Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Licenciement (motif non disciplinaire) - Droits de la personne - Obligation de tenir compte des besoins du fonctionnaire s'estimant lésé - Demande de rejet du grief fondé sur l'article 84 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993 (le Règlement) - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief afin de contester son licenciement pour des motifs non disciplinaires - il n'alléguait pas qu'on avait porté atteinte aux droits de la personne - parallèlement, il a porté plainte à la CCDP, en déclarant que l'employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit en refusant de tenir compte des besoins associés à son incapacité et en le licenciant - la Commission a jugé, compte tenu du libellé de la plainte, qu'une question de droits de la personne était au cour même du grief, et que la LCDP prévoit une procédure de plainte à cet égard - elle s'est fondée sur la décision rendue dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.), à savoir que le grief ne pouvait pas être présenté en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP - elle a aussi justifié son recours au processus prévu à l'article 84 du Règlement et rejeté le grief faute de compétence. Grief rejeté faute de compétence. Décisions citées :Gascon, 2000 CRTFP 68; Kehoe, 2001 CRTFP 9; Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-07-16
  • Dossier:  166-2-32708
  • Référence:  2004 CRTFP 89

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique




ENTRE

Douglas Harry Lowther

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
Solliciteur général du Canada - Service correctionnel


employeur



Devant:   Yvon Tarte, président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  John Mancini

Pour l'employeur :   Lise Dagenais


(Décision rendue sans audience)


[1]    La présente décision a pour objet de déterminer si la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) devrait exercer les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l'article 84 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P, 1993 (le Règlement), afin de rejeter, faute de compétence, le grief déposé par M. Douglas Lowther.

Faits

[2]    Le fonctionnaire s'estimant lésé, Douglas Lowther, occupait un poste d'agent de correction (CX-1) à Service correctionnel Canada, lorsqu'il a été licencié pour des motifs non disciplinaires, à compter du 12 août 2002.

[3]    Le 29 août 2002, M. Lowther a déposé un grief relativement à son licenciement. Dans sa réponse au dernier palier du processus de règlement des griefs, datée du 27 mars 2003, l'employeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Nous avons effectué un examen approfondi de votre dossier de congé non payé pour raisons médicales. L'évaluation de votre dossier médical par Santé Canada a révélé que vous n'êtes pas apte à réintégrer le poste d'agent de correction, et il semble que vous ne soyez pas en mesure d'occuper un emploi rémunérateur dans un avenir prévisible.

Comme mentionné dans la correspondance précédente, le congé non payé ne peut pas être accordé pour une période indéfinie. À la suite de l'examen minutieux de tous les aspects de votre problème de santé, nous vous avons exposé les options offertes aux fonctionnaires étant confrontés à la suspension de leur congé non payé prolongé.

Comme vous ne vous êtes prévalu d'aucune de ces options, nous vous remettons une lettre de licenciement pour motifs non disciplinaires. Par conséquent, je suis convaincu que la situation relative à votre congé non payé a été traitée de manière appropriée et juste, et compte tenu des mesures correctives que vous avez demandées, votre grief est rejeté.

[4]    L'affaire a été renvoyée à l'arbitrage, le 17 septembre 2003.

[5]    En plus de renvoyer sa cause en arbitrage, M. Lowther a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans sa plainte, en date du 3 octobre 2003, il soutient que Service correctionnel Canada a fait preuve de discrimination à son égard en refusant de tenir compte des besoins associés à son incapacité et en le licenciant, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[6]    Le 26 novembre 2003, l'employeur a fait parvenir une lettre à la Commission afin de contester la compétence d'un arbitre à entendre le grief de M. Lowther. L'employeur a expliqué son opposition comme suit :

[Traduction]

Le grief de M. Lowther, en date d'août 2002, ne fait aucunement mention d'une discrimination en raison de son incapacité. M. Lowther a ajouté l'élément de discrimination que son emploi avait été mis fin en raison de son incapacité seulement dans sa plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), le 3 octobre 2003, dans laquelle il demande une mesure corrective en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Étant donné ce qui précède et le fait que M. Lowther se soit prévalu du recours administratif offert par la CCDP, et comme la CCDP est actuellement saisie de la plainte, l'employeur demande que le présent renvoi à l'arbitrage soit rejeté au motif que l'affaire ne relève pas de la compétence de la Commission puisqu'elle est visée par un recours administratif de réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[7]    En réponse, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à la Commission de se fonder sur la décision de l'arbitre Guindon dans l'affaire Cherrier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel), 2003 CRTFP 37, et de convoquer la tenue d'une audience officielle. Le fonctionnaire s'estimant lésé a mis l'accent tout particulièrement sur le paragraphe 47 de l'affaire Cherrier :

