Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que le défendeur avait omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard dans le cadre d’un processus de dotation – elle était une employée excédentaire bénéficiant d’un statut prioritaire et avait posé sa candidature pour le poste lorsqu’il a été annoncé – sa lettre d’accompagnement ne démontrait pas suffisamment comment elle satisfaisait aux exigences essentielles du poste – le défendeur lui a demandé par courriel de lui faire parvenir une lettre d’accompagnement plus complète, mais n’a jamais reçu de réponse et l’a éliminée du processus – étant donné que la fonctionnaire s’estimant lésée bénéficiait d’un statut prioritaire et que ses qualifications correspondaient aux qualifications essentielles du poste, elle a reçu par la suite un courriel généré automatiquement l’informant qu’elle pouvait poser sa candidature pour le poste – en raison du courriel, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé la possibilité de poser sa candidature de nouveau – elle a expliqué qu’elle n’avait pas vu les courriels précédents du défendeur en raison d’une chirurgie oculaire – sa capacité à communiquer par courriel était également compliquée parce qu’elle n’avait pas d’ordinateur à la maison – elle utilisait un ordinateur à la bibliothèque – elle avait également une mobilité restreinte et comptait sur les services de transport pour se rendre à la bibliothèque – le défendeur a envoyé un courriel à la fonctionnaire s’estimant lésée indiquant qu’il étudierait sa demande de nouveau, à la condition qu’elle présente une lettre d’accompagnement satisfaisante, ainsi qu’une preuve de la chirurgie oculaire, au plus tard le lendemain à 9 h – en raison de problèmes de courriel à la bibliothèque, le défendeur a reçu la lettre d’accompagnement quatre heures en retard – la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas non plus envoyé de preuve de la chirurgie oculaire à ce moment-là – le défendeur l’a de nouveau éliminée du processus – la Commission a conclu que la déficience de la fonctionnaire s’estimant lésée (la condition de ses yeux) a été un facteur dans la décision de mettre fin à sa participation au processus de nomination, puisqu’elle aurait répondu plus tôt aux courriels si la chirurgie n’avait pas eu lieu – sa mobilité restreinte a également joué un rôle dans son incapacité à répondre aux courriels – l’insistance du défendeur à recevoir un certificat médical pour justifier la participation de la fonctionnaire s’estimant lésée au processus, malgré son droit à titre de candidate prioritaire, était aussi liée à la condition de son œil – il n’y a aucune preuve selon laquelle la prise de mesures d’adaptation pour la fonctionnaire s’estimant lésée aurait exposé l’employeur à des contraintes excessives – la Commission a conclu que le défendeur avait fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire s’estimant lésée – elle s’est vu accorder 10 000 $ à titre de compensation pour préjudice moral – les parties doivent présenter des arguments sur la mesure corrective concernant la réintégration de la fonctionnaire s’estimant lésée sur la liste de priorité aussi bien que l’indemnisation pour perte de salaire et avantages sociaux.

Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180709
  • Dossier:  566-02-11222
  • Référence:  2018 CRTESPF 58

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

EKARINA SANTAWIRYA

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

employeur

Répertorié
Santawirya c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Jean-Michel Corbeil, avocat
Pour l'employeur:
Jena Montgomery, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 24 au 27 avril 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Le 12 février 2015, Ekarina Santawirya, la fonctionnaire s’estimant lésée (« la fonctionnaire »), a déposé un grief contre l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») pour avoir omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard dans le cadre d’un processus de dotation dans le cadre duquel elle avait le statut d’employée prioritaire. L’ASFC n’a jamais répondu au grief. Le 4 juin 2015, le grief a été renvoyé à l’arbitrage auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Durant la même période, un avis a été donné à la Commission canadienne des droits de la personne selon lequel la fonctionnaire entendait soulever des questions de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6; LCDP) à l’arbitrage.

2        Le 19 juin 2017, une Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). Pour faciliter la lecture, dans la présente décision, les renvois à « la Commission » comprennent à la fois la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. De même, les renvois à « la Loi » comprennent à la fois la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

II. Décision préliminaire

3        Avant de poser sa candidature à un poste auprès de l’ASFC, la fonctionnaire a travaillé pour Industrie Canada. Elle a été déclarée employée excédentaire bénéficiant d’un statut prioritaire. Elle a posé sa candidature au poste d’analyste de la sécurité, classifié AS-01, à l’ASFC. Elle a ensuite présenté un grief selon lequel l’ASFC a fait preuve de discrimination à son endroit en ne prenant pas sa candidature en considération.

4        Lorsque le grief a été renvoyé à l’arbitrage, le Conseil du Trésor, l’employeur pour les ministères et organismes fédéraux, dont Industrie Canada et l’ASFC, s’y est opposé pour les motifs suivants :

  • La nature du grief concernait un processus de dotation à l’égard duquel un arbitre de grief n’a pas compétence.
  • Le grief n’a pas été dûment présenté devant la Commission parce que la fonctionnaire n’était pas une employée au moment de son dépôt.
  • Un autre recours administratif était prévu par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP), privant l’arbitre de grief de sa compétence. L’employeur a par la suite retiré cette objection.
  • Le grief a été déposé en dehors du délai prescrit par la convention collective pertinente, et la Commission ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai.
  • Une autre objection a été soulevée après qu’une formation de la Commission ait tenu une audience sur les quatre premières objections. Cette dernière objection portait sur le fait que le grief avait été déposé en vertu d’une convention collective entre l’Association canadienne des employés professionnels (« ACEP ») et l’employeur, qui s’appliquait au poste que la fonctionnaire occupait à Industrie Canada, alors que le poste pour lequel elle avait posé sa candidature était couvert par une autre convention collective négociée entre l’employeur et un autre agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

5        Après avoir examiné tous les éléments de preuve et les arguments des parties sur les questions préliminaires, la formation de la Commission a décidé qu’un arbitre de grief avait compétence pour entendre le grief (voir Santawirya c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTESPF 10).

6        La formation a d’abord examiné la question du respect du délai et l’a rejetée. En vertu du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (maintenant le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79)), une objection relative au respect des délais doit être soulevée à chaque palier de la procédure de règlement des griefs pour qu’elle puisse être soulevée à l’étape de l’arbitrage. L’ASFC ne l’a pas fait et, par conséquent, a renoncé à son droit de soulever la question.

7        Quant à savoir si la fonctionnaire était une employée lorsqu’elle a présenté le grief, l’employeur a fondé son raisonnement sur le fait qu’une fois que la période à titre d’employée excédentaire a pris fin, la fonctionnaire n’était plus une employée. Le grief a été déposé après cette date. Toutefois, la formation de la Commission a statué que les événements qui ont donné lieu au grief avaient eu lieu alors qu’elle était encore une employée, ce qui, selon la jurisprudence, permet à une personne de déposer un grief relativement à son emploi, même après qu’il ait pris fin.

8        L’employeur a également soutenu que le grief concernait essentiellement un processus de dotation, lequel n’est pas visé par la compétence d’un arbitre de grief. De plus, la fonctionnaire n’était pas une employée de l’ASFC.

9        La fonctionnaire a répondu en faisant valoir que le grief portait sur une question de discrimination en vertu de la convention collective et de la LCDP, à l’égard de laquelle un arbitre de grief a compétence. La formation de la Commission a déclaré que la Commission avait compétence en ce qui concerne une éventuelle violation de la clause antidiscrimination de la convention collective et de la Directive sur le réaménagement des effectifs (« DRE »), qui fait également partie de la convention collective.

10        La dernière objection concernait la question de savoir si la convention collective applicable était celle du groupe Économique et services de sciences sociales (« EC ») conclue entre l’ACEP et le Conseil du Trésor, étant donné qu’une autre convention collective s’appliquait à l’ASFC.

