Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué que l’employeur avait incorrectement refusé de leur verser des heures supplémentaires pour le temps de déplacement entre leur lieu de séjour temporaire (hôtels) et leur lieu d’affectation temporaire, contrairement à la convention collective – l’employeur a refusé les demandes puisque les heures supplémentaires demandées n’étaient pas admissibles selon la convention collective, étant donné que celle-ci ne contient aucune disposition relative au déplacement à destination ou à partir d’un hôtel ou d’un lieu de séjour temporaire – l’employeur a décidé que le temps consacré à voyager entre un lieu de séjour temporaire et un lieu de travail temporaire n’est pas considéré comme du temps de travail – la Commission a indiqué que la convention collective mentionne comme lieu de résidence de l’employé l’endroit qui est « chez lui ou chez elle », et que le sens ordinaire de cette expression évoque l’idée de permanence, ce qu’on appelle son « chez-soi » – la Commission a déterminé que, pour que le temps de déplacement de l’employé soit considéré comme des heures supplémentaires aux termes de l’exception énoncée dans la convention collective, l’employé doit : 1) effectuer des heures supplémentaires; 2) se déplacer entre son domicile (en anglais : residence) et un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal ou revenir de ce lieu à son domicile; 3) utiliser un véhicule de l’employeur – en l’espèce, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas voyagé à destination ou à partir de leur domicile (demeure) mais à destination et à partir d’un lieu de séjour temporaire – par conséquent, la Commission a conclu que l’employeur avait correctement refusé les demandes d’heures supplémentaires pour le temps de déplacement – l’employeur n’a pas contrevenu à la convention collective.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180710
  • Dossier:  566-32-8891 à 8904
  • Référence:  2018 CRTESPF 59

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

JEAN BÉRUBÉ, FRÉDÉRIC BOURGET, SÉBASTIEN BOURGET, PAULINE CARRIER, VALÉRIE CHARRETTE, YVAN CÔTÉ, MÉLANIE DESROSIERS, MARILOU JOBIN, STÉPHANIE MONTCALM, OLIVIER MORIN ET YVES PROULX

fonctionnaires s'estimant lésés

et

Agence canadienne d'inspection des aliments

employeur

Répertorié
Bérubé c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d'inspection des aliments)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Bourbeau, agente aux griefs et à l’arbitrage
Pour l'employeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Québec (Québec),
les 27 et 28 février 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

Introduction

1        Les fonctionnaires s’estimant lésés, Jean Bérubé, Frédéric Bourget, Sébastien Bourget, Pauline Carrier, Valérie Charrette, Yvan Côté, Mélanie Desrosiers, Marilou Jobin, Stéphanie Montcalm, Olivier Morin et Yves Proulx
(les « fonctionnaires »), sont des employés de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur »). Ils allèguent que l’employeur a violé la clause 27.06 de la convention collective conclue entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») et l’employeur pour l’unité de négociation Alliance de la Fonction publique du Canada, qui venait à échéance le 31 décembre 2014
(la « convention collective »). Plus précisément, ils allèguent que l’employeur a incorrectement refusé de leur verser des heures supplémentaires pour le temps de déplacement entre un lieu de séjour temporaire et un lieu d’affectation temporaire, contrairement à la clause en question. À titre de mesure corrective, ils demandent que les heures supplémentaires soient payées.

2        L’employeur soutient que les demandes ont été refusées puisque les heures supplémentaires demandées n’étaient pas admissibles selon la convention collective. Il soutient donc qu’il n’a pas violé la clause 27.06 de la convention collective.

3        Les avis de renvoi à l’arbitrage des griefs ont été déposés en août 2013, auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

4        Comme je l’expliquerai dans la présente décision, je conclus que les fonctionnaires n’ont pas démontré que l’employeur a violé la clause 27.06 de la convention collective.

