Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Discipline - Suspension de 16 jours - Harcèlement sexuel - Affichage de la politique sur le harcèlement seulement vers la fin de l'été - Une personne raisonnable devrait s'abstenir de tout harcèlement même si la politique n'a pas été promulguée - Intention - Problème médical - Sanction trop sévère - pendant l'été, l'employeur a reçu une plainte relative au comportement du fonctionnaire s'estimant lésé à l'endroit de deux animatrices-guides occupant des emplois d'été - une enquête administrative avait été menée, et le fonctionnaire s'estimant lésé avait été informé des allégations contre lui - il avait été accusé d'être allé prendre une bouteille de boisson gazeuse entre les jambes d'une collègue qui était assise, sans s'excuser - il avait aussi été accusé d'avoir prétendu laisser un employé sur une île quand celui ci lui avait demandé de l'attendre avec le bateau - en revenant chercher cet employé, le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait dit de sauter à bord sans avoir amarré le bateau - il avait aussi été accusé d'avoir mis sa main sur le genou d'une animatrice-guide pour reprendre son équilibre à bord du bateau, sans s'excuser ensuite - il avait été accusé d'avoir fait un geste mimant la masturbation en réponse à une employée qui lui disait simplement qu'elle avait des problèmes avec sa radio - cette employée avait eu du mal à se rappeler l'incident, qu'elle avait considéré comme une plaisanterie - le fonctionnaire s'estimant lésé avait été accusé d'avoir regardé plusieurs de ses collègues du sexe féminin avec insistance, en fixant particulièrement leurs seins tout en se grattant les organes génitaux ou en mettant sa main dessus - certaines de ses collègues prenaient place à l'avant du bateau pour éviter d'être dévisagées - le fonctionnaire s'estimant lésé avait été accusé d'avoir dit à une collègue qu'elle avait de jolies jambes et, quand il avait vu qu'elle avait des égratignures sur les jambes, de lui avoir dit qu'il ne lui ferait pas mal - il avait été accusé d'avoir tapé sur les fesses d'une collègue - le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il ne se rappelait pas ces événements, mais que, si les intéressées se sentaient offensées, il était prêt à leur faire des excuses - il avait aussi dit qu'il avait une irritation à l'aine, en montrant à l'employeur les marques rouges qu'il avait sur la cuisse - il a présenté en preuve un certificat médical confirmant sa maladie de peau - la politique sur le harcèlement n'a été affichée qu'en août - l'employeur aurait dû mieux faire connaître sa politique - une personne raisonnable devrait s'abstenir de tout acte d'intimidation ou de harcèlement, même si la politique sur le harcèlement n'a pas été promulguée - la preuve la plus convaincante de harcèlement et d'intimidation était le témoignage des personnes que le fonctionnaire s'estimant lésé avait regardées avec insistance - les remarques du fonctionnaire s'estimant lésé sur les égratignures étaient aussi une preuve de harcèlement ou d'intimidation - dans les autres cas, il n'y a avait pas eu de harcèlement - les actes ou les remarques du fonctionnaire s'estimant lésé n'étaient pas intentionnels, les employées en cause ne se sentaient ni harcelées, ni intimidées, ou ne l'avaient pas informé qu'elles se sentaient offensées par sa conduite - en ce qui concerne le problème de santé de l'intéressé, il aurait dû être plus conscient de l'impression que se gratter donnait à de jeunes employées - l'arbitre a jugé, dans les circonstances, que la sanction était trop sévère et l'a ramenée à quatre jours. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-02-10
  • Dossier:  166-33-33268
  • Référence:  2005 CRTFP 17

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

MARTIN CYR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE PARCS CANADA

employeur



Devant :   Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Daniel Jouis, avocat

Pour l'employeur :  Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Sept-Îles (Québec)
du 5 au 7 octobre 2004.


[1]    Martin Cyr est à l'emploi de Parcs Canada depuis 1983. Au cours de l'été 2003, il s'est vu imposer trois sanctions disciplinaires.

[2]    Le présent dossier porte sur des propos et gestes posés par le fonctionnaire s'estimant lésé au cours de l'été 2003, qui avait un caractère offusquant envers les autres employés, au point de constater, selon l'employeur, du harcèlement sexuel. Le 3 septembre 2003, M. Cyr se voit imposer une suspension sans rémunération pour une période de 16 jours ouvrables, soit 160 heures.