11        Comme la formation de la Commission l’a déclaré, l’employeur est le Conseil du Trésor. La DRE faisait partie de la convention collective conclue entre l’ACEP et le Conseil du Trésor. De plus, selon l’allégation, les modalités de la DRE n’avaient pas été correctement appliquées à l’égard de la fonctionnaire. La formation de la Commission a conclu comme suit : « […] la DRE établit les obligations du Conseil du Trésor au nom des ministères de nomination ou d’autres secteurs de l’administration publique fédérale, en l’espèce l’ASFC, qui peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de la convention collective du groupe EC. »

III. Résumé de la preuve

12        Aux fins de la décision préliminaire, les parties avaient préparé un exposé conjoint des faits, qui a également été présenté par les parties à l’audience du grief. Le résumé de la preuve qui suit comprend les faits de cette déclaration, ainsi que les éléments de preuve présentés par les témoins à l’audience. La fonctionnaire a témoigné pour son compte. L’employeur a appelé les témoins suivants : Karine Hince, conseillère en matière de priorité, Commission de la fonction publique (« CFP »); Kim MacDonald, conseillère en ressources humaines (« RH »), ASFC; Monique Poivre, gestionnaire des RH et superviseure de Mme MacDonald au moment des événements ayant donné lieu au grief; Catherine Power, gestionnaire de projet de sécurité, ASFC, qui était la responsable de l’ASFC et faisait partie du comité de sélection du processus de dotation duquel la fonctionnaire a été éliminée lors de la présélection.

13        La fonctionnaire a été embauchée comme adjointe de recherche (par la suite, en tant qu’analyste de données) à compter du 31 août 2000, dans le cadre du programme d’équité en matière d’emploi d’Industrie Canada. Elle est atteinte d’une déficience qui exige des mesures d’adaptation. Sa mobilité est extrêmement restreinte, car ses genoux ont été gravement endommagés dans un accident de la route il y a plusieurs années. Beaucoup de volonté et d’efforts de réadaptation ont été nécessaires pour qu’elle puisse marcher à nouveau. La fonctionnaire marche difficilement, avec l’appui de deux cannes, et seulement de courtes distances. Les mesures d’adaptation nécessaires au travail sont essentiellement de nature ergonomique.

14        Le 26 juin 2012, elle a été informée que ses services n’étaient plus requis dans le contexte de la réduction des dépenses à l’échelle du gouvernement. En vertu de la DRE, on lui a offert trois options. Elle a choisi l’option « A », le 24 octobre 2012. Par conséquent, pour l’année à suivre, elle continuerait à travailler dans son poste et bénéficierait du statut d’« employée excédentaire bénéficiant d’un statut prioritaire » au moment de poser sa candidature à des postes à la fonction publique. En d’autres mots, elle avait le droit d’être nommée à un autre poste au sein de l’administration publique centrale, si elle possédait les qualifications essentielles du poste, avant tout autre candidat. Après 12 mois, elle serait mise à pied et bénéficierait du statut prioritaire pour une période supplémentaire de 12 mois. Son emploi prendrait fin après cette deuxième période, à moins qu’elle n’ait obtenu un autre poste à la fonction publique.

15        En septembre 2014, l’ASFC a annoncé un processus de nomination pour des postes d’agent de sécurité, d’agent de sécurité régional et d’analyste des enquêtes de sécurité sur le personnel. Les postes étaient tous classifiés au groupe et au niveau AS-01. La date de clôture pour présenter sa candidature était le 3 octobre 2014. Le 23 septembre 2014, la fonctionnaire a envoyé un courriel à l’ASFC pour poser sa candidature, et elle y a joint son curriculum vitæ et une lettre d’accompagnement. Elle s’identifiait comme une employée excédentaire bénéficiant d’un statut prioritaire. Son curriculum vitæ indiquait qu’elle avait été embauchée dans le cadre du programme d’équité en matière d’emploi.

16        D’après l’ASFC, la lettre d’accompagnement ne démontrait pas suffisamment comment la fonctionnaire satisfaisait aux exigences essentielles du poste, malgré le fait que l’affiche pour le processus exigeait clairement une telle lettre d’accompagnement. Le 2 octobre 2014, un adjoint administratif de l’ASFC a demandé à la fonctionnaire de lui faire parvenir une lettre d’accompagnement plus complète. Le lendemain, l’un des membres du comité de sélection a également communiqué avec la fonctionnaire pour vérifier si elle souhaitait toujours poser sa candidature.

17        L’ASFC n’a reçu aucune réponse de la fonctionnaire et, par conséquent, Mme MacDonald l’a informée par courriel, le 14 octobre, que sa demande ne serait plus prise en considération, car aucune lettre d’accompagnement complète n’avait été fournie.

18        Le 15 octobre 2014, la fonctionnaire a reçu un message automatisé de la CFP, la renvoyant à un processus de dotation pour un poste d’agent de sécurité à l’ASFC. À l’audience, Mme MacDonald a expliqué que lorsque les personnes ayant droit à une priorité présentent elles-mêmes leur candidature, elle en avise la CFP. Dans ce cas-ci, elle a avisé la CFP des deux choses à la fois : que la fonctionnaire avait posé sa candidature et qu’elle avait été éliminée lors de la présélection. Mme MacDonald demandait à la CFP un numéro d’autorisation en matière de priorité, une étape nécessaire dans le cadre d’un processus de nomination pour veiller à ce que les personnes ayant droit de priorité se voient offrir des possibilités pour lesquelles elles semblent satisfaire aux qualifications essentielles.

19        Mme Hince a expliqué que, lorsque la CFP reçoit une demande d’autorisation en matière de priorité pour un processus de nomination, elle doit prévenir les personnes ayant droit de priorité dont les qualifications semblent correspondre aux qualifications essentielles du poste. Ce courriel est généré automatiquement. Il n’y a pas de possibilité d’intervention humaine pour contrer l’absurdité de l’envoi d’un avis de présenter une demande à une personne qui a déjà reçu une réponse négative pour le même poste.

20        Du point de vue de la fonctionnaire, le scénario s’est déroulé ainsi. Le 14 octobre, elle a reçu un courriel l’informant qu’elle avait été éliminée lors de la présélection. Le 15 octobre, elle a reçu un courriel l’informant qu’elle pouvait poser sa candidature pour le poste. Selon le courriel automatique de la CFP, elle avait cinq jours ouvrables pour fournir sa lettre d’accompagnement et son curriculum vitæ à l’ASFC.

21        La fonctionnaire a immédiatement communiqué avec Mme MacDonald pour confirmer qu’il s’agissait du même processus de nomination, ce que Mme MacDonald a fait. La fonctionnaire a alors demandé si elle pouvait poser sa candidature à nouveau, étant donné le courriel de la CFP, et malgré le fait qu’elle avait été éliminée lors de la présélection.

22        Mme MacDonald lui a alors demandé pourquoi elle n’avait pas donné suite aux courriels qui lui avaient été envoyés les 2 et 3 octobre, lui demandant une lettre d’accompagnement plus complète et si elle souhaitait toujours poser sa candidature.

23        Dans son témoignage, la fonctionnaire a dit qu’elle avait expliqué à Mme MacDonald qu’elle avait subi une intervention chirurgicale oculaire le 8 octobre. Au cours de la semaine précédant la chirurgie, elle a dû se rendre à l’hôpital pour plusieurs rendez-vous préalables à la chirurgie. Après la chirurgie, elle trouvait difficile de travailler devant un écran d’ordinateur et, par conséquent, elle n’a pas vu les courriels des 2 et 3 octobre avant celui du 14 octobre.

24        Outre la chirurgie oculaire, la capacité de la fonctionnaire à communiquer par courriel était compliquée pour deux autres raisons — elle n’a pas d’ordinateur à la maison et elle compte sur les services de Para Transpo pour ses transports (Para Transpo est un service à Ottawa (Ontario), pour les personnes ayant des difficultés de mobilité).

