'agent négociateur et non envers les employé-e-s. Il s'ensuit que tout manquement à cette clause serait préjudiciable à l'agent négociateur et non aux employé-e-s. Cela étant, les employé-e-s ne peuvent pas présenter de grief fondé sur cette clause, d'après l'employeur.

[37]   Exception faite de la première phrase de la clause 22.01, l'agent négociateur reconnaît que l'obligation de l'employeur est envers lui et non envers les employé-e-s. Néanmoins, il fait valoir que la première phrase donne aux fonctionnaires la possibilité de présenter des griefs.

[38]   Un des principes d'interprétation du libellé des conventions collectives veut qu'elles doivent être considérées comme un tout. Dans Canadian Labour Arbitration (3e édition), les auteurs Brown et Beatty ont déclaré ce qui suit au paragraphe 4:2150 :

[Traduction]

Le contexte dans lequel les mots se situent est critique pour leur interprétation. On peut donc dire que les termes invoqués devraient être interprétés dans le contexte de la phrase, de l'article et de la convention dans leur ensemble.

Quand je lis la clause 22.01 en son entier, je n'ai aucune difficulté à conclure que l'obligation qu'elle impose à l'employeur vise l'agent négociateur et non les employé-e-s. Par conséquent, c'est l'agent négociateur qui pourrait se plaindre d'un prétendu manquement à cette clause.

[39]   La Commission a déjà rendu deux décisions sur une question presque identique en aboutissant à la même conclusion que moi.

[40]   Dans Albus, supra, aux pages 7 et 8, l'arbitre a déclaré :

J'ai examiné la clause 25.01 de la convention. Celle-ci dit que l'employeur « continue de prévoir toute mesure raisonnable concernant la santé et l'hygiène professionnelles des employés », et elle prévoit que les parties doivent faire des suggestions et se consulter en vue d'adopter et de mettre en ouvre une procédure et des techniques raisonnables. À cet égard, cette clause s'applique à l'employeur et à l'Institut ou aux parties à la convention. Elle ne fait pas mention des employés pris individuellement et, selon moi, elle n'a pas pour effet de créer de droits à l'intention de ces employés.

Il semblerait, d'après cette clause, que certaines mesures devaient rester en vigueur. C'est ce que ladite clause dit au début. Puis, elle indique que l'employeur fera bon accueil aux suggestions. Toutefois, celles-ci doivent être présentées non pas par les employés mais par l'Institut. De toute évidence, toute infraction de la part de l'employeur ne peut être interprétée que comme un manquement aux obligations qu'il a envers l'Institut (qui est l'une des parties) et non pas envers les employés s'estimant lésés eux-mêmes.

[41]   Dans Preeper, supra, la même question a été soulevée, et l'arbitre a écrit ce qui suit aux pages 4 et 5 de sa décision :

À la reprise de l'audience, le 17 janvier 1992, j'ai informé oralement les parties qu'après mûre réflexion, j'avais conclu que les obligations créées par l'article 20 de la convention collective avaient trait à la consultation, que, dès lors, il s'agissait d'obligations que les parties à la convention collective, c'est-à-dire l'employeur et l'agent négociateur, avaient l'une envers l'autre, et qu'elle ne pouvait donc faire l'objet que d'un renvoi fondé sur l'article 99 de la Loi. Il n'appartenait pas aux fonctionnaires s'estimant lésés de renvoyer à la Commission en vertu de l'article 92 de la Loi des questions découlant d'un manquement à l'obligation de consulter.

[42]   À mon avis, chacune de ces deux décisions montre clairement que l'obligation de l'employeur est envers l'agent négociateur. En outre, chacune de ces deux décisions porte sur un libellé presque identique à celui de la clause qui nous intéresse en l'espèce. Dans chacune de ces deux décisions, l'arbitre a conclu qu'un renvoi fondé sur l'article 99 aurait été la procédure appropriée, et je suis d'accord. Il s'agit ici d'une situation où il faudrait déposer une plainte fondée sur l'article 99 plutôt qu'un grief fondé sur l'article 92 de la LRTFP.

[43]   L'employeur a aussi fait valoir qu'il est interdit aux fonctionnaires s'estimant lésés de présenter un grief en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP, étant donné qu'il existe un autre recours administratif de réparation. Compte tenu de ma conclusion quant à la possibilité d'une plainte fondée sur l'article 99, je ne crois pas nécessaire de me prononcer là-dessus.

[44]   L'agent négociateur m'a demandé de transformer ces griefs en plainte fondée sur l'article 99 si j'estimais n'avoir pas compétence pour les entendre, en vertu du paragraphe 91(1) et de l'article 92. L'employeur a maintenu pour sa part qu'une plainte fondée sur l'article 99 ne peut pas porter sur une question d'effectif minimum, de sorte qu'il ne servirait à rien de transformer les griefs en plainte fondée sur cet article.

[45]   L'agent négociateur a demandé à la Commission de proroger le délai de présentation d'une plainte fondée sur l'article 99. Or, l'un des facteurs dont la Commission doit tenir compte pour répondre à une demande comme celle-là est le préjudice que chaque partie subirait si la demande était accueillie ou non.

[46]   En l'espèce, on ne m'a signalé aucun préjudice que l'employeur subirait si je devais accueillir la demande de prorogation du délai de présentation d'une plainte fondée sur l'article 99. De toute évidence, les faits sont connus, et l'on m'a donné à croire qu'ils ne sont pas contestés. L'avocat de l'employeur déclare qu'il ne sert à rien de convertir les griefs en plainte fondée sur l'article 99 parce que la seule question à trancher consiste à savoir s'il y a eu consultation ou non. L'agent négociateur ne souscrit pas à ce raisonnement et maintient qu'on peut opter pour une interprétation plus large. Les deux points de vue peuvent se discuter, et la Commission peut les trancher en entendant une plainte fondée sur l'article 99. Toutefois, ce n'est pas selon moi une raison valable pour rejeter la demande de l'agent négociateur de proroger le délai de présentation d'une plainte fondée sur l'article 99.

[47]   Bref, je conclus que je n'ai pas compétence pour entendre ces affaires, en vertu du paragraphe 91(1) et de l'article 92 de la LRTFP. Toutefois, je vais proroger le délai pour permettre à l'agent négociateur de déposer une plainte fondée sur l'article 99 de la LRTFP, si, au moment où je rendrai la présente décision, il n'est pas satisfait du règlement de l'affaire. Lorsqu'elle sera saisie d'une plainte fondée sur l'article 99, la Commission fixera une date d'audience pour l'entendre.

[48]   Ces griefs sont donc rejetés pour défaut de compétence.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 8 novembre 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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