Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte fondée sur l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, alléguant violation du paragraphe 10(2) de la Loi - Devoir de représentation équitable - Discrimination - Compétence - Affaires internes du syndicat - Demande de révocation de l'accréditation fondée sur le paragraphe 43(1) de la Loi - Révocation d'accréditation - la plaignante, Mme Kilby, avait occupé des fonctions au sein du Syndicat de l'Emploi et de l'Immigration du Canada (SEIC), un élément de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) - les plaignantes avaient présenté une série de plaintes de harcèlement, de discrimination et d'abus de pouvoir contre le président national du SEIC - l'AFPC a constitué un comité d'examen indépendant et impartial qu'il a chargé de faire enquête sur la plainte - le comité a recommandé de suspendre le président national du SEIC pour une période d'au moins cinq ans - le Conseil national d'administration de l'AFPC a rejeté la recommandation - les plaignantes ont ensuite présenté au président national de l'AFPC une plainte de harcèlement et de discrimination à l'endroit du président national du SEIC - le président national de l'AFPC a jugé la plainte non fondée - les plaignantes ont fait valoir que le président national de l'AFPC avait enfreint les Statuts et le Règlement de l'AFPC ainsi que la politique de l'AFPC sur le harcèlement en refusant de mettre sur pied un comité d'enquête indépendant chargé d'examiner leur plainte - les plaignantes ont soutenu que, en l'occurrence, il y avait preuve de discrimination systémique - le défendeur a répondu que l'affaire avait trait à la régie interne du syndicat et que le paragraphe 10(2) de la Loi interdisait à la Commission d'instruire la plainte des plaignantes, puisque celle-ci n'avait pas trait à la représentation des plaignantes assurée par l'agent négociateur par rapport à leur emploi - la Commission a donné raison au défendeur et a refusé d'assumer compétence et d'instruire la plainte en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi - la Commission a en outre refusé d'assumer compétence pour instruire la demande fondée sur l'article 43 de la Loi en vue de faire révoquer l'accréditation de l'AFPC, puisque cet article n'avait pas pour objet le redressement d'actes de discrimination commis par des particuliers - la Commission, cependant, a signalé que la demande fondée sur l'article 43 de la Loi s'adressait à l'AFPC et au président national de l'AFPC, et non au SEIC - la Commission a fait remarquer que la seule preuve ayant trait à l'AFPC concernait le refus du Conseil national d'administration de l'AFPC de suivre la recommandation du comité d'examen indépendant et impartial et qu'il n'y avait aucune preuve indiquant que cette décision avait été motivée par des motifs illicites - la Commission a en outre fait remarquer que la seule preuve ayant trait spécifiquement au président national de l'AFPC concernait la façon dont il avait traité la plainte des plaignantes contre le président national du SEIC et qu'il n'y avait aucune preuve comme quoi cette plainte n'avait pas été traitée d'une manière approfondie et équitable ni que la façon dont le président national de l'AFPC avait traité cette affaire était entachée de discrimination ou de mauvaise foi - la Commission a refusé d'instruire l'affaire faute de compétence. Plainte et demande rejetées. Décisions citées : Tucci et Hindle (161-2-840); Le Syndicat des contrôleurs aériens du Québec (143-2-164); Regina v. Ontario Labour Relations Board, ex parte Trenton Construction Workers Association, Local 52 (1963), 39 D.L.R. (2d) 593.

Contenu de la décision

Dossiers : 161-2-808 150-2-44

Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE DIANE KILBY ET AUTRES plaignantes et requérantes et L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET DARYL BEAN

défendeurs AFFAIRE : Plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique alléguant une violation du paragraphe 10(2); demande fondée sur le paragraphe 43(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique alléguant une violation des interdictions énoncées au paragraphe 40(3)

Devant : P. Chodos, vice-président Pour les plaignantes : Timothy Wilson, stagiaire en droit Pour les défendeurs : Derek Dagger, avocat, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 2 et 3 février 1998.

DÉCISION La plainte fondée sur l'article 23 de la Loi (161-2-808) a été déposée le 9 août 1996. Juste avant qu'elle soit mise au rôle, le représentant des plaignantes a avisé la Commission qu'il avait l'intention de présenter une demande de révocation de l'accréditation de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) aux termes du paragraphe 43(2) de la Loi. (Il y a lieu de faire remarquer que la Commission a ordonné d'ouvrir un dossier (n o 150-2-44) pour la demande fondée sur le paragraphe 43(2). Dès le début de l'affaire, l'AFPC a soutenu que la Commission n'avait pas compétence pour trancher la plainte (voir, entre autres, la lettre de M. Georges Nadeau datée du 9 septembre 1996 et celle de M e Derek Dagger datée du 25 avril 1997). Lors de l'audience, M e Dagger, qui représente les défendeurs, a de nouveau fait valoir que la Commission n'avait pas compétence pour trancher la plainte fondée sur l'article 23 de la Loi, non plus que celle fondée sur le paragraphe 43(2) de la Loi. M e Dagger a soutenu que même si les allégations contre les plaignantes étaient fondées, elles ne contiennent rien qui permettrait à la Commission de se déclarer compétente aux termes de ces dispositions.

Le soussigné a décidé d'entendre la preuve et l'argumentation au sujet de la compétence, et de rendre une décision à cet égard avant d'instruire l'affaire sur le fond, le cas échéant. J'ai donc entendu le témoignage des deux plaignantes, M mes Diane Kilby et Lynn Jones; les défendeurs ont décidé de ne pas citer de témoin. M me Diane Kilby a commencé à travailler pour Développement des Ressources humaines Canada (DRHC) et son prédécesseur, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, en novembre 1972. Elle a pris sa retraite de la fonction publique fédérale le 26 novembre 1997. Au moment de son départ, elle faisait partie de l'unité de négociation du groupe PM et avait été très active au sein de l'Alliance de la Fonction publique du Canada; elle a occupé plusieurs postes, dont celui de vice-présidente nationale du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada (SEIC) en 1990; elle a été élue vice-présidente nationale suppléante (VPN suppléante) à la condition féminine, Canada central, et, de 1993 jusqu'à sa retraite, elle a été vice-présidente nationale de la région de l'administration centrale du SEIC. M m e Kilby représentait l'Élément aux réunions du comité consultatif mixte patronal-syndical aux échelons régional et national. De 1993 à 1997, elle était également présidente du Comité des droits de la personne et des relations interraciales (CDP/RI) du SEIC qui avait pour mandat de promouvoir l'égalité des droits au sein du syndicat et en milieu Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 2 de travail. De plus, M me Kilby était la représentante de l'AFPC au Groupe de travail du Congrès du travail du Canada sur les lesbiennes et les gays.

