Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Travail dans l'unité de négociation - Sous-traitance - Balayage électronique du courrier - Délai de présentation du grief - Renonciation de l'employeur - le fonctionnaire s'estimant lésé, qui est également président de l'Association des employé(e)s du service de sécurité du Sénat, a déposé un grief contre son employeur, alléguant que ce dernier avait attribué de manière incorrecte la fonction de balayage du courrier à des employés faisant partie d'une autre unité de négociation, contrairement à l'article 29.01 (Sous-traitance) de la convention collective de l'AESSS - depuis environ 1993, les employés du service de sécurité du Sénat avaient effectué la vérification du courrier et des colis apportés par des individus aux diverses entrées des immeubles du Parlement - le manuel des opérations précise les fonctions spécifiques qui doivent être remplies concernant le balayage - à la suite des attaques terroristes perpétrées à New York le 11 septembre 2001 et, par mesure de sécurité, il a été décidé de procéder à la vérification du courrier à l'extérieur de la colline parlementaire - deux nouveaux postes se rapportant au balayage électronique du courrier ont été créés par l'employeur et attribués aux Services des installations - le travail en question a commencé à être effectué par des membres de l'unité de négociation de l'AFPC le 16 ou 17 février 2002, et le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé son grief le 18 février 2002 - lorsque le grief a été renvoyé à l'arbitrage, l'agent négociateur a annexé une copie d'une correspondance adressée au greffier du Sénat, laquelle ajoutait au litige le paragraphe 27.01 (Consultation) - l'employeur s'est objecté au dépôt de la correspondance, aucune preuve n'a été produite à cet égard, et les parties n'ont pas abordé la question dans leur argumentation - l'arbitre a accueilli l'objection, décidant que l'agent négociateur ne pouvait modifier la question soulevée par le grief du renvoi à l'arbitrage suivant le principe élaboré dans l'arrêt Burchill, de la Cour fédérale - sur la question du respect des délais, l'arbitre a statué que l'employeur avait renoncé à son droit de s'objecter au motif qu'il n'avait pas soulevé la question au cours de la procédure de règlement des griefs - sur le fond du grief, l'arbitre a conclu que les parties avaient libellé l'article 29.01 de façon à y inclure toutes les tâches et fonctions assumées par les employés car elles n'avaient pas limité son application aux seules tâches ou fonctions assumées pour une portion importante des responsabilités globales - l'arbitre a rejeté également la prétention de l'employeur selon laquelle les tâches en question représentaient une portion minime des responsabilités des constables - il a conclu que l'obligation énoncée à l'article 29.01 pour l'employeur était claire et non ambiguë et lui interdisait d'utiliser un autre employé que ceux faisant partie de l'AESSS et que, en ayant recours à des employés des Services des installations, il avait contrevenu à la convention collective - il a ordonné à l'employeur d'effectuer une nouvelle assignation des tâches et fonctions reliées à la vérification du courrier livré par messagers privés et décrites dans le Manuel des opérations à des constables membres de l'AESSS - cependant, la vérification du courrier en provenance de Postes Canada ne relevait pas de l'application de l'article 29.01 - il a refusé d'ordonner le versement de dommages-intérêts puisque la preuve n'avait pas été faite que l'employeur avait agi de mauvaise foi - l'arbitre a refusé également d'ordonner à l'employeur de payer des cotisations syndicales puisque rien dans la preuve ne montrait que l'AESSS avait perdu des cotisations syndicales. Grief accueilli. Décisions citées : Beers c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale) 2000 CRTFP 2 (166-2-27071); Kettle (166-2-21941); Sauvé (166-2-26974); Re Canadian Air Lines Employees' Association and Air Canada 23 L.A.C. 406; Re Stelco Inc., Hilton Works and United Steel Workers of America, Local 1005, [2002] 104 L.A.C. (4th) 111; Re S.D.D. Co. and C.A.W. Local 89 (1998), 33 L.A.C. (3d) 381; Re Condor Lamination and Toronto Typographical Union, Local 91, [1990] 15 L.A.C. (4th) 286; Chénier 2003 CRTFP 27 (166-2-30887 et 30888).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-06-23
  • Dossier:  466-SC-335
  • Référence:  2003 CRTFP 50

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

MCMAHON
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE SÉNAT DU CANADA
employeur

Devant:   Léo-Paul Guindon, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :   Richard Bastien, avocat pour l'Association des employé(e)s du service de sécurité du Sénat

Pour l'employeur :   Monique Bourgon, avocate


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 15 janvier 2003.


[1]     Considérant que les deux langues officielles ont été utilisées dans les documents apparaissant au dossier ainsi que lors de l'audience, la présente décision sera publiée simultanément en ces langues.

[2]     En début d'audience, il a été clarifié par les parties que l'Alliance de la Fonction publique du Canada (A.F.P.C.) n'a pas été appelée comme mise en cause au présent dossier. Il appert de la correspondance apparaissant au dossier de la Commission relativement à une rencontre anticipée de médiation que l'A.F.P.C. est informée de la nature du grief en cause en date du 16 juillet 2002. Selon le dossier de la Commission, l'A.F.P.C. n'a pas demandé d'intervenir au dossier.

[3]     En date du 18 février 2002, le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Michael McMahon, inscrit un grief contre son employeur, le Sénat du Canada, dans les termes suivants :

[Traduction]

Assignation de la fonction de contrôle du Service de sécurité du Sénat à des personnes qui ne font pas partie de l'unité de négociation, ce qui constitue une violation de l'article 29.01 de la convention collective de l'AESSS.

Assignation immédiate des membres de l'AESSS au contrôle du courrier et des colis au centre-ville et paiement de tous les frais juridiques engagés par l'AESSS jusqu'à ce que ce différend soit réglé à sa satisfaction (pièce E-2).

[4]     Le grief a été enregistré à l'arbitrage le 3 juin 2002.

[5]     Le 9 janvier 2003, le gestionnaire de la Direction des ressources humaines du Sénat du Canada a demandé les services de traduction simultanée pour l'audience et la Commission a accédé à cette demande.

[6]     Les parties ont accepté que l'audience et les représentations s'effectuent dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, suivant le choix de la personne s'adressant au tribunal.