25        La fonctionnaire utilise un ordinateur à la Bibliothèque publique d’Ottawa pour la recherche d’emploi et le service de courriel. Ils sont disponibles deux heures par jour et doivent être réservés. En raison de sa mobilité restreinte, elle dépend entièrement de Para Transpo pour ses déplacements une fois qu’elle quitte la maison. Il n’est pas clair à quel point la question de la mobilité a été soulevée lors des discussions du 15 octobre avec Mme MacDonald, mais la chirurgie oculaire l’a certainement été.

26        Mme MacDonald a consulté sa superviseure, Mme Poivre. Elles ont décidé d’accorder une nouvelle chance à la fonctionnaire. Bien que Mme MacDonald ait hésité quelque peu lors de son témoignage à ce sujet, je suis convaincue que, compte tenu de l’échange de courriel à ce moment, elle a discuté de la possibilité pour la fonctionnaire de poser sa candidature de nouveau au plus tôt le 16 octobre. Mme Poivre a témoigné que la politique était de tout mettre par écrit lors d’échanges avec les candidats. Le 17 octobre, Mme MacDonald a envoyé un courriel à la fonctionnaire déclarant que l’ASFC étudierait sa demande de nouveau, à la condition qu’elle présente une lettre d’accompagnement satisfaisante et une preuve de la chirurgie oculaire, au plus tard à 9 h, le 20 octobre.

27        Le 17 octobre 2014 était un vendredi. Le courriel demandant une lettre d’accompagnement complète et un certificat médical attestant de la chirurgie oculaire a été envoyé à 11 h 23, le même jour. Le 20 octobre 2014 était le lundi matin suivant.

28        La fonctionnaire a déclaré qu’elle a travaillé très fort à la bibliothèque pour corriger sa lettre d’accompagnement. Comme la bibliothèque ouvrait seulement à 10 h le lundi matin, elle devait l’envoyer avant l’heure de fermeture, soit à 17 h, le dimanche après-midi, ce qu’elle a dit avoir fait. Elle a aussi déclaré qu’en raison de la récente chirurgie oculaire, l’état de son œil rendait difficile le travail à l’ordinateur, mais elle a persisté, car elle était très motivée à obtenir le poste.

29        Cependant, la lettre d’accompagnement n’a pas été reçue avant 9 h, le lundi matin. Ce jour-là, la fonctionnaire est arrivée à la bibliothèque vers 10 h 30. Elle s’est rendu compte qu’il y avait des problèmes de courriel, car un correspondant qui avait toujours été prompt à répondre n’avait pas répondu à un courriel qu’elle avait envoyé la veille, le dimanche après-midi. La fonctionnaire s’est ensuite mise à craindre que sa lettre d’accompagnement n’ait pas été reçue. Elle a parlé à la bibliothécaire et, avec l’aide des services de technologie de l’information de la bibliothèque, la lettre d’accompagnement a été récupérée. Elle l’a ensuite envoyée à 12 h 53.

30        La note du médecin attestant de la chirurgie oculaire du 8 octobre a été produite le jour suivant, le mardi 21 octobre, mais n’a été envoyée par télécopieur à l’attention de Mme Poivre, à l’ASFC, que le 3 novembre. La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait eu de la difficulté à convaincre la secrétaire de l’envoyer par télécopieur, car c’était quelque chose que le bureau du chirurgien ne faisait normalement pas.

31        Le 21 octobre, la fonctionnaire a reçu le courriel suivant de la part de Mme MacDonald :

                   [Traduction]

[]

Malheureusement, nous ne pouvons pas prendre votre candidature en considération, car vous n’avez pas fourni les renseignements demandés au plus tard le lundi 20 octobre 2014, à 9 h.

  1. Une preuve que vous avez envoyé votre lettre d’accompagnement à mon attention avant le lundi 20 octobre 2014, à 9 heures
  2. Une copie de votre certificat médical
  3. Une copie de votre dossier de mesures d’adaptation

Par conséquent, votre candidature a été rejetée dans le cadre de ce processus de sélection.

[…]

32        La dernière exigence n’avait jamais été mentionnée dans un courriel antérieur. Mme MacDonald a expliqué que, dans l’éventualité où la lettre avait été acceptée, le dossier de mesures d’adaptation aurait été nécessaire pour une évaluation plus poussée, étant donné que l’ASFC croit en l’importance de bien répondre aux besoins en mesures d’adaptation des candidats.

33        Lorsqu’elle a reçu ce courriel, la fonctionnaire a communiqué avec Mme MacDonald pour affirmer que sa demande devrait quand même être prise en considération. Elle a clairement dit que, non seulement elle venait de subir une intervention chirurgicale oculaire, mais aussi que ses difficultés de mobilité et sa dépendance à l’égard de l’ordinateur de la bibliothèque publique avaient aggravé la situation.

34        À l’audience, Mme MacDonald et Mme Poivre ont fortement insisté sur le fait qu’elles étaient uniquement guidées par des notions d’équité. Tout candidat qui avait besoin de mesures d’adaptation y aurait droit, mais il devait y avoir des preuves médicales. De la même façon, une date limite pourrait être reportée, mais, encore une fois, seulement avec une preuve médicale claire. Les candidats étaient tous assujettis à ces exigences, et l’omission de les appliquer à certains candidats aurait été injuste pour les autres.

35        Le 22 octobre, l’ASFC a reçu des renseignements sur les mesures d’adaptation de la fonctionnaire de la part de son médecin traitant. Le 23 octobre, la coordonnatrice de la bibliothèque publique où la fonctionnaire avait utilisé l’ordinateur a fait parvenir un courriel à l’ASFC indiquant qu’il y avait eu des problèmes avec le serveur de la bibliothèque.

36        Le statut prioritaire de la fonctionnaire a expiré le 24 octobre 2014. Il y avait des contradictions entre les témoins de l’employeur quant à l’importance de cette date en ce qui concerne le processus de nomination. Mme Poivre a affirmé dans son témoignage qu’elle croyait que, dans la mesure où une personne bénéficiant du statut prioritaire a été évaluée et jugée qualifiée pour un poste avant la fin de la période d’admissibilité, le moment de la nomination est sans importance. Dans le cas du processus auquel la fonctionnaire a participé, les éléments de preuve montrent que la nomination a été faite en mai 2015.

37        Selon les éléments de preuve présentés par Mme MacDonald et Mme Hince, il devait y avoir une lettre d’offre (qui pouvait être conditionnelle) avant la fin de la période d’admissibilité. L’employeur a appuyé cette dernière position dans ses arguments. Ce qui est clair, c’est qu’une fois que le statut prioritaire a pris fin le 24 octobre, la CFP ne considérait plus la fonctionnaire comme une candidate viable. L’ASFC était libérée de son obligation d’embaucher des candidats prioritaires et a obtenu l’autorisation en matière de priorité. Tous les témoins de l’employeur, tant de l’ASFC que de la CFP, étaient au courant de la fin du statut prioritaire. Le 17 octobre, Mme MacDonald avait correspondu avec la CFP pour se renseigner sur ce qui se produirait une fois le délai expiré. On lui a répondu que la fonctionnaire n’aurait plus à être considérée comme une candidate prioritaire.

38         Mme Power, qui faisait partie du comité de sélection, a été interrogée au sujet de la lettre d’accompagnement et du curriculum vitæ de la fonctionnaire. Elle a déclaré que, dans le cas des candidats prioritaires, il est possible de les embaucher même s’ils ne satisfont pas à toutes les qualifications, et ensuite de leur offrir une formation en emploi pendant un maximum de deux ans.

39        Apparemment, le 21 octobre 2014, la décision de ne pas tenir compte de la demande de la fonctionnaire a été entièrement prise par les services des ressources humaines de l’ASFC, à savoir Mme MacDonald et Mme Poivre.

