Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a été informé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait accédé sans autorisation au compte d’un collègue - l’enquête menée par la suite a révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait, au cours des deux dernières années, fourni de l’information sensible à un ancien collègue - le collègue en question avait été congédié pour motif disciplinaire après avoir censément envoyé à certains sénateurs des lettres anonymes portant atteinte au Sénat, et il était, au moment où le fonctionnaire s’estimant lésé lui a fourni l’information sensible, considéré par l’employeur comme une menace à la sécurité - le fonctionnaire s’estimant lésé a fourni à ce collègue de l’information concernant la désignation par l’employeur de cet individu comme une menace à la sécurité, de l’information qui n’est normalement pas fournie aux personnes visées par ces décisions - le fonctionnaire s’estimant lésé a fourni à son ancien collègue les codes d’accès aux bureaux du Sénat, une liste des numéros de téléphone des employés du service de sécurité, un document sur les mesures de sécurité spéciales prises pour la protection d’un ministre ayant fait l’objet de menaces, le manuel des opérations du service de sécurité, une liste des personnes étant considérées comme des menaces à la sécurité, ainsi qu’une liste des noms, les photos et les numéros de téléphone de tous les sénateurs - le fonctionnaire s’estimant lésé prétend que la décision de le congédier était motivée par sa participation au grief de dotation déposé par le fils de cet ancien collègue - le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que certains documents avaient été envoyés à titre de plaisanterie, d’autres pour aider le collègue dans la préparation de son grief concernant son congédiement et d’autres encore pour lui remonter le moral ou simplement parce qu’ils étaient toujours amis - les gestes du fonctionnaire s'estimant lésé portaient atteinte à son devoir fondamental de protection du Sénat, de ses bureaux, de ses employés, des visiteurs et des sénateurs - les facteurs atténuants n’étaient pas suffisants pour annuler le congédiement - le lien de confiance a été rompu irrévocablement - la conduite répréhensible était grave et s’était produite à plusieurs reprises - la preuve n’étaye pas l’allégation que le congédiement était motivé par la participation du fonctionnaire s’estimant lésé à un grief de dotation. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-03-31
  • Dossier:  466-SC-345
  • Référence:  2005 CRTFP 28

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

GUY JOLY

fonctionnaire s’estimant lésé

et

LE SÉNAT DU CANADA

employeur

Devant : Yvon Tarte, président

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Me Richard Bastien

Pour l’employeur : Me Monique Bourgon


Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
les 21 et 22 février 2005.


[1]   Le 3 juin 2004, Paul Bélisle, Greffier du Sénat, avisait Guy Joly de sa décision de le congédier le 20 mai 2004 (pièce F-4). Au moment du congédiement, le fonctionnaire s’estimant lésé occupait depuis 12 ans un poste de constable au sein du Service de sécurité du Sénat. Les motifs du congédiement ont trait à « l’intrusion dans la boîte aux lettres électronique d’un collègue et [à] la divulgation sans autorisation de renseignements soit personnels, soit confidentiels ou soit concernant des mesures relatives à la sécurité au Sénat ».

La Preuve

De l’employeur

[2]   Serge Gourgue est Directeur des Services de la cité parlementaire pour le Sénat. Depuis 1999, il est responsable de quatre secteurs du Sénat, dont celui de la sécurité. Le fonctionnaire s’estimant lésé était constable au moment du congédiement et ce depuis 1991.

[3]   En collaboration avec l’Association des employé(e)s du Service de sécurité du Sénat (le syndicat ou l’Association) un code d’éthique professionnelle (pièce E-2) a été préparé. Aux termes de ce code, les membres du Service de sécurité promettent de ne pas profiter de leur autorité, de ne jamais accepter de gratifications ou de faveurs et de ne jamais compromettre leur intégrité ou celle du Service de quelque façon que ce soit.

[4]   Les bureaux du Sénat se trouvent dans quatre édifices au centre ville d’Ottawa.

[5]   Le 5 mai 2004, le témoin apprend du Surintendant principal Pitre que M. Joly aurait le matin même fait un accès non autorisé de certains courriels de nature personnelle du Constable Taylor (pièce E-2, onglet 1, rapport d’incident). Le lendemain, le Constable Taylor présentait une plainte formelle au sujet des incidents (pièce E-2, onglet 4).

