Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a eu un accident au travail entraînant une lésion professionnelle – son médecin a conclu qu’il était apte à revenir au travail dans un établissement autre que son établissement d’attache – l’employeur a exigé que le fonctionnaire s’estimant lésé présente une demande de mutation – plusieurs mois se sont écoulés avant que la démarche de mutation n’aboutisse et, pendant cette période, l’employeur a offert d’autres postes à des fonctionnaires touchés par un réaménagement des effectifs – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de prendre des mesures d’accommodement à son égard – la Commission a conclu que l’employeur avait traité la situation comme une question de dotation au lieu de la traiter comme une question de droits de la personne – la Commission a aussi conclu que l’employeur avait manqué à son obligation de faciliter le retour du fonctionnaire s’estimant lésé au travail – la Commission a ordonné le rétablissement du salaire du fonctionnaire s’estimant lésé à compter de la date où il était apte à revenir au travail – la Commission a également ordonné une indemnisation de 5 000 $ pour préjudice moral.


Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180621
  • Dossier:  566-02-8083
  • Référence:  2018 CRTESPF 52

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

DANY DUVAL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Olivier Rousseau, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN
Pour le défendeur:
Andréanne Laurin, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 2 et 3 novembre 2017 et du 20 au 22 mars 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Le fonctionnaire s’estimant lésé, Dany Duval (le « fonctionnaire ») a déposé, le 27 août 2012, un grief contre le Service correctionnel du Canada (« SCC ») pour défaut d’accommodement. Le fonctionnaire est un agent correctionnel, aux groupe et niveau CX-2. Il fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »), qui a conclu une convention collective avec le Conseil du Trésor le 26 juin 2006, dont les termes ont été maintenus jusqu’à 5 novembre 2013. C’est cette convention collective qui est applicable en l’espèce, puisque le grief porte sur la période de janvier à juin 2012.

2        Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 4 février 2013. Un avis a été donné le 1er février 2013 à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), conformément au paragraphe 210 (1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (S.C. 2003, ch. 22 art. 2). La CCDP a informé la Commission le 26 février 2013 qu’elle ne présenterait pas d’observations dans cette affaire.

II. Modifications législatives

3        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

4        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

5        Pour faciliter la lecture de la présente décision, le terme « Commission » désigne à la fois la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. De même, le terme « Loi » désigne à la fois la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Enfin, le terme « employeur » est utilisé pour désigner, selon le contexte, soit le Conseil du Trésor, qui est l’employeur légal, soit le SCC,
à qui les pouvoirs de l’employeur sont délégués.

III. Résumé de la preuve

6        Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même. Il a également cité à témoigner Pierre Dumont, président régional pour le Québec de l’agent négociateur de 2004 à 2013, et Catherine Quintal, conseillère juridique de l’agent négociateur de 2010 à 2014. L’employeur a cité à témoigner Suzanne Robitaille, conseillère régionale pour le Programme de retour au travail de mai 2011 à septembre 2013; Alessandria Page, sous-directrice de l’établissement de Cowansville de 2010 à 2013, et Marc Lanoie, directeur de l’établissement de Donnaconna de janvier à juin 2012.

7        Le fonctionnaire est entré en fonctions au SCC comme agent correctionnel en novembre 1995. Il a commencé à l’établissement de La Macaza, puis en juillet 1996, il a accepté d’être muté à Port-Cartier. Il est revenu à La Macaza en 1999. Il faisait partie d’une équipe chargée des interventions difficiles (extraction de cellule, intervention en situation de violence, etc.).

8        En 2006, le fonctionnaire est accusé de violence conjugale. Il passe environ un mois en prison. L’accusation se solde par une absolution conditionnelle, avec conditions de probation qui sont levées après un an. Le fonctionnaire a un enfant dont il partage la garde avec son ex-conjointe.

9        Le 31 janvier 2008, un détenu fonce sur lui et profère des menaces de mort. À partir de ce moment, le fonctionnaire est en arrêt de travail, avec un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Après une tentative de retour au travail le 16 février 2009 qui échoue en raison d’une rechute le 4 juin 2009, l’avis médical en février 2010 est que le fonctionnaire ne pourra jamais travailler en milieu pénitentiaire. Le SCC cesse alors de verser son salaire, et il reçoit des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (« CSST »), qui l’encourage à chercher un autre emploi. Il entreprend un cours de machinerie lourde, mais il est arrêté en octobre 2010 pour conduite avec facultés affaiblies. L’affaire est réglée vers décembre 2011, avec la suspension de son permis de conduire pour un an.

10        Le cours de machinerie lourde ne semble plus une bonne option. Graduellement, en pensant aux divers métiers qu’il pourrait faire, le fonctionnaire se rend compte que ce qui lui convient le mieux, c’est d’être agent correctionnel. Il connaît le travail, et il l’a bien fait. Il veut aider les gens, et il pense pouvoir le faire dans ce milieu.

11        Le fonctionnaire suit une thérapie, payée par la CSST, pour soigner le TSPT. Il continue de consulter un psychologue.

12        Dès l’été 2011, le fonctionnaire entreprend des démarches pour revenir en poste comme CX-2 en communiquant avec le directeur de l’établissement de Port-Cartier. À l’automne 2011, il rencontre des représentants de l’agent négociateur, dont M. Dumont et Me Quintal, ainsi que Robert Jacques, qui s’occupe de la réintégration des accidentés du travail. Selon les témoignages de M. Dumont et de Me Quintal, ces derniers sont frappés par la détermination et le sérieux du fonctionnaire, et décident de l’aider à revenir au travail, malgré l’avis médical qui dit qu’il ne peut plus travailler en milieu correctionnel.

