Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Suspension - Licenciement en raison de la révocation de la cote de fiabilité - Ouï-dire - Poids à accorder aux éléments de preuve - Code de conduite - Politique de valeurs et d'éthique - Allégation de mesure disciplinaire déguisée - Allégation de mauvaise foi dans l'enquête disciplinaire - Aucune obligation de chercher d'autres postes - Double incrimination - dans son travail, la fonctionnaire s'estimant lésée était appelée à vérifier la rémunération des bénéficiaires de prestations d'assurance-emploi et avait donc accès à des renseignements confidentiels concernant des citoyens - l'employeur a reçu une plainte d'un citoyen (GB) qui connaissait la fonctionnaire s'estimant lésée, puisqu'il était membre du même conseil des copropriétaires de leur immeuble d'habitation; il alléguait que l'intéressée s'occupait de ses affaires personnelles pendant les heures de travail et qu'il lui avait versé de l'argent pour obtenir des renseignements qu'elle avait tirés d'une base de données du gouvernement - GB a plus tard nié avoir payé pour obtenir des renseignements, mais prétendu que la fonctionnaire s'estimant lésée lui avait demandé de la payer pour lui fournir des renseignements plus détaillés - GB voulait ces renseignements pour retracer des personnes qui lui devaient de l'argent en vertu d'ordonnances des tribunaux - la fonctionnaire s'estimant lésée a admis avoir imprimé les documents que GB avait en sa possession, mais nié les lui avoir donnés, bien qu'elle ait aussi admis lui avoir communiqué de vive voix les renseignements qu'ils contenaient - elle a déclaré que GB devait les lui avoir volés lors d'une réunion du conseil des copropriétaires, quand elle les avait laissés dans la salle de réunion où il était resté - elle a dit qu'elle n'était pas au courant des ordonnances des tribunaux, mais qu'elle avait imprimé les documents parce que GB lui avait dénoncé les personnes intéressées puisqu'elles fraudaient le régime d'assurance-emploi, selon lui - elle avait décidé de faire enquête elle-même avant de transmettre les dossiers à un agent enquêteur, mais avait décidé de laisser tomber après avoir fait quelques démarches - l'employeur alléguait que ce n'était pas la bonne procédure et que la fonctionnaire s'estimant lésée savait laquelle suivre pour signaler des possibilités de fraude - l'employeur a conclu que la fonctionnaire s'estimant lésée avait divulgué verbalement ou par écrit des renseignements confidentiels sur des clients à une personne non autorisée - il estimait que la fonctionnaire s'estimant lésée aurait dû être licenciée, mais le Conseil du Trésor ne souscrivait pas à cette sanction, de sorte qu'on lui a imposé une suspension de dix jours - une enquête de sécurité a suivi l'enquête disciplinaire - la vérification de la fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée a été faite conformément à la politique prévoyant une telle vérification lorsqu'on découvrait des renseignements défavorables - l'enquête a entraîné la révocation de la cote de fiabilité approfondie de la fonctionnaire s'estimant lésée - on a conclu qu'elle accordait peu d'importance à la sécurité et à la protection des renseignements personnels - la fonctionnaire s'estimant lésée aurait dû se conformer au processus de rapport d'un tiers pour signaler les possibilités de fraude - on n'a pas prouvé qu'elle avait demandé d'être payée pour fournir des renseignements à GB - la suspension était justifiée et une suspension de dix jours n'était pas déraisonnable - il n'y avait aucune preuve que l'enquête disciplinaire ait été menée de mauvaise foi - en ce qui concernait le licenciement, l'arbitre devait déterminer si le processus décisionnel avait été équitable et raisonnable - les enquêteurs de l'employeur avaient mené leur enquête de façon équitable - la fonctionnaire s'estimant lésée n'avait pas été avisée des conséquences éventuelles de l'enquête - la possibilité de l'accès à un autre recours approprié a toutefois compensé ce manquement - l'employeur s'est conformé aux règles d'équité procédurale et s'est montré raisonnable - ses actions s'inspiraient de sa politique, et le sous-ministre avait le pouvoir de prendre la décision qu'il a prise - on ne peut pas parler de double incrimination, puisque la révocation de la cote de fiabilité et le licenciement qui en a résulté n'étaient pas des mesures disciplinaires, mais administratives - la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas prouvé que l'employeur avait une intention disciplinaire - l'enquête n'a pas dépassé les limites de la politique ministérielle, qui prévoyait une révision constante de la cote de fiabilité - l'employeur n'a pas agi de mauvaise foi - le licenciement n'était pas une mesure disciplinaire déguisée - l'employeur n'avait aucune obligation de chercher diligemment à trouver un autre poste pour la fonctionnaire s'estimant lésée, étant donné qu'elle avait perdu sa cote de sécurité. Grief rejeté. Décisions citées :Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (QL); Kampman c. Canada (Conseil du Trésor) , [1996] 2 C.F. 798 (C.A.) (QL); Tipple c. Sa Majesté la Reine (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL); Turgeon c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP no 166-2-6925 (1979); Re Ontario Produce Co. v. Teamsters Union, Local 419, (1992), 25 L.A.C. (4th) 195; Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), [2001] A.C.F. no 891.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-10-19
  • Dossier:  166-2-32671 et 166-2-32672
  • Référence:  2004 CRTFP 151

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

JEANIE HILLIS

fonctionnaire s'estimant lésée

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Ministère du Développement des ressources humaines)

employeur



Devant :   Sylvie Matteau, présidente suppléante

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  Debra Seaboyer, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Rosalie A. Armstrong, avocate


Affaire entendue à Vancouver (C.-B.),
du 27 au 29 juillet 2004.


[1]    L'affaire en instance concerne deux griefs présentés par Mme Jeanie Hillis, la fonctionnaire s'estimant lésée, une ancienne employée du ministère du Développement des ressources humaines (DRHC) de l'époque. Le premier grief porte sur la suspension qui lui a été infligée à titre de mesure disciplinaire du 17 au 30 mai 2002 pour avoir communiqué des renseignements confidentiels à une personne non autorisée, que j'appellerai M. GB, à la demande des parties. Le deuxième grief porte sur son licenciement en raison de la révocation de sa cote de fiabilité le 15 novembre 2002, à l'issue d'une nouvelle enquête.

[2]    Les deux griefs ont été entendus ensemble. L'employeur a présenté deux témoins et indiqué que les deux enquêteurs qui avaient recueilli les faits dans cette affaire n'étaient pas disponibles. Avant l'instruction de l'affaire en instance, le représentant de l'employeur avait d'ailleurs demandé le report de l'audience en raison de la non-disponibilité de ces deux témoins. La fonctionnaire s'estimant lésée avait contesté cette requête en raison de la nature de l'affaire et du laps de temps qui s'était écoulé depuis son licenciement; le report a été refusé. M. GB étant décédé, l'absence de la tierce partie compliquait également les choses. Par conséquent, les parties ont dû accepter un certain degré de ouï-dire, ainsi que des documents émanant de tierces parties. Dans les circonstances, j'ai pris grand soin de donner à ces éléments de preuve le poids qui convenait, en m'appliquant à bien comprendre l'ensemble des circonstances. J'ai aussi accueilli une demande d'exclusion de témoins. Seule la fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné pour son compte.

[3]    Tous les documents ont été présentés avec le consentement des deux parties, certains dans une version modifiée pour protéger le caractère confidentiel des renseignements personnels des citoyens. Cependant, j'ai examiné attentivement la version originale du document qui aurait été communiqué à M. GB. L'employeur a déposé au total 30 pièces et la fonctionnaire s'estimant lésée, 14. Certains de ces documents sont des notes dactylographiées de Mme Jo Ann Hall, la gestionnaire qui a mené la première enquête disciplinaire. Elle a déclaré qu'elle prenait des notes durant les réunions ou les conversations téléphoniques et qu'elle les dactylographiait ensuite le jour même ou dans les jours suivants. Elle s'y est d'ailleurs reportée durant son témoignage.

[4]    L'employeur a soutenu que, d'après l'information recueillie, la gestionnaire avait des motifs valables d'infliger des mesures disciplinaires, de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée et de mettre fin à son emploi. Pour sa part, la fonctionnaire s'estimant lésée a fait valoir en premier lieu que les mesures disciplinaires étaient excessives et, en deuxième lieu, qu'il n'existait pas de motif de licenciement. À cet égard, elle a prétendu avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire déguisée et d'une double incrimination.

La preuve

[5]    Mme Hillis est entrée à la fonction publique du Canada le 19 août 1999. Elle avait précédemment occupé des postes à l'Agence des douanes et du revenu du Canada et à Statistique Canada, ainsi que dans la fonction publique de la Colombie-Britannique. Elle avait aussi travaillé dans le secteur privé, notamment auprès de la Société de fiducie TD, à titre d'agente fiscale. Elle a obtenu un poste permanent à DRHC en septembre 2000. Au moment de son licenciement, elle occupait un poste de commis-enquêteur de niveau CR-04.

[6]    Dans le cadre de ses fonctions, elle était appelée à vérifier la rémunération de bénéficiaires de prestations d'assurance-emploi (AE). Elle effectuait des recherches dans la base de données du ministère et communiquait avec les employeurs afin de vérifier et de comparer les renseignements fournis par les prestataires. Si tout concordait, elle passait à un autre dossier. Sinon, elle rappelait le prestataire pour vérifier les renseignements ou demander une explication. Selon que la question était réglée ou non, elle classait le dossier ou passait à l'étape suivante, à savoir le règlement de la demande de prestations, en transmettant le dossier à l'agent d'enquêtes et de contrôle.

[7]    Elle a aussi décrit ses autres fonctions comme préposée à la prestation des services au centre d'appel, poste qu'elle a occupé pendant huit mois environ. À ce titre, elle répondait aux demandes des prestataires au sujet des emplois et la formation. Elle recevait aussi les appels des personnes qui voulaient signaler des fraudes possibles, des rapports de tiers comme on les appelait, et leur expliquait la marche à suivre; il fallait remplir une formule et transmettre ensuite le dossier à l'agent d'enquêtes et de contrôle.

[8]    Mme Jo Ann Hall, directrice des programmes et services (DRHC) pour la région de la Colombie-Britannique et du Yukon, a fourni des précisions additionnelles sur les responsabilités et fonctions de la fonctionnaire s'estimant lésée. Au moment des événements, Mme Hall occupait le poste de gestionnaire régionale (PM-06) des services partagés pour la Colombie-Britannique et le Yukon. Elle supervisait la section du paiement des prestations d'assurance-emploi, qui englobait les services centraux d'enquêtes et de contrôle, où travaillait Mme Hillis, ainsi que le centre d'appel. Mme Hall est à la fonction publique fédérale depuis 33 ans; elle est devenue gestionnaire en 1986.

[9]    En se reportant à la description de travail d'un commis-enquêteur CR-04 (pièce E-2), Mme Hall a fourni des précisions sur les principales fonctions de la fonctionnaire s'estimant lésée :

[Traduction]

  1. Examiner et analyser les observations produites par les divers programmes automatisés de détection et déterminer s'il y a lieu d'instituer une enquête.

  2. Recueillir les faits et examiner les renseignements fournis par les employeurs et les prestataires, déterminer la répartition de la rémunération et régler les contestations concernant le montant de la rémunération.

  3. Déterminer s'il y a eu infraction à la Loi sur l'assurance-emploi et formuler des recommandations à une instance supérieure relativement à la tenue d'une enquête supplémentaire, à la répartition de la rémunération ou à l'imposition de sanctions administratives.

  4. Fournir des services de soutien aux Centres d'emploi Canada aux fins des programmes d'enquêtes et de contrôle.

  5. Clore les enquêtes en mettant de l'ordre dans les dossiers et régler les demandes de prestations en répartissant la rémunération et(ou) envoyant des lettres d'avertissement ou en imposant des mesures administratives dans les cas non litigieux qui satisfont aux exigences des lignes directrices nationales.

[10]    Mme Hall a également indiqué que ces fonctions nécessitaient la connaissance de la Loi sur l'assurance-emploi et de son règlement, de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de la Loi sur l'accès à l'information, ainsi que de la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de veiller au respect des dispositions relatives au traitement des renseignements confidentiels. La titulaire du poste devait également appliquer les pratiques et procédures particulières décrites à la page 5 de la description de travail (pièce E-2).

L'enquête disciplinaire

[11]    Un peu après le 23 mars 2002, Mme Hall a reçu d'un citoyen une lettre (pièce E-3) indiquant que la fonctionnaire s'estimant lésée s'occupait de ses affaires personnelles pendant les heures de travail. L'auteur de cette lettre, M. GB, révélait également qu'il avait versé de l'argent à Mme Hillis pour obtenir des renseignements provenant de la base de données du gouvernement. Il s'agissait, aux yeux de Mme Hall, de deux allégations très graves qui devaient faire l'objet d'une enquête sur-le-champ, mais de manière discrète, vu la nature possible des renseignements communiqués. Cette enquête était d'autant plus nécessaire que M. GB menaçait de signaler l'affaire au député dont il mentionnait le nom au dernier paragraphe de sa lettre.