M m e Kilby a déclaré qu'à la suite d'une série de plaintes de harcèlement, de discrimination et d'abus de pouvoir contre M. Cres Pascucci, président national du SEIC, et d'autres dirigeants de cet Élément de l'AFPC, le Comité exécutif de l'Alliance a mis sur pied un comité d'examen indépendant et impartial composé de trois personnes dont le mandat était le suivant : [Traduction] Examiner tous les aspects de la réunion de l'exécutif national qui s'est tenue en novembre 1994, y compris la motion de non-confiance et les motifs de son adoption.

Examiner les cinq résolutions qui contiennent des allégations de violations des règlements du SEIC et des Statuts de l'AFPC.

Examiner les événements survenus à la réunion de l'exécutif national le 15 mai 1995.

Examiner toute autre question qui sera portée à l'attention du comité concernant l'incapacité de l'exécutif national du SEIC de fonctionner de façon efficace et efficiente.

À l'issue de l'examen, le comité a tiré un certain nombre de conclusions, dont les suivantes :

(page 4, pièce C-3) [Traduction] Des femmes (et des hommes) au sein de l'exécutif national ont indiqué craindre physiquement et psychologiquement le président.

La grande majorité des membres de l'exécutif national affirme que le président encourage les remarques sexistes et racistes. Des exemples de situations les auteurs de ce genre de remarques n'ont pas été rappelés à l'ordre lors de réunions et d'appels conférences des VPN ont été fournis.

Le président fait du tort aux VPN à la condition féminine en limitant leur rôle, en approuvant la suppression de ces

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Décision Page 3 postes et en votant contre des propositions en vue d'accorder des ressources suffisantes aux VPN à la condition féminine.

[...] (page 6) [...]  2.  Nos conclusions révèlent que la personne essentiellement responsable du dysfonctionnement est le président national. Nous croyons qu'il a abusé de son autorité, qu'il est antidémocratique, qu'il s'est servi du pouvoir que lui confère son poste pour s'assurer des appuis, qu'il a empoisonné les relations à l'intérieur de l'Élément au point celui-ci ne peut plus fonctionner. Nous croyons que s'il demeure à la tête de l'exécutif national, l'instabilité ne fera que s'aggraver. Nous ne le croyons pas capable d'instaurer un bon climat de travail au sein de l'exécutif national pour les raisons suivantes [...]

[...] Le comité a recommandé, notamment, que [traduction] « le CEA (Comité exécutif de l'Alliance) demande au Conseil national d'administration de suspendre le président national du SEIC pour une période d'au moins cinq ans. »

Sur réception du rapport du comité de l'examen, le Comité exécutif de l'Alliance a présenté une résolution au Conseil national d'administration (CNA) proposant que [traduction] « M. Cres Pascucci soit suspendu pendant cinq (5) ans pour avoir enfreint les Statuts et règlements du SEIC et les Statuts de l'AFPC, ainsi que pour harcèlement, intimidation et abus de pouvoir; [...] » (pièce C-5).

Le pouvoir du Conseil national d'administration d'imposer des mesures disciplinaires à un dirigeant ou une dirigeante de l'Alliance est énoncé à l'article 25, paragraphe (1) des Statuts de l'Alliance de la Fonction publique du Canada :

(pièce C-2) Le Conseil national d'administration a le pouvoir, en vertu d'une résolution adoptée par une majorité des deux tiers (2/3) des membres habiles à voter, de suspendre ou de priver de son statut de membre un dirigeant ou une dirigeante national-e, un Élément ou une section locale, un Conseil

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Décision Page 4 régional ou n'importe quel de leurs dirigeant-e-s ou membres, pour infraction aux Statuts de l'Alliance ou aux règlements d'un Élément ou d'une section ou pour un des motifs énoncés au paragraphe 5 du présent article. Le dirigeant ou la dirigeante ou le membre suspendu ou privé de son statut de membre peut être destitué pour une période ne dépassant pas cinq ans. Toute personne suspendue ou privée de son statut doit remettre à l'Alliance tous les dossiers, documents, fonds ou biens qu'elle détient en fiducie au nom de l'Alliance, d'un Élément, d'une section locale ou d'un Conseil régional.

Cette résolution n'aurait pas été adopté, semble-t-il, par le conseil d'administration. M. Pascucci continue donc d'occuper le poste de président national de l'Élément. M m e Kilby a fait remarquer que le Conseil national d'administration est composé de dix-huit (18) présidents d'Éléments et de huit (8) vice-présidents régionaux. En vertu des Statuts de l'Alliance, le congrès triennal est l'autorité suprême; toutefois, entre les congrès, le Conseil national d'administration assume ce rôle; il délègue les responsabilités relatives au fonctionnement quotidien de l'AFPC au Comité exécutif national, lequel, en 1995, était composé du président national, M. Daryl Bean; d'une première vice-présidente, M me Nycole Turmel; d'une deuxième vice-présidente, M me Susan Giampietri; d'un troisième vice-président, M. John Baglow et de M me Joane Hurens, vice-présidente exécutive (Québec). Selon M me Kilby, le processus à l'issue duquel la suspension de M. Pascucci a été annulée était discriminatoire en soi vu que la personne accusée de harcèlement, soit M. Pascucci, a été jugée par ses pairs.