13        Me Quintal a témoigné de l’intransigeance de la direction du SCC qui refusait à l’automne 2011 d’envisager le retour au travail du fonctionnaire. À la même époque, selon le témoignage de Mme Robitaille, l’employeur a décidé de rompre le lien d’emploi, en raison de l’avis médical de février 2010. Le fonctionnaire reçoit une lettre du SCC qui lui présente trois options : la retraite médicale, la démission ou le congédiement.

14        Le fonctionnaire discute de cette lettre avec son médecin. Celui-ci réévalue son cas et signe une lettre le 30 janvier 2012, selon laquelle le fonctionnaire est apte à retourner au travail, avec comme seule mesure d’adaptation qu’il ne doit pas retourner travailler à l’établissement de La Macaza.

15        La lettre du médecin est adressée à la CSST. D’après le témoignage de Mme Robitaille, qui coordonnait le programme de retour au travail, elle n’en a été informée que vers le 20 février 2012, quand le fonctionnaire lui a téléphoné pour lui demander quand il pourrait revenir au travail. Les notes de Mme Robitaille sur le dossier du fonctionnaire, déposées à l’audience, le confirment. Elle tient, à partir de mai 2011 quand elle entre en fonctions, des notes très détaillées sur la situation du fonctionnaire. Les notes ne comptent aucune entrée entre le 20 septembre 2011 et le 20 février 2012, lorsque le fonctionnaire appelle Mme Robitaille.

16        En fait, comme en a témoigné Me Quintal, l’employeur considérait le fonctionnaire comme apte à revenir au travail à partir du 1er février 2012. En effet, lors d’une rencontre du comité régional de retour au travail (comité mixte
employeur-agent négociateur) le 19 avril 2012, on discute du cas du fonctionnaire. Selon le bilan préparé par l’employeur, le fonctionnaire est apte à revenir au travail depuis le 1er février 2012.

17        Après avoir reçu l’appel du fonctionnaire, Mme Robitaille commence à chercher des postes pour le fonctionnaire. Le fonctionnaire et Mme Robitaille ont tous deux témoigné au sujet de cette période. Le fonctionnaire a dû remplir un formulaire pour faire une demande de mutation, ce qu’il a fait dès la fin février 2012. Avant la fin de l’exercice financier (31 mars), il a dû remplir un nouveau formulaire.

18        Les résultats de l’évaluation de langue seconde du fonctionnaire étaient expirés. L’évaluation se fait au moyen de trois tests : compréhension, expression écrite et expression orale. Ce troisième test ne peut être pris avant la réussite des deux autres. La nouvelle évaluation a pris un certain temps, car le fonctionnaire a échoué de quelques points le test d’expression écrite, qu’il a repris avec succès un mois plus tard (période d’attente minimum entre deux essais). Mme Robitaille cherchait à lui trouver un poste, mais elle devait chercher uniquement des postes unilingues jusqu’à ce que le fonctionnaire réussisse l’évaluation de langue seconde.

19        Pendant cette période, le fonctionnaire a demandé de recevoir son salaire, conformément à sa compréhension de l’entente globale entre le SCC et l’agent négociateur. Cette entente prévoit qu’une personne blessée au travail (selon l’attestation de la CSST) a droit à son salaire pendant la période où elle n’est pas apte à travailler, pourvu que la CSST confirme qu’elle retournera au travail et qu’elle poursuit une thérapie adaptée à ses besoins. Mme Robitaille lui a dit que cela dépendait du directeur de l’établissement. Puisque le poste d’attache du fonctionnaire était encore à La Macaza, c’est le directeur de cet établissement qui devait décider. Or, celui-ci refusait de verser le salaire, puisque le fonctionnaire ne pourrait retourner travailler à cet établissement. Le directeur de l’établissement de La Macaza n’a pas témoigné à l’audience.

20        Durant cette période, Mme Robitaille et le fonctionnaire ont eu des échanges fréquents. Mme Robitaille a témoigné que, malgré une inquiétude évidente, le fonctionnaire a toujours été poli et respectueux. À plusieurs reprises, c’est le fonctionnaire qui prenait l’initiative d’appeler pour savoir où en était son dossier.

21        Le 21 février 2012, Mme Robitaille envoie le formulaire de mutation au fonctionnaire, qu’il remplit et envoie le 28 février 2012. Le 20 mars, le fonctionnaire appelle Mme Robitaille. Elle lui explique qu’il devra refaire sa demande de mutation, car les demandes doivent être renouvelées avec le début du nouvel exercice financier le 1er avril. Il envoie une nouvelle demande le 30 mars.

22        Par ailleurs, Mme Robitaille a témoigné au sujet des démarches auprès de la CSST, fin février et début mars 2012, pour concilier les deux avis contradictoires du psychiatre traitant. La CSST confirme par téléphone le 29 février, puis par lettre datée du 13 mars 2012, que l’interdiction du 2 février 2010 de travailler en milieu pénitentiaire est annulée. Le fonctionnaire est maintenant pleinement apte à retourner dans son poste, sauf à l’établissement de La Macaza.

23        Mme Robitaille communique avec l’administration centrale du CSC et les autorités des établissements de Cowansville et de Donnaconna (deux des trois choix sur la demande de mutation) pour trouver un poste pour le fonctionnaire. Il n’y a pas de poste qui convienne à Ottawa. À Cowansville, les postes à combler sont bilingues, et le fonctionnaire n’a pas encore réussi son évaluation de langue seconde. À l’établissement de Donnaconna, la gestion a certaines préoccupations quant à l’intégration du fonctionnaire. Le syndicat local a certaines réticences en raison du passé et des difficultés du fonctionnaire à l’établissement de La Macaza.
De plus, le détenu impliqué dans l’accident de travail du 31 janvier 2008 est maintenant incarcéré à l’établissement de Donnaconna.

24        Mme Robitaille a également parlé de la suspension du permis de conduire comme étant problématique. M. Lanoie ne semblait pas considérer la suspension comme faisant obstacle à la réintégration.