[7]     Les parties ont fait entendre chacune deux témoins, soit MM. Michael McMahon et Gilles Gouin pour la partie syndicale et MM. Raymond Pitre et Michel Downs pour la partie patronale.

[8]     La convention collective intervenue entre le Sénat du Canada et l'Association des employé(es) du service de sécurité du Sénat (A.E.S.S.S.) portant la date d'expiration du 31 décembre 2003 s'applique au présent dossier (pièce G-1). Le paragraphe 29.01 traitant de la sous-traitance est rédigé comme suit :

ARTICLE 29

SOUS-TRAITANCE

29.01 -  L'employeur s'engage à ne pas utiliser aucun autre employé que ceux faisant partie de l'accréditation prévue par le certificat d'accréditation détenu par l'Association, ni aucun autre contractant ou employé d'un autre service gouvernemental pour effectuer les tâches et fonctions actuellement effectuées par les employés couverts par la présente convention collective et pour toutes les tâches et fonctions futures liées par accroissement aux tâches actuellement effectuées par les employés couverts par la présente convention collective. Ceci ne doit pas être interprété comme restreignant le droit de l'employeur d'embaucher des contractuels conformément à l'annexe F, de doter des postes sur une base déterminée ou de procéder à des affectations d'employés de l'administration du Sénat ou d'autres organismes au Service de sécurité. (pièce G-1).

[9]     L'agent négociateur a déposé à la Commission le formulaire de renvoi à l'arbitrage (signé le 31 mai 2002) en y annexant copie d'une correspondance adressée au secrétaire du Sénat (pièce G-4). Le procureur de l'employeur s'objecte au dépôt de cette correspondance qui modifie le grief (pièce G-2) en ajoutant le paragraphe 27.01 traitant de consultation mixte, au litige. Aucune autre preuve n'a été soumise au cours de l'audience relativement à la problématique entourant la question de consultation. Les parties n'ont pas repris les éléments relatifs à l'objection en leurs plaidoiries finales. L'objection est accueillie, l'agent négociateur ne pouvant pas modifier la question soulevée par le grief au moment du renvoi à l'arbitrage suivant le principe élaboré à l'arrêt Burchill [1981] F.C. 109. En conséquence, la décision ne portera que sur la question de la sous-traitance soulevée au grief déposé auprès de l'employeur en date du 18 février 2002.

Les faits

[10]     Depuis environ 1993, les employés du service de sécurité du Sénat ont effectué la vérification du courrier et des colis apportés par des individus aux diverses entrées des immeubles du Parlement. Les fonctions et responsabilités des constables du service de la sécurité du Sénat incluent la vérification du courrier reçu par messagers privés (pièce E-2). La réception du courrier et des colis livrés par des compagnies privées de livraison et destinés au Sénat, à la Chambre des Communes et à la bibliothèque du Parlement s'effectue à la porte de service nord de l'édifice de l'est par les employés du service de sécurité du Sénat. Ils procèdent à une vérification visuelle ainsi qu'au balayage électronique (scanning) des items reçus. L'Association des employé(e)s du service de sécurité du Sénat regroupe ces employés.

[11]     Le manuel des opérations du service de sécurité du Sénat précise les fonctions spécifiques devant être remplies à l'entrée de service nord de l'édifice de l'est comme suit :

[...]

 
 
2.106Entrée de service Nord (édifice de l'Est)
 

Voici les fonctions précises qui doivent être remplies à l'entrée de service nord de l'ÉE :

  • vérifier au bureau d'accueil si du courrier a été reçu en dehors des heures de travail;

  • allumer l'appareil de radioscopie, l'écran de contrôle et le poste de travail informatique;

  • vérifier le livret d'informations à transmettre;

  • vérifier le bon fonctionnement de l'appareil de radioscopie et consigner les résultats du test dans le Journal quotidien des incidents (JQI) (au besoin, régler la sensibilité du scanner);

  • préparer des feuilles de registre pour la journée;

  • accepter, enregistrer et passer à la radioscopie tous les colis reçus;

  • inscrire en lettres moulées le nom du messager qui vient chercher un envoi, puis lui demander d'apposer ses initiales;

  • communiquer avec le service des messagers lorsque des colis doivent être livrés immédiatement;

  • permettre aux préposés aux transports de la Chambre des communes d'utiliser l'entrée en question lorsqu'ils effectuent des livraisons à l'atelier d'imprimerie de la Chambre (ces livraisons ne sont ni enregistrées ni passées à la radioscopie par le constable de service);

  • veiller à ce que les colis qui n'ont pas été ramassés par les messagers à la fin de la journée soient rangés en lieu sûr à l'intérieur du poste;

  • une fois par mois, le superviseur fait ouvrir l'appareil de radioscopie pour vérifier si des enveloppes ne sont pas tombées sous le tapis roulant; et

  • transmettre les feuilles du registre quotidien au Centre des opérations lorsque le poste est fermé pour la journée. S'il y a des laissez-passer qui sont toujours en circulation, on peut laisser les feuilles de registre à l'entrée principale, afin que les personnes qui remettent leur laissez-passer en partant puissent les remplir.

[...]

 
 
4.500 -

LIVRAISONS

 

[...]

 
 
4.503 -Mesures de contrôle des livraisons
  1. Les livraisons effectuées par les messagers dans l'un des édifices du Sénat et de la Chambre des communes ou à la Bibliothèque du Parlement ne sont acceptées qu'à l'entrée de service nord (ESN) de l'ÉE. Cela comprend les livraisons faites au 151, rue Sparks et à la Chambre des communes.

  2. Cela ne comprend pas les livraisons en vrac définies à l'article 4.505 du présent manuel.

  3. Les livraisons sont soumises à un contrôle radioscopique (détecteur). Les articles non suspects sont enregistrés, puis remis au service des messagers du Sénat et de la Chambre des communes.

  4. Les messagers sont tenus d'apposer leurs initiales sur la feuille du registre lorsqu'ils ramassent les colis à livrer.

  5. Le constable de service remettra toutes les heures une copie au carbone de la feuille du registre principal au messager de la Chambre.