M me Kilby a fait remarquer que les membres du Comité des droits de la personne et des relations interraciales (CDP/RI) ont présenté une plainte de harcèlement et de discrimination datée du 28 janvier 1996, étayée de certains documents, à M. Daryl Bean (pièce C-6). La plainte précisait que le CDP/RI avait été chargé d'organiser une conférence sur les droits de la personne et que, durant les préparatifs de la conférence, M. Pascucci aurait avisé les membres de la section locale 434 du SEIC, au moyen d'un avis envoyé à leur lieu de travail, qu'ils ne devaient pas tenir compte des communications du comité.

En réponse à la plainte, M me Kilby a reçu une lettre signée par M. Bean et datée du 19 février 1996, rédigée dans les termes suivants :

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Décision Page 5 (pièce C-7) [Traduction] J'ai examiné les documents présentés par le Comité des droits de la personne et des relations interraciales du SEIC ainsi que la correspondance envoyée par des membres du SEIC. Lors de l'examen de la plainte, j'ai tenu compte de la définition du terme harcèlement tel qu'elle apparaît dans la Déclaration de principes et la procédure de plaintes de l'AFPC adoptée lors de la réunion de janvier 1993 du CNA. J'ai aussi demandé à une autre personne (que je ne nommerai pas) d'examiner la plainte en même temps que moi et de me dire ce qu'elle en pensait sans me consulter.

À la suite d'un examen en profondeur de la plainte, nous avons tous les deux conclu, chacun de notre côté, qu'il n'y avait aucune preuve de harcèlement à première vue. Tout en convenant tous les deux que la question aurait être traitée de façon plus professionnelle, nous ne voyons pas en quoi il y aurait eu harcèlement.

À mon avis, il s'agit d'un problème continu de communication et de style de leadership ne favorisant pas la cohésion parmi les membres. Une démarche professionnelle visant à régler les difficultés aurait pu permettre d'éviter ces conflits.

Par conséquent, je dois rejeter la plainte de harcèlement. Cependant, j'espère sincèrement que les problèmes seront réglés de façon professionnelle et constructive à l'avenir.

M me Kilby a déclaré que, à son avis, le refus de M. Bean de mettre sur pied un comité d'enquête indépendant avant de rejeter la plainte était contraire à la Déclaration de principes de l'AFPC sur le harcèlement ainsi qu'au Règlement 19, paragraphe 9 des Statuts, lequel prévoit la création d'un comité composé de trois membre du Conseil national d'administration pour faire enquête sur toute accusation.

M me Kilby a maintenu qu'il est déjà arrivé que des plaintes de harcèlement et de discrimination ne soient pas traitées suivant les procédures définies dans les Statuts et les Règlements de l'Alliance. Elle a fait référence à une plainte de harcèlement et de discrimination déposée par une dénommée Zelda Lucas contre M. Alan MacKinnon qui, à l'époque, était vice-président national (Nouvelle-Écosse); cette plainte a été envoyée à M. Pascucci qui n'y a pas donné suite contrairement aux dispositions du

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Décision Page 6 Règlement 19. M m e Kilby a aussi mentionné certains incidents concernant une des plaignantes en l'instance, soit M m e Lynn Jones; ces incidents ont été décrits lors du témoignage de M m e Lynn Jones et sont rapportés plus en détails ci-après. M me Kilby a aussi fait référence à d'autres incidents mettant en cause M. Pascucci et d'autres membres de l'exécutif national du SEIC, qui sont décrits à la pièce C-4, les observations de M me Kilby devant le comité d'examen indépendant. En outre, M me Kilby a décrit comment M. Pascucci avait nui à son travail à titre de présidente du Comité des droits de la personne et plus particulièrement, l'avait empêchée de bien représenter un (une) fonctionnaire relativement à un problème de racisme et de discrimination au travail. Au cours de ses démarches dans ce dossier, elle a été informée par le ministère qu'elle n'était plus considérée comme la représentante syndicale; elle a répondu que la question de la représentation syndicale était une affaire interne concernant le syndicat, ce à quoi on lui a répondu que M. Pascucci avait dit au ministère qu'elle ne siégeait plus au comité en question. Le ministère a donc cessé de lui envoyer la correspondance, ce qui a retardé le règlement du grief, lequel, finalement, a été accueilli.

M m e Kilby a reconnu la pièce C-8, une lettre de M. Scott Serson, datée du 28 mai 1995, qui acquiesce à la demande de M. Pascucci d'accorder un congé partiellement payé à des dirigeants syndicaux, y compris les plaignantes. M me Kilby a maintenu que cela démontre que l'employeur est intervenu dans les questions en litige.

Au cours du contre-interrogatoire, M me Kilby a reconnu la pièce R-1, un document sur les droits de la personne intitulé « DÉCLARATION DE PRINCIPES DE L'AFPC 27 ». Elle a admis que les déclarations de principes sont adoptées par voie de scrutin par les membres lors du Congrès triennal ou par le Conseil national d'administration. Elle a aussi reconnu la pièce R-2 intitulée « SYNDICAT DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION CANADA, SES OBJECTIFS, SES PRINCIPES ET SES VALEURS », un document qui a été adopté lors d'un congrès du SEIC. Elle a convenu que ces deux documents parlent de l'engagement de l'AFPC en matière de droits de la personne et de lutte contre la discrimination. Elle a fait remarquer que toute ces déclarations de principes sont importantes, mais que leur mise en œuvre l'est tout autant; elle a convenu que les déclarations de principes sont respectées en partie. Lors du

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Décision Page 7 réinterrogatoire, M m e Kilby a affirmé que malgré les progrès réalisés par l'Alliance de la Fonction publique du Canada en ce qui a trait aux questions touchant les minorités, il y a des distinctions injustes au sein de l'Alliance même.

M me Lynn Jones a aussi témoigné au nom des plaignantes. Elle habite à Halifax et travaille à la fonction publique fédérale depuis 1979. Elle occupe présentement un poste de consultante en équité en matière d'emploi et elle est chargée d'un projet visant à favoriser l'avancement des noirs et des autochtones. Elle s'intéresse activement aux questions syndicales depuis bon nombre d'années et a occupé plusieurs postes aux échelons local, régional et national de l'AFPC; elle a fait partie du comité régional des femmes; elle a également siégé au comité de lutte contre le racisme et, à l'échelon national, elle siège au Comité national d'accès à l'égalité.

