Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante est une agente correctionnelle qui travaillait dans un établissement à sécurité moyenne – elle avait demandé un congé payé à la fin de son quart de travail, qui avait été approuvé – pendant son quart de travail, elle a participé à un refus de travailler – l’employeur a demandé qu’elle reste au travail durant les 45 premières minutes de son congé payé approuvé pendant qu’il cherchait la façon dont il allait traiter le refus de travailler – elle s’est plainte du fait que cette demande constituait des représailles pour avoir exercé un droit en vertu de la Partie II du Code – la Commission a conclu que la demande de l’employeur ne constituait pas des représailles, étant donné qu’elle a été faite sans malveillance, était nécessaire au maintien de la sécurité de l’établissement et n’était pas suffisamment liée au refus de travailler de la plaignante.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180725
  • Dossier:  560-02-111
  • Référence:  2018 CRTESPF 60

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

NUBIA VANEGAS

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Vanegas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN
Pour le défendeur:
Rebecca Sewell, avocate
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique)
les 9 et 10 août et le 5 décembre 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        La plaignante, Nubia Vanegas, a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; CCT) alléguant que le défendeur, le Service correctionnel du Canada (SCC), a contrevenu à l’article 147 en prenant des mesures de représailles contre elle en ce qui concerne l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128 lorsqu’elle a refusé d’exécuter un travail dangereux le 31 octobre 2014. La plaignante a allégué qu’en guise de mesure de représailles pour avoir exercé ses droits, le défendeur a annulé son congé annuel, sans préavis.

2        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de lemploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Résumé de la preuve

3        Le 31 octobre 2014, les membres du personnel du quart de jour à l’Établissement Mountain, à Agassiz, en Colombie-Britannique (l’« établissement »), ont exercé leur droit de refuser un travail dangereux lorsque les gestionnaires de l’établissement ont refusé d’autoriser une fouille de cellule après avoir découvert qu’un outil interdit, soit des ciseaux coupe-fil, avait disparu la veille de l’atelier de rembourrage de CORCAN. Les ciseaux coupe-fil sont un outil à charnière qui, lorsqu’ils sont entièrement ouverts, peuvent être utilisés par les détenus en tant qu’arme pour trancher ou poignarder. À la suite de la découverte de la disparition des ciseaux coupe-fil, l’atelier de rembourrage a été fouillé et les détenus de l’établissement ont été confinés à leurs cellules. Néanmoins, les ciseaux coupe-fil étaient toujours manquants le 31 octobre.

4        En octobre 2014, le nombre d’armes saisies à l’établissement était le plus élevé depuis cinq ans. Le directeur intérimaire à l’époque, Shawn Huish, a rouvert les unités résidentielles à la routine quotidienne normale, et ce, bien que les ciseaux coupe-fil n’aient pas été trouvés, ce qui a précipité le dépôt des refus de travailler. Les risques élevés auxquels étaient exposés les agents correctionnels (CX) en raison du comportement des détenus et l’absence des ciseaux coupe-fil ont entraîné le refus de travailler.

5        Le refus de travailler a eu lieu vers la fin du quart de jour, alors que l’équipe du jour avait terminé le transfert à l’équipe du soir. Les représentants de la direction les ont alors informés que s’ils appuyaient le refus de travailler, ils ne seraient pas autorisés à quitter l’établissement à la fin de leur quart de travail. La plaignante allègue que les gestionnaires correctionnels (GC) en service ont indiqué aux CX que s’ils retiraient leurs noms du refus de travailler en vertu de l’article 128, ils pourraient rentrer chez eux. Selon la plaignante, le fait que le défendeur oblige les CX qui ont appuyé le refus de travailler à rester après leur quart de travail constituait une mesure de représailles pour avoir invoqué leurs droits en vertu du CCT. Par conséquent, les CX n’ont pas pu célébrer l’Halloween avec leurs familles. De plus, les vacances de la plaignante approuvées au préalable ont été retardées de 45 minutes.

6        Le défendeur a tenté de justifier ses actions en pointant du doigt les modifications au CCT qui sont entrées en vigueur le 31 octobre 2014. Il a également mentionné son manque de connaissances quant aux procédures qui sont entrées en vigueur le même jour, et ce, en dépit du fait qu’il avait reçu de nombreux avis de changements imminents et que les gestionnaires de l’établissement avaient suivi des formations sur les incidences des modifications.

7        M. Huish a indiqué lors de son témoignage que l’établissement est un établissement à sécurité moyenne et qu’il a une population de 400 à 450 détenus. Il est composé de quatre unités résidentielles disposées autour d’une aire centrale de repas. La population a une part très active de détenus des Premières nations; l’établissement est très occupé.

8        Vers 15 h, le 30 octobre 2014, la disparition des ciseaux coupe-fil dans l’atelier de rembourrage de CORCAN a été mise au jour. Le superviseur des travaux a rappelé les détenus à l’atelier pour les interroger et les fouiller. Les ateliers ont été fouillés, mais les ciseaux coupe-fil n’ont pas été retrouvés; ils avaient été aperçus pour la dernière à 13 h, ce jour-là.

9        M. Huish a ordonné que l’établissement soit placé en confinement cellulaire pour une nouvelle fouille. La routine a été modifiée de façon à atténuer les conséquences de la perte de l’outil et faciliter la fouille. La routine modifiée est demeurée en vigueur jusqu’à 22 h 45, le même jour, et elle a été reprise le 31 octobre 2014.