[12]    Mme Hall a établi un premier contact avec M. GB le 5 avril 2002. Il lui a alors dit que sa lettre était trompeuse car il n'avait jamais payé pour obtenir les renseignements, mais il a prétendu que la fonctionnaire s'estimant lésée lui avait demandé de l'argent. Il a expliqué qu'il demeurait dans le même immeuble que Mme Hillis et qu'il avait discuté avec elle de ses efforts pour retracer des personnes qui lui devaient de l'argent en vertu d'ordonnances des tribunaux. La fonctionnaire s'estimant lésée aurait alors accepté de l'aider à trouver leurs adresses. Elle lui aurait demandé les noms des personnes concernées et lui aurait remis une liste de noms avec différentes adresses pour chacun des trois noms qu'il lui avait fournis. J'appellerai ces personnes M. R, M. B et j'utiliserai la lettre H pour désigner les deux membres d'un couple. Cette liste ne lui a été d'aucune utilité parce qu'il y avait trop de noms identiques avec une adresse différente. Informée du problème, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu qu'elle pourrait lui fournir des renseignements plus détaillés, mais qu'il allait devoir payer pour ce service.

[13]    Au cours de leur première conversation, M. GB a confirmé à Mme Hall qu'il conservait chez lui des copies de la liste de noms avec le logo du ministère. Il a accepté de les lui montrer, soit à son domicile, soit au bureau de son député.

[14]    Toujours pendant cette conversation, M. GB a déclaré que la fonctionnaire s'estimant lésée s'occupait des affaires du conseil des copropriétaires chargé de la gestion de leur immeuble d'habitation pendant ses heures de travail. Elle prenait les appels des membres du conseil et préparait l'ordre du jour des réunions, qu'elle leur télécopiait du bureau avec d'autres documents à l'occasion.

[15]    Le 11 avril 2002, Mme Hall a appelé à nouveau M. GB afin de convenir d'une date pour examiner les documents. Ils se sont entendus pour se rencontrer le 16 avril 2002 et M. GB a accepté de lui envoyer le jour même par télécopieur les imprimés mentionnés précédemment. En voyant les documents, Mme Hall a su immédiatement qu'ils provenaient de DRHC. Une vérification auprès de M. Grant Eastmead, gestionnaire de la prestation des services au Centre des opérations de paiements d'assurance, lui a permis de confirmer qu'ils avaient été imprimés à partir de la base de données « Easy Access » à laquelle les commis-enquêteurs, comme Mme Hillis, avaient régulièrement accès dans le cadre de leurs fonctions.

[16]    Les documents reçus par télécopieur (pièce E-6) comprenaient une liste de noms et des tableaux comportant 11 colonnes chacun. Ils contenaient des renseignements sur deux des trois personnes dont M. GB avait fourni les noms, à savoir M. R et Mme H. Dans le cas de M. R, il y avait son nom et des adresses dans différentes régions (dix noms par page, six pages), des numéros d'assurance sociale, des dates de naissance et d'autres renseignements recueillis par DRHC, comme le numéro d'inscription de l'entreprise de l'employeur, le relevé d'emploi et le nombre de prestations hebdomadaires d'assurance-emploi pouvant avoir été versées. Le nom de M. R revenait 60 fois avec des adresses différentes ou sans aucune adresse. La mention « sommaire du client » ainsi que la désignation « Protégé B » apparaissaient aussi sur les documents. Dans le cas de Mme H, il y avait le numéro d'inscription de son entreprise et des renseignements commerciaux, ainsi que la désignation « Protégé A ». Sur une autre page contenant des renseignements personnels au sujet de Mme H, il y avait aussi la désignation « Protégé B ».

[17]    Mme Hall a rencontré M. GB le 16 avril 2002. Le but de cette démarche, a-t-elle dit, était de recueillir des preuves additionnelles au soutien de l'allégation selon laquelle Mme Hillis avait demandé de l'argent et qu'elle s'occupait de ses affaires personnelles pendant les heures de travail. Lors de la rencontre, Mme Hall a également mentionné le fait que les documents qu'elle avait reçus renfermaient des renseignements sur deux personnes seulement. M. GB lui a répondu qu'il avait perdu les imprimés se rapportant à M. B et à M. H.

[18]    Mme Hall a fait remarquer à M. GB que quelqu'un avait découpé la partie du bas de l'imprimé qu'il lui montrait. Il lui aurait répondu qu'il avait reçu le document comme ça. Cela semblait avoir été fait délibérément pour qu'on ne puisse pas lire la date ni la provenance de l'imprimé. M. GB a confirmé qu'il avait reçu les documents en juin ou en juillet 2001.

[19]    Durant son témoignage, Mme Hall a renvoyé à la pièce E-7, un exemple d'imprimé produit par la base de données Easy Access indiquant, dans le coin supérieur droit, la provenance ou le site Intranet de DRHC, et dans le coin inférieur droit, la date et l'heure d'impression. Puis revenant à la pièce E-6, une copie du document que M. GB avait en sa possession, elle a mentionné qu'il était impossible de déterminer la base de données qui avait été utilisée, le point d'accès à cette base de données, de même que la date et l'heure d'accès. Les deux documents étaient cependant identiques à tous égards.

[20]    Aux dires de Mme Hall, M. GB était mécontent parce que la liste ne lui était d'aucune utilité. Il en avait fait part à la fonctionnaire s'estimant lésée, qui lui aurait alors suggéré de faire des appels pour retracer les personnes qu'il recherchait. M. GB aurait répondu que son revenu était limité et qu'il n'avait pas les moyens de faire des interurbains. C'est alors que la fonctionnaire s'estimant lésée lui aurait demandé de l'argent pour poursuivre ses recherches et élaguer la liste. Aucun montant n'aurait été mentionné à ce moment-là. La fonctionnaire s'estimant lésée aurait dit qu'elle voulait être payée comptant. Il a refusé parce qu'il trouvait cela inacceptable. Selon Mme Hall, il avait ensuite essayé de définir sa relation avec la fonctionnaire s'estimant lésée, en disant d'abord qu'ils étaient des amis et, ensuite, de simples connaissances. Il a aussi dit qu'ils étaient des « voisins nostalgiques ».

[21]    M. GB a également montré à Mme Hall une copie des ordonnances des tribunaux mentionnés précédemment. Elle a pu examiner les documents suffisamment longtemps pour mémoriser la graphie exacte des noms des personnes concernées car il refusait de lui remettre une copie de ces ordonnances.

[22]    La conversation a ensuite porté sur le conseil des copropriétaires et sur le rôle qu'y jouait Mme Hillis. M. GB avait en sa possession des documents qui avaient incontestablement été transmis par la fonctionnaire s'estimant lésée à l'aide du télécopieur du bureau. Il semblait très préoccupé par le fait que Mme Hillis faisait autre chose qu'accomplir les tâches pour lesquelles elle était rémunérée pendant ses heures de travail.

[23]    Jugeant qu'elle avait recueilli suffisamment de renseignements pour organiser une rencontre avec la fonctionnaire s'estimant lésée, Mme Hall a avisé Mme Hillis qu'elle était convoquée à une réunion disciplinaire le 29 avril 2002, en lui précisant qu'elle pouvait se faire accompagner par un représentant syndical. Mme Hall a également pris des notes durant la réunion, qu'elle a dactylographiées par la suite. Elles ont été produites sous la cote E-10. Mme Hall a confirmé que M. Jack Swaine, le représentant syndical de Mme Hillis, et M. Eastmead étaient aussi présents à cette réunion.

[24]    La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas semblé surprise d'apprendre qu'une plainte avait été déposée contre elle, selon Mme Hall. Elle se serait presque aussitôt exclamée : [traduction] « C'est M. GB. J'aurais dû le savoir », après quoi elle aurait ajouté qu'elle avait eu beaucoup de problèmes avec lui, notamment des incidents concernant des demandes de prestations d'assurance-emploi et des échanges de correspondance. Elle aurait aussi dit que d'autres membres du conseil des copropriétaires et certains résidents de l'immeuble ne lui adressaient plus la parole.

[25]    En voyant les documents, Mme Hillis a d'abord nié que c'est elle qui les avait imprimés. Elle a ensuite déclaré qu'elle n'avait aucune raison de le faire puisqu'elle ne connaissait pas ces personnes. Mme Hall lui a expliqué qu'il s'agissait de personnes à l'égard desquelles M. GB avait obtenu des ordonnances des tribunaux. Mme Hillis a répondu qu'elle n'était pas au courant de l'existence de ces ordonnances, que M. GB avait dénoncé ces personnes parce qu'elles fraudaient le régime d'assurance-emploi et qu'elle essayait de les identifier pour transmettre les dossiers à l'agent d'enquêtes compétent.

[26]    Durant l'échange, Mme Hillis a également admis qu'elle avait effectué sa propre enquête sur un autre locataire de l'immeuble, M. X, et qu'elle avait consulté ses renseignements personnels pendant les heures de travail.

[27]    Mme Hall a indiqué que, lorsqu'elle lui avait demandé comment il se faisait que M. GB avait en sa possession des imprimés du gouvernement, la fonctionnaire s'estimant lésée avait commencé par répondre qu'elle ne le savait pas. Elle avait ensuite tenté d'expliquer la situation en disant qu'elle avait imprimé les documents et les avait apportés chez elle et que M. GB avait dû les lui voler par la suite. Mme Hall lui avait alors demandé comment il se faisait que ces documents se trouvaient chez elle. La fonctionnaire s'estimant lésée avait répondu qu'elle apportait tout le temps du travail à la maison. Elle avait ensuite nié avoir demandé de l'argent à M. GB pour lui fournir de l'information. Concernant l'obligation de confidentialité rattachée à ses fonctions, elle avait indiqué qu'elle croyait comprendre que les lignes directrices en la matière s'appliquaient seulement aux renseignements personnels de prestataires qui étaient des personnes célèbres ou connues du public et qu'elle devait s'abstenir de divulguer quelque fait sur eux. Règle générale, elle n'avait pas le droit de discuter de son travail à l'extérieur du bureau.

[28]    À la suggestion du représentant syndical de la fonctionnaire s'estimant lésée, la réunion du 29 avril 2002 a été interrompue et reportée au lendemain. D'entrée de jeu, la fonctionnaire s'estimant lésée a fait une déclaration. D'après les notes de Mme Hall, elle s'est excusée d'avoir réagi de façon si émotive la veille; elle ne savait pas à quoi s'attendre et le caractère formel de la réunion l'avait désarçonnée. Mme Hall a également cité des remarques que Mme Hillis avait faites et qu'elle avait prises en note : [traduction] « Je suis fière de mon travail. Cela me fait peur. C'est très officiel. Je suis inquiète; cela m'empêche de penser clairement. » (Les notes Mme Hall se trouvent à la pièce E-20.)

[29]    Mme Hall a indiqué que Mme Hillis avait aussi mentionné qu'elle avait essayé de rassembler ses idées durant la nuit, mais qu'elle était incapable d'en dire beaucoup plus que la veille. Elle a aussi fourni aux gestionnaires présents des lettres dans lesquelles M. GB lui fait part de son intention d'informer son superviseur qu'elle s'occupe des affaires du conseil des copropriétaires pendant les heures de travail. À son point de vue, ces lettres constituaient la preuve qu'il avait l'intention de lui causer des ennuis.

[30]    Lors de cette seconde réunion, la fonctionnaire s'estimant lésée a admis qu'elle avait fait imprimer les listes. Elle a déclaré qu'elle était désolée, mais que M. GB lui avait volé les documents et que ce n'était pas de sa faute. Le vol avait dû se produire lors d'une réunion du conseil des copropriétaires. M. GB savait qu'elle avait les documents en sa possession parce qu'ils en avaient discuté dans le couloir avant la réunion. Ils avaient tenté de déterminer ou de trouver des moyens de déterminer quelles personnes dans la liste d'une cinquantaine de noms étaient celles que M. GB recherchait. Elle a expliqué qu'elle avait beaucoup de documents et que le groupe avait fait une visite de l'immeuble. Elle avait probablement laissé les documents dans la salle de réunion, où M. GB était resté parce que son handicap l'empêchait de circuler dans l'immeuble aussi facilement que les autres. Elle supposait que c'était à cette occasion qu'il avait subtilisé les documents.

[31]    Mme Hall a ensuite demandé à Mme Hillis ce que signifiait la désignation « Protégé B » qui apparaissait sur l'imprimé. Elle a répondu que cela voulait dire que les renseignements étaient protégés. Par exemple, une enveloppe portant une telle désignation ne pouvait être ouverte que par son destinataire et non par le personnel de la salle du courrier. Elle a précisé qu'elle avait reçu un feuillet explicatif plastifié à ce sujet, mais qu'elle ne l'avait jamais lu.

[32]    Mme Hall a indiqué qu'elle avait conclu à l'issue des deux réunions que la fonctionnaire s'estimant lésée ne comprenait pas les exigences en matière de protection des renseignements personnels non plus que les dangers auxquels elle exposait les personnes concernées en communiquant leurs renseignements personnels. Elle était d'avis que la fonctionnaire s'estimant lésée avait failli à ses responsabilités en emportant ces renseignements chez elle.

[33]    Mme Hall croyait également que la fonctionnaire s'estimant lésée ne comprenait pas bien son rôle et ses responsabilités à titre de commis-enquêteur. Elle avait inlassablement soutenu qu'elle n'avait rien fait de mal et que son travail consistait à mener des enquêtes sur les affaires de fraude possible qu'on lui signalait, à la manière d'un agent d'enquêtes. Elle avait aussi affirmé qu'elle accomplissait son travail différemment de ses collègues et qu'elle aimait fournir des renseignements aussi complets et précis que possible aux agents d'enquêtes auxquels elle transmettait les dossiers. Or, aux dires Mme Hall, ce n'était pas là son rôle.