40        La fonctionnaire a parlé de sa recherche d’emploi infructueuse depuis ce temps. Son poste de travail doit être modifié en raison de son état physique. Elle est d’avis qu’en raison de l’équité en matière d’emploi, seul le gouvernement fédéral est prêt à embaucher des personnes handicapées. Elle dépend du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (« POSPH ») pour son revenu.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

41        La fonctionnaire allègue qu’elle a été privée de ses droits en vertu de la DRE et qu’elle  a été victime de discrimination de la part de l’ASFC. Elle fait valoir qu’il y a eu deux actes discriminatoires : l’imposition d’une date limite arbitraire pour la nouvelle lettre d’accompagnement et le certificat médical, sans tenir compte de ses limites et, plus important encore, le refus de réévaluer sa demande malgré l’absence de véritables motifs opérationnels, sans aucune considération pour ses limitations. L’employeur n’a pas démontré que la prise de mesures d’adaptation à l’endroit de la fonctionnaire lui aurait causé une contrainte excessive. Pour cette raison, comme il y avait un défaut de prendre des mesures d’adaptation, la fonctionnaire a droit à une réparation.

42        Il n’y avait aucune raison opérationnelle d’imposer le délai prévu à 9 h, le lundi matin, pour obtenir la lettre d’accompagnement et le certificat médical. La fonctionnaire a fait de son mieux afin de remettre la lettre d’accompagnement à l’intérieur du délai prescrit, mais elle l’a dépassé de moins de quatre heures. Quant au certificat médical requis d’un chirurgien, il était irréaliste de penser qu’on puisse l’obtenir au cours d’une fin de semaine, avant 9 h le lundi matin. Aucune explication n’a été présentée à savoir pourquoi il devait être fourni à ce moment.

43        L’application stricte du délai en date du lundi matin a eu pour conséquence que la fonctionnaire n’a pas été évaluée avant l’expiration de son statut prioritaire, le 24 octobre.

44        La DRE fait partie de la convention collective conclue entre l’ACEP et le Conseil du Trésor, aux termes de la clause 39.03(11) de cette même convention collective. La clause 4.3 de la DRE, qui concerne les personnes mises en disponibilité, mentionne qu’une formation peut être offerte à une personne bénéficiant du statut prioritaire, sous certaines conditions, de sorte que cette personne puisse se qualifier pour un poste vacant. La lettre d’offre dans un tel cas serait conditionnelle à la réussite de cette formation.

45        La discrimination en emploi est définie comme suit à l’article 7 de la LCDP :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d’emploi.

46         La déficience est l’un des motifs de distinction illicite. Dans le cas de la fonctionnaire, elle affirme que ses déficiences sont bien établies, tant en ce qui concerne sa mobilité réduite que la condition de ses yeux à la suite d’une intervention chirurgicale. La déficience doit être interprétée comme une limitation fonctionnelle qui n’est pas nécessairement permanente (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), 2000 CSC 27).

47        La Cour suprême du Canada, dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, (« Simpsons-Sears »), définit les paramètres pour établir la discrimination en matière d’emploi. En premier lieu, le plaignant doit présenter une preuve prima facie de discrimination : si la fonctionnaire fait partie d’un groupe visé par un motif illicite, par exemple une déficience, si elle a subi un traitement préjudiciable, et si le motif illicite était un facteur dans le traitement préjudiciable. Dans le contexte de l’emploi, l’employeur peut se défendre contre une preuve prima facie de discrimination en affirmant qu’il était justifié d’imposer une exigence à la fonctionnaire et qu’il n’était pas possible de prendre des mesures d’adaptation raisonnables sans subir une contrainte excessive (voir l’article 15 de la LCDP).

48        Selon la fonctionnaire, elle satisfaisait clairement au critère de la preuve prima facie de discrimination. Elle remplit les conditions requises pour les services de Para Transpo et le POSPH, qui exigent une preuve médicale d’une déficience. Le certificat médical indiquant qu’elle avait subi une chirurgie oculaire n’a pas été contesté. Elle a été privée de la possibilité d’être évaluée et ses déficiences constituaient certainement un facteur. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’il n’est pas nécessaire que la déficience soit la cause du traitement préjudiciable aux fins de la preuve prima facie de discrimination; elle n’a qu’à être un facteur (voir, par exemple, Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39) (« Bombardier »).

49        La fonctionnaire ajoute que sa déficience a particulièrement compliqué sa tentative de respecter le délai difficile qui a été prévu à son égard. N’eût été de la chirurgie oculaire, elle aurait vu le courriel du 2 octobre plus tôt et aurait été en mesure de produire la lettre d’accompagnement appropriée. Sa mobilité restreinte, le fait qu’elle utilisait l’ordinateur de la bibliothèque et ses problèmes de vision après la chirurgie ont nui à sa capacité de travailler à l’ordinateur. Enfin, il était tout à fait irréaliste de lui demander de produire un certificat médical avant 9 hle lundi matin.

50        Selon la fonctionnaire, l’ASFC a imposé des conditions arbitraires et inutiles. Bien que la fonctionnaire ait été tenue de produire une preuve médicale, aucune explication n’a été fournie à savoir pourquoi cette preuve devait être déposée avant 9 h le lundi matin. Selon les témoins des RH, le temps pressait; cependant, le temps était aussi un facteur essentiel pour évaluer la fonctionnaire avant la fin de son statut prioritaire. La preuve médicale aurait pu attendre. De plus, la demande avait été réactivée parce que la fonctionnaire avait reçu le courriel de la CFP, qui lui avait donné cinq jours ouvrables pour poser sa candidature. Par conséquent, le délai pour présenter de nouveau sa lettre d’accompagnement aurait été le mercredi 22 octobre, sans avoir à fournir de preuves médicales.

51        La fonctionnaire fait valoir que l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard et qu’il n’a pas satisfait à cette obligation, tant en établissant un délai arbitraire et impossible qu’en refusant d’évaluer la lettre d’accompagnement qu’il a reçue, bien que quatre heures en retard. La prise de mesures d’adaptation raisonnables signifie qu’il faut examiner chaque cas individuellement. L’approche rigide de l’employeur consistant à appliquer les règles uniformément pour l’ensemble des candidats (comme Mesdames MacDonald et Poivre l’ont toutes deux confirmé) va à l’encontre de la prise de mesures d’adaptation raisonnables.

52        Le délai prévu par la CFP était le 22 octobre, afin de respecter la date à laquelle le statut prioritaire prenait fin. Par conséquent, selon la fonctionnaire, le fait de tenir compte de la lettre reçue le 20 octobre et de mener une évaluation plus poussée, si nécessaire, n’aurait pas constitué une contrainte excessive pour l’employeur.

53        Le statut prioritaire, tel qu’il est administré par la CFP, a pour but de veiller à ce que les personnes aient la possibilité de poser leur candidature, et c’est ainsi que Mme Hince a expliqué le courriel automatique généré lorsqu’un ministère présente une demande d’autorisation en matière de priorité. La fonctionnaire a reçu un avis de la CFP au sujet du poste. Le système a fonctionné comme prévu, mais la possibilité offerte lui a ensuite été retirée en raison des actions de l’ASFC.

54        Mmes MacDonald et Poivre ont parlé de l’application des mêmes règles à tous les candidats, mais, en réalité, le système de priorité est différent; des règles différentes s’appliquent. La fonctionnaire fait valoir que la zone de sélection et la date de clôture ne s’appliquent pas aux candidats prioritaires. Elle a ajouté que, dans la mesure où les candidats prioritaires répondent aux exigences minimales, de la formation peut leur être offerte pour veiller à ce qu’ils répondent à toutes les exigences du poste. Dans un tel contexte, il est clair que l’intention est de donner une chance supplémentaire aux candidats prioritaires de garder leur emploi au sein de la fonction publique. Étant donné ce contexte, il n’est pas logique d’imposer soudainement des règles rigides et inutiles. Il n’y avait aucune raison de ne pas évaluer pleinement la fonctionnaire avant le 24 octobre et de ne pas présenter au moins une offre conditionnelle d’emploi, si l’employeur insistait qu’une preuve médicale soit présentée pour justifier la réouverture de la demande.

