Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Renvoi en cours de stage - Compétence - Caractère disciplinaire ou pas du renvoi - Objection préliminaire sur le droit de présenter un grief - Recevabilité - Autre recours sous le régime d'une loi fédérale - Droits de la personne - Plainte à la CCDP - Article 92 de la LRTFP - le fonctionnaire s'estimant lésé avait été renvoyé en cours de stage - dans son grief, il alléguait que le renvoi était une mesure disciplinaire déguisée - il avait aussi présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), laquelle avait déféré à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) en vertu de l'alinéa 41(1) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) - l'employeur l'avait officiellement informé qu'il devait améliorer son rendement en ce qui concernait ses interactions avec les collègues et qu'il devait aussi approfondir sa connaissance du logiciel de gestion des cas - à l'occasion du deuxième examen de son rendement, le fonctionnaire s'estimant lésé a été informé qu'on avait constaté une nette amélioration de ses relations avec les collègues, mais que sa productivité continuait d'inquiéter la direction - on lui a demandé si un facteur quelconque nuisait à son rendement, et il a mentionné ses douleurs au genou - on l'a averti qu'il serait renvoyé en cours de stage si son rendement ne s'améliorait pas au cours de la période suivante - il a demandé qu'on fasse évaluer son aptitude à travailler par Santé Canada, mais l'employeur a rejeté sa demande - il a envoyé à l'employeur un courriel dans lequel il exposait certains problèmes relatifs à son travail et à sa santé, en redemandant qu'on évalue son aptitude à travailler, ce qui lui a été refusé, et en réclamant les formulaires nécessaires pour présenter une demande d'invalidité de longue durée - sa demande d'assurance-invalidité a été approuvée - le fonctionnaire s'estimant lésé a été renvoyé en cours de stage et avisé que le mécanisme de recours était une rétroaction individuelle, suivie d'une révision de la décision, conformément au Programme de dotation de l'ADRC - le fonctionnaire s'estimant lésé s'est prévalu sans succès de ce mécanisme de recours, après quoi il a présenté un grief contestant son renvoi en cours de stage - il avait été informé par son représentant syndical qu'il pourrait présenter un grief une fois que le processus de révision de la décision serait terminé - l'employeur a soulevé trois objections contestant la compétence de la Commission - il a déclaré que le grief était irrecevable - le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé une prorogation du délai de présentation d'un grief - il n'avait pas beaucoup tardé à le faire et avait fait preuve d'une diligence raisonnable en le présentant et en consultant son agent négociateur - le préjudice qu'il aurait subi si sa demande de prorogation n'avait pas été accueillie l'emportait sur celui qui en résulterait pour l'employeur - l'employeur a aussi contesté la compétence de la Commission en se fondant sur le paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), parce que l'article 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada prévoyait un autre « recours administratif de réparation » - l'arbitre a jugé qu'on pouvait présenter un grief pour contester un renvoi en cours de stage, étant donné qu'il n'y avait aucun autre recours administratif de réparation sous le régime d'une loi fédérale - le mécanisme de recours en dotation de l'ADRC n'interdisait pas la présentation d'un grief, et le Programme de dotation ainsi que ses directives menaient à la conclusion que ce mécanisme n'était pas conçu pour supplanter la procédure de règlement des griefs dans les cas de renvoi en cours de stage - de toute façon, le mécanisme ne satisfaisait pas aux exigences établies dans la jurisprudence - l'employeur a aussi contesté la compétence de la Commission en invoquant l'article 92 de la LRTFP - l'arbitre a jugé que le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas acquitté de la charge de prouver que son renvoi en cours de stage était disciplinaire - le fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu que son renvoi découlait d'allégations non fondées de harcèlement que ses collègues lui reprochaient, mais la preuve a démontré que ces difficultés avaient été surmontées et que l'employeur n'en avait pas tenu compte pour arriver à sa décision de le renvoyer - son rendement était le seul facteur utilisé pour justifier son renvoi - l'arbitre n'avait donc pas compétence pour trancher en vertu de l'article 92 de la LRTFP - le fait que la CCDP avait déféré à la procédure de grief et d'arbitrage n'accroissait pas la portée de la compétence de l'arbitre sous le régime de la LRTFP - la question concernant les droits de la personne n'était pertinente que pour trancher la question de savoir si le renvoi en cours de stage était disciplinaire - il n'y avait aucune indication que c'était le cas - la question de savoir si l'employeur s'était acquitté de son obligation de tenir compte des besoins du fonctionnaire s'estimant lésé ne relevait pas de la compétence de la Commission, mais plutôt de celle de la CCDP. Grief rejeté. Décisions citées :Regina Police Association Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14; Dhudwal et autres c. Agence des douanes et du revenu du Canada , 2003 CRTFP 116; Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2003 DPICF 667; confirmée 2004 CAF 126; Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27; Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354; Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRFTP 1; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (QL); Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802 (QL); Archambault c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 28; Canada (Procureur général) c. Horn, [1994] 1 C.F. 453; Valadares c. Canada (Conseil du Trésor), [1994] A.C.F. no 1296 (QL); Robertson c. Conseil du Trésor (Ministère du Revenu national), dossier de la CRTFP no 166-2-454 (1971); Smith c. Conseil du Trésor (Affaires extérieures Canada), dossier de la CRTFP no 166-2-19902 (1991) (QL); Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2004 CRFTP 109.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-11-23
  • Dossier:  166-34-32661
  • Référence:  2004 CRTFP 167

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

BRIAN LUNDIN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur



Devant :   Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Lui-même

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 9 et 10 août 2004.


[1]    Le 23 septembre 2003, Brian Lundin a été renvoyé en cours de stage de son poste d'analyste des systèmes (CS-02) à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), ainsi qu'on appelait alors l'employeur. Il a présenté un grief pour contester son renvoi en cours de stage, en alléguant qu'il s'agissait « d'une mesure disciplinaire déguisée ». Le grief a été porté à l'arbitrage le 13 août 2003.

[2]    M. Lundin a aussi présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour protester contre son renvoi en cours de stage. Au cours de l'audience, l'avocate de l'employeur, Jennifer Champagne, m'a informé que la CCDP avait déféré à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) dans l'affaire et qu'elle s'était désistée. Dans une lettre datée du 15 janvier 2004, la CCDP avait décidé, conformément à l'alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), de ne pas se prononcer sur la plainte « pour le moment », parce que :

[Traduction]

[...]il était plus approprié que la plainte soit tranchée par un recours administratif de réparation prévu par une autre loi fédérale. À la fin de cette procédure, ou s'il se révèle qu'elle n'est pas raisonnablement accessible, la Commission [des droits de la personne] pourra se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire d'entendre la plainte à la demande du plaignant.

[3]    Au début de l'audience, j'ai expliqué la procédure aux parties, en précisant la charge de la preuve dans une affaire de renvoi en cours de stage.

[4]    L'avocate de l'employeur a soulevé trois objections à la compétence de la CRTFP pour entendre ce grief : 1) le respect du délai fixé pour la présentation d'un grief; 2) la capacité de M. Lundin pour présenter un grief en vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP); et 3) sa capacité pour présenter un grief contestant un renvoi en cours de stage en vertu de l'article 92 de la LRTFP.

[5]    La lettre de renvoi en cours de stage est datée du 3 septembre 2002, et le grief, du 21 mars 2003. La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs précise que le grief est irrecevable parce que présenté tardivement et le rejette sur cette base (ainsi que pour d'autres motifs auxquels je reviendrai plus loin). J'ai informé M. Lundin de son droit de demander une prolongation de délai en vertu de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993; il a présenté une demande en ce sens à l'audience. J'ai réservé ma décision sur la recevabilité du grief ainsi que sur la demande de prolongation du délai.

[6]    L'avocate de l'employeur a aussi contesté la compétence de la CRTFP en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP. Dans la réponse de l'employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, D.G.J. Tucker, commissaire adjoint à la Direction générale des ressources humaines, a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[...]

L'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la clause 34.04a) de votre convention collective prévoient qu'un fonctionnaire peut présenter un grief à l'égard duquel aucun recours administratif de réparation n'est prévu par une loi fédérale ou en vertu d'une telle loi. Les employés de l'Agence des douanes et du revenu du Canada qui sont renvoyés en cours de stage peuvent se prévaloir d'un recours administratif de réparation prévu dans le Programme de dotation de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, sous la forme d'une rétroaction individuelle suivie d'une révision de la décision. Je sais que vous avez pu vous prévaloir du recours applicable dans les cas de renvoi en cours de stage conformément à la section 8.1 du Programme de dotation; vous ne pouvez donc pas vous servir de la procédure de règlement des griefs pour contester votre renvoi. Il m'est impossible d'intervenir dans cette affaire, étant donné qu'une autre procédure de réparation a été prévue pour pallier vos problèmes.

[...]

[7]    Me Champagne fait valoir que l'article 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada (la Loi sur l'ADRC) prévoit l'autre « recours administratif de réparation » en question :

54.(1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

[8]    M. Lundin déclare que la décision rendue dans Archambault c. Agence de douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 28, s'applique dans la présente affaire, et qu'un arbitre a bel et bien compétence pour l'entendre.

[9]    J'ai souligné que l'argument de l'avocate de l'employeur fondé sur l'article 91 de la LRTFP n'a pas été soulevé dans Archambault, supra. J'ai ajouté que je ne pouvais pas me prononcer sur cette objection de compétence sans preuve, et j'ai donc réservé ma décision sur cette objection-là aussi.