25        Le fonctionnaire appelle Mme Robitaille le 10 avril, inquiet de ne pas avoir une date de reprise pour son examen d’expression écrite en langue seconde. Mme Robitaille confirme avec le service de dotation que l’examen aura lieu le 18 avril. Le 3 mai, le fonctionnaire appelle Mme Robitaille pour dire qu’il a réussi cet examen, et il réussit l’examen oral le 9 mai. À partir de cette date, il peut donc être placé dans un poste bilingue.

26        Mme Page, sous-directrice de l’établissement de Cowansville, témoigne des inquiétudes de la gestion liées aux accusations passées de violence conjugale, parce que l’ex-conjointe du fonctionnaire se trouve à Cowansville. Elle ajoute que bon nombre de détenus à Cowansville purgent des peines pour violence conjugale, ce qui qui préoccupe également la direction. Aux mois de mars et avril, de plus, le fonctionnaire n’a pas sa cote de bilinguisme. En mai, on parle maintenant de la possibilité de l’établissement de Donnaconna, le deuxième choix du fonctionnaire. Mme Page dit qu’à partir de moment-là, les discussions avec l’établissement de Cowansville ont cessé.

27        À l’audience, les témoins des deux parties ont parlé de la fermeture de l’établissement Leclerc en avril 2012, qui a obligé l’employeur à replacer rapidement quelques deux cents employés. À la même époque, on ne trouvait toujours pas de poste pour le fonctionnaire. Le 17 mai, le fonctionnaire avise Mme Robitaille qu’il a réussi son test de compétence orale en anglais. Elle lui laisse un message le 18 mai selon lequel elle attend une « décision pour la gestion des priorités suite aux coupures budgétaires/fermeture de Leclerc ». Elle ajoute dans son message qu’on lui donnera des nouvelles la semaine suivante.

28        Dans son témoignage, Mme Robitaille a laissé entendre que le fonctionnaire lui avait dit qu’il devait subir une opération au début mai et qu’il serait en convalescence pendant trois ou quatre semaines. Pour sa part, le fonctionnaire a témoigné qu’il se rappelait uniquement lui avoir dit que pendant ce temps, il pourrait faire des tâches administratives, mais ne pourrait soulever des poids de plus de 10 livres.

29        Le 24 mai 2012, elle indique dans ses notes qu’elle a laissé le message suivant : « […] l’avise que je suis toujours en attente d’instructions considérant la situation actuelle avec coupures budgets […] plus gestion des priorités vs [sic] PRT
[programme de retour au travail] ».

30        À la fin mai 2012, Mme Robitaille a parlé à Josée Tremblay, sous-directrice de l’établissement de Donnaconna. Il n’y a plus d’obstacle à l’intégration du fonctionnaire. Le syndicat local a donné son accord. M. Lanoie, le directeur de l’établissement, a témoigné qu’effectivement le syndicat régional (notamment M. Dumont) était intervenu en faveur du fonctionnaire, et qu’à partir de là, la possibilité devenait réelle. M. Lanoie tenait quand même à rencontrer le fonctionnaire, car selon lui, la décision de l’accepter ou non relevait entièrement de lui, en tant que directeur de l’établissement.

31        La rencontre a eu lieu le 15 juin 2012. Le fonctionnaire a débuté le 19 juin la formation obligatoire avant de réintégrer son poste, compte tenu de son absence prolongée. À partir de cette date, il était de nouveau au travail et donc rémunéré. La dernière mention dans les notes de Mme Robitaille indique qu’il a été muté à Cowansville, son premier choix d’établissement dans la demande de mutation, le 19 août 2013.

32        Le fonctionnaire a témoigné à quel point cette période, de janvier à juin, avait été stressante. Il était prêt à travailler, et trouvait difficile d’accepter les obstacles que semblait dresser l’employeur.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

33        Le grief porte sur le défaut de l’employeur d’offrir au fonctionnaire des mesures d’accommodement adéquates.

34        Le fonctionnaire a subi un accident de travail le 31 janvier 2008. Après près de quatre ans d’absence (compte tenu d’une tentative de retour au travail qui a échoué), il redevient pleinement apte à retourner au travail. L’employeur, plutôt que de faciliter le retour au travail du fonctionnaire, a usé de faux prétextes pour retarder sa réintégration.

35        Le fonctionnaire redevient apte au travail, selon le certificat médical, le 30 janvier 2012. Il est possible que l’employeur n’ait pas été mis au courant immédiatement, mais le SCC indiquait dans le document du comité régional de retour au travail que le fonctionnaire était apte en date du 1er février 2012.
Pourtant, le fonctionnaire a dû attendre jusqu’au 19 juin 2012 pour être réintégré.

36        Il faut se demander ce qui a causé ce délai. Le retour du fonctionnaire n’était pas une surprise. L’agent négociateur en avait déjà parlé avec l’employeur à l’automne 2011. Ce qu’il faut constater, c’est qu’à cette époque, d’après les notes de Mme Robitaille, le SCC avait déjà décidé de mettre fin au lien d’emploi. C’est ce qui explique les obstacles à la réintégration à partir de février 2012, malgré l’obligation d’accommodement de l’employeur.

37        Mme Robitaille a bien expliqué que la démarche consistait à réaliser une mutation, d’où les exigences de bilinguisme et la recherche d’un poste permanent plutôt qu’un poste temporaire en attendant un poste permanent. Alors que le fonctionnaire attendait depuis février qu’on lui trouve un poste, les employés de l’établissement Leclerc ont été rapidement replacés quand on a annoncé la fermeture de l’établissement en avril 2012.