Précisions législatives

5        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, qui remplaçait la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013
(L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 396 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continuait d'exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

6        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, ainsi que le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique, pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

Contexte

7        Les fonctionnaires demandent à être rémunérés pour les heures supplémentaires consacrées à des déplacements entre novembre 2011 et juillet 2012. Pendant cette période, les fonctionnaires ont tous été appelés à se présenter dans différents établissements, situés en dehors de leur zone d’affectation. Tous les fonctionnaires ont reçu une autorisation de voyager et ont utilisé un véhicule de l’employeur pour se rendre aux différents établissements. L’employeur a refusé d’accorder aux fonctionnaires les heures supplémentaires demandées.

8        Les fonctionnaires fondent leur demande sur la clause 27.06 de la convention collective qui, à leur avis, leur donne le droit d’être rémunérés aux taux applicables des heures supplémentaires pour leur temps de déplacement. Cette clause stipule ce qui suit :

Sauf dans les cas où l’employé-e est tenu par l’Employeur d’utiliser un véhicule de l’Employeur pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal, le temps que l’employé-e met pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui ou chez elle n’est pas considéré comme étant du temps de travail.

9        Les fonctionnaires contestent la décision de l’employeur de ne pas leur accorder les heures supplémentaires demandées pour le temps qu’ils ont consacré à voyager entre leur lieu de séjour temporaire (leur hôtel) et leur lieu de travail temporaire. Comme mesure corrective, ils demandent que l’employeur leur accorde ces heures supplémentaires.

10        Au palier final de la procédure de règlement de griefs, l’employeur a décidé que le temps consacré à voyager entre un lieu de séjour temporaire et un lieu de travail temporaire n’est pas considéré comme du temps de travail. L’employeur a précisé que rien dans la convention collective ou dans la Directive sur les voyages émise par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada ne prévoit un tel droit. Par conséquent, les griefs ont été rejetés.

Question en litige

11        La question en litige est la suivante : l’employeur a-t-il violé la clause 27.06 de la convention collective?

Exposé de faits

12        Les parties ont soumis un exposé conjoint des faits et un tableau résumant les réclamations demandées par tous les fonctionnaires.

13        Frédéric Bourget, inspecteur en hygiène des viandes, classifié au groupe et au niveau EG-03, est le seul fonctionnaire qui a témoigné à l’audience. M. Bourget a présenté les faits qui sont à l’origine de son grief. L’agent négociateur et l’employeur ont expliqué que les faits à l’origine des griefs présentés par les autres fonctionnaires sont analogues à ces faits présentés par M. Bourget. Il a été convenu que si le grief de M. Bourget est accueilli, les dix autres fonctionnaires, qui sont également classifiés au groupe et au niveau EG-03, bénéficieront du même redressement.

14        M. Bourget travaille à l’établissement 311, à St-Anselme, depuis 2000. Il a reçu l’instruction de se rendre à l’établissement 484, à St-Alexandre, du 21 au 25 mai 2012 et du 27 au 31 mai 2012. Il réclame 0.5 heure supplémentaire pour son temps de déplacement de son hôtel à son lieu de travail temporaire, le matin, et de son lieu de travail temporaire à son hôtel, en fin de journée. Il s’est déplacé ainsi à 14 reprises et demande le versement de 7 heures supplémentaires.

15        L’employeur a refusé de payer à M. Bourget ces heures supplémentaires.
Il a toutefois payé son temps de déplacement de sa zone d’affectation (l’établissement 311 à St-Anselme) à la zone à l’extérieur de sa zone d’affectation (l’établissement 484 à St-Alexandre), ainsi que son temps de déplacement pour rentrer chez lui. L’employeur lui a aussi versé ses frais de voyage conformément à la Directive sur les voyages.

16        Un formulaire intitulé « Déclaration présence et travail supplémentaire et rapport de primes » signé par M. Bourget a été déposé en preuve. Plus précisément, dans ce formulaire, M. Bourget réclame, au moyen du code 89, 0.5 heure supplémentaire pour son temps de déplacement de son hôtel à Rivière-du-Loup
(lieu où il a résidé pendant son service commandé) à son lieu de travail temporaire (l’établissement 484 à St-Alexandre) du 22 au 25 mai et du 28 au 31 mai. Il réclame aussi, au moyen du code 89, 0.5 heure supplémentaire pour son temps de déplacement de son lieu de travail temporaire à son hôtel du 22 au 24 mai et du 28 au 30 mai.

