Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Procédure de règlement des griefs - Avis à une tierce partie - Réaménagement des effectifs - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé alléguait que l'employeur avait délibérément contrevenu à l'appendice sur le réaménagement des effectifs de sa convention collective - il est devenu manifeste que le fonctionnaire s'estimant lésé voulait être nommé à un poste qu'il n'occupait pas et dont les fonctions étaient exercées par un autre fonctionnaire - cette personne n'avait pas été informée de son droit de prendre part à l'audience et de s'y faire représenter - l'arbitre a soulevé la question devant les parties, de même que la question de sa compétence à nommer le fonctionnaire s'estimant lésé à un poste occupé par un autre fonctionnaire - les parties ont demandé de formuler des observations écrites sur la question de la compétence seulement - l'arbitre a décidé qu'il n'était pas nécessaire, pour l'instant, de déterminer s'il était habilité à accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir la nomination au poste déjà occupé - il estimait plutôt qu'il était essentiel d'établir si l'ADRC avait contrevenu à l'appendice E (réaménagement des effectifs) de la convention collective - il a statué qu'il avait la compétence pour répondre à cette question - même s'il n'avait peut-être pas le droit d'accorder la mesure corrective demandée, cela ne l'empêchait pas d'instruire le renvoi à l'arbitrage - cependant, si le fonctionnaire s'estimant lésé prétendait que l'employeur avait violé la convention collective et demandait d'être nommé à un poste déjà occupé par un autre fonctionnaire, alors ce dernier devait être avisé à l'avance de la tenue de l'audience et se voir accorder qualité pour comparaître dans l'éventualité où il manifesterait l'intention de participer à une nouvelle audience. Compétence assumée. Décision citée :Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2001 CRTFP 44.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-04-30
  • Dossier:  166-34-32035
  • Référence:  2004 CRTFP 33

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

DONALD W. KREWAY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

Devant :  Joseph W. Potter, vice-président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Debra Seaboyer, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Rosalie Armstrong, avocate


Affaire entendue à Regina (Saskatchewan),
le 28 et le 29 janvier 2004.
(Observations écrites présentées le 4 mars, le 2 avril et le 19 avril 2004.)


[1]   Il s'agit d'une décision préliminaire concernant le grief déposé en mai 2002 par Donald Kreway, alléguant que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC, comme on l'appelait alors) a contrevenu à l'appendice « E » de sa convention collective. À l'époque où il a déposé son grief, M. Kreway occupait un poste de vérificateur interne, AS-04. L'appendice « E » de la convention collective à laquelle il est renvoyé désigne l'appendice sur le réaménagement des effectifs (ARE).

[2]   Le grief de M. Kreway et la mesure corrective demandée sont libellés comme suit :

[Traduction]

Grief

J'allègue que l'employeur a délibérément contrevenu à l'appendice « E » de ma convention collective.

Mesure corrective demandée

Que je sois déclaré excédentaire à compter du 1er novembre 2001 et nommé au poste de chef d'équipe du recouvrement, PM4, en tant que fonctionnaire excédentaire bénéficiant d'une priorité, à compter du 1er novembre 2001, et qu'on m'accorde toute autre réparation jugée raisonnable dans les circonstances.

[3]   À l'issue de l'audition de trois témoins, dont M. Kreway, il est devenu manifeste que M. Kreway voulait être nommé à un poste qu'il n'occupait pas et dont les fonctions étaient exercées par un autre fonctionnaire. Personne n'avait informé ce dernier de son droit de prendre part à l'audience et de s'y faire représenter (voir l'affaire Bradley v. Ottawa Professional Firefighters Association (Re) (1967), 63 D.L.R. (2d) 376, [1967] 2 O.R. 311 (C.A.)).

[4]   J'ai soulevé cette question de procédure en présence des parties au terme de la présentation de la preuve, de même que la question de savoir si j'étais habilité à nommer le fonctionnaire s'estimant lésé à un poste occupé par un autre fonctionnaire. Les parties ont demandé de formuler des observations écrites sur la question de ma compétence seulement.