  6. Les feuilles du registre des marchandises doivent être remises au Centre des opérations à la fin de chaque jour ouvrable. (pièce G-5).

[12]     Une livraison comprenant plus de 15 colis individuels et adressés différemment, pesant plus de 9 kg ou qui sont trop gros pour être passés au balayage électronique est dirigée vers le " bureau de poste " opéré par les employés des services des installations à l'édifice de la rue Belfast. Tout le courrier reçu par l'entremise des services de Postes Canada est aussi dirigé vers le " bureau de poste " des services des installations qui procédent à la vérification et à la redistribution aux destinataires. L'Alliance de la Fonction publique du Canada regroupe les employés des services des installations.

[13]     Le deuxième rapport annuel du service de sécurité du Sénat précise que 28 045 colis ont été reçus et vérifiés à la porte de service nord de l'édifice de l'est en 2000 - 2001 (pièce G-10). D'autre part, selon le témoignage rendu par M. Raymond Pitre (directeur adjoint de la sécurité du Sénat), le décompte fait à partir des inscriptions au registre des livraisons (" log book ") complété par les constables indique que 2 532 livraisons (7 121 items) ont été reçues en 1999 et que 4 094 livraisons (10 872 items) ont été reçues en 2000. Une projection sur 12 mois des inscriptions au registre pour les dix premiers mois de 2001 donne une estimation de 3 312 livraisons (9 516 items). M. Pitre évalue qu'environ 0,1 % de la tâche d'un constable est consacré à la vérification des livraisons sur la base d'une moyenne de deux minutes par livraison (pièce E-3). Par contre, 460 200 pièces de courrier reçues par l'entremise de Postes Canada ont été vérifiées au Bureau de poste (édifice sur la rue Belfast) en 1999 - 2000 et 446 760 pièces ont été vérifiées en 2000 - 2001 (pièce G-11).

[14]     Selon le libellé du paragraphe 26.08 de la convention collective, le calcul du délai pour le dépôt d'un grief débute le jour suivant celui ou l'employé a été avisé ou a été mis au courant des circonstances donnant lieu au grief. En septembre 2001, 55 constables sont à l'emploi du service de sécurité du Sénat et travaillent en rotation pour assurer la sécurité sept jours par semaine et 24 heures par jour. La réception de livraison à la porte nord de l'édifice de l'est s'effectue entre 8 h et 16 h les jours de la semaine.

[15]     Les incidents terroristes du 11 septembre 2001 à New York et les alertes à l'anthrax ont accentué le débat des gestionnaires du gouvernement du Canada relativement au traitement du courrier. Par mesure de sécurité, il a été décidé de procéder à la vérification du courrier à l'extérieur de la colline parlementaire. Les livraisons qui étaient effectuées à la porte nord de l'édifice de l'est sont acheminées à l'édifice de la rue Belfast pour vérification et balayage électronique à compter du 1er octobre 2001. Après cette date, les constables du service de sécurité accepteront et vérifieront seulement les livraisons de courrier ou de colis qui auront fait l'objet d'une entente spéciale avec les responsables du service de sécurité aux diverses entrées des immeubles de la colline parlementaire.

[16]     Le procès-verbal du comité de gestion du 29 octobre 2001 indique qu'une proposition du Service de sécurité du Sénat déposée à la Régie pour neuf " années / personnes " additionnelles a été approuvée. Deux de ces postes sont pour la vérification électronique du courrier (pièce G-7). Selon M. McMahon, il est alors sous l'impression que ces deux nouveaux postes seront attribués au service de sécurité du Sénat.

[17]     À la rencontre du comité de gestion du 17 décembre 2001, M. Pitre informe les participants que le greffier du Sénat veut que toute livraison en vrac destinée au Sénat soit livrée au " City Centre " (à l'édifice situé sur la rue Wellington) pour inspection et balayage électronique dès la fin janvier ou début février 2002. Les deux " années / personnes " accordées au service de sécurité du Sénat serviront à créer deux postes au service des installations : un poste de préposé au balayage électronique et un poste de camionneur-livreur (pièce G-8). Le nombre de constables qui était de 55 au 11 septembre 2001 a été augmenté de 19 employés jusqu'à ce jour, la sécurité ayant été accrue depuis.

[18]     Lors de son témoignage, M. McMahon précise que le 10 janvier 2002, lors d'une rencontre avec un représentant de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, on lui a dit que les deux postes ont été créés aux services des installations. M. McMahon dénonce cette décision à M. Serge Gourgne, le 12 février 2002, par courrier électronique, alléguant une violation du paragraphe 29.01 de la convention collective qui traite de la sous-traitance (pièce G-9). En son témoignage, M. McMahon précise que la vérification du courrier par l'employé au nouveau poste de préposé au balayage électronique a débuté le 16 ou le 17 février 2002 à l'édifice de la rue Wellington. Un grief sera formellement présenté à l'employeur le 18 février 2002, relativement à la décision de faire effectuer la vérification du courrier et le balayage électronique par des personnes à l'extérieur de l'unité d'accréditation de l'A.E.S.S.S. (pièce G-1).

[19]     Le 12 mars 2002, à la réunion du comité consultatif patronal-syndical, les représentants de l'Alliance de la Fonction publique du Canada se font confirmer que la description de tâches pour les deux nouveaux postes (vérification électronique du courrier et conducteur) sont en voie de préparation (pièce G-12). Au moment de l'audience, une description de tâches de commis au courrier aurait été élaborée mais n'avait pas encore été rendue publique. Un employé excédentaire a été assigné temporairement au poste de vérification du courrier.

[20]     L'employeur aurait constaté, lors d'une enquête auprès des ministères et organismes fédéraux canadiens et auprès des autorités de Washington (des États-Unis d'Amérique), que la vérification du courrier est confiée, dans la très grande majorité des cas, à des services autres que la sécurité. Il a décidé d'appliquer la même pratique pour le gouvernement du Canada et de confier l'ensemble des tâches de vérification du courrier aux employés du service des installations et non plus en partie au service de sécurité du Sénat.