17        Bien que l’employeur ait refusé de payer ces heures supplémentaires, il a payé le temps de déplacement de M. Bourget de St-Anselme à Rivière-du-Loup, le lundi 21 mai 2012. Il a également payé le temps de déplacement de M. Bourget de St-Anselme à Rivière-du-Loup, le dimanche 27 mai 2012. Il a, de même, payé le temps de déplacement de M. Bourget de l’établissement 484 à l’établissement 311 le jeudi
31 mai 2012.

18        M. Bourget a fait valoir qu’en 2010 et 2011, l’employeur lui avait payé son temps de déplacement de son hôtel à son lieu de travail temporaire, le matin, et de son lieu de travail temporaire à son hôtel, en fin de journée. Toutefois, depuis 2012, l’employeur refuse de payer ces heures supplémentaires.

19        Patrick Fréchette, inspecteur en chef régional intérimaire, Saint-Hyacinthe, a témoigné à l’audience au nom de l’employeur. En 2013, M. Fréchette était gestionnaire d’inspection à Saint-Hyacinthe.

20        M. Fréchette a énuméré les diverses circonstances dans lesquelles l’employeur accorde ou pas une demande de remboursement des heures supplémentaires effectuées en déplacement.

21        Il a expliqué qu’il n’y a pas de compensation pour le temps consacré par l’employé pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui après son travail. Cependant, le temps consacré par l’employé pour se rendre de son domicile ou de sa zone d’affectation à un lieu de travail temporaire (hors de sa zone d’affectation) est compensé, de même que le temps consacré par l’employé pour revenir de son lieu de travail temporaire à son domicile ou sa zone d’affectation. Toutefois, une fois que l’employé est présent dans la zone de son lieu de travail temporaire, par exemple, dans le cas de M. Bourget, son lieu de séjour temporaire était à Rivière-du-Loup, il n’y a pas de compensation pour le temps consacré par l’employé pour se déplacer entre son hôtel et son lieu de travail temporaire, le matin et en fin de journée.

22        M. Fréchette a reconnu qu’autour des années 2008, 2009 et 2010, il est possible que certains gestionnaires aient interprété différemment la clause 27.06 de la convention collective et que, par conséquent, la clause n’ait pas été appliquée uniformément dans l’ensemble du pays. Il se rappelle vaguement avoir reçu un courriel autour de ces années précisant quelle était l’interprétation appropriée de la clause 27.06. Il a expliqué que, de façon générale, un gestionnaire qui accueille régulièrement des employés d’une autre zone d’affectation reçoit une centaine de demandes de paiement d’heures supplémentaires par mois. Il est donc possible que certaines erreurs aient été commises dans le passé, mais la cause du problème a été identifiée et la situation corrigée.

Analyse

23        La représentante des fonctionnaires a d’abord précisé que l’agent négociateur retirait deux des quatorze griefs, soit les griefs numéro 566-32-8896 et 566-32-8897, au motif qu’ils sont analogues au grief numéro 566-32-8895, impliquant la même fonctionnaire, Valérie Charette.

24        L’employeur a-t-il violé la clause 27.06 de la convention collective?

25        La représentante des fonctionnaires a fait valoir que le fait que différents gestionnaires de la province du Québec aient interprété de différentes façons la clause 27.06 de la convention collective par le passé démontre qu’il existe une marge d’interprétation qui est source d’incertitude. Elle a fait valoir qu’il est possible que des employés à l’extérieur du Québec reçoivent une compensation pour les heures de déplacement en question alors que les employés du Québec n’en reçoivent pas.
Elle a renvoyé la Commission à la version anglaise de la clause 27.06, qui est libellée comme suit :

Other than when required by the Employer to use a vehicle of the Employer for transportation to a work location other than the employee’s normal place of work, time spent by the employee reporting to work or returning to his or her residence shall not constitute time worked.

26        Selon les fonctionnaires, il y a deux scénarios de base à examiner. Tout d’abord, lorsque l’employé qui est en déplacement autorisé se déplace de son hôtel à son lieu d’affectation temporaire, le matin; ensuite, lorsque l’employé se déplace de son lieu d’affectation temporaire à son hôtel, en fin de journée.