[5]   Par conséquent, le 2 février 2004, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a écrit aux parties pour leur demander de lui faire parvenir leurs observations écrites sur la question suivante :

L'arbitre des griefs est-il habilité à accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé?

[6]   La présente décision porte sur cette question de compétence.

Observations de l'agent négociateur

[7]   L'Alliance de la Fonction publique du Canada a présenté ses observations et sa réponse écrites le 4 mars et le 19 avril 2004 respectivement et les documents ont été versés au dossier de la Commission.

[8]   En résumé, l'agent négociateur soutient qu'étant donné que le fonctionnaire s'estimant lésé allègue qu'il y a eu violation de la convention collective, son grief est dès lors arbitrable en vertu de l'alinéa 92(1) a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). De plus, le paragraphe 23(2) de la LRTFP accorde à l'arbitre le pouvoir de mettre en ouvre la convention collective et d'en d'exiger l'application. Le grief en cause se rapporte à une violation alléguée de l'appendice de la convention collective ayant trait au réaménagement des effectifs (ARE).

[9]   L'ADRC est un employeur distinct et, en tant que tel, elle n'est pas assujettie au régime de dotation établi par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP).

[10]   Le paragraphe 54(2) de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada (LADRC) stipule que les matières régies par le programme de dotation en personnel sont exclues du champ des conventions collectives. Étant donné que les matières visées par l'ARE ne sont pas régies par le programme de dotation, il n'y a aucune contradiction entre les droits accordés par l'ARE et la capacité de remédier à son inapplication, d'une part, et les dispositions de la LADRC, d'autre part.

[11]   La réparation demandée en l'espèce correspond simplement à ce que l'ARE considère comme un droit du fonctionnaire s'estimant lésé.

Observations de l'employeur

[12]   Les observations écrites de l'employeur ont été présentées le 2 avril 2004 et versées au dossier de la Commission.

[13]   L'employeur soutient que l'arbitre n'est pas habilité à instruire le grief parce que M. Kreway demande à titre de réparation qu'on le nomme à un poste de niveau supérieur, ce qui, dans les faits, constitue une nomination, mesure qui échappe à la compétence de l'arbitre.

[14]   L'appendice « E » de la convention collective applicable au fonctionnaire s'estimant lésé impose à l'employeur l'obligation de faire une offre d'emploi raisonnable aux fonctionnaires concernés. Le but n'est pas de leur offrir de l'avancement, ce qui serait le cas si M. Kreway obtenait la réparation demandée.

[15]   Les arbitres ne sont pas habilités à nommer les fonctionnaires aux postes qui les intéressent : voir l'affaire Rodney (dossier de la CRTFP 166-2-25911 (1994) (QL)). Seule l'ADRC a le pouvoir de faire des nominations en vertu des articles 53 et 54 de la LADRC.

[16]   L'alinéa 91(1)b) de la LRTFP confirme qu'il est possible de présenter un grief, dans la mesure où il n'existe pas d'autre recours administratif de réparation. Le paragraphe 54(1) de la LADRC indique clairement que seule l'ADRC a le pouvoir d'offrir des recours en matière de dotation.

Décision

[17]   L'agent négociateur fait valoir que l'affaire en instance est un renvoi à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)a) de la LRTFP. Cette disposition est libellée en partie comme suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

[…]

[18]   Le paragraphe (2) indique simplement que le fonctionnaire qui présente un grief en vertu de l'alinéa 92(1)a) doit obtenir l'approbation de son agent négociateur. L'agent négociateur ayant donné son approbation en l'espèce, cette question n'est donc pas en litige.

[19]   L'employeur soutient que le grief ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage en raison de l'interdiction que l'on trouve au paragraphe 91(1) de la LRTFP, lequel est libellé comme suit :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

[20]   L'employeur soutient que, vu qu'il y a un autre recours administratif de réparation prévu par la LADRC (à l'article 54), et que la mesure corrective demandée concerne la dotation, le grief ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage.

[21]   Même si la question qui a été posée aux parties était de savoir si l'arbitre est habilité à accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé, à la lumière de leurs observations écrites, de la jurisprudence actuelle et de ma décision, j'ai déterminé qu'il n'était pas nécessaire de répondre à cette question pour l'instant. En revanche, vu la décision rendue ci-après, il pourrait être nécessaire de le faire à une date ultérieure.

