Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Renvoi en cours de stage - Abus de confiance - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé, un stagiaire, était affecté au service de dépannage - il bénéficiait de privilèges administratifs sur le réseau lui permettant d'accéder aux comptes électroniques d'autres employés - le fonctionnaire s'estimant lésé a accédé à ces comptes sans permission à des fins non liées au travail - il a été renvoyé en cours de stage pour abus de confiance - l'arbitre a invoqué l'affaire Leonarduzzi (infra), qui statuait que l'employeur n'était pas tenu d'établir un motif valable, mais seulement d'établir, avec une preuve quelconque, que le renvoi était lié à l'emploi - l'arbitre a statué qu'une fois que l'employeur avait démontré que le motif du renvoi était lié à l'emploi, le fardeau de la preuve retombait sur le fonctionnaire s'estimant lésé, qui devait démontrer que les mesures prises par l'employeur étaient une supercherie ou du camouflage ou de mauvaise foi - l'arbitre a expliqué que, dans le cadre de l'examen des procédures administratives ministérielles ayant mené à la décision de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage, son rôle n'était pas d'évaluer la pertinence de ces procédures - le rôle de l'arbitre était plutôt de déterminer si l'employeur avait fait fi des notions d'équité les plus élémentaires en évaluant la conduite du fonctionnaire, à savoir s'il avait agi de bonne foi - l'arbitre a conclu que l'employeur avait des raisons légitimes de s'inquiéter du comportement du fonctionnaire s'estimant lésé au travail - le renvoi en cours de stage était fondé sur un motif lié à l'emploi - absence de mauvaise foi - défaut de compétence. Grief rejeté. Décisions citées :Canada (P.G.) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. No 802 (T.D.); Canada (P.G.) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Smith c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-3017 (1977); McMorrow c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-23967 (1993)(QL); Canada (P.G.) c. Matthews (1997), 139 F.T.R. 287; Fortin c. Canada (P.G.) , [2003] A.C.F. 1490.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-05-17
  • Dossier:  166-2-32980
  • Référence:  2004 CRTFP 39

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

TODD BOYCE
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Ministère de la Défense nationale)

employeur


Devant :  Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Yves Rochon, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  John Jaworski, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
Les 3 et 4 mars 2004.


[1]   Todd Boyce a été renvoyé en cours de stage, le 20 juin 2003. Il a déposé un grief à l'encontre de ce renvoi, le 15 juillet 2003. À titre de CS-1, M. Boyce était régi par la convention collective du groupe Gestion des systèmes d'ordinateurs (CS) conclue entre l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (pièce G-1).

[2]   Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 19 novembre 2003. Dans une lettre adressée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), le 7 janvier 2004, l'employeur a fait valoir que le grief ne relevait pas de la compétence de la Commission. L'employeur a demandé que le renvoi à l'arbitrage soit rejeté sans tenir d'audience. Dans sa réponse à la Commission, datée du 6 février 2004, l'agent négociateur a déclaré que la Commission était compétente du fait que la mesure prise par l'employeur constituait clairement une mesure disciplinaire et que le licenciement de M. Boyce était, en réalité, un renvoi disciplinaire. Le 27 février 2004, la Commission a informé les parties que l'audience porterait exclusivement sur la question de la compétence.

[3]   L'employeur a appelé un témoin à comparaître. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné et a appelé un autre témoin à comparaître. Une ordonnance visant à exclure les témoins a été accordée. Les deux représentants ont fait des déclarations préliminaires.

[4]   Lors de l'audience, le représentant de l'agent négociateur, Yves Rochon, s'est opposé au dépôt d'un rapport d'enquête préparé par l'adjudant Luc Legault. Il a fait valoir que le document n'avait pas été fourni au fonctionnaire s'estimant lésé dans un délai raisonnable, comme le prévoit la convention collective. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait pris connaissance du rapport, pour la première fois, le 10 février 2004. L'opposition de M. Rochon reposait également sur le fait que l'auteur du rapport ne serait pas appelé à témoigner et que, par conséquent, il serait impossible de mener un contre-interrogatoire en règle. Il m'a renvoyé à Vandermeer (dossier de la CRTFP no l66-2-26848 (1996) (QL)). L'avocat de l'employeur, John Jaworski, a prétendu qu'il ne soumettait pas le rapport pour en démontrer le contenu, mais bien parce que le lieutenant colonel R.R. Schildknecht s'était fondé sur ce document pour prendre la décision relative au renvoi en cours de stage. M. Jaworski a fait valoir que l'affaire Vandermeer se distinguait du fait que l'employeur s'était fié à ce que contenait le rapport et n'avait soumis aucune autre preuve. J'ai admis le document en preuve (pièce E-6) à la seule fin d'établir que le lieutenant colonel Schildknecht s'était fondé sur le document et non pour établir son caractère véridique.

Preuve

[5]   La première expérience de M. Boyce au sein du ministère de la Défense nationale (MDN) était à titre de conseiller en formation, de juillet 2001 à mai 2002. Il a ensuite été embauché comme employé pour une durée déterminée, du 24 juin au 31 janvier 2003 (pièce E-2), à titre de d'agent subalterne du Service de dépannage (un poste de niveau CS-1) auprès du 76e Groupe des communications. Le 4 décembre 2003, son mandat a été prolongé jusqu'au 31 mars 2003 (pièce E-3). Le 10 février 2003, on lui a offert un poste d'une durée indéterminée pour le même poste, à compter du 3 février 2003 (pièce E-3). Dans la lettre d'offre relative à la prolongation du mandat (pièce E-3), il a été informé qu'il demeurerait en période de stage jusqu'au 24 juin 2003.