[10]    Me Champagne a aussi invoqué le paragraphe 92(3) de la LRTFP, par analogie, pour maintenir que je n'ai pas compétence pour entendre le grief :

(3)      Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

[11]    Il est reconnu que la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) ne s'applique pas à l'ADRC. M. Lundin a porté à mon attention la décision Archambault, supra. Une fois de plus, j'ai réservé ma décision sur cette objection.

[12]    J'ai jugé devoir d'abord déterminer si j'ai compétence pour entendre le bien-fondé du grief. Si oui, il faudra fixer des dates d'audience à cette fin.

[13]    Pendant l'audience, M. Lundin a fait objection à certaines parties d'une pièce (E-6) qui aurait contenu les notes d'Andrew Howieson, son superviseur, quant à son rendement. Il a souligné que M. Howieson n'était pas présent pour qu'il puisse l'interroger sur ses notes ou pour prouver qu'elles étaient effectivement les siennes. Un des volets de cette pièce était composé des notes de John Feiner, un gestionnaire de projet qui a témoigné; un autre portait sur une réunion entre MM. Lundin et Feiner. Les seules parties de la pièce qui sont admissibles sont celles que M. Feiner a identifiées comme étant ses propres notes et les notes de la réunion à laquelle il a participé. Je n'ai donc pas tenu compte des autres parties des notes.

[14]    Deux témoins ont comparu pour l'employeur; M. Lundin a témoigné pour lui-même.

La preuve

[15]    Le 10 août 2001, M. Lundin a reçu une lettre d'offre d'emploi pour une période indéterminée comme analyste des systèmes à la Direction générale de la technologie de l'information (TI) de l'ADRC, à Ottawa-Hull. Le poste était classifié CS-02 (Gestion des systèmes d'ordinateurs). À l'époque, M. Lundin habitait Winnipeg. Sa nomination a pris effet le 17 septembre 2001, et ses conditions d'emploi (incluant l'avis qu'il serait en stage probatoire pour douze mois) étaient précisées dans une pièce jointe à la lettre.

[16]    M. Lundin a témoigné avoir 25 ans d'expérience en analyse informatique statistique et être titulaire d'une maîtrise en statistique/informatique.

[17]    John Feiner est le gestionnaire de projets de la Direction générale de la TI; il a témoigné au nom de l'employeur. Il est aussi le supérieur de M. Howieson, le chef de projet qui était le superviseur de M. Lundin. M. Feiner a témoigné qu'il ne savait pas quelle était l'expérience professionnelle antérieure de M. Lundin et qu'il n'avait pas communiqué avec les personnes que celui-ci avait citées comme références. Il a déclaré s'être fié à d'autres membres de l'ADRC pour mener le processus d'embauche et dit qu'il s'attendait à ce qu'on embauche une personne d'expérience en TI.

[18]    Les principales fonctions du poste concernaient la conception et le maintien d'un système de gestion de la charge de travail de la section des « Autres prélèvements » de l'ADRC. M. Feiner a témoigné que le rôle de M. Lundin consistait à comprendre les besoins opérationnels des clients, à les convertir en spécifications de systèmes et à travailler de concert avec les programmeurs à la conception de perfectionnements ainsi qu'à leur « mise en oeuvre ».

[19]    M. Lundin a signé le 14 novembre 2001 un formulaire de « Rapport de gestion du rendement de l'employé » (pièce G-8) dans lequel ses buts pour la période d'évaluation suivante étaient précisés comme suit :

[Traduction]

Un des principaux buts de la Direction consiste à encourager l'établissement et le maintien d'un milieu propice au travail d'équipe. Pour y arriver, on s'attend à ce que vous fonctionniez en équipe et fassiez preuve des habiletés interpersonnelles appropriées, tout en étant capable de travailler seul au besoin.
  1. Analyser les applications informatiques proposées ainsi que les demandes de modification/perfectionnement des systèmes pour déterminer la portée, les retombées et le coût de leur mise en oeuvre. Concevoir et maintenir des applications des systèmes d'ordinateurs en concevant, appliquant et testant des solutions pour répondre à leurs besoins.

  2. Donner le meilleur service possible dans une optique axée sur le service à la clientèle.

  3. Appuyer les valeurs de l'ADRC.

[20]    M. Feiner a témoigné avoir été informé pour la première fois des problèmes de rendement de M. Lundin au début du printemps de 2002, quand un employé lui a fait part de ses inquiétudes au sujet de commentaires inopportuns de l'intéressé au travail. M. Feiner a fait un suivi auprès de M. Howieson. C'est après cette rencontre avec ce dernier qu'il a appris l'existence de problèmes de rendement. Les inquiétudes concernaient le temps qu'il fallait au fonctionnaire s'estimant lésé pour faire son travail, sa compréhension des exigences de base et sa productivité. Après la première rencontre avec M. Howieson, M. Feiner a demandé conseil à la Section des ressources humaines de l'ADRC.

[21]    Pour remédier aux problèmes de rendement de M. Lundin, M. Howieson a produit un « Plan d'action de l'ADRC relatif au développement du rendement des employés qui n'atteignent pas les attentes en matière de rendement », ci-après appelé « plan d'action » (pièce E-3). M. Lundin a témoigné qu'on a déposé ce document sur son bureau vers le 23 avril 2002.

[22]    La période visée par le plan d'action allait du 23 avril au 24 mai 2002; M. Howieson l'a signé le 2 mai 2004. Deux « améliorations du rendement » étaient exigées : « Amélioration de son rendement en ce qui concerne son interaction avec l'équipe du PCI » et « Connaissance du logiciel de gestion des cas ». Dans la colonne des mesures correctives du formulaire, il était précisé que M. Lundin devait prendre connaissance des renseignements figurant dans le « Code de déontologie et de conduite » et dans un document intitulé « Prévention et résolution du harcèlement ». Le plan d'action précisait en outre que, conformément à ces renseignements et à ce qui lui avait été dit au cours d'une réunion le 23 avril 2002, il devait [traduction] « prendre les mesures nécessaires pour établir de bonnes relations professionnelles avec ses collègues de l'équipe ». Ce facteur de rendement allait être [traduction] « réévalué largement en fonction de la rétroaction de ses coéquipiers ».

[23]    Pour la deuxième partie des améliorations du rendement identifiées (« Connaissance du logiciel de gestion des cas »), M. Howieson avait fixé les mesures correctives suivantes (pièce E-3) :

[Traduction]

Brian va analyser les exigences applicables aux entreprises du SCAP et déterminer comment elles correspondent aux solutions des cas. Il va ensuite s'employer, avec les analystes expérimentés des Autres prélèvements, à les traduire en changements du mappage des PB; ces changements devraient avoir été faits d'ici la fin du septième passage.

L'évaluation de Brian sera fonction de la rapidité et de l'efficience de ses mises à jour et du volume de travail dont il pourra s'acquitter par lui-même. Nous nous attendons à ce qu'il ait besoin d'aide au début, mais il devrait pouvoir travailler seul à mesure qu'il comprendra mieux le processus. Nous nous attendons aussi à ce qu'il se renseigne sur les questions liées à son travail et qu'il propose des solutions aux autres analystes des Autres prélèvements pour obtenir leur avis.

[24]    M. Lundin a refusé de signer le plan d'action pour la période du 23 avril au 24 mai 2002 à cause des allégations de harcèlement qu'il contenait ainsi que des mentions du Code de déontologie et de conduite. M. Feiner l'a rencontré dans ce contexte le 6 mai 2002. M. Lundin lui a dit alors qu'il [traduction] « voulait que les choses s'améliorent », mais ne voulait pas signer le plan d'action. M. Feiner l'a assuré que signer le document signifiait seulement qu'il avait rencontré M. Howieson et qu'ils en avaient parlé. M. Lundin ne voulait toujours pas signer le plan d'action, ce sur quoi M. Feiner lui a dit qu'il n'insisterait pas, en ajoutant la note manuscrite suivante sur le formulaire :

[Traduction]

J'ai parlé de ce formulaire (et de la situation dans son ensemble) avec Brian. Il ne veut pas signer le formulaire à cause des mentions du Code de déontologie et des allégations de harcèlement. Je lui ai dit que j'acceptais qu'il refuse de signer en autant qu'il comprenne la situation. Il a dit qu'il la comprenait.

[25]    M. Lundin a témoigné qu'il avait demandé un recours au Système de règlement des différends de l'ADRC (pièce G-1) pour remédier à ses difficultés d'interaction avec les autres membres de l'équipe mentionnées dans le plan d'action. Il a ajouté que ses supérieurs n'ont jamais donné suite à cette demande.

[26]    M. Feiner a témoigné que, lorsqu'on embauche quelqu'un comme CS-02, on s'attend à ce qu'il ait de l'expérience en TI et n'ait besoin de formation qu'en ce qui concerne le système de gestion de la charge de travail. Tous les employés reçoivent un guide, de la documentation et un système de formation interactif à leur entrée en fonctions. On avait aussi assigné à M. Lundin un mentor, c'est-à-dire un analyste d'expérience ayant fait ses preuves en mentorat. M. Lundin a témoigné avoir fait des heures supplémentaires sans demander à être payé pour se familiariser avec le système de l'ADRC.