55        La fonctionnaire cherche à obtenir une indemnisation en vertu de la LCDP à la fois pour préjudice moral et pour le comportement téméraire de l’employeur. En vertu de l’alinéa 53(2)e), une indemnité pour préjudice moral doit être évaluée en fonction de l’impact de la discrimination sur la victime. Il s’agissait de sa dernière chance de poursuivre son emploi dans la fonction publique. Elle a été exposée à beaucoup de confusion, à un moment où sa récente chirurgie oculaire la rendait plus vulnérable. Elle a été dévastée par le manque d’empathie auquel elle a été confrontée. Elle demande des dommages-intérêts de 15 000 $ pour préjudice moral.

56        Elle demande aussi 15 000 $ en compensation en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP pour le traitement téméraire de sa déficience par l’ASFC. Bien que l’ASFC ait accepté la chirurgie oculaire comme raison suffisante pour prolonger le délai prévu pour sa demande, l’ASFC a ensuite fixé un délai complètement irréaliste pour que la fonctionnaire le prouve. Les témoins des RH ont répété à plusieurs reprises qu’ils lui avaient donné la fin de semaine pour le faire. Toutefois, dans son cas, cette période n’était pas utile. Le bureau du chirurgien était fermé la fin de semaine. La bibliothèque n’ouvrait qu’à 10 h, le lundi matin. Elle ne pouvait travailler que pour des périodes de deux heures à l’ordinateur de la bibliothèque, et ce, avec difficulté en raison de ses yeux.

57        Le courriel de la CFP a été généré automatiquement pour s’assurer qu’elle puisse poser sa candidature. Pourtant, l’ASFC a ensuite ajouté d’autres exigences (trois jours au lieu de cinq jours et un certificat médical) qui n’auraient pas été ajoutées si elle n’avait pas présenté de demande dans un premier temps (ce qui démontre, selon elle, sa diligence) et n’avait pas subi la chirurgie oculaire. Au lieu de répondre à ses besoins, l’ASFC a rajouté des obstacles. Par conséquent, une indemnité spéciale visant à sanctionner l’inconduite intentionnelle ou téméraire de la personne responsable de la discrimination est justifiée.

58        La fonctionnaire demande aussi une nomination au groupe et au niveau AS-01 à l’ASFC. Si la Commission devait conclure qu’elle n’a pas le pouvoir de la nommer à un poste, elle devrait alors ordonner son évaluation en tant qu’employée bénéficiant du statut prioritaire, avec possibilité de se recycler. La Commission devrait aussi l’indemniser pour la perte de salaire et d’avantages sociaux à compter du 19 mai 2015, soit la date à laquelle une nomination a été faite dans le cadre du processus de nomination de l’ASFC.

59        Dans   Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 1244, le Tribunal canadien des droits de la personne a statué que M. Brooks, un homme noir, avait été victime de discrimination de la part de son employeur, le ministère des Pêches et des Océans.
Toutefois, la réintégration et le salaire rétroactif n’étaient pas des recours disponibles parce que, malgré la discrimination, il n’a pas été établi qu’il aurait été nommé au poste en question si le processus de sélection avait été exempt de discrimination. La Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la question de savoir s’il y avait une possibilité sérieuse que M. Brooks obtienne le poste n’eût été de la discrimination.

B. Pour l’employeur

60        Le critère juridique relatif à la discrimination prima facie a déjà été mentionné : la fonctionnaire doit faire partie d’un groupe visé par un des motifs de distinction illicite, elle doit avoir subi un traitement préjudiciable et il doit y avoir un lien entre les deux. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation, qui fait partie de la justification de l’employeur, survient seulement une fois que la preuve prima facie de discrimination a été établie (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204).

61        L’employeur reconnaît que la fonctionnaire a une déficience. Il nie cependant qu’elle a fait l’objet d’un traitement préjudiciable. La fonctionnaire a été traitée comme toute autre personne dans sa situation — une personne qui dit avoir une déficience médicale en vue d’obtenir une mesure d’adaptation doit démontrer l’existence de cette déficience. L’ASFC aurait imposé les mêmes conditions à quiconque.

62        En outre, l’employeur nie qu’il y a un lien entre la déficience de la fonctionnaire et le refus de l’évaluer. L’employeur a reçu peu de preuve de sa déficience. Même la note reçue le 3 novembre mentionnait seulement qu’une chirurgie oculaire avait été effectuée, sans mentionner les restrictions en découlant. Au moment où il a été décidé de ne pas poursuivre l’évaluation de la fonctionnaire, le 21 octobre, l’employeur n’avait pas la moindre idée qu’il y avait aussi une question de mobilité. La décision de ne pas l’évaluer a été prise simplement parce que l’employeur n’avait pas reçu l’information nécessaire en temps opportun. Tout autre candidat aurait été traité ainsi. Ce traitement ne peut être considéré comme un désavantage qui perpétue un stéréotype.

63        L’employeur a cité Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, à l’appui de la proposition qu’il n’est pas suffisant pour une personne d’affirmer qu’elle a une déficience — il doit y avoir une solide preuve médicale indépendante à l’appui de l’allégation.

64        L’ASFC a donné à la fonctionnaire la possibilité de corriger sa lettre d’accompagnement le 2 octobre. À ce moment, l’ASFC n’était pas au courant de la déficience. Lorsque la fonctionnaire l’a informée, le 15 octobre, qu’elle avait subi une chirurgie oculaire, il a été décidé d’essayer de prendre des mesures d’adaptation en lui donnant une autre possibilité de corriger sa lettre d’accompagnement. En même temps, il fallait justifier les mesures d’adaptation par un motif jmédical avéré. En fin de compte, le motif médical n’a été reçu que bien après la fin de la période de priorité. Même à la fin du délai fixé par la CFP, soit le 22 octobre, aucun certificat médical n’avait été reçu au sujet de la chirurgie oculaire.

65        L’établissement de délais ne peut pas être considéré comme discriminatoire. Il s’agit d’une façon de protéger l’équité et l’intégrité du processus. Si la fonctionnaire avait été évaluée avant la fin de sa période de priorité, alors qu’elle n’avait pas respecté les délais, on aurait parlé de traitement préférentiel, lequel n’a pas été accordé à d’autres candidats qui ont aussi demandé une exemption médicale ou fait valoir le statut d’employé bénéficiant d’une priorité.

66        L’employeur affirme qu’il n’y a pas de discrimination prima facie. Si la Commission devait conclure autrement, alors l’employeur affirmerait que la fonctionnaire n’a pas collaboré aux efforts visant à trouver des mesures d’adaptation puisqu’elle n’a pas fourni la documentation adéquate en ce qui concerne sa déficience. Il a cité Cann Rona Inc. c. Ontario, 2012 HRTO 754, pour indiquer que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation survient lorsqu’un employeur est au courant ou aurait dû être au courant qu’un employé a une déficience. En l’espèce, l’employeur n’était pas au courant, car les renseignements qui lui ont été fournis étaient insuffisants. L’employeur a aussi cité Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, en ce qui concerne l’obligation de la fonctionnaire de collaborer au processus de prise de mesures d’adaptation.