[6]   Le 76e Groupe des communications fournit des services de réseau communs au MDN dans la région de la capitale nationale. Le Groupe est responsable de tous les réseaux administratifs, ce qui comprend les télécopieurs, les téléphones cellulaires, les téléavertisseurs et les ordinateurs. Il dessert 14 500 utilisateurs dans 63 édifices. Le Groupe comprend environ 450 employés militaires et civils.

[7]   L'agent subalterne du Service de dépannage doit répondre aux demandes de renseignements que les utilisateurs soumettent par téléphone ou par courriel et corriger les problèmes informatiques. Si le problème ne peut être réglé par téléphone, il est transmis à un autre agent qui se rend sur place. Les agents subalternes du Service de dépannage installent et configurent le matériel et établissent des comptes d'utilisateurs. Ces agents sont responsables également de l'installation de nouveaux logiciels et de la mise à jour et à niveau des logiciels existants (résumé des fonctions, pièce E-1).

[8]   Le lieutenant colonel Schildknecht assumait le poste de commandant du 76e Groupe des communications, de juin 2001 à juin 2003. À ce titre, il était doté du pouvoir délégué de renvoyer les employés en période de stage, et c'est lui qui a pris la décision de renvoyer M. Boyce, en juin 2003. Le 20 juin 2003, le lieutenant colonel Schildknecht a informé M. Boyce de son renvoi et de sa cessation d'emploi le 20 juillet 2003 (pièce E-5). Voici les motifs invoqués pour le renvoi en période de stage :

[Traduction]

...Je vous informe par la présente que vous êtes renvoyé en cours de stage pour avoir trompé la confiance de votre employeur. La preuve a démontré qu'il n'est plus possible de vous investir de la confiance nécessaire pour vous fournir les privilèges administratifs des réseaux permettant d'assumer les fonctions d'analyste du Service de dépannage, compte tenu du fait que vous auriez accès aux réseaux et données du ministère de la Défense nationale.

[9]   Les agents subalternes du Service de dépannage sont dotés de privilèges administratifs leur permettant d'installer et de mettre à niveau les logiciels sur les réseaux. Ces privilèges administratifs permettent également d'accéder à un compte d'utilisateur d'une autre personne et d'y apporter des changements. Ils donnent aussi accès à tous les fichiers se trouvant sur le lecteur de réseau (le lecteur Q) des utilisateurs. M. Boyce a déclaré que les agents du Service de dépannage n'avaient pas accès aux comptes personnels de courriel. Cependant, les comptes de courriel sont pourvus d'un espace limité de mémorisation et les utilisateurs transfèrent souvent leurs messages sur le lecteur Q. Les privilèges administratifs donnent accès à ces messages.

[10]   Le lieutenant colonel Schildknecht a chargé la section de la sécurité de l'information pour la région de la capitale nationale de mener une enquête au sujet de M. Boyce, après qu'André Deschamps, le superviseur de M. Boyce, et que Harold Young, de la section de la sécurité de l'information pour la RCN, lui ont fait part de préoccupations relativement à l'accès à des comptes d'utilisateur sur le serveur sans permission. Le lieutenant colonel Schildknecht a déclaré que la première indication du problème était survenue le 10 ou 11 mars 2003, alors que MM. Deschamps et Young avaient demandé l'autorisation de mener une enquête plus approfondie. La rumeur circulait dans le bureau que M. Boyce détenait les résultats d'un concours à un poste de CS-2 qui n'avaient pas encore été divulgués publiquement.

[11]    MM. Deschamps et Legault, de la section de la sécurité de l'information pour la RCN, ont rencontré M. Boyce, le 13 mars 2003. M. Boyce a déclaré ne pas avoir eu droit à la présence d'un représentant syndical lors de cette réunion. On lui a demandé s'il avait les questions d'examen en sa possession, et il a répondu par la négative. M. Boyce a affirmé qu'il n'avait pas obtenu les questions avant de faire l'examen. Il a prétendu avoir obtenu les résultats après que des personnes ayant réussi l'examen ont été avisées.

[12]   Après la rencontre, M. Boyce a été escorté à l'extérieur de l'édifice jusqu'à l'issue de l'enquête. On lui a dit que la direction communiquerait avec lui. Il a reçu la totalité de son salaire et de ses avantages sociaux tout au long de l'enquête et jusqu'à son renvoi en cours de stage. Pendant cette période, il a suivi une formation en français qui avait été prévue au préalable.

[13]   Le lieutenant colonel Schildknecht a reçu le rapport de l'enquête (pièce E-6) et les documents à l'appui, le 16 mars 2003. Le lieutenant colonel Schildknecht a expliqué que les documents à l'appui consistaient en copies papier de ce qui se trouvait dans le compte de M. Boyce. Il a pris connaissance du rapport et des documents. Les documents révélaient que M. Boyce étaient en possession de questions pour des concours à venir, ainsi que des résultats de concours n'ayant pas été rendus publics. De nombreux courriels personnels faisaient preuve d'un manque de respect à l'égard des cadres supérieurs et de certains collègues et clients. M. Boyce détenait aussi les résultats d'appels relatifs à des concours. La lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-5) faisait également état de courriels méprisants à l'égard des services fournis aux clients. Il était question de supprimer les fichiers de clients et d'attendre que ceux-ci appellent pour demander qu'ils soient restaurés.