[27]    Un deuxième plan d'action a été établi pour la période du 4 au 28 juin 2002 (pièce E-3). Le premier aspect à améliorer consistait à [traduction] : « Continuer d'améliorer son rendement en ce qui concerne ses interactions avec l'équipe du PCI ». La mesure corrective exigée était la participation à un atelier sur les habiletés de relations interpersonnelles. Le second élément à améliorer était le même dans ce deuxième plan d'action que dans le premier : « Connaissance du logiciel de gestion des cas ». La mesure corrective comprenait plusieurs tâches, le tout se terminant par une déclaration stipulant que M. Lundin allait être évalué en fonction de [traduction] « la rapidité et l'efficacité avec laquelle il fait ses mises à jour et le volume de travail qu'il peut accomplir par lui-même ». M. Lundin a signé ce plan d'action.

[28]    Le 1er août 2002, MM. Feiner et Howieson ont rencontré M. Lundin pour parler de son rendement dans le contexte de ce deuxième plan d'action. À la réunion, M. Lundin a été informé qu'on avait constaté une grande amélioration dans ses relations avec ses collègues, mais que sa productivité suscitait des inquiétudes. M. Feiner a témoigné que M. Lundin s'était fait dire à cette occasion que, si une décision devait être prise ce jour-là, elle aurait consisté à le renvoyer en cours de stage. Il a ajouté que M. Lundin s'était fait demander s'il y avait [traduction] « un facteur non professionnel quelconque qui pourrait nuire à son rendement ». Il a déclaré que M. Lundin n'avait mentionné que ses « douleurs au genou ». Il a précisé qu'on avait aussi dit à M. Lundin qu'il pourrait s'adresser au Programme d'aide aux employés (PAE) s'il avait besoin de parler de quoi que ce soit. M. Feiner a témoigné que M. Lundin avait été informé que les tâches qu'on lui confierait au cours de la période d'évaluation suivante (du 1er au 29 août 2002) seraient au niveau auquel on s'attendait qu'il travaille après dix mois d'expérience. Il a été averti que son rendement serait évalué le 28 août 2002, et que, s'il ne répondait pas aux attentes, il serait renvoyé en cours de stage. Enfin, M. Feiner a déclaré qu'il ne se rappelait pas que M. Lundin ait contesté ou réfuté les observations relatives à son rendement.

[29]    Le troisième plan d'action portait sur la période du 1er au 29 août 2002 (pièce E-3). Les éléments à améliorer étaient les mêmes que dans le deuxième plan d'action, à savoir « Continuer d'améliorer son rendement en ce qui concerne ses interactions avec l'équipe du PCI » et « Connaissance du logiciel de gestion des cas ». Les mesures correctives que M. Lundin devait prendre quant à ses interactions avec l'équipe du TIC étaient les suivantes :

[Traduction]

Travailler seul. Ne pas se fier aux autres membres de l'équipe pour prendre des décisions simples ou pour vérifier de l'information facile à obtenir.

Faire le suivi sur les questions en jeu dans les délais prévus.

Communiquer clairement ses idées verbalement et par écrit.

Être souple — faire preuve de souplesse en ce qui concerne les priorités et les tâches à accomplir.

Cela sera réévalué en fonction d'une observation personnelle et de la rétroaction de ses coéquipiers.

[30]    Les mesures correctives à prendre sous la rubrique de la « Connaissance du logiciel de gestion des cas » étaient les suivantes :

[Traduction]

Brian va continuer à travailler sur les changements de mappage PB du SCAP.

Il va aussi devoir faire le nécessaire pour accomplir quelques autres tâches mineures qu'on lui a demandé de mener à bien. Nous nous attendons à ce qu'il fasse des progrès à cet égard ainsi que dans ses autres tâches, et qu'il accomplisse les nouvelles tâches qui lui seront confiées dans les délais prévus. Nous nous attendons aussi à ce que, durant cette période d'évaluation, il ait plusieurs tâches mineures à accomplir et qu'il s'en acquitte par lui-même dans les délais. Cela pourrait comprendre une contribution à l'établissement de demandes de changements et/ou l'introduction des changements requis, au suivi des problèmes signalés par suite de tests, etc.

Être capable d'appliquer les concepts de base de gestion des cas.

L'évaluation de Brian sera fonction de la rapidité et de l'efficience de ces mises à jour et du volume de travail qu'il sera capable d'accomplir par lui-même.

[31]    Tous les trois plans d'action (pièce E-3) comprenaient la remarque suivante : [traduction] « S'il ne répond pas à ces attentes, Brian pourrait être renvoyé en cours de stage ».

[32]    Le 8 août 2002, M. Lundin a envoyé à M. Feiner un courrier électronique (pièce E-4) lui demandant de faire évaluer son aptitude à travailler par Santé Canada. Il précisait aussi qu'il allait tenter d'obtenir des renseignements de son médecin de famille sur son état de santé. M. Feiner lui a répondu le jour même :

[Traduction]

Comme nous venons d'en parler, toutes les conversations qu'Andrew et moi-même avons eues avec vous ces derniers mois au sujet de votre rendement en période de stage vous ont donné amplement l'occasion de soulever des questions de santé en tant que facteurs susceptibles de rendre vos progrès plus lents que prévu. En fait, nous vous avons demandé plusieurs fois si des facteurs quelconques dont nous n'étions peut-être pas conscients pouvaient nuire à vos progrès, et vous nous avez répondu chaque fois que non.

À l'heure actuelle, nous ne croyons pas nécessaire de faire évaluer votre état par Santé Canada, et nous n'avons constaté aucune indication de troubles physiques ou psychologiques qui nous inciteraient à demander un tel examen. Néanmoins, si vous obtenez une lettre de votre médecin de famille déclarant que vous souffrez d'un trouble contribuant effectivement à rendre vos progrès plus lents que prévus, nous prendrons toutes les mesures d'accommodement nécessaires pour vous aider à vous acquitter de vos fonctions efficacement et en toute sécurité.

Si votre médecin confirme que vous souffrez d'un trouble qui nuit à votre progression, j'aimerais souligner que vous n'êtes pas tenu de communiquer à la direction les renseignements relatifs à votre état, puisque ce sont des renseignements personnels qui vous concernent. Toutefois, si votre médecin de famille constate que vous avez une ou plusieurs difficultés nécessitant des mesures d'adaptation spéciales, la direction pourra revenir sur sa décision à ce moment-là et vous demander de vous prêter à une évaluation par Santé Canada.

[33]    M. Feiner a témoigné que c'était la première fois que M. Lundin avait mentionné des problèmes de santé. Pour sa part, M. Lundin a déclaré qu'il avait déjà parlé plusieurs fois de ces problèmes à son superviseur, M. Howieson. M. Feiner a précisé que l'employeur demande à Santé Canada d'évaluer l'aptitude à travailler d'un employé seulement s'il estime qu'un problème de santé nuit à son rendement. Après avoir maintes fois demandé à M. Lundin de leur dire si sa santé nuisait à son travail et s'être fait répondre « non », ses supérieurs n'avaient aucune raison de penser que son état de santé pouvait affecter son rendement.

[34]    Vers le 20 août 2002, M. Lundin a commencé à travailler en fauteuil roulant. Il avait commencé à se servir d'une canne à son travail vers le mois d'avril 2002.

[35]    Le 26 août 2002, M. Lundin a envoyé un courrier électronique à Mme Kathy McDougall (directrice, Division d'identification des clients) ainsi qu'à MM. Feiner et Howieson (pièce E-5) dans lequel il leur exposait « certains problèmes relatifs à son travail et à sa santé ». Il précisait les noms des médecins qui le traitaient pour des problèmes sanguins (anémie notamment) et neurologiques. Il déclarait avoir besoin d'une transfusion de sang tous les mois pour son anémie et pour des problèmes connexes. Ces transfusions avaient un effet bénéfique, selon lui. Il ajoutait qu'on lui faisait subir des tests neurologiques. Il précisait n'avoir jamais eu de problèmes sanguins ou de coordination avant de commencer à travailler à l'ADRC et déclarait que travailler en fauteuil roulant avait amélioré sa situation personnelle et accru sa capacité de rendement. Il redemandait d'être soumis à une évaluation de son aptitude à travailler par Santé Canada et réclamait les formulaires nécessaires pour présenter une demande d'invalidité de longue durée.

[36]    M. Feiner a répondu le même jour (pièce E-5) :

[Traduction]

Brian,

Sur le point no 4 du courrier électronique ci-annexé, j'ai déjà répondu à votre question au sujet d'une évaluation par Santé Canada dans un courrier électronique que je vous ai envoyé le 8 août. Si vous n'en avez pas reçu copie, veuillez me le faire savoir.

En ce qui concerne le point no 5, je vous ferai parvenir demain un exemplaire du formulaire de demande d'invalidité de longue durée.

[37]    C'est Phred Hughes, directeur général de la Direction des systèmes de comptabilité du revenu de la Direction générale de la TI, qui a signé la lettre de renvoi en cours de stage de M. Lundin, datée du 3 septembre 2002 (pièce E-2). Il déclarait dans cette lettre que M. Lundin serait licencié à compter de la fermeture des bureaux le 23 septembre 2002. M. Feiner a rencontré M. Lundin pour lui remettre la lettre. M. Lundin n'a jamais rencontré M. Hughes avant le processus de rétroaction individuel (voir plus loin). Dans sa lettre, M. Hughes invoquait les raisons suivantes pour justifier le renvoi en cours de stage :

[Traduction]

[...]

