Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement allégué - Employée embauchée pour une durée déterminée - Non renouvellement d'un contrat de travail - Objection préliminaire relativement à la compétence de la Commission - Allégation de harcèlement, mauvaise foi et discrimination - Droits de la personne - Compétence - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitre aux motifs suivants : a) le grief n'avait pas été acheminé de manière appropriée, b) le grief portait sur la fin d'un emploi d'une durée déterminée et c) le grief alléguait de la discrimination de la part de l'employeur - l'audience a traité exclusivement de l'objection préliminaire - la fonctionnaire s'estimant lésée a été embauchée à titre de AT-2 pour une période déterminée de six mois - ce contrat de travail pour une durée déterminée a été renouvelé à deux reprises et devait expiré le 28 mars 2003 - le 7 janvier 2003, elle était avisée que son contrat se terminerait à la date spécifiée dans la lettre d'offre - le 7 mars 2003, elle a déposé un grief au motif de discrimination et de harcèlement - la fonctionnaire s'estimant lésée a également déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (CHRA), en alléguant que son employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit et n'avait pas renouvelé son contrat en raison de son sexe et de sa race - lorsque son grief est demeuré sans réponse au dernier palier, la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé un renvoi à l'arbitrage - l'arbitre a conclu que le paragraphe 71(5) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) prévoit qu'un grief n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été présenté sur la formule approuvée par la Commission - l'arbitre a statué que la fonctionnaire s'estimant lésée avait respecté les délais prévus dans la convention collective et que l'employeur ne pouvait pas prolonger unilatéralement les délais de réponse - en se fondant sur la jurisprudence, l'arbitre a déterminé qu'il ne s'agissait pas d'un licenciement - elle a également établi que ni le grief, ni la plainte n'invoquaient une mesure disciplinaire de la part de l'employeur et que, à l'audience, la fonctionnaire s'estimant lésée avait réitéré son intention de démontrer que son contrat n'avait pas été renouvelé parce qu'elle avait été victime de discrimination - l'arbitre a conclu que le grief et la plainte étaient identiques et que la jurisprudence de la Commission montrait clairement que, lorsque les questions fondamentales dans un grief portent sur de la discrimination et du harcèlement, le recours approprié était celui prévu dans la Loi canadienne des droits de la personne, non la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - l'arbitre a rejeté la demande de l'employeur de suspendre l'audience en attendant la décision de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de l'article 41 de la LCDP. Grief rejeté. Décisions citées :Boutilier [2003] 3 C.F. 27 (QL); Marta, 2001 CRTFP 31; Hanna (166-2-26983); Dansereau c. Office national du film, [1979] 1 C.F. 100 (QL); Pieters, 2001 CRTFP 100; Savic, 2001 CRTFP 104; Lecompte (166-2-28452); Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council v. MacIsaac (1986), 69 N.R. 315; Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109; Kehoe (166-2-29657); Audate (166-2-27755).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-01-23
  • Dossier:  166-9-32669
  • Référence:  2004 CRTFP 2

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique




ENTRE

YOLETTE SINCÈRE
fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES CANADA

employeur

Devant :   Sylvie Matteau, présidente suppléante

Pour la fonctionnaire
s'estimant lésée :  
Elle-même

Pour l'employeur :   Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 5 janvier 2004.

[1]    L'audition tenue le 5 janvier 2004 n'a porté que sur les objections préliminaires transmises à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (Commission) par les parties dans les jours précédents.

[2]    L'employeur soulève les objections suivantes: a) l'irrégularité du renvoi à l'arbitrage, le grief n'ayant pas été transmis et n'ayant pas eu réponse au dernier palier au moment du renvoi; b) l'absence d'autorisation de l'agent négociateur; c) le défaut de compétence de l'arbitre de grief relié au fait qu'il s'agirait d'un emploi à durée déterminée et enfin, d) le défaut de compétence de l'arbitre relié aux motifs allégués par la fonctionnaire s'estimant lésée, qui seraient plutôt du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

[3]    Étant donné la nature de ces objections et conformément aux recommandations du juge Linden dans l'arrêt Boutilier, [2000] 3 C.F. 27, à l'effet que : « Un arbitre doit par conséquent examiner ces questions de compétence, soit avant le début des audiences, soit au cours de celles-ci; mais il serait idéal que la plupart de ces questions puissent être tranchées au début des procédures de règlement des griefs. », les parties ont été invitées à présenter leurs arguments relatifs à ces objections et ont déposé une preuve documentaire; aucun témoin n'a été entendu. L'audition a ensuite été ajournée jusqu'à décision sur ces questions préliminaires.