[14]   Lors du contre-interrogatoire, le lieutenant colonel Schildknecht a été appelé à donner des explications au sujet de l'écran instantané que tous les utilisateurs voient lorsqu'ils se branchent sur leur compte (pièce G-4) :

[Traduction]

Cet ordinateur/ce réseau appartenant au MDN/FC doit servir à des fins officielles seulement. Veuillez noter que les renseignements personnels ne sont pas protégés et que les utilisateurs peuvent faire l'objet d'un contrôle en tout temps. Ce réseau est approuvé à des fins de traitement de l'information jusqu'au niveau désigné « protégé A » seulement.

[15]   Il a expliqué que les employés pouvaient mémoriser des documents désignés « protégés B » sur le réseau, à la condition que ces documents soient codés. Il a aussi affirmé que l'avis visait à informer les personnes qu'elles pouvaient être contrôlées en tout temps.

[16]   M. Boyce a prétendu ne pas avoir accédé à aucun document sur le réseau qui l'aiderait dans la progression de sa carrière. Lors de l'interrogatoire principal, il a déclaré qu'il avait consulté des fichiers, mais que ceux-ci n'étaient pas classifiés, protégés ou codés. Lors du contre-interrogatoire, M. Boyce a fait valoir qu'il était autorisé à parcourir les courriels sauvegardés (fichiers « .pst ») des autres utilisateurs. Il a expliqué avoir accédé au lecteur « Q » de Mme Fortin, aux Ressources humaines du MDN, et avoir téléchargé les résultats d'un concours pour un poste de CS-2 après que quelqu'un lui a dit que les résultats y étaient disponibles. Il a aussi affirmé avoir consulté les lecteurs « Q » d'au moins trois personnes. M. Boyce a expliqué avoir trouvé les documents après avoir fait une recherche par caractère générique des fichiers d'une personne sur le lecteur « Q ». À son avis, l'attitude au Service de dépannage semblait être que les agents pouvaient explorer les lecteurs de réseau.

[17]   M. Boyce a déclaré ne jamais avoir supprimé de fichiers du réseau. Il a attribué cette allégation de l'employeur à des courriels personnels, rédigés sous le titre de « l'opérateur bâtard de l'enfer » (pièce G-11), qui se voulaient humoristiques. Il a expliqué que ces courriels étaient une adaptation d'un site Web portant le même nom (pièce G-12). Il a adapté les textes durant un temps d'arrêt technologique entre les appels. Il les a envoyés à environ trois autres personnes. Il a expliqué que les gens du domaine de la technologie de l'information considèrent le service de dépannage comme un travail de haut stress, et qu'il avait besoin de faire quelque chose entre les appels. Les autres courriels étaient destinés à sa petite amie qui travaillait également au MDN. M. Boyce a déclaré que les résultats des appels trouvés sur son ordinateur étaient des documents publics affichés sur le site Web Publiservice.

[18]   Le rapport d'enquête fait état d'un mot de passe utilisé par M. Boyce pour protéger certains fichiers qu'il avait téléchargés d'autres comptes. Le lieutenant colonel Schildknecht a expliqué que M. Boyce avait d'abord hésité à fournir aux enquêteurs son mot de passe qui était « Fuchu2 »; un mot de passe qu'il considérait comme inapproprié. M. Boyce a déclaré qu'il n'était pas réticent à fournir son mot de passe, mais que, lorsque les enquêteurs l'avaient appelé à la maison, il avait simplement fait une courte pause avant de l'épeler. M. Boyce a affirmé qu'il s'agissait d'un mot de passe alphanumérique tiré du nom d'un instructeur du Collège militaire royal.

[19]   Le lieutenant colonel Schildknecht a affirmé qu'après avoir appris que M. Boyce avait obtenu les résultats d'un concours, il avait conclu à un abus de confiance et que, à ce titre, l'affaire devenait une affaire criminelle ne relevant pas de sa compétence. Par conséquent, il avait renvoyé l'affaire à la police militaire qui avait entamé une enquête. Le lieutenant colonel Schildknecht estimait ne pas pouvoir discuter des résultats de l'enquête administrative avec M. Boyce une fois que l'affaire avait été renvoyée à la police militaire. Lors du contre-interrogatoire, il a aussi déclaré qu'il connaissait les principes de la directive en matière de dotation du MDN (pièce G-2), la politique en matière disciplinaire (pièce G-3) et les directives du Conseil du Trésor en matière de mesure disciplinaire (pièce G-5). Il a expliqué qu'une fois qu'il avait eu connaissance de l'abus de confiance, la question devenait une affaire criminelle et non disciplinaire.

[20]   M. Deschamps a envoyé un courriel au major Lamontagne, au capitaine Hanrahan et à la police militaire, le 20 mars 2003 (pièce G-6). Dans ce courriel, il déclarait avoir informé M. Boyce qu'à l'issue de l'enquête criminelle, selon les résultats, une enquête administrative aurait lieu relativement à sa réintégration dans le milieu de travail.

[21]   La police militaire a communiqué avec M. Boyce pour fixer une date d'entrevue en juin, quelque temps avant le 20 juin 2003. M. Boyce a informé la police militaire qu'elle devrait communiquer avec son avocat pour fixer une date d'entrevue. La police militaire n'a pas donné suite à la demande et M. Boyce n'a jamais été interrogé.