10        Selon des renseignements reçus, un détenu avait caché l’outil afin de provoquer un confinement cellulaire parce qu’il avait une dette envers un autre détenu et souhaitait avoir du temps pour la rembourser. Le détenu avait délibérément caché l’outil quelque part dans l’atelier de CORCAN, et ne l’avait pas apporté dans une unité résidentielle. En s’appuyant sur ces renseignements, M. Huish a autorisé la reprise de la routine habituelle.

11        M. Huish a indiqué dans son témoignage qu’il a rencontré les GC et qu’il a expliqué le motif de sa décision de reprendre la routine habituelle de l’établissement à midi, le 31 octobre 2014. Lorsque les GC ont transmis ces renseignements aux CX, les agents ont invoqué leur droit de refuser un travail dangereux en vertu de l’article 128 du CCT. Une fois que cela s’est produit, les GC Cheryl Arsenault, Mark Fuson, et Roger Sehra ont rencontré M. Huish afin de discuter de ce qu’il fallait faire et du processus qu’il fallait suivre ainsi que son incidence sur les exigences opérationnelles de l’établissement. Étant donné que l’établissement était en confinement cellulaire lorsque les CX ont exercé leur droit de refuser de travailler, l’environnement n’en est devenu que plus tendu.

12        Selon M. Huish, entre 13 h et 15 h, le 31 octobre 2014, la situation a atteint son point culminant. Étant donné que l’établissement était encore en confinement cellulaire malgré sa décision de revenir à la routine habituelle, les détenus étaient dans leurs cellules, sans cours ni autres programmes, visites, déplacements au sein de l’établissement, et sans loisirs. Étant donné la réalité opérationnelle, il devait veiller à ce que tout le monde soit en sécurité, ce qui signifiait que les tournées devaient être faites, que les détenus devaient être nourris et leurs besoins humains satisfaits, et qu’ils devaient avoir accès à des soins de santé. Pendant que le refus de travailler était en cours, tout le reste était en attente. Un refus de travailler place l’établissement dans un état d’incertitude.

13        Au cours d’un confinement cellulaire ordinaire, l’établissement peut fonctionner avec moins de personnel, à moins qu’une fouille soit en cours, ce qui exige du personnel supplémentaire. Une fouille en vertu de l’article 53 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20; la LSCMLC) comprend toujours des heures supplémentaires. Les CX indiquent leur volonté de travailler des heures supplémentaires dans le Système des horaires de travail et du déploiement du défendeur, qui génère une liste des personnes avec qui communiquer, et dans quel ordre, lorsque leurs services sont demandés. Les GC utilisent cette liste pour demander des heures supplémentaires; en revanche, ils peuvent appeler sans préavis les CX qui sont en congé. S’il n’y a pas suffisamment de personnel pour couvrir les besoins de l’établissement en matière d’heures supplémentaires, les GC examinent la disponibilité des CX qui sont sur le point de terminer leurs quarts de travail. Selon le cas, un GC peut ordonner à un CX de poursuivre son quart de travail. Le 31 octobre 2014, selon son témoignage, plutôt que de suivre le processus normal pour les heures supplémentaires, M. Huish a demandé à tous ceux qui terminaient leur quart de rester jusqu’à ce que les besoins en matière d’heures supplémentaires puissent être déterminés en raison des circonstances particulières.

14        Les circonstances particulières étaient les nouveaux changements au CCT. M. Huish ne savait pas ce qui était nécessaire pour l’enquête sur le refus de travailler, et la routine de l’établissement n’était pas établie; par conséquent, il ne savait pas combien de CX étaient nécessaires. Dans son témoignage, M. Huish a souligné qu’il était au courant que des modifications au CCT étaient entrées en vigueur le 31 octobre 2014, et qu’il avait suivi une formation sur ce qui était nécessaire. Il a demandé à la directrice adjointe intérimaire de communiquer avec Emploi et Développement social Canada pour établir le processus qu’il devait suivre. Finalement, ils ont reçu la directive de suivre le nouveau processus, qui comprenait un représentant pour tous les CX, ce qui a pris jusqu’à 15 h 45. Le quart de jour avait pris fin à 15 h. M. Sehra avait été appelé sur les lieux pour aviser les CX de rester sur place après leur quart, et ce, jusqu’à ce qu’on les informe qu’ils pouvaient partir.

15        Au cours du contre-interrogatoire, M. Huish a souligné que la décision de garder le personnel du quart de jour sur place a été prise une fois que le quart de l’après-midi était en place. Il ne savait pas si tous les postes étaient couverts, mais ce facteur aurait été pris en compte au moment de décider de garder le quart de jour à portée de main. Il a nié avoir informé le quart de jour ou avoir demandé à une autre personne de les informer qu’ils devaient rester pour participer aux fouilles. Toute fouille menée lors du quart de nuit aurait été effectuée dans les ateliers de CORCAN, non dans les cellules.

16        Lors de son témoignage, Carole Chen a mentionné qu’elle était la sous-directrice par intérim de l’établissement au moment du refus de travailler. Elle relevait directement de M. Huish. Le 31 octobre, elle a participé à des discussions importantes avec lui concernant la façon de procéder. Selon elle, toutes leurs options, autres qu’une fouille en vertu de l’article 53 de la LSCMLC, étaient épuisées. Elle, le directeur par intérim, et le gestionnaire correctionnel des opérations (GC des opérations), ont évalué le risque posé par l’outil manquant et envisagé des options pour atténuer et gérer la situation. Une réunion a eu lieu dans le secteur des visites et de la correspondance de l’établissement avec tous les employés et les gestionnaires. Les options ont été discutées au cours de cette réunion, après quoi les CX se sont réunis seuls. Ils n’avaient pas confiance en l’évaluation des risques par le directeur par intérim et ont donc choisi d’exercer leurs droits en vertu de l’article 128 du CCT. Mme Chen ne savait pas exactement combien de CX du quart du jour étaient impliqués dans le refus de travailler.