67        L’employeur a également cité Canada (Procureur général) c. Cruden, 2013 CF 520 (confirmée dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131), à l’appui de la proposition selon laquelle si l’employeur est dans l’impossibilité de prendre des mesures d’adaptation en raison d’une contrainte excessive, il n’y a pas lieu de tirer une conclusion de discrimination. Le non-respect des délais par la fonctionnaire ne peut pas être attribué à l’employeur. La fonctionnaire n’a pas suivi les instructions initiales en ce qui concerne la lettre d’accompagnement, elle n’a pas répondu à l’invitation de l’employeur de terminer la lettre, et elle n’a pas non plus respecté les nouvelles échéances. En somme, elle n’a pas fait preuve de diligence raisonnable, ce qui n’est pas lié à une déficience.

68        La fonctionnaire n’a pas contribué aux efforts relatifs à la prise de mesures d’adaptation à son égard dans le cadre du processus de nomination, car elle n’a fourni aucun renseignement à l’ASFC au sujet des problèmes avec l’ordinateur de la bibliothèque ou de sa vision trouble. Elle n’a pas mis en doute la date limite qui a été confirmée par courriel le 17 octobre, ou indiqué qu’il serait impossible de la respecter.

69        Quant à la mesure corrective, l’employeur a déclaré que la Commission n’a pas le pouvoir de nommer la fonctionnaire à un poste. L’employeur a aussi renvoyé à un certain nombre de cas qui semblent limiter le pouvoir de la Commission d’ordonner une mesure corrective.

70        Dans Tchorzewski c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 86, la commissaire a ordonné que Mme Tchorzewski soit inscrite sur une liste de priorité, ayant conclu que son ancienne position sur la liste avait été indûment retardée d’environ neuf mois. Dans le cadre du contrôle judiciaire (Procureur général du Canada c. Tchorzewski, Cour d’appel fédérale, dossier no A-527-15), avec le consentement des deux parties, la Cour d’appel fédérale a annulé cette partie de l’ordonnance dans l’intérêt de l’équité procédurale, car la CFP n’avait pas été consultée sur la mesure corrective. Aucun autre motif n’a été offert.

71        Dans Nesic c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2016 CRTEFP 117, le statut prioritaire du fonctionnaire s’estimant lésé avait pris fin. Malgré la conclusion qu’il y avait eu violation de la DRE en vertu de la convention collective pertinente, la présidente de la Commission a refusé d’accorder le redressement demandé, à savoir la réintégration et l’indemnisation, puisqu’elle n’a pas été convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait été admissible à une offre d’emploi et au recyclage.

72        Dans Song c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2016 CRTEFP 73, une décision relative à une plainte de dotation, la Commission a conclu que l’intimé avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une plaignante dans le cadre d’une évaluation. Malgré cette conclusion, la Commission a refusé d’accorder une réparation en vertu de la LCDP, car le plaignant n’avait pas fourni de preuve à l’appui de sa demande d’indemnisation. Dans ce cas, le comité de sélection avait omis de mettre fin à une évaluation, et ce, malgré le fait que la plaignante avait montré des signes de maladie pendant celle-ci.

V. Analyse

73        Les questions à trancher sont les suivantes :

  • La décision de l’ASFC de ne pas tenir compte de la demande de la fonctionnaire pour le poste AS-01 était-elle discriminatoire?
  • Dans l’affirmative, quelle est la réparation appropriée?

A. La décision de l’ASFC de ne pas tenir compte de la demande de la fonctionnaire pour le poste AS-01 était-elle discriminatoire?

74        Les deux parties se sont entendues sur le critère relatif à la discrimination dans le contexte d’un emploi, tel qu’il a été décrit par la Cour suprême du Canada, soit une preuve prima facie de discrimination suffisante pour établir une mesure discriminatoire en l’absence de justification suffisante de la part de l’employeur (voir Simpsons-Sears). La justification de la part de l’employeur dans ce cas consisterait en une exigence opérationnelle qui n’aurait pas permis de prendre des mesures d’adaptation sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

75        L’article 7 de la LCDP, qui interdit la discrimination en emploi, a déjà été cité. L’article 15, qui fournit une justification pour l’employeur lorsque le critère de la preuve prima facie de discrimination a été atteint, se lit comme suit :

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

76        La clause 16.01 de la convention collective interdit également la discrimination en milieu de travail :

16.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d’exercée ou d’appliquée à l’égard d’un fonctionnaire du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son identité sexuelle et l’expression de celle-ci, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale et physique, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci, ou une condamnation pour laquelle le fonctionnaire a été gracié.

77        Le critère de la preuve prima facie comprend trois volets : un motif de distinction illicite, un traitement préjudiciable et un lien entre les deux.

78        Il y a suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la fonctionnaire souffre d’une déficience permanente qui restreint sa mobilité et que, au moment des événements donnant lieu au grief, elle avait subi une chirurgie oculaire qui nuisait à sa vision et à sa capacité d’utiliser un ordinateur. Le moment où l’employeur a appris que la fonctionnaire avait des problèmes de mobilité n’a pas été clairement établi, mais il l’a certainement appris avant le 24 octobre, alors que l’employeur avait toujours la possibilité d’évaluer sa demande.

79        Je conclus que le fait qu’on lui ait refusé la possibilité d’être évaluée pour le poste AS-01 au moment où son droit de priorité prenait fin constituait un traitement préjudiciable. Il n’y a pas de doute que la perte de son emploi dans la fonction publique fédérale a eu des répercussions négatives importantes.

80        Pour ce qui est du troisième volet du critère, les deux parties ont reconnu que la jurisprudence indique clairement qu’il est seulement nécessaire que la déficience soit un facteur, et non la cause, du traitement préjudiciable (voir Bombardier).

81        L’employeur nie que la déficience de la fonctionnaire ait été un facteur dans sa décision de mettre fin à sa participation au processus de nomination. Il maintient qu’il n’était pas au courant de sa mobilité restreinte à l’époque et qu’il avait demandé, comme il se doit, une preuve médicale pour la chirurgie oculaire. D’autres personnes qui ont dit souffrir d’un malaise physique en vue d’obtenir un traitement spécial ont également dû fournir des preuves médicales; par conséquent, l’ASFC n’a pas fait preuve de discrimination.

82        Les actions de l’ASFC doivent être comprises dans le contexte plus large de la situation de la fonctionnaire, dont l’ASFC était bien au courant. Elle avait atteint la fin de sa période de priorité, et il s’agissait réellement de sa dernière occasion pour maintenir son emploi au sein de la fonction publique fédérale. En raison du contexte de la DRE, l’ASFC, en tant qu’organisation d’embauche, avait une obligation envers la fonctionnaire qui allait au-delà de la relation habituelle entre l’organisation d’embauche et les candidats à un processus de nomination.

83        La DRE est un protocole qui a été intégré dans les conventions collectives  entre le Conseil du Trésor et les agents négociateurs. Dans la convention collective des EC, elle est mentionnée à la clause 39.03(11). Les objectifs de la DRE mentionnent notamment ce qui suit :

[…]

Le Conseil du Trésor a pour politique d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employés nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employés d’autres possibilités d’emploi. On ne doit toutefois pas considérer que la présente directive assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d’emploi.

[…]

84        Par conséquent, l’ASFC avait l’obligation, en tant qu’organisation faisant partie du Conseil du Trésor, de veiller à ce que la fonctionnaire puisse profiter de la DRE. Elle a été éliminée à la présélection le 14 octobre, mais le courriel automatique de la CFP avait redémarré le processus. On lui a dit qu’elle pourrait poser sa candidature pour le poste et qu’elle avait cinq jours ouvrables pour le faire, malgré le courriel de rejet de l’ASFC en date du 14 octobre.