[22]   La police militaire a communiqué avec le lieutenant colonel Schildknecht, le 19 juin 2003, pour l'aviser qu'elle détenait assez d'information pour déposer des accusations criminelles au motif d'abus de confiance. Le lieutenant colonel Schildknecht a déclaré que la police militaire lui avait confirmé que M. Boyce avait accédé à des fichiers qu'il n'était pas autorisé à consulter, et qu'il utilisait ses privilèges administratifs pour accéder aux comptes d'autres utilisateurs. Après avoir reçu cet avis, le lieutenant colonel Schildknecht a renvoyé M. Boyce en cours de stage. Les accusations criminelles portées contre M. Boyce ont été retirées, le 25 février 2004 (pièce G-13).

[23]   Après l'entrevue initiale avec MM. Deschamps et Legault, le 14 mars 2003, M. Boyce a affirmé ne pas avoir été impliqué dans l'enquête et ne pas avoir eu la possibilité de fournir de l'information ou des clarifications. Il n'a pas pris connaissance du rapport de l'enquête administrative (pièce E-6) avant le 10 février 2004.

[24]   M. Boyce a fait valoir qu'il avait reçu des commentaires positifs des clients au sujet de son travail (pièces G-9 et G-10). Il a aussi affirmé que son rendement était supérieur à la moyenne comme en témoignaient les rapports hebdomadaires sur le nombre d'appels reçus et de problèmes résolus (pièce G-8). Il n'a reçu aucune orientation de son superviseur relativement à son rendement, comme le prévoit la directive du Ministère en matière de dotation (pièce G-2). Le lieutenant colonel Schildknecht a confirmé qu'avant les 10 ou 11 mars 2003, rien ne laissait entrevoir de problèmes concernant M. Boyce.

[25]   Cory Dodds était stagiaire au poste d'analyste du Service de dépannage (CS-1) en mars 2003; il est maintenant un employé embauché pour une durée indéterminée. Il a déclaré qu'en mars 2003 il avait téléchargé les résultats d'un concours à partir du répertoire personnel de réseau d'une autre personne et que M. Boyce lui avait montré où trouver ces résultats. Il a déclaré qu'il avait consulté les résultats parce qu'il était trop curieux pour son propre bien. Il savait que la politique ministérielle ne l'autorisait pas à accéder aux lecteurs « Q » d'autres utilisateurs, sans permission. M. Dodds a été escorté à l'extérieur de l'édifice après la réunion avec son superviseur, le 14 mars 2003. Il a été rappelé au travail le mardi suivant (le 18 mars 2003). M. Dodds a été privé de ses privilèges administratifs pendant un semaine et a dû lire les politiques de sécurité du Ministère avant que ses privilèges soient rétablis. Il a eu droit à un avertissement verbal et une réprimande verbale. Il a été interrogé par la police militaire, le 24 juin 2003 (pièce G-14).

[26]   Le lieutenant colonel Schildknecht a déclaré, lors de l'audience, que la principale raison du renvoi en cours de stage de M. Boyce était liée à l'abus de confiance ayant mené à accéder à des comptes à des fins non reliées au travail. Il estimait que le Ministère ne pouvait pas se permettre d'avoir du personnel informatique qui n'était pas digne de confiance.

Arguments

Pour l'employeur

[27]   M. Jaworski a fait valoir que personne ne contestait le fait que M. Boyce était stagiaire. Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802 (T.D.), la Cour fédérale a statué que l'employeur doit démontrer un motif valable relié à l'emploi pour renvoyer un employé en cours de stage. Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), la Cour fédérale a statué qu'une faute de conduite dans un milieu de travail peut se traiter de deux manières : par voie disciplinaire ou par renvoi en cours de stage. Un arbitre peut étudier la preuve pour déterminer si le renvoi en cours de stage constituait une forme de « camouflage ». Un arbitre ne se préoccupe pas d'un renvoi en cours de stage, s'il est démontré de manière satisfaisante que l'employeur a renvoyé l'employé en cours de stage, de bonne foi, parce qu'il n'était pas satisfait à l'égard de l'aptitude de l'employé à occuper le poste.

[28]   M. Jaworski a fait valoir que les actions de M. Boyce touchaient le cour de l'intégrité, de la confiance et de la vérité et que la décision relative au renvoi en cours de stage était clairement fondée sur l'aptitude. M. Boyce s'était introduit dans les comptes informatiques d'autres utilisateurs. Bien que les responsabilités de M. Boyce à titre d'agent du Service de dépannage soient assorties de droits ou privilèges administratifs, il n'était pas autorisé à fouiller où bon lui semblait sur le réseau. Le lieutenant colonel Schildknecht et M. Dodds ont tous deux reconnu que les employés n'étaient pas censés le faire. M. Dodds savait que ce qu'il faisait était mal. L'octroi de vastes droits d'accès à une personne comporte un élément de confiance que la personne utilisera ces droits exclusivement dans le cadre de son travail. La preuve à l'égard de M. Boyce démontre qu'il a accédé au compte de Mme Fortin pour trouver les résultats d'un concours en vue de combler un poste de CS-2. Il a aussi admis avoir accédé aux comptes de trois autres personnes et avoir sauvegardé plusieurs de leurs documents dans un fichier « .pst » protégé par un mot de passe. Même si le mot de passe utilisé par M. Boyce pour protéger cette information était, peut-être, légèrement embarrassant, là n'est pas la question.