[21]     L'employeur soumet que les deux nouveaux postes ne sont pas des tâches ou fonctions futures liées par accroissement aux tâches effectuées par les employés du service de sécurité du Sénat en regard de la vérification du courrier, préalablement au 1er octobre 2001. Le greffier du Sénat estime que de quatre à cinq millions de pièces de courrier seront vérifiées par balayage électronique, annuellement par les employés assignés aux deux nouveaux postes du service des installations (pièce G-3).

Les plaidoiries

[22]     L'agent négociateur soumet que les faits du présent dossier démontrent clairement que le fonctionnaire s'estimant lésé s'est fait retirer les tâches de vérification et de balayage électronique du courrier destiné à la Chambre des communes, à la Bibliothèque du Parlement et au Sénat et livré par les compagnies privées de courrier à la porte nord de l'édifice de l'est. La tâche a été retirée définitivement aux constables du service de sécurité du Sénat dès la fin du mois de janvier ou début du mois de février 2002 et a été assignée aux employés des services des installations. Comme les employés des services des installations sont représentés par l'Alliance de la Fonction publique du Canada, la tâche a été confiée à des employés à l'extérieur de ceux faisant partie de l'accréditation détenue par l'Association des employé(e)s des services de sécurité du Sénat. Cette action de l'employeur va directement à l'encontre du paragraphe 29.01 de la convention collective.

[23]     Le paragraphe 29.01 stipule aussi que toutes les tâches et fonctions futures liées par accroissement aux tâches actuellement effectuées par les employés du service de sécurité du Sénat doivent être attribuées à des employés couverts par l'Association des employé(e)s du service de sécurité du Sénat. Suivant le paragraphe 29.01, la nouvelle fonction de commis au courrier devrait être assumée par un constable des services de sécurité du Sénat, car la vérification et le balayage électronique de tout le courrier à l'édifice " City Centre " est un accroissement aux tâches de vérification et de balayage électronique du courrier livré par les compagnies privées de livraison jusqu'au mois de février 2000.

[24]     En conséquence, l'arbitre devrait conclure que l'employeur n'a pas respecté le paragraphe 29.01 de la convention collective en confiant à un employé à l'extérieur de l'accréditation de l'A.E.S.S.S. la vérification et le balayage électronique du courrier livré par les compagnies privées de livraison à compter du mois de février 2002. De plus, l'arbitre devrait conclure que la nouvelle position de commis au courrier est un accroissement aux tâches effectuées par les membres de l'A.E.S.S.S. pour la partie des tâches reliées à la vérification et au balayage électronique du courrier livré par l'entremise de Postes Canada.

[25]     Selon la preuve présentée, la vérification et le balayage électronique du courrier est une fonction reliée à la sécurité et il est anormal qu'elle soit confiée à des gens non formés et sans expertise en ce domaine. Dans les faits, si le commis au courrier perçoit quelque chose de suspect lors de la vérification du courrier, il doit aviser le service de sécurité. C'est ce dernier qui peut prendre action en ce cas; ce qui démontre que c'est fondamentalement une fonction reliée à la sécurité.

[26]     Selon les principes établis par la jurisprudence et précisés au Canadian Labour Arbitration de MM. Brown et Beatty, le pouvoir de gérance de l'employeur est limité par le paragraphe 29.01 de la convention collective.

[27]     Suivant le principe précisé au paragraphe 5 : 1200 (" Bargaining Unit Work ") du même volume, les fonctions sont protégées et le temps consacré par l'employé à leur exécution n'est pas pertinent. Au paragraphe 5 : 1300, il est établi que l'employeur ne peut pas revenir sur son engagement.

[28]     De plus, comme le travail a été transféré à des employés d'une autre section, (services des installations), des services de la Cité parlementaire (auquel appartient le service de sécurité), on doit considérer la situation comme un cas de " contracting in ". Comme précisé au paragraphe 5 : 1 400, l'employeur ne pouvait pas effectuer ce transfert de fonctions, et cette prohibition est absolue. De plus, l'employeur ne pouvait pas créer une nouvelle position si les fonctions sont de même type ou similaires aux fonctions assumées par les employés de l'A.E.S.S.S.

[29]     Suivant le paragraphe 5 : 1 500 de Canadian Labour Arbitration (supra), l'arbitre peut ordonner que le travail soit retourné à des employés membres de l'A.E.S.S.S. et peut aussi ordonner à l'employeur de verser les cotisations syndicales perdues par l'Association et ordonner à l'employeur d'assumer les frais juridiques de celui-ci.

[30]     L'employeur soumet que le grief soumis au premier palier le 19 février 2002 est hors délai. Selon le témoignage de M. McMahon, il aurait été informé par un représentant de l'Alliance de la Fonction publique du Canada que les deux postes (commis au courrier et chauffeur-livreur) étaient attribués aux services des installations lors d'une rencontre tenue le 10 janvier 2002. Le grief a été présenté au premier palier à l'extérieur des 25 jours suivant celui où l'employé a été avisé ou a été mis au courant des circonstances donnant lieu au grief tel que précisé au paragraphe 26.08 de la convention collective qui se lit comme suit :

26.08 - L'employé peut présenter un grief au premier palier au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour suivant celui où il a été avisé, de vive voix ou par écrit, des circonstances donnant lieu au grief ou celui où il en a été mis au courant.

[31]     Le calcul effectué suivant le paragraphe 26.24, excluant les samedis, dimanches et jours fériés désignés, place la 25e journée au 14 février 2002.

[32]     Selon le représentant de l'agent négociateur, le grief a été inscrit à l'intérieur des 25 jours, car la vérification du courrier a effectivement débuté le 16 ou 17 février 2002 à l'édifice de la rue Wellington. De plus, l'employeur a renoncé à soulever la question des délais en omettant de la soulever aux divers paliers de la procédure de grief.

[33]     Relativement au fond du grief, l'employeur soumet que les fonctions principales d'un constable incluent le contrôle de l'accès et de la circulation à l'intérieur des édifices (pièce E-2) et qu'un des nombreux moyens à sa disposition est la vérification du courrier. Le balayage électronique du courrier n'est pas énuméré à la liste des moyens compris dans le résumé du poste. L'employeur, en faisant effectuer la vérification du courrier livré par les compagnies privées, affecte une infime partie des moyens à la disposition d'un constable qui continue d'assurer le contrôle et l'accès aux édifices. Selon les évaluations effectuées par M. Pitre (pièce E-3), les constables n'ont pas perdu une partie substantielle de leurs tâches ou fonctions relativement au contrôle de l'accès aux édifices.