38        Les témoignages de Mme Page et de M. Lanoie l’ont confirmé – la démarche du fonctionnaire pour retourner au travail était vue comme une démarche de mutation, parce qu’il ne pouvait retourner à son établissement d’attache, et non comme une démarche d’accommodement où l’employeur aurait pu faire des ajustements pour tenir compte de ses obligations d’accommodement, notamment pour ce qui était des exigences de bilinguisme.

39        À défaut de trouver un poste immédiatement pour le fonctionnaire, l’employeur avait tout de même l’obligation, en vertu de l’entente globale et du bulletin 2006-05, de verser au fonctionnaire son salaire à partir du moment où il redevenait apte à travailler.

40        Le fonctionnaire réclame une indemnisation pour préjudice moral aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (« LCDP »). Il s’est buté, lors de ses tentatives pour retourner au travail le plus rapidement possible, aux obstacles du SCC, ce qui lui causé beaucoup de frustration, de détresse et d’insomnie. Le SCC était au courant de sa profonde inquiétude, comme en témoignent les notes de Mme Robitaille à maintes reprises. Mme Robitaille a également reconnu lors de son témoignage la transparence, la proactivité et la politesse du fonctionnaire pendant cette période. Pour le défaut d’accommodement et l’anxiété avérée (dans le témoignage et les notes de Mme Robitaille) du fonctionnaire, celui-ci réclame une indemnisation de 10 000$.

41        À partir du moment où la CSST a confirmé l’aptitude du fonctionnaire de retourner travailler, en date du 29 février 2012, l’employeur avait l’obligation de remettre le fonctionnaire en fonctions. Or, l’attitude de Mme Robitaille, qui menait la démarche pour le retour au travail, était passive. C’était parfois le fonctionnaire, parfois la CSST qui relançait la démarche. Il y avait de la part du SCC une nette lenteur et réticence à remettre le fonctionnaire au travail. Mme Page et M. Lanoie ont tous les deux dit que des accommodements temporaires étaient possibles, mais qu’ils n’avaient pas été envisagés pour le fonctionnaire. On lui cherchait une mutation permanente, sans égard pour l’obligation d’accommodement de l’employeur.

42        Me Quintal a témoigné de la réaction de la gestion à l’automne 2011 – qu’il n’était pas question d’accommoder le fonctionnaire. Mme Robitaille indique dans ses notes que la démarche était entamée pour rompre le lien d’emploi; d’ailleurs, le fonctionnaire a reçu la lettre d’option. Les actions de la gestion du SCC contredissent la directive 2010-43, qui prévoit que les considérations relatives aux droits de la personne doivent primer sur toute autre considération.
Pourtant, on n’envisage pas d’affectation temporaire pour le fonctionnaire, on lui donne la charge de faire toutes les démarches (refaire la demande de mutation, communiquer avec les sous-directeurs d’établissement, etc.). Dès l’été 2011, le fonctionnaire avait communiqué avec le directeur de l’établissement de Port-Cartier pour envisager un retour au travail. Mme Robitaille n’aide nullement à ce moment-là. Au contraire, la stratégie établie, d’après les notes de Mme Robitaille, qu’elle a confirmée lors de son témoignage, est de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

43        Il est clair aussi qu’à partir du moment où le SCC envisage le retour du fonctionnaire, dès le 20 février 2012 quand Mme Robitaille reçoit son appel, on envisage la situation comme une mutation et non comme un accommodement. Le dossier traîne. On considère comme obstacles à la réintégration les tests échus d’évaluation de langue seconde et la suspension du permis de conduire; encore une fois, on n’envisage nullement la possibilité d’accommodement.

44        Enfin, on note qu’une fois les tests de langue seconde réussis, rien n’empêchait la réintégration à l’établissement de Cowansville. Malgré la préférence du fonctionnaire pour l’établissement de Cowansville, malgré le fait que l’établissement de Donnaconna est un établissement à sécurité maximale et que le détenu impliqué dans l’incident qui a provoqué le TSPT s’y trouvait, le SCC n’a pas retenu l’option de l’établissement de Cowansville, un établissement à sécurité moyenne.

45        Comme mesure de redressement, le fonctionnaire demande son salaire du 1er février au 19 juin 2012, à charge pour lui de rembourser la CSST. Il demande également le remboursement des heures supplémentaires qu’il aurait effectuées à partir du 13 mars, date à laquelle son aptitude à travailler a été confirmée par la CSST.

46        En plus de l’indemnité de 10 000$ pour le préjudice moral subi, il demande également une indemnité de 5 000$ parce que l’action du SCC était inconsidérée.

B. Pour l’employeur

47        L’employeur est d’avis que le grief devrait être rejeté.

48        Le fonctionnaire a été déclaré inapte à travailler en milieu pénitentiaire le 2 février 2010 par son psychiatre traitant. À partir de ce moment, en vertu de l’entente globale et du bulletin 2006-05, il cessait de recevoir son salaire et il passait au régime des prestations de la CSST.

49        Le 30 janvier 2012, le même psychiatre a signé un rapport indiquant qu’il y avait consolidation de la lésion, et que la seule limitation fonctionnelle était de ne pas retourner à l’établissement d’attache, La Macaza.

50        Dès que Mme Robitaille est informée par téléphone, elle commence des démarches; elle demande au fonctionnaire de lui faire parvenir son curriculum vitæ et une demande de mutation. En même temps, elle envoie un courriel à l’administration centrale pour savoir s’il y a des possibilités d’emploi à Ottawa.

51        Par ailleurs, le SCC a besoin d’autres précisions, puisque les deux rapports du psychiatre sont contradictoires. Une clarification écrite de la CSST, datée du 13 mars 2012, précise que la limitation absolue du 2 février 2010 est annulée, et confirme que la seule limitation est de ne pas retourner à l’établissement de La Macaza.

