Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension (5 jours) - Harcèlement sexuel - Excuses du fonctionnaire s'estimant lésé - Circonstances atténuantes prises en compte par l'employeur - Sanction non injustifiée - le fonctionnaire s'estimant lésé avait été suspendu pour cinq jours à la suite d'un incident qui avait amené une de ses collègues (la plaignante) à porter plainte contre lui pour harcèlement sexuel - l'intéressé et la plaignante travaillaient tous deux à l'équipe de la DSD, une unité de la Direction générale de l'informatique de l'employeur - le fonctionnaire s'estimant lésé était le superviseur de la plaignante - après un déjeuner où tous les membres de la DSD s'étaient réunis pour renforcer l'esprit d'équipe, le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante étaient restés au restaurant, où ils avaient continué de prendre des consommations alcoolisées; à un moment donné, le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait des avances sexuelles à la plaignante, notamment en lui mettant la main sur la jambe et en tentant de déboutonner son chemisier - il a allégué que la sanction était trop lourde, compte tenu de son dossier sans tache jusque là et de ses longs états de service - l'arbitre s'est dit d'avis que le harcèlement sexuel était tout simplement inacceptable, et que l'employeur avait dûment tenu compte des circonstances atténuantes applicables dans le cas du fonctionnaire s'estimant lésé (ses longs états de service, son dossier sans tache et ses excuses) - la sanction n'était pas injustifiée dans les circonstances. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-01-24
  • Dossier:  166-34-33026
  • Référence:  2005 CRTFP 7

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

KEVIN ALBERT

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

Devant : Joseph W. Potter, vice-président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur : Robert Holmes, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 14 janvier 2005.


[1]    Le superviseur qui harcèle sexuellement une subordonnée pendant les heures de travail est extrêmement susceptible d'écoper d'une sanction disciplinaire. Kevin Albert l'a constaté lorsqu'on lui a imposé une suspension de cinq jours le 20 février 2002. Le 5 avril 2002, il a présenté un grief réclamant qu'on substitue une lettre de réprimande à cette suspension.

[2]    Au début de l'audience, l'avocat de l'employeur a demandé que la plaignante ne soit pas nommée dans la présente décision. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé, M. Hill, n'a pas fait objection à la demande, et c'est pourquoi la plaignante sera identifiée comme étant « Mme X ».

[3]    Avec le consentement du fonctionnaire s'estimant lésé, la Politique de l'employeur sur le harcèlement en milieu de travail a été déposée (pièce E-2), de même que la disposition sur le harcèlement sexuel de la convention collective (pièce E-3).

[4]    Les faits ne sont pas contestés; les parties ont donc décidé d'en déposer un Exposé conjoint (pièce E-1), qui se lit comme il suit :

[Traduction]

Exposé conjoint des faits dans le grief Albert (166-34-33026)

[1] En mars 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé (Kevin Albert) était agent financier administratif (AS-02 p. int.) dans l'équipe DSD, une unité de la Direction générale de l'informatique de l'organisme devenu depuis l'Agence du revenu du Canada.

[2] En mars 2000, Mme X (la plaignante) était adjointe administrative (nommée pour une période déterminée) dans l'équipe DSD. Kevin Albert était son superviseur immédiat.

[3] Avant ce mois-là, il y avait eu des problèmes de relations professionnelles entre différents membres de l'équipe DSD, dont le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante. La plaignante avait l'impression que ses tentatives pour faire savoir ce qui lui déplaisait à cet égard avaient été accueillies avec hostilité ou indifférence. Au cours de cette période, elle avait eu des problèmes de santé — dans certains cas liés au stress —, et elle avait récemment dû prendre congé pour cela. Le fonctionnaire s'estimant lésé le savait.

[4] En mars 2000, l'équipe DSD avait déjeuné ensemble dans un bar-restaurant local. C'était une initiative de renforcement de l'esprit d'équipe. Le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante étaient présents.

[5] Pendant le déjeuner, certains des membres de l'équipe, notamment le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante, ont consommé de l'alcool. À la fin du déjeuner, la plaignante a proposé au fonctionnaire s'estimant lésé qu'ils restent au restaurant pour parler de la situation de l'équipe. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est dit d'accord; il est resté avec elle au restaurant après le départ de leurs collègues.

[6] M. Albert a déclaré à la plaignante qu'il espérait que cette rencontre d'après-déjeuner allait déboucher sur une meilleure compréhension et une relation plus amicale entre eux ainsi qu'entre tous les autres membres de l'équipe de la DSD.

[7] Pendant cette rencontre, le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante ont pris plusieurs autres consommations.

[8] Le fonctionnaire s'estimant lésé a dit à la plaignante avoir l'impression qu'ils se sentaient attirés sexuellement et qu'ils devraient agir en conséquence. La plaignante lui a rappelé qu'ils étaient tous les deux mariés.

[9] Le fonctionnaire s'estimant lésé a proposé à la plaignante d'aller avec lui dans les toilettes du restaurant pour avoir des relations sexuelles. La plaignante a refusé cette proposition.