27        Les fonctionnaires ont fait valoir que la Commission devrait reconnaitre le sens clair de l’exception énoncée à la clause 27.06 qui permet le paiement d’heures supplémentaires dans le premier scénario. Dans ce scénario, l’employé utilise un véhicule de l’employeur et se déplace le matin de son hôtel à son lieu d’affectation temporaire. Or, l’exception énoncée à la clause 27.06 précise que le temps supplémentaire comprend le temps « où l’employé-e est tenu par l’Employeur d’utiliser un véhicule de l’Employeur pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal […] ».

28        Les fonctionnaires ont ainsi fait valoir que les deux conditions requises, soit que l’employé utilise un véhicule de l’employeur et qu’il se rende à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal, sont satisfaites et que la Commission devrait s’en tenir à donner effet à ce qui est clairement exprimé.

29        À l’appui de cet argument, les fonctionnaires m’ont renvoyée à un extrait de l’ouvrage de Fernand Morin et de Rodrigue Blouin, Droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, 2012. Cet extrait présente la première règle d’interprétation d’une convention collective. Cette règle se lit comme suit : « La disposition de la convention collective claire et précise ne souffre pas d’interprétation ». Cette règle est suivie de cette explication:

VIII.44 – Cette règle constitue un guide-moteur, un principe fondamental aussi bien pour l’interprétation des lois que pour celle de la convention collective. Elle signifie que le simple fait qu’une partie ne comprenne pas ou feint de ne pas saisir le sens réel d’une disposition ou qu’elle refuse d’y donner suite, ou encore qu’elle manœuvre pour éviter l’application d’une prescription claire de la convention collective ne saurait autoriser l’arbitre à l’interpréter. Si le sens littéral et le sens juridique d’une même disposition coïncident, si le premier sens que l’on comprend d’une modalité est conforme à l’esprit qui se dégage normalement de l’ensemble, l’arbitre doit s’en tenir à donner effet à ce qui est ainsi clairement exprimé, formulé sans ambiguïté et considéré voulu de toute évidence par les parties. []

30        Les fonctionnaires m’ont aussi renvoyée à un extrait de Goldman c. R.,
[1980] 1 RCS 976, qui se lit comme suit : « Les règles d’interprétation sont surtout utiles lorsqu’il y a ambiguïté. Elles ne doivent cependant pas servir à déformer et à dénaturer le sens évident des mots […] ».

31        Somme toute, les fonctionnaires ont souligné que le temps qu’ils ont consacré à se déplacer de leur hôtel à leur lieu d’affectation temporaire dans le véhicule de l’employeur constitue du temps supplémentaire.

32        Les fonctionnaires ont fait valoir que dans le deuxième scénario, le sens de la clause 27.06 de la convention collective n’est pas aussi clair. Dans ce scénario, l’employé utilise un véhicule de l’employeur et se déplace, en fin de journée, de son lieu d’affectation temporaire à son hôtel. Or, les deux conditions requises, soit que l’employé utilise un véhicule de l’employeur et qu’il se rende à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal, ne sont pas satisfaites. Dans les circonstances, la représentante des fonctionnaires a fait valoir que le syndicat et l’employeur pourraient clarifier cette clause lors des prochaines rondes de négociation pour en arriver à une entente qui faciliterait les choses.

33        De toute façon, les fonctionnaires ont souligné que ce temps de déplacement peut constituer du temps supplémentaire pour une autre raison. Plus précisément, bien qu’un employé soit responsable du temps qu’il consacre à ses déplacements entre son domicile et son lieu de travail dans sa zone d’affectation, une fois qu’il quitte cette zone pour exercer des fonctions commandées, il incombe à l’employeur de le rémunérer pour tout le temps passé au travail ou en déplacement commandé, y compris le temps consacré à faire le trajet aller et retour entre le lieu de travail temporaire et le lieu de résidence temporaire. Ainsi, selon eux, la convention collective n’oblige pas l’employé à se déplacer sans être rémunéré pendant qu’il exerce des fonctions commandées.