[29]   M. Jaworski a affirmé que les courriels envoyés par M. Boyce, sous le titre de « l'opérateur bâtard de l'enfer » (pièce G-11), témoignaient d'un certain mépris à l'égard de l'employeur et de son poste d'agent du Service de dépannage. M. Boyce a également fait preuve d'un manque de jugement en téléchargeant et en conservant ces documents sur son ordinateur.

[30]   M. Jaworski a mentionné que M. Dodds n'avait pas fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Cependant, M. Dodds avait compris que ce qu'il faisait était mal, lorsqu'il a téléchargé les documents relatifs au concours, et il n'a pas récidivé.

[31]   Le lieutenant colonel Schildknecht avait pris sa décision en se fondant sur la documentation fournie par les enquêteurs. Après avoir été assuré que la police militaire détenait une preuve suffisante pour entamer des poursuites criminelles, il a établi que M. Boyce n'avait pas l'aptitude nécessaire pour assumer le poste d'agent subalterne du Service de dépannage. Il s'agit d'un motif valable lié à l'emploi. Il est vrai que M. Boyce n'a pas été reconnu coupable d'abus de confiance, et l'employeur ne remet pas en question le principe de la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire. Cependant, là n'est pas la question, compte tenu du fait que le lieutenant colonel Schildknecht a déterminé qu'en raison de ses actions, M. Boyce n'était pas apte à assumer son poste.

[32]   Selon M. Jaworski, rien ne permettait de conclure que le lieutenant colonel Schildknecht s'était prêté à une supercherie ou à du camouflage et qu'il avait agi de mauvaise foi. Il était habilité à renvoyer l'employé en cours de stage, et le fait que M. Boyce n'était pas apte à assumer son poste constituait un motif valable lié à l'emploi.

[33]   M. Jaworski a également renvoyé aux affaires suivantes : Owens c. le Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33; Archambault c. Agence des douanes et du revenu Canada, 2003 CRTFP 28; Spurrell c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2003 CRTFP 15 et Ross c. le Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 97.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[34]   M. Rochon a déclaré que l'employeur ne s'était pas acquitté de son fardeau de démontrer que le renvoi en cours de stage constituait un motif valable lié à l'emploi. L'employeur a agi de mauvaise foi et a dérogé aux principes fondamentaux de la justice naturelle; c'est pourquoi le renvoi en cours de stage constituait une supercherie. Dans l'affaire Penner (supra), la cour a statué qu'un arbitre pouvait étudier les circonstances de l'affaire pour s'assurer qu'elle est réellement ce qu'elle semble être. Dès qu'il est démontré qu'un employeur a agi de mauvaise foi, un arbitre a la compétence nécessaire. Dans l'affaire Leonarduzzi (supra), la cour a statué que l'employeur doit fournir une preuve quelconque de l'existence d'un motif véritable lié à l'emploi pour justifier le renvoi. Le motif de l'employeur pour renvoyer M. Boyce en cours de stage était fondé sur des faits tronqués et déformés et ne répond pas à la norme de légitimité.

[35]   M. Rochon a renvoyé à la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Matthews (1997), 139 F.T.R. 287. Dans cette décision, la cour a conclu qu'un employé ayant été licencié en vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs avait été licencié pour des motifs disciplinaires. La cour a statué que les politiques établies en matière de licenciement avaient été violées et que ces politiques devaient être appliquées de manière uniforme et non sélective. Dans l'affaire concernant M. Boyce, la preuve démontre que l'employeur a enfreint ses politiques en matière de dotation et de mesures disciplinaires.

[36]   M. Rochon a également invoqué la décision de la Commission des relations du travail du Québec : Blais c. Société des Loteries Vidéo du Québec Inc., [2003] D.C.R.T.Q. No 14. La Commission a déclaré que l'employeur devait avertir l'employé du problème avant de recourir au licenciement. Elle a également retenu la proposition selon laquelle un employé peut utiliser le courriel à des fins personnels. M. Rochon a déclaré que, si l'employeur devait interdire l'utilisation du courriel à des fins personnels, la fonction publique fédérale serait aux prises avec plusieurs affaires disciplinaires.

[37]   M. Rochon a fait valoir que le principe fondamental de la justice naturelle avait été enfreint. En vertu de la politique ministérielle en matière de stage, le Ministère doit fournir une orientation et une aide raisonnables aux stagiaires (pièce G-2). Jusqu'au 14 mars 2003, il n'y avait aucune indication que le rendement de M. Boyce compromettait son emploi. À vrai dire, M. Boyce avait reçu des commentaires positifs de la part de clients relativement à la qualité de son travail. L'employeur a dérogé à ses propres normes disciplinaires (pièce G-3) puisque M. Boyce n'a pas eu droit à la présence d'un représentant syndical et n'a pas pu faire valoir son point de vue. Il n'a pas reçu une copie du rapport d'enquête et n'a pas eu l'occasion de fournir sa version des faits.