[10] Le fonctionnaire s'estimant lésé a continué à parler de ce qu'il considérait comme leur attirance sexuelle; il a mis sa main sur la jambe de la plaignante et tenté de déboutonner son chemisier. La plaignante a continué de rejeter ses avances.

[11] La rencontre a pris fin quand le mari de la plaignante est arrivé au restaurant, comme prévu, pour la ramener chez eux.

[12] Le lendemain, le fonctionnaire s'estimant lésé est allé voir la plaignante pour lui dire qu'il reconnaissait que sa conduite de la veille avait été inacceptable, en déclarant qu'il avait agi sous l'effet de l'alcool et que ce n'était pas dans ses habitudes. Il considérait ces propos comme des excuses et pensait avoir réglé le problème.

[13] Bien que la plaignante ait commencé par informer la direction qu'elle pourrait passer outre à l'incident et ne souhaitait pas poursuivre la question, le 29 janvier 2001, elle a présenté à l'employeur une plainte écrite officielle déplorant le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé. Celui-ci a peu après été informé par l'employeur qu'il y aurait une enquête sur la plainte de la plaignante.

[14] L'employeur a retenu les services d'un spécialiste indépendant pour enquêter sur la plainte. L'enquête a commencé en juin 2001; l'enquêteur a présenté un rapport intérimaire en août 2001 et déposé son rapport final le 3 octobre 2001.

[15] Au cours de l'enquête, l'enquêteur a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé et la plaignante. Le fonctionnaire s'estimant lésé a parfaitement coopéré avec l'enquêteur. Il lui a dit qu'il reconnaissait entièrement ce qui s'était passé au déjeuner de mars 2000, d'après la plaignante, dont les faits sont détaillés dans le présent exposé conjoint.

[16] Après avoir reçu le rapport de l'enquêteur, l'employeur a informé le fonctionnaire s'estimant lésé qu'il avait conclu que les allégations de la plaignante au sujet du déjeuner de mars 2000 étaient fondées et qu'il allait décider quelle serait la mesure disciplinaire appropriée.

[17] Le fonctionnaire s'estimant lésé a été convoqué à une réunion disciplinaire le 20 février 2002; il y a assisté en compagnie de son représentant syndical, en présence de représentants de la direction. À la suite de cette réunion, il a été suspendu sans traitement pour cinq jours, du 21 au 27 février 2002.

[18] À la connaissance de l'employeur, hormis l'incident susdécrit, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais été impliqué dans un autre incident de harcèlement sexuel en milieu de travail. Aucune autre mesure disciplinaire n'était inscrite à son dossier en 14 années de service.

[19] Le fonctionnaire s'estimant lésé admet que son comportement au cours du déjeuner de l'équipe DSD en mars 2000 était inacceptable.

[5]    La lettre de suspension était signée par Catherine St. George, qui a témoigné avoir tenu compte du milieu de travail, de la durée du service de M. Albert et de son dossier de même que de la gravité de l'incident, du fait que l'intéressé avait présenté des excuses et des répercussions de l'incident pour la plaignante, afin de décider quelle sanction disciplinaire imposer. Elle savait qu'on avait imposé des suspensions plus longues dans des affaires analogues, mais estimait qu'une suspension minimale était plus justifiée dans ce cas-ci en raison des circonstances atténuantes.

[6]    M. Albert a témoigné que l'incident était attribuable à l'alcool qu'il avait bu et qu'il n'avait pas agi normalement. Il est au service de son employeur actuel depuis 14 ans et n'avait jamais écopé d'une mesure disciplinaire jusque-là.

[7]    Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé lui a demandé ce que l'incident lui avait appris, et M. Albert a répondu [traduction] : « De ne jamais boire au travail. Comme superviseur, je ne laisserai plus jamais cela m'arriver, à cause des conséquences. »

Argument pour l'employeur

[8]    En l'espèce, il faut déterminer si la suspension de cinq jours était raisonnable compte tenu des faits. L'employeur a l'obligation morale et légale de combattre le harcèlement sexuel, et c'est ce qu'il a fait en l'occurrence.

[9]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait des avances sexuelles très claires à une fonctionnaire qu'il supervisait; il l'a touchée de façon inacceptable. La plaignante était vulnérable en raison de ses problèmes de santé et du fait qu'elle avait été nommée pour une période déterminée. Le fonctionnaire s'estimant lésé en était conscient.

[10]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas reconnu la gravité de ses actes. Même maintenant, il déclare que la leçon qu'il a tirée de l'incident, c'est de ne pas boire au travail.

[11]    L'employeur était parfaitement conscient des circonstances atténuantes lorsqu'il a décidé quelle sanction imposer. Il ne faudrait pas qu'on en tienne compte encore pour la mitiger.

[12]    L'avocat de l'employeur me renvoie aux décisions suivantes : Young et Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada) , dossier de la CRTFP no 166-2-28274 (1999) (QL), Lavoie et Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) , dossier de la CRTFP no 166-2-18953 (1989) (QL), Teeluck et Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada) , dossier de la CRTFP no 166-2-27956 (1998) (QL).