34        L’employeur, quant à lui, a fait valoir que le temps de déplacement entre le lieu de séjour temporaire et le lieu de travail temporaire ne peut être considéré comme du temps supplémentaire. La convention collective ne prévoit pas une compensation pour ce temps de déplacement. Ce que l’exception de l’article 27.06 prévoit c’est que lorsque l’employé doit utiliser un véhicule de l’employeur pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation, le temps pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui ou chez elle peut être considéré comme des heures de travail supplémentaire. Or, dans tous les cas, l’employeur a payé ce temps de déplacement entre le domicile et le lieu de travail temporaire, tant pour l’aller que le retour. Dans ces circonstances, l’employeur a respecté les dispositions de la convention collective.

35        L’employeur a fait valoir qu’il y a certains principes d’interprétation que je devrais garder en tête. Dans Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, au paragraphe 25, l’arbitre de grief décrit les principaux principes applicables de la façon suivante :

[] Je dois décoder ce dont les parties ont convenu à partir des termes qu’elles ont employés. Je ne dois cependant pas, ce faisant, modifier ou altérer les termes qu'elles ont employés lorsqu’elles ont conclu la convention collective. Par ailleurs, en interprétant les termes employés dans une convention collective, il me faut leur attribuer leur sens ordinaire, leur sens courant, à moins que cela conduise à un résultat absurde ou que la convention y attribue un sens particulier. Je dois aussi interpréter les termes employés dans le contexte de l’ensemble de la convention collective en l'espèce. Il m’est par ailleurs interdit en vertu de l’article 229 de la Loi de modifier la convention collective.

36        Aux paragraphes 27 et 28 de Wamboldt, l’arbitre de grief énonce deux autres principes qu’il jugeait pertinents et qui sont également pertinents, selon l’employeur, dans la présente affaire :

Tout d’abord, un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur, doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective; voir notamment : Cardinal Transportation B.C. Inc. v. Canadian Union of Public Employees, Local 561 (1997), 62 L.A.C. (4e) 230, au paragr. 27; Greater Sudbury (City) v. Ontario Nurses' Association,[2011] O.L.A.A., no 471 (QL), au paragr. 23; Essex (County) v. Canadian Union of Public Employees, Local 2974.1 [2006] O.L.A.A., no 689 (QL), au paragr. 23.

Ensuite, les parties à une convention collective sont généralement réputées avoir voulu en arriver à une entente qui soit aisément applicable dans le cours ordinaire des choses. Partant, une interprétation produisant un résultat non équivoque est généralement préférée à une interprétation qui produirait un résultat équivoque ou incertain, si ce n’est pour la simple raison qu’un résultat non équivoque est davantage de nature à produire et à maintenir des « […] rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, l’Alliance et les employé-e-s […] », soit l'un des objectifs poursuivis par la convention collective; voir la clause 1.01. En résumé, une interprétation qui rend plus facile à appliquer une disposition de manière courante doit en principe être préférée à une interprétation qui en rendrait l’application difficile, voire illusoire.

37        L’employeur a mentionné que la clause 27.06 de la convention collective doit être interprétée dans son contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention collective. Or, la clause 33 de la convention collective circonscrit le temps de déplacement rémunéré. La clause 33.02, en particulier, apporte un éclairage important, comme suit :

33.02 Lorsque l'employé-e est tenu de se rendre à l'extérieur de sa zone d'affectation en service commandé, au sens donné par l’Employeur à ces expressions, l’heure de départ et le mode de transport sont déterminés par l’Employeur, et l’employé-e est rémunéré pour le temps de déplacement conformément aux paragraphes 33.03 et 33.04. Le temps de déplacement comprend le temps des arrêts en cours de route, à condition que ces arrêts ne dépassent pas quatre (4) heures.

          [Je souligne]

38        Selon l’employeur, la clause 33.02 vise les situations où « l'employé-e est tenu de se rendre à l'extérieur de sa zone d'affectation en service commandé ». En vertu de cette clause, l’employé a le droit d’être indemnisé pour son déplacement à partir de son domicile (ou de son établissement dans sa zone d’affectation) et à destination de son domicile (ou de son établissement dans sa zone d’affectation), soit le premier jour et le dernier jour de la durée de son service commandé dans une zone d’affectation temporaire.