[38]   M. Rochon estimait que la lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-5) était biaisée, erronée et tronquée. Les documents que M. Boyce avait en sa possession n'étaient pas destinés à avancer sa carrière. L'employeur n'a pas pu démontrer comment ils auraient pu profiter à sa carrière. M. Boyce a consulté ces documents après la tenue du concours. L'employeur n'a pas pu confirmer que M. Boyce avait supprimé des fichiers, conformément aux allégations, et M. Boyce l'a nié. S'il avait eu l'occasion de s'expliquer, M. Boyce aurait expliqué à l'employeur que les courriels envoyés à sa petite amie étaient des blagues et qu'ils avaient été rédigés entre les appels. M. Boyce a déclaré qu'un haut niveau de stress était associé au poste d'agent du Service de dépannage. L'humour est un bon moyen de composer avec le stress. M. Boyce aurait également expliqué que ses courriels étaient inspirés d'un site Web.

[39]   M. Rochon a fait valoir que les documents en la possession de M. Boyce n'étaient pas désignés « protégés A ou B », ni codés. Si les fichiers avaient été de nature sensible, il aurait fallu prendre les mesures nécessaires pour empêcher les personnes dotées de privilèges administratifs d'y accéder.

[40]   M. Rochon a affirmé que le rapport d'enquête (pièce E-6) n'était rien de plus que du ouï-dire puisqu'il n'incluait pas les documents mentionnés dans le rapport et que l'auteur du rapport n'a pas témoigné. Le rapport est truffé d'inexactitudes. Les rumeurs circulant au sujet de M. Boyce ne devraient pas être retenues contre lui. Par ailleurs, rien ne démontrait l'existence de ces rumeurs avant l'audience. Plusieurs des faits contenus dans le rapport ne devraient pas nuire à sa cause, notamment la présence de documents du site Web de Publiservice, qui sont des documents publics. Le rapport mentionne également l'hésitation de M. Boyce à fournir son mot de passe, alors que celui-ci a déclaré qu'il n'était nullement réticent à le donner. La question du mot de passe est un autre exemple du préjugé à l'égard de M. Boyce. Comme celui-ci a expliqué, l'intention n'était pas d'être grossier.

[41]   M. Rochon a déclaré que le lieutenant colonel Schildknecht a décidé rapidement d'entamer une enquête. Il n'a pas cru nécessaire de rencontrer M. Boyce pour entendre sa version des faits. Les accusations du lieutenant colonel Schildknecht, selon lesquelles M. Boyce était déloyal et veillait à son intérêt personnel, étaient démesurées par rapport au fait que les documents en question n'étaient pas classifiés et se trouvaient sur un réseau partagé. Cela témoigne d'un préjugé à l'endroit de M. Boyce. Il n'a pas attendu l'issue du processus criminel. L'enquête criminelle était toujours en cours lorsque M. Boyce a été renvoyé en cours de stage. La police militaire a pris la déposition de M. Dodds, le 24 juin 2003, quatre jours après la date de la lettre de renvoi. Les accusations criminelles ont ensuite été retirées, et M. Boyce n'a été reconnu coupable d'aucune infraction criminelle. Le lieutenant colonel Schildknecht a déclaré que les concours auraient pu être compromis en raison des actes commis par M. Boyce. Cependant, aucune preuve n'a confirmé cette affirmation.

[42]   M. Rochon a fait valoir que la suspension avec salaire de M. Boyce devrait être considérée comme une mesure disciplinaire en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques. M. Boyce n'a jamais eu le droit de fournir sa version des faits et de répondre au rapport de la police militaire. Il a été traité de manière contraire aux procédures administratives s'appliquant aux stagiaires du Ministère. Plus particulièrement, l'Ordonnance administrative du personnel civil 7.06 (pièce G-3) prévoit l'exigence d'évaluer les facteurs touchant le rendement (paragraphe 20). La politique prévoit également que les employés doivent avoir l'occasion de répondre aux résultats d'une enquête (paragraphe 22). M. Boyce a été privé du droit fondamental de répondre aux accusations déposées contre lui. Le lieutenant colonel Schildknecht a joué le rôle de juge et de jury, et il n'a pas accordé d'importance à la preuve que M. Boyce aurait pu fournir.

[43]   Selon M. Rochon, le processus a été inéquitable. M. Dodds a eu droit à un traitement différent, même si les circonstances étaient semblables.

[44]   M. Rochon a conclu en affirmant que l'employeur n'avait pas procédé de manière équitable pour prendre sa décision de renvoyer M. Boyce en cours de stage. Le processus était biaisé et injuste et le motif du renvoi n'était pas fondé. Le renvoi en cours de stage était donc une supercherie et du camouflage de la part d'un employeur sans cour et épris de vengeance. Si une telle attitude n'est pas contrôlée, d'autres affaires d'abus de confiance viendront miner la crédibilité des fonctionnaires.

[45]   M. Rochon a également renvoyé à l'affaire Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225.

Réponse

[46]   M. Jaworski a fait valoir que, si la carrière de M. Boyce n'avait pas pu profiter des renseignements sur les concours qu'il avait obtenus, c'était seulement parce qu'il avait été pris. Comme l'enquête n'a pas permis d'établir clairement à qui les renseignements avaient été envoyés, le lieutenant colonel Schildknecht a expliqué que les tests avaient été modifiés pour ne pas prendre de chance.

[47]   Selon M. Jaworski, le simple fait qu'un document ne soit pas protégé ou codé ne signifie pas que l'on peut le télécharger ou le copier. M. Jaworski s'est demandé si le poste était aussi stressant que le laissait croire M. Boyce, puisque celui-ci semblait avoir beaucoup de temps libre lui permettant de créer et d'envoyer des courriels. Même s'il avait du temps libre, il ne pouvait pas faire tout ce qu'il voulait.