17        Mme Chen a indiqué lors de son témoignage que le sous-directeur ne participait pas au processus de refus de travailler et qu’il participait principalement aux opérations de l’établissement. À la fin du quart de jour, l’établissement se préparait à commencer la routine du dîner; il fallait nourrir les détenus. Au moment du refus de travailler, une décision a dû être prise quant à la manière d’agir. Tout dépendait de la façon dont le refus de travailler serait géré. Si l’établissement avait été mis en confinement cellulaire et fouillé, les détenus auraient été nourris dans les unités et la routine de la douche aurait été annulée. Du point de vue de Mme Chen, l’exigence opérationnelle principale à ce moment-là concernait la façon dont la routine de l’établissement serait touchée. Pour gérer cette situation, le refus de travailler devait être réglé, tout comme la question de savoir si tous les CX devaient rester ou si un seul CX pouvait parler au nom de tous.

18        Les CX qui terminaient leur quart de travail devaient rester jusqu’à ce que la situation soit réglée; ils ont été rémunérés au tarif des heures supplémentaires pour les heures où ils sont restés après leur quart de travail habituel, conformément à la [traduction] Directive nationale - Politique sur la gestion des heures supplémentaires pour les agents correctionnels (Bulletin 2013-06 des Relations de travail de la gestion des ressources humaines, pièce 1, onglet 17). En contre-interrogatoire, Mme Chen a souligné qu’elle ne savait pas si les CX avaient reçu l’ordre de rester après la fin de leur quart ou si on le leur avait demandé. Selon elle, ils n’ont pas suivi les règles habituelles concernant les heures supplémentaires, étant donné que la situation était en dehors des opérations habituelles de l’établissement. Ils étaient dans un contexte de mesures d’urgence en raison des interruptions de travail. Les membres du personnel qui sont restés ont été pris en compte par M. Sehra et les autres GC, qui ont inscrit les heures supplémentaires dans le système des horaires de travail et du déploiement afin que les CX soient payés au taux approprié pour le temps qu’ils étaient tenus de demeurer au travail.

19        Gwen Bradley était la GC des horaires de travail et du déploiement à l’établissement au moment en question. Elle était en congé de maladie le 31 octobre 2014. Elle a témoigné que sa seule participation au refus de travailler était le 3 novembre 2014, lorsqu’elle a consigné les heures supplémentaires pour les CX qui ont dû rester au-delà de la fin de leur quart de travail. Elle n’a consigné aucune heure supplémentaire pour la plaignante étant donné que la période en question faisait partie de son quart de travail régulier, qu’elle avait réservé en tant que congé annuel.

20        Le congé annuel de la plaignante devait commencer à 15 h 15. Mme Bradley a effectué la modification dans le système des horaires de travail et du déploiement afin d’indiquer qu’il avait commencé à 16 h. Entre 15 h 15 et 16 h, la plaignante a reçu sa rémunération régulière. Avec cette modification, Mme Bradley a ajouté un commentaire selon lequel la plaignante avait reçu la directive de travailler de 15 h 15 à 16 h. Pour les CX qui étaient rémunérés au tarif des heures supplémentaires, elle a indiqué sur leurs dossiers que c’était [traduction] « en raison de l’article 128 ».

21        M. Sehra a indiqué dans son témoignage qu’il était le GC des opérations à l’époque en question, et qu’il était responsable de la sécurité de l’établissement dans son ensemble. Lorsque le directeur par intérim a informé le personnel et l’a avisé qu’il n’y avait pas de danger et que l’établissement allait reprendre sa routine habituelle, les CX ont invoqué leurs droits en vertu de l’article 128 du CCT. M. Sehra a fait valoir qu’il était dans son bureau dans le bâtiment des Opérations au moment où le refus de travailler a eu lieu. Il s’est rendu au bureau des opérations pour déterminer quelle routine serait mise en place avec la GC Arsenault et le GC Fuson. Le niveau de personnel de l’établissement était réduit étant donné que la fin de semaine approchait.

22        Le directeur adjoint, Opérations (DAO) par intérim, Kevin Kooistra, a ordonné au GC Sehra de coordonner le règlement de cette question par l’entremise du bureau du GC des opérations. M. Sehra devait informer les CX du quart de jour qu’ils devaient demeurer jusqu’à ce que les gestionnaires aient déterminé comment aborder le refus de travailler. Le type de refus de travailler a une incidence directe sur les opérations de l’établissement. Comme celui-ci était à l’échelle de l’établissement, ses répercussions avaient donc une portée beaucoup plus importante.

23        Lorsqu’on lui a demandé, en contre-interrogatoire, si M. Kooistra avait été en colère contre le refus de travailler, M. Sehra a répondu qu’il avait eu l’impression que M. Kooistra croyait que les besoins de l’établissement l’emportaient sur ceux des CX. M. Sehra a admis que M. Kooistra aurait pu dire aux CX que la LSCMLC l’emportait sur le CCT. M. Sehra ne se rappelait pas que l’on ait dit aux CX que s’ils retiraient leurs noms de la liste des partisans du refus de travailler, ils pourraient partir.