Les faits

[4]    Le Conseil national de recherches Canada (CNRC) a offert à Mme Yolette Sincère un poste d'Agent technique (AT-2) avec le groupe Technologie des cellules animales et procédés de purification, secteur des Bioprocédés, le 2 octobre 2000 (pièce G-4). Ce contrat d'une durée de six mois, se terminant le 6 avril 2001, fut renouvelé une première fois du 9 avril 2001 au 28 mars 2002 (pièce G-3). Le 5 février 2002, son contrat était à nouveau prolongé du 28 mars 2002 au 28 mars 2003 (pièce G-2).

[5]    Par lettre datée du 7 janvier 2003 (pièce G-1), Mme Sincère était avisée que son contrat se terminerait le 28 mars 2003, tel que spécifié à la lettre de prolongation du 5 février 2002. Cette lettre (pièce G-1) se lit comme suit :

Suite à votre lettre d'offre du 5 février 2002, nous désirons vous rappeler que votre emploi se terminera jeudi le 28 mars 2003 avec le groupe Technologie des cellules animales et procédés de purification, Plateforme des bioprocédés.

Si entre temps une occasion d'emploi dans votre domaine se présentait, nous nous ferons un plaisir de communiquer avec vous.

Si vous n'avez pas accumulé le temps requis sous le code 1020 « Fermeture de Noël » et que vous avez déjà bénéficié de ce congé, le temps sera récupéré sur votre dernier paiement.

Également, il est nécessaire de compléter et de remettre à jour votre entrée de données dans le module des Ressources humaines « Gestion du temps » afin d'obtenir votre dernier paiement du Service de la paie et des avantages sociaux.

Le matin du 28 mars 2003 (ou quelques jours avant), vous devrez vous présenter au Service des ressources humaines afin de compléter les formulaires de départ.

Afin de vous aider dans la recherche d'un autre emploi, le Conseil national de recherches offre de la formation en recherche d'emploi. Si vous n'avez pas déjà eu accès à cette formation, veuillez consulter Suzie Durocher qui vous aidera à faire les arrangements nécessaires pour obtenir cette formation. Veuillez noter que vous deviez obtenir, au préalable, l'autorisation de votre superviseur.

Au nom de l'Institut, je vous remercie pour la contribution que vous avez apportée à l'équipe et vous souhaite tout le succès possible dans le future.

[6]    Le 7 mars 2003, la fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief au premier palier, soit auprès du directeur général, M. Michel Desrochers. Ce grief se lit comme suit :

L'Employée (Yolette Sincère) se sent sous le coup d'une injustice, par suite d'un renvoi (clause 16.2) et article 16 causé par discrimination et harcèlement sexuel (Articles 50 et 51).

Mesures correctives demandées

Renouvellement de mon contrat dans un milieu exempté de harcèlement et de discrimination.

[7]    L'audition de ce grief au premier palier a eu lieu le 11 avril 2003.

[8]    Le 17 avril 2003, étant toujours sans réponse au premier palier, Mme Sincère transmit son grief au deuxième palier (pièce G-5), soit à M. Peter A. Hackett, Vice-président du CNRC. Le grief déposé à ce palier a un libellé différent du grief initial :

L'employée, Yolette Sincère, se sent sous le coup d'une injustice par suite d'une suspension, causée par discrimination et harcèlement sexuel.

Mesures correctives demandées

Renouvellement de mon contrat dans un milieu exempté de harcèlement et de discrimination.

[9]    Cette modification éliminant toute référence à la convention collective aurait été faite suite à des discussions et à une entente entre Mme Sincère et son représentant syndical. Mme Sincère a d'ailleurs confirmé, lors de l'audition, qu'elle n'entendait procéder que sur la base de son grief tel que rédigé le 17 avril 2003, et non en s'appuyant sur les dispositions de la convention collective. Sur ce, l'avocate de l'employeur a donné son accord et a retiré son objection visant l'irrégularité du renvoi relié au défaut d'autorisation de l'agent négociateur.

[10]    Enfin, le 20 mai 2003, Mme Sincère déposait ce même grief à ce qu'elle croyait être le dernier palier, soit à M. Arthur Carty, président du CNRC (pièce G-7).