[34]    L'enquête disciplinaire a aussi servi à recueillir la réponse de la fonctionnaire s'estimant lésée aux allégations concernant l'utilisation du matériel de l'employeur et le temps consacré aux affaires du conseil des copropriétaires pendant les heures de travail. Mme Hall a déclaré que la fonctionnaire s'estimant lésée avait répondu qu'elle pensait bien s'être servi du télécopieur, mais que c'était une pratique courante parmi le personnel administratif. C'était comme utiliser le téléphone. Pour ce qui est des affaires du conseil des copropriétaires, elle préparait l'ordre du jour des réunions seulement pendant ses pauses.

[35]    À l'issue des réunions avec la fonctionnaire s'estimant lésée les 29 et 30 avril 2002, Mme Hall a communiqué avec M. GB, le 1er mai 2002, afin de vérifier certains détails. Ayant pris soin de noter la graphie particulière des noms des personnes en cause, elle avait alors voulu savoir comment la fonctionnaire s'estimant lésée avait obtenu la liste des noms sur lesquels elle devait effectuer des recherches. M. GB ne se rappelait pas très bien de quelle manière il lui avait transmis l'information. Il avait probablement glissé la liste sous sa porte, comme ils avaient tous les deux l'habitude de le faire.

[36]    La conversation téléphonique du 1er mai 2002 avait également pour but de recueillir des informations sur la manière dont M. GB percevait les fonctions et les responsabilités de la fonctionnaire s'estimant lésée au ministère afin de confirmer la version des faits de Mme Hillis selon laquelle il lui signalait des fraudes possibles. M. GB aurait commencé par répondre qu'il ne savait pas exactement ce qu'elle faisait avant de dire qu'il devait déduire des questions de Mme Hall que les fonctions de Mme Hillis avaient certainement quelque chose à voir avec les enquêtes sur les fraudes. Il n'a guère fourni de précisions sur ce qu'il savait exactement des responsabilités de la fonctionnaire s'estimant lésée. C'est ainsi que s'est terminée l'enquête disciplinaire de Mme Hall.

[37]    Durant son témoignage, Mme Hall a expliqué que le ministère avait adopté des procédures et politiques concernant les fraudes signalées par des tiers (pièce E-11) et qu'on en trouvait copie dans le site Intranet. La fonctionnaire s'estimant lésée connaissait certainement très bien la procédure applicable aux rapports par des tiers puisqu'elle avait travaillé comme préposée à la prestation des services pendant six ou sept mois. Un document tiré du site Intranet décrivant la procédure à suivre dans le cas de demandes de renseignements émanant de membres de la famille ou d'amis (pièce E-12) a été présenté en preuve. Il y est indiqué que les fonctionnaires doivent s'abstenir de traiter ces dossiers. Par conséquent, de dire Mme Hall, la fonctionnaire s'estimant lésée aurait dû transmettre les allégations de fraude de M. GB au centre d'appel pour que soit appliquée la procédure pertinente. Elle aurait aussi pu remplir la formule 3073 ou communiquer immédiatement avec un agent d'enquêtes et de contrôle, même si, dans ce dernier cas, ce n'était pas la meilleure façon de procéder.

[38]    En définitive, peu importe les raisons qui ont motivé sa conduite, Mme Hillis n'aurait pas dû consulter elle-même les dossiers des personnes concernées, selon Mme Hall. S'il s'agissait d'une affaire de fraude, il ne lui appartenait pas d'effectuer des recherches pour obtenir des renseignements additionnels sur les personnes concernées et de déterminer qu'est-ce qui constituait une perte de temps pour l'agent d'enquêtes et de contrôle, contrairement à ce qu'elle avait prétendu.

[39]    En plus des procédures et politiques propres à l'assurance-emploi, l'employeur a présenté, par l'entremise de Mme Hall, le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique (pièce E-14) et la Brochure sur les valeurs et l'éthique à DRHC (pièce E-17). On a demandé à Mme Hall de fournir des précisions sur certains passages qui s'appliquaient en l'espèce, ainsi que sur l'attestation signée par Mme Hillis le jour de son entrée en fonction le 19 juillet 1999 (pièce E-15) et la déclaration solennelle faite le même jour (pièce E-16).

[40]    Mme Hall a aussi déclaré que DRHC offrait de la formation sur les valeurs et l'éthique et que la fonctionnaire s'estimant lésée avait assisté à deux séances de ce genre. Au cours de la première, en janvier 2001, les participants s'étaient penchés sur diverses études de cas, dont un qui ressemblait beaucoup, selon Mme Hall, à la situation à laquelle la fonctionnaire s'estimant lésée avait fait face quelques mois plus tard (pièce E-28). Les participants travaillaient en petits groupes pour trouver une solution aux cas proposés ou formuler des observations sur les questions qu'ils suscitaient, après quoi ils se réunissaient avec l'animateur pour poursuivre la discussion. La fonctionnaire s'estimant lésée a aussi assisté à une autre séance de formation en janvier 2002, comme en témoigne la formule d'autorisation des heures supplémentaires et du travail de poste (pièce E-19).

Rapport sur les conclusions de l'enquête disciplinaire et événements postérieurs

[41]    Le résumé des conclusions (pièce E-22) de l'enquête disciplinaire menée par Mme Hall et M. Eastmead met en relief les trois allégations formulées contre la fonctionnaire s'estimant lésée et les conclusions de l'enquête. Les allégations sont les suivantes :

(i)utilisation abusive des locaux, du matériel, des systèmes etc. de DRHC à des fins non reliées aux activités de DRHC;
(ii)communication à des personnes non autorisées de renseignements confidentiels de clients;
(iii)demande d'argent pour consultation des bases de données et transmission de renseignements confidentiels de clients.

[42]    En ce qui concerne la première et la troisième allégation, il a été déterminé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour y donner suite. Dans le cas de l'utilisation abusive des locaux de DRHC, la direction a été incapable d'établir qu'il y avait eu une utilisation excessive, y compris des heures de travail. Il ressort du témoignage de la direction et du résumé des conclusions que la fonctionnaire s'estimant lésée avait été informée de ce qui constituait une utilisation abusive des ressources et que l'ensemble du personnel avait reçu un rappel à ce sujet. En ce qui concerne la troisième allégation et l'absence de preuve concrète, on indiquait expressément que la fonctionnaire s'estimant lésée et M. GB avaient fait tous les deux des déclarations contradictoires, ce qui avait embrouillé encore davantage les choses.

[43]    Reste donc la deuxième allégation, à savoir la communication à des personnes non autorisées de renseignements confidentiels sur des clients. À cet égard, voici la conclusion qu'on peut lire dans le résumé des conclusions (pièce E-22) :

[Traduction]

Compte tenu des conclusions de l'enquête, la direction conclut à la culpabilité de Mme Hillis. Elle a elle-même admis avoir consulté les renseignements personnels de certains clients et les avoir communiqués à un membre du public (M. GB). Elle nie lui en avoir transmis des copies, mais elle confirme qu'ils en ont discuté ensemble. Peu importe le mode de transmission utilisé, la direction continue de croire qu'il y a eu divulgation de renseignements personnels.

[44]    Le rapport traite également des raisons qui ont motivé la conduite de la fonctionnaire s'estimant lésée :

[Traduction]

La direction estime que les seules circonstances atténuantes qui pourraient être prises en considération seraient que Mme Hillis a agi dans le but de contrer une fraude à l'égard du régime d'assurance-emploi. Or, même si c'était le cas, sa conduite demeurerait condamnable. Quoi qu'il en soit, les déclarations contradictoires et la crédibilité entrent également en ligne de compte; la direction est donc incapable de déterminer quels étaient les motifs exacts de Mme Hillis.

[45]    Le rapport mentionne ensuite plusieurs circonstances aggravantes qui ont été mises au jour durant l'enquête. Premièrement, il y a le fait que les renseignements qui auraient permis de déterminer la provenance et l'heure d'impression du document avaient été supprimés. Selon la direction, c'est une preuve que celui ou celle qui a imprimé le document ne voulait pas être découvert. C'est pourquoi la version de M. GB, qui a affirmé ne pas avoir modifié le document, a été jugée plus crédible, la direction ayant été incapable de trouver pour quelle raison il aurait ainsi modifié le document.

[46]    Deuxièmement, la direction a aussi retenu la version de M. GB selon laquelle il avait besoin des renseignements pour retracer des personnes qui lui devaient de l'argent. Au soutien de cette conclusion, la direction indique que les conversations avec M. GB avaient révélé qu'il ne connaissait pas très bien les responsabilités particulières de Mme Hillis en matière de fraude et qu'il avait été très franc au sujet des éléments de preuve qu'il avait en sa possession, notamment les ordonnances des tribunaux, croyant qu'il avait le droit de détenir cette information.

[47]    Troisièmement, la direction était très préoccupée par le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée ne semblait pas très bien comprendre les politiques régissant la divulgation de renseignements confidentiels. Même si elle savait à quoi servait la désignation « Protégé » sur la correspondance, elle avait divulgué à un membre du public des renseignements tirés d'un document portant une telle désignation. Les rencontres avec la fonctionnaire s'estimant lésée avaient révélé qu'elle ne respectait ni le serment qu'elle avait prêté comme fonctionnaire de ne pas révéler ni faire connaître rien de ce qui viendrait à sa connaissance dans le cadre de ses fonctions, ni le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique ni les valeurs et l'éthique du ministère. On a également tenu compte du fait qu'elle avait reçu de la formation sur les procédures relatives aux rapports de tiers et qu'elle avait été appelée à les appliquer à titre de préposée à la prestation des services. De plus, dans le cadre de ses fonctions actuelles au service des enquêtes et du contrôle, elle aurait dû être au courant des politiques et procédures régissant la divulgation de renseignements personnels.

[48]    En dernier lieu, la direction a relevé le fait que lors des réunions avec la fonctionnaire s'estimant lésée, celle-ci n'avait manifesté aucun remords ni aucun repentir, sauf dans une lettre datée du 1er mai 2002, dans laquelle elle dit regretter d'avoir causé tant de problèmes au ministère.

[49]    Mme Hall a déclaré que la direction envisageait à ce moment-là la possibilité de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée à titre de sanction disciplinaire et afin de mettre un terme à l'enquête. À son avis, le lien de confiance entre l'employeur et la fonctionnaire avait été rompu. La direction n'était pas convaincue qu'une situation semblable ne se reproduirait pas à l'avenir et que la fonctionnaire s'estimant lésée comprenait la gravité de ses actes.

[50]    Mme Hall a alors consulté les autorités compétentes et participé à de nombreuses discussions afin de déterminer les mesures disciplinaires raisonnables qui pourraient être imposées à la fonctionnaire s'estimant lésée. De concert avec les conseillers du Conseil du Trésor, elle en est arrivée à la décision qu'une suspension de dix jours était justifiée. Comme Mme Hillis relevait de M. Eastmead, c'est ce dernier qui a rédigé et signé la lettre datée du 16 mai 2002 l'informant qu'elle était suspendue pour une période de dix jours, du 17 au 30 mai 2002 inclusivement (pièce E-23).

[51]    À son retour au travail le mardi 4 juin 2002, Mme Hillis a constaté que ses fonctions avaient été modifiées de manière à ce qu'elle ne puisse pas consulter la base de données durant l'enquête de l'agent de sécurité ministériel (ASM). La semaine suivante, M. Eastmead l'a avisée qu'elle devait rencontrer les enquêteurs des services de sécurité de l'administration centrale le 13 juin 2002 (pièce E-25). Mme Hall et M. Eastmead ont eux aussi rencontré les enquêteurs.

[52]    En contre-interrogatoire, Mme Hall a admis que le Conseil du Trésor ne souscrivait pas à sa décision de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée, mais se disait prêt à appuyer une suspension de dix jours.

[53]    Mme Hall a également admis que la version des faits de M. GB comportait de nombreuses contradictions eu égard, entres autres, au fait qu'il avait d'abord affirmé être en mesure de prouver qu'il avait versé de l'argent à la fonctionnaire s'estimant lésée puis avait admis que cela n'avait pas été le cas. Il avait également indiqué que les documents qu'il avait en sa possession portaient l'en-tête et le logo du gouvernement ou du ministère, alors que c'était faux. Mme Hall a soutenu que la preuve accréditant la version de M. GB reposait essentiellement sur le fait qu'il avait en sa possession des imprimés provenant clairement de la base de données « Easy Access » de DRHC, qu'il lui avait montré les ordonnances des tribunaux et que les noms des personnes qui lui devaient prétendument de l'argent concordaient sur tous les documents.

[54]    On a également demandé à Mme Hall si le ministère avait pris au sérieux les menaces de M. GB de signaler l'affaire à son député. Elle a répondu que son objectif était de limiter l'exposition des personnes concernées et de protéger la réputation du ministère. On lui a ensuite demandé de fournir des précisions sur le compte rendu de ses conversations téléphoniques avec M. GB les 22, 24 et 30 mai 2002 (pièces G-1, G-2 et G-3). Elle a expliqué qu'à ces trois occasions, elle avait appelé M. GB pour lui demander de retourner toutes les copies des imprimés qu'il avait en sa possession. M. GB en avait profité pour la mettre au courant d'événements récemment survenus entre son voisin, la fonctionnaire s'estimant lésée et lui-même. Il avait fait allusion aux diverses poursuites judiciaires qu'il avait intentées contre Mme Hillis et le conseil des copropriétaires ainsi qu'aux enquêtes policières. Il lui avait ensuite expliqué qu'il avait toujours les renseignements en sa possession et qu'il n'avait pas l'intention de les remettre à quiconque. Il envisageait de les utiliser seulement si Mme Hillis intentait des poursuites contre lui. Il s'était aussi engagé à ne pas les communiquer à la presse écrite, mais il n'excluait pas la possibilité de les envoyer à son député. Le cas échéant, il le lui ferait savoir à l'avance. Mentionnons que l'appel téléphonique du 24 mai 2004 a été effectué à la demande de M. GB, qui voulait informer Mme Hall d'événements survenus récemment dans son immeuble qui mettaient en cause Mme Hillis.