[3]    Dès le 4 septembre 2003, M. Cyr dépose un grief contestant cette sanction. Le 27 février 2004, le grief est renvoyé à l'arbitrage et l'audience a lieu en octobre 2004. La preuve faite à l'audience porte aussi sur deux autres dossiers qui feront l'objet de décisions distinctes.

Les faits

[4]    M. Cyr travaille à Havre-Saint-Pierre où Parcs Canada exploite le site touristique des Îles Mingan. Des embarcations de Parcs Canada servent à transporter des employés sur les îles pour y faire de l'animation et agir comme guide touristique.

[5]    Plusieurs bateaux servent à transporter les animateurs-guides sur les îles. Dans le présent cas, une équipe de cinq à six personnes ont voyagé deux à trois fois par semaine sur le bateau auquel était affecté M. Cyr. La randonnée en mer prend environ 15 à 20 minutes. À bord du bateau, il y a un capitaine assis au poste de pilotage et M. Cyr agit comme préposé à l'entretien et à la sécurité. Il doit voir à l'entretien et à la propreté des quais et des salles de toilettes ainsi qu'à la sécurité à bord du bateau (démarrage et disposition du matériel transporté par les guides).

[6]    L'équipe d'animation-guide est composée en parti de jeunes personnes travaillant l'été dans le cadre du programme Jeunesse Canada au travail. Ces personnes viennent principalement de l'extérieur de la région, bien que des jeunes résidents de Havre-Saint-Pierre sont également embauchés. Ces guides, dans le cas qui nous concerne, sont majoritairement des jeunes filles âgées entre 18 et 25 ans et aussi une coordinatrice un peu plus âgée.

[7]    Deux jeunes employées guides, qui résidaient, pour l'été, chez une employée de Parcs Canada, domiciliée à Havre-Saint-Pierre, discutent entre elles, vers la fin du mois de juillet 2003. Leurs conversations portent sur le fait qu'elles se sentent mal à l'aise de voyager sur le bateau où travaille M. Cyr.

[8]    L'employée de Parcs Canada fait rapport de la teneur de cette convention à l'administration. Marie Lachance questionne quelques animateurs-guides et constate que ces employées ont certains reproches à formuler sur la conduite de M. Cyr. Devant ces faits, Pierre Kavanagh, directeur des services techniques, informe le directeur du parc des Îles Mingan, Stéphane Marchand, de la situation.

[9]    M. Marchand confie l'enquête administrative à deux employés, soit Michèle Boucher et Marie Lachance. Dès le 31 juillet 2003, le directeur informe M. Cyr que l'administration procède à une enquête concernant des faits et des gestes inappropriés dont il serait responsable (pièce E-9).

[10]    Le 15 août 2003, M. Marchand informe M. Cyr qu'une rencontre aura lieu le 21 août 2003 (pièce E-10) afin que ce dernier puisse fournir une explication sur les faits et les gestes qui lui sont reprochés. Une liste descriptive des gestes reprochés est contenue dans la lettre, dont voici la teneur (les noms ont été supprimés dans la copie déposée à l'audience aux fins de confidentialité. J'y ai substitué des lettres de A à F aux fins de référence) :

Monsieur Cyr,

Tel que mentionné précédemment, voici une description des faits et gestes qui vous sont potentiellement reprochés. Cette approche facilitera votre préparation pour notre réunion du 21 août 2003.

Description des faits et gestes potentiellement reprochés :

  • Au début du mois de juillet 2003, vous auriez pris une bouteille de « Pepsi » entre les jambes de « A ». Lors de cet événement, votre tête et vos mains auraient été entre ses deux jambes à bord du bateau « Rorqual Bleu ». Ce geste se serait reproduit à plus d'une reprise.

  • Au début juillet 2003 (un dimanche), « B » vous aurait demandé d'attendre quelques minutes (à l'Île Niapiskau) afin qu'il termine un échange avec une collègue de travail. Vous auriez décollé du quai en faisant mine de le laisser sur l'Île. En revenant, vous lui auriez demandé de sauter dans le bateau sans attacher l'embarcation. Par la suite vous avez affirmé que vous deviez aller vous coucher à l'Île Quarry.