52        À partir de ce moment, la réintégration suit son cours. La qualification bilingue du fonctionnaire est échue, il doit refaire les tests s’il veut postuler pour un poste bilingue. Il échoue au test d’expression écrite, et il doit attendre un mois pour le refaire. Il réussit ce deuxième test en avril, condition pour passer le troisième test, le test de compétence orale, qu’il réussit le 9 mai.

53        En mai 2012, le fonctionnaire doit subir une opération. Il informe Mme Robitaille le 24 mai que sa convalescence est terminée. Le 15 juin, il rencontre le directeur de l’établissement de Donnaconna, Marc Lanoie. Il est réintégré dans un poste CX-2 en date du 19 juin 2012.

54        Ces faits ne prêtent pas le flanc à une allégation de discrimination. Au contraire, le SCC a fait preuve de diligence pour aider le fonctionnaire à retourner au travail le plus rapidement possible, compte tenu des circonstances.

55        Selon l’employeur, deux questions se posent dans le présent dossier : Y a-t-il une discrimination prima facie? Le cas échéant, le SCC a-t-il offert un accommodement raisonnable?

56        Selon le principe bien connu énoncé dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, aux pages 558 et 559, il incombe d’abord au fonctionnaire de faire une preuve suffisante de discrimination, c’est-à-dire une preuve « […] qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du fonctionnaire], en l’absence de réplique de l’employeur intimé […] ». En retour, l’employeur est tenu « […] de démontrer qu’il a pris, en vue de s’entendre avec l’employé les mesures raisonnables qu’il lui était possible de prendre sans subir une contrainte excessive […] ».

57        D’après l’argumentaire de l’employeur, je conclus que la discrimination prima facie est concédée, et que le fonctionnaire avait droit à des mesures d’accommodement raisonnables, puisque toute la plaidoirie de l’employeur a consisté à montrer qu’il y avait effectivement eu accommodement raisonnable.

58        L’employeur plaide que selon la jurisprudence, l’accommodement raisonnable n’est pas nécessairement parfait ni immédiat. Le caractère raisonnable signifie qu’il est acceptable. De plus, dans sa recherche d’une solution, l’employeur peut certainement tenir compte de ses propres besoins opérationnels.

59        En l’occurrence, l’employeur soutient qu’il a fait preuve de diligence.
Dès le premier appel du fonctionnaire signalant son aptitude à travailler, Mme Robitaille a entrepris des démarches pour l’aider à retourner au travail. Cependant, il faut tenir compte de la réalité des services correctionnels, ainsi que de la réalité du fonctionnaire lui-même.

60        Mme Page et M. Lanoie ont témoigné des difficultés particulières qui avaient surgi dans leurs établissements respectifs pour réintégrer le fonctionnaire. À l’établissement de Cowansville, les postes à doter étaient bilingues,
et le fonctionnaire n’avait pas encore réussi son évaluation de langue seconde.
De plus, on s’inquiétait des accusations de violence conjugale qui avaient été portées contre le fonctionnaire. L’ex-conjointe du fonctionnaire était à Cowansville, et une bonne partie de la population carcérale de Cowansville purge des peines pour violence conjugale.

61        Dans le cas de l’établissement de Donnaconna, le syndicat local avait manifesté une certaine réticence, compte tenu de propos tenus par les agents correctionnels de l’établissement de La Macaza. En outre, il fallait assurer des mesures sécuritaires du fait que le détenu impliqué dans l’incident causant le TSPT se trouvait à l’établissement de Donnaconna.

62        Toutes ces craintes ont fini par se résoudre, mais on ne peut blâmer le SCC de faire attention lorsqu’il réintègre un employé de façon à assurer un retour réussi, avec l’appui de la direction et du syndicat. Par ailleurs, l’objectif, selon Mme Robitaille, était une réintégration permanente, de sorte qu’une affectation temporaire aurait été une démarche inutile.

63        La situation du fonctionnaire comptait également. Le SCC détenait des renseignements contradictoires sur les limitations fonctionnelles, qui devaient être éclaircies, ce qui n’a été fait par la CSST qu’à la mi-mars 2012. L’opération subie par le fonctionnaire au mois de mai nécessitait un certain temps de convalescence. Finalement, compte tenu de l’absence prolongée du fonctionnaire, plusieurs formations devaient être mises à jour.

64        Compte tenu de tous ces facteurs, la réintégration du fonctionnaire, entre la fin février et le 19 juin 2012, a été plutôt réussie. Le SCC ne pouvait commencer ses démarches avant d’être avisé le 20 février, et la convalescence de 3 ou 4 semaines a constitué encore un autre obstacle.

65        Il n’y a eu aucune mauvaise foi dans les démarches faites par Mme Robitaille, comme en a témoigné M. Dumont. Les faits relatifs à une « stratégie » pour mettre fin au lien d’emploi remontent à une date antérieure à la période couverte par le grief, et n’ont jamais été traités dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.
Ils ne sont pas pertinents, selon le principe de Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

66        Enfin, l’employeur prétend que le fonctionnaire n’a pas été pénalisé par le délai de réintégration, puisqu’il recevait pendant ce temps les prestations versées par la CSST. Par ailleurs, les heures supplémentaires qu’il réclame n’étaient pas garanties, et ne devraient donc pas être payées. Pour clore, l’employeur souligne que si la Commission fait droit au grief, la mesure de redressement ne peut remonter à plus de 25 jours avant le dépôt du grief.

VI. Motifs

67        Le grief concerne un défaut d’accommodement. L’employeur a concédé le besoin d’accommodement, et a soutenu qu’il avait rempli ses obligations à cet égard.