24        Le directeur adjoint, Opérations, par intérim, les GC, la sous-directrice par intérim, et le directeur par intérim ont tous pris part à la détermination de la routine, selon le témoignage de M. Sehra. Étant donné que le personnel du quart de jour était sur le point de partir, on a décidé de les retenir jusqu’à ce qu’il soit déterminé combien de personnes étaient nécessaires pour la soirée. Au moment de leur départ, M. Sehra leur a demandé de rester dans la salle de rassemblement, où il les a rencontrés. Il leur a dit qu’il devait régler le refus de travailler et la routine avant de pouvoir leur permettre de quitter les lieux.

25        M. Sehra a indiqué dans son témoignage qu’il avait demandé aux CX réunis de demeurer aussi longtemps qu’on aurait besoin d’eux. Un certain nombre des CX présents ont exprimé des préoccupations et il leur a répondu qu’ils seraient libérés dès que possible. Selon le témoignage de M. Sehra, il a informé les gens réunis qu’ils seraient rémunérés pour les heures supplémentaires. L’un des CX a demandé s’il leur ordonnait de rester; il a répondu que c’était le cas. Il n’y a eu aucune discussion concernant la discipline ou la possibilité que des mesures disciplinaires soient prises à l’égard de toute personne prenant part au refus de travailler. M. Sehra a nié avoir dit à quelque CX que ce soit que s’ils partaient, ils feraient l’objet de mesures disciplinaires. Il a également nié avoir dit que s’ils retiraient leur appui au refus de travailler, ils ne seraient pas obligés de rester ni de se présenter à la salle de rassemblement. Les GC Arsenault et Fuson ont donné la directive aux CX de se présenter à la salle de rassemblement avant de partir. M. Sehra allait rencontrer les CX à cet endroit.

26        Selon M. Sehra, il est très inhabituel pour un agent de recevoir l’ordre de rester après son quart de travail. À son avis, c’était approprié dans les circonstances parce que le défendeur n’était pas certain quelle serait la routine et, par conséquent, ne savait pas combien d’employés seraient nécessaires pour répondre aux préoccupations relatives au refus de travailler. Une routine solide favorise la sécurité des agents. Après que M. Sehra ait communiqué l’ordre de rester, et après avoir été convaincu qu’il y avait suffisamment d’employés pour satisfaire aux besoins opérationnels de l’établissement, il a dit à ceux qui étaient rassemblés qu’ils pouvaient partir. Au total, les agents ont été retenus entre 30 et 45 minutes, pour lesquelles ils ont été rémunérés au taux des heures supplémentaires.

27        Selon M. Sehra, il s’agissait d’une période étrange parce que le CCT était en cours de modifications. Les gestionnaires de l’établissement devaient déterminer quelle version du CCT appliquer étant donné que les changements étaient sur le point d’entrer en vigueur. En outre, les détenus avaient été en confinement toute la nuit précédente et tout au long de la journée. Les gestionnaires devaient veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’agents correctionnels sur place pour répondre aux exigences accrues du confinement cellulaire dans l’éventualité où ils décidaient de ne pas reprendre la routine habituelle du quart de nuit à la suite du refus de travailler.

28        Dans son témoignage, la plaignante a affirmé que lorsqu’elle s’est présentée au travail le 31 octobre 2014, l’établissement suivait une routine modifiée, qui avait été entamée le soir précédent. Elle n’a pas assisté à la séance d’information dans le secteur des visites et de la correspondance avec les autres CX en raison du poste auquel elle avait été affectée. Elle a éventuellement appris qu’un refus de travailler avait été invoqué en raison de la décision du directeur intérimaire de reprendre la routine habituelle plutôt que de continuer la fouille pour les ciseaux coupe-fils manquants.

29        Ce jour-là, elle travaillait un quart de 12 heures qui devait terminer à 19 h 15, mais elle avait pris un congé annuel de 15 h 15 à 19 h 15. Elle a été relayée plus tôt le 31 octobre 2014, et s’est rendue au bureau du GC pour signer le registre avant de sortir. Lorsqu’elle est arrivée, les GC Fuson et Arsenault lui ont dit que d’autres CX avaient invoqué leurs droits en vertu de l’article 128 du CCT en raison des ciseaux coupe-fils manquants. Elle a également été informée que le GC Fuson partait pour la journée. Personne ne lui a dit qu’elle ne pouvait pas partir comme prévu. La GC Arsenault lui a demandé si elle appuyait le refus de travailler. Lorsque la plaignante a répondu que oui, la GC Arsenault a ajouté son nom sur une feuille de papier comprenant les noms des autres CX qui appuyaient le refus de travailler. La plaignante a alors été informée qu’elle ne pouvait pas partir étant donné qu’elle appuyait le refus de travailler et que son congé annuel a été annulé.

30        La plaignante avait demandé un congé annuel pour aller à un rendez-vous  médical. Lorsqu’elle l’a signalé au GC Arsenault, elle a été informée qu’elle pourrait aller à son rendez-vous si elle retirait son nom de la liste de ceux qui appuyaient le refus de travailler. Le GC Sehra était à proximité et a donné un ordre direct à la plaignante d’aller à la salle de rassemblement et d’attendre des nouvelles directives. Lorsque la plaignante y est arrivée, seuls ceux dont les noms figuraient sur la liste des partisans du refus de travailler étaient présents.

31        Le GC Sehra est entré dans la salle et a essayé d’être gentil. Il a informé les personnes présentes qu’il ne souhaitait pas agir ainsi, mais qu’il y avait eu des modifications au CCT, et qu’ils devaient tous attendre que Travail Canada prenne une décision sur le refus de travailler. Il a indiqué qu’ils devaient rester parce qu’il serait peut-être nécessaire de les interroger. Le GC Grossman lui a demandé s’il ferait l’objet de mesures disciplinaires s’il partait, et le GC Sehra lui a dit que ce serait le cas. Le seul moyen de quitter la salle était de retirer son nom de la liste des partisans du refus de travailler. Selon la plaignante, il n’a jamais été question de la routine de l’établissement, d’une situation d’urgence ou d’une crise. Ils étaient forcés de rester parce qu’ils appuyaient le refus de travailler.