[para47]   Je ne peux pas accepter l'argument de l'avocate de l'employeur selon lequel l'arbitre assigné par la C.R.T.F.P. devient automatiquement sans compétence pour entendre un grief lorsque la C.C.D.P. se saisit d'une plainte aux fins d'enquête par le biais du paragraphe 41(1) de la L.C.D.P. Les décisions et jugements cités à la présente indiquent clairement qu'un arbitre se doit d'évaluer la nature et la portée des recours utilisés par le fonctionnaire s'estimant lésé afin de déterminer si un élément de la nature des droits de la personne est au coeur du grief et si un conflit ou un chevauchement existe entre le grief et un autre recours administratif prévu à une autre loi fédérale. Le fait que la C.C.D.P. ait procédé à l'évaluation de la plainte qui lui est soumise et qu'elle ait décidé de statuer sur cette plainte, en vertu de sa loi constituante (L.C.D.P.) ne peut pas avoir pour effet de dessaisir l'arbitre assigné au grief de ses responsabilités de déterminer sa compétence en vertu de sa propre loi constituante (L.R.T.F.P.).

[8]    La Commission a demandé aux parties de lui soumettre par écrit leurs arguments concernant l'opposition de l'employeur.

Position des parties

[9]    L'agent négociateur a déposé ses arguments écrits le 20 février 2004. En voici des extraits :

[Traduction]

[...]

     Pour les besoins de la cause, nous faisons valoir que le grief de M. Lowther peut sans contredit être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92.

     Ledit article permet clairement les renvois en matière d'interprétation ou d'application de la convention collective. La clause 37 de la convention collective prévoit expressément qu'il n'y aura aucune discrimination [...] restriction [...] du fait d'une incapacité physique. Après avoir subi une amputation de la jambe, M. Lowther a été licencié de manière éhontée par SCC, avec l'appui de Santé Canada. Outre la convention collective et la LCDP, l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés protège le poste de M. Lowther, et l'employeur a une obligation d'accommodement. Ce qui nous amène à conclure que le grief de M. Lowther constitue manifestement un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP.

[10]    L'employeur a déposé ses arguments écrits, le 15 mars 2004. En voici des extraits :

[Traduction]

[...] à la lecture du dossier, l'employeur comprend que le fonctionnaire s'estimant lésé prétend avoir été licencié en raison de son incapacité physique, motif qu'il a également invoqué dans sa plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Une copie de la plainte était jointe à ma lettre du 13 novembre 2003.

L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé à l'affaire Cherrier (166-2-31767). Nous ne prétendons pas que l'arbitre devient automatiquement sans compétence pour entendre un grief lorsque la CCDP se saisit d'une plainte aux fins d'enquête par le biais du paragraphe 41(1) de la LCDP. Comme le déclarait l'arbitre dans cette affaire, un arbitre doit d'évaluer la nature et la portée des recours utilisés par le fonctionnaire s'estimant lésé afin de déterminer si un élément de la nature des droits de la personne est au coeur du grief et si un conflit ou un chevauchement existe entre le grief et un autre recours administratif prévu à une autre loi fédérale. Cependant, nous soutenons, comme en témoignent les documents, que le fonctionnaire s'estimant lésé a été licencié du fait que son incapacité physique l'empêchait d'assumer ses fonctions. Par conséquent, comme un élément de la nature des droits de la personne est au coeur du grief et comme la CCDP peut également être saisie de l'affaire, cette dernière ne devrait pas faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la Loi.

Il est aussi important de mentionner que, dans l'affaire Cherrier, aucun témoignage n'a été entendu et que la décision a été rendue uniquement sur la foi des documents présentés. De même, nous soutenons respectueusement qu'il ne serait d'aucune utilité de tenir une audience officielle, et la Commission détient assez de renseignements pour rendre une décision sur la foi des documents et des observations écrites.

Motifs de décision

[11]    L'employeur a demandé que la Commission se prévale du pouvoir que lui confère l'article 84 du Règlement afin de rejeter le grief. L'article 84 prévoit ce qui suit :

84. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et malgré toute autre disposition du présent règlement, la Commission peut rejeter un grief pour le motif qu'il ne constitue pas un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'article 92 de la Loi.