68        L’obligation légale d’accommodement surgit du fait que, sans accommodement, on pourrait conclure que l’employé est victime de discrimination fondée sur l’un des motifs interdits par la LCDP. Dans le cas du fonctionnaire, qui a subi un accident au travail entraînant le TSPT, il est clair qu’une déficience d’ordre psychologique, due au TSPT, est à l’origine de son absence prolongée du travail. En raison de la nature de sa lésion, son médecin impose une limitation fonctionnelle : il ne doit pas retourner dans son établissement d’attache. Or, la réintégration au travail, lorsqu’il est apte à travailler, n’est pas immédiate, et il est par conséquent privé de son salaire pendant ce temps.

69        On trouve donc réunis les trois éléments de la discrimination prima facie selon l’arrêt Simpson’s Sears : le fonctionnaire fait partie d’un groupe dont la caractéristique (invalidité) est un motif interdit de discrimination; il a subi un traitement défavorable (la réintégration au travail n’est pas immédiate alors qu’il est prêt à travailler);
et il existe un lien entre ces deux faits, puisque c’est son invalidité qui rend nécessaire la recherche d’un poste ailleurs que dans son établissement d’attache. Je ne crois pas avoir à explorer davantage la discrimination prima facie. Comme dans l’arrêt
Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, l’enjeu ici porte entièrement sur l’adéquation de l’accommodement.

A. Adéquation de l’accommodement

70        L’employeur soutient qu’il n’aurait pu débuter l’accommodement, c’est-à-dire le retour au travail dans un poste ailleurs que dans l’établissement d’attache, avant le 20 février 2012, date à laquelle Mme Robitaille est informée par le fonctionnaire de son aptitude au travail.

71        Je ne suis pas prête à faire un procès d’intention à Mme Robitaille.
Je crois qu’elle a fait les démarches qu’elle estimait nécessaires pour réintégrer le fonctionnaire avec succès au SCC. L’exigence de bilinguisme pour les postes à Cowansville, l’accusation de violence conjugale, alors que l’ex-conjointe du fonctionnaire se trouvait à Cowansville ou les préoccupations du SCC quant aux objections du syndicat local à l’établissement de Donnaconna et la présence du détenu impliqué dans l’accident de travail, tous ces faits ne sont pas des prétextes, mais bien de légitimes préoccupations.

72        Le fonctionnaire a souligné l’absence de tentatives de trouver une affectation temporaire en attendant un poste permanent. Là encore, je reconnais que le raisonnement de l’employeur est valable : dans un poste CX-2, il est préférable de faire une intégration réussie et à long terme.

73        Le témoignage de M. Lanoie a confirmé selon moi la volonté du SCC de réintégrer le fonctionnaire. L’opposition initiale du syndicat local a été contrée par l’intervention du syndicat au niveau régional, et des mesures ont été prises pour composer avec la présence du détenu impliqué dans l’accident de travail. La rencontre de M. Lanoie avec le fonctionnaire a donné lieu à sa mutation la semaine suivante.

74        Je conclus néanmoins que l’accommodement du fonctionnaire a été déficient, parce que l’employeur a traité la question comme s’il s’agissait de dotation plutôt que de droits de la personne.

75        L’employeur m’a renvoyé à la décision City of Toronto v. Canadian Union of Public Employees, Local 79, [2001] O.L.A.A. No. 668 (QL) (CUPE), qui traite d’une question d’accommodement et qui énumère une liste de critères tirés de la jurisprudence pour évaluer si un accommodement est raisonnable. Ces critères sont les suivants :

  • la nature du travail effectué par l’employé avant le début de l’invalidité;
  • la nature de l’invalidité;
  • les renseignements disponibles sur les limitations fonctionnelles;
  • la coopération de l’employé blessé;
  • la nature de l’entreprise et sa taille;
  • les connaissances de l’employeur en matière d’accommodement;
  • les possibilités d’un accommodement adéquat;
  • le nombre de mesures d’adaptation requises.

76        La liste est utile, mais le contexte de la décision CUPE est bien différent. Il s’agissait dans cette affaire d’une employée qui souffrait de paralysie cérébrale et qui, au cours de ses années de travail, avait développé un sérieux syndrome du canal carpien. Elle avait besoin de mesures d’adaptation précises, et la preuve démontrait que l’employeur avait tardé environ 14 mois, à partir du moment où il était au courant de la situation, pour mettre en œuvre les mesures nécessaires.

77        L’employeur a distingué la présente affaire en indiquant qu’il avait fallu seulement trois mois et demi pour réintégrer le fonctionnaire dans son poste.
Je pense que la distinction à faire est toute autre.

78        Il n’est pas question ici de mesures d’adaptation pour faciliter l’exécution des tâches. Une seule mesure est requise, soit de trouver un poste dans un autre établissement. Le SCC rend le fonctionnaire responsable de trouver un autre poste – il doit faire une demande de mutation, qu’il doit ensuite renouveler après deux mois. On lui laisse entendre que sa mutation est complexe, vu le nombre d’employés déplacés de l’établissement Leclerc, la dotation particulière dans les établissements, les questions budgétaires, et ainsi de suite. On ne traite pas sa situation de retour au travail comme étant une question d’accommodement, mais bien comme une question de mutation. Mme Robitaille et M. Lanoie l’ont confirmé.

79        Je conçois que le retour au travail implique pour le SCC la prise en compte de nombre de facteurs pour assurer la réussite du retour au travail, plutôt qu’une rechute. Toutefois, l’accommodement est déficient parce que dans le traitement réservé au fonctionnaire, on ne reconnaît jamais qu’il a le droit de réintégrer son poste à la suite d’un accident de travail et qu’il revient à l’employeur de faciliter ce retour au travail.

80        On assimile le retour au travail à une démarche de mutation, au gré de l’employé, plutôt qu’à une obligation de l’employeur. L’accommodement est déficient parce qu’on ne reconnaît pas le droit à l’emploi du fonctionnaire.