[6]   En 1997 et en 2002, le Sénat a adopté des politiques sur la sécurité informatique et sur l’utilisation de son réseau électronique (pièce E-2, onglet 13). Ces documents sont disponibles à tous les employés du Sénat sur le site intranet du Sénat appelé Intrasen.

[7]   Suite à la plainte du Constable Taylor, M. Gourgue a demandé que l’on fasse une recherche de deux ans dans le compte informatisé de M. Joly. Cette enquête faite par le Sergent d’état major St. Martin a démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait parvenir durant les deux années précédentes une série de documents (pièce E-2, onglet 12) à Jacques Dupuis, un ancien Constable du Sénat qui avait été congédié en novembre 2002 pour raisons disciplinaires. Suite à une médiation en juin 2003, on a permis à M. Dupuis de démissionner du Service de sécurité du Sénat enrayant donc du fait même son congédiement.

[8]   À l’époque du congédiement de M. Dupuis, l’employeur le considérait une menace et avait interdit son accès sur la colline parlementaire et dans les autres édifices où était logé le Sénat. À cet effet, le Sénat avait émis le 4 novembre 2002 un document d’accès restreint (DAR ou RAP) (pièce E-2, onglet 9).

[9]   Le 17 novembre 2002, M. Joly faisait parvenir à M. Dupuis copie du DAR à son sujet. Selon M. Gourgue, les personnes visées pour un DAR ne sont pas censées en recevoir copie.

[10]   Depuis les incidents du 11 septembre 2001, le Sénat se doit d’être extrêmement vigilant en matière de sécurité.

[11]   Le 15 décembre 2003, M. Joly faisait parvenir à Jacques Dupuis des codes d’accès UNICAN pour les bureaux du Sénat au 56, rue Sparks à Ottawa où l’on trouve les casiers des constables et le centre des opérations du Sénat (pièce E-2, onglet 5). L’envoi de ces codes s’est fait par courriel dans lequel M. Joly dit à M. Dupuis : « Juste au cas où tu voudrais rentrer par infraction… hahahahahahaha ils vont changer les numéro (sic) des unican… au ops et au 56 Sparks ».

[12]   En avril 2003, en réponse à une demande de M. Dupuis de lui transmettre par courriel une liste des numéros de téléphone des employés de la sécurité du Sénat, M. Joly écrivait : « Malheureusement je ne peux pas t’envoyer par couuriel (sic) la liste de téléphone car ils l’ont retirés (sic) de sur les ordis. Il faudrait que je trouve une hard copie ». M. Gourgue dit avoir été avisé par l’enquêteur que la liste des numéros de téléphone, dont plusieurs sont privés, avait été envoyée par le fonctionnaire s’estimant lésé à M. Dupuis.

[13]   Le 21 décembre 2002, M. Joly achemine à M. Dupuis, toujours sous le coup de son congédiement, un document intitulé « Senate need to know.doc » ayant trait à des mesures de sécurité spéciales prises pour la protection d’un ministre de l’État à qui on avait fait des menaces (pièce E-2, onglet 7).

[14]   Dès le 7 novembre 2002, Mike McMahon, président du syndicat, avisait par écrit M. Joly du congédiement de M. Dupuis (pièce E-2, onglet 8). Dans sa note, le président du syndicat indique que M. Dupuis « a été congédié suite à l’affirmation de la direction qu’elle avait des preuves, fournies par la GRC, que M. Dupuis avait écrit quatre lettres anonymes à certains sénateurs entre autres, qui étaient préjudiciables envers le Sénat ».

[14]   En novembre et décembre 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé faisait parvenir à M. Dupuis en format électronique et au complet le Manuel des Opérations du Service de sécurité du Sénat (pièce E-2, onglet 12). Selon le témoin, les sections 5 et 6 relatives aux situations d’urgences sont particulièrement confidentielles, même si le document lui-même n’a pas de classification sécuritaire.

[15]   En juin 2003, le fonctionnaire s’estimant lésé acheminait à M. Dupuis un courriel contenant les noms de personnes assujetties à un DAR.