[22]   À mon sens, la question essentielle à laquelle il faut répondre en l'instance est de savoir si l'ADRC a contrevenu à l'appendice « E » de la convention collective. C'est ce qu'allègue le fonctionnaire s'estimant lésé. L'alinéa 92(1) a) de la LRTFP prévoit que les questions de ce genre doivent être renvoyées à l'arbitrage et je ne crois pas qu'on puisse douter un seul instant que j'ai la compétence voulue pour déterminer si l'employeur a violé la convention collective.

[23]   Il n'existe aucun autre recours de réparation dans les situations comme celle-ci où il est allégué que l'employeur a violé une disposition de la convention collective.

[24]   Le problème en l'espèce (si tant est qu'il y en a un), c'est la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé.

[25]   Il se peut que je n'aie pas le droit d'accorder la mesure corrective demandée, mais, à mon sens, cela ne m'empêche pas d'instruire le renvoi à l'arbitrage. Je ne suis pas obligé d'accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé. Je peux très bien façonner une réparation qui me semble appropriée si je conclus à la violation de la convention collective, pour autant que je tienne compte de toute interdiction qui existe dans la LRTFP ou ailleurs.

[26]   Par conséquent, il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis compétent pour instruire l'affaire en instance. La même question a déjà été examinée par la Commission dans l'affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada) 2001 CRTFP 44, où le commissaire L.-P. Guindon s'est déclaré non compétent pour accorder certaines des réparations demandées mais a quand même statué sur l'affaire au fond.

[27]   La première question à trancher en l'espèce est de savoir s'il y a eu violation de la convention collective, ainsi que le prétend le fonctionnaire s'estimant lésé. S'il y est répondu par l'affirmative, la question suivante sera ensuite de savoir si l'arbitre des griefs est habilité à accorder la réparation demandée.

[28]   En toute hypothèse, il peut y avoir une situation où l'employeur a négligé de faire une offre d'emploi raisonnable en vertu de l'ARE (alors qu'il était tenu d'en faire une), et pour corriger cette situation, l'arbitre des griefs peut décider que la seule offre d'emploi raisonnable qui puisse être faite afin de respecter les dispositions de la convention collective est une nomination à un poste déjà occupé par quelqu'un d'autre. L'effet de la décision de l'arbitre des griefs, dans l'exemple que je viens de donner, serait que le fonctionnaire s'estimant lésé se verrait attribuer un poste déjà occupé. Il est incontestable que la personne qui occupe ce poste devrait être autorisée à faire valoir son point de vue à l'audience, si tel est son souhait.

[29]   J'estime que je suis habilité à conclure que l'employeur a violé la convention collective si la preuve m'amène à tirer une telle conclusion. La présente décision ne porte pas sur cette question, qui n'a pas encore été débattue. Les parties sont libres de présenter des arguments relativement à cette question, si tel est leur choix.

[30]   Cependant, si l'agent négociateur entend faire valoir que l'employeur a violé la convention collective et me demander de conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé devrait se voir attribuer un autre poste, lequel est déjà occupé par quelqu'un d'autre, je tiens à préciser que cette personne doit être avisée de la tenue de l'audience et se voir accorder qualité pour comparaître (voir les principes énoncés dans l'affaire Bradley (ibid)) dans l'éventualité où elle manifeste son intention d'intervenir.

[31]   Par conséquent, j'en arrive, en l'espèce, aux conclusions suivantes :

  1. Je suis habilité à instruire le renvoi à l'arbitrage;

  2. Si l'agent négociateur entend faire valoir que le fonctionnaire s'estimant lésé a le droit de se voir attribuer un poste qui est actuellement occupé par quelqu'un d'autre, cette personne devrait en être avisée afin qu'il y ait tenue d'une nouvelle audience.

[32]   Je laisse aux parties le soin de déterminer quelle voie elles entendent suivre et d'en aviser ensuite le secrétaire adjoint, Opérations, de la Commission.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 30 avril 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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