32        Les CX qui appuyaient le refus de travailler n’étaient pas tous présents, seuls ceux qui se présentaient au bureau du GC des opérations avant de partir. Ceux qui travaillaient dans la patrouille mobilisée ou au bureau du comité de dénombrement et les agents de l’entrée principale et de l’entrée des véhicules n’étaient pas là. Les agents du secteur des visites et de la correspondance n’étaient pas là non plus. La plaignante était très bouleversée de s’être fait ordonner de rester. Elle avait un rendez-vous médical très important qui était prévu. Elle se sentait intimidée parce qu’elle avait exercé ses droits en vertu de l’article 128 du CCT. Ce qui s’est passé dans la salle de rassemblement n’avait rien à voir avec la routine de l’établissement ni avec la fouille. À son avis, ceux qui étaient rassemblés étaient punis pour avoir appuyé le refus de travailler.

33        Ryan Jensen a indiqué dans son témoignage qu’il était le coprésident du Comité mixte régional de la santé et de la sécurité au travail au moment où les modifications au CCT ont été apportées en 2014. Selon lui, la modification principale concernait la définition de « danger ». Les modifications à la partie II du CCT sont entrées en vigueur le 31 octobre 2014; toutefois, aucune modification n’a été apportée aux paragraphes 128(11) et (12). Par conséquent, selon M. Jensen, le défendeur aurait pu procéder à son enquête pour déterminer si le danger existait, il aurait pu rédiger son rapport sur la phase I sans les CX, et les CX auraient pu désigner l’un d’entre eux en tant que représentant. Toujours selon lui, rien dans le CCT n’exigeait que le défendeur garde les CX sur place après la fin de leur quart de travail simplement parce qu’ils avaient exercé leur droit en vertu de l’article 128 du CCT. Il a indiqué lors de son témoignage qu’il n’avait vu le défendeur agir comme tel que deux ou trois fois lorsque, à la fin d’un quart de travail, il manquait de personnel à l’établissement.

34        M. Kooistra a témoigné en contre-preuve. Le 31 octobre 2014, il était le directeur adjoint, Opérations, par intérim à l’établissement et était responsable des besoins opérationnels, y compris la sécurité, les routines de déplacement et la gestion de la main-d’œuvre correctionnelle. Il a indiqué dans son témoignage que lui-même, le directeur par intérim, et la sous-directrice par intérim ont consulté tous les syndicats en ce qui concerne le retour à la routine habituelle de l’établissement. Le directeur par intérim avait décidé que les ciseaux coupe-fil étaient dans les ateliers de CORCAN ou, s’ils étaient ailleurs dans le complexe, que leur présence faisait partie des conditions d’emploi habituelles des CX, qui sont exposés à des menaces de la part des détenus. Les syndicats ont été avisés que l’établissement allait reprendre sa routine connue et habituelle.

35        Lorsque les syndicats en ont été informés, un CX a invoqué son droit en vertu de l’article 128 du CCT juste avant la fin du quart de jour, ce qui, selon M. Kooistra, a eu une incidence importante sur la routine opérationnelle. Par conséquent, le GC au bureau du GC des opérations, avec l’appui de M. Kooistra, a décidé que le personnel du quart de jour recevrait l’ordre de demeurer dans l’établissement. Cette décision a tout d’abord été prise afin d’assurer la sécurité et la sûreté de l’établissement, y compris l’exigence d’effectuer des fouilles plus approfondies. Le passage à une routine modifiée signifiait que les détenus seraient nourris dans leurs cellules et que, par conséquent, du personnel supplémentaire était nécessaire. La décision a également été prise afin d’assurer la conformité aux modifications apportées au CCT, qui sont entrées en vigueur le 31 octobre 2014.

36        M. Kooistra a nié avoir dit que les droits des détenus étaient plus importants que les droits des CX. Selon lui, il s’agissait d’une simplification exagérée de ce qui a été dit. Il a bien dit que des conflits peuvent surgir entre les droits d’un employé et ceux d’un détenu. Le défendeur ne pouvait autoriser une fouille en vertu de la LSCMLC, comme le réclamaient les CX, parce que les ciseaux coupe-fil ne répondaient pas à la définition d’« objets interdits » en vertu de la LSCMLC. Les fouilles des cellules ne sont autorisées que lorsqu’il y a des objets interdits. Le défendeur devait soupeser le droit de refuser un travail dangereux contre les droits des détenus. Les CX ont adopté la position que le seul moyen d’atténuer le danger ce jour-là était une fouille en vertu de l’article 53 de la LSCMLC, que le défendeur n’avait pas le droit d’exécuter.

37        Au cours du contre-interrogatoire, M. Kooistra n’était pas d’accord que les ciseaux coupe-fil, qui étaient un outil interdit, pouvaient être considérés comme une arme étant donné qu’ils n’avaient pas été créés à cette fin et ne répondaient pas à la définition d’une « arme », prévue à l’alinéa 4b) de la LSCMLC. Il a aussi indiqué dans son témoignage que tout peut être une arme, selon l’intention de la personne qui la tient. Il a indiqué dans son témoignage qu’il ne savait pas pourquoi les directeurs auraient ordonné des fouilles illégales dans des cas où des objets comme des ciseaux coupe-fils ont disparu. Il a maintenu qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire et qu’il ne l’aurait pas fait. Selon son témoignage, il y a des risques inhérents au travail d’un CX, et cette situation en faisait partie.