[11]    Tel qu'il appert du dossier, le renvoi à l'arbitrage a été fait le 27 août 2003 par Mme Sincère sur la base de l'alinéa 92(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Elle y indique qu'elle est alors sans réponse au dernier palier.

[12]    Le 17 novembre 2003, l'employeur communiquait à Mme Sincère la réponse au premier palier. Celle-ci fait référence à un processus d'enquête qui s'est déroulé suite aux allégations de harcèlement et de discrimination soulevées plus en détails par la fonctionnaire s'estimant lésée lors de l'audition du grief le 11 avril 2003, et dont voici le texte.

La présente constitue ma réponse au premier palier de la procédure interne de grief relativement au grief que vous avez logé le 7 mars 2003.

En date du 27 octobre 2003, je vous soumettais pour révision et commentaires une copie du rapport préliminaire d'enquête portant sur les allégations de harcèlement et de discrimination que vous avez présentées dans le cadre de l'audience de grief du 11 avril 2003. Je vous offrais jusqu'au 4 novembre 2003 pour commenter ce rapport ainsi que la possibilité de prolonger ce délai.

Étant donné que nous n'avons pas reçu de réponse de votre part avant la date limite ni de demande de prolongation de ce délai, je conclus que vous n'avez pas l'intention de participer à cette dernière étape du processus d'enquête. En ce sens, j'ai demandé aux enquêteurs de finaliser le rapport d'après l'information disponible.

J'ai étudié le rapport d'enquête et j'ai conclu que vos allégations sont sans fondement. Dans le cas où les évènements allégués se seraient produits, les faits et gestes de vos collègues étaient de nature humoristique et/ou amicale et ne visaient aucunement à vous harceler sur votre origine ethnique ou encore sur la couleur de votre peau. Sans pouvoir conclure avec assurance sur les raisons qui vous ont amené à interpréter ces évènements d'une telle façon, je suis néanmoins d'avis que votre grief, ainsi que les allégations qui s'y rattachent, sont dépourvues de tout fondement.

À la lumière des résultats de l'enquête, je suis convaincu que vous avez bénéficié d'un milieu de travail sain et exempt de harcèlement et de discrimination. Pour ces motifs, votre grief est rejeté.

[13]    Par ailleurs, l'avocate de l'employeur a produit au dossier de la Commission avec ses objections préliminaires une copie de la plainte que Mme Sincère a déposée à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) le 18 septembre 2003 (dossier 20030162). Elle y allègue que « Le Conseil national de recherches du Canada a agi de façon discriminatoire envers moi en me défavorisant en cours d'emploi car il m'a congédié et ne m'a pas offert un milieu de travail exempt de harcèlement en raison de ma couleur (Noire) [sic] et de mon sexe (féminin), contrevenant ainsi aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

[14]    L'employeur a fait connaître ses intentions concernant les objections préliminaires qu'il entendait soulever par une correspondance à la Commission datée du 19 décembre 2003. La fonctionnaire s'estimant lésée, qui n'est pas représentée par l'agent négociateur, ni par un avocat, a eu l'opportunité de répondre par écrit à ces prétentions.

I        Irrégularités dans le renvoi à l'arbitrage

[15]    Il ne sera traité ici que de l'irrégularité relative à la procédure de renvoi puisque, de consentement, les parties ne procèderont pas sur la base de la convention collective et que le défaut d'autorisation de l'agent négociateur n'est plus en question, tel que mentionné plus haut.

Plaidoiries

[16]    Selon l'employeur, le grief n'a pas été déposé au dernier palier et n'aurait pas dû être référé à l'arbitrage avant qu'une réponse au dernier palier ne soit transmise à la fonctionnaire s'estimant lésée. Il ne s'agit pas uniquement de déposer le grief aux différends paliers.

[17]    Le document comportant des allégations sérieuses, l'employeur a jugé bon de surseoir à la réponse au grief afin de procéder à une enquête sur les allégations de harcèlement et de discrimination.

[18]    Dans une lettre datée du 21 août 2003, Mme Mary McLaren, directeur général, Direction des ressources humaines (pièce G-8), avisait Mme Sincère que l'employeur attendait le résultat final de l'enquête sur les allégations de harcèlement et de discrimination pour rendre sa décision au premier palier. Cette enquête se serait déroulée au cours du mois de juillet.

[19]    Enfin, l'employeur ajoute qu'il y a défaut de forme dans le dépôt du grief, Mme Sincère n'ayant pas utilisé le formulaire prévu.