81        D’après les notes de Mme Robitaille, le fonctionnaire l’appelle à maintes reprises pour lui demander ce qui arrive dans son dossier. Mme Robitaille répond aux appels, explique les difficultés rencontrées, mais d’après son témoignage, elle ne le rassure pas quant à l’obligation de l’employeur de trouver une solution.

82        Le SCC a fait défaut de reconnaître le retour au travail dans une perspective d’accommodement, et l’a plutôt traité comme une simple mutation. M. Lanoie a donné l’exemple de quelqu’un qui décide de déménager pour des raisons personnelles. Dans le cas du fonctionnaire, la mutation n’était pas un choix personnel, mais une nécessité médicale, dont découlait l’obligation de l’employeur de trouver un accommodement raisonnable.

83        La conséquence pour le fonctionnaire qu’entraîne l’attitude de l’employeur est d’être privé de son salaire, auquel il a droit puisqu’il est prêt à offrir sa prestation de travail. L’autre conséquence, c’est l’incertitude dans lequel on le laisse, surtout lorsqu’on parle de budget et de questions opérationnelles, alors qu’il a droit à son emploi et que c’est à l’employeur de trouver l’accommodement adéquat. La coopération du fonctionnaire et de l’agent négociateur est clairement établie par la preuve, de sorte que le principe établi dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (toutes les parties doivent collaborer à l’effort) est bien respecté.

B. Mesures de redressement

84        Le fonctionnaire a plaidé l’entente globale pour soutenir qu’il avait droit à sa pleine rémunération à partir du moment où il était apte à travailler. Je suis d’accord qu’il avait droit à sa rémunération, mais je ne m’appuie pas sur l’entente globale pour tirer cette conclusion.

85        L’entente globale a été négociée par le CSC et l’agent négociateur en marge de la convention collective. L’entente le précise en termes très clairs à la p. 33 de l’entente signée le 26 juin 2006 :

Il est entendu que les dispositions contenues dans cette entente globale ne font pas partie de la convention collective pour le groupe CX et par conséquent ne sont pas assujetties aux griefs […]

86        Je suis saisie du présent grief en vertu de l’article 209(1)(a) de la Loi, qui porte sur l’interprétation et l’application de la convention collective. Le grief portait sur un défaut d’accommodement en vertu de la convention collective et de la LCDP. L’entente globale ne peut servir à appuyer un grief renvoyé à l’arbitrage; je ne peux donc considérer l’entente globale pour fonder une mesure de redressement.

87        Le fonctionnaire a droit à son salaire et ses avantages sociaux pendant la période où il est apte à travailler. Le fait qu’il ne puisse travailler à La Macaza rend la mutation nécessaire comme mesure d’accommodement. Cette mutation ne devrait cependant pas être une condition pour verser son salaire au fonctionnaire. Il y a droit, puisqu’il est apte à travailler. Le fait qu’il n’ait pas de fonctions ne dépend pas de sa volonté, il est lié à l’obligation de l’employeur de lui offrir un poste avec une mesure d’accommodement.

88        L’employeur prétend ne pas avoir été mis au courant de l’aptitude à travailler du fonctionnaire jusqu’à ce que ce dernier appelle Mme Robitaille. Le fonctionnaire n’a pas à faire les frais des retards de communication entre la CSST et le SCC. La preuve déposée, qui n’a pas été contestée, est que le médecin a informé la CSST le 30 janvier 2012 que le fonctionnaire était apte à retourner dans ses fonctions, avec une seule mesure d’adaptation, ne pas retourner à La Macaza pour ne pas provoquer un retour du TSPT. La preuve montre également qu’à partir du 1er février 2012, le SCC considère que le fonctionnaire est apte à revenir au travail comme en témoigne le document qu’a préparé le SCC pour la réunion du comité de RT régional.

89        Dans la mesure du possible, le fonctionnaire doit être remis dans l’état dans lequel il aurait dû être dès le 1er février 2012. L’employeur devra donc lui verser son salaire et tous les avantages sociaux à partir de cette date.

90        L’employeur a soulevé brièvement dans ses arguments le fait que la réparation ne devrait s’appliquer qu’aux 25 jours précédant le dépôt du grief. Le fonctionnaire a répliqué que puisqu’il s’agissait d’un grief portant sur un défaut d’accommodement, un tel raisonnement ne s’appliquait pas. Je suis d’accord.

91        Le défaut d’accommodement est un acte discriminatoire. S’il est avéré, cet acte discriminatoire donne droit à des mesures de redressement en vertu de la Loi. Le fonctionnaire a déposé le grief une fois revenu au travail. L’employeur n’a pas soulevé un manquement au délai lors du renvoi à l’arbitrage. Il ne peut donc maintenant invoquer le délai en se fondant sur le raisonnement de l’arrêt
Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. 813 (QL).

92        Le fonctionnaire a également demandé qu’on lui paie les heures supplémentaires qu’il aurait effectuées, selon la moyenne établie pour son groupe dans l’établissement. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de verser un montant pour les heures supplémentaires, dont le calcul relève de la spéculation.

93        Le fonctionnaire a demandé une indemnisation aux termes de la LCDP. La Loi prévoit ce qui suit aux alinéas 226(2)(a) et (b) :

226 (2) L’arbitre de grief et la Commission peuvent, pour instruire toute affaire dont ils sont saisis:

a) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de cette loi sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

b) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

94        L’alinéa 53(2)(e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP se lisent comme suit :

53 (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire : […]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000$ la victime qui a souffert un préjudice moral.

 (3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000$, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

95        L’évaluation du montant à accorder lorsque l’arbitre juge que le fonctionnaire s’estimant lésé a droit à une compensation en vertu de l’alinéa 53(2)(e) n’est pas une science exacte, comme d’autres arbitres l’ont fait remarquer.