L'enquête de sécurité

[55]    M. André Lefebvre, directeur national, Sécurité interne, enquêtes et mesures d'urgence, a témoigné au sujet de l'enquête de sécurité instituée après l'enquête disciplinaire effectuée par les gestionnaires de Mme Hillis. Il a indiqué qu'à cette époque le service des enquêtes était composé de trois anciens policiers : MM. Bellemare, Desrosiers et Jacques.

[56]    Au moment des événements, M. Lefebvre était le superviseur par intérim des enquêteurs. Il a par la suite été confirmé dans ses fonctions à ce titre. Il a déclaré que MM. Desrosiers et Bellemare étaient responsables de l'enquête, mais qu'il connaissait personnellement les grandes lignes de l'affaire. Je tiendrai donc compte du fait qu'il n'a pas rencontré personnellement la fonctionnaire s'estimant lésée, ni M. GB, ni aucun des gestionnaires pour apprécier son témoignage.

[57]    On a demandé à M. Lefebvre de fournir quelques précisions au sujet de la Politique du gouvernement sur la sécurité qui était en vigueur à l'époque. Les parties s'entendaient pour dire qu'il n'existait pas de différences importantes ou pertinentes entre la politique qui était en vigueur avant le 1er février 2002 et celle qui a été adoptée par la suite. S'appuyant sur la politique applicable le 1er février 2002 (pièce E-27), il a entrepris de définir les notions de cote de fiabilité et cote de sécurité et d'établir des distinctions entre les deux (appendice B, glossaire). Il a expliqué que, depuis la fin de 2002, il n'existait qu'une seule catégorie de cote de fiabilité, la cote de fiabilité approfondie ayant été abolie. Il a également indiqué que les ministères étaient tenus, avant l'entrée en fonction d'une personne devant avoir accès aux biens du gouvernement, de procéder à une vérification de fiabilité et de s'assurer qu'elle obtenait la cote de fiabilité. Une révision de cette cote pourrait devenir nécessaire si de nouveaux renseignements défavorables étaient mis au jour par la suite.

[58]    La section 5 de la Norme sur la sécurité du personnel (pièce E-28) décrit le processus de révocation de la cote de fiabilité comme suit :

À la suite d'une mise à jour ou d'une révision découlant de la découverte de nouveaux renseignements défavorables, on pourrait révoquer la cote de fiabilité ou la cote de sécurité de la personne concernée [...]

[...]

Si cette personne est fonctionnaire, on doit envisager une réaffectation ou une nomination à un poste de niveau équivalent, mais moins sensible. Si aucun poste n'est disponible, on doit alors envisager la nomination à un poste d'un niveau inférieur. On peut envisager le congédiement uniquement dans des circonstances exceptionnelles et après avoir épuisé toutes les autres options.

[...]

[59]    Aux dires de M. Lefebvre, les enquêteurs du service de sécurité ne prennent pas cette directive à la légère. Il a certainement dû tenir compte dans sa recommandation du fait que la fonctionnaire s'estimant lésée devait détenir la cote de fiabilité pour s'acquitter de ses fonctions. Il a ensuite décrit les quatre étapes du processus décisionnel menant à la révocation de la cote de fiabilité d'un fonctionnaire, une décision qui est susceptible d'entraîner un licenciement :

(i)évaluer dans quelle mesure les nouveaux renseignements influent sur l'attestation sécuritaire;
(ii)évaluer dans quelle mesure la situation pourrait nuire à l'exécution du travail;
(iii)transmettre le dossier au sous-ministre;
(iv)envisager la possibilité d'attribuer un autre poste ou un autre statut au fonctionnaire.

[60]    La section 6 de la Norme sur la sécurité du personnel décrit la procédure de révision et de réparation applicable. La section 6.2 porte sur le droit du fonctionnaire de contester une décision défavorable fondée sur les résultats d'une vérification de la fiabilité en utilisant la procédure de règlement des griefs actuellement prévue aux articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Le grief doit être transmis directement au dernier palier de la procédure.

[61]    L'appendice B de la norme fournit des directives sur l'utilisation des renseignements aux fins de la vérification de la fiabilité. Le principe directeur du processus est notamment défini au paragraphe 3 :

En vérifiant la fiabilité de la personne, il faut se demander s'il peut se montrer digne de la confiance qu'on lui accordera. Autrement dit, il faut chercher à savoir s'il pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels il aura accès ou ne pas protéger les biens et renseignements, ou se comporter d'une façon qui nuirait à leur protection. Pour ce faire, il faut évaluer les risques éventuels entraînés par la nomination ou l'affectation et, compte tenu du degré de fiabilité requis et de la nature des fonctions à remplir, déterminer si ces risques sont acceptables ou non.

[62]    M. Lefebvre dit avoir été mis au courant de la situation qui existait dans le service de Mme Hall au début du mois de juin 2002. Il s'est souvenu que l'affaire tournait autour du fait qu'une fonctionnaire de la Colombie-Britannique avait communiqué des renseignements confidentiels à un tiers non autorisé. Il savait qu'une gestionnaire régionale avait mené une enquête disciplinaire relativement à la divulgation des renseignements personnels de quatre personnes et qu'une suspension de dix jours avait été infligée à la fonctionnaire.

[63]    Les enquêteurs se sont rendus sur place la première semaine de juin 2002. Il croit se rappeler que la raison pour laquelle on avait mis son service au courant de la situation et qu'on lui avait demandé de prêter son concours à la gestionnaire régionale c'est que M. GB, le tiers, menaçait d'avertir les médias.

[64]    Pour autant qu'il sache, en sa qualité de superviseur des deux enquêteurs, ceux-ci ont rencontré M. GB et obtenu une copie des imprimés que Mme Hall avait reçus par télécopieur. Ils ont également rencontré la direction et la fonctionnaire s'estimant lésée. Ils en sont arrivés à la conclusion que la preuve démontrait qu'il y avait eu divulgation des renseignements personnels non pas de quatre, mais de 52 personnes. M. GB leur aurait dit qu'il avait demandé ces renseignements parce qu'il tentait de retracer des personnes qui lui devaient de l'argent en vertu d'ordonnances des tribunaux.

[65]    Prié de donner son avis sur ce qui pouvait avoir motivé la fonctionnaire s'estimant lésée à divulguer des renseignements, M. Lefebvre a répondu que la question de la motivation ne revêtait pas d'importance. Il a expliqué que les employés de l'administration fédérale prêtaient un serment d'office et qu'ils étaient dès lors liés par la responsabilité du gouvernement à l'égard des citoyens qui lui confient leurs renseignements personnels. Le gouvernement a le devoir de protéger les renseignements personnels de la population canadienne afin de s'acquitter de son mandat et de permettre aux citoyens d'en retirer des avantages. M. Lefebvre a aussi souligné que M. GB n'avait pas le droit d'avoir ces renseignements en sa possession, pour quelque raison que ce soit. Mme Hillis n'aurait jamais dû les lui communiquer ou lui permettre d'y avoir accès.

[66]    Les enquêteurs ont aussi indiqué à M. Lefebvre que la fonctionnaire s'estimant lésée les avait rencontrés de son plein gré en compagnie de son avocat. Elle avait déjà fait une déclaration lors de l'enquête disciplinaire et ils lui ont demandé si elle voulait ajouter quoi que ce soit.

[67]    M. Lefebvre a aussi expliqué qu'il avait initialement informé les gestionnaires qu'à son retour au travail après la suspension, Mme Hillis devrait être affectée à d'autres fonctions afin d'éviter qu'elle trafique la base de données ou falsifie les renseignements. Il a indiqué qu'aucun fait nouveau n'avait été mis au jour pendant la période de révision de sa cote de fiabilité. On a toutefois réalisé que c'étaient les renseignements personnels non pas de quatre, mais de 52 personnes qui avaient été compromis. Il s'agissait des renseignements de Mme H et de 51 M. R. Il n'existe pas de preuve concernant M. B et M. H.

[68]    Après discussion avec les gestionnaires, le directeur national, Sécurité interne, enquêtes et mesures d'urgence, a écrit au sous-ministre adjoint, le 15 novembre 2002, en vertu du pouvoir dont il était investi et conformément à la Politique du gouvernement sur la sécurité, pour l'informer de la révocation de la cote de fiabilité approfondie de la fonctionnaire s'estimant lésée.

[69]    Mme Hillis a été avisée de la décision au moyen d'une lettre datée du 15 novembre 2002, signée par le sous-ministre adjoint :

[Traduction]

L'enquête a révélé que vous avez divulgué des renseignements confidentiels à un tiers, notamment des données personnelles, des numéros d'assurance sociale, des adresses, des codes postaux, des numéros de téléphone, de l'information sur l'employeur, des renseignements sur les périodes d'emploi et des numéros de compte de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Comme le poste que vous occupez nécessite une cote de fiabilité approfondie, vous êtes dès lors licenciée à compter du 15 novembre 2002.

[70]    À la question de savoir si la lettre envoyée à Mme Hillis était de nature disciplinaire, M. Lefebvre a répondu qu'elle ne l'était pas puisqu'elle se rapportait à un abus de confiance ayant une incidence sur la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée. L'agent de sécurité ministériel peut juste confirmer ou révoquer la cote de fiabilité d'un fonctionnaire. Si sa décision entraîne un licenciement parce que la cote est essentielle à l'exécution des fonctions, une procédure de révision et de réparation en vertu de la Norme sur la sécurité du personnel prévoit.

[71]    En contre-interrogatoire, M. Lefebvre a admis qu'à sa connaissance, les enquêteurs n'avaient pas réussi à récupérer les originaux des documents que M. GB avait en sa possession. Les Services juridiques, auxquels il a demandé conseil, lui ont dit qu'il n'existait aucun moyen de récupérer des documents remis à un particulier par un fonctionnaire. M. Lefebvre a cependant reconnu que rien ne prouvait que la fonctionnaire s'estimant lésée avait volontairement remis les imprimés à M. GB.

[72]    M. Lefebvre a également été appelé à formuler des observations sur la motivation de M. GB et sur la conclusion de l'enquête concernant la définition d'« avantage personnel », telle que cette notion s'applique à l'affaire qui nous occupe. Il a confirmé que les allégations de demande de paiement n'avaient pas été prouvées, en faisant toutefois remarquer que la définition ne se limitait pas à des avantages pécuniaires.

[73]    Quoique le dossier ait été transmis à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) afin qu'on poursuive l'enquête préliminaire, la fonctionnaire s'estimant lésée a été informée durant la présente procédure que la GRC n'entendait pas poursuivre son enquête. M. Lefebvre a également confirmé que les enquêteurs s'en étaient tenus aux renseignements recueillis dans le cadre de l'enquête disciplinaire car, à son avis, il aurait été inopportun et abusif de chercher à obtenir de nouveaux.

[74]    En réinterrogatoire, M. Lefebvre a été prié de donner son avis sur la crédibilité de M. GB. Il a répondu qu'il ne croyait pas que c'était une question pertinente. Il a expliqué que, même si M. GB avait menti et qu'il avait bel et bien volé les renseignements, le facteur déterminant était que la fonctionnaire s'estimant lésée avait apporté les documents à l'extérieur du bureau. De toute manière, ces documents n'auraient pas dû se retrouver chez elle ou dans un lieu public.

Témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée

[75]    La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné pour son propre compte. Elle a commencé par faire remarquer que c'était la toute première fois qu'elle prenait connaissance de la description de travail du poste de commis-enquêteur (pièce E-2), puis elle a admis que les principales activités décrites correspondaient bien à ses fonctions et à ses responsabilités. Elle a aussi confirmé qu'elle avait travaillé au service de dépannage et qu'elle avait une bonne connaissance de l'Intranet et des renseignements auxquels les fonctionnaires pouvaient avoir accès par ce moyen. Elle a également reconnu qu'elle avait eu accès à différentes bases de données, notamment la base « Easy Access ».

[76]    Mme Hillis a expliqué que M. GB habitait dans le même immeuble qu'elle et qu'ils étaient tous deux devenus membres du conseil des copropriétaires la première année de sa création, en 1995. Elle en avait été élue la présidente plusieurs fois, y compris l'année se terminant en septembre 2001.

[77]    Elle a indiqué que de nombreux différends étaient survenus au fil des années entre le conseil et M. GB sur diverses questions. Tout avait commencé en 1997, lorsque M. GB avait apparemment été expulsé du conseil. En décembre 2001, il avait glissé deux lettres sous sa porte, l'une datée du 6 décembre 2001 (pièce G-11) et l'autre du 9 décembre 2001 (pièce G-12). Elle avait montré les deux lettres à sa surveillante en lui disant que ce membre du conseil des copropriétaires lui causait des problèmes. La surveillante aurait compati avec elle parce qu'elle faisait aussi partie d'un conseil de copropriétaires et qu'elle comprenait les difficultés que pouvait causer la gestion de ce genre d'immeuble. Selon la fonctionnaire s'estimant lésée, la surveillante savait qu'elle s'occupait des affaires du conseil des copropriétaires pendant sa pause-déjeuner et elle n'y voyait aucune objection.

[78]    À l'appui de ces allégations de harcèlement de la part de M. GB, la fonctionnaire s'estimant lésée a renvoyé à la lettre du 6 décembre 2001, dans laquelle il l'informe qu'il a décidé d'écrire à son superviseur pour savoir de quel droit elle s'occupait d'affaires personnelles ou utilisait les installations ou le matériel du gouvernement à des fins personnelles ou pour le conseil des copropriétaires. Il fait aussi allusion à des menaces que son conjoint lui aurait faites concernant divers incidents, notamment une panne de courant et une affaire de remorque volée.