[20]    La fonctionnaire s'estimant lésée explique qu'elle a déposé et fait cheminé son grief dans les délais requis par la convention collective et la LRTFP. Elle n'a pas consenti à accorder d'extension de délai à l'employeur pour répondre à son grief. Elle a même demandé à l'employeur de mettre fin à toute procédure d'enquête vue le dépôt de son grief, ceci conformément à la politique sur le harcèlement du CNRC. Elle ne devrait donc pas avoir à subir les conséquences du défaut de l'employeur à répondre dans les délais. Mme Sincère y voit de la mauvaise foi et une manoeuvre pour retarder les choses. Elle s'en reporte aux articles 74 et 76 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993).

Motifs

[21]    Avant d'aller plus loin dans cette affaire, il y a lieu de déterminer si effectivement, dans les présentes circonstances, il y aurait une irrégularité dans le renvoi à l'arbitrage qui lui serait fatale. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il semble y avoir eu confusion dans le cheminement du grief dans de ce dossier, ce que l'avocate de employeur admet.

[22]    La fonctionnaire s'estimant lésée déclare avoir reçu de l'information contradictoire concernant la procédure de grief au sein du CNRC et auprès de ses représentants syndicaux. Le changement dans le libellé du grief et la procédure parallèle de l'enquête ont pu également porter à confusion.

[23]    Quant à la forme que Mme Sincère a donnée à son grief à compter du 17 avril 2003, il ne s'agit pas d'un élément fatal puisque la formule utilisée ne laisse aucun doute sur la nature du document. Le paragraphe (5) de l'article 71 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) prévoit : « Le grief d'un fonctionnaire n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été présenté sur la formule approuvée par la Commission selon l'article 70. »

[24]    Dans les circonstances et tenant compte des délais prévus à la convention collective et au règlement de la Commission, ainsi que du fait que l'employeur ne peut prolonger les délais unilatéralement, le renvoi à l'arbitrage ne sera pas considéré irrégulier et je me pencherai maintenant sur les autres questions soulevées quant à ma compétence.

II        Compétence de l'arbitre : plaidoiries des parties

[25]    Deux questions sont soulevées mettant en question la compétence de l'arbitre. Elles sont en quelque sorte inter-reliées. D'une part, l'employeur soutient que l'arbitre n'a pas compétence pour entendre le présent grief puisque la fin d'emploi de Mme Sincère est uniquement due à l'expiration du terme de son contrat. D'autre part, les motifs allégués sont avant tout du ressort de la CCDP. En vertu de l'article 91 de la LRTFP, la Commission n'a juridiction à ce sujet que dans le cas d'un renvoi par la CCDP en vertu de l'article 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsqu'elle estime que la procédure de règlement des griefs doit d'abord être épuisée.

(a)     Emploi à durée déterminée

[26]    Concernant le premier volet, l'employeur affirme qu'il ne s'agit aucunement d'un congédiement mais plutôt de l'arrivée normal et prévisible du terme du contrat de la fonctionnaire s'estimant lésée. Il affirme pouvoir démontrer n'avoir rien eu à reprocher à Mme Sincère, aucune mesure disciplinaire n'a été prise à son égard. Le seul motif, s'il en est, est l'expiration du terme.

[27]    L'employeur s'appuie sur le paragraphe 92(3) de la LRTFP et tire un parallèle avec l'article 25 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui prévoit qu'un fonctionnaire « nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période. » Selon lui, ce même principe devrait s'appliquer dans le cas des employés du CNRC.

[28]    L'employeur cite à l'appui de ces prétentions les dossiers Lecompte (dossier de la Commission 166-2-28452), Hanna (dossier de la Commission 166-2-26983), Dansereau c L'Office national du film, [1979] 1 C.F. 100, Beaulieu c Canada (1998), A.C.F. 301, Savic (2001 CRTFP 104), Marta (2001 CRTFP 31) et Pieters (2001 CRTFP 100) où il a été reconnu que l'arbitre n'a pas compétence pour se saisir d'un dossier contestant une fin d'emploi à durée déterminée à moins qu'une mesure disciplinaire ne soit établie en être la véritable cause.

[29]    Il n'y aurait donc même pas lieu d'examiner les motifs du non-renouvellement puisque la fonctionnaire s'estimant lésée n'allègue pas une mesure disciplinaire déguisée mais soutient que son emploi n'a pas été renouvelé comme il se devait du fait qu'elle s'est refusée à son superviseur et à un collègue de travail.