96        Dans la décision Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, l’arbitre de grief passe en revue plusieurs décisions pour tenter d’établir quels seraient les montants à accorder à titre de d’indemnisation en vertu de la LCDP. Il conclut cette revue par le commentaire suivant :

36 Lors de mon analyse des huit décisions pertinentes auxquelles les parties m’ont renvoyé (en écartant donc Hughes), il m’est apparu que la plupart d’entre elles ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral ou d’indemnité spéciale, selon le cas. Il m’apparaît toutefois évident que la gravité des répercussions psychologiques subies par les plaignants ou les fonctionnaires s’estimant lésés, selon le cas, et occasionnées par la discrimination à leur égard ou le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est le principal facteur invoqué pour justifier leur décision. Il ressort également que c’était plutôt la façon inconsidérée de traiter les fonctionnaires s’estimant lésés ou les plaignants, selon le cas, qui était invoquée pour justifier l’imposition d’une indemnité spéciale dans l’ordonnance.

97        Dans l’affaire Stringer, l’employeur avait fait défaut d’offrir à un employé malentendant les outils dont il avait besoin pour effectuer son travail adéquatement, et ce pendant une période de près de trois ans. L’arbitre de grief a accordé 10 000$ pour préjudice moral, compte tenu de l’atteinte à la dignité et l’humiliation subies par M. Stringer pendant tout ce temps. En outre, l’arbitre de grief a accordé le maximum en dommages spéciaux, soit 20 000$, pour l’attitude inconsidérée de l’employeur qui avait complètement négligé ses obligations d’accommodement.

98        Le fonctionnaire a présenté comme jurisprudence la décision Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3, où l’arbitre de grief a octroyé des sommes importantes aux termes des indemnisations prévues à la LCDP. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a jugé que l’employeur avait entièrement failli à son devoir d’accommodement. Elle conclut comme suit :

[…]

113 L’employeur n’a pris aucune mesure pour effectuer une évaluation de la réhabilitation professionnelle et a refusé de discuter la façon de réorganiser l’un des emplois pour répondre aux recommandations en vue d'assujettir le fonctionnaire à des exigences moindres, et à des fonctions et à des normes de rendement moins rigoureuses.

[…]

99        En outre, M. Nicol a été privé de la possibilité de travailler pendant quatre ans, parce que l’employeur refusait d’envisager la moindre solution. Au bout de quatre ans, M Nicol s’est résigné à prendre une retraite médicale. En plus d’ordonner le versement du salaire de M Nicol de 2008 à 2011, l’arbitre de grief a accordé 20 000$ pour préjudice moral, et 18 000$ comme indemnisation spéciale, en raison de la conduite délibérée de l’employeur pendant près de quatre ans, décrite dans les termes suivants au paragraphe 157 : « […] répétée, soutenue et calculée pour s’assurer que [M. Nicol] ne retourne pas au travail […] ».

100        Dans l’affaire Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 101, le défaut d’accommodement a mené finalement au congédiement de M. Rogers comme étant inapte à travailler. L’employeur avait reçu les renseignements du médecin, qui appuyait le retour au travail, et pendant près d’un an n’avait fait aucune démarche avec M. Rogers et son agent négociateur pour permettre son retour au travail. La Commission a jugé que M. Rogers avait droit à son salaire pendant la période où il était apte à revenir au travail, et que la détresse que l’employeur lui avait causé justifiait une indemnisation pour préjudice moral. La Commission a accordé 15 000$ à ce titre, et 10 000$ comme indemnisation spéciale, parce que l’employeur avait complètement négligé d’appliquer sa propre politique d’accommodement.

101        Dans Rogers et Nicol, le défaut d’accommodement a causé la fin d’emploi. Les faits dans la présente affaire sont complètement différents, le retour au travail s’étant effectué dans les quatre mois du certificat médical l’autorisant.
Toutefois, le fait de ne pas verser son salaire au fonctionnaire, malgré ses demandes répétées, lui a causé un stress indu, alors qu’il revenait d’un congé prolongé pour TSPT. On n’a pas donné au fonctionnaire le sens qu’il avait droit à son emploi, on lui a plutôt dit qu’il devait effectuer une mutation. On lui parlait de budgets et de priorités. Or, il avait droit à son emploi. Je pense que l’attente de la réintégration a été particulièrement stressante par conséquent. En négligeant cet aspect de l’accommodement, le SCC a causé un préjudice moral, qu’il convient d’indemniser. Dans les circonstances, j’estime qu’une indemnisation de 5 000$ est appropriée pour indemniser le préjudice moral subi.

102        En l’espèce, je ne suis pas prête à imposer une indemnisation spéciale, qui a davantage un caractère punitif. Mme Robitaille s’est occupée du dossier du fonctionnaire, le témoignage de M. Lanoie montre une ouverture du SCC pour réintégrer le fonctionnaire de façon réussie. L’accommodement était déficient, mais il n’y pas eu une conduite délibérée ou inconsidérée de la part du SCC de ne pas réintégrer le fonctionnaire.

103        Un dernier commentaire s’impose. Le fonctionnaire a déployé de grands efforts pour surmonter un grand nombre de difficultés afin de revenir au travail. En tout temps, et c’est Mme Robitaille qui l’a affirmé dans son témoignage, il a toujours été poli et respectueux, malgré ses vives inquiétudes liées notamment au manque à gagner.

104        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

105        Le grief est accueilli.

106        L’employeur versera au fonctionnaire son salaire et avantages afférents pour la période du 1er février 2012 au 18 juin 2012.

107        L’employeur versera au fonctionnaire une indemnité de 5 000$ aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

108        Les montants dus aux termes des paragraphes 106 et 107 doivent être versés dans les 60 jours de la présente décision.

109        Je demeure saisie, pendant les 90 jours qui suivent la date de la présente décision, de tout problème lié au calcul des sommes dues aux termes du paragraphe 106.

Le 21 juin 2018.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral

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