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Résumé :

Code canadien du travail, Partie II (Santé et sécurité au travail) - Refus de travailler - Article 133 du Code canadien du travail - Violation alléguée de l'alinéa 147c) du Code - Délai de prescription - le plaignant a exercé son droit de refuser de travailler conformément à la Partie II du Code canadien du travail (Code) - l'affaire a fait l'objet d'une enquête par un agent de santé et de sécurité qui a conclu, le 15 octobre 2001, qu'il n'y avait aucun danger dans l'environnement de travail du plaignant - l'employeur a demandé au plaignant de se soumettre à un " test d'aptitude au travail " à Santé Canada afin d'établir s'il était physiquement apte à continuer de travailler - Santé Canada a conclu, au terme de cette évaluation, que le plaignant n'était pas apte à travailler - en conséquence, le 18 octobre 2001, l'employeur a mis le plaignant en congé de maladie et, à compter du 17 novembre 2001, en congé non payé - le plaignant a déposé sa plainte, alléguant que les mesures prises par l'employeur à cet égard le 30 avril 2002 constituaient des représailles - l'employeur a fait valoir que la plainte avait été déposée en dehors des délais prescrits, puisque le délai de 90 jours prévu au Code était expiré au moment du dépôt - le plaignant a fait valoir que la plainte était de nature continue et qu'elle avait donc été déposée dans les délais prescrits - la Commission a conclu que, si l'employeur a mis le plaignant en congé non payé parce que ce dernier avait exercé son droit en vertu de la Partie II du Code en retirant ses services, cela pourrait constituer une violation du Code - si tel est le cas, il s'agirait d'une violation continue et la limite de quatre-vingt-dix jours ne serait qu'une mesure de redressement - toutefois, la Commission a déclaré qu'elle ne pouvait déterminer si les actions de l'employeur allaient à l'encontre de l'article 147 du Code qu'après la présentation de la preuve - en outre, le plaignant a établi qu'il avait déposé une demande de prestations auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) le 18 octobre 2001 - le 23 octobre 2001, l'employeur a accepté sa demande de prestations de la CSPAAT et a accordé au plaignant une avance de crédits de congé de maladie de 25 jours à l'appui de cette demande - le 7 février 2002, la CSPAAT a rejeté la demande de prestations du plaignant - le plaignant devait donc rembourser l'avance de 25 jours qui lui avait été accordée par l'employeur - le plaignant a allégué que le délai de 90 jours applicable au dépôt de sa plainte à la Commission devrait commencer à courir le 7 février 2002 - la Commission a conclu qu'il s'agissait d'une nouvelle question pour laquelle elle n'avait entendu aucune preuve - la Commission devait prendre connaissance de la preuve et des arguments des parties pour être en mesure de trancher cette question. Audience à poursuivre. Décision citée : Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan, [1979] 1 R.C.S. 902

Contenu de la décision



Partie II du Code canadien du travail

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  • Date:  2003-03-13
  • Dossier:  160-34-79
  • Référence:  2003 CRTFP 23

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

ROBERT BOIVIN
Plaignant

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
Employeur

AFFAIRE:  Plainte fondée sur l'article 133 du Code canadien du travail

Devant:  Joseph W. Potter, vice-président

Pour le plaignant:  Lui-même

Pour l'employeur:  Caroline Engmann, avocate; Joseph K. Cheng, avocat


Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
du 5 ay 7 novembre 2002.


[1]   La présente décision est une décision provisoire en vertu de laquelle l'employeur est d'avis que la plainte déposée par Robert Boivin est hors délai. En conséquence, l'employeur a jugé que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) n'a pas compétence pour instruire cette affaire.

[2]   M. Boivin occupe un poste de commis en technologie de l'information auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'employeur) classifié au niveau CR-04.

[3]   Le 30 avril 2002, M. Boivin a déposé une plainte auprès de la Commission en vertu de l'alinéa 147(c) de la Partie II du Code canadien du travail (le Code). Cet article du Code prévoit ce qui suit :

147. Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre -- ou menacer de prendre -- des mesures disciplinaires contre lui parce que :

...