39        Par exemple, un employé qui est en service commandé du lundi au vendredi aura le droit d’être indemnisé pour son déplacement à partir de son domicile et à destination de celui-ci, le lundi matin et le vendredi en fin de journée. Or, cette clause ne prévoit pas que l’employé soit indemnisé pour ses déplacements les jours où il n’a pas voyagé à destination et à partir de son domicile (ou de son établissement dans sa zone d’affectation). Dans cet exemple, l’employé n’est pas indemnisé pour ses déplacements à l’intérieur de la zone d’affectation temporaire du mardi au jeudi puisqu’il n’a pas voyagé à destination ou à partir de son domicile au cours de ces trois jours.

40        L’employeur ajoute que la clause 27.06 de la convention collective, quant à elle, vise les heures supplémentaires rémunérées, non le temps de déplacement rémunéré. La clause stipule que le temps consacré par l’employé pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui n’est pas rémunéré, sauf dans les cas où l’employé est tenu par l’employeur d’utiliser un véhicule de l’employeur pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal.

41        Selon l’employeur, pour que l’employé puisse invoquer l’exception énoncée à la clause 27.06 de la convention collective, quatre conditions doivent être satisfaites : (1) le temps de déplacement doit représenter des heures supplémentaires;
(2) le déplacement pour se rendre du lieu de travail et en revenir doit se faire à partir et à destination du domicile de l’employés; (3) l’employé doit utiliser le véhicule de l’employeur; et (4) le lieu d’affectation doit être différent du lieu de travail normal de l’employé.

42        L’employeur a ajouté que la raison pour laquelle la deuxième condition énoncée pour que l’exception de la clause 27.06 s’applique (« le déplacement pour se rendre du lieu de travail et en revenir doit se faire à partir et à destination du domicile de l’employé ») est que dans la version française de la clause 27.06, les termes « chez lui ou chez elle » sont employés comme équivalent du terme anglais « residence ».

43        Le terme « « residence » est défini comme suit dans le Black’s Law Dictionary : « Residence » means a fixed and permanent abode or dwelling-place for the time being, as contradistinguished from a mere temporary locality of existence » ([traduction] lieu où une personne demeure de façon habituelle et permanente, contrairement à un lieu où une personne habite temporairement).

44        Selon l’employeur, les fonctionnaires n’étaient pas « chez eux » lorsqu’ils demeuraient à l’hôtel. Ils occupaient un logement temporaire éloigné de leur demeure ou domicile. De plus, si les fonctionnaires n’avaient pas occupé un logement temporaire suffisamment éloigné de leur demeure ou domicile, ils ne se seraient pas fait rembourser leurs nuitées à l’hôtel et leurs repas. Or, les fonctionnaires ont tous été rémunérés pour les frais encourus durant leur déplacement selon la Directive sur les voyages.

45        L’employeur a aussi fait valoir que, en 1980, dans Mayoh c. Le Conseil du Trésor, dossiers de la CRTFP 166-2-8896 et 8914, un arbitre de grief et membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a interprété une clause pratiquement identique à la clause 27.06. La clause en question dans Mayoh était libellée comme suit :

Sauf dans les cas où l’employé est tenu par l’employeur d’utiliser un véhicule de l’employeur pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal, le temps que l’employé met pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui n’est pas tenu pour un temps de travail.

46        Dans la décision Mayoh, l’arbitre de grief a conclu que pour qu’un employé puisse invoquer l’exception énoncée à la clause en litige (identique à la clause 27.06), il doit quitter son domicile pour se rendre à un lieu de travail dans un véhicule fourni par l’employeur et, par conséquent, le temps consacré au déplacement à partir de « chez lui » pourra être considéré comme des heures de travail supplémentaires.
Or, si l’employé part de son lieu d’affectation normal ou de tout autre endroit
(un motel par exemple), mais non de « chez lui », pour se rendre à un lieu de travail, la clause en question, qui porte sur les heures supplémentaires, est sans objet.