  • Au début juillet 2003 (un mercredi), vous auriez mis votre main sur le genou de « C » sans vous excuser.

  • Lors de la semaine du 14 juillet dernier, « D » vous aurait fait un geste de la main (de haut en bas) pour vous expliquer qu'elle avait un problème avec sa radio. Vous auriez refait ce même geste en simulant une masturbation et vous auriez dit : « Voyons à matin ... ».

  • À bord du bateau « Rorqual Bleu », vous auriez regardé avec insistance la poitrine de certaines femmes en vous grattant et/ou mettant la main sur vos organes génitaux. De plus, « E » affirme que vous auriez fait certains commentaires à la fin du mois de juin 2003. Vous lui auriez dit qu'elle avait de belles jambes et, en constatant qu'elle avait des égratignures sur les jambes, vous lui avez demandé « Qui t'a fait ça ? ». Vous auriez continué en disant « En tout cas moi je ne te ferais pas de mal ».

  • « F » affirme que vous la regardez souvent de la tête aux pieds et avec insistance.

  • Alors que « G » passait de l'arrière du bateau à l'avant, vous lui auriez donné une tape sur les fesses. Elle vous aurait immédiatement répondu : « Lâche-moi les fesses ». « G » affirme aussi que vous vous grattez souvent les organes génitaux.

[11]    Lors de la rencontre avec le directeur, M. Cyr dit ne pas se rappeler de ces événements. Il convient que si des employées se sont senties offensées, il était prêt à s'excuser. Le 3 septembre 2003, M. Marchand confirme à M. Cyr qu'il lui impose une sanction de 16 jours sans rémunération pour ces événements (pièce E-11).

[12]    Les personnes concernées ont témoigné lors de l'audience. L'employée « A » confirme l'incident relatif à la bouteille de boisson gazeuse que M. Cyr est allé chercher sous le banc où elle était assise. À l'observation des photocopies déposées (pièces E-2 et E-3), on constate qu'il s'agit d'un banc surélevé, qui est situé à gauche de la cabine. Pour y accéder, on doit monter sur une marche et ensuite il y a un genre de rangement sous le siège. Généralement, M. Cyr y range des outils, de l'équipement et ses effets personnels (boissons gazeuses, dîner, etc.).

[13]    Sans prévenir ou même s'excuser, M. Cyr est allé chercher sa bouteille de boisson gazeuse. Il était très penché puisque l'employée a vu la tête de M. Cyr près de ses jambes. Elle dit s'être sentie mal à l'aise. Cependant, par la suite, lors des autres traversées, elle continue de s'asseoir au même endroit. Sur la question de la fréquence, le témoin « A » ne relate aucun incident où M. Cyr se serait approché aussi près d'elle pour aller chercher des choses sous le banc. L'employée offusquée et mal à l'aise dit que M. Cyr ne se serait pas excusé.

[14]    L'employée « C » décrit un incident au cours duquel M. Cyr, en passant dans l'allée entre le siège du capitaine et le banc, se serait appuyé sur son genou. Elle se dit frustrée du fait que M. Cyr ne se soit pas excusé.

[15]    L'employée « D » décrit le geste de la main qu'aurait fait M. Cyr alors qu'elle secouait son appareil radio en entrant sur le bateau. Elle dit avoir de la difficulté à se rappeler de cet incident. Elle connaît M. Cyr depuis plusieurs années et elle n'a rien vu d'agressif lors de cet événement. Elle considère qu'il s'agit d'une blague entre compagnons de travail.

[16]    L'employée « E » dit s'être sentie mal à l'aise lorsque M. Cyr la regardait. Elle se sentait examinée de la tête aux pieds et trouvait insistant le regard qu'il posait sur sa poitrine. L'employée confirme qu'elle-même, et au moins une autre employée, préféraient se rendre à l'avant du bateau lors de la traversée pour ne pas être observées par M. Cyr. De plus, elle fait remarquer que M. Cyr a l'habitude de se gratter au niveau de ses organes génitaux.

[17]    L'employée « E » confirme l'incident où M. Cyr lui a fait une observation sur le fait qu'elle avait des égratignures sur les jambes. Il lui a fait une remarque déplacée, signifiant que lui, il ne lui aurait pas fait mal.