38        M. Kooistra ne savait pas pourquoi les GC en service le jour du refus de travailler avaient une liste des personnes qui y ont pris part. Il a suggéré qu’il s’agissait d’une pratique courante pour rendre compte des allées et venues du personnel. Le fait de permettre aux CX de partir ou de rester, selon la présence ou pas de leurs noms sur la liste n’était pas le problème que le défendeur cherchait à régler. Le changement de la routine de l’établissement constituait le problème fondamental, lequel exigeait que suffisamment d’employés soient sur place pour répondre aux besoins des détenus. Selon M. Kooistra, on a tout d’abord demandé aux CX du quart de jour de rester, pour ensuite leur ordonner de le faire, même si, selon son témoignage, il n’était pas présent au moment où on a initialement demandé aux CX de rester.

39        M. Kooistra a décrit les CX comme étant dans un état très émotif tandis qu’il s’est décrit comme étant calme. Selon son témoignage, il n’a menacé aucun CX de mesures disciplinaires, bien qu’il ait indiqué aux GC que si les CX n’obéissaient pas aux ordres de rester, ils feraient l’objet de mesures disciplinaires. Ils étaient tenus de rester dans le cadre du rassemblement des ressources, et non parce qu’ils avaient invoqué leurs droits en vertu de l’article 128.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

40        Le défendeur n’a pas pénalisé la plaignante et ne lui a pas imposé de mesures disciplinaires pour avoir invoqué ses droits en vertu de l’article 128 du CCT. La preuve du défendeur établit que les mesures de la direction le 31 octobre 2014 étaient purement administratives. Le défendeur s’est acquitté du fardeau de la preuve.

41        Pour obtenir gain de cause, une plainte en vertu de l’article 133 du CCT doit respecter le critère suivant, énoncé dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, au paragraphe 64 :

  1. le plaignant doit avoir exercé ses droits en vertu de l’article 128 du CCT;
  2. il ou elle doit avoir subi des représailles (articles 133 et 147);
  3. les représailles étaient de nature disciplinaire, telles que définies à l’article 147;
  4. il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128 et les mesures subies.

42        Le rôle de la Commission dans ce type d’audience doit porter sur les représailles et non sur la question du danger. La question qu’elle doit déterminer est celle de savoir si les actes du défendeur constituaient des mesures de représailles en vertu de l’article 147 du CCT (voir Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4, au paragraphe 72; et Leclair c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 49, aux paragraphes 134 et 136 à 161). En vertu de l’article 147, il est interdit au défendeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé, lui imposer une sanction pécuniaire ou autre, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre un employé parce qu’il a exercé son droit de refuser un travail dangereux.

43        En l’espèce, les mesures du défendeur n’étaient pas des mesures disciplinaires. La question de savoir si un employé a fait l’objet de mesures disciplinaires est une pure question de fait (voir Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40, au paragraphe 34; et Nash, au paragraphe 86). Les faits de cette situation sont que M. Sehra a donné un ordre aux CX et que ces derniers ont invoqué leur droit de refuser un travail dangereux en lien avec la question de demeurer au travail au-delà de la fin de leur quart de travail. Le défendeur reconnait qu’il s’agissait d’un ordre et non d’une demande et que la violation d’un ordre entraîne des mesures disciplinaires.

44        La raison d’être de cet ordre était que le nombre de membres du personnel ayant pris part au refus de travailler signifiait qu’une évaluation des besoins opérationnels de l’institution était nécessaire. Le défendeur était tenu de répondre aux droits humains des détenus lors de l’exécution de la fouille et d’assurer leur sûreté et leur sécurité, ainsi que celle du personnel. Les CX ont dû rester après leur quart de travail en attendant que le défendeur évalue ses besoins étant donné qu’à ce moment-là, le défendeur ne savait pas comment réagirait le quart de nuit si l’établissement ne reprenait pas la routine normale. Il faut s’attendre à travailler des heures supplémentaires dans un environnement correctionnel.

45        Des discussions entre les gestionnaires de l’établissement, l’administration régionale et centrale du défendeur et Emploi et Développement social Canada, étaient nécessaires pour déterminer les répercussions des modifications au CCT, qui sont entrées en vigueur le 31 octobre 2014. Les modifications n’étaient pas négligeables ni de nature administrative; la définition de « danger » en était modifiée (voir Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19, aux paragraphes 159, 170 et 171). Le défendeur a pris le temps de demander des conseils, et il a rémunéré les CX au taux des heures supplémentaires pour les avoir fait attendre. Une période d’attente de 30 minutes ne peut pas être considérée comme une mesure disciplinaire.

46        Des représailles sont une mesure prise dans l’intention de causer du tort. Une sanction est une peine imposée pour assurer l’exécution d’un acte (voir Tanguay c. Opérations des enquêtes statistiques, 2005 CRTFP 43, aux paragraphes 19 et 20). Il n’y a absolument aucune preuve d’aucun des deux cas en l’espèce. Une sanction est définie dans Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au paragraphe 75, comme une punition imposée pour violation d’une loi, d’une règle ou d’un contrat. Étant donné qu’aucune loi ni règle n’a été enfreinte ni aucun contrat violé, aucune sanction n’a été imposée. L’exercice par les CX de leurs droits en vertu de l’article 128 était conforme à la loi, tout comme l’ordre du défendeur de patienter pendant que la routine était réglée. L’imposition sur le temps des employés rémunérée à un taux de prime ne constitue pas une sanction. L’ordre de rester était autorisé en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11).