M me Jones a témoigné au sujet de la composition du Comité d'accès à l'égalité; elle a fait remarquer qu'initialement le comité était composé de représentantes de chacun des 18 Éléments de l'AFPC. Toutefois, aucune d'elles ne provenait des groupes minoritaires, c'est-à-dire qu'au moment de sa création, le comité était essentiellement composé de femmes blanches en pleine possession de leurs moyens; il n'y avait pas d'autochtones, pas de personnes de couleur ni de personnes handicapées. Le conseil d'administration avait refusé d'en changer la composition pour qu'il y ait plus de diversité. Actuellement, les huit représentantes de l'accès à l'égalité qui siègent au comité pour représenter les groupes minoritaires sont choisies par le Comité exécutif de l'Alliance, elles ne sont pas élues.

M me Jones a aussi indiqué qu'elle représentait l'AFPC au Congrès du travail du Canada à titre de vice-présidente générale. Elle a fait remarquer que le CTC a établi un groupe de travail réunissant des membres des minorités visibles et qu'elle en fait partie. Le groupe de travail a publié un rapport (pièce C-9) intitulé : « Combattre le racisme : aller au-delà des recommandations ». L'Alliance de la Fonction publique du Canada et le comité des femmes de l'AFPC à Halifax ont présenté des mémoires au groupe de travail; dans son mémoire, le comité des femmes abordait le problème du racisme au sein de l'AFPC et proposait des solutions pour enrayer la discrimination. Selon M me Jones, les mémoires reconnaissent qu'il y a discrimination systémique au sein de l'Alliance.

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Décision Page 8 M me Jones a aussi indiqué qu'elle a assisté à la conférence des femmes organisée par le SEIC à Ottawa en 1993. Parmi la centaine de déléguées, il n'y avait qu'une autre personne de couleur à part elle; elle a proposé qu'on fasse une plus grande place aux minorités visibles, proposition qui a été adoptée. Elle a présenté une résolution semblable à la conférence nationale de l'AFPC; elle a précisé qu'il existe présentement une disposition prévoyant la participation de représentantes des minorités visibles à la Conférence des femmes de l'AFPC.

M me Jones a aussi fait référence à une téléconférence du SEIC au cours de laquelle M. George, le vice-président régional, a affirmé : « Pour qui me prenez-vous, un nègre de l'Atlantique? » Personne n'a relevé le commentaire, a-t-elle affirmé; lorsqu'elle a soulevé une question de privilège en faisant valoir que c'était un commentaire carrément raciste, on s'est contenté de dire à M. George de ne pas recommencer; bien qu'elle ait déclaré que ce n'était pas suffisant, la réunion s'est poursuivie. Lors de la réunion suivante de l'exécutif national du SEIC, tenue le 26 mars 1991, M me Jones a mentionné cet incident et a proposé plusieurs résolutions pour enrayer le racisme (pièce C-10); aucune d'elles n'a été adoptée.

M me Jones a aussi décrit certains événements qui se sont produits à la conférence du SEIC qui s'est tenue à Halifax les 25 et 26 mai 1995. Elle a proposé qu'un certain M. Carvey, un des dirigeants d'une manifestation concernant Africville, une banlieue de la région de Halifax, soit invité à s'adresser aux délégués. Lors de cette même conférence, il y avait aussi à l'ordre du jour une motion de non-confiance contre M. Pascucci. Quand M. Carvey a été invité à prendre la parole, une certaine M me Pat Phee, d'origine afro-canadienne, a soulevé une objection en faisant valoir qu'il fallait d'abord régler la question du vote de non-confiance. M m e Jones, qui présidait cette partie de la conférence, a rejeté l'objection. Subséquemment, une certaine M me Rachel Henry, également d'origine afro-canadienne, et aussi membre du Comité de lutte contre le racisme du SEIC, a écrit à M. Pascucci le 7 juin 1995 (pièce C-12) pour accuser M me Jones d'avoir enfreint plusieurs dispositions des Statuts et règlements du SEIC. En réponse à cette plainte, M. Pascucci, sans être dûment autorisé à le faire, a entrepris des démarches en vue de constituer un comité pour faire enquête. M me Jones a fait remarquer que ces démarches étaient motivées par une attitude raciste; elle a indiqué que l'incident en question faisait partie des allégations contre M. Pascucci qui ont été examinées par le comité d'examen (pièce C-3). Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision M me Jones a aussi souligné le fait que lorsque M M. Alan MacKinnon, un vice-président du SEIC, à M. Pascucci, ce dernier a demandé à M. MacKinnon ce qu'il pensait des allégations de M fournie par M. MacKinnon, M. Pascucci a décidé qu'il n'y avait pas lieu de constituer un comité d'enquête. M me Jones a comparé cette situation à sa propre expérience quand M. Pascucci avait décidé de constituer un comité d'enquête sur-le-champ.

M m e Jones a mentionné les circonstances entourant le choix des membres du comité des relations interraciales. Ils étaient choisis par M. Pascucci, jusqu'à ce que se tiennent les conférences sur les droits de la personne; lors de la première conférence, les participants ont décidé à l'unanimité d'élire leurs propres représentants au comité des droits de la personne; la motion a été dûment adoptée par l'exécutif national du SEIC; toutefois, au congrès du SEIC, M. Pascucci a décidé qu'il continuerait de choisir lui-même les membres du comité des droits de la personne. Cette décision a été contestée par le comité de l'exécutif national qui a révoqué la nomination des membres choisis par M. Pascucci et a déclaré qu'ils devaient être élus. M m e Jones a aussi fait remarquer que le comité des droits de la personne était retardé dans ses travaux parce que l'exécutif national prenait du temps à donner suite aux décisions prises lors des réunions du comité. Elle a aussi déclaré qu'elle avait refusé d'entériner la convention collective conclue entre le SEIC et le personnel du syndicat en 1996 parce que la convention ne renfermait pas de plan d'équité même si un tel plan avait été adopté à l'issue du dernier congrès.