L'évaluation de votre rendement au cours des onze derniers mois révèle que vous êtes incapable d'atteindre les niveaux requis pour ce poste. Ces évaluations ont été réalisées par votre chef de projet, Andrew Howieson, en avril, en juin et en août. Chaque fois, on a discuté avec vous de façon détaillée des attentes de la direction ainsi que de votre rendement, et vous avez été informé que vous ne répondiez pas à ces attentes. On vous a aussi demandé de préciser toutes les circonstances atténuantes qui nuisaient à votre rendement. Vous avez dit qu'il n'y en avait aucune. On n'a ménagé aucun effort pour veiller à ce que vous ayez l'instruction, le mentorat et la formation nécessaires; malgré tout, votre rendement n'accuse aucune amélioration sensible.

[...]

[38]    M. Lundin a aussi été informé dans cette lettre que son recours était une rétroaction individuelle et, s'il le demandait, une révision de la décision, conformément au Programme de dotation de l'ADRC (pièce E-8), à la rubrique « Recours ». Le Programme de dotation prévoit un stage probatoire de douze mois et un renvoi en cours de stage « lorsqu'il est justifié de le faire », avec préavis de deux semaines. Au paragraphe 8.1-7, on peut lire que les employés renvoyés au cours du stage probatoire « peuvent demander une rétroaction individuelle suivie de la révision de la décision en conformité avec la directive de l'ADRC sur les recours en dotation » (pièce E-8, Annexe « L »). Tant pour la rétroaction individuelle que pour la révision de la décision, l'employé intéressé peut être accompagné, mais le Programme de dotation ne prévoit aucun droit de représentation.

[39]    M. Lundin a aussi été informé dans la lettre qu'il avait sept jours civils à compter de sa réception pour demander une rétroaction individuelle. Le 9 septembre 2002, il présentait une demande de rétroaction individuelle (pièce E-9), dans laquelle il avançait les trois raisons suivantes pour justifier sa démarche :

[Traduction]

  1. Je ne souscris pas à l'évaluation de mon rendement par les gestionnaires; la direction n'a jamais mentionné de problèmes particuliers quant à la qualité de mon travail au cours de mon stage probatoire.

  2. Il est possible que cela soit une mesure disciplinaire contre moi à cause d'une plainte de prétendu « harcèlement » qu'on me reprochait.

  3. Il peut y avoir ici des éléments liés à mon invalidité et à l'assurance-invalidité.

[40]    En ce qui concerne les recours en matière de dotation, le Programme de dotation stipule qu'on doit répondre dans les vingt jours à une demande de rétroaction individuelle (pièce E-8). Dans son témoignage, M. Hughes a déclaré avoir pris connaissance de la documentation qu'il avait reçue de M. Feiner avant de rencontrer M. Lundin. Il a répondu à la demande de rétroaction individuelle le 21 octobre 2002 (pièce E-10) en concluant qu'aucune mesure corrective ne serait prise. Il a déclaré avoir été convaincu que M. Howieson avait fréquemment informé M. Lundin que son rendement était insatisfaisant et qu'il avait pris des mesures pour l'aider à s'améliorer. Exception faite du premier plan d'action (pièce E-3), il a déclaré n'avoir trouvé aucune allusion explicite à du harcèlement. En réponse à l'allégation de M. Lundin quant à son invalidité, il a soutenu que ce dernier avait déclaré que rien ne nuisait à son rendement lorsqu'on le lui a demandé, le 1er août 2002.

[41]    M. Lundin a demandé une révision de la décision le 27 septembre 2002, soit avant de recevoir une réponse à sa demande de rétroaction individuelle. La directive sur les recours en matière de dotation exige une réponse dans les vingt jours de la réception d'une telle demande. Or, c'est le 28 février 2003 que M. Lundin a reçu de Susan Brown, sous-commissaire adjointe, une réponse (pièce E-12) dans laquelle celle-ci concluait qu'on avait fait une enquête approfondie sur sa situation et constaté qu'il était incapable de répondre aux attentes quant à son rendement en dépit des indications, du counselling et de la formation que ses gestionnaires lui avaient donnés. Mme Brown concluait qu'il n'y avait aucune indication d'une mesure disciplinaire déguisée, en ajoutant que l'invalidité de M. Lundin n'avait nullement influé sur la décision de le renvoyer en cours de stage, et elle terminait sa lettre en ces termes :

[Traduction]

[...] comme je ne considère pas que la décision de vous renvoyer en cours de stage a été prise de façon inconséquente, que le processus qui a mené à votre renvoi a été appliqué incorrectement ou injustement ou qu'il s'agissait là d'une mesure disciplinaire déguisée, aucune mesure corrective ne sera prise par suite de la révision de la décision.

[42]    M. Lundin a présenté son grief pour protester contre son renvoi en cours de stage le 21 mars 2003 (pièce E-7). Il a témoigné que son représentant syndical, Martin Ranger, lui avait dit qu'il pourrait présenter un grief une fois que le processus de révision de la décision serait terminé.

[43]    La demande d'assurance-invalidité de M. Lundin a été approuvée le 3 septembre 2003, rétroactivement au 21 décembre 2002.

Arguments

Pour l'employeur

[44]    L'avocate de l'employeur soutient que le renvoi de M. Lundin en cours de stage n'était pas disciplinaire et qu'il n'est donc pas de la compétence d'un arbitre de griefs. M. Lundin a été licencié pour des raisons liées à son inaptitude et à son rendement insatisfaisant. Sa lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-2) précise qu'il a été licencié pour son rendement insatisfaisant. Avant qu'on le renvoie en cours de stage, on lui avait demandé de préciser les circonstances atténuantes qui nuisaient à son rendement, mais il n'en a donné aucune. Il a eu le mentorat voulu durant son stage probatoire. Ses lacunes étaient identifiées dans les plans d'action (pièce E-3) et il ne les a pas contestées dans son témoignage, sauf par ses commentaires concernant le harcèlement. Il s'est fait dire à de nombreuses reprises ce qu'on attendait de lui et il a reçu une rétroaction sur son rendement. On lui a offert et donné les ressources susceptibles de l'aider à améliorer son rendement. M. Feiner a témoigné qu'il avait été embauché en tant que personne d'expérience, et que c'est pour cela que l'employeur ne lui a pas offert de formation de base. Toutefois, M. Lundin a été formé à l'utilisation du système utilisé à l'ADRC, et l'employeur lui a offert des services de mentorat. M. Feiner a déclaré qu'on s'attend à ce que tous les employés aient une « période d'ajustement », mais aussi qu'ils soient tous entièrement efficaces dans un délai de six à neuf mois. En août 2002, il était évident que M. Lundin n'arriverait pas à être tout à fait efficace, à moins d'un miracle. La série de plans d'action devait le sensibiliser à ses lacunes et aux conséquences s'il ne répondait pas aux attentes.

[45]    Selon Me Champagne, les arguments que M. Lundin a invoqués pour contester son renvoi en cours de stage portent sur le harcèlement qu'on lui a reproché, alors qu'il n'y a jamais eu de plainte en bonne et due forme de harcèlement présentée contre lui. M. Feiner a témoigné qu'on avait signalé des remarques de l'intéressé à la direction. Afin d'éviter des problèmes dans l'avenir et de s'acquitter de son obligation d'assurer au personnel un milieu de travail exempt de harcèlement, la direction l'a informé des politiques en vigueur contre le harcèlement. Cette intervention de l'employeur ne signifie absolument pas que M. Lundin était coupable de harcèlement. Peu après cet avertissement, on a constaté des améliorations de son comportement, et cela ne posait plus problème. La dernière fois qu'on a parlé de harcèlement avec lui, c'était le 6 mai 2002. L'employeur n'a pas tenu compte de cette question de harcèlement pour arriver à sa décision de renvoyer M. Lundin en cours de stage. Rien dans la preuve n'étaye l'allégation de M. Lundin, dans son grief, que c'est pour cette raison-là qu'il a été licencié.

[46]    Me Champagne m'a renvoyé aux affaires Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802 (QL), Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (QL) et Archambault, supra. Elle soutient qu'une fois que l'employeur a démontré qu'il avait une raison liée à l'emploi pour renvoyer l'employé en cours de stage, le fardeau de la preuve retombe sur ce dernier, qui doit alors démontrer que le renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée ou une « imposture ». M. Lundin ne s'est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Il n'a pas démontré qu'il a été renvoyé en cours de stage à cause de prétendues plaintes de harcèlement ou pour toute autre raison que celles précisées dans sa lettre de renvoi en cours de stage. Me Champagne m'a aussi renvoyé à Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33.

[47]    Me Champagne a également fait valoir que la présentation d'un grief n'est pas possible pour M. Lundin en vertu de l'article 91 de la LRTFP. LaLoi sur l'ADRC donne à l'ADRC le pouvoir exclusif de superviser la dotation et les recours en matière de dotation (article 54). M. Lundin s'est prévalu des deux niveaux de recours qui lui étaient offerts en vertu des directives sur la dotation de l'ADRC. Par conséquent, il ne peut pas chercher à se prévaloir de recours parallèles. L'ADRC n'a pas prévu que les personnes renvoyées en cours de stage puissent présenter des griefs; leur seul recours est précisé dans le Programme de dotation (pièce E-8). Si l'employé n'est pas satisfait des résultats de ce recours interne à l'ADRC, il peut réclamer un contrôle judiciaire de la décision, mais pas présenter un grief. Me Champagne m'a renvoyé aux affaires Dhudwal et autres c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 116, ainsi qu'à Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2003 CFPI 667, confirmée dans l'arrêt 2004 CAF 126.