(

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[4]   Le 24 mai 2002, l'employeur a répondu à la plainte de M. Boivin en affirmant notamment ce qui suit : [Traduction]

L'employeur maintient que la plainte est hors délai, puisqu'elle n'a pas été déposée dans le délai de quatre-vingt-dix jours prévu par l'article 133(2) du Code canadien du travail.

[5]   Le paragraphe 133(2) du Code prévoit ce qui suit :

133.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance - ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance - de l'acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

[6]   Une audience a été tenue du 5 au 7 novembre 2002, inclusivement, relativement à la plainte. L'employeur a de nouveau soulevé la question du respect des délais, mais j'ai remis à plus tard le prononcé de ma décision sur ce point et j'ai décidé d'entendre la plainte au fond. Étant donné que les parties n'ont pas pu terminer leur preuve, une suite était nécessaire. L'employeur a demandé que, provisoirement, les parties présentent des observations écrites concernant la question du respect des délais. M. Boivin n'a manifesté aucune objection à cette demande; par conséquent, le 15 novembre 2002, la Commission a écrit aux parties et leur a dit quand leurs observations écrites devaient être présentées. Selon ma décision sur la question du respect des délais, l'affaire prendrait fin ou serait ajournée.

[7]   Les parties ont présenté leurs observations écrites, tel que demandé, et elles ont été versées au dossier de la Commission.

[8]   Les faits essentiels qui ont mené à la plainte déposée par M. Boivin auprès de la Commission ne sont pas contestés, et ils peuvent être résumés comme suit.

[9]   Le 2 octobre 2001, M. Boivin a déposé une plainte auprès de son employeur en vertu de l'article 127.1 du Code. La plainte a allégué que l'employeur ne traitait pas certains griefs qui avaient été déposés par M. Boivin en temps opportun. Il a dit que ce manquement présumé nuisait à sa santé et lui causait du stress.

[10]   Voici ce que prévoit l'article 127.1 du Code :

127.1 (1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie -- à l'exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 --, l'employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l'existence d'une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l'occupation d'un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

[11]   À la suite du dépôt de la plainte du 2 octobre, la direction a rencontré M. Boivin le 9 octobre pour discuter de leurs inquiétudes, à la suite desquelles ils ont remis une lettre des " conditions de travail " à M. Boivin.

[12]   Selon l'observation écrite de l'employeur, [Traduction] " ... Cette lettre décrit les inquiétudes de la direction et précise certaines conditions de travail pour le plaignant qui suivront. " (alinéa 14).

[13]   Après avoir reçu cette lettre, M. Boivin a exercé un droit de refus de travailler en vertu de la Partie II du Code. L'affaire a fait l'objet d'une enquête par un agent de santé et de sécurité au Programme du travail qui a conclu qu'il n'y avait aucun danger dans l'environnement de travail de M. Boivin. Ce dernier a pris connaissance de ce règlement le 15 octobre 2001.

[14]   La direction a ensuite rencontré M. Boivin le 15 octobre 2001 et a demandé qu'il se soumette à un " test d'aptitude au travail " à Santé Canada afin d'établir s'il était physiquement apte à continuer de travailler. M. Boivin a accepté cette demande.

[15]   Le 15 octobre 2001, M. Boivin a écrit à l'employeur et a indiqué ce qui suit: [Traduction]

Je tiens à vous aviser que je dépose cette plainte en vertu du paragraphe 147(1) de la Partie II du Code canadien du travail.

...

Le mardi après-midi du 9 octobre 2001, une réunion s'est tenue pour discuter de l'élaboration de mon plan de travail...

...

D'après sa forme et sa nature, il ne fait aucun doute qu'il s'agit ici d'une mesure disciplinaire...

[16]   M. Boivin a envoyé une copie de cette lettre à l'agent de santé et de sécurité qui a mené l'enquête pour la plainte initiale. On a dit à M. Boivin que les allégations des mesures prises à son endroit en contravention de l'article 147 du Code doivent être faites à la Commission.

[17]   Le 16 octobre, M. Boivin s'est présenté aux bureaux de Santé Canada, et le jour suivant Santé Canada a informé l'employeur que " M. Boivin n'était pas apte à travailler en ce moment ".