85        La chirurgie oculaire a joué un rôle dans le fait que la fonctionnaire n’ait pas répondu aux courriels des 2 et 3 octobre. Dès qu’elle a expliqué son incapacité à répondre plus tôt aux courriels de l’ASFC, cette dernière était au courant de la situation. Sa déficience (la condition de son œil) a été un facteur dans le traitement préjudiciable, puisqu’elle aurait répondu plus tôt si la chirurgie n’avait pas eu lieu. La mobilité restreinte, qui compliquait son accès à l’ordinateur de la bibliothèque, a également joué un rôle dans son incapacité à répondre aux courriels des 2 et 3 octobre, puisque le service de Para Transpo était utilisé pour se rendre à ses rendez-vous à l’hôpital. L’insistance de l’ASFC à recevoir un certificat médical pour justifier la participation de la fonctionnaire au processus, malgré son droit à titre de candidate prioritaire, est aussi liée à la condition de son œil.

86        Je conclus que la fonctionnaire a établi un cas prima facie de discrimination. La question portera maintenant sur la justification de l’employeur relativement à la pratique discriminatoire. Dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, (« Meiorin »), la Cour suprême du Canada a établi une méthode en trois étapes pour déterminer si une norme de discrimination prima facie constitue une exigence professionnelle de bonne foi justifiant une pratique discriminatoire. Dans cette affaire, la question en litige portait sur une norme imposée aux pompiers forestiers. Le critère peut être reformulé pour s’adapter aux circonstances en l’espèce, comme suit :

  • L’exigence est-elle liée de manière rationnelle aux objectifs légitimes de l’employeur dans le cadre du processus de nomination?
  • L’exigence a-t-elle été adoptée en croyant sincèrement et de bonne foi qu’elle était nécessaire au processus?
  • L’exigence est-elle raisonnablement nécessaire? En d’autres mots, était-il possible pour l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire sans subir de contraintes excessives?

87        Mmes MacDonald et Poivre ont fortement insisté sur la nécessité d’être équitable envers tous les candidats, et c’est pourquoi la fonctionnaire devait présenter une lettre d’accompagnement et démontrer qu’elle avait réellement subi une chirurgie oculaire. L’exigence qui a été imposée à la fonctionnaire, soit de fournir une nouvelle lettre d’accompagnement et un certificat médical, était liée de manière rationnelle à l’objectif de l’employeur d’être juste envers tous les candidats.

88        Toutefois, le délai fixé était irrationnel. Le délai n’était pas nécessaire pour mener à bien le processus de nomination, comme en témoigne le fait que la CFP a donné un délai plus généreux pour permettre à la fonctionnaire de poser sa candidature, même compte tenu de l’expiration imminente de son statut prioritaire.

89        Il est difficile de comprendre qu’un certificat médical d’un bureau de chirurgien puisse être demandé un vendredi pour production le lundi suivant, avant 9 h. L’employeur a déclaré que le certificat avait probablement été demandé par téléphone, le jeudi 16 octobre. Peut-être bien. Cependant, Mme Poivre a clairement mentionné que tous les échanges avec les candidats étaient immédiatement consignés par écrit, par courriel, afin d’assurer des communications claires et transparentes. Le courriel est très bref. Si la conversation avait eu lieu le jeudi, on se serait attendu à ce que le courriel suive. Il n’a été envoyé que le vendredi.

90        L’employeur déclare qu’il ne savait pas, à ce moment, que la fonctionnaire utilisait un ordinateur de la bibliothèque et que sa mobilité restreinte la contraignait à faire appel aux services de Para Transpo. J’ai de la difficulté à croire qu’elle ne l’avait pas déjà expliqué au moment de parler avec Mme MacDonald pour lui expliquer pourquoi elle n’avait pas vu les courriels des 2 et 3 octobre. Quoi qu’il en soit, lorsque l’employeur a rejeté la demande de la fonctionnaire le 21 octobre, il l’a certainement appris à ce moment-là. Il n’était toujours pas trop tard pour revenir sur sa décision et évaluer la fonctionnaire.

91        Comme la fonctionnaire l’a déclaré, le certificat médical était une exigence opérationnelle qui n’était pas urgente dans la situation. Il était toutefois urgent de l’évaluer avant la fin de son statut prioritaire. Il ressort clairement de la preuve dont je suis saisie qu’une lettre d’offre conditionnelle aurait été suffisante pour assurer sa priorité, en attendant la confirmation de la chirurgie.

92        L’employeur a fait valoir que le fait que la lettre d’accompagnement soit en retard de quatre heures ne peut être attribué à la déficience de la fonctionnaire. J’accepte le témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle était convaincue que la lettre d’accompagnement avait bel et bien été envoyée le dimanche après-midi et qu’elle ne s’est rendu compte du contraire que vers 10 h 30, le lundi matin.

93        La bibliothèque ouvre à 10 heures. Para Transpo a déposé la fonctionnaire à la bibliothèque à environ 10 h 30. Elle doit compter à la fois sur la disponibilité des ordinateurs de la bibliothèque et celle de Para Transpo pour ses besoins en matière de communication. Le fait qu’elle n’ait pas d’ordinateur à la maison n’est pas lié à une déficience. Sa mobilité réduite et la difficulté à utiliser un ordinateur sont liées à une déficience.

94        En fixant un délai rigide de 9 h le lundi matin pour la lettre d’accompagnement, l’employeur a décidé qu’aucune explication, si raisonnable soit-elle, ne suffirait à justifier un retard de quatre heures.

95        L’exigence relative au respect du délai a-t-elle été adoptée de bonne foi et en croyant honnêtement qu’elle était nécessaire? Mesdames MacDonald et Poivre ont insisté sur la nécessité d’être équitables envers tous les candidats et de ne pas faire preuve de favoritisme. Je crois qu’elles croyaient honnêtement que cela signifiait que les règles ne pouvaient être assouplies.

96        Toutefois, cela va à l’encontre de la logique de la troisième partie du critère, soit de déterminer si l’obligation est raisonnablement nécessaire, c’est-à-dire s’il est possible de prendre des mesures d’adaptation.

97        La fonctionnaire n’a pas contesté le fait qu’elle devait fournir une nouvelle lettre d’accompagnement; elle l’a fournie le jour où on la lui a demandée, bien qu’avec quatre heures de retard. J’accepte son témoignage selon lequel elle croyait que la lettre d’accompagnement avait bel et bien été envoyée le dimanche après-midi. Elle n’a pas contesté le fait qu’elle devait fournir une preuve de la chirurgie oculaire. Elle a fait preuve de diligence dans l’obtention de la preuve, puisque la note a été émise le 21 octobre. La communication de la note à l’employeur a été beaucoup plus lente, mais en soi, cela n’aurait pas dû être un obstacle à son évaluation.

98        Dans Meiorin et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (« Grismer »), la Cour suprême du Canada a fait valoir que la discrimination par suite d’un effet préjudiciable peut se produire lorsqu’une règle apparemment neutre, appliquée de façon égale à tous, engendre des effets préjudiciables sur certains groupes de personnes ayant une caractéristique qui constitue un motif de distinction illicite. La solution est d’appliquer la règle de façon plus individualisée.

99        Dans le cas de Mme Meiorin, la règle consistait en une norme d’essai que les pompiers forestiers devaient respecter. Les éléments de preuve ont démontré que les femmes, en raison de leur capacité pulmonaire, auraient beaucoup de difficulté à satisfaire à la norme. La Cour a déterminé que cette norme élevée n’était pas nécessaire pour s’assurer que Mme Meiorin soit en mesure de s’acquitter de ses tâches de pompier forestier.

100        Dans le cas de M. Grismer, on lui a refusé un permis de conduire en raison d’un grave défaut de vision. La règle semblait rationnelle; toutefois, elle n’était pas nécessaire pour M. Grismer. Au fil des ans, il avait adopté des stratégies de conduite qui faisaient en sorte qu’il était un conducteur sécuritaire, malgré ses problèmes de vision.