47        Pour déterminer si les actes du défendeur constituaient des mesures disciplinaires, la Commission doit examiner les intentions du défendeur, qui étaient de prioriser les préoccupations à l’égard de la routine de l’établissement et de respecter ses obligations en vertu du CCT. Toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Les mesures administratives ne se traduisent pas en mesures disciplinaires. Si la conduite de l’employé est blâmable et que l’employeur a l’intention de la corriger, la mesure est considérée comme disciplinaire. Si la conduite de l’employé n’est pas blâmable et s’il n’y a aucune intention de la corriger, alors la mesure de l’employeur n’est pas considérée comme une mesure disciplinaire.

48        La plaignante avait réservé un congé annuel, mais ne l’a pas soulevé auprès de M. Sehra à l’époque. L’incidence sur la plaignante était négligeable. Le défendeur a réagi à la situation de manière responsable, et les répercussions de ses actes sur les CX étaient négligeables. Ces mesures ne peuvent pas être converties en mesures disciplinaires parce que les CX étaient mécontents de devoir rester après leur quart de travail.

B. Pour la plaignante

49        Il est présumé dans le CCT que sans une réfutation du défendeur, une plainte doit être maintenue. La preuve de la plaignante n’a pas été contestée. Elle a indiqué aux CG Fuson et Arsenault qu’elle devait partir. Ils lui ont signalé que si elle souhaitait partir, elle devait retirer son nom de la liste des gens qui appuyaient le refus de travailler, ce qui est clairement énoncé dans la plainte.

50        La liste des partisans du refus de travailler (pièce 1, onglet 3) a été déposée à titre d’élément de preuve et est déterminante pour comprendre pourquoi ils ont été forcés de rester après la fin de leur quart de travail le 31 octobre 2014. Le GC Sehra leur a ordonné d’aller à la salle de rassemblement et d’y rester jusqu’à avis contraire. Ils ont reçu l’ordre de rester contre leur gré, sous prétexte d’exigences opérationnelles, alors qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil ou d’un camouflage pour obliger les CX dont le nom figurait sur la liste de rester au-delà de la fin de leur quart de travail. Les modifications apportées aux routines opérationnelles, les modifications des routines et les confinements cellulaires font partie de la vie quotidienne dans les établissements. Les besoins des détenus sont toujours respectés.

51        Le quart du soir avait un effectif complet qui était prêt à répondre aux besoins opérationnels de l’établissement. Pourquoi le défendeur pensait-il qu’il avait besoin d’un effectif de 200 % de son personnel ce soir-là? Les heures supplémentaires sont monnaie courante dans l’établissement, mais elles sont volontaires. La déclaration générale des GC, selon laquelle les CX qui appuyaient le refus de travailler devaient rester, est compatible avec les allégations mentionnées dans la plainte et le témoignage de la plaignante.

52        Une sanction ne doit pas nécessairement être de nature disciplinaire (voir Martin-Ivie, au paragraphe 73). Tant qu’elle est en lien avec l’exercice des droits en vertu de l’article 128, il y a une infraction. La sanction ne doit pas non plus nécessairement être d’ordre financier (voir Chaves c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2005 CRTFP 45, au paragraphe 69). Contrairement à l’argument du défendeur, seuls les CX qui ont exercé leurs droits en vertu de l’article 128 étaient tenus de rester après leur quart de travail. Comment est-ce acceptable de plaider l’ignorance pour justifier ses actions contradictoires? Les gestionnaires de l’établissement étaient au courant que des modifications avaient été apportées au CCT; ils avaient suivi des formations avant la date d’entrée en vigueur des modifications. Il est évident que M. Kooistra était d’avis que l’exercice des droits en vertu de l’article 128 du CCT va à l’encontre de la LSCMLC. Les éléments de preuve de la plaignante cadrent avec le reste des éléments de preuve, et sont plus crédibles que ceux de M. Kooistra.

53        Les heures supplémentaires payées à ceux qui étaient tenus de rester ont été payées seulement après coup. On a crédité le congé de la plaignante, ce qui n’est pas pertinent. Ultimement, le défendeur a ordonné aux CX dont le nom figurait sur la liste de rester en guise de moyen d’intimidation. Le temps pendant lequel ils ont été détenus n’est pas une préoccupation. La préoccupation concerne le caractère raisonnable de l’ordre. Le défendeur avait 2 heures et demie avant la fin du quart de travail pour déterminer ce qu’il devait faire pour le quart du soir. Les motifs qu’il a présentés pour ses actes ne résistent pas à un examen minutieux.

54        La seule raison possible qui reste en ce qui concerne les mesures prises par le défendeur à la fin du quart de jour le 31 octobre 2014, était de menacer les CX rassemblés de mesures disciplinaires. Une situation d’urgence est la seule raison pour laquelle un CX peut être rappelé d’un congé annuel. Selon Mme Chen, il ne s’agissait pas d’une situation d’urgence. La plaignante demande que la Commission tire une conclusion défavorable en raison de l’absence du témoignage de Mme Arsenault et M. Fuson.

55        Dans Beaudoin c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 160-02-19 à 23 (19880608), [1988] C.R.T.F.P. no 154 (QL), l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que le défendeur avait enfreint le CCT lorsque les plaignants ont été menacés de mesures disciplinaires s’ils ne retournaient pas à leur lieu de travail. Une menace peut être voilée ou faite dans le but d’intimider (voir Ladouceur c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 160-02-43, [1992] C.R.T.F.P. no 109 (QL). Une menace de mesures disciplinaires ne doit pas nécessairement être explicite. Il incombait au défendeur de démontrer qu’il n’a jamais eu l’intention d’imposer des mesures disciplinaires aux employés (voir Service correctionnel du Canada c. Laycock, 2017 TSSTC 21).