[79]    Dans la lettre datée du 9 décembre 2001, M. GB fait allusion à des menaces que la fonctionnaire s'estimant lésée et son conjoint auraient adressées à sa mère. Voici ce qu'il écrit au troisième paragraphe :

[Traduction]

Je vous poursuivrai par tous les moyens prévus par la loi, s'il le faut, et je vous harcèlerai jusqu'à la fin des temps pour avoir blessé/tué ma mère.

Il indique également qu'il envoie une copie de la lettre à un policier, lequel, aux dires de la fonctionnaire s'estimant lésée, avait été affecté spécialement à leur immeuble en raison des nombreuses plaintes qu'il y avait eu sur une courte période.

[80]    La fonctionnaire s'estimant lésée a également produit une lettre qu'elle avait écrite à M. GB le 20 mars 2002 (pièce G-13) pour lui expliquer les statuts et règlements de la société concernant la présence de chiens dans l'immeuble. Elle a attiré l'attention sur le fait qu'elle y abordait le sujet de manière professionnelle.

[81]    En ce qui concerne l'affaire qui nous occupe, la fonctionnaire s'estimant lésée a relaté les événements tels qu'ils lui revenaient en mémoire. Lors d'une réunion du conseil des copropriétaires, M. GB lui avait mentionné qu'il croyait que certains de ses anciens partenaires commerciaux avaient fraudé le régime d'assurance-emploi. Elle lui aurait alors parlé du numéro sans frais qui existait pour signaler ce genre de choses en lui disant que c'était son meilleur recours.

[82]    En dépit de cela, M. GB lui avait remis une liste de trois personnes lors d'une réunion du conseil, en juin. Elle l'avait finalement acceptée parce qu'il insistait beaucoup et qu'elle voulait éviter de se le mettre à dos. Elle avait l'intention de transmettre la liste à l'agent d'enquêtes et de contrôle. Cependant, comme elle s'interrogeait sur la légitimité de la demande de M. GB, elle avait commencé par la mettre de côté, puis elle avait décidé de vérifier rapidement les noms dans les bases de données. En entrant l'un des noms, une cinquantaine d'adresses se sont affichées à l'écran. Mme Hillis a souligné que, dans l'exercice de ses fonctions, elle effectuait machinalement de telles recherches pour obtenir des adresses et qu'elle jetait rarement un coup d'oeil aux autres renseignements qui apparaissaient à l'écran. Cela avait aussi été le cas quand elle avait lancé la recherche sur les noms fournis par M. BG.

[83]    Elle a ensuite expliqué qu'elle avait apporté les imprimés à la maison pour mieux les examiner. Comme elle était attendue incessamment à une réunion du conseil des copropriétaires, elle était probablement partie en courant en emportant les documents du conseil et les imprimés avec elle. Elle avait croisé très brièvement M. GB dans le couloir et avait tenté d'obtenir plus de détails afin de déterminer lesquelles des quelque 50 personnes qu'il y avait sur la liste étaient celles qu'il recherchait. Elle lui a lu la liste, a-t-elle affirmé, sans la lui montrer. De toute manière, M. GB ne voyait pas très bien et il n'aurait pas été capable de lire les documents qu'elle avait dans les mains.

[84]    Elle a ensuite dit que M. GB semblait avoir perdu tout intérêt. Il n'a plus été question de la liste par la suite et elle a oublié l'affaire. Elle n'avait aucune raison, a-t-elle dit, de lui donner ces documents car il voulait sa perte.

[85]    Elle a prétendu que c'est pendant cette réunion, alors que le groupe faisait visiter l'immeuble à un nouvel entrepreneur, que M. GB, qui était incapable de suivre à cause de son handicap, en avait profité pour subtiliser les imprimés qu'elle avait laissés dans la salle.

[86]    Elle a admis qu'elle avait emporté les imprimés à l'extérieur du bureau, mais elle ne se rappelait pas ce qu'elle en avait fait après la rencontre avec M. GB. En renvoyant à sa déclaration du 1er mai 2002 (pièce E-21), elle a attiré l'attention sur le dernier paragraphe, où l'on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

J'aimerais conclure en disant que c'est en toute innocence que j'ai utilisé les systèmes de DRHC. Je croyais faire mon travail. Je n'ai jamais eu l'intention de commettre un acte répréhensible ou de tromper quiconque. J'admets que j'étais naïve, que j'ai fait preuve d'un zèle excessif et que je n'étais pas consciente de mes responsabilités en matière de protection des renseignements personnels. Je sais maintenant que j'ai eu tort d'apporter cette liste à l'extérieur du bureau et que j'aurais dû composer différemment avec la situation. C'est la seule et unique fois où j'ai agi de la sorte et je vous assure que je connais beaucoup mieux les politiques relatives à la divulgation des renseignements. Je ne cesse de me reprocher d'être à l'origine de toute cette affaire et de la situation embarrassante dans laquelle j'ai manifestement placé le ministère et me suis aussi placée. Je comprends qu'à cause de ma négligence j'ai compromis le caractère confidentiel de ces renseignements, ce qui n'était pas mon intention. Je prends mon travail très au sérieux et je m'excuse très sincèrement du tort que j'ai causé.

[87]    La fonctionnaire s'estimant lésée insiste pour dire que la déclaration qu'elle a faite à la direction était sincère. Après la première réunion, le représentant syndical, M. Swaine, l'avait aidée à mieux comprendre la nature des inquiétudes de la direction.

[88]    En contre-interrogatoire, on a demandé à la fonctionnaire s'estimant lésée d'expliquer comment elle avait pu croire que M. GB voulait signaler des fraudes, vu les problèmes qu'elle avait eus avec lui dans le passé. Pourquoi n'avait-elle pas insisté pour qu'il s'adresse au service chargé des rapports de tiers et ne s'était-elle pas abstenue de se mêler de cette affaire? Elle a convenu que c'est effectivement ce qu'elle aurait dû faire. Elle a soutenu qu'en tant qu'employée, elle n'avait pas été informée de l'importance d'appliquer les lignes directrices particulières régissant la divulgation des renseignements personnels qu'elle était appelée à traiter. Elle a insisté sur le fait qu'il s'agissait de circonstances très inhabituelles où elle essayait de circonscrire les renseignements à transmettre à l'agent d'enquêtes et de contrôle.

[89]    À la question de savoir si elle savait qu'il était inacceptable de consulter le dossier de M. X, elle a répondu qu'elle ne pensait pas que ça l'était à ce moment-là puisque les autres faisaient la même chose. Elle a aussi nié avoir demandé de l'argent à M. GB.

[90]    La fonctionnaire s'estimant lésé a déposé, sous la cote G-14, un jugement rendu par Mme la juge Baker de la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 9 août 2001. Je l'ai accepté en tant que document public et je lui accorderai le poids qui convient compte tenu de sa nature. Mme Hillis a déclaré qu'elle avait découvert ce jugement en faisant des recherches dans l'Internet. Elle trouvait que les observations formulées par la juge Baker au sujet de la crédibilité du demandeur dans cette affaire, M. GB, donnaient une bonne idée de son manque général de crédibilité car c'est un point qui, selon elle, doit être pris en considération en l'espèce.

Argumentation de l'employeur

[91]    L'avocate de l'employeur a présenté sa preuve en cinq temps, en répondant aux questions suivantes :

(i)La fonctionnaire s'estimant lésée a-t-elle commis les actes qui lui sont reprochés?
(ii)Sa conduite justifiait-elle une suspension disciplinaire de dix jours?
(iii)L'ASM était-il habilité à révoquer la cote de fiabilité?
(iv)La révocation de la cote de fiabilité justifiait-elle un licenciement pour des motifs non disciplinaires :
a)Quel critère juridique s'applique à la révision d'une révocation?
b)Dans quelle mesure les faits de l'espèce ont-ils une incidence sur le critère général?
c)Y a-t-il double incrimination en l'espèce?
(v)Quelle est la réparation indiquée?

[92]    S'appuyant sur l'arrêt Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (QL), l'employeur examine la première question et se dit convaincu que la preuve présentée par la fonctionnaire s'estimant lésée est [traduction] « totalement incompatible avec la prépondérance des probabilités qui se dégage logiquement de l'ensemble de la preuve présentée en l'espèce » (page 4).

[93]    Me Armstrong indique que la fonctionnaire s'estimant lésée a admis qu'elle avait imprimé le document et qu'elle l'avait apporté à l'extérieur des locaux de DRHC. Elle veut nous faire croire qu'elle est sans reproche parce que le document lui a été volé. Elle se pose en victime de M. GB ainsi que de l'employeur parce qu'elle n'a pas été informée du caractère délicat des renseignements qu'elle traitait. Or, elle ne peut se retrancher derrière l'allégation que c'est M. GB qui a mal agi. L'avocate de l'employeur m'exhorte à ne pas retenir les arguments de la fonctionnaire s'estimant lésée parce qu'ils embrouilleraient les faits et à prendre plutôt en considération les points suivants :

(i)Un tiers non autorisé a obtenu les imprimés;
(ii)Mme Hall a pu confirmer la validité de la preuve matérielle que M. GB avait en sa possession, à savoir les imprimés et les ordonnances des tribunaux, et en a reçu des copies par télécopieur;
(iii)Les enquêteurs ont pu confirmer l'existence de cette preuve matérielle lors de leur rencontre avec M. GB;
(iv)Quelle que fût sa motivation - vengeance, relation ou autre vendetta - le fait est que M. GB avait en sa possession les documents que Mme Hillis a admis avoir imprimés.

[94]    L'avocate de l'employeur soutient que la fonctionnaire s'estimant lésée a non seulement enfreint la politique, la loi et le Code de conduite, mais a aussi contrevenu aux règles du bon sens. Si les actions de M. GB étaient effectivement motivées par un désir de vengeance, ont peut alors dire qu'elle s'est offerte en pâture en laissant quelqu'un qui, de son propre aveu, voulait sa perte et avait la réputation d'être un fauteur de troubles, avoir accès aux documents. En outre, ayant déjà occupé divers postes dans la fonction publique fédérale, notamment à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi que dans la fonction publique de la Colombie-Britannique et à la Société de fiducie TD, on ne peut accorder foi à ses propos quand elle dit qu'elle ne savait pas qu'il est interdit d'apporter des renseignements personnels à l'extérieur du bureau.

[95]    Étant donné que Mme Hillis était familière avec la procédure applicable aux rapports de tiers, l'employeur a de la difficulté à croire qu'elle faisait enquête sur une affaire de fraude possible. Il met ensuite en relief les contradictions relevées dans sa version des faits. D'une part, elle admet avoir consulté le dossier de M. X, mais considère que c'était acceptable parce que tous ses collègues faisaient la même chose. Pourquoi serait-ce différent dans le cas des noms fournis par M. GB? D'autre part, elle n'a mis personne au courant des recherches qu'elle effectuait à titre autonome dans le but de répondre à la demande de M. GB. Elle a tenté de se justifier en disant qu'à ses yeux cela faisait partie de son travail. Et puis aussi, même si elle avait censément dit à M. GB de soumettre un rapport d'un tiers, il avait continué de la harceler, et comme elle était obligée de le côtoyer dans l'immeuble, elle avait accepté d'effectuer les recherches bien qu'elle doutât de l'authenticité de sa demande. L'employeur trouve préoccupant le fait que Mme Hillis semble avoir cédé aux pressions de M. GB. Il se demandait si elle ne faisait pas généralement l'objet de pressions semblables de la part d'autres personnes et quelles conséquences cela pouvait avoir sur son travail. Finalement, si elle agissait de la sorte dans le cadre de ses fonctions, pourquoi n'avait-elle pas présenté de demande d'indemnité d'heures supplémentaires pour ce soir-là, comme elle avait l'habitude de faire lorsqu'elle faisait des heures supplémentaires?

[96]    En définitive, et compte tenu de la décision rendue dans l'arrêt Faryna (précité), la version des faits de la fonctionnaire s'estimant lésée n'est pas plausible. L'explication la plus logique est qu'elle savait que M. GB cherchait à retracer des personnes qui lui devaient de l'argent. Elle s'est servie de son poste de commis-enquêteur pour l'aider dans ses recherches, et ce, afin d'entrer dans ses bonnes grâces, voire d'obtenir la paix. M. GB avait les documents en sa possession et aucune des enquêtes n'a permis d'établir qu'il les avait obtenus autrement que par l'entremise de Mme Hillis. Même si M. GB avait menti et l'avait attiré dans un piège en lui demandant les renseignements, en toute logique, comment aurait-il su quand les lui voler? L'employeur est d'avis que la faute de conduite a été établie selon la prépondérance des probabilités.

[97]    Concernant la deuxième question, l'employeur estime que la mesure disciplinaire était justifiée. La direction n'a certainement pas agi de manière négligente; on a recueilli la version des faits de M. GB, puis celle de la fonctionnaire s'estimant lésée; on a consulté le service des relations de travail et communiqué avec l'administration centrale de DRHC et le Conseil du Trésor. On a aussi tenu compte du dossier disciplinaire de la fonctionnaire s'estimant lésée en optant pour une suspension de dix jours plutôt que pour un licenciement, ce qui constituait une mesure juste et raisonnable.