(2) En déterminant s'il y a lieu de rejeter un grief pour le motif visé au paragraphe (1), la Commission :

a) soit demande aux parties de présenter un exposé écrit de leurs arguments, dans le délai et de la manière qu'elle précise;

b) soit tient une audience.

[12]    Dans Gascon c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel) 2000 CRTFP 68, la Commission a établi le critère préliminaire aux fins d'une décision en vertu de l'article 84. Dans cette affaire, la Commission a déclaré, au paragraphe 15, que s'il existe un argument défendable selon lequel le grief constitue un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage, il n'est pas approprié de rejeter le grief en vertu de l'article 84.

[13]    Afin d'établir si un grief peut être renvoyé à l'arbitrage, il faut se fonder sur les articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction (LRTFP) :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[14]    En l'occurrence, au vu du dossier, il s'agit manifestement d'une affaire ne pouvant pas faire l'objet d'un grief. Même si M. Lowther ne mentionne pas dans son grief que son licenciement est fondé sur un motif relié aux droits de la personne, il invoque un tel motif dans la plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Comme mentionné précédemment, le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu, dans sa plainte, que Service correctionnel Canada avait fait preuve de discrimination à son égard en refusant de tenir compte des besoins associés à son incapacité et en le licenciant, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, dans les arguments écrits soumis à la Commission, son représentant établit clairement un lien entre le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé et le défaut de l'employeur de tenir compte de ses besoins, en faisant valoir que, outre la convention collective et la LCDP, l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés protège le poste de M. Lowther et que l'employeur a une obligation d'accommodement.

[15]    Compte tenu du libellé de la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé déposée auprès de la CCDP, ainsi que des observations de son représentant, je conclus qu'au coeur du grief réside une question touchant les droits de la personne, à savoir si l'employeur a omis de tenir compte des besoins associés à l'incapacité du fonctionnaire s'estimant et s'il a licencié M. Lowther en raison de cette incapacité. La LCDP traite expressément de cette question. Les articles 3 et 7 de la Loi se lisent comme suit :

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

[16]    La LCDP prévoit également le droit de présenter une plainte pour discrimination du fait d'une incapacité. Les articles 4 et 39, ainsi que le paragraphe 40(1), de la LCDP prévoient ce qui suit :

4.  Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 peuvent faire l'objet d'une plainte en vertu de la partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet des ordonnances prévues aux articles 53 et 54.

39. [...] « acte discriminatoire » s'entend d'un acte visé aux articles 5 à 14.1.

40. (1) [...] un individu ou un groupe d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

[17]    En outre, la Cour d'appel fédérale a statué, dans l'affaire Canada (Solliciteur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.), que la procédure d'examen des plaintes prévue par la LCDP est un recours administratif de réparation aux termes du paragraphe 91(1) de la LRTFP.

[18]    La Commission s'est penchée sur cette même question dans l'affaire Kehoe c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada) 2001 CRTFP 9. Dans cette affaire, la Commission a statué ce qui suit (paragraphe 22) :

Dans les circonstances de l'affaire qui nous occupe, comme le grief de Mme Kehoe soulève des questions qui peuvent être réglées en recourant à la procédure d'examen des plaintes prévue par la L.C.D.P., et à la lumière de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Boutilier (C.A.), (supra), je conclus que, à la lecture du dossier que possède la Commission, le grief de Mme Kehoe ne peut être présenté en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi et, en tant que tel, ne peut être renvoyé à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). Je conclus par ailleurs qu'il est approprié, en l'occurrence, de recourir à la procédure prévue à l'article 84 du Règlement.

[19]    Il ressort clairement que la nature intrinsèque du grief de M. Lowther est reliée à une question pour laquelle il existe un autre recours administratif de réparation, à savoir le recours prévu en vertu de la LCDP. Par conséquent, comme mentionné dans l'affaire Kehoe, supra, il ne s'agit pas d'une question pouvant faire l'objet d'un grief fondé sur l'article 91. Il s'ensuit que le fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas présenter d'argument défendable selon lequel le grief constitue un grief pouvant être renvoyé à l'arbitrage.

[20]    Pour les motifs qui précèdent, la demande de l'employeur présentée en vertu de l'article 84 du Règlement est accueillie. Le grief de M. Lowther est rejeté faute de compétence.

Yvon Tarte,
président

OTTAWA, le 16 juillet 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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