47        L’employeur s’est aussi appuyé sur la décision de la Cour d’appel fédérale Lamothe et al. v. Procureur général du Canada, 2009 CAF 2, à l’appui de sa position que la clause 27.06 ne permet pas de rémunérer un employé pour son temps de déplacement entre un lieu de séjour temporaire et un lieu d’affectation temporaire. Dans cette affaire, la Cour d’appel a conclu que le temps de déplacement entre le lieu de séjour une fois à destination et le centre de formation n’était pas rémunéré.

48        En conclusion, l’employeur a fait valoir que la convention collective ne contient aucune disposition relative au déplacement à destination et à partir d’un hôtel ou d’un lieu de séjour temporaire.

49        Au regard du droit et de la preuve et pour les raisons qui suivent, je conclus que les heures supplémentaires demandées ne peuvent être accordées en vertu de l’exception énoncée à la clause 27.06 de la convention collective.

50        Mon objectif est de déterminer l’intention réelle des parties lorsqu’elles ont conclu la convention collective. Pour ce faire, je dois prendre les mots utilisés dans leur sens ordinaire. Je dois aussi tenir compte du reste de la convention collective.

51        Or, je note que la clause 33.02 (temps de déplacement) de la convention collective ne mentionne pas qu’un employé a droit à une compensation pour son déplacement à destination et à partir d’un hôtel ou d’un lieu de séjour temporaire. Cette clause a trait au déplacement à destination ou en provenance de la région du lieu d’affectation de l’employé. Cette clause ne s’applique donc pas dans le cas où l’employé a atteint le lieu où il exerce des fonctions temporaires. L’arbitre de grief dans Mayoh a expliqué comme suit le fondement de cette conclusion au paragraphe 31 de sa décision :

31. Il est clair que la clause 23.01 [semblable à la clause 33.02] s’applique dans le cas de l’employé qui doit voyager à destination et en provenance de la région de son lieu d’affectation. Cette clause est sans objet une fois que l’employé a atteint le lieu où il exerce des fonctions locales parce que la région du lieu d’affectation n’est plus la destination ni le point de départ. Cependant, la clause 22.18 [identique à la clause 27.06] pourrait-elle servir de fondement à la revendication de l’employé s’estimant lésé?

52        Ici, la clause 27.06 (heures supplémentaires) peut-elle servir de fondement à la revendication des fonctionnaires?

53        La clause 27.06 de la convention collective mentionne comme lieu de résidence de l’employé, l’endroit qui est « chez lui ou chez elle », mais cette expression n’est pas définie dans la convention collective. Il faut donc attribuer à ces termes leur sens ordinaire et courant à moins que cela conduise à un résultat absurde ou que la convention y attribue un sens particulier.

54        Selon moi, tel qu’il a été présenté dans Mayoh, l’expression « chez lui ou chez elle» évoque l’idée de permanence. C’est ce qu’on appelle son chez-soi. D’ailleurs, je note que la clause interprétée dans cette décision était à un ou deux mots près identique à la clause 27.06.

55        Or, l’arbitre de grief a conclu que cette clause ne peut servir de fondement à la revendication des fonctionnaires. Sa conclusion était présentée aux paragraphes 34 à 39 de la décision, comme suit :

34. Comme l’a soutenu l’avocat de l’employeur, il ressort nettement des définitions anglaises et françaises données
ci-dessus que les termes « residence » et « chez lui »* signifient « demeure ». Je dois donc conclure que l’expression « chez lui » utilisée dans la clause 22.18
[identique à la clause 27.06] de la convention collective se rapporte à la maison ou à la demeure habituelle de l’employé, c’est-à-dire l’endroit qu’il quitte lorsqu’il voyage à l’extérieur de la région de son lieu d’affectation. « Chez lui » ne désigne pas alors un logement temporaire comme celui qu’on a fourni à l’employé s’estimant lésé à Outlook. Quand celui-ci s’est mis en route pour Cutbank le 2 avril, il a quitté son « chez lui », sa demeure ou sa maison.