[18]   L'employeur a informé M. Boivin de cette constatation et l'a mis en congé de maladie à compter du 18 octobre 2001. Ce congé s'est prolongé jusqu'au 17 novembre 2001 et après cette date, M. Boivin a été mis en congé non payé.

[19]   Le 30 avril 2002, M. Boivin a déposé sa plainte auprès de la Commission.

[20]   L'employeur soutient que M. Boivin disposait d'une période de quatre-vingt-dix jours pour déposer une plainte auprès de la Commission et que cette période débutait lorsque " ... le plaignant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte " (alinéa 41 de l'observation écrite de l'employeur).

[21]   Le 17 novembre 2001, l'employeur a mis M. Boivin en congé non payé. L'employeur soutient qu'il s'agit là de la dernière date à partir de laquelle le délai de quatre-vingt-dix jours débuterait. Par conséquent, la limite pour déposer la plainte est venue à échéance le 15 février 2002, selon l'observation de l'employeur (alinéa 66).

[22]   La plainte de M. Boivin a été déposée le 30 avril 2002, et l'employeur soutient qu'elle a été déposée hors délai, en vertu du paragraphe 133(2) du Code.

[23]   Dans sa réponse, M. Boivin suggère que le dépôt de sa plainte devrait être considéré comme constituant un grief continu. Aux alinéas 33 et 34 de la réponse de M. Boivin, ce dernier soutient ce qui suit : [Traduction]

[33]   La violation alléguée par le plaignant porte sur le manquement de l'employeur de verser une rémunération à l'égard de la période que j'aurais travaillée, sauf que j'ai émis une plainte en vertu du Code canadien du travail concernant les conditions de travail, et à la suite de cette plainte on m'a demandé de me soumettre à un test d'aptitude au travail qui m'a déclaré inapte au travail.

[34]   La toute première violation du Code s'est produite le 24 octobre 2001, lorsque l'employeur a omis de déposer la paye du plaignant par voie de dépôt direct à l'ADRC, selon la déclaration voulant que le plaignant soit inapte au travail. Cette violation s'est reproduite ultérieurement à chaque période de paye à la quinzaine jusqu'au 18 novembre 2002.

(Remarque : La citation ne comprend pas les notes de bas de page.)

[24]   L'employeur a répondu qu'il ne s'agissait pas d'une question continue, mais d'une décision unique rendue par l'employeur le 17 novembre 2001. À l'appui de cette proposition, l'employeur a cité une décision de la Cour suprême du Canada qui portait sur la question d'un préjudice continu (Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan, [1979]   1 R.C.S 902).

[25]   En outre, l'employeur soutient que [Traduction] " ... un dommage répétitif ne transformera pas un grief en grief continu. Ce qui doit plutôt être démontré est que la partie est en violation périodique d'une obligation. " (alinéa 58). Plusieurs décisions ont été citées par l'employeur pour appuyer cette position.

[26]   Est-ce une action continue de la part de l'employeur? Premièrement, je suis d'avis que la présente affaire peut être distinguée de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Upper Lakes Shipping (supra) d'une manière fondamentale. La décision de la Cour suprême du Canada portait sur une situation où [Traduction] " ... L'employeur intimé a congédié l'employé en 1964 ... " (alinéa 52 de l'observation de l'employeur). Chaque demande de réintégration présentée par l'employé a été assortie d'un refus, et l'employé a contesté en 1973. La Cour suprême a rejeté le fait qu'il puisse s'agir d'un préjudice continu.

[27]   À mon avis, l'employé dans l'affaire Upper Lakes Shipping a cessé d'être un employé après la date de congédiement. Par conséquent, la relation employé-employeur s'est rompue à ce moment-là; par conséquent, il n'est pas possible pour l'employeur de constamment violer les droits de l'employé. L'individu n'était tout simplement plus un employé.

[28]   En ce qui concerne M. Boivin, il est demeuré un employé, même si l'employeur l'a placé en congé non payé.

[29]   Dans l'ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration, troisième édition (Brown et Beatty) à la section 2:3128, les auteurs discutent de la question des délais, et des violations continues. En voici un aperçu : [Traduction]

Les violations continues constituent des manquements répétitifs de la convention collective plutôt qu'un manquement unique ou isolé. Elles peuvent se produire dans certaines circonstances notamment ... l'omission de payer une somme ... Quoi qu'il en soit, le test le plus fréquemment utilisé pour déterminer s'il y a présence d'une violation continue est celui qui est dérivé du droit en matière de contrat, à savoir qu'il doit y avoir un manquement répétitif au devoir, et non seulement des dommages répétitifs.