[16]   À la mi-novembre 2003, M. Joly envoyait une liste à jour des noms, photos et numéros de téléphone de tous les sénateurs à M. Dupuis (pièce E-2, onglet 14). La liste avait été envoyée à M. Joly par courriel, qui demandait aux employés du Sénat qui la recevait de « garder l’usage de ces photos strictement dans l’enceinte du Service de sécurité du Sénat ».

[18]   La décision de congédier M. Joly a été prise par le Greffier du Sénat suite à la recommandation d’un comité de six personnes dont le témoin faisait partie. On y retrouve également deux spécialistes en ressources humaines et relations de travail, deux avocats et le directeur adjoint du Service. Avant de faire sa recommandation de congédier, le Comité s’est penché entre autres sur la nature très sérieuse des gestes reprochés, le manque de jugement inacceptable du fonctionnaire s’estimant lésé et les circonstances atténuantes entourant le dossier.

[19]   Le Comité a de plus tenu compte des explications fournies par M. Joly (pièce E-3) et le fait que malgré les excuses offertes et les remords exprimés, M. Joly a indiqué que dans de circonstances semblables, il agirait de la même façon.

[20]   En contre-interrogatoire, M. Gourgue a reconnu qu’on peut entrer au centre des opérations par une deuxième porte qui s’ouvre sans code d’accès UNICAN.

[21]   Le témoin a aussi reconnu que le Manuel des opérations est disponible à la bibliothèque, à tous les postes de travail, aux étudiants et stagiaires et que certains employés l’emportent à la maison pour l’étudier.

[22]   Suite à la médiation en juin 2003, la restriction d’accès sur la colline parlementaire imposée à M. Dupuis a été annulée.

[23]   Le témoin maintient toujours avoir eu des relations professionnelles avec M. Joly et que l’affaire André Dupuis (fils de Jacques, pièce F-5) n’a pas affecté son comportement envers le fonctionnaire s’estimant lésé.

[24]   Enfin, M. Gourgue présume que M. Joly connait les politiques du Sénat sur l’utilisation des réseaux électroniques.

[25]   Le Sergent d’état-major St. Martin a ensuite témoigné. Il est responsable de la protection du réseau électronique du Sénat. À ce titre, il a été impliqué dans l’enquête entourant les activités de M. Joly. Son rapport d’enquête se trouve à la pièce E-2 avant l’onglet 1.

[26]   Selon le témoin, le Constable Taylor lui aurait dit qu’il avait dû demander deux ou trois fois au Constable Joly avant que ce dernier n’admette être responsable de l’accès non autorisé à ses courriels personnels le 5 mai 2004.

[27]   Le 12 mai 2004, le témoin a rencontré M. Joly pour l’interroger en présence du Caporal Vincent (pièce E-2, onglet 11). Le fonctionnaire s’estimant lésé ne nie rien et offre des excuses. Durant l’interrogatoire, M. Joly a admis avoir acheminé la liste des noms et numéros de téléphone des employés du Service de sécurité du Sénat. En guise d’explication, le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué que certains des documents avaient été envoyés à Jacques Dupuis soit en farce, soit pour l’aider à préparer son grief, soit pour lui remonter le moral et finalement tout simplement parce qu’ils étaient toujours amis.

[28]   En contre-interrogatoire, le témoin a admis que M. Joly aurait pu éliminer de son système les courriels qu’il avait envoyés à M. Dupuis.

[29]   Gilles Beaulieu est consultant en relations de travail au Sénat. Il a rencontré M. Joly le 25 mai 2004 avec M. Gourgue dans le but de donner au fonctionnaire s’estimant lésé l’opportunité de fournir des commentaires avant l’imposition d’une sanction disciplinaire. Le témoin a compris des dires de M. Joly que ce dernier ne pensait pas que les gestes qu’on lui reprochait étaient particulièrement sérieux et que si c’était à refaire, il agirait de la même façon.

Du fonctionnaire s’estimant lésé

[30]   Guy Joly a travaillé au Service de sécurité du Sénat pendant 12 ans. Il a dans un premier temps expliqué les circonstances entourant ses gestes le 5 mai 2004, histoire d’aider un copain et de lire une lettre dont parlait souvent le Constable Taylor. M. Joly reconnaît aujourd’hui l’erreur commise et qu’il aurait dû tout simplement fermer le « compte » du Constable Taylor.