[48]    Me Champagne a également fait valoir que le grief est irrecevable parce que présenté tardivement. Selon elle, M. Lundin n'a pas présenté un grief pour protester contre la note de service qui a mis fin à sa demande de révision de la décision, mais bien pour contester son renvoi en cours de stage. Il aurait dû déposer un grief dans les 25 jours du 3 septembre 2002, date à laquelle il a reçu sa lettre de renvoi en cours de stage. Me Champagne déclare qu'un représentant de l'agent négociateur était venu assister M. Lundin, qui a pu demander qu'on l'aide à bien comprendre la convention collective. Bref, aucune circonstance extraordinaire ne justifierait une prolongation de plus de cinq mois du délai de présentation d'un grief, et elle a donc déclaré que je devrais rejeter la demande de prolongation de délai.

[49]    En ce qui concerne les problèmes de santé de M. Lundin, Me Champagne a souligné qu'il n'avait pas été franc avec l'employeur en ne l'informant pas des problèmes de santé qui auraient pu nuire à son rendement. C'était à lui qu'il incombait de fournir tout renseignement à cet égard. Il s'est fait demander à maintes reprises si quelque chose nuisait à son rendement, et il a toujours répondu qu'il n'y avait pas de problème, sauf qu'il avait mal au genou.

[50]    La décision de la CCDP de déférer à l'arbitrage le grief ne change en rien le fait que la question à trancher consiste à savoir si M. Lundin a été renvoyé en cours de stage pour des raisons relatives à son emploi. Le renvoi de la CCDP ne change pas la nature de cette question devant un arbitre de griefs, et le critère applicable reste le même.

[51]    Rien dans la preuve ne laisse entendre que M. Lundin ait été renvoyé pour d'autres raisons que celles qui sont précisées dans les plans d'action (pièce E-3). La première fois que des renseignements concernant le moindrement sa santé ont été donnés, c'était dans le courrier électronique daté du 26 août 2002 (pièce E-5). M. Lundin avait toujours refusé jusque-là de donner de tels renseignements à l'employeur. Or, l'employeur n'a aucune obligation de pousser sa démarche plus loin lorsque l'employé ne veut pas être franc; l'employé est le seul à blâmer pour ce manque de communication.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[52]    M. Lundin a soutenu que, dans sa lettre de renvoi en cours de stage, on lui disait qu'il devait d'abord se prévaloir de la procédure de recours interne, suivie de la procédure de règlement des griefs. C'est pour cette raison qu'il a déposé son grief quand il l'a fait, et il a maintenu par conséquent que son grief est recevable.

[53]    M. Lundin a déclaré qu'il faut déterminer les raisons à son renvoi en cours de stage pour comprendre si l'ensemble du processus était de bonne ou de mauvaise foi. Selon lui, la mauvaise foi de l'employeur a commencé à se manifester le 23 avril 2002, lorsque la direction a allégué qu'il s'était rendu coupable de harcèlement (pièce E-3). Il a souligné que cette allégation figure encore dans son évaluation globale. Il a contesté l'existence même de la réunion le 23 avril 2002 et nié avoir fait les commentaires en question. Les allégations figurant dans le plan d'action n'ont jamais fait l'objet d'une enquête, et c'est pourquoi il a fait valoir qu'il ne sait toujours pas quels étaient les commentaires qu'on prétend qu'il avait faits dans ce document. D'après lui, une fois qu'il aura été démontré que la première intervention de l'employeur était de mauvaise foi, tout ce qui a été fait par la suite sera teinté de mauvaise foi, même s'il s'agit de mesures pouvant sembler légitimes. La mauvaise foi de l'employeur a commencé le 23 avril 2002 et s'est poursuivie jusqu'à son renvoi en cours de stage. M. Lundin s'est dit harcelé par ce que l'employeur a fait en ne lui donnant pas accès à des recours contre les allégations de harcèlement. On ne lui a offert aucun moyen de réfuter les allégations figurant dans les plans d'action. En outre, ses superviseurs parlaient à ses collègues alors qu'il ne savait pas ce qu'on disait sur lui. M. Lundin a déclaré que les gestionnaires avaient [traduction] « brouillé les eaux »; une fois qu'elles sont brouillées, que peut-on en faire?

[54]    M. Lundin a maintenu qu'il avait signé les plans d'action subséquents parce qu'il n'aurait servi à rien de refuser de le faire; il avait fait état de ses objections et avait aussi demandé au système de règlement des différends de l'ADRC de se prononcer sur les allégations de harcèlement.

[55]    M. Lundin a déclaré que l'employeur ne s'est pas conformé à ses propres lignes directrices applicables à la gestion du rendement (pièces G-5 et G-6). Les obligations figurant dans ces lignes directrices sont résumées à la pièce G-6 :

[Traduction]

[...]

  1. Le gestionnaire doit au moins être en mesure de démontrer qu'il s'est entièrement acquitté des responsabilités suivantes :
  • l'obligation d'agir de bonne foi;
  • l'obligation d'informer intégralement l'employé des exigences du poste;
  • l'obligation d'informer l'employé qu'il ne répond pas aux exigences du poste, de la nature de ses lacunes et des conséquences s'il continue de ne pas répondre aux exigences du poste;
  • l'obligation de donner à l'employé la possibilité d'apporter les rajustements nécessaires pour répondre aux exigences;
  • l'obligation d'aider l'employé à faire ces rajustements;
  • l'obligation d'envisager d'autres solutions avant de rétrograder ou de licencier l'employé.

[...]

[56]    M. Lundin a fait valoir qu'il n'y avait eu aucune véritable évaluation de son rendement et qu'on ne lui a pas permis de faire des commentaires sur les plans d'action. Les documents étaient toujours rédigés avant toute discussion. Il a déclaré que les plans d'action avaient été acceptés tels quels dans le processus de rétroaction individuelle, perpétuant ainsi la mauvaise foi de l'employeur, tout comme dans le processus de révision de la décision.

[57]    M. Lundin a dit avoir déclaré au moins une fois à son gestionnaire, M. Howieson, qu'il avait [traduction] « des problèmes de santé vraiment graves ». En août 2002, il a informé MM. Feiner et Howieson de son état de santé et a réclamé une évaluation de son aptitude à travailler. M. Lundin a déclaré avoir dit à tous ceux qui le lui demandaient qu'il avait [traduction] « des problèmes ». Il a souligné qu'il ne croyait pas avoir besoin d'aide à cause de son état de santé au début, mais au mois d'août, il croyait qu'une évaluation par Santé Canada atténuerait ses problèmes, et que ce serait une bonne raison pour qu'on puisse le mettre en disponibilité ou en congé jusqu'à ce qu'ils [traduction] « se règlent d'eux-mêmes ».

[58]    M. Lundin a déclaré qu'il existe suffisamment d'indications pour qu'on puisse douter de la bonne foi de l'employeur. Dans sa lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-2), l'employeur a écrit qu'il n'y avait pas de « circonstances atténuantes ». M. Lundin a souligné qu'il avait signalé deux de ces circonstances à l'employeur : les allégations non fondées de harcèlement et ses problèmes de santé.

Réplique

[59]    Me Champagne a déclaré qu'une allégation de mauvaise foi ne peut pas être faite à la légère. Il ne suffit pas de qualifier n'importe quoi de « mauvaise foi », il faut aussi démontrer l'existence de la mauvaise foi. M. Lundin peut ne pas souscrire au processus, mais cela ne signifie pas qu'il ait été de mauvaise foi.

Autres arguments

[60]    J'ai signalé aux parties la décision rendue — le jour de l'audience — dans l'affaire Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) , 2004 CRTFP 109, et je leur ai offert la possibilité de me soumettre des observations à cet égard.

Pour l'employeur

[61]    Me Champagne a déclaré que les faits dans Dhaliwal, supra, étaient très différents de ceux de la présente affaire. Il n'y avait pas de problèmes de rendement dans Dhaliwal; seulement un problème concernant l'utilisation des congés. Cette décision reprend le critère établi dans Leonarduzzi, supra. Dans le cas de M. Lundin, l'employeur s'est conformé à son obligation d'informer l'employé des lacunes de son rendement et des conséquences si celles-ci n'étaient pas corrigées. Il s'est aussi acquitté de son obligation de s'informer des raisons de ces lacunes. Cela dit, l'employé a lui aussi l'obligation de collaborer à cet égard et d'informer l'employeur de toutes les raisons de son piètre rendement.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[62]    M. Lundin m'a renvoyé au paragraphe 76 de Dhaliwal, supra :

[76]    [...]Quand l'employeur décide qu'un employé ne convient pas pour le poste auquel il a été nommé, il est tenu de produire une preuve sur la façon dont il a décidé de renvoyer l'employé en cours de stage : Leonarduzzi (précité). En d'autres termes, bien qu'il incombe à l'employé de prouver la mauvaise foi, l'employeur doit établir le fondement, la justification d'une telle décision. L'employeur doit produire une preuve concernant le fondement d'une telle décision. S'il le fait, la question de la bonne foi sera réglée, car la preuve établira que la décision a été prise de bonne foi.

[63]    M. Lundin a déclaré qu'une partie du « fondement » péchait par son absence dans la décision de le renvoyer en cours de stage.