[18]    L'employée « F » rend un témoignage identique à l'employée « E ». Elle se sent mal à l'aise d'être regardée avec insistance par M. Cyr.

[19]    L'employée « G » confirme l'incident où M. Cyr aurait tapé sur la veste de sauvetage qu'elle portait et ce, à la hauteur des fesses. Elle dit avoir vu un mouvement du bras et s'être sentie frappée sur le bas de sa veste de sauvetage. Lorsqu'elle a raconté ces faits à l'employeur, en août 2003, elle ne savait pas, comme d'autres employées d'ailleurs, si cette entrevue était dans le cadre d'une plainte déposée contre M. Cyr.

[20]    L'employé « B » confirme l'incident de juillet 2003, alors que M. Cyr lui demande de se dépêcher pour monter dans le bateau. Le bateau s'est éloigné du quai puis est revenu. M. Cyr a demandé à l'employé de sauter dans le bateau sans que ce dernier ne soit amarré. M. Cyr aurait affirmé qu'il voulait aller se coucher à l'Île Quarry.

[21]    Une fois sur le bateau, M. Cyr l'a questionné sur les « filles » de l'équipe. Il lui demande ce qu'il ferait s'il se retrouvait seul sur une île avec l'une d'elles. M. Cyr, quant à lui, indique que dans une telle situation, il ne « ferait pas mal à la fille ».

[22]    De plus, l'employé souligne que lorsqu'il est débarqué à l'Île Quarry, il a vu le capitaine du bateau et M. Cyr se coucher.

[23]    Finalement, le directeur du parc, Stéphane Marchand, explique le déroulement de la rencontre tenue effectivement le 20 août 2003 avec M. Cyr et un représentant syndical. Selon M. Marchand, M. Cyr aurait fourni peu d'explications ; il ne se souvenait pas des gestes qu'il aurait posés. Il est vrai, à cette occasion, que M. Cyr a souligné qu'il souffrait d'un problème d'irritation à l'aine. Il aurait détaché son pantalon et exposé le haut de sa cuisse où apparaissaient des rougeurs. M. Cyr aurait affirmé n'avoir jamais eu l'intention d'harceler les employées et que si certaines croyaient qu'il en était ainsi, il était prêt à s'excuser.

[24]    M. Marchand s'est par la suite informé auprès des responsables en relation de travail. Il lui paraît évident que les gestes posés par M. Cyr ont eu pour effet de rendre mal à l'aise les employées qui devaient monter à bord du bateau. M. Cyr s'est constamment placé sur la défensive lors des rencontres. C'est pourquoi il lui a imposé une sanction de 16 jours sans rémunération.

[25]    En contre interrogatoire, M. Marchand admet qu'une copie de la politique sur le harcèlement fut affichée au cour des mois d'août 2003. La lettre de sanction relative à ces événements fut remise à M. Cyr le 3 septembre 2003. Les faits relatifs à cette rencontre seront traités dans la décision sur le grief 166-33-33267, concernant les propos déplacés et menaçants que M. Cyr aurait proférés à l'égard de ses supérieurs.

[26]    De son côté, M. Cyr mentionne qu'il n'a jamais voulu incommoder personne. Il se sent dépassé par cette situation car au cours de l'été 2002, il a fait le même travail et à la fin de l'été, les employées qu'il avait côtoyées, lui ont remis une note de félicitations (pièce F-1).

[27]    Il admet qu'il lui arrive de se gratter près de l'aine et souligne que certains de ses collègues de travail l'agaçaient à ce sujet. C'est dû à une irritation de la peau qu'il agit ainsi. Il dépose en preuve un certificat médical (pièce F-3).

[28]    Il croit qu'on a exagéré les gestes et propos qu'il a tenus au cours de l'été 2003. Il dit être prêt à s'excuser s'il a pu blesser certaines personnes.

[29]    Yvon Méthot, délégué syndical, corrobore les témoignages de M. Cyr relativement au fait que lors de la rencontre avec la direction, M. Cyr affirmait ne pas avoir voulu harceler qui que se soit mais si c'était le cas, il était prêt à s'excuser.

[30]    M. Méthot dit avoir discuté avec M. Cyr du compte rendu de la rencontre du 20 août 2003 et qu'il avait fait remarquer à ce dernier que le compte rendu ne faisait pas mention du fait que M. Cyr était prêt à s'excuser.