Lors du contre-interrogatoire, M me Jones a reconnu la pièce R-3, le livret des Statuts, des règlements et des politiques du SEIC daté du 10 décembre 1997. Elle a aussi reconnu la pièce R-4, un document de l'Alliance de la Fonction publique du Canada intitulé : « DÉCLARATIONS DE PRINCIPES ET LES RÉSOLUTIONS EN INSTANCE, 1995 ».

Argumentation Le représentant des plaignantes présente des observations écrites et orales. Voici un extrait des observations écrites et un résumé des observations orales. [Traduction] Déclaration sommaire sur la compétence Commission des relations de travail dans la fonction publique

Page 9 m e Zelda Lucas s'est plainte de me Lucas; satisfait de l'explication

Décision Page 10 La Commission des relations de travail dans la fonction publique a toujours considéré que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne lui conférait pas le pouvoir d'intervenir dans les affaires internes d'une association d'employés.

Selon l'interprétation de la Commission, le pouvoir qu'a celle-ci de veiller à la représentation équitable ne s'applique qu'aux rapports entre l'employé et l'employeur (habituellement dans le contexte de griefs). La Commission n'a jamais interprété son pouvoir comme signifiant qu'elle pouvait se prononcer sur les rapports entre les membres eux-mêmes. Dans l'affaire Hibbard c. AFPC (161-2-136, 21 mai 1976), la Commission a déclaré :

La Commission n'a pas ce pouvoir en vertu de l'alinéa 8(2)c)(i). Elle s'occupe uniquement des droits des employés. Les droits des membres ne concernent que les membres et l'association d'employés, et sont régis par les statuts et règlements de cette association. Les plaintes que M. Hibbard a portées contre les dirigeants de l'AFPC sont des questions de régie interne qui doivent être réglées ailleurs. (QL, 11)

Dans l'affaire St-James c. SEIC et Cres Pascucci (100-1, le 31 mars 1992), la Commission a également affirmé :

Il est généralement reconnu qu'une commission de relations de travail, du moins en l'absence de dispositions précises dans sa loi habilitante, n'a pas le pouvoir de contrôler ou de régir les affaires internes d'un agent négociateur. (QL, 11-12)

Dans la même décision, la Commission cite l'ouvrage Canadian Labour Law (1985), qui énumère les questions sur lesquelles les commissions des relations du travail ont refusé de statuer. Il y a lieu de faire remarquer que la discrimination n'apparaît pas dans la liste.

Le critère d'intervention énoncé dans l'affaire St-James est le suivant :

[…] à moins que les mesures de l'agent négociateur ne touchent les relations employeurs-employés, la Commission ne peut intervenir. (QL, 4)

Il semble que même la discrimination ne suffit pas pour justifier l'intervention de la Commission. Comme on peut le lire dans l'affaire Martel c. AFPC (161-2-669 à 671, 27 octobre 1993) :

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 11 Il se peut très bien que M. Martel ait été traité de façon discriminatoire, biaisée, abusive, capricieuse et arbitraire par M. Flinn, le SEIC et l'AFPC mais la Commission n'a pas compétence pour s'immiscer dans les affaires internes de l'agent négociateur. Il a été reconnu par la jurisprudence que la Commission des relations de travail dans la fonction publique n'a pas le pouvoir de contrôler et de régir les affaires internes d'un syndicat lorsque la loi ne prévoit aucune disposition précise lui donnant compétence de décider de telles questions. (QL, 73-74)

Il semble toutefois y avoir des limites à la déférence témoignée par la Commission aux affaires internes d'un syndicat. Dans l'affaires Jacques c. AFPC (161-2-731, 20 avril 1995), la Commission a déclaré, en parlant du devoir de représentation juste aux termes du paragraphe 10(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, que :

Les décisions ne peuvent non plus être motivées par une distinction inappropriée fondée par exemple sur la race, le sexe, les croyances politiques ou religieuses. Enfin, les décisions de l'organisation syndicale ne peuvent chercher à nuire ou s'attaquer à un membre faute de quoi elles seront qualifiées d'avoir été prises de mauvaise foi. (QL, 49-50)

Se pose alors la question de la distinction à faire entre discrimination appropriée et discrimination inappropriée. Dans la prochaine décision qui sera citée, nous verrons que cette expression a été remplacée par les termes plus explicites « distinction inappropriée ».

Dans l'affaire Begley c. AFPC (161-2-759, 4 juillet 1995), la thèse de l'interdiction de nuire ou de s'attaquer aux membres a de nouveau été invoquée :

Les décisions d'un syndicat relativement à la représentation juste ne peuvent non plus être motivées par des distinctions inappropriées fondées par exemple sur la race, le sexe, les croyances politiques ou religieuses ou sur tout autre motif interdisant la discrimination. Enfin, les décisions ne peuvent être prises de manière arbitraire ou de mauvaise foi, c'est-à-dire qu'elles ne doivent pas chercher à nuire ou à s'attaquer à un membre de l'unité de négociation. (QL, 32)

Enfin, dans l'affaire Tucci c. Hindle (161-2-840, 29 décembre 1997), la Commission a affirmé en parlant du devoir de représentation juste :

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 12 Je conviens avec le plaignant que la Commission peut examiner ce genre de décision d’un agent négociateur lorsque, effectivement, elle constitue un déni du droit de représentation qui est arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Toutefois, des conclusions de ce genre sont très graves et elles ne peuvent pas être tirées à la légère. (QL, 37-38)

Les plaignantes, en exhortant la Commission à se déclarer compétente en l'espèce, désirent réitérer les points suivants :

elles se présentent devant la Commission à la fois comme membres d'un syndicat et comme fonctionnaires étant donné qu'une partie de leur congé pour activités syndicales a été payée par le gouvernement;

elle ont été des représentantes syndicales; elles ont épuisé toutes les possibilités internes de redressement;

elles se sont renseignées au sujet de la possibilité de déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, mais elles ont été informées verbalement que la Commission n'accepterait pas une plainte collective;

elles soutiennent que la décision de la Commission dans l'affaire Yarrow c. le Conseil du Trésor (Agriculture et Agro-alimentaire Canada) (166-2-25034, 5 février 1996) confirme que la procédure de plaintes de la Commission canadienne des droits de la personne ne constitue pas un « redressement »;

la Commission a compétence et a, par le passé, tenu compte de décisions fondés sur la représentation;

par ses décisions, l'AFPC a nui et s'est attaqué aux plaignantes, et elle ne devrait pas être à l'abri d'un examen par la Commission;

la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique confère à la Commission le pouvoir particulier d'examiner les plaintes de discrimination formulées contre une organisation syndicale ou un agent négociateur.