[34]     L'employeur a donc respecté la première partie du paragraphe 29.01 qui empêche que les tâches ou fonctions actuellement effectuées soient confiées à d'autres personnes que les constables. Dans les faits, les constables continuent de vérifier le courrier reçu aux diverses entrées des édifices de la Colline parlementaire.

[35]     Relativement à la deuxième partie du paragraphe 29.01 qui interdit de transférer à d'autres les tâches et fonctions futures liées par accroissement aux tâches actuelles des constables, il est à noter que la vérification du courrier livré par l'entremise de Postes Canada ne peut pas être considérée à ce titre. En effet, la vérification du courrier de Postes Canada était effectuée par des employés des services des installations avant le 11 septembre 2001. Ainsi, le nouveau poste de commis au courrier ne peut pas être constitué de tâches et fonctions qui pourraient être considérées comme un accroissement aux tâches et fonctions assumées par le constable.

[36]     Rien à la convention collective n'empêche l'employeur de créer un nouveau poste dont la tâche ou fonction est essentiellement la vérification du courrier, incluant le balayage électronique. Cette tâche ou fonction n'est pas reliée à un élément de sécurité et n'est pas confiée au service de sécurité dans les autres ministères ou organismes du gouvernement du Canada.

[37]     L'arbitre n'a pas compétence pour attribuer les dommages réclamés par le représentant de l'agent négociateur. Rien à la convention collective ou à la Loi sur les relations de travail au Parlement ne soutient cette réclamation.

Motifs de la décision

[38]     L'employeur a soumis que le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté son grief à l'extérieur du délai de 25 jours prévu au paragraphe 26.08 de la convention collective, car M. McMahon a précisé, lors de son témoignage, qu'il avait été informé que les deux postes créés pour la vérification du courrier étaient attribués aux services des installations lors d'une rencontre tenue le 10 janvier 2002 avec un représentant de l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

[39]     La preuve révèle que M. McMahon a été mis au courant que le poste de préposé à la vérification du courrier et celui de camionneur-livreur seraient créés aux services des installations lors de la réunion du comité de gestion du 17 décembre 2001 (pièce G-8) auquel participaient des gestionnaires du service de sécurité du Sénat, soit antérieurement au 10 janvier 2002.

[40]     Me Bastien, représentant M. McMahon, a soumis par contre que l'employeur n'a pas soulevé la question du respect des délais au dernier palier de la procédure de grief et qu'il avait ainsi renoncé à la soulever.

[41]     Le commissaire McLean a repris la théorie de la renonciation exposée par MM. Brown et Beatty dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration, dans la décision de la Commission dans la cause Beers c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale) 2000 CRTFP 2 (dossier de la Commission 166-2-27071), comme suit :

[Traduction]

[...]

Dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration (3e edition), Brown et Beatty expliquent la théorie de la "renonciation" dans les termes suivants (au paragraphe 2 : 3130, page 2-94) :

La notion de " renonciation " implique le fait de ne pas insister sur un droit quelconque, d'abandonner un avantage quelconque. Elle sous-entend en outre la reconnaissance ainsi que l'intention de ne pas exercer le droit en question. Dans son application, il s'agit d'un principe analogue à celui utilisé par les tribunaux civils et qui se traduit par " un nouveau départ " - à savoir que la partie qui décide de ne pas présenter d'objection en temps utile et qui " examine le grief au fond en dépit d'un vice manifeste de procédure se trouve à " renoncer " à invoquer ledit vice ".

Autrement dit, en attendant jusqu'au moment où le grief doit être entendu pour s'opposer à un grief qu'elle soutient irrecevable parce que présenté en dehors des délais prescrits, une partie est réputée avoir renoncé à invoquer le non-respect des délais, et son opposition à l'arbitrabilité du grief sera rejetée.

[...]

[42]     Le commissaire McLean souscrit aux conclusions des décisions Kettle (dossier de la Commission 166-2-21941), et Sauvé (dossier de la Commission 166-2-26974), dans les termes suivants :

[Traduction]

[...]

     Je souscris aux décisions rendues dans Kettle (supra) et Sauvé (supra). J'estime que le moment où l'employeur doit soulever la question du respect des délais est durant la procédure de règlement des griefs. C'est trop tard lorsque l'affaire est prête pour l'arbitrage. Si l'employeur ne soulève pas d'objection durant la procédure applicable aux griefs, il est réputé avoir renoncé à son droit d'invoquer le non-respect du délai. À mon avis, le non-respect du délai fixé pour la présentation d'un grief doit être soulevé le plus tôt possible, c'est-à-dire durant la procédure de règlement des griefs. C'est à ce stade que les parties sont censées explorer toutes les questions les plus évidentes. Autrement, la partie qui néglige de le faire peut donner à croire qu'elle a décidé de fermer les yeux sur le non-respect du délai fixé par la convention collective. L'affaire qui est renvoyée à l'arbitrage comprend à la fois le grief et les questions de procédure que les parties ont soulevées durant la procédure de règlement des griefs.

     Je rejette par ailleurs l'argument selon la question du respect du délai mette en cause la compétence d'un arbitre. À mon avis, il ne s'agit pas là d'une question de compétence. C'est plutôt une question de procédure à laquelle l'une ou l'autre peut renoncer expressément, ou implicitement, lorsqu'elle néglige de soulever une objection durant la procédure de règlement des griefs.

[...]

[43]     Au présent dossier, il appert que l'employeur a informé M. McMahon que les nouveaux postes reliés à la vérification du courrier seraient attribués aux services des installations, lors de la rencontre du comité de gestion du 17 décembre 2001. L'employeur connaissait donc précisément la date du point de départ du délai précisé au paragraphe 26.08 de la convention collective et ne pouvait ignorer que le grief présenté le 18 février 2002 était hors délai. En ne soulevant pas cette question lors de la procédure du grief, l'employeur est réputé avoir renoncé à son droit d'invoquer le non-respect du délai.