Arguments des parties

[31]    L'employeur se réfère à plusieurs décisions arbitrales relatives au harcèlement. Il soutient que la preuve est convaincante et qu'on ne peut douter de la sincérité des employées qui se sont senties agressées par les propos et gestes de M. Cyr.

[32]    L'employeur se doit de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement et tout geste répréhensible doit être sanctionné.

[33]    De son côté, le représentant du fonctionnaire soutient que les propos et gestes reprochés à M. Cyr doivent être replacés dans leur contexte. Il n'y a pas de plainte formelle et il conviendrait de faire la part des choses parmi l'ensemble des faits mis en preuve.

[34]    Il existe une certaine tension entre le directeur et M. Cyr, ce qui peut avoir faussé la perspective et conduit à une sanction trop sévère.

Motifs de la décision

Les faits relatifs au présent dossier ont eu lieu à l'été 2003. Depuis les dix dernières années, les questions de harcèlement ont largement été discutées par le public en général et en particulier dans le milieu de travail.

[35]    Dans le présent cas, l'employeur a élaboré une politique relative au harcèlement. La divulgation aux employés de la politique et l'identification de personnes responsables de son application en milieu de travail constituent un atout permettant de prévenir ou de réprimer tout égard relatif au non respect des personnes.

[36]    Même en l'absence d'un avis formel, toute personne raisonnable se doit de s'abstenir de harceler un autre employé dans son milieu de travail. Une action négative doit être sanctionnée, tout en prenant pour acquis qu'il faut tenir compte des circonstances.

[37]    La preuve me démontre que la politique relative au harcèlement fut affichée en août 2003. On a pas spécifié s'il y avait un responsable identifié par l'employeur pour voir à son application.

[38]    Nous sommes en présence de jeunes personnes, employées pour un travail saisonnier. Plusieurs viennent d'une ville extérieure, à Havre-Saint-Pierre. Ces dernières doivent prendre place à bord du bateau où l'espace est exigu, les personnes étant souvent à proximité l'une de l'autre. Il aurait été utile que l'employeur informe les employées dès le début de l'emploi qu'il existait une politique sur le harcèlement et qu'il identifie une personne de l'administration comme responsable de son application.

[39]    Malgré ce préambule, je crois que toute personne raisonnable doit s'abstenir de poser des gestes d'intimidation ou de harcèlement envers les autres employés même en l'absence de la promulgation d'une politique contre le harcèlement par l'employeur.

[40]    Les témoignages les plus éloquents, relativement à l'intimidation et le harcèlement, sont ceux des témoins identifiés comme « E » et « F », qui affirment s'être senties mal à l'aise alors que M. Cyr les regardait avec insistance de la tête aux pieds. Cette attitude les dérange, au point qu'elles préfèrent par la suite se déplacer à l'avant du bateau lors des traversées.

[41]    À cela, j'ajouterais le point que M. Cyr fait des remarques déplacées à l'employée « E », sur le fait qu'elle a des égratignures sur les jambes et qu'il ne lui ferait pas mal.

[42]    Dans les autres cas, il ne me semble pas que les employées aient identifié les gestes ou paroles de M. Cyr comme un acte relatif au harcèlement.

[43]    En effet, l'employée « A » indique qu'elle trouve déplacé et impoli le fait que M. Cyr aille chercher une bouteille de boisson gazeuse sous le banc où elle était assise. L'employée confirme cependant qu'elle a tout de même continué à s'asseoir au même endroit par la suite et elle n'a jamais dit à M. Cyr qu'elle considérait ceci comme offensif.

[44]    Une employée déplore le fait qu'en circulant sur le bateau, M. Cyr a repris son équilibre en s'appuyant sur son genou. Il est à noter qu'au cours de l'été 2003, et au cours de l'été 2002, c'est la seule occasion où on note un tel geste. On peut difficilement conclure qu'il était intentionnel, comme cela aurait pu être le cas si M. Cyr avait fait semblant, à plusieurs reprises, de perdre son équilibre.

[45]    La remarque de M. Cyr à l'employée « D », relativement à la radio qu'elle brassait, est qualifiée par l'employée elle-même comme une plaisanterie. Elle dit ne s'être jamais sentie harcelée ou intimidée.