Argument pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[13]    Dans l'Exposé conjoint des faits, au point 13, la plaignante a dit qu'elle ne voulait pas poursuivre la question après que M. Albert lui eut fait des excuses. C'était probablement attribuable au fait que M. Albert lui a fait des excuses le lendemain même de l'incident.

[14]    Brown et Beatty ont écrit sur les circonstances atténuantes dans Canadian Labour Arbitration (Third Edition), 7:4400 :

[Traduction]

  1. Le bon dossier du fonctionnaire s'estimant lésé.

  2. De longs états de service.

  3. Le fait qu'il s'agissait d'un incident isolé.

  4. La provocation.

  5. L'action reprochée a été commise sous l'impulsion du moment et de vives émotions.

  6. La sanction a causé des difficultés financières au fonctionnaire s'estimant lésé.

  7. Des indications que les règles de l'organisation n'ont pas été appliquées uniformément, ce qui constitue une forme de discrimination.

  8. Des circonstances démontrant que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas d'intention coupable.

  9. La gravité de l'incident.

[15]    Le fonctionnaire s'estimant lésé était au service de l'employeur depuis longtemps, son dossier était vierge, c'est un incident isolé dans lequel il a agi sous l'impulsion du moment et sous l'influence de l'alcool; enfin, il a promptement réagi. Toutes ces circonstances devraient mitiger la sanction qui lui a été imposée.

[16]    L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé me renvoie aux décisions suivantes : Bélanger (1992), dossiers de la CRTFP nos 166-2-21268 et 166-2-21269; Amalgamated Association of Street, Electric Railway and Motor Coach Employees of America in Re Sandwich, Windsor and Amherstburg Railway Company (1951), 2 L.A.C. 684.

Motifs de la décision

[17]    Les parties ont décidé de présenter un Exposé conjoint des faits puisque les événements ne sont pas contestés. En me fondant sur ces faits, la décision que je dois rendre consiste à déterminer si la décision de l'employeur d'imposer une suspension de cinq jours était justifiée.

[18]    La politique de l'employeur contre le harcèlement en milieu de travail (pièce E-2) était connue du fonctionnaire s'estimant lésé. Elle stipule ce qui suit, à la page 2 :

[Traduction]

Les superviseurs/gestionnaires doivent :

faire en sorte qu'il n'y ait pas de harcèlement en milieu de travail et promouvoir la tolérance zéro du harcèlement.

[19]    Dans cette politique, le harcèlement sexuel est défini en ces termes :

[Traduction]

Harcèlement sexuel — comportement, propos, geste ou contact de nature sexuelle, aussi bien isolés que dans une série d'incidents :

  • dont on pourrait raisonnablement s'attendre qu'ils soient offensants ou humiliants pour tout(e) employé(e);

  • que l'employé(e) pourrait raisonnablement considérer comme imposant une condition de nature sexuelle sur son emploi ou sur une possibilité de formation ou d'avancement.

[20]    M. Albert était le superviseur de « Mme X » et tenu à ce titre de promouvoir la tolérance zéro du harcèlement. Il ne peut y avoir aucun doute que ses actions décrites aux paragraphes 8, 9 et 10 de l'Exposé conjoint des faits peuvent être considérées comme du harcèlement sexuel.

[21]    M. Hill a fait valoir pour lui qu'il faudrait tenir compte de plusieurs circonstances atténuantes. Je suis d'accord, tout comme l'employeur : Mme St. George a déclaré que la jurisprudence dont elle avait pris connaissance considérait une sanction plus lourde qu'une suspension de cinq jours comme justifiée, mais qu'elle a tenu compte des circonstances atténuantes mêmes que M. Hill a citées. En définitive, elle a conclu qu'une suspension de cinq jours était justifiée compte tenu de toutes les circonstances.

[22]    Il est vrai qu'on devrait tenir compte des circonstances atténuantes, mais comme on m'a démontré que l'employeur l'a fait, il ne serait pas correct que j'en tienne compte de nouveau pour réduire encore ce que je considère comme une sanction justifiée dans ces conditions.

[23]    Toutes les sanctions disciplinaires devraient être conçues pour être correctives. Qu'est-ce que M. Albert a appris de cet incident? Il a déclaré avoir appris qu'il ne devrait pas boire d'alcool pendant ses heures de travail. Il est certainement bon de le savoir, mais le fait est que M. Albert n'a pas été puni pour avoir bu au travail. On aurait espéré qu'il ait appris que le harcèlement sexuel est inacceptable, un point c'est tout. Il a mal agi.

[24]    On m'a dit que M. Albert n'a pas l'habitude d'agir de la sorte, et je n'ai aucune raison d'en douter. Chose certaine, comme il n'a pas récidivé, il a eu sa leçon. Toutefois, les faits étant ce qu'ils sont, je suis convaincu que la décision de l'employeur de lui imposer une suspension de cinq jours était justifiée et je ne vois aucune raison de mitiger cette sanction.

[25]    Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

Joseph W. Potter,
vice-président

Ottawa, le 24 janvier 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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