M. Wilson fait également remarquer que le paragraphe 10(2) de la Loi a été promulgué en juin 1993, par conséquent, la jurisprudence antérieure à 1993, qui

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Décision Page 13 traite du devoir de représentation juste en common law, est moins pertinente. Il soutient également que la disposition en question autorise la Commission à s'immiscer dans les affaires internes du syndicat qui a agi de manière discriminatoire envers ses membres. Il fait valoir qu'il y a preuve, en l'espèce, de discrimination systémique de la part de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, et que la Commission se doit d'intervenir.

En ce qui concerne la demande fondée sur le paragraphe 43(2) de la Loi, M. Wilson affirme que cette disposition a toujours signifié qu'il était interdit à une organisation syndicale d'établir des distinctions injustes entre certains groupes, par exemple entre des employés à temps partiel et des employés à temps plein. Par exemple, dans l'affaire Montreuil (161-2-135), la Commission a conclu que le Syndicat des postiers du Canada avait un devoir de représentation juste à l'égard des employés occasionnels et qu'il lui était interdit de faire des distinctions injustes envers ce groupe d'employés. M. Wilson soutient que les dispositions du paragraphe 43(2) interdisent toutes formes de discrimination. Ces dispositions indiquent clairement que la discrimination est une question extrêmement grave à l'égard de laquelle il doit exister un redressement. Le représentant des requérantes fait valoir qu'il y a des preuves de discrimination au sein de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, tant manifeste que systémique, entre autres, le témoignage de M me Jones concernant la réunion par téléconférence au cours de laquelle le terme « nègre » a été employé; on n'a rien fait en dépit de ses objections. Il fait remarquer que la personne qui a utilisé ce langage dans ce cas-là était un vice-président national du SEIC. Il y a eu un autre incident impliquant M. Alan MacKinnon, également un vice-président national; dans les deux cas, ni M. Pascucci, le président de l'Élément, ni M. Bean, le président national, n'ont donné suite aux plaintes. M. Wilson soutient que le fait que le Conseil d'administration national a refusé d'adopter la résolution demandant une suspension confirme qu'il y a discrimination systémique à l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

L'avocat des défendeurs soutient que la portée du paragraphe 40(3) est très restreinte; si le législateur avait voulu qu'un petit groupe de membres puisse demander la révocation de l'accréditation d'un syndicat, il aurait employé un libellé très clair à cet effet. Il fait remarquer que les syndicats sont comme de nombreuses autres organisations; ils se battent contre le fléau du sectarisme, comme l'indiquent Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 14 les pièces R-1 à R-4; toutefois, malgré les meilleures intentions du monde, il est inévitable qu'il se présente des cas de préjugés et de sectarisme au sein d'une organisation de la taille de l'Alliance de la Fonction publique du Canada; le syndicat ne devrait pas être tenu à la perfection. L'Alliance est déterminée à combattre le racisme et les préjugés, mais il s'agit de question de régie interne du syndicat et, partant, de questions qui ne sont pas du ressort de la Commission aux termes du paragraphe 10(2) ou du paragraphe 43(2). L'avocat soutient que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne confère pas aux plaignantes le pouvoir de mener une « politique de la terre brûlée » parce qu'il peut y avoir du racisme dans les rangs du syndicat. Le redressement approprié pour les plaignantes ne peut donc pas être obtenu auprès de la présente Commission mais auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

Décision Les plaignantes ont présenté leurs requêtes aux termes des paragraphes 10(2) et 43(2) de la Loi. Ces dispositions sont les suivantes : 10. (2) Il est interdit à l'organisation syndicale, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation des fonctionnaires qui font partie de l'unité dont elle est l'agent négociateur.

43. (2) La Commission révoque l'accréditation de l'agent négociateur dans les cas où, en réponse à une demande à cet effet de l'employeur ou d'un fonctionnaire, elle décide que l'accréditation n'aurait pas pu être accordée en raison d'un motif énoncé à l'article 40.

Le paragraphe 40(3) de la Loi est également pertinent : 40. (3) La Commission n'accorde pas l'accréditation à une organisation syndicale qui fait des distinctions injustes à l'égard d'un fonctionnaire en raison du sexe, de la race, de l'origine nationale, de la couleur ou de la religion.

En ce qui concerne la plainte fondée sur le paragraphe 10(2), il saute aux yeux que la Commission n'a pas compétence pour régler ce différend aux termes de cette disposition. Le représentant des plaignantes a reconnu qu'il n'existe au mieux qu'un lien très ténu entre les plaintes et les relations des plaignantes avec l'employeur. En

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Décision Page 15 fait, il est clair comme de l'eau de roche que la plainte concerne exclusivement les relations des plaignantes avec l'agent négociateur et ses dirigeants; elle n'a rien à voir avec la représentation de l'organisation syndicale au nom des plaignantes face à l'employeur.