[44]     Suivant le principe élaboré aux décisions précitées, je rejette en conséquence l'argument soumis par l'employeur relativement à la question du non-respect du délai et je procéderai à la suite, à l'évaluation du grief sur le fond.

[45]     La preuve démontre que les constables à l'emploi du Sénat du Canada et membres de l'Association des employé(e)s du service de sécurité du Sénat (A.E.S.S.S.) étaient responsables d'assumer la vérification du courrier livré par les transporteurs privés (i.e. autres que Postes Canada), et destiné à la Chambre des communes, à la bibliothèque du Parlement et au Sénat. Les fonctions précisées à la description d'emploi déposée comme pièce E-2 incluent spécifiquement la vérification du courrier reçu par les messagers privés. Le manuel des opérations déposé comme pièce G-5 énonce précisément que les fonctions reliées à la vérification du courrier et à son balayage électronique s'effectuent à l'entrée de service nord de l'édifice de l'est. Tous les témoignages reçus lors de l'audience corroborent que les constables ont assumé ces responsabilités depuis 1993 jusqu'au 1er octobre 2001. À cette date, suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, aux États-Unis et aux alertes subséquentes à l'anthrax, il a été décidé d'urgence que la vérification du courrier devait être effectuée à l'extérieur de la colline parlementaire par mesure de sécurité.

[46]     Ce n'est que le 16 ou 17 février 2002 qu'un nouveau poste de vérification du courrier a été mis en opération pour effectuer la vérification et le balayage électronique de tout le courrier destiné au gouvernement du Canada. À compter de cette date, le préposé au balayage électronique du courrier procédera à la vérification du courrier, y incluant celui qui était antérieurement vérifié par les constables du service de sécurité du Sénat au poste situé à l'entrée de service nord de l'édifice de l'est. Le nouveau poste de vérification du courrier est localisé à l'édifice de la rue Wellington (à l'édifice connu sous le nom de " City Centre ").

[47]     La lecture du paragraphe 29.01 nous indique que " les tâches et fonctions actuellement effectuées par les employés couverts par la convention collective " sont l'objet de cette clause relative à la sous-traitance. Les parties ont libellé ce paragraphe de façon à y inclure toutes les tâches et fonctions assumées par les employés car ils n'ont pas limité son application aux seules tâches ou fonctions assumées pour une portion importante (ou quelconque) des responsabilités globales. Je ne peux pas retenir l'argument de l'employeur à l'effet que cette clause ne peut pas recevoir application car les responsabilités reliées à la vérification du courrier auraient représenté une portion minime des responsabilités des constables. D'autre part, au manuel des opérations, je constate que les fonctions reliées à la vérification du courrier au poste situé à l'entrée nord de l'édifice de l'est représentent la majeure partie des responsabilités à assumer et en constituent ainsi une portion substantielle de ce poste de travail.

[48]     Ainsi, les tâches et fonctions de vérification du courrier reçu par messagers privés et destinés à la Chambre des Communes, à la bibliothèque du Parlement et au Sénat sont couvertes par le paragraphe 29.01 de la convention collective et il n'a pas été contesté que le fonctionnaire s'estimant lésé fait partie de l'accréditation détenue par l'A.E.S.S.S.

[49]     L'obligation précisée au paragraphe 29.01 pour l'employeur est claire et non-ambiguë et lui interdit d'utiliser aucun autre employé que ceux faisant partie de l'A.E.S.S.S. ni aucun autre contractant ou employé d'un autre service gouvernemental. En utilisant des employés des services des installations pour effectuer la vérification du courrier livré par messagers privés, l'employeur a contrevenu de deux façons à l'obligation convenue à la clause de sous-traitance : les employés des services des installations sont accrédités auprès de l'A.F.P.C. et non pas de l'A.E.S.S.S. et ces employés oeuvrent pour un autre service gouvernemental que le service de sécurité.

[50]     Il n'est pas pertinent au présent litige de déterminer si la vérification du courrier est une tâche et une fonction de sécurité qui ne pourraient être confiées à d'autres employés que ceux du service de sécurité en respect de leur expertise particulière, car il suffit de constater qu'elles étaient assumées par des employés couverts par l'accréditation détenue par l'A.E.S.S.S. pour enclencher l'application du paragraphe 29.01 de la convention. De plus, la détermination de la nature " sécuritaire " de la vérification du courrier se rattache à un élément de dotation qui est hors de la compétence de l'arbitre assigné en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement.

[51]     Dans la décision rendue dans le dossier Re Canadian Air Lines Employees' Association and Air Canada 23 L.A.C. 406, les arbitres résument la jurisprudence canadienne en regard aux droits de sous-traitance comme suit :

[Traduction]

[...]

L'interprétation des droits de sous-traitance de la direction est très différente aux États-Unis et au Canada. Certains des facteurs de la situation au Canada ont tendu à favoriser une interprétation légaliste rigoureuse, et la majorité des arbitres canadiens se sont révélés partisans de la théorie des droits résiduels. Par conséquent, dans le contexte canadien, la négociation collective doit tenir compte du climat normal des relations du travail dans la compétence où elle se déroule. Cela suppose que tant la direction que les syndicats ont des attentes analogues quant à l'interprétation donnée aux situations de sous-traitance dans le contexte canadien. La jurisprudence accumulée dans ce domaine est considérable. Par conséquent, le président a dû rejeter l'argumentation fondée sur l'approche américaine.

Il semble au président que, lorsqu'elles négocient une convention au Canada, les deux parties devraient avoir des attentes assez réalistes sur l'optique des décisions arbitrales en cas de différend, ou qu'une entreprise qui négocie une convention collective n'est pas susceptible de renoncer de son plein gré à ses droits d'avoir recours à la sous-traitance si elle le juge nécessaire dans la conduite de ses affaires.

Cette interprétation acceptée des droits de sous-traitance n'a pas nettement changé au Québec, par exemple, depuis 1941, quand le juge Antoine Lamarre a déclaré ce qui suit dans Hôpital du Sacré-Cour de Cartierville et le Syndicat des Employés d'hôpitaux de Montréal [non rapportée] : " Le droit de la direction (habituellement en vertu d'une clause reconnaissant son droit de gérer et de diriger l'Hôpital d'une façon compatible avec les autres clauses de la convention) est déclaré absolu, puisque la convention ne contient aucune clause en limitant l'exercice " [page 416].