35. Ainsi, l’employé en cause est parti de « chez lui » pour se rendre à Cutbank le 2 avril et est parti de Cutbank pour retourner « chez lui » le 6 avril. Les déplacements effectués entre ces deux dates, c’est-à-dire les 3, 4 et 5 avril, n’avaient aucun rapport avec sa « résidence » ou la « région de son lieu d’affectation ». Le motel d’Outlook n’était donc pas, au sens usuel du mot, la résidence de l’employé en cause.

[]

37. […]Si l’employé part de son lieu d’affectation normal ou de tout autre endroit, mais non de « chez lui », pour se rendre à un lieu de travail, la clause en question [sur les heures supplémentaires] est sans objet.

[…]

39. La convention collective ne comporte aucune disposition quant à la rémunération à accorder pour le déplacement entre un lieu de travail et le motel de l’employé. […]

56        Je suis d’accord avec le raisonnement de l’arbitre de grief dans Mayoh.

57        Selon moi, afin de déterminer si le temps de déplacement des fonctionnaires entre leur lieu de séjour temporaire et leur lieu de travail temporaire correspond à des heures supplémentaires travaillées, il importe d’interpréter les termes employés à la clause 27.06 en leur attribuant leur sens ordinaire, leur sens courant. Toutefois, je dois aussi interpréter les termes employés dans le contexte de l’ensemble de la convention collective.

58        Ici, les clauses 33.01 à 33.07 de la convention collective précisent les circonstances dans lesquelles le temps de déplacement est rémunéré. Les clauses 33.01 à 33.04, en particulier, sont pertinentes aux faits en l’espèce.

59        La clause 33.01 énonce ce qui suit : « Aux fins de la présente convention collective, le temps de déplacement n’est rémunéré que dans les circonstances et dans les limites prévues par le présent article. »

60        Ensuite, la clause 33.02 prévoit la rémunération lorsqu’un employé est tenu de se rendre à l’extérieur de sa zone d’affectation en service commandé. Il est prévu que l’employé « est rémunéré pour le temps de déplacement conformément aux paragraphes 33.03 et 33.04 [et que le] temps de déplacement comprend le temps des arrêts en cours de route, à condition que ces arrêts ne dépassent pas quatre (4) heures. »

61        En ce qui concerne la clause 33.03, elle concerne les situations où l’employé utilise les transports en commun ou des moyens de transport privés, ou demande une autre heure de départ et/ou un autre moyen de transport. Quant à la clause 33.04, elle fait une distinction entre un déplacement effectué un jour de travail normal, un jour de repos ou un jour férié désigné payé.

62        Ainsi, selon moi, pour que le temps de déplacement d’un fonctionnaire puisse être considéré comme des heures supplémentaires en vertu de l’exception de la clause 27.06, il est nécessaire que: (1) le fonctionnaire effectue des heures supplémentaires; (2) le fonctionnaire se déplace entre son domicile (en anglais : residence) et un lieu de travail autre que son lieu d’affectation normal ou revient de ce lieu à son domicile; et (3) le fonctionnaire utilise un véhicule de l’employeur.

63        L’employeur doit aussi tenir compte du fait que le temps de déplacement ne peut être rémunéré que dans les circonstances et dans les limites prévues par la clause 33. Or, la clause 33.02 nécessite, comme le fait la clause 27.06, que le fonctionnaire se déplace pour exécuter ses fonctions commandées hors de sa zone d’affectation. Enfin, le temps de déplacement comprend le temps des arrêts en cours de route, à condition que ces arrêts ne dépassent pas quatre (4) heures (clause 33.02).

64        Somme toute, une lecture cohérente des clauses, 27.06 et 33.01 à 33.04 de la convention collective mène à la conclusion que l’employeur a correctement refusé les demandes d’heures supplémentaires des fonctionnaires pour leurs périodes de déplacement entre un lieu de séjour temporaire et un lieu d’affectation temporaire. Cette interprétation correspond, selon moi, à ce qui a été négocié entre l’agent négociateur et l’employeur.

65        Dans les circonstances, je conclus que l’employeur n’a pas violé la clause 27.06 de la convention collective.

66        Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

67        Les griefs sont rejetés.

Le 10 juillet 2018.

Nathalie Daigle,

une formation de la Commission
 des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral

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