[31]   M. Joly dit avoir nié ses gestes seulement une fois. Il a d’ailleurs admis au Constable Taylor être le coupable avant même de savoir qu’une enquête avait été commencée. Le 12 mai 2004, il a rencontré Messieurs St. Martin et Vincent. M. Joly nie avoir admis lors de cette rencontre qu’il avait effectivement acheminé à M. Dupuis une copie de la liste des noms et numéros de téléphone des employés du Service.

[32]   Le 20 mai 2004, lors de la rencontre disciplinaire avec Messieurs Gourgue et Beaulieu, on lui a remis, pour apporter, un cartable avec les documents que l’on retrouve à la pièce E-2, onglet 12, de même que le résumé de la rencontre du 5 mai préparé par le Caporal Vincent qui se trouve à l’onglet 11 de la pièce E-2. Durant cette rencontre, M. Gourgue lui demande de revenir avec ses commentaires. M. Joly est alors suspendu sans solde.

[33]   Le 22 mai 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé achemine à M. Gourgue un courriel (pièce E-3) dans lequel il s’explique, parle de ses responsabilités syndicales, s’interroge au sujet de sa relation tendue avec M. Gourgue et finalement, signale des circonstances atténuantes que l’employeur devrait considérer avant d’imposer une sanction disciplinaire.

[34]   M. Joly explique que Jacques Dupuis, à qui il a envoyé la documentation que l’on retrouve à la pièce E-2, onglet 12, était un très bon ami qu’il voulait aider. De plus, le fonctionnaire s’estimant lésé était une personne-ressource pour M. Dupuis dans le traitement du grief de ce dernier à l’encontre d’un congédiement. Jamais M. Joly n’a reçu d’argent ou d’émolument pour l’aide qu’il a fournie à Jacques Dupuis.

[35]   L’envoi des codes UNICAN à M. Dupuis n’était qu’une plaisanterie. Jamais il ne répéterait ce geste aujourd’hui. De plus, il n’a pas fait parvenir à M. Dupuis la liste des noms et numéros de téléphone des employés du Service.

[36]   M. Joly a acheminé la note de service concernant la sécurité d’un Ministre  pour que M. Dupuis soit tenu au courant et n’ait pas un « an » de directives à lire lors d’un retour éventuel au travail. Il a fait parvenir le DAR de M. Dupuis tout simplement parce que ce dernier lui avait demandé.

[37]   Le Manuel complet des opérations a été envoyé à M. Dupuis pour l’aider à préparer son grief. De toutes façons, le manuel des opérations était disponible pour tous les constables, les étudiants et les stagiaires qui pouvaient même l’emporter à la maison. Bien que le manuel n’ait toujours pas de cote de sécurité, il ne le donnerait à personne aujourd’hui.

[38]   M. Joly dit n’avoir jamais vu les documents présentés par l’employeur concernant la sécurité du réseau informatique du Sénat (pièce E-2, onglet 13). M. Beaulieu était en erreur quand il a dit à l’enquêtrice de l’assurance-emploi que le fonctionnaire s’estimant lésé était au courant desdites politiques.

[39]   M. Joly a ensuite parlé de ses 10 années d’activités syndicales et du fait que ses relations avec M. Gourgue se sont nettement détériorées après qu’il ait été impliqué dans la cause d’André Dupuis (pièce F-5), fils de Jacques Dupuis.

[40]   M. Joly a 38 ans et porte une orthèse. Il a un fils handicapé et est séparé de sa conjointe. Tout récemment, il s’est trouvé un emploi dans un moulin à scie. Suite à son congédiement, il a dû faire des emprunts et écouler ses REER pour vivre. Il désire être réintégré dans son poste de constable qu’il aimait beaucoup. Au moment où il acheminait des documents à M. Dupuis, il ne pensait pas mal agir. Enfin, il n’a jamais pensé que M. Dupuis aurait pu être mal intentionné.

[41]   En contre-interrogatoire, M. Joly reconnaît les erreurs commises. Il n’aurait certes pas dû lire les courriels du constable Taylor. Pour ce qui est des autres documents, il ne voulait qu’aider sont ami Dupuis pour son grief et sur le plan émotif. M. Joly reconnaît qu’il y aurait pu avoir danger si certains documents envoyés à M. Dupuis étaient tombés dans de mauvaises mains.