IV. Motifs

56        Après avoir examiné la pièce jointe 9, la Commission a déterminé que celle-ci devrait être scellée parce qu’elle contient des renseignements liés aux détenus incarcérés à l’établissement. Afin de déterminer si de telles restrictions devraient être soupesées en fonction du principe de transparence judiciaire, il est nécessaire d’examiner les circonstances en fonction des critères énoncés dans l’arrêt R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, connue sous le nom du critère Dagenais/Mentuck.

57        Le critère Dagenais/Mentuck est généralement cité comme comportant deux volets. En premier lieu, il exige que le décideur détermine si une ordonnance limitant le principe de transparence judiciaire est nécessaire dans le contexte du litige pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important. En deuxième lieu, le décideur doit déterminer si les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables relativement au droit du public à des procédures d’arbitrage de griefs ouvertes et accessibles.

58        Des personnes qui ne sont pas des parties à la présente plainte et qui ont droit à la protection de leur vie privée sont mentionnées dans le rapport en question. Le fait de permettre que leur identité fasse partie du dossier ne sert aucun intérêt public ou judiciaire, et constituerait un risque grave pour leur droit à la vie privée et, pour ce motif, j’ordonne que la pièce jointe 9 soit sous mise sous scellés.

59        Les parties ont résumé mon rôle dans une affaire comme celle-ci. Ce rôle a été énoncé à plusieurs reprises dans d’autres affaires. Il ne consiste pas à déterminer si le travail que la plaignante a refusé constituait un danger. Il consiste à déterminer si des actes de représailles ont eu lieu et, le cas échéant, s’ils se sont produits en tant que conséquence directe de l’exercice de son droit de refuser un travail dangereux, ce qui aurait enfreint le CCT.

60        Les articles pertinents du CCT sont les articles 133 et 147. Le paragraphe 133(1) prévoit ce qui suit :

133 (1)L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

61        L’article 147 du CCT stipule ce qui suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

  1. soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;
  2. soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;
  3. soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[Je souligne]

62        Le paragraphe 133(6) du CCT est également pertinent étant donné qu’il stipule qu’une fois qu’un employé a établi qu’il ou elle a déposé une plainte en vertu de l’article 133(1), concernant l’exercice de ses droits de refuser de travailler prévus aux articles 128 ou 129, il incombe dès lors au défendeur de démontrer que l’article 147 n’a pas été enfreint. Le paragraphe 133(6) se lit comme suit :

133 (6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

63        Il n’est pas contesté que la plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 133(1) du CCT à l’intérieur des délais prescrits. Par conséquent, en théorie, elle s’est acquittée de son fardeau initial, et il incombait au défendeur de démontrer que l’article 147 n’a pas été enfreint.

64        Parmi l’ensemble des mesures de représailles énumérées à l’article 147 du CCT, la plaignante a seulement allégué qu’elle avait fait l’objet de mesures disciplinaires ou qu’elle en avait été menacée pour avoir exercé son droit de refus de travailler. La nature de la menace était que si elle procédait à prendre son congé après qu’on lui ait dit de rester, elle ferait l’objet de mesures disciplinaires.

65        La plaignante a soutenu que les agissements du défendeur consistaient à lui imposer des mesures de représailles afin de lui permettre de prendre son congé comme il était déjà prévu. Le seul motif de cet acte, selon l’argumentation de la plaignante, était d’imposer des représailles pour avoir exercé ses droits en vertu de l’article 128 du CCT. Pour déterminer que des représailles ont eu lieu, il doit y avoir un lien entre l’exercice des droits de la plaignante en vertu de la partie II du CCT et les mesures prises par le défendeur (voir Vallée, au paragraphe 64). La plaignante a fait valoir que, compte tenu de son propre témoignage, la présente affaire est réglée.

66        La plaignante a également allégué que les actes du défendeur, soit de prendre le temps de déterminer le processus approprié et la routine à adopter pour l’établissement, qui ont retardé son congé annuel de 45 minutes, constituaient des représailles pour son appui à l’exercice de leurs droits en vertu de l’article 128 par les CX de l’établissement. L’article 147 du CCT n’exige pas que des mesures de représailles soient de nature disciplinaire; elles pourraient l’être, mais ne le sont pas nécessairement.

67        Les mesures de représailles doivent cependant être inextricablement liées à l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 du CCT (voir Tanguay, au paragraphe 14; et Martin-Ivie). Je ne suis saisie d’aucune preuve que la plaignante a fait l’objet de mesures de représailles par l’employeur pour avoir invoqué ses droits. En outre, il n’y a aucune preuve que le défendeur l’a menacée d’une façon quelconque à la suite de l’exercice de ses droits. Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir si les mesures prises par le défendeur, pour évaluer si la présence de la plaignante était nécessaire ou non en raison des modifications au CCT qui sont entrées en vigueur le jour du refus de travailler et pour évaluer quelles étaient ses exigences opérationnelles à la fin du quart de travail le jour du refus, constituaient une forme de représailles.

68        La présentation de toute cette affaire visait principalement le fait que les CX qui ont pris part au refus de travailler pendant le quart de jour du 31 octobre 2014 n’ont pas été autorisés à quitter l’établissement à la fin de leur quart de travail. Ils ont reçu l’ordre de