[48]   M. Jaworksi a précisé que M. Boyce n'avait pas été renvoyé en cours de stage parce qu'il avait envoyé des courriels. Son renvoi était plutôt lié au fait qu'il avait fouillé dans les lecteurs « Q » d'autres employés. Les courriels laissaient transparaître une attitude générale permettant de se questionner sur son aptitude, et ils ont été tenus en compte de manière générale.

[49]   La police militaire avait communiqué avec M. Boyce avant son renvoi en cours de stage, mais M. Boyce, conformément aux conseils de son avocat, avait refusé de leur parler.

Motifs de la décision

[50]    La compétence de la Commission en matière de renvoi en cours de stage est largement délimitée par la loi et les décisions de la Cour fédérale. Par conséquent, les employés renvoyés en cours de stage doivent satisfaire à des critères très rigoureux afin d'obtenir l'annulation d'une décision de l'employeur. Il s'ensuit donc que les critères auxquels l'employeur doit satisfaire pour justifier le renvoi sont relativement moins élevés.

[51]   Pour déterminer la compétence de la Commission, un examen de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) s'impose. Voici les dispositions pertinentes de la LEFP :

28(1)  À partir de la date de sa nomination à un poste pourvu par nomination externe, le fonctionnaire est considéré comme stagiaire durant la période fixée par règlement par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie.

....

(2)  À tout moment au cours du stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.

[52]   Le paragraphe 92(3) de la LRTFP dispose quant à lui que rien dans le paragraphe 92(1) « n'a pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ».

[53]   Il ne fait aucune doute que M. Boyce était en période de stage et qu'il a reçu la lettre de renvoi alors qu'il était en cours de stage.

[54]   Dans l'affaire Leonarduzzi (supra), la Cour fédérale a statué que l'employeur n'était pas tenu d'établir un motif valable, mais seulement d'établir, avec une preuve quelconque, que le renvoi était lié à l'emploi et non à un autre motif. Dans l'arrêt Penner (supra), la Cour d'appel fédérale a retenu le critère que la Commission avait établi dans Smith (dossier de la Commission 166-2-3017) :

En effet, une fois que l'employeur a présenté à l'arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l'audition sur le fond dans l'affaire de congédiement ne peut alors aboutir qu'à une impasse soudaine....

[55]   Une fois que l'employeur s'est acquitté de sa charge de démontrer que le motif du renvoi était lié à l'emploi, la charge de la preuve retombe sur le fonctionnaire s'estimant lésé, qui doit démontrer que les actions de l'employeur étaient une supercherie ou du camouflage et n'étaient donc pas conformes aux dispositions du paragraphe 28(2) de la LEFP, comme dans Leonarduzzi (supra) et Penner (supra) .

Le motif était-il lié à l'emploi?

[56]   Lors de l'audience, l'avocat de l'employeur a invoqué essentiellement l'utilisation par M. Boyce de ses privilèges administratifs pour accéder aux fichiers d'autres employés et les copier sur son lecteur de réseau comme motif lié à l'emploi justifiant le renvoi en cours de stage. L'employeur accordait une importance secondaire aux courriels personnels et à l'utilisation de ce que le lieutenant colonel Schildknecht estimait être un mot de passe grossier. Pour justifier un renvoi en cours de stage, l'employeur doit seulement démontrer l'existence d'un motif lié à l'emploi sous-tendant la décision; il n'est aucunement tenu de prouver que le motif est fondé. L'accès à des documents d'autres utilisateurs, sans rapport avec le travail, constitue sans contredit une inconduite. Il n'est pas pertinent de savoir si M. Boyce savait ou non qu'il agissait mal à ce moment. Il aurait dû savoir qu'il n'était pas raisonnable de croire que l'accès aux comptes d'autres utilisateurs à des fins autres que professionnelles serait toléré par le milieu de travail. Par conséquent, j'en conclus que l'employeur avait un motif lié à l'emploi de renvoi en cours de stage.

Le renvoi constituait-il une supercherie ou de la mauvaise foi?

[57]   Il incombe donc maintenant au fonctionnaire s'estimant lésé de démontrer que le renvoi en cours de stage est une supercherie ou repose sur de la mauvaise foi. Le fonctionnaire s'estimant lésé allègue que l'employeur ne l'a pas traité équitablement dans le cadre de l'enquête et qu'il n'a pas eu droit au même traitement qu'un autre stagiaire dans la même situation.

[58]   Dans l'affaire McMorrow (CRTFP dossier no 166-2-23967 (1993) (QL)), l'arbitre a fait la déclaration suivante :

.. À mon avis, si on peut démontrer que l'employeur a tiré une conclusion arbitraire sur les faits lorsqu'il a décidé effectivement de renvoyer la personne en cours de stage, alors cette décision est nulle. Dans ces circonstances, si la direction a mis fin à l'emploi du fonctionnaire à la suite de présumés fautes de conduite, celui-ci a droit au recours prévu par l'alinéa 92(1)b) de la Loi.

Il est banal d'affirmer que pour établir s'il y a eu ou non bonne foi il faut examiner toutes les circonstances entourant l'affaire. Les faits qui peuvent justifier une conclusion de mauvaise foi peuvent se présenter de multiples façons . en tenant pour acquis, bien sûr, que l'on doit toujours, en partant, présumer de la bonne foi de l'employeur.