Comme M. Wilson l'a franchement fait remarquer dans ses observations écrites, la Commission a toujours conclu que sa compétence aux termes de l'article 10 ne s'étendait pas à la réglementation ou à la surveillance des affaires internes d'une organisation syndicale. Voir, entre autres, la décision rendue dans l'affaire Tucci et Hindle (précitée, datée du 29 décembre 1997) que la Commission vient encore très récemment de confirmer. Le point de vue de la Commission concernant la portée de la disposition sur la représentation juste n'est pas différente en fait de celui d'autres commissions des relations de travail dans les autres provinces ou territoires au Canada pareilles dispositions existent. Ainsi, dans l'ouvrage Canadian Labour Law (2 e éd.), Canada Law Book, (1993), l'ancien juge George Adams fait l'observation suivante :

(paragraphe 13.210) [Traduction] Les commissions des relations de travail ont clairement indiqué que le devoir de représentation juste prévu par la loi ne s’appliquait pas aux affaires internes des syndicats. Il ne s’applique qu’à la représentation des membres du syndicat du point de vue de leurs relations avec l’employeur. C’est pourquoi les commissions de relations de travail refusent de statuer sur : la tenue des votes de ratification; la suspension de membres par les syndicats, l’interdiction aux non-membres de voter sur des questions contractuelles pendant les négociations collectives; les procédures d’appel des syndicats concernant la décision de donner ou non suite à un grief; les procédures prévues par les statuts d’un syndicat à l’égard des élections; le droit d’un membre de se porter candidat à un poste de délégué syndical; les méthodes utilisées pour choisir les délégués qui participent aux congrès des syndicats et les dérogations éventuelles d’un syndicat à son propre règlement; le retrait qu'on soutient injustifié d’un plaignant d’un poste syndical ou son exclusion du syndicat dans les cas il était clair qu’il ne faisait pas partie de l’unité de négociation; les méthodes employées par un bureau d'embauchage syndical pour choisir des ouvriers de relève lorsqu'il ne reste plus de syndiqués disponibles; et la

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Décision Page 16 présumée omission d’un syndicat d’offrir un régime de retraite convenable.

Selon le représentant des plaignantes, la présente Commission devrait se déclarer compétente relativement aux affaires internes du syndicat en ce qui concerne les questions de discrimination et de droits de la personne. Il est toutefois évident que ce serait outrepasser la portée du paragraphe 10(2) et que cela serait contraire à la jurisprudence abondante établie depuis longtemps sur la question. Par conséquent, je dois conclure que la Commission n'a pas compétence aux termes de cette disposition pour statuer sur les questions soulevées par les plaignantes.

En ce qui concerne la demande fondée sur le paragraphe 43(2), je tiens d'abord à faire remarquer qu'en l'espèce l'« organisation syndicale » et l'« agent négociateur » (le terme employé dans ce paragraphe) n'est pas le SEIC, mais bien l'Alliance de la Fonction publique du Canada elle-même. Les plaignantes ont effectivement reconnu cette distinction en nommant l'AFPC et son président, M. Daryl Bean, comme défendeurs et non l'Élément ou son président, M. Cres Pascucci. Toutefois, la preuve démontre que leurs plaintes visent essentiellement la direction du SEIC, et M. Pascucci en particulier. En effet, l'unique preuve il est précisément question d'actions ou d'omissions de la part de l'Alliance en tant que telle est la lettre de M. Bean à M me Kilby datée du 19 février 1996, soit la pièce C-7, et la décision du Conseil national d'administration de ne pas suspendre M. Pascucci, malgré la recommandation du Comité exécutif national de l'Alliance. Quant à la pièce C-7, il y a lieu de souligner que M. Bean a simplement affirmé dans sa lettre que : [...] À la suite d'un examen en profondeur de la plainte, nous avons tous les deux conclu, chacun de notre côté, qu'il n'y avait aucune preuve de harcèlement à première vue. Tout en convenant tous les deux que la question aurait être traitée de façon plus professionnelle, nous ne voyons pas en quoi il y aurait eu harcèlement.

[...] Bien que M m e Kilby fût assurément déçue et insatisfaite de cette conclusion, il n'y a rien qui indique que la plainte n'a pas été examinée à fond de manière équitable, ou que le règlement de l'affaire par M. Bean ait été entaché de quelque façon de

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Décision Page 17 discrimination ou de mauvaise foi. En ce qui a trait à la décision du Conseil national d'administration de ne pas suspendre M. Pascucci, à mon avis il serait injuste d'accuser de façon générale l'Alliance de la Fonction publique du Canada de discrimination systémique à cause de cette décision. Il serait entièrement injustifié de conclure que le vote contre la suspension de M. Pascucci sanctionnait des pratiques discriminatoires. Il peut y avoir une foule de raisons pour lesquelles le Conseil national d'administration a voté comme il l'a fait; il n'existe absolument aucune preuve que la décision de ne pas suspendre M. Pascucci ait été motivée par le sectarisme, le racisme, le sexisme ou quelque chose d'illicite.

La preuve même des plaignantes démontre clairement que l'Alliance est fort consciente de la nécessité de promouvoir l'égalité et l'équité ainsi que de créer un climat dénué de discrimination dans ses propres rangs. Sans la collaboration et le soutien d'au moins certaines personnes occupant des postes de direction au sein de l'Alliance, il est peu probable qu'il y aurait un Comité national d'accès à l'égalité, de même qu'une conférence sur les droits de la personne ou un comité des relations interraciales, pour ne rien dire des Statuts de l'Alliance, eux-mêmes, qui précisent notamment :

(pièce C-2) Article 5 DROITS DES MEMBRES Chaque membre en règle a le droit : (a) d'être représenté par le syndicat; (b) d'être protégé contre toute action ou omission de la part du syndicat ou d'autres membres, qui constituerait à son égard une discrimination fondée sur l'âge, le sexe, la couleur, l'origine nationale ou ethnique, la race, la religion, l'état civil, les antécédents judiciaires, les handicaps physiques ou mentaux, l'orientation sexuelle, la langue ou l'idéologie politique, ou l'employeur;

(c) d'être protégé contre tout harcèlement de la part d'un autre membre, à l'intérieur du syndicat ou sur les lieux

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Décision Page 18 du travail, qui serait fondé sur une des considérations mentionnées à l'alinéa (b) ci-dessus;

[...] Il est vrai qu'il arrive de temps à autre de retrouver d'énormes divergences entre les déclarations de principes et les pratiques; toutefois, il serait extrêmement injuste de condamner l'Alliance de la Fonction publique du Canada pour les actions déplacées d'une poignée de personnes et, par conséquent, de priver des milliers d'employés des avantages de la représentation syndicale. Je ne crois pas que ce soit l'intention du paragraphe 43(2).