[46]    La tape sur la veste de sécurité de l'employée « G » constitue un geste isolé qui m'a semblé comme n'ayant pas eu d'effet intimidant chez l'employée.

[47]    Les propos tenus avec l'employée « B » semblent être des discussions entre collègues de travail. Ces propos, sur l'apparence des jeunes femmes qui sont transportées sur le bateau, sont déplacés et confirment que M. Cyr les avait bien regardées et peut-être aurait-il été porté à les regarder avec insistance.

[48]    Finalement, quant au fait que M. Cyr se grattait souvent l'aine, il affirme en défense que c'est à cause d'une maladie de peau et que ses collègues de travail masculins le taquinaient à cet égard. Les propos de ses collègues de travail masculins auraient dû être pris en considération par M. Cyr. Il était conscient qu'il posait ce geste ; il aurait pu agir de façon plus discrète lorsqu'il était en présence de jeunes employées.

[49]    M. Cyr aurait dû être plus conscient des gestes qu'il a posés. Cependant, je le crois sincère lorsqu'il affirme vouloir s'excuser s'il a commis des tords à certaines personnes.

[50]    J'ai examiné la jurisprudence déposée par les parties. On peut constater que les sanctions varient d'un cas à l'autre et qu'on doit tenir compte des circonstances.

[51]    La décision Floyd Joss c. le Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada) , 2001 CRTFP 27, fait une étude exhaustive de la notion du harcèlement et il est intéressant de rappeler les passages suivants :

Au paragraphe 61, on reprend des réflexions de l'arbitre Laing dans Re British Columbia and B.C.G.E.U. (1995), 49 L.A.C. (4th) 193, aux pages 242 et 243, qui sont révélatrices de la nature du harcèlement :

[traduction non officielle]

[Je ne pense pas que la notion de « harcèlement » soit censée s'appliquer à tous les actes irréfléchis en milieu de travail. Le mot harcèlement est grave ; il doit être utilisé à bon escient et vigoureusement appliqué quand la situation justifie qu'on l'emploie. Il ne faudrait pas le trivialiser, le banaliser ou le dévaluer en s'en servant comme d'une étiquette applicable à des actes mesquins ou à des propos ridicules, lorsque le préjudice est éphémère, selon toutes les normes objectives.]

[52]    Dans Janzen et Govereau c. Platy Enterprises et autres, [1989] I R.C.S. 1252, le juge en chef de la Cour suprême Dickson avait besoin d'une définition pratique du harcèlement sexuel. Après avoir passé en revue la jurisprudence et la documentation sur cette question aux États-Unis et au Canada, il a conclu, à la page 64, en ces termes :

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j'estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes du harcèlement. C'est un abus de pouvoir, comme l'a souligné l'arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d'autres arbitres et commentateurs. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

[53]    Se référant à la décision du juge Dickson, l'arbitre Smith, dans la décision Floyd Joss (supra) écrit :

« J'estime que cette interprétation du harcèlement sexuel peut s'appliquer au harcèlement non sexuel. Une conduite importune ne suffit pas en elle-même pour conclure qu'une plainte de harcèlement est fondée »

[54]    Tenant compte de l'exiguïté du bateau que les employées doivent utiliser pour voyager sur les îles, l'employeur devait mieux faire connaître sa politique sur le harcèlement.

[55]    Je dois également considérer que le principal reproche que l'on doit formuler à l'égard de M. Cyr c'est d'avoir regardé avec insistance les employées, au point que plusieurs se soient senties mal à l'aise. Plusieurs événements réfèrent d'avantage à une conduite importune plutôt qu'à du harcèlement.

[56]    Je crois que l'employeur aurait dû faire la part des choses selon les témoignages qui lui ont été fournis et les circonstances dans lesquelles ils furent compilés.

[57]    Compte tenu des circonstances, une sanction de 16 jours de travail, soit 160 heures, me paraît trop sévère. Une sanction de quatre jours de travail me paraît adéquate et constitue un avertissement suffisant pour permettre qu'à l'avenir, le milieu de travail soit exempt de tels gestes d'intimidation et de harcèlement.

[58]    Je fais droit au grief en partie, en substituant à la sanction imposée par l'employeur une sanction de quatre jours de travail non rémunérés, soit 40 heures.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 10 février 2005

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