[30]    De plus, l'arbitre n'a pas les pouvoirs d'accorder à la fonctionnaire s'estimant lésée les remèdes qu'elle réclame, c'est-à-dire le renouvellement de son contrat de travail et l'assurance d'un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination.

[31]    Mme Sincère prétend pour sa part que son contrat devait être automatiquement renouvelé et que la lettre du 7 janvier 2003 constitue donc un congédiement. Elle allègue la mauvaise foi et l'abus de pouvoir de la part de l'employeur. Elle entend démontrer que c'est parce qu'elle a refusé de se donner sexuellement à son superviseur et qu'elle a repoussé les avances d'un collègue de travail qu'elle a été congédiée. Elle réfère, quant à elle, à l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique qui stipule que « le fonctionnaire est nommé pour une durée indéterminée, sauf mention contraire, et à titre amovible, sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règlements pris sous son régime. »

[32]    Alléguant un congédiement, elle trouve ainsi compétence de l'arbitre sous l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP, le CNRC étant un employeur distinct sous la partie II de l'annexe I de la LRTFP.

(b)     Motifs de discrimination et harcèlement

[33]    Selon l'employeur, les motifs invoqués par Mme Sincère à l'appui du présent grief sont essentiellement les mêmes que ceux invoqués dans sa plainte à la CCDP et relèvent de la juridiction de cette dernière. Rappelons que cette plainte se lit comme suit :

Le Conseil national de recherche du Canada a agi de façon discriminatoire envers moi en me défavorisant en cours d'emploi car il m'a congédié et ne m'a pas offert un milieu de travail exempt de harcèlement en raison de ma couleur (Noire) [sic] et de mon sexe (féminin), contrevenant ainsi aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[34]    Conséquemment, Mme Sincère dispose « d'un autre recours valable de réparation » tel que spécifié au paragraphe 91(1) de la LRTFP.

[35]    À l'appui de cet argument, l'avocate de l'employeur cite l'arrêt de la Cour fédérale dans Boutilier (supra) :

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également [page 41] choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d'une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu'un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d'acte discriminatoire dans le contexte de l'interprétation d'une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l'employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L'affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d'abord être épuisée.

[36]    Ce principe a régulièrement été suivi par cette Commission dans les affaires Kehoe (dossier de la Commission 166-2-29657), Audate (dossier de la Commission 166-2-27755), Djan (2001 CRTFP 60) et Cherrier (2003 CRTFP 37).

[37]    Mme Sincère se base sur les conclusions de l'arrêt Djan (supra) à l'effet que l'arbitre a la compétence pour entendre et trancher le grief de la fonctionnaire s'estimant lésée malgré son accès possible à la CCDP plus tard, puisque la CCDP ne pourrait refuser d'entendre une plainte qui a été entendue devant un autre tribunal. Ceci confirme quant à elle que la Commission a compétence pour entendre son grief. Toutefois, il y a une distinction importante entre la présente affaire et celle de Mme Djan en ce que cette dernière avait reçu une décision discrétionnaire de la CCDP en vertu de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne l'enjoignant d'épuiser la procédure de grief.

[38]    Quant à la fonctionnaire s'estimant lésée, il n'y a pas de lien entre la plainte déposée à la CCDP et le grief devant la Commission.

Motifs

[39]    En vertu de l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP, l'arbitre a le pouvoir d'examiner une mesure disciplinaire ayant entraîné le licenciement : « .un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur : .c) .une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire. »

[40]    L'employeur soutient que Mme Sincère n'a pas été congédiée et le dossier ne fait état d'aucune mesure disciplinaire n'ayant été prise à son endroit. Son contrat de travail ayant expiré, elle a simplement cessé d'être employée du CNRC. Le contrat d'emploi et ses renouvellements du 2 octobre 2000 au 28 mars 2003 indiquent clairement que le contrat de Mme Sincère était à durée déterminée. On remarquera que la lettre du 5 février 2002 réfère clairement à la description détaillée des conditions d'emploi offertes à Mme Sincère et spécifie que la durée des fonctions était déterminée. La fonctionnaire s'estimant lésée a signé ces conditions d'emploi le 28 mars 2001. La lettre du 7 janvier 2003 ne constitue donc pas une lettre de congédiement.