[59]    L'employeur a démontré qu'il avait des raisons légitimes de s'inquiéter du comportement de M. Boyce au travail. À mon avis, sauf si ces motifs pouvaient être qualifiés de triviaux, on ne pouvait prétendre que la décision de l'employeur constituait une supercherie ou du camouflage. Les motifs sur lesquels il s'est fondé en l'espèce ne sont pas triviaux, car il avait de sérieuses raisons de douter de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé à assumer ses fonctions.

[60]   Dans le cadre de l'examen des procédures administratives ministérielles ayant mené à la décision de renvoyer un employé en cours de stage, il est important de mentionner que le rôle de l'arbitre n'est pas d'évaluer la pertinence de ces procédures. L'arbitre doit plutôt déterminer si l'employeur « a fait fi des notions d'équité les plus élémentaires en évaluant la conduite du fonctionnaire . à savoir s'il a agi de bonne foi » : McMorrow (supra).

[61]   Dans l'affaire McMorrow, l'arbitre a conclu que le superviseur avait tiré la conclusion de renvoyer l'employé en cours de stage avant même l'issue de l'enquête et sans que le fonctionnaire s'estimant lésé puisse s'expliquer. En l'espèce, le lieutenant colonel Schildknecht a examiné les résultats de l'enquête administrative et les documents retrouvés sur l'ordinateur de M. Boyce, avant de prendre sa décision. M. Boyce a présenté son point de vue sur les allégations de base, au début de l'enquête, lorsqu'il a rencontré M. Deschamps et l'adjudant Legault. J'estime que le lieutenant colonel Schildknecht n'a aucunement « fait fi des notions d'équité les plus élémentaires » dans le cadre de l'enquête et de la prise de décision relativement au renvoi en cours de stage de M. Boyce, et, par conséquent, je crois qu'il n'a pas agi de mauvaise foi.

[62]   Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué Matthews (supra) dans son argument. Dans cette affaire, l'arbitre avait statué que, dans le cas d'une mise en disponibilité reliée à un ordre inverse du mérite, le décideur avait déterminé au préalable que le fonctionnaire s'estimant lésé était le candidat le moins valable et que la Directive sur le réaménagement des effectifs était utilisée dans le but de se débarrasser de lui. Rien ne démontre l'existence d'une telle supercherie en l'espèce. Comme mentionné précédemment, le renvoi en cours de stage de M. Boyce n'avait pas été décidé avant la tenue de l'enquête.

[63]   Un autre aspect de la « mauvaise foi » est le traitement discriminatoire ou différent d'employés dans les mêmes situations. M. Dodds était également un stagiaire. M. Rochon a fait valoir que le fait que M. Dodds n'avait pas été renvoyé en cours de stage témoignait d'un traitement discriminatoire. La preuve démontre que M. Dodds a été traité différemment de M. Boyce. Ses privilèges de réseau ont été suspendus pendant une courte période et il a été appelé à revoir les politiques ministérielles en matière de sécurité. Bien que la preuve ne soit pas claire sur ce point, il aurait aussi fait l'objet d'une mesure disciplinaire sous forme de réprimande verbale (M. Jaworski a déclaré qu'il n'avait pas fait l'objet d'une mesure disciplinaire). De toute manière, la preuve fournie par M. Dodds démontre qu'il avait en sa possession un seul ensemble de résultats d'examen. Il a aussi reconnu qu'il avait fait preuve d'un manque de jugement en copiant des résultats à partir du lecteur d'une autre personne. M. Boyce n'a pas reconnu qu'il était mal de fouiller dans les fichiers d'autres utilisateurs. Comme les situations de MM. Dodds et Boyce diffèrent considérablement, il n'était pas discriminatoire de renvoyer M. Boyce en cours de stage et de maintenir l'emploi de M. Dodds.

[64]   Les préoccupations soulevées par M. Boyce à l'égard de l'équité du processus utilisé pour le renvoyer en cours de stage, notamment les allégations de partialité du décideur, ne relèvent pas de mes compétences, sauf en ce qui a trait à la détermination de la mauvaise foi (voir le paragraphe 60). Cette question a récemment été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans Fortin c. Canada (P.G.), [2003] A.C.F. 1490. La cour a conclu que la Commission de la fonction publique devait se prononcer sur l'équité liée à l'ordre inverse du mérite. Dans son texte, Employment Law in the Federal Public Service, (Canada Law Book, feuille mobile), Renée Caron explique que, même s'il n'existe pas de recours administratif pour l'employé renvoyé en cours de stage, l'employé a droit à des protections de procédure, comme la présentation de motifs et la possibilité raisonnable de répondre. Cependant, la Cour fédérale, et non la présente Commission, devrait être saisie de ces questions.

[65]   Lors de l'audience, M. Rochon a aussi fait valoir que M. Boyce n'avait pas eu droit à une représentation syndicale. Aucun grief n'a été déposé à l'égard d'une infraction à l'article de la convention collective sur la représentation syndicale. Par conséquent, je ne possède pas la compétence nécessaire pour statuer sur cette allégation. Cependant, comme rien ne démontrait que la réunion portait sur des questions disciplinaires, cet article ne se serait pas appliqué de toute façon.

[66]   En conclusion, je n'ai pas compétence pour trancher sur le fond de ce grief, et donc, je le rejette.

Ian R. Mackenzie,
Commissaire

OTTAWA, le 17 mai 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.