[30]   Dans la présente affaire, l'employeur a le devoir de se conformer à l'article 147 de la Partie II du Code canadien du travail, et M. Boivin soutient que l'employeur ne s'est pas conformé à cet article. Ce manquement, déclare M. Boivin, est lié au fait qu'il a été mis en congé non payé. M. Boivin déclare que chaque fois que son chèque de paye indiquait qu'il était en congé non payé cela constituait un manquement répétitif.

[31]   Je dois convenir que je suis d'accord avec cela. Si l'employeur a mis M. Boivin en congé non payé parce qu'il a exercé son droit en vertu de la Partie II du Code en retirant ses services, cela pourrait constituer une violation du Code. Si tel est le cas, à mon avis, il s'agit d'une violation continue et la limite de quatre-vingt-dix jours ne serait qu'une mesure de redressement.

[32]   Il n'est pas déterminé dans cette décision si les actions de l'employeur vont à l'encontre de l'article 147 du Code. La Commission ne peut déterminer cette question qu'après la présentation de la preuve.

[33]   M. Boivin a également soulevé une autre question dans sa réponse écrite. Aux alinéas 45 à 47 inclusivement, M. Boivin écrit : [Traduction]

[45]   Le 18 octobre 2001, le plaignant a fait une demande de prestations auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) par l'entremise de son médecin de famille. Le 23 octobre 2001, l'employeur a accepté sa demande de prestations de la CSPAAT et a accordé au plaignant une avance de crédits de congé de maladie de 25 jours à l'appui de cette demande.

[46]   La CSPAAT a refusé la demande de prestations du plaignant du 7 février 2002. Le plaignant doit maintenant rembourser l'avance de 25 jours qui lui avait été accordée le 23 octobre 2002. Aucune rémunération n'aura été versée au plaignant à compter du 22 octobre 2001.

[47]   Le plaignant soutient que le délai de quatre-vingt-dix jours pour le dépôt de sa plainte auprès de la Commission doit débuter le 7 février 2002; soit à la date où la CSPAAT a décidé qu'il n'avait pas droit aux prestations. Le Comité externe d'examen de la GRC (CEE), a décidé dans l'affaire

CEE 3300-97-008 (G-208) et CEE 3300-97-009 (G-210) que le délai débute seulement lorsque le membre est au courant que la décision lui cause un préjudice. Dans la présente cause, le plaignant avait une attente raisonnable de recevoir des prestations de la CSPAAT, et en l'absence de toute preuve contraire, le temps qui a été nécessaire pour rendre une décision suggère que l'affaire a été prudemment étudiée avant qu'une décision ne soit rendue. Le plaignant soutient qu'il n'a pris connaissance que la décision lui causait un préjudice quant à son inaptitude à travailler que le 7 février 2002 et que par conséquent sa plainte n'est pas hors délai.

(Remarque : La citation ne comprend pas les notes de bas de page.)

[34]   L'employeur a répondu le 30 janvier 2003 en s'opposant à l'introduction de cette date comme étant une date pertinente pour déterminer la question du respect du délai. L'avocat de l'employeur a déclaré qu'il s'agissait d'une nouvelle question. En outre, l'employeur soutient qu'il s'agissait d'une décision de la CSPAAT et non de l'employeur.

[35]   Il s'agit d'une nouvelle question pour laquelle je n'ai entendu aucune preuve. Cela étant dit, même si je faisais fausse route dans la décision qu'il s'agit d'une plainte continue, je déciderais tout de même qu'une audience devrait se dérouler pour permettre la présentation de cet aspect de la demande de M. Boivin.

[36]   À la lumière de ce qui précède, je demande au secrétaire adjoint, Opérations, de la Commission, de communiquer avec les parties en vue de s'entendre sur une date de continuation de l'audience de la présente affaire.

Le vice-président,
Joseph W. Potter

OTTAWA, le 13 mars 2003

Traduction de la C.R.T.F.P.

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