[42]   Pour ce qui est des photos des Sénateurs, M. Joly n’a pas remarqué la consigne que l’on retrouve à la dernière page du document de « garder l’usage de ces photos strictement dans l’enceinte du Service de sécurité du Sénat ».

[43]   M. Joly maintient que M. Gourgue lui en veut depuis l’affaire André Dupuis. Il reconnaît toutefois qu’il existait six niveaux hiérarchiques entre lui et M. Gourgue à l’époque.

[44]   Michael McMahon a témoigné à la demande du fonctionnaire s’estimant lésé. Il est depuis plus de cinq ans président de l’Association.

[45]   À l’époque, il savait de façon générale que M. Joly aidait M. Dupuis dans la présentation de son grief.

[46]   Avant le congédiement de M. Joly, il ne savait pas que l’employeur avait adopté des politiques (pièce E-2, onglet 13) traitant de la sécurité du réseau électronique du Sénat.

[47]   M. McMahon n’aurait jamais donné à qui que ce soit à l’extérieur du Service les codes UNICAN ou le manuel des opérations.

[48]   Le témoin relate le cas du Constable C. qui avait été négligent dans l’exécution de ses fonctions et qui n’avait pas été congédié.

Contre preuve

[49]   Le surintendant Raymond Pitre a expliqué les faits entourant le cas du Constable C., la nature isolée du geste posé et les raisons pour lesquelles l’employeur n’avait imposé qu’une réprimande dans ce dossier.

Plaidoiries

Pour l’employeur

[50]   Le Constable Joly a commis une série d’erreurs démontrant un sérieux manque de jugement découlant de son amitié pour Jacques Dupuis et de la perception qu’il avait de son rôle de représentant syndical.

[51]   Ce n’est qu’à cause des incidents du 5 mai 2003 que l’employeur a pu apprendre la nature et l’étendue des violations commises pour le fonctionnaire s’estimant lésé. L’employeur reproche à M. Joly d’avoir transmis à une personne non autorisée des renseignements personnels, de même que des renseignements ayant trait à la sécurité du Sénat. Il s’agit donc d’un sérieux manque de jugement. Le président de l’Association a lui-même indiqué qu’il n’aurait jamais acheminé à M. Dupuis la plupart des documents envoyés.

[52]   Un an après les incidents du 9 septembre 2001, M. Joly aurait dû savoir que le symbole d’attaque principal des terroristes est la colline parlementaire. Les gestes de M. Joly relèvent à tout le moins de l’insouciance. L’excuse offerte à l’effet qu’il voulait en outre aider le retour au travail de M. Dupuis en le tenant à jour ne tient pas.

[53]   Tous les gestes posés par M. Joly sont en contradiction de son rôle et de ses responsabilités de constable à la sécurité du Sénat. Il ne s’agit pas d’un geste isolé mais plutôt d’une série de gestes inappropriés dont la répétition est troublante. Étant donné la nature du travail d’un constable au Sénat, l’employeur doit avoir une confiance « aveugle » en ses employés. La nature, la fréquence et la répétition des gestes posés font en sorte que le Sénat n’a plus confiance en M. Joly.

[54]   La prétention du fonctionnaire s’estimant lésé que la sanction imposée est le résultat d’un « animus » anti-syndical de la part de M. Gourgue est sans fondement. Il n’existe aucune preuve à cet effet. De toute façon, la décision de congédier M. Joly a été prise par un comité dont faisait partie M. Gourgue.

[55]   Les cas du Constable C. et de M. Joly ne sont pas semblables et ne peuvent être comparés. Les différences importantes entre les deux dossiers justifient la divergence entre les sanctions imposées.

[56]   À l’appui de sa cause, l’employeur cite les décisions Dosanjh et Conseil du Trésor 2003 CRTFP 16 et Brecht et Conseil du Trésor 2003 CRTFP 36.

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[57]   Quoiqu’en pense l’employeur, M. Joly n’est pas irrécupérable. La sanction imposée dans cette affaire est trop sévère. Les gestes posés par M. Joly ne justifient pas le congédiement.

[58]   L’employeur a exagéré certains des gestes du fonctionnaire s’estimant lésé pour justifier le congédiement et prétendre que le lien du confiance était rompu.