[64]    Il m'a aussi renvoyé au paragraphe 83 de la décision susmentionnée, plus particulièrement au passage suivant :

[83]    [...]Selon moi, si une décision n'est pas prise de bonne foi à l'aide des lignes directrices de la politique du Conseil du Trésor, il en résulte une décision prise de mauvaise foi.

[65]    M. Lundin a déclaré qu'on ne lui a pas donné accès à des mécanismes qui lui auraient permis d'aborder les allégations de harcèlement.

Motifs de décision

[66]    Ce renvoi à l'arbitrage soulève trois questions de compétence.

  1. S'agit-il d'une question qui peut faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP? En d'autres termes, existe-t-il « un autre recours administratif de réparation [...] sous le régime d'une loi fédérale »?

  2. S'il n'y a pas de tel recours, et que la question peut faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP, le grief est-il recevable? S'il ne l'est pas parce que présenté tardivement, est-il justifié de prolonger le délai de présentation du grief?

  3. Si la question peut faire l'objet d'un grief et que le grief est recevable (ou qu'une prolongation du délai de présentation est accordée), le renvoi en cours de stage était-il une mesure disciplinaire déguisée?

[67]    Pour les motifs que je vais exposer plus loin, j'ai conclu que le renvoi en cours de stage peut faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP, puisqu'il n'existe aucun autre recours administratif de réparation sous le régime d'une loi fédérale.

[68]    J'ai aussi conclu que le grief n'est pas recevable, mais qu'il est justifié, dans les circonstances, d'accorder une prolongation du délai de présentation.

[69]    J'ai conclu que le renvoi en cours de stage de M. Lundin n'était pas disciplinaire. Par conséquent, j'ai conclu enfin que je n'ai pas compétence dans cette affaire en vertu de l'article 92 de la LRTFP.

[70]    Je vais maintenant me prononcer tour à tour sur chacune des trois questions que je viens de poser.

Article 91 de la LRTFP - Existe-t-il un autre recours administratif de réparation?

[71]    L'article 91 de la LRTFP dispose que le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure, y compris au dernier palier, à moins qu'un « autre recours administratif de réparation ne lui [soit] ouvert sous le régime d'une loi fédérale ». En l'espèce, il s'agit fondamentalement de déterminer si le mécanisme de recours en matière de dotation de l'ADRC constitue effectivement un tel recours administratif. Plus précisément, il faut déterminer si un renvoi en cours de stage par l'ADRC peut être contesté par un autre recours administratif qu'un grief.

[72]    Dans Regina Police Association Inc. c. Regina (City) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, au paragraphe 39, la Cour suprême du Canada a insisté sur l'importance de trancher les questions de compétence « d'une manière qui soit conforme au régime législatif régissant les parties » :

La question clé [...]est de savoir si l'essence du litige, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Pour statuer sur cette question, il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l'attribution de compétence à une instance que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime.

[73]    La Loi sur l'ADRC donne à l'employeur le pouvoir (et l'obligation) d'établir « un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés » (paragraphe 54(1)). L'employeur a établi un programme et un mécanisme de recours en matière de dotation (pièce E-8).

[74]    L'alinéa 51(1) g) de la Loi sur l'ADRC donne aussi à l'employeur le pouvoir de licencier un employé pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline, un pouvoir identique à celui dont le Conseil du Trésor est investi par la Loi sur la gestion des finances publiques :

g) prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[75]    Comme la lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-2) le précise clairement, M. Lundin a été renvoyé en vertu de l'alinéa 51(1) g) de la Loi sur l'ADRC. Le paragraphe de cette Loi exigeant l'établissement d'un recours (54(1)) figure après ses dispositions particulières sur le licenciement, et ce paragraphe porte directement sur la nomination des employés. L'alinéa 51(1) g) n'établit aucun mécanisme de recours. Cela ne veut pas dire que l'employeur ne peut pas viser les renvois en cours de stage dans un mécanisme de recours en matière de dotation, ni que les employés ne peuvent pas se servir de ces recours pour contester leur renvoi en cours de stage. La « rétroaction individuelle » que le Programme de dotation prévoit est caractérisée dans les directives comme un mécanisme servant à la fois de recours et de moyen de gestion des carrières, et elle peut dans certains cas être utile tant pour l'ancien employé que pour l'employeur, mais il n'en reste pas moins que le mécanisme de recours n'a pas été créé en vertu de l'article de la Loi sur l'ADRC qui régit le renvoi en cours de stage, et l'inclusion du renvoi en cours de stage dans ce mécanisme de recours en matière de dotation n'interdit pas la présentation d'un grief.

[76]    Dans Dhudwal, supra, où la Commission a conclu que le recours en matière de dotation prévu dans le Programme de dotation est une « procédure administrative de réparation », la question à trancher était une plainte concernant la dotation clairement visée par l'article 54 de la Loi sur l'ADRC. Également dans cette affaire, l'avocat de l'employeur s'était fondé sur la décision de la Cour fédérale dans Anderson, supra, et là comme dans Dhudwal, supra, il s'agissait d'une plainte en matière de dotation et non d'un renvoi en cours de stage. De plus, la question à laquelle la Cour répondait consistait à savoir si la séance de rétroaction individuelle répondait aux exigences de la Loi sur l'ADRC et si elle était conforme aux principes d'équité procédurale. Ce n'est pas de cette question-là que je suis saisi. Néanmoins, le juge de la Division de première instance a émis une observation qui fait ressortir une grande différence entre un recours en matière de dotation et un recours dans un cas de renvoi en période de stage. Le juge Dawson a en effet déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Cependant, la décision selon laquelle un candidat répond ou ne répond pas aux conditions essentielles d'un poste n'a pas sur lui les mêmes répercussions que la décision qui compromet le droit d'une personne de conserver son emploi.

[77]    Le Programme de dotation de l'ADRC (pièce E-8) précise la politique de l'employeur quant au stage probatoire (P8.0), en stipulant que les employés licenciés au cours du stage probatoire peuvent demander une rétroaction individuelle suivie de la révision de la décision en conformité avec la directive de l'ADRC sur les recours en dotation. L'énoncé de principe sur la probation n'interdit pas à l'employé de présenter un grief pour contester son renvoi en cours de stage, mais établit simplement que les employés renvoyés au cours du stage probatoire « peuvent demander » une rétroaction individuelle, suivie d'une révision de la décision. Si l'on avait eu l'intention de retirer le droit de présenter un grief aux employés, la politique l'aurait explicitement précisé.

[78]    La Directive sur les recours en dotation (Annexe « L » de la pièce E-8) renforce la conclusion que le mécanisme de recours n'est pas conçu pour supplanter la procédure de règlement des griefs. L'introduction de cette annexe, exposant les « Énoncés du Programme », fait état des inquiétudes et des activités de la dotation. Les exemples donnés de l'application de la rétroaction individuelle et de la révision de la décision portent tous sur des questions de dotation ou des aspects liés à la nomination. Le tableau illustrant les types de recours offerts ne fait pas état du renvoi en cours de stage. Qui plus est, la politique précise que le type de recours offert (rétroaction individuelle, révision de la décision ou examen par un tiers indépendant) correspond à la nature et à l'importance de la décision de dotation. L'examen par un tiers indépendant est offert à l'étape du placement du processus de sélection et des promotions permanentes sans que le processus de sélection n'intervienne, mais les employés ne peuvent pas s'en prévaloir dans le cas de ce qui est probablement la décision beaucoup plus importante de les renvoyer en cours de stage. La politique et les directives du Programme de dotation étayent donc ma conclusion que le mécanisme de recours n'a pas été conçu pour supplanter la procédure de règlement des griefs dans les cas de renvoi en cours de stage.

[79]    Si je fais erreur, et que le recours en dotation est bel et bien un « recours administratif de réparation [...] sous le régime d'une loi fédérale », l'analyse du mécanisme de recours en matière de dotation lui-même révèle qu'il ne satisfait pas aux critères établis dans la jurisprudence. En effet, dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27, la Cour d'appel fédérale a conclu ce qui suit :

Si le plaignant peut se prévaloir d'un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable ». Ce recours n'a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu'il traite la plainte « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l'employé » [Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.) ]

[80]    Dans Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354, la Cour d'appel fédérale a conclu que « la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même » dans l'autre recours de réparation. Elle a aussi conclu que la procédure en question doit certainement permettre au fonctionnaire s'estimant lésé « d'obtenir une véritable réparation ». M. Lundin allègue que son renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée. Le mécanisme de recours en dotation ne détermine pas si un renvoi en cours de stage est disciplinaire et n'est donc pas fondamentalement identique à une procédure de règlement des griefs. En outre, il ne porte pas non plus sur le fond du grief.

[81]    Pour qu'il puisse se prévaloir d'un recours conformément au Programme de dotation, il faut que l'employé ait été traité de façon arbitraire, ce qui est défini dans la Directive sur les recours en dotation de la façon suivante :

[Traduction]

De façon déraisonnable et capricieuse, pas conforme à la raison ou au jugement, pas en fonction de la raison d'être du processus, ou de la politique établie, pas le fruit d'un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes, discriminatoire (c.-à-d. traitement différent ou refus de privilèges normaux à des personnes en raison de leur race, de leur âge, de leur sexe, de leur nationalité, de leur religion ou de leur adhésion syndicale).