[41]    La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas contesté les modalités de ce contrat, mais prétend que son statut en est un d'employé « nommé(e) pour une période indéterminée, sauf mention contraire. » conformément à l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Toutefois, et bien que je n'ai pas à décider de l'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique au présent cas, je me permettrai de souligner que le contrat de Mme Sincère contient clairement cette « mention contraire. »

[42]    Lors de l'audition, Mme Sincère a confirmé que les véritables causes du non-renouvellement de son contrat sont reliées aux actes de harcèlement et de discrimination dont elle aurait été victime, ainsi que d'abus de pouvoir et de mauvaise foi de la part de l'employeur. En ceci, elle soutient que l'arbitre devrait avoir compétence pour entendre son grief en vertu de l'alinéa 92(1)c) assimilant les causes de son congédiement à des mesures disciplinaires.

[43]    Cette question a déjà été soumise à la Commission dans des dossiers similaires et plusieurs décisions ont été rendues. Dans les dossiers Marta, Hanna, Dansereau, Pieters, Savic, et Lecompte (supra), ainsi que Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council v. MacIsaac (1986), 69 N.R. 315, il a été déterminé que lorsque l'emploi a cessé conformément à ce qui était prévu au contrat de travail et non par suite d'une décision de l'employeur indépendamment de ce contrat, on ne peut dire qu'il s'agit d'un licenciement au sens de l'article 92 de la LRTFP. Cette interprétation a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans James Francis Burchill c Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109.

[44]    Pour assurer la compétence de l'arbitre, il faudrait donc trouver dans les motifs du non-renouvellement du contrat des éléments disciplinaires ou indépendants du contrat. Entre alors en jeu toute la question de la compétence de la Commission en matière de droits de la personne puisque ce sont là les seuls motifs allégués par la fonctionnaire s'estimant lésée.

[45]    Le dossier démontre qu'il est question, clairement et essentiellement, de motifs de discrimination et de harcèlement. Les allégués du grief sont exactement les mêmes que ceux que Mme Sincère soumet à la CCDP; il suffit de lire le grief et la plainte à la CCDP. Elle ne fait état d'aucune mesure disciplinaire et l'employeur affirme n'avoir jamais rien eu à lui reprocher à ce chapitre.

[46]    Rappelons-le, à l'audition, Mme Sincère a réitéré qu'elle entendait démontrer que son contrat n'a pas été renouvelé du fait qu'elle a refusé les avances de M. Kamen, son superviseur, et de M. Carpentier et qu'elle a été victime de discrimination. Elle n'a présenté aucun élément qui militerait en faveur d'un renouvellement automatique de son contrat, ni aucune autre offre d'emploi de la part du CNRC.

[47]    La jurisprudence de la Commission est sans équivoque à ce sujet. Lorsque les allégués de discrimination et harcèlement sont les questions fondamentales en jeu, l'arbitre n'a pas juridiction puisqu'une procédure de réparation autre existe auprès de la CCDP. Dans le dossier Kehoe (supra) le président de la Commission, Yvon Tarte, déclinait compétence dans les termes suivants :

La seule conclusion logique à laquelle l'on puisse arriver en examinant le grief de Mme Kehoe est que l'essentiel du grief porte sur des questions fondamentales touchant les droits de la personne, c'est-à-dire la discrimination et le harcèlement fondés sur une déficience ou incapacité. Ces questions ne sont pas simplement secondaires au grief, mais en constituent au contraire l'élément essentiel. Si l'on fait abstraction de ces questions, tout ce qui reste au grief est une allégation imprécise de congédiement déguisé.

[48]    Ainsi, comme dans ce dernier dossier et le dossier Audate (supra), je dois conclure, comme M. Tarte, ne pas avoir la compétence nécessaire pour instruire le présent dossier puisque le grief de Mme Sincère « dépend d'un constat de discrimination de la part de l'employeur, sur la base d'un ou plusieurs motifs de distinction illicite énumérés à la LCDP » (Audate, paragraphe 27).

[49]    L'avocate de l'employeur demandait à la Commission de suspendre l'audition du présent dossier en attendant la décision de la CCDP en vertu de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce à quoi s'opposait Mme Sincère. Étant donné que le grief est rejeté pour défaut de compétence sur la base de l'alinéa 92(1)c), vu la nature du contrat de travail (durée déterminée), cette requête est sans utilité et la voie est tracée pour Mme Sincère. Elle pourra maintenant procéder avec sa plainte à la CCDP sans crainte de renvoi à la Commission en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

Sylvie Matteau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 23 janvier 2004.

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