En 1959, dans une décision sur les activités de pompage au quai d'une compagnie pétrolière, Re Oil, Chemical and Atomic Workers Int'l Union, Local 16-618, and Canadian Petrofina Ltd. (1959), non rapportée, le syndicat contestait la compression du grand service de pompage dont le volet au quai faisait partie intégrante (et dont le personnel était visé par son certificat d'accréditation). La compagnie avait déclaré avoir eu recours à la sous-traitance en vertu des droits et des responsabilités de la direction et maintenu qu'elle avait donc de toute évidence le droit d'agir comme elle l'avait fait. La majorité du banc présidé par le juge André Montpetit avait alors déclaré : " Nous estimons qu'un employeur quel qu'il soit a le droit d'introduire un changement comme celui qui l'a été en l'espèce, à savoir confier à un sous-traitant les tâches d'une partie de son entreprise industrielle. Nous croyons aussi que l'employeur qui introduit un tel changement n'est pas obligé de le justifier. Qu'il ait tort ou raison n'est pas en soi susceptible de faire l'objet d'un grief ou d'un différend relevant de la compétence d'un conseil d'arbitrage.

Ce raisonnement a été élargi par le juge René Lippé, dans Le syndicat national des employés de l'Aluminum (sic) d'Arvida Inc. et L'Aluminum (sic) Company of Canada Ltd. (Arvida) [(1960)], non rapportée]     :

Le droit de sous-traiter est inhérent au droit de gérer les établissements, tel qu'il est défini dans la clause sur les droits de la direction. Il est impératif qu'il existe une limitation expresse du droit de sous-traiter pour qu'on refuse à la compagnie le droit d'agir ainsi.

Bref, pour résumer, la majorité des décisions rendues dans les provinces de common law du Canada et toutes les décisions rendues au Québec que le président du conseil d'arbitrage a analysées concluent qu'une interdiction expresse doit figurer dans la convention collective pour que la direction n'ait pas le droit d'avoir recours à cette forme particulière de gestion de son entreprise.

[...]

[52]     Je suis en accord avec cette position que le droit de sous-traitance est inhérent au droit de gérance de l'employeur et qu'il ne peut être limité que par une clause expresse de la convention collective.

[53]     Cette approche a été maintenue dans des décisions plus récentes. L'arbitre W.A. Marcotte s'exprime comme suit dans le dossier Re Stelco Inc., Hilton Works and United Steel Workers of America, Local 1005 104 L.A.C. (4th) 111 :

[Traduction]

Dans Re Alcan Smelters and Chemicals Ltd and C.A.S.A.W., Lee 1 (re) ([1987], 28 S.S. L.A.C. (3d) 353, 6 C.L.A.S. 2), supra, les griefs présentés par le syndicat contestaient la décision de l'employeur de sous-traiter des travaux de mécanique incluant la réparation de deux véhicules " à basse priorité ", dans un contexte où il était précisé à la p. 353 que : " L'entretien et la réparation des véhicules du parc sont confiés essentiellement au service d'entretien du matériel mobile " dont les membres réparaient le type de véhicules en question, quoique pas dans tous les cas. Dans le contexte d'une analyse des dispositions expresses sur la sous-traitance de la convention collective pertinente, l'arbitre Hope a déclaré ce qui suit aux pp. 363-364 :

     Lorsqu'un employeur accepte de limiter ses droits de sous-traitance, il est tenu de se conformer intégralement à cette limitation conformément au libellé qu'il a accepté. Autrement dit, si les syndicats doivent négocier pour obtenir des limitations dans la convention collective, toutes les exceptions sur lesquelles l'employeur compte se fonder doivent être exprimées clairement dans le contexte de la restriction générale de la sous-traitance, et l'employeur ne peut pas s'attendre à ce qu'un arbitre opte pour une interprétation stricte du libellé de la convention pour rendre une décision favorable aux exceptions qu'il invoque.

.....

     ... un syndicat n'a pas de droit intrinsèque à l'exclusivité d'une activité et, inversement, un employeur a le droit résiduel de faire exécuter une tâche de la façon qu'il veut à condition de ne pas enfreindre une disposition de sa convention collective avec le syndicat. Il s'ensuit que, lorsqu'un syndicat veut se fonder sur une restriction de l'exercice d'un droit résiduel par l'employeur, il est tenu d'être en mesure d'invoquer le libellé d'une restriction qu'il a négociée.

En ce qui nous intéresse, l'arbitre Hope a défini l'approche que les arbitres doivent suivre pour trancher une affaire comme celle-ci : pour qu'un syndicat puisse dénoncer un recours abusif à la sous-traitance, la convention collective doit prévoir clairement une restriction du droit résiduel de gestion de la compagnie de déterminer quelles tâches sont nécessairement accomplies par des membres d'une unité de négociation et quelles autres peuvent être légalement sous-traitées. Lorsqu'il s'agit de déterminer si la sous-traitance est légitime ou abusive, le libellé de la convention collective doit être analysé, parce qu'il est déterminant; en l'espèce, c'est l'article 13 de la convention collective entre les parties.

[54]     Je suis en accord avec les positions des arbitres en ces dossiers et conclus qu'au présent dossier, la convention collective limite de façon très précise les droits de gérance de l'employeur à assigner les tâches assumées par les membres de l'A.E.S.S.S. à d'autres employés non couverts par cette accréditation.

[55]     La notion de sous-traitance a été appliquée dans des cas où les fonctions ont été transférées d'un employé membre d'une unité d'accréditation à un autre de ses employés membre d'une autre unité d'accréditation. L'arbitre Weatherill dans le dossier Re S.D.D. Co. and C.A.W. Local 89 (1998), 33 L.A.C. (3d) 381 a précisé sa pensée à ce sujet comme suit, tel que repris par les arbitres au dossier Re Condor Lamination and Toronto Typographical Union, Local 91 [1990], 15 L.A.C. (4th) 286.