Au cours des 30 années de son existence, la Commission n'a jamais été appelée à interpréter et à appliquer le paragraphe 43(2) de la Loi. Toutefois, il lui est arrivé de se prononcer sur des allégations de discrimination dans le contexte de questions touchant la négociation collective. La plus éminente de ces décisions est celle rendue dans l'affaire Le Syndicat des contrôleurs aériens du Québec (143-2-164), l'on peut lire l'observation suivante :

(page 153) [...] L'accusation selon laquelle la CATCA use de discrimination contre la majorité de ses membres québécois est d'un autre ordre. Elle repose apparemment sur la manière dont le requérant voit la position générale de la CATCA, en matière de langue, révélée par son refus de signer la version française de la convention collective, par sa négligence à fournir des services aux membres francophones, et par son attitude envers la désignation des postes bilingues et la prime au bilinguisme. Dans son plaidoyer relatif à l'accusation de discrimination, l'avocat du requérant est allé jusqu'à taxer la CATCA de racisme. La preuve de ces graves accusations fait peser un lourd fardeau sur le requérant.

Nous avons déjà indiqué que « lorsqu'il s'agit d'établir les faits en justice la définition de la discrimination doit pouvoir reposer sur des preuves objectives ». Une commission quasi judiciaire ne peut admettre l'extravagance ou l'imprécision du langage qui caractérise une bonne partie du journalisme contemporain et qui entre dans le jeu de la politique. La question que doit résoudre la Commission est celle de savoir si certains employés les membres francophones du groupe d'occupations AI œuvrant dans la

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Décision Page 19 Région administrative du Québec a eu à souffrir de discrimination par suite des attitudes et des actes de leur agent négociateur. Pour parler en termes précis et concrets, peut-on dire que ces employés ont été traités différemment, à leur désavantage, à cause de leur identité comme contrôleurs aériens francophones du Québec?

Le fait que des décisions ou des politiques particulières de la majorité ne soient pas du goût des minorités qui s'y opposent n'est pas, en lui-même, un indice de discrimination. La légitimité d'une décision majoritaire dans une société démocratique ne dépend pas de sa justice, mais de la légitimité de la procédure suivie pour arriver à cette décision, pourvu que la décision ne soit pas incompatible avec les droits fondamentaux de cette société et les valeurs qu'elle partage. Comme nous l'avons noté ci-dessus (p. 62 et suivantes), la procédure doit fournir l'occasion à la minorité de faire connaître ses vues et ses intérêts et permettre que les politiques de la majorité soient modifiées. On comprend bien les sentiments subjectifs des personnes qui sont en position minoritaire à l'égard de questions qui font vibrer leurs cordes sensibles. Rien d'inusité, au point de vue humain, dans l'imputation de nos échecs, même à court terme, à des vexations ou à de la discrimination. Du point de vue juridique, cependant, les imputations de ce genre doivent reposer sur des preuves objectives et vérifiables. À part le cas débattable de la politique de la CATCA relative à la signature de la version française de la convention collective politique qui a maintenant changé la preuve objective n'étaye pas, à notre avis, les allégations de discrimination. Cette conclusion s'applique à fortiori aux allégations de « racisme » qu'on fait malheureusement avec tant de facilité et de fréquence dans notre contexte politique actuel. L'état émotionnel qu'engendrent ces allégations ne peut se substituer à l'obligation de les prouver.

[...] Il existe une jurisprudence dans d'autres provinces et territoires concernant des dispositions semblables à celles du paragraphe 43(2). Au début des années 1960, la Commission des relations du travail de l'Ontario a rendu plusieurs décisions elle a refusé d'accréditer des sections locales de la Christian Labour Association aux motifs que l'Association contrevenait à l'article 10 de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario; l'article 10 prévoyait que : [traduction] « [...] la Commission ne peut pas accréditer le syndicat [...] s'il fait des distinctions injustes contre des personnes à cause de leur race, croyance, couleur, nationalité, origine ancestrale ou lieu de naissance ». Dans

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Décision Page 20 l'affaire Regina v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Trenton Construction Workers Association, Local 52, (1963) 39 D.L.R. 2(d) 593, la Haute Cour de justice de l'Ontario a infirmé une de ces décisions en concluant que : (page 609) [Traduction] [...] ni les statuts, ni les pratiques établies ni les principes reconnus du syndicat ne placent celui-ci dans des situations illicites aux termes des lois pertinentes. Il ne faut pas oublier que les lois n'interdisent pas la discrimination, elles interdisent seulement la discrimination fondée sur certains motifs définis. Tous les syndicats font des distinctions injustes dans le cas des membres qui refusent de souscrire à certaines doctrines ou principes du syndicalisme. En termes généraux, on pourrait parler de croyances, mais ce n'est pas de croyances, d'après mon interprétation de ce terme, dont il est question dans les lois. Comme je l'ai souligné, ce qui est interdit c'est l'accréditation d'un syndicat qui « fait des distinctions injustes contre une personne à cause de ses croyances ». Il s'agit d'une disposition restrictive et il faut l'interpréter en conséquence.

[...] Compte tenu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, il semble que la portée de dispositions telles que celles du paragraphe 43(2) est limitée. La nature même de la sanction prévue au paragraphe 43(2), soit la révocation de l'accréditation, fait ressortir le fait que cette disposition ne vise pas à accorder un redressement contre des actions discriminatoires commises par des particuliers. Donner une telle interprétation à ce paragraphe en ferait un instrument très tranchant, alors qu'en réalité c'est un bistouri bien aiguisé qu'il faut, en gardant toujours à l'esprit que la révocation de l'accréditation aux termes du paragraphe 43(2) priverait plus de 100 000 employés de la représentation syndicale, sans qu'ils aient eu leur mot à dire. Un instrument aussi tranchant devrait être utilisé avec beaucoup de prudence et, à mon avis, il ne convient pas du tout et n'est nullement justifié, vu les faits de l'espèce.

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Décision Page 21 Par conséquent, la plainte et la demande de révocation de l'accréditation sont rejetées faute de compétence.

P. Chodos, vice-président

OTTAWA, le 27 avril 1998. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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