[59]   Un arbitre de griefs a le pouvoir d’intervention en matière disciplinaire en tenant compte du caractère raisonnable de la sanction imposée. De plus, l’arbitre de griefs doit tenir compte des circonstances atténuantes qui pourraient mitiger la peine imposée.

[60]   Bien que M. Joly a fait montre de mauvais jugement, il n’a jamais eu l’intention de défier l’autorité ou d’agir de façon malicieuse.

[61]   L’employeur a agi de façon discriminatoire en traitant le cas du Constable C. différemment de celui de M. Joly puisque les reproches faits aux deux sont semblables.

[62]   Le potentiel de réhabilitation de M. Joly est grand tandis que la possibilité de récidive est nulle. Déterminer si le lien de confiance a été rompu exige l’utilisation d’un test objectif. Les gestes reprochés à M. Joly, étudiés en contexte, ne sont pas si graves.

[63]   Maintenir le congédiement dans ce dossier ne ferait que sanctionner le désir punitif de l’employeur. La sanction imposée reflète les tensions qui existaient entre M. Joly et M. Gourgue.

[64]   Le grief de M. Joly devrait donc être accueilli et la sanction imposée réduite.

[65]   À l’appui de sa cause, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est référé à : Canadian Labour Arbitration, second edition, Brown and Beatty; Monographie Numéro 13, Les Mesures Disciplinaires : Étude Jurisprudentielle et Doctrinale, Claude D’aous, Louis Leclerc et Gilles Trudeau; Hamelin c. Conseil du Trésor, dossiers de la Commission 166-2-9126 et 9127 (1980); Demers c. Conseil du Trésor, dossiers de la Commission 166-2-13980 et 13990 (1993); Wong c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 166-2-14777 (1984); McGoldrik c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 166-2-25796 (1994); Bell Canada et Association Canadienne des Employés de Téléphone (ACET), [2000] R.J.D.T. 358 et Syndicat des Employées et Employés Professionnelles et de Bureau, Section Locale 57 (SEPB) et Caisse Populaire Desjardins de Vanier, D.T.E. 2001T-503.

Motifs de la décision

[66]   En tant que constable au Service de sécurité du Sénat, M. Joly était responsable pour la sécurité du Sénat, ses locaux et bureaux, ses employés, ses visiteurs et les sénateurs eux-mêmes. Les gestes d’inconduite que l’on reproche au fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il a d’ailleurs admis portent atteinte au devoir fondamental du constable. Ces gestes, en particulier l’envoi des codes UNICAN, l’envoi de renseignements au sujet des DAR et l’envoi des photos et numéros de téléphone et de bureau des sénateurs sont incompatibles avec ses responsabilités et inacceptables de la part d’un constable.

[67]   Depuis les événements du 11 septembre 2001, l’importance des questions de sécurité a été grandement rehaussée. Étant donné la nature sérieuse des gestes posés par M. Joly, l’employeur se devait d’être préoccupé et de sévir.

[68]   Étant donné le dossier disciplinaire vierge de M. Joly, ses responsabilités syndicales et les circonstances atténuantes qu’a fait valoir le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé, pouvons-nous maintenir le congédiement et conclure, comme le prétend l’employeur, que le lien de confiance qui doit exister dans toute relation employeur/employé a été rompu à tout jamais ?

[69]   La nature sérieuse de l’inconduite commise par un préposé à la sécurité et la répétition des infractions sur une période prolongée me portent à croire que oui. Le principe de discipline progressive ne s’applique pas dans un dossier comme celui-ci, où l’inconduite est si sérieuse qu’elle justifie en soi le congédiement.

[70]   La preuve ne me permet pas de conclure que le congédiement de M. Joly a été motivé par une animosité que M. Gourgue aurait eue à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé suite à l’affaire André Dupuis. J’ai grandement apprécié l’honnêteté et la candeur du témoignage du président de l’Association à l’effet qu’il n’aurait jamais acheminé les codes UNICAN ou le manuel des opérations à quelqu’un à l’extérieur du Service.

[71]   Enfin, le cas du Constable C. est suffisamment différent du cas de M. Joly pour justifier l’écart des sanctions imposées dans ces deux dossiers.

[72]   Le grief est rejeté.

Yvon Tarte,
président

OTTAWA, le 31 mars 2005.

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