[82]    Dans sa réponse à la demande de révision de la décision (pièce E-12), Mme Brown a déclaré que son rôle consiste [traduction] « à faire en sorte que les employés ne sont pas traités de manière arbitraire, en s'assurant que les règles, les lignes directrices et les procédures sont appliquées uniformément et raisonnablement pour tous les candidats ». Ce n'est pas l'analyse qui s'impose lorsqu'il s'agit de déterminer si le renvoi en cours de stage est disciplinaire ou non.

[83]    Je souligne aussi en passant que la description des motifs de recours dans la politique ne comprend pas la discrimination fondée sur une incapacité. C'est peut-être une erreur de pure forme, puisque la liste des motifs emploie « c.-à-d. », ce qui indique qu'elle est exhaustive. Si l'intention n'était pas que la liste soit exhaustive, il aurait été plus approprié d'utiliser « p. ex. ». Je précise toutefois que je ne me suis pas fondé sur cette omission pour arriver à ma décision.

[84]    Bien que la Cour fédérale a déterminé qu'il n'est pas nécessaire que les redressements prévus dans les deux recours administratifs de réparation soient identiques, elle a conclu qu'il doit s'agir d'une réparation véritable à la fois raisonnable et efficace quant au fond du grief de l'employé (voir Boutilier, supra). M. Hughes a témoigné qu'il aurait pu annuler le renvoi en cours de stage s'il avait décidé d'opter pour cette mesure corrective à l'étape de la rétroaction individuelle. J'accepte son témoignage, en partant du principe qu'un pouvoir délégué de renvoi en cours de stage inclut par implication le pouvoir délégué d'annuler un tel renvoi. Néanmoins, la Directive (pièce E-8) n'est pas aussi claire quant à la gamme de mesures correctives disponibles, puisqu'elle ne fait état que d'une gamme de mesures correctives possibles, à savoir :

[Traduction]

  • ordonner la correction de l'erreur dans le processus;

  • recommander la révocation de l'employé nommé, si nécessaire;

  • recommander qu'un autre gestionnaire participe à la décision.

[85]    Il est clair que les exemples de mesures correctives qu'on trouve dans la Directive sont axés sur les processus de dotation, tels que les concours, et non sur les renvois en cours de stage. Il ne me paraît pas clair que cette Directive inclut la possibilité d'une réintégration après un renvoi en cours de stage, à moins que la réintégration ne puisse être considérée comme une « correction de l'erreur dans le processus ». Or, corriger « l'erreur dans le processus » n'entraîne pas nécessairement un changement du résultat. C'est une notion distincte du pouvoir de M. Hughes de renverser sa décision de renvoyer M. Lundin en cours de stage en vertu de son pouvoir délégué. Ce pouvoir n'est pas prévu dans le « recours administratif de réparation » de la Directive, mais il existe hors de la procédure ainsi prévue.

[86]    Cette impossibilité pour les employés renvoyés en cours de stage d'avoir accès à un recours faisant appel à un tiers indépendant fait vraiment contraste avec la jurisprudence invoquée par l'employeur. Dans toutes les décisions de la Cour fédérale qu'il a citées, l'autre « recours administratif de réparation » est une tierce partie indépendante (la CCDP ou la Commission de la fonction publique (CFP)). Dans Boutilier, supra, la Cour a conclu que le Parlement a parlé d'autres « recours administratifs de réparation » dans l'intention suivante :

Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux.

[87]    La Cour n'a pas encore entendu un argument voulant qu'un processus de recours interne excluant l'accès à une tierce partie indépendante empêche les employés de se prévaloir de la procédure de règlement des griefs (et, en bout de ligne, de l'arbitrage). Pourtant, un processus de recours interne sans accès à une tierce partie indépendante ne reflète pas une intention de faire relever le règlement des litiges principalement d'un « régime administratif spécialisé ».

[88]    Bref, je conclus qu'on peut présenter un grief pour contester un renvoi en cours de stage.

Recevabilité du grief et demande de prolongation du délai

[89]    Je dois commencer par déterminer si le grief de M. Lundin était recevable et, dans la négative, si je dois me prévaloir de mon pouvoir discrétionnaire d'accueillir sa demande de prolongation du délai. M. Lundin a présenté un grief pour contester son renvoi en cours de stage, dont il a été informé le 3 septembre 2002. Son grief n'a toutefois été déposé qu'en mars 2003, de sorte qu'il est clairement irrecevable. Si les délais prescrits par une convention collective doivent être suspendus pendant qu'un processus interne autre que la procédure de règlement des griefs se déroule, les parties doivent convenir mutuellement de leur suspension, à moins que l'employeur consente à la prolongation du délai en question. Dans ce cas-ci, il n'y a pas eu d'entente entre les parties et l'employeur a clairement fait savoir dans ses réponses au grief qu'il ne consent pas à prolonger le délai. J'en conclus donc que le grief est irrecevable.

[90]    Cela dit, je dois me demander s'il est opportun dans les circonstances de me prévaloir de mon pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de présentation du grief, en vertu du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993. La jurisprudence de la CRTFP a établi cinq critères de base justifiant une telle prolongation : 1) le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; 2) la durée du retard; 3) la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé; 4) l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prolongation du délai est accordée; 5) les chances de succès du grief. (Voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) , 2004 CRTFP 1.)

[91]    M. Lundin a témoigné que le représentant de son agent négociateur lui avait dit qu'il pourrait présenter un grief une fois que le processus de recours interne de l'ADRC serait terminé, et il n'a pas été contredit. Il était donc raisonnable qu'il commence par se prévaloir du processus interne de rétroaction individuelle et de révision de la décision. La direction avait précisé dans sa lettre de renvoi en cours de stage que ce processus était le mécanisme approprié pour contester la décision de la direction. Dans cette lettre, l'employeur n'a pas informé M. Lundin qu'il avait le droit de présenter un grief s'il estimait que la décision de le renvoyer était une mesure disciplinaire déguisée. M. Lundin s'est prévalu de bonne foi du processus qu'on lui proposait; il a jugé le résultat insatisfaisant, après quoi il a présenté un grief sans tarder. Son approche avait une certaine logique puisqu'il avait commencé par avoir recours au processus de « rétroaction » interne pour passer ensuite à la procédure de règlement des griefs. Comme on l'a déjà souligné, le processus de recours en dotation de l'ADRC est une combinaison de recours et de mécanisme de gestion des carrières. Cet aspect de « gestion des carrières » combiné avec l'interdiction explicite de la représentation donne l'impression qu'il s'agit d'un processus officieux dans le contexte duquel les gestionnaires et les employés peuvent échanger de l'information et régler leurs différends. Il était donc raisonnable que M. Lundin attende jusqu'à ce que le processus soit terminé pour présenter un grief. Je conclus par conséquent qu'il avait une raison claire, logique et convaincante de présenter son grief tardivement.

[92]    La durée de son retard n'était pas très longue non plus, puisqu'il a déposé son grief promptement une fois que M. Hughes lui a fait parvenir sa note de service sur la révision de la décision. Je souligne d'ailleurs que le grief aurait été présenté plus tôt si l'employeur avait respecté ses propres délais de réponse à l'intéressé aux étapes de la rétroaction individuelle et de la révision de la décision.

[93]    M. Lundin a fait preuve d'une diligence raisonnable en présentant son grief et en consultant son agent négociateur.

[94]    L'injustice que M. Lundin subirait si je ne lui accordais pas une prolongation du délai de présentation de son grief l'emporte sur tout préjudice que l'employeur subirait en conséquence. La gravité de la perte d'un emploi est universellement reconnue. Ce serait commettre une grande injustice d'empêcher M. Lundin de contester la décision de son employeur de le renvoyer en cours de stage. Compte tenu du fait que le retard n'était pas long, je n'ai aucune indication que l'employeur subira un préjudice quelconque si la demande de prolongation du délai est accueillie.

[95]    C'est pour les motifs qui précèdent que j'accueille la demande de prolongation du délai de présentation du grief, conformément à l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993.

Article 92 - Le renvoi en cours de stage est-il une « mesure disciplinaire déguisée »?

[96]    L'article 92 de la LRTFP établit la compétence des arbitres de griefs :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2) f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[...]

(3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner, pour l'application de l'alinéa (1) b), tout secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie II de l'annexe I.

[97]    Le grief ne porte pas sur l'interprétation d'une convention collective (alinéa 92(1) a) de la LRTFP); nul ne le conteste. L'ADRC est un employeur distinct, ce qui signifie que l'alinéa 92(1) b) de la LRTFP ne s'applique pas. Le gouverneur en conseil n'a pas désigné l'ADRC comme étant visée par cet alinéa. La mention du renvoi en cours de stage sous le régime de la LEFP au paragraphe 92(3) de la LRTFP ne tient pas non plus, puisque l'ADRC est exemptée de l'application de la LEFP.

[98]    Il n'existe dans la Loi sur l'ADRC aucune mention précise du « renvoi en cours de stage » telle que celle qu'on trouve dans la LEFP. Comme nous l'avons déjà dit (et comme l'employeur l'a reconnu dans sa lettre de renvoi en cours de stage), le pouvoir de l'ADRC de fixer des périodes de stage probatoire et de renvoyer des employés en cours de stage découle de l'article 51 de sa loi constituante :

51. (1) Par dérogation aux paragraphes 11(2) et (3) et à l'article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'Agence peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel :

[...]

g) prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[...]

[99]    Le pouvoir d'un employeur assujetti à la LEFP de renvoyer un fonctionnaire en période de stage est plus spécifique :

28(2) À tout moment au cours du stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.