101        Il n’y avait aucun besoin opérationnel raisonnable de contraindre la fonctionnaire à respecter un délai prévu à 9 h le lundi matin. En d’autres mots, dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a aucune preuve selon laquelle la prise de mesures d’adaptation pour la fonctionnaire aurait exposé l’employeur à des contraintes excessives. Rien n’empêchait de faire une évaluation sur la base de la lettre d’accompagnement reçue le 20 octobre. L’application rigide des règles, comme dans la présente affaire, a eu pour conséquence de priver la fonctionnaire de la possibilité d’être évaluée pour un poste qui représentait la dernière occasion d’appliquer la DRE et le statut prioritaire à sa situation, comme ils étaient censés l’être.

102        La terrible ironie, comme l’a souligné la fonctionnaire dans ses observations, c’est que le certificat médical n’aurait pas été nécessaire du tout si sa demande avait été examinée dans le cadre du système de priorité de la CFP. La lettre d’accompagnement est arrivée bien avant le délai que la CFP avait établi pour la présentation de sa demande. Si le système de priorité est censé être utile, il doit certainement être appliqué au profit des employés dont l’emploi est menacé pour des raisons hors de leur contrôle, surtout à la lumière des considérations de déficience.

103        Par conséquent, je conclus que l’employeur n’a pas prouvé que sa conduite discriminatoire prima facie était fondée sur une exigence professionnelle de bonne foi. Il a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire en imposant un délai déraisonnable et en refusant d’évaluer sa demande après le 21 octobre, même s’il était au courant de sa déficience et de sa mobilité restreinte. Par conséquent, je conclus que l’employeur a fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire, allant ainsi à l’encontre de la convention collective et de la LCDP

B. Si la décision était discriminatoire, quelle est la réparation appropriée?

1. En vertu de la LCDP

104        La fonctionnaire a demandé une réparation en vertu de la LCDP. L’alinéa 226(2)b) de la Loi permet à la Commission d’accorder une mesure de redressement en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP, qui se lit comme suit :

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

105        De toute évidence, le fait d’être privée de la dernière possibilité de demeurer au sein de la fonction publique a causé une grande détresse à la fonctionnaire. Comme il a été mentionné à maintes reprises, la détermination d’un montant approprié relativement à une indemnisation n’est pas une science exacte. La fonctionnaire m’a  renvoyée à plusieurs décisions de la Commission lorsqu’elle a été confrontée à l’établissement du montant d’une indemnisation.

106        Dans Legros c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTESPF 32, Mme Legros a été privée de l’occasion de participer à un échange de postes permis en vertu de la DRE; la discrimination fondée sur l’âge était un facteur. Elle a reçu 15 000 $ pour préjudice moral parce que la situation avait perduré et avait été particulièrement humiliante. Le manquement flagrant de l’employeur à ses obligations justifiait aussi une indemnité spéciale de 10 000 $.

107        Dans Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 82, la fonctionnaire s’est vu refuser l’allocation vestimentaire à laquelle elle aurait eu droit lorsqu’elle a été temporairement réaffectée à d’autres fonctions pendant sa grossesse. Il n’y avait pas de preuve médicale du tort causé, mais l’arbitre de grief lui a accordé 1 500 $ pour préjudice moral, car le comportement de l’employeur lui avait causé beaucoup de confusion.

108        Dans Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 101, l’employeur avait traité le fonctionnaire s’estimant lésé de manière insensible. Le retour au travail du fonctionnaire a été inutilement retardé et il a finalement été licencié pour incapacité, une expérience pénible qui lui a causé une profonde détresse. Il a reçu 15 000 $ pour préjudice moral et une somme supplémentaire de 10 000 $ en dommages-intérêts spéciaux en raison de la conduite insensible de l’employeur.

109        En l’espèce, le préjudice moral peut être vu dans une perspective de vulnérabilité. La fonctionnaire se remettait d’une chirurgie oculaire, son accès à l’ordinateur, qui était un outil essentiel à sa demande, était limité, elle vivait une situation stressante parce qu’elle n’avait aucun emploi sécurisé et le temps s’écoulait rapidement. Dans ce contexte, l’employeur n’a pas mis en place les mesures d’adaptation nécessaires pour lui donner une chance. Elle a été embauchée en 2000 en vertu du programme d’équité en matière d’emploi et elle craignait que seule la fonction publique, par opposition au secteur privé, ne sache répondre à ses besoins en matière de mesures d’adaptation (en raison de sa mobilité restreinte).

110        Toutefois, la mesure discriminatoire était limitée à la fois dans le temps et aux agissements précis de l’ASFC dans le processus de nomination. Il ne s’agit pas d’un cas de discrimination prolongée, mais plutôt d’agissements qui ont donné lieu à une conclusion malheureuse pour la fonctionnaire en raison du manque de compréhension de l’employeur de ses obligations en vertu de la DRE, du système de priorité et des lois sur les droits de la personne. J’accorde donc 10 000 $ à la fonctionnaire pour préjudice moral.

111        Je ne crois pas que le comportement de l’employeur était inconsidéré ou délibéré. Les règles ont été appliquées de façon rigide, mais pas de mauvaise foi. J’ai conclu qu’il y avait eu omission de prendre des mesures d’adaptation, mais pas un comportement extrême. Par conséquent, je n’accorde pas d’indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3).

2. Emploi

112        La fonctionnaire a demandé à être nommée au poste AS-01 à l’ASFC.
Je n’ai pas le pouvoir de procéder à une nomination, car la CFP ou ses délégués ont le pouvoir exclusif de procéder à des nominations au sein de l’administration publique centrale (voir les articles 11 et 15 de la LEFP).

113        La fonctionnaire a également demandé d’être réintégrée à la liste de priorité, avec une possibilité de formation. Compte tenu de la perte de possibilités qu’elle a subie en ne faisant pas l’objet d’une évaluation pour le poste AS-01, je crois que je devrais examiner la mesure corrective visant à la réintégrer à la liste de priorité, comme c’était le cas juste avant le 24 octobre 2014, pour une période de 12 mois.

114        Je suis consciente de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Tchorzewski, où une ordonnance de cette nature a été annulée à la suite d’une demande conjointe des parties à cause d’un manquement à l’équité procédurale pour avoir omis d’aviser la CFP, qui est responsable du système de priorité. Par conséquent, la présente décision sera signifiée à la CFP, pour qu’elle puisse présenter des observations sur la possibilité de réintégrer la fonctionnaire sur une liste de priorité pour une période de 12 mois. La fonctionnaire et l’employeur pourront tous deux répondre aux observations de la CFP. À moins que la Commission soit d’avis qu’une audience est nécessaire, une décision sera rendue sur cette réparation en fonction de ces observations écrites.

115        Enfin, la fonctionnaire a demandé une indemnisation pour la perte de salaire et d’avantages sociaux. Je réserve ma décision sur ce point, en attendant les observations de la CFP et des parties concernant la réintégration à la liste de priorité.

116        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

117        Le grief est accueilli en partie.

118        J’ordonne à l’employeur de verser à la fonctionnaire une indemnité de 10 000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

119        La présente décision sera signifiée à la Commission de la fonction publique. La Commission de la fonction publique devra signifier et déposer des observations sur la mesure corrective visant la réintégration de la fonctionnaire à la liste de priorité pour une période de 12 mois. Le calendrier proposé est de 30 jours de la date de la présente décision, sous réserve d’une demande de temps supplémentaire de la part de la Commission de la fonction publique.

120        Les parties peuvent présenter des observations sur la mesure corrective concernant la réintégration de la fonctionnaire à la liste de priorité dans les 15 jours suivant le dépôt des observations de la Commission de la fonction publique.

121        Je demeurerai saisie du présent dossier le temps nécessaire pour trancher la question de la mesure corrective concernant la réintégration de la fonctionnaire à la liste de priorité, ainsi que de l’indemnisation pour perte de salaire et avantages sociaux.

Le 9 juillet 2018.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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