[Traduction]

Le libellé de la convention collective se lit comme suit :

1.02

La compagnie convient que, durant les périodes de mise en disponibilité, elle ne contractera pas de nouveaux marchés de sous-traitance pour des tâches du type de celles qui sont normalement accomplies par les membres de l'unité de négociation quand l'effet de la sous-traitance reviendrait à enlever du travail aux membres de l'unité de négociation et causerait ou prolongerait une mise en disponibilité. Durant ces périodes, la compagnie s'engage à examiner ses marchés de sous-traitance en vigueur pour déterminer quelles tâches pourraient d'une façon pratique être de nouveau accomplies à l'interne. Il est toutefois aussi entendu que rien dans la déclaration de principe qui précède n'est censé 1) limiter le droit de la direction de mettre fin à un service, à une activité ou à la production à l'interne d'un produit ou d'une pièce et de l'acheter à une source externe ou 2) empêcher la direction de tenir compte du facteur temps, des coûts, de la disponibilité ou de l'équipement...

L'arbitre Weatherill a conclu que, pour les fins du grief, la même compagnie exploitait les deux ateliers, ou, à tout le moins, que les deux entreprises appartenaient au même propriétaire. Il a néanmoins jugé qu'il ne s'ensuivait pas logiquement que l'employeur n'avait pas contracté de nouveaux marchés de sous-traitance des tâches en question. À la p. 4 de sa décision, il a déclaré que : " Sans me fonder sur la technicalité de l'existence d'une entité distincte, bien que connexe, j'estime que l'article 1.02 s'appliquerait même au transfert de tâches à une autre division du même employeur. L'objet de l'article 1.02 est clair : il consiste à protéger l'emploi des membres des unités de négociation dans les postes qu'ils en sont venus à considérer comme " les leurs ", sous réserve bien entendu des conditions qui y sont précisées. Il n'y a aucun avantage pour un membre de l'unité de négociation de savoir que les tâches qu'il exécute normalement le sont par un collègue d'une autre unité de négociation. Une fois que les tâches sont confiées à quelqu'un qui ne fait pas partie de l'unité de négociation, leur perte est la même pour les membres de cette unité, qu'elles soient accomplies dans un autre pays, par des employés d'un employeur distinct, par des travailleurs syndiqués ou non syndiqués ou, comme en l'espèce, par des employés de ce que nous pouvons considérer comme étant le même employeur. Il s'agit bel et bien de " sous-traitance " au sens de l'article 1.02 ".

À notre avis, l'analyse avancée par M. Weatherill dans Moffats est celle qu'il faut retenir pour l'interprétation de la notion de sous-traitance dans le contexte des relations du travail. Nous le disons en dépit du fait que c'est le même arbitre qui, dans sa décision dans SKD, 17 ans plus tard, a fait sien sans analyser le raisonnement avancé dans Coca-Cola que " la sous-traitance s'entend de la pratique par laquelle un employeur fait en sorte qu'un deuxième employeur accomplisse des tâches pour lui ".

[56]     Je suis en accord avec le raisonnement de l'arbitre Weatherill qui doit recevoir application au présent dossier. En assignant la vérification du courrier antérieurement effectuée par les employés du service de sécurité aux employés des services des installations, l'employeur a effectué de la sous-traitance au sens du paragraphe 29.01 de la convention collective.

[57]     Dans l'encadrement très précis du libellé du paragraphe 29.01 de la convention collective, je conclus que le transfert des tâches et fonctions reliées à la vérification du courrier livré par les messagers privés et destiné à la Chambre des Communes, à la bibliothèque du Parlement et au Sénat ont été assignées aux employés des services des installations, à compter du 16 ou 17 février 2002 en contravention de la convention collective.

[58]     En conséquence, j'ordonne à l'employeur de réassigner les tâches et fonctions reliées à la vérification du courrier livré par messagers privés et plus spécifiquement décrites au paragraphe 2.106 du Manuel des opérations du service de sécurité du Sénat (pièce G-5) à des constables membres de l'A.E.S.S.S.

[59]     Ces tâches et fonctions peuvent être effectuées à une autre localisation qu'à l'entrée de service nord de l'édifice de l'est, le paragraphe 29.01 de la convention collective ne restreignant pas le droit de l'employeur de déterminer l'endroit précis où les tâches et fonctions seront exécutées.

[60]     Comme les tâches et fonctions relativement à la vérification du courrier en provenance de Postes Canada étaient confiées à des employés autres que ceux couverts par le certificat d'accréditation détenu par l'A.E.S.S.S., pour toute la période pertinente au présent dossier, je ne peux pas les considérer au titre de " tâches et fonctions futures liées par accroissement aux tâches actuellement effectuées par les employés couverts par la présente convention collective " précisé au paragraphe 29.01 de la convention collective.

[61]     Il n'a pas été démontré que l'employeur aurait agi de mauvaise foi en décidant comme il l'a fait de créer le nouveau poste de vérification du courrier et en assignant ces fonctions à des membres de l'Alliance de la fonction publique du Canada. Bien que le non-respect du paragraphe 29.01 de la convention me paraisse patent, je ne peux pas en déduire une preuve de mauvaise foi. En conséquence, aucune ordonnance pour dommages, sous forme d'honoraires ou autrement ne peut être accordée pour des dommages, intérêts majorés, suivant la décision rendue par le vice-président J.W. Potter au dossier Chénier 2003 CRTFP 27 (dossiers de la Commission 166-2-30887 et 30888).

[62]     Je n'accorderai pas la demande de l'agent négociateur d'ordonner à l'employeur de verser l'équivalent des cotisations syndicales qui pourraient être reliées aux postes de vérification du courrier des services des installations à l'A.E.S.S.S. Je considère que la preuve que l'A.E.S.S.S. aurait perdu des cotisations syndicales n'a pas été effectuée. Depuis les incidents ayant mené au présent grief, le nombre de constables à l'emploi du service de sécurité du Sénat a augmenté de 19 employés, passant de 55 à 74 selon la preuve.

[63]     Je demeure saisi du dossier jusqu'au 1er septembre 2003 au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre la présente décision en application.

Léo-Paul Guindon,
commissaire

OTTAWA, 23 juin 2003

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