[100]    Ce qui découle du jeu des dispositions de la Loi sur l'ADRC et de la LRTFP, c'est qu'un arbitre de griefs a compétence si le renvoi en cours de stage constitue une « mesure disciplinaire ». Par contre, si le renvoi en cours de stage est « pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite », il n'a pas compétence. La jurisprudence citée par l'employeur en ce qui concerne le renvoi en cours de stage (p. ex. Penner, supra et Leonarduzzi, supra) n'est pas applicable à l'ADRC, parce qu'elle fait intervenir l'interprétation de la disposition sur le renvoi en cours de stage de l'article 28 de la LEFP, alors que nous avons vu qu'il n'existe pas de telles dispositions applicables à l'ADRC. Le critère qu'il faut employer pour déterminer si un licenciement est « disciplinaire » ou non est différent en ce qui concerne l'ADRC de celui qui a été établi dans les décisions portant sur des renvois en cours de stage en vertu de la LEFP. La principale différence est que, dans un cas de renvoi en cours de stage sous le régime de la LEFP, l'arbitre de griefs peut ne pas avoir compétence même si le fonctionnaire s'est rendu coupable d'une inconduite qui aurait pu lui faire imposer des sanctions disciplinaires (voir Penner, supra). Par contre, dans les cas comme celui qui nous occupe, lorsque l'analyse est axée sur la question de déterminer si une mesure est disciplinaire ou non, le fait que l'employeur se fonde sur l'inconduite du fonctionnaire afin de justifier un licenciement pour des motifs autres que disciplinaires donne compétence à l'arbitre. En définitive, il reste que le fonctionnaire s'estimant lésé doit démontrer que son renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée (comme dans Archambault, supra).

[101]    Le fait que l'employeur déclare qu'un licenciement n'est pas disciplinaire n'est pas déterminant pour la compétence de l'arbitre, qui doit analyser les actions de l'employeur pour déterminer s'il s'agissait d'un licenciement non disciplinaire. La Cour fédérale du Canada a résumé succinctement cette analyse de la façon suivante, dans Canada (Procureur général) c. Horn, [1994] 1 C.F. 453 :

Lorsque l'arbitre est saisi d'un grief dans lequel il est allégué que la cessation d'emploi constitue en réalité un congédiement disciplinaire, il doit déterminer si cette allégation correspond à la réalité ou si la cessation d'emploi [...]est fondée sur d'autres motifs que ceux qui sont prescrits par la loi. Dans un cas comme celui-ci, il ne suffit pas que l'arbitre se demande si les conditions légales d'une déclaration d'abandon semblent avoir été remplies et, si c'est le cas, s'abstienne de mener toute autre enquête. Il doit se demander si cette apparence correspond à la réalité en évaluant ce sur quoi la mesure est fondée, compte tenu de la preuve présentée.

[102]    Lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé allègue qu'il a été victime d'une mesure disciplinaire déguisée, c'est à lui qu'il incombe de produire une preuve pour étayer son allégation (voir Valadares c. Canada (Conseil du Trésor) , [1994] A.C.F. no 1296 (QL).

[103]    Les considérations sur lesquelles on se fonde pour distinguer une « mesure disciplinaire » d'une qui ne l'est pas tournent autour de la distinction entre les actes délibérés et involontaires du fonctionnaire (voir Robertson c. Conseil du Trésor (Ministère du Revenu national) , dossier de la CRTFP 166-2-454 (1971), cité dans Smith c. Conseil du Trésor (Affaires extérieures Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-19902 (1991) (QL)). Dans Smith, supra, l'arbitre a déclaré que des mesures disciplinaires ne peuvent découler que d'actes malfaisants commis volontairement à dessein :

Aucune mesure disciplinaire ne peut découler d'actes commis innocemment ou involontairement, ou de l'incapacité du fonctionnaire de satisfaire à des normes données. Cela ne veut pas dire que l'employeur ne peut pas prendre d'autres mesures qu'il jugent [sic] indiquées, mais seulement qu'il peut recourir à des sanctions disciplinaires en pareilles circonstances. S'il n'est pas permis à l'employeur d'imposer des mesures disciplinaires à la suite d'un simple manque de compétence, il n'est pas plus permis à un fonctionnaire de qualifier de mesure disciplinaire déguisée une décision administrative, sans d'abord établir le bien-fondé des motifs que l'employeur aurait pu avoir pour lui imposer une sanction.

[104]    M. Lundin a maintenu que son renvoi en cours de stage découlait d'allégations non fondées de harcèlement qu'on lui reprochait. Bien qu'on ait soulevé au début du processus des préoccupations quant à son interaction avec ses collègues, la preuve démontre que lorsque la décision de le renvoyer en cours de stage a été prise, les difficultés en question avaient été surmontées de façon satisfaisante, et que l'employeur n'en a pas tenu compte pour arriver à sa décision de le renvoyer. Je souligne toutefois que les interactions avec les collègues peuvent influer sur le rendement, auquel cas il n'est pas nécessairement disciplinaire d'en tenir compte. En bout de ligne, l'employeur s'est fondé exclusivement sur le rendement de M. Lundin dans l'exercice de ses fonctions pour justifier son renvoi en cours de stage. La preuve révèle que ce renvoi était basé sur des motifs liés au rendement de l'intéressé et donc sur des motifs non disciplinaires. Elle montre aussi que M. Lundin a été informé officiellement dans des plans d'action successifs des critiques concernant son rendement, en plus d'avoir été averti des conséquences s'il ne l'améliorait pas. Je conclus par conséquent qu'il n'a pas prouvé que son renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée.

[105]    Je n'ai pas besoin de me prononcer sur la bonne foi de l'employeur dans sa décision de renvoyer M. Lundin en cours de stage (ou, en d'autres termes, de déterminer si cette décision a été prise de mauvaise foi). Cette analyse est différente de celle qu'on trouve dans Dhaliwal, supra, ainsi que dans d'autres affaires de renvoi en cours de stage dans les parties de la fonction publique qui sont sous le régime de la LEFP. Dans ces affaires-là, une fois qu'on a prouvé que le renvoi en cours de stage est justifié par un motif lié à l'emploi, le fardeau de la preuve retombe sur le fonctionnaire s'estimant lésé, qui doit démontrer, comme l'arbitre l'a déclaré dans Dhaliwal, supra, « que les actions de l'employeur sont effectivement une imposture ou du camouflage ou ont été faites de mauvaise foi et qu'elles sont par conséquent contraires à l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ». Même si la « mauvaise foi » n'est pas mentionnée dans les critères d'une analyse comme celle qui s'impose pour déterminer si un licenciement est disciplinaire ou non, la démarche n'en est pas moins similaire : je dois déterminer si le renvoi en cours de stage était effectivement non disciplinaire, ou au contraire si l'employeur a simplement allégué qu'il s'agissait d'un renvoi non disciplinaire pour camoufler ce qui est en réalité un renvoi pour motif disciplinaire. En d'autres termes, je dois décider si le motif non disciplinaire que l'employeur a invoqué pour justifier le renvoi était une « imposture » ou le « camouflage » d'une mesure disciplinaire. Comme je l'ai déjà dit, j'ai conclu que le renvoi en cours de stage de M. Lundin découle exclusivement de motifs non disciplinaires. De plus, je n'ai pas compétence pour me prononcer sur le respect ou le non-respect par l'employeur de ses lignes directrices sur la gestion des questions relatives à l'emploi, puisque la LRTFP me prive expressément de la compétence nécessaire pour trancher les affaires de licenciement non disciplinaire à l'ADRC.

Droits de la personne

[106]    La CCDP a déféré à cette procédure d'arbitrage en vertu de l'article 41 de la LCDP, ce qui me donne une compétence limitée en ce qui concerne les aspects liés aux droits de la personne de cette affaire. En l'occurrence, ces droits ne sont pertinents que dans ma décision sur la question de savoir si le renvoi en cours de stage était disciplinaire. Cette reconnaissance par la CCDP de la primauté de la procédure de règlement des griefs et d'arbitrage n'accroît pas la portée de ma compétence sous le régime de la LRTFP et ne rend pas arbitrable un renvoi pour motif non disciplinaire.

[107]    Comme je l'ai conclu, rien dans ce renvoi en cours de stage ne laisse entendre qu'il soit entaché d'une volonté disciplinaire. Que l'employeur se soit acquitté ou non de son obligation de tenir compte des besoins de M. Lundin en évaluant son rendement n'est pas de ma compétence. La question relèverait donc plutôt de la CCDP, si M. Lundin décidait de maintenir la plainte qu'il a déposée devant elle. Dans sa lettre, la CCDP a d'ailleurs précisé que :

[Traduction]

À la fin de cette procédure, ou s'il se révèle qu'elle n'est pas raisonnablement accessible, la Commission pourra se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire d'entendre la plainte à la demande du plaignant.

Conclusion

[108]    Puisque le renvoi en cours de stage n'était pas disciplinaire, je n'ai pas compétence pour entendre le grief en vertu de la LRTFP, de sorte que je le rejette faute de compétence.

[109]    Je conclus que M. Lundin avait le droit de présenter un grief pour contester son renvoi en cours de stage, que son grief a été présenté tardivement, mais qu'il était justifié, dans les circonstances, de lui accorder une prolongation de délai, que son renvoi en cours de stage n'était pas disciplinaire et que je n'ai donc pas compétence pour entendre son grief.

[110]    Le grief est par conséquent rejeté faute de compétence.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 23 novembre 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.