[98]    L'employeur renvoie à l'affaire Brecht c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada) , 2003 CRTFP 36. Dans cette affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé avait une raison valable liée au travail de transmettre des renseignements à un ami, qui était en même temps un policier (paragraphe 57). Il a fait la preuve qu'il croyait véritablement qu'il apportait son concours à la Couronne dans le cadre d'une enquête externe (paragraphe 64). L'employeur est d'avis qu'il n'existe aucune preuve de ce genre en l'espèce. Dans l'affaire Brecht (précitée), le vice-président Potter a déclaré que ce type d'abus constituait selon lui une infraction grave (paragraphe 74) et qu'il fallait se garder de considérer sa décision comme un précédent en faveur de sanctions clémentes dans ce type d'affaires :

Il ne faudrait pas voir dans la présente décision l'affirmation que la divulgation à un tiers de renseignements que l'employeur a recueillis auprès du public ne justifie pas en soi le congédiement. Dans d'autres circonstances, le congédiement pour ce type d'action pourrait bien constituer la voie à suivre. Il s'agit d'une infraction grave, et le fonctionnaire s'estimant lésé en a subi ce que l'on n'a d'autre choix que de considérer comme étant une longue suspension. Toutefois, je suis convaincu que le lien de confiance n'a pas été irrémédiablement rompu ici au point de ne pouvoir être rétabli [...]

[99]    La troisième question concerne le pouvoir de l'agent de sécurité ministériel (ASM) de révoquer la cote de fiabilité. L'employeur est d'avis que l'ASM était justifié de se fonder sur les conclusions de l'enquête effectuée par son personnel en vertu du pouvoir dont il est investi, et conformément à la Politique du gouvernement sur la sécurité (pièce E-27) et à la Norme sur la sécurité du personnel (pièce E-28). Il a exercé la prérogative qui lui a été reconnue par la Cour fédérale dans l'affaire Kampman c. Canada (Conseil du Trésor) , [1996] 2 C.F. 798 (C.A.) (QL), ainsi que par la présente Commission dans l'affaire Gunderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise) , dossiers de la CRTFP 166-2-26327 et 26328 (1995) (QL). En outre, ainsi qu'il ressort du témoignage de M. Lefebvre, la décision a été prise uniquement dans l'optique de la sécurité, non pas d'un point de vue disciplinaire.

[100]    En dernier lieu, est-ce que la révocation de la cote de fiabilité justifiait le licenciement pour des raisons non disciplinaires? La question comporte trois aspects. Le premier concerne le critère juridique applicable à la révision de la révocation; le deuxième, l'examen des répercussions des faits sur l'application de ce critère et, le troisième, la double incrimination. L'employeur renvoie à la décision rendue dans l'affaire Gunderson (précitée) et aux quatre décisions rendues dans l'affaire Kampman (précitée). Me Armstrong conclut que c'est sur la question de l'équité du processus décisionnel qu'on doit se pencher dans le cadre d'un recours devant la Commission et que la présente audience fait partie de ce processus.

[101]    Le critère qui s'applique en réalité c'est celui de la bonne foi de l'employeur. Autrement dit, l'employeur en est-il arrivé à sa décision de manière juste et raisonnable? En l'espèce, il s'est employé à recueillir le plus de renseignements possible. Ses enquêteurs ont rencontré M. GB et ont examiné les documents qu'il avait en sa possession. Ils ont aussi rencontré Mme Hillis et lui ont donné la possibilité de compléter sa déclaration. Pendant toute la durée de leur enquête, ils se sont montrés disposés à envisager d'autres possibilités. Au surplus, avant d'en arriver à sa décision de révoquer la cote de fiabilité, l'employeur a tenu compte de l'ensemble des circonstances, de la situation de Mme Hillis et de son obligation de protéger les renseignements provenant des citoyens. Aucune mesure n'a été prise par méchanceté à l'égard de la fonctionnaire s'estimant lésée; le seul souci de l'employeur était de protéger les biens de l'État.

[102]    L'employeur soutient que les faits de l'espèce, examinés sous l'angle de la bonne foi, étayent la décision de l'ASM, laquelle est fondée sur une preuve crédible et un processus juste et équitable. Quoi qu'il en soit, toute irrégularité à cet égard serait désormais corrigée par la présente audience. Dans l'arrêt Tipple c. Sa Majesté la Reine (Conseil du Trésor) , [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL), la Cour d'appel fédérale a statué que l'iniquité d'un tel processus peut être réparée par une nouvelle audience devant un arbitre. Par conséquent, la décision de l'employeur devrait être confirmée.

[103]    En dernier lieu, l'employeur soutient que l'argument de la fonctionnaire s'estimant lésée relativement à la double incrimination n'est pas fondé. Cette même question a été soulevée dans l'affaire Kampman (précitée), mais elle est demeurée sans réponse en raison du régime législatif qui existait à l'époque. L'employeur renvoie aussi à des décisions plus récentes : Copp c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 8 et O'Connell c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel) , dossiers de la CRTFP 166-2-27507, 27508 et 27519 (1997) (QL).

[104]    L'employeur affirme que la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas fait l'objet de deux mesures disciplinaires. La décision de révoquer la cote de fiabilité n'était pas de nature disciplinaire. L'ASM n'est investi d'aucun pouvoir en la matière. La situation a été analysée sous un angle différent dans le cadre de chaque enquête parce que les principes applicables étaient différents. L'employeur pouvait se prévaloir des deux recours en vertu des dispositions des alinéas 11(2) f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, et rien ne l'obligeait à en privilégier un.

[105]    En ce qui concerne la réparation à envisager en l'espèce, l'employeur indique qu'il faut exclure la possibilité de réintégrer la fonctionnaire s'estimant lésée dans ses fonctions. Le lien de confiance ne peut être rétabli car il a été irrémédiablement rompu. La cote de fiabilité ne peut pas non plus être rétablie parce que cette question n'est pas de mon ressort. Seule la décision Gunderson (précitée) pourrait être invoquée au soutien de la réparation demandée en l'espèce. L'avocate de l'employeur termine en me demandant de rejeter les deux griefs parce que la suspension de dix jours et la révocation de la cote de fiabilité étaient justifiées au terme d'un processus juste et équitable mené de bonne foi par l'employeur. Subsidiairement, eu égard aux circonstances de l'affaire, seule une indemnité pécuniaire devrait être envisagée dans l'éventualité où j'en arriverais à une conclusion différente.

Argumentation de la fonctionnaire s'estimant lésée

[106]    La représentante de la fonctionnaire s'estimant lésée indique que le fardeau de la preuve incombe à l'employeur et que le critère à appliquer est énoncé dans la décision rendue dans l'arrêt Faryna (précité). Sa thèse repose essentiellement sur les mêmes points que celle de l'avocate de l'employeur. À son avis, la preuve n'étaye ni les conclusions des enquêtes ni les décisions de la direction. Elle fait valoir que M. GB a modifié sa version des faits à plusieurs reprises et qu'on ne peut accorder foi à ses propos. De plus, il a refusé de remettre à Mme Hall ou aux enquêteurs les documents qu'il avait en sa possession. Mme Seaboyer est d'avis que M. GB a réussi à exercer tellement de pression sur la fonctionnaire s'estimant lésée en menaçant de signaler l'affaire à son député qu'elle a fini par devenir sa victime.

[107]    Jusque-là, la fonctionnaire s'estimant lésée avait répondu franchement aux questions et collaboré avec les enquêteurs. Elle est d'avis que la direction s'était formée une opinion dès le départ. En outre, la preuve présentée repose en grande partie sur du ouï-dire. Avant de décider si elle a bien commis les actes que lui reproche l'employeur, il faut examiner les pièces E-22 et E-23, car elles présentent les allégations et les moyens invoqués à l'appui de la thèse de l'employeur. La lettre datée du 16 mai 2002 (pièce E-23) indique clairement que la décision disciplinaire résulte de la divulgation non autorisée de renseignements confidentiels par la fonctionnaire s'estimant lésée. Le résumé des conclusions (pièce E-22) fait état de trois allégations, dont une seule, la deuxième, était étayée par une preuve suffisante. Dans sa déclaration du 1er mai 2002 (pièce E-21), la fonctionnaire s'estimant lésée admet qu'elle a imprimé le document et qu'elle l'a apporté à l'extérieur des locaux de l'employeur. Elle nie toutefois catégoriquement l'avoir remis à M. GB, de même que de le lui avoir montré et de lui avoir demandé de l'argent.

[108]    L'employeur a privilégié la version des faits de M. GB, en dépit du fait que son récit changeait constamment et qu'il avait refusé de remettre les documents qu'il avait en sa possession. Cela montre bien le genre de personne qu'il était. S'il avait été sans arrière-pensée, il se serait empressé de remettre les documents. Comme M. GB ne peut pas témoigner et que personne ne peut attester directement de ses intentions, pourquoi sa version devrait-elle être considérée comme plus crédible que celle de la fonctionnaire s'estimant lésée?

[109]    Selon le critère énoncé dans l'arrêt Faryna (précité), la version de M. GB n'est pas plausible. Compte tenu de l'état de leur relation, il est illogique de croire que Mme Hillis lui aurait communiqué les renseignements au risque de perdre son emploi. Dans sa lettre datée du 6 décembre 2002, M. GB indique clairement que ça lui est égal qu'elle perde son emploi. C'est le genre de risque qu'une personne raisonnable refuserait de prendre. Mme Seaboyer fait ensuite valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée a certes commis des erreurs, mais qu'elle n'a pas agi de manière délibérée, ni dans un but coupable.

[110]    De l'avis de la fonctionnaire s'estimant lésée, la « crédibilité » de M. GB revêt une importance primordiale vu, notamment, que les actions et décisions de l'employeur procèdent de la conviction erronée qu'il disait la vérité. À son point de vue, l'application du critère de la prépondérance des probabilités nécessite l'examen des intentions des parties afin de garantir le caractère équitable du processus; à cet égard, c'est la version des faits de Mme Hillis qui serait la plus plausible. M. GB lui a dit qu'il connaissait des gens qui avaient fraudé le régime d'assurance-emploi, mais c'était plutôt vague comme information. Mme Hillis a voulu obtenir d'autres détails. Voyant tous les noms que sa recherche initiale avait produits, elle a jugé bon d'en éliminer un certain nombre afin que tous ces gens ne fassent pas inutilement l'objet d'une enquête. Elle avait l'habitude de trier et d'évaluer ce genre de dossier. À ses yeux, cela s'inscrivait dans ses tâches habituelles. Elle admet qu'elle a apporté la liste à la maison car elle savait que M. GB allait assister à la réunion du conseil ce soir-là. Elle a discuté très brièvement avec lui afin d'éliminer un certain nombre de noms. C'est alors qu'elle a constaté qu'il s'était désintéressé de l'affaire, ce qui l'avait décue. Elle a dès lors classé le dossier et oublié l'affaire. Elle reconnaît qu'elle a mal agi, mais elle voulait juste faire du bon travail et de ne pas faire perdre de temps à l'agent d'enquêtes.

[111]    Mme Seaboyer indique que les sanctions disciplinaires ont pour but de modifier le comportement des employés, non de les punir. Dans la présente affaire, la fonctionnaire s'estimant lésée est passée d'une suspension de dix jours à la révocation de sa cote de fiabilité, une décision qui est irréversible. On ne lui a même pas accordé de deuxième chance. Elle a certes commis une grave erreur, mais elle affirme qu'elle ne recommencera plus. Si on l'autorisait à réintégrer son poste, elle serait une employée dévouée et elle éviterait à tout prix de se retrouver dans une situation semblable. Elle sait très bien ce qu'il lui en a coûté. Mme Seaboyer attire l'attention sur le fait que l'employeur a accepté de reprendre Mme Hillis après sa suspension, quoiqu'à certaines conditions. Rien ne permet de croire qu'elle est retombée dans les mêmes ornières durant les six mois qui ont suivi son retour au travail. Six mois c'est une période suffisamment longue pour déterminer si elle était prédisposée à ce genre de comportement et si elle était digne de confiance ou non. C'est plutôt le contraire qui s'est produit puisqu'elle comprend mieux les aspects de son travail qui concernent la protection des renseignements personnels. Même si elle accepte maintenant que l'employeur était fondé de sévir, elle trouve que la mesure était trop sévère, vu son dossier disciplinaire vierge.

[112]    Selon la fonctionnaire s'estimant lésée, c'est quand sa cote de fiabilité a été révoquée que ses problèmes ont véritablement commencé. L'équité du processus décisionnel est un élément qui revêt beaucoup d'importance pour statuer sur cet aspect de l'affaire. Comme il est indiqué dans le rapport (pièce G-10), on a essentiellement utilisé les faits qui avaient été recueillis dans le cadre de l'enquête disciplinaire. La deuxième enquête n'a mis au jour aucun fait nouveau, c'est-à-dire aucune nouvelle liste de noms, aucun autre manquement aux règles régissant la protection des renseignements personnels. De plus, la lettre de suspension ne mentionnait même pas qu'il allait y avoir une nouvelle enquête et que la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée faisait l'objet d'une révision. On n'indiquait pas non plus qu'elle était dès lors susceptible de perdre son emploi.

[113]    La représentante de la fonctionnaire s'estimant lésée indique que les constatations et conclusions du rapport sont erronées. Quoique l'allégation relative à l'avantage personnel n'ait pas été prouvée lors de la première enquête, il semble qu'on en ait quand même tenu compte dans l'enquête de sécurité, en dépit, encore une fois, de l'absence de nouvelles preuves. Selon la prépondérance des probabilités, la décision ne peut pas être qualifiée de raisonnable.

[114]    Subsidiairement, le licenciement de Mme Hillis constituait une mesure disciplinaire déguisée. Mme Hall a admis qu'elle voulait la licencier, mais qu'elle n'avait pas obtenu l'appui des instances supérieures, lesquelles étaient d'avis qu'une telle mesure ne résisterait pas à l'examen d'un arbitre de griefs. On peut dès lors conclure que la révocation constituait un moyen d'atteindre l'objectif du licenciement. Cela signifie donc qu'il y a double incrimination et que l'employeur a agi de mauvaise foi. Même si la preuve est faible à cet égard, on sait qu'il y a eu des rencontres entre la direction et les enquêteurs. La révocation de la cote de fiabilité est une décision lourde de conséquences. Il est impossible d'occuper un poste dans l'administration fédérale si cette cote est refusée. La représentante fait observer qu'il faut veiller à ce que le processus de révocation ne soit pas utilisé pour licencier un fonctionnaire sans motif valable ou sans processus équitable.

[115]    En terminant, la représentante de la fonctionnaire s'estimant lésée me renvoie à un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (pièce G-14). Vu que je n'ai pas été en mesure de juger par moi-même de la crédibilité de M. GB du fait qu'il n'a ni témoigné ni été contre-interrogé devant moi, les observations formulées par la juge Baker et le juge Braidwood pourraient fournir quelques indications utiles au soutien de l'allégation selon laquelle M. GB n'était pas une personne digne de confiance. Les juges, qui étaient saisis de deux affaires différentes, ont tous deux eu l'occasion d'entendre et de voir M. GB témoigner devant eux. Dans chaque cas, son manque de crédibilité comme témoin a constitué un facteur déterminant. La fonctionnaire s'estimant lésée voudrait que j'en tire une conclusion quant à la moralité de M. GB. Subsidiairement, elle estime qu'il existe suffisamment de faits en l'espèce pour conclure à son manque de crédibilité.

[116]    En ce qui concerne la réparation demandée, la fonctionnaire s'estimant lésée est d'avis qu'en ma qualité d'arbitre de griefs, je suis habilitée à rétablir sa cote de fiabilité et à la réintégrer dans son poste. À cet égard, elle me renvoie à l'affaire Dekoning c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada) , dossiers de la CRTFP 166-2-22971 et 149-2-129 (1993) (QL). Je devrais par conséquent réintégrer la fonctionnaire s'estimant lésée dans ses fonctions, réduire la suspension disciplinaire et l'exonérer de tout blâme. Elle me demande également de demeurer saisie de l'affaire aux fins de l'exécution de la décision, s'il y a lieu.

Réfutation

[117]    En réfutation, l'avocate de l'employeur fait valoir que ce n'est pas la moralité de la fonctionnaire s'estimant lésée qui est en cause, mais sa crédibilité. Celle de M. GB ne revêt aucune importance. L'employeur a agi de bonne foi dans cette affaire. Le licenciement ne constituait pas une mesure disciplinaire déguisée. Deux enquêtes distinctes ont été menées, toutes deux de bonne foi.

[118]    En ce qui concerne la question de l'avantage personnel, l'employeur soutient qu'il ne s'agissait pas d'obtenir de l'argent mais d'entrer dans les bonnes grâces de M. GB, voire de mettre un terme au harcèlement. Tout compte fait, l'employeur ne peut plus accorder sa confiance à cette employée. À son retour au travail, elle a été affectée à d'autres tâches de manière à ce qu'elle ne puisse plus avoir accès à la base de données. On ne peut pas interpréter cela comme la preuve d'un regain de confiance. La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas démontré à l'époque qu'elle comprenait la gravité de ses actes.

[119]    La section de la sécurité a été mise au fait de la situation parce que c'est ce que le protocole exigeait et non parce que l'on cherchait un moyen de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée. Compte tenu du fardeau de la preuve et de la prépondérance des probabilités, l'employeur a démontré que les mesures qu'il a prises étaient justifiées.

[120]    En terminant, l'avocate de l'employeur établit une distinction avec l'affaire Dekoning (précitée). Les pouvoirs des arbitres des griefs ont changé depuis 1993, et les circonstances de l'espèce sont différentes. Par conséquent, cette affaire ne s'applique pas.

Motifs de la décision

[121]    Compte tenu des circonstances présentées à l'audience concernant la preuve par ouï-dire, j'ai examiné avec un soin minutieux, comme je l'ai mentionné précédemment, tous les aspects de l'affaire afin de me faire une idée de l'ensemble de la situation. Il y a toutefois des aveux et des dénis non équivoques de la part de la fonctionnaire s'estimant lésée, et il y a aussi des contradictions importantes entre sa version des faits et celle de M. GB présentée par Mme Hall.

[122]    La fonctionnaire s'estimant lésée a admis qu'elle avait imprimé le document qui s'est ensuite retrouvé entre les mains de M. GB. Tout en niant lui avoir montré ou remis ce document, elle a admis qu'elle lui avait communiqué de vive voix des renseignements qui portaient clairement la désignation « Protégé ». Elle a également admis avoir abandonné le document dans un lieu public et formulé l'hypothèse que M. GB avait profité de l'occasion pour s'en être emparé à son insu. À la question de savoir ce qu'il était advenu du document après la réunion du conseil, elle a été incapable d'expliquer comment il se faisait qu'elle ne s'était pas aperçue que le document avait disparu. Cela témoigne du peu d'importance qu'elle accordait à la sécurité et à la protection des renseignements personnels. Enfin, elle a nié avoir demandé de l'argent en échange des renseignements fournis. Aucune des deux enquêtes n'a mis au jour quelque preuve d'un paiement et M. GB a lui-même admis qu'il n'avait jamais remis d'argent à Mme Hillis, contrairement à ce qu'il affirme dans sa lettre du 23 mars 2002.

[123]    D'importantes contradictions entre les deux versions des faits apparaissent lorsque Mme Hillis essaie de transformer son mobile en circonstances atténuantes. C'est à ce moment-là que sa crédibilité et celle de M. GB entrent en jeu. L'employeur a décidé de privilégier la version de M. GB. À cet égard, il s'est appuyé sur les faits confirmés par les deux enquêtes :

i)M. GB avait en sa possession des documents tirés de la base de données « Easy Access »;
ii)il avait en sa possession des ordonnances des tribunaux concernant les personnes dont les noms figuraient dans le document;

[124]    L'employeur fait en outre valoir que pour croire que la fonctionnaire s'estimant lésée menait une enquête sur une affaire de fraude à l'instigation de M. GB, il faudrait conclure que celui-ci lui a camouflé ses véritables intentions. Or, à l'exception du témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée, il n'existe aucune preuve que ce soit le cas. De plus, le critère de la prépondérance des probabilités énoncé dans l'arrêt Faryna (précité) ne permet pas de retenir cette possibilité. En dépit du fait que M. GB a été décrit comme un fauteur de troubles au conseil des copropriétaires de l'immeuble où habitait la fonctionnaire s'estimant lésée, il n'existe aucune preuve qu'il a tenté de la duper.

[125]    À l'inverse, l'employeur fait observer que la fonctionnaire s'estimant lésée a admis avoir consulté le dossier de M. X, un autre voisin, et qu'il existe aussi des preuves qu'elle ne comprenait certes pas la nature des règles régissant la protection des renseignements qui venaient à sa connaissance dans le cadre de ses fonctions, ni ses responsabilités concernant les renseignements personnels dont le public lui confiait la garde. Je ne vois aucune raison d'en arriver à une conclusion différente.

[126]    Concernant ce dernier aspect, je suis incapable de conclure qu'il était acceptable que la fonctionnaire s'estimant lésée rassemble l'information et l'apporte à l'extérieur du bureau parce que, à son point de vue, c'était juste une liste de noms et d'adresses. Je suis très troublée par les explications qu'elle a fournies pour justifier sa conduite. Elle a soutenu qu'elle n'avait rien fait de mal parce qu'elle était tellement habituée à examiner les noms et les numéros de téléphone au quotidien, qu'elle ne voyait plus les autres renseignements comme les dates de naissance et les numéros d'assurance sociale. Pour se justifier, elle a indiqué qu'à force de traiter quotidiennement des renseignements de ce genre, on en venait tout simplement à perdre de vue leur importance et leur caractère confidentiel; c'est une attitude que je trouve inacceptable. Je dois convenir que Mme Hillis ne semblait pas être consciente à l'époque de l'importance et de la nature de la responsabilité qui lui incombait eu égard à la protection de l'information qu'elle avait la charge de traiter.

[127]    Même si Mme Hillis croyait vraiment qu'elle faisait enquête sur une affaire de fraude et qu'elle essayait, comme elle l'a dit, de concentrer ses recherches sur un certain nombre de noms seulement, elle s'y est prise de la mauvaise manière, ce qu'elle a d'ailleurs admis. Elle n'aurait jamais dû apporter la liste à l'extérieur du bureau et encore moins la laisser sans protection dans un endroit public. Elle connaissait les procédures applicables aux rapports de tiers ainsi que la politique concernant les amis, les membres de la famille et les connaissances, et elle aurait dû les respecter. Je conclus que les facteurs atténuants présentés, peu importe que je trouve plausible ou non la version de la fonctionnaire s'estimant lésée, ne sont pas suffisants pour faire contrepoids aux autres manquements graves.

[128]    J'entends me pencher brièvement sur la question de l'appât du gain qui aurait motivé en partie la conduite de la fonctionnaire s'estimant lésée. Dans leur rapport du 29 juillet 2002, les agents de sécurité indiquent qu'ils n'ont trouvé aucune preuve que Mme Hillis avait reçu de l'argent, or ils affirment qu'elle a essayé de retirer un avantage personnel de la situation, par corruption. Je n'ai vu pour ma part aucune preuve de ce genre et les deux enquêtes confirment mon point de vue. La preuve indique plutôt que la fonctionnaire s'estimant lésée semblait essayer de se libérer des demandes de M. GB ou de s'assurer sa collaboration au conseil des copropriétaires de l'immeuble. Quoi qu'il en soit, ses actions peuvent seulement être qualifiées d'erreur et témoignent d'un manque certain de jugement de sa part.

[129]    Cela étant dit, il a été démontré qu'elle avait communiqué des renseignements confidentiels à une personne non autorisée, ce qui justifiait l'imposition d'une suspension de dix jours. Cette mesure ne me paraît aucunement abusive au vu du dossier vierge de la fonctionnaire s'estimant lésée et de la faute grave qu'elle a commise. Il s'agit, de loin, d'une mesure acceptable, que je qualifierais même de clémente dans les circonstances. J'estime donc n'avoir aucune raison d'intervenir à cet égard.

[130]    Par ailleurs, je ne trouve aucune preuve que l'enquête disciplinaire a été menée de mauvaise foi. Mme Hall a communiqué avec M. GB pour recueillir le plus de renseignements possible. Elle a organisé une rencontre avec lui dans le but de confirmer les documents qu'il avait en sa possession, c'est-à-dire les imprimés et les ordonnances des tribunaux. Elle a ensuite eu une longue rencontre avec la fonctionnaire s'estimant lésée et son représentant syndical. Elle a aussi consulté les instances compétentes afin de déterminer la mesure disciplinaire qu'il convenait d'infliger dans les circonstances.

[131]    J'en viens maintenant à l'autre aspect de l'affaire, à savoir le licenciement. À cet égard, je dois évaluer si le processus décisionnel a été mené de manière juste et raisonnable, en conformité avec les pouvoirs dont le ministère est investi. Je dois aussi déterminer s'il ne s'agissait pas en fait d'une mesure disciplinaire déguisée imposée de mauvaise foi par l'employeur. En dernier lieu, je dois me prononcer sur la question de la double incrimination.

[132]    Dans l'arrêt Kampman (précité), la Cour d'appel fédérale confirme le pouvoir décisionnel de l'ASM et sa prérogative à cet égard et établit des normes d'examen à l'intention des arbitres de griefs. Par conséquent, pour me convaincre de la nécessité d'examiner la décision de l'ASM, la fonctionnaire s'estimant lésée devait démontrer que l'employeur avait omis d'appliquer les règles de l'équité du processus et du caractère raisonnable.

[133]    Dans la mesure où il agit en conformité avec le pouvoir dont il est investi par la Politique du gouvernement sur la sécurité et la Norme sur la sécurité du personnel, l'agent de sécurité ministériel est habilité à révoquer la cote de fiabilité d'un fonctionnaire. Compte tenu des renseignements recueillis dans le cadre de l'enquête disciplinaire et des événements subséquents, il était devenu nécessaire de vérifier si la fonctionnaire était toujours une personne fiable à qui l'on pouvait continuer de confier des biens du gouvernement, notamment les renseignements personnels très délicats fournis par les citoyens. Cette décision était laissée à l'appréciation de l'ASM et le critère à appliquer est celui qui est énoncé dans les politiques pertinentes.

[134]    L'employeur a établi que les agents de sécurité avaient mené leur enquête de manière juste. Ils ont rencontré M. GB, les gestionnaires et Mme Hillis, accompagnée de son avocat, et ils lui ont accordé la possibilité de compléter sa déclaration initiale. Selon M. Lefebvre, ils ont aussi pris le temps de réfléchir sur la question et ils ont soumis à direction la question de l'attribution d'autres tâches.

[135]    Ce processus n'est toutefois pas sans failles car j'ai relevé deux problèmes. Le premier concerne le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas été avisée des conséquences possibles du processus, à savoir son licenciement, ce qui pourrait être considéré comme contraire à l'obligation de l'employeur d'appliquer une procédure administrative équitable. Le second concerne la question du pouvoir de l'agent de sécurité ministériel. Les deux problèmes ont toutefois été corrigés par la suite.

[136]    Dans le premier cas, il n'a pas été établi que la fonctionnaire s'estimant lésée avait été avisée des conséquences possibles de la révision de sa cote de fiabilité. La lettre de suspension du 15 novembre 2002 est muette à ce sujet ainsi que celle l'invitant à rencontrer les agents de sécurité chargés de l'enquête. De plus, il n'a pas été établi qu'elle avait été informée de vive voix de cette éventualité à la réunion du 13 juin 2002. Cependant, selon l'arrêt Kampman (précité), ce manquement pourrait être réparé ultérieurement par l'accès à un autre recours approprié. En outre, dans l'arrêt Tipple (précité), la Cour conclut ce qui suit :

En supposant qu'il y ait eu injustice sur le plan de la procédure lorsque les supérieurs du requérant ont recueilli les déclarations de ce dernier [...] cette injustice a été entièrement réparée par l'audition de novo qui a eu lieu devant l'arbitre, où le requérant a été pleinement informé des allégations qui pesaient contre lui et où il a eu pleinement l'occasion d'y répondre.

[137]    Cette occasion a maintenant été offerte à la fonctionnaire s'estimant lésée durant les trois jours d'audience devant la Commission, où elle a été pleinement informée des allégations déposées contre elle et où elle a eu la possibilité d'appeler des témoins et de faire valoir pleinement son point de vue.

[138]    La fonctionnaire s'estimant lésée ayant aussi remis en question le pouvoir de l'agent de sécurité ministériel, cette question mérite un examen plus approfondi. La preuve a démontré que d'autres événements s'étaient produits pendant la suspension de Mme Hillis. Mme Hall avait continué d'avoir des contacts avec M. GB (pièces G-1, G-2 et G-3) parce qu'elle essayait de récupérer les documents qu'il avait en sa possession. Chaque fois qu'elle avait communiqué avec lui, selon ses notes, il aurait fait part de nouveaux événements survenus dans l'immeuble mettant en cause Mme Hillis et mentionné la possibilité d'utiliser les documents dans le cadre d'autres procédures si la situation continuait d'empirer ainsi que d'en parler à son député.

[139]    Dans le rapport d'enquête de M. Lefebvre daté du 29 juillet 2002 (pièce-G-10), on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Le 30 mai 2002, l'affaire a été portée à l'attention de la section des enquêtes spéciales parce que M. GB continuait de menacer d'en parler à son député.

[140]    Selon ce même rapport, l'enquête a débuté la semaine du 7 juin 2002 par une rencontre avec M. GB, qui a continué de refuser de remettre les documents qu'il avait en sa possession en affirmant qu'il avait l'intention de les utiliser en cour, au besoin, pour obtenir justice contre quatre personnes (pièce G-10). Malgré le fait que ces nouvelles déclarations soient peut-être à l'origine de l'enquête de sécurité, elles ont ultérieurement été confirmées par les enquêteurs. Le refus de M. GB de remettre les documents confidentiels et l'utilisation qu'il menaçait toujours d'en faire à des fins personnelles étaient révélateurs de son attitude à l'égard de ces renseignements. L'employeur a commencé à prendre conscience de la gravité de la situation. Confirmation a été donnée que les événements étaient suffisamment sérieux pour justifier une révision de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée en vertu du pouvoir dévolu à l'ASM par la politique pertinente.

[141]    Il ne s'agit pas là d'une preuve de mauvaise foi ou d'abus de la part de l'employeur. Les circonstances indiquent plutôt qu'il y avait un vif désir de la part de la direction, comme en font foi les communications ultérieures avec M. GB, de s'assurer que tous les protocoles de sécurité avaient été respectés à la lettre, compte tenu, notamment, de la possibilité que l'affaire devienne publique.

[142]    Le rapport renferme aussi le passage suivant : [traduction] « Compte tenu des conclusions de l'enquête, la suspension de dix jours non rémunérée qui a initialement été imposée à Mme Jeanie Hillis ne corrigera pas l'abus de confiance dont elle s'est rendue coupable dans cette affaire ». On recommande ensuite que Mme Hillis soit suspendue immédiatement, sans rémunération, et que des mesures soient prises en vue de son licenciement. Je trouve cette recommandation assez étonnante eu égard au fait que ni M. Lefebvre ni M. Lajoie, qui était alors directeur national, Sécurité interne, enquêtes et mesures d'urgence, n'étaient habilités à licencier la fonctionnaire; leur pouvoir se limitait à révoquer sa cote de fiabilité. On peut facilement comprendre l'inquiétude que la lecture du rapport a suscité chez la fonctionnaire s'estimant lésée. Cependant, en bout de ligne, c'est le sous-ministre qui avait le pouvoir de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée. C'est lui qui a pris la décision et qui a signé la lettre datée du 15 novembre 2002. Par conséquent, il serait faux d'affirmer que l'agent de sécurité ministériel a outrepassé son pouvoir, en dépit de la formulation plutôt boiteuse de ce rapport. En outre, dans la lettre qu'il a adressée au sous-ministre le 15 novembre 2002, M. Lajoie, recommande la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée mais non son licenciement.

[143]    En dernier lieu, la fonctionnaire s'estimant lésée soutient qu'elle est victime d'une double incrimination en raison des deux mesures qui lui ont été imposées pour les mêmes événements. D'après l'ouvrage Brown and Beatty (7:4240), il est généralement reconnu que l'employeur ne peut pas imposer plus d'une sanction pour la même infraction, c'est-à-dire pas plus d'une mesure disciplinaire. La révocation de la cote de fiabilité d'un fonctionnaire et son licenciement ultérieur sont des décisions qui sont laissées à l'appréciation de l'employeur en vertu de l'alinéa 11(2) g) de la Loi sur la gestion des finances publiques; il ne s'agit donc pas de sanctions disciplinaires, mais de mesures administratives. Les raisons qui motivent ce dernier processus et l'analyse qu'il nécessite sont différentes. Par nature, le premier tient nécessairement compte de la conduite passée du fonctionnaire et tente de modifier ou d'améliorer son comportement tandis que l'autre examine ou, dans l'affaire qui nous occupe, réexamine la relation future entre l'employeur et l'employé en fonction de critères comme la confiance, la fiabilité et la moralité. Le résultat de l'enquête de sécurité est la révocation de la cote de fiabilité, non pas le licenciement, qui en est plutôt la conséquence inévitable.

[144]    De même, dans l'affaire Turgeon c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-6925 (1979), la fonctionnaire s'estimant lésée a été licenciée pour avoir pris part à un stratagème en vue de frauder le régime d'assurance-emploi en plus d'être déclarée coupable d'actes criminels relativement aux mêmes événements. L'arbitre Emile Moalli a statué que les deux processus étaient des recours judiciaires distincts qui entraînaient des sanctions de nature différente tout en prenant appui sur les mêmes événements. C'est la même logique qui s'applique en l'espèce.

[145]    Par conséquent, il est impossible d'affirmer que la situation qui existe en l'espèce constitue une double incrimination, à moins que la fonctionnaire s'estimant lésée puisse établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'employeur poursuivait un objectif de nature disciplinaire en demandant la révision de sa cote de fiabilité. Dans l'affaire Re Ontario Produce Co. v. Teamsters Union, Local 419 (1992), 25 L.A.C. (4th) 195, M. Beatty formule des observations sur l'importance de tenir compte de l'intention pour statuer sur la question de la double incrimination. Or, la fonctionnaire s'estimant lésée ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve à cet égard.

[146]    Les règles et politiques régissant le processus de révision de la cote de fiabilité indiquent clairement qu'il s'agit d'un processus continu. La section 5 de la Norme sur la sécurité du personnel prévoit ce qui suit : « À la suite d'une mise à jour ou d'une révision découlant de la découverte de nouveaux renseignements défavorables, on pourrait révoquer la cote de fiabilité ou la cote de sécurité de la personne concernée. » La cote d'un employé peut donc faire l'objet d'une révision continue lorsque de nouveaux renseignements défavorables le concernant sont portés à l'attention de la direction, et c'est effectivement ce qui s'est produit en l'espèce. L'appendice B de la norme fournit des directives pour l'évaluation de ces renseignements aux fins de la vérification de la fiabilité ou, en l'occurrence, de la révision de la cote de fiabilité. La section 3 précise ce qui suit :

En vérifiant la fiabilité de la personne, il faut se demander s'il peut se montrer digne de la confiance qu'on lui accordera. Autrement dit, il faut chercher à savoir s'il pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels il aura accès ou ne pas protéger les biens et renseignements, ou se comporter d'une façon qui nuirait à leur protection.

[147]    Dans le cas de Mme Hillis, ce processus a été entamé après que le processus disciplinaire fut terminé, en partie à cause de nouvelles déclarations faites par M. GB. Le fait que la lettre disciplinaire du 16 mai 2002 soit muette à ce sujet confirme en quelque sorte que le processus institué le 30 mai 2002, à savoir l'enquête de sécurité, n'était pas de nature disciplinaire. Le passage suivant du rapport du 29 juillet 2002 qui dit que : « Compte tenu des conclusions de l'enquête, la suspension de dix jours non rémunérés qui a initialement été imposée à Mme Jeanie Hillis ne corrigera pas l'abus de confiance dont elle s'est rendue coupable dans cette affaire » étaye également cette interprétation et confirme que l'employeur n'avait pas l'intention d'infliger une nouvelle sanction disciplinaire.

[148]    L'obligation de protéger les renseignements confidentiels des citoyens est l'une des responsabilités clés de nombreux postes de l'administration fédérale. Le fait que l'employeur ait d'abord choisi d'appliquer un processus disciplinaire ne devrait pas l'empêcher de réévaluer la situation sous l'angle de la sécurité, ce qu'il aurait pu faire en premier lieu.

[149]    Je n'ai trouvé aucune preuve de mauvaise foi susceptible de m'inciter à conclure que le licenciement constituait ou se voulait une mesure disciplinaire déguisée. J'ai également conclu que le processus décisionnel de l'employeur était équitable, malgré quelques lacunes, qui ont été corrigées par la présente procédure d'arbitrage. Je n'aurais pas le pouvoir de rétablir la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée, ni aucune raison de le faire de toute manière.

[150]    Une fois que la décision de révoquer la cote de fiabilité a été prise, il faut en évaluer les conséquences sur l'emploi du fonctionnaire concerné. La section 5 de la Norme sur la sécurité du personnel prévoit que le licenciement peut seulement être envisagé dans des circonstances exceptionnelles. Cependant, la section 10.9 de la Politique du gouvernement sur la sécurité (pièce E-27) stipule ce qui suit :

Le Gouvernement du Canada doit s'assurer que les individus qui ont accès à ses renseignements et biens sont fiables et dignes de confiance [...]

Les ministères doivent s'assurer qu'avant leur entrée en fonction, les personnes qui ont besoin d'avoir : a) accès aux biens du gouvernement (sauf les personnes nommées par le gouverneur en conseil) font l'objet d'une vérification de la fiabilité et obtiennent une cote de fiabilité;

[...]

[151]    M. Lefebvre a expliqué dans son témoignage que, depuis la fin de 2002, l'octroi de la cote de fiabilité constitue une exigence minimale ou fondamentale pour occuper un poste dans l'administration fédérale. La cote de fiabilité approfondie qui avait été accordée à la fonctionnaire s'estimant lésée lors de son entrée en fonctions en 1999 a été abolie. Comme la cote de fiabilité est indispensable pour occuper un poste dans l'administration fédérale, le licenciement de la fonctionnaire s'estimant lésée était inévitable puisqu'elle ne détenait plus la cote minimale.

[152]    En l'espèce, l'employeur n'était pas tenu de diligemment chercher à lui trouver un poste au ministère comme l'exige la Cour fédérale dans l'arrêt Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) , [2001] A.C.F. no 891. Dans cette affaire, la cote de sécurité de Mme Singh avait été révoquée, mais cela ne lui enlevait pas la possibilité d'occuper un poste nécessitant une cote de sécurité moindre. Dans le cas de Mme Hillis, il n'existe pas de telle possibilité. Par conséquent, je n'ai pas à demander au ministère de démontrer qu'il a fait des efforts appréciables en ce sens.

[153]    En conclusion, il me paraît que la décision de l'employeur de révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire s'estimant lésée s'appuie sur son obligation de garantir à la population canadienne que les fonctionnaires sont pleinement conscients de leur responsabilité de protéger le caractère confidentiel des renseignements personnels dont ils assurent le traitement. La décision résulte également de la perte de confiance de l'employeur dans la capacité de la fonctionnaire s'estimant lésée de s'acquitter de cette responsabilité dans le futur, plutôt que dans le passé.

[154]    Peu importe que la fonctionnaire s'estimant lésée ait offert de fournir les renseignements dans le but de déjouer une fraude ou de venir en aide à un membre du public qui recherchait des débiteurs, le fait est qu'elle a mis son emploi en péril et qu'elle ne peut en imputer la faute qu'à elle-même.

[155]    Je comprends que le syndicat craigne que le processus de révision de la cote de fiabilité, une mesure administrative, soit utilisé pour licencier un fonctionnaire sans possibilité de recours devant la Commission. Cependant, l'obligation de l'employeur d'appliquer ce processus de bonne foi et dans un but véritable, tel qu'il est indiqué dans la présente décision, ainsi qu'avec équité sur le plan administratif, devrait constituer une protection suffisante pour les fonctionnaires; la Commission se sait habilitée à se pencher sur ces éléments. Par ailleurs, ce processus permet à l'employeur d'appliquer la Politique du gouvernement sur la sécurité dans les circonstances nécessaires.

[156]    Par conséquent, les deux griefs sont rejetés.

Sylvie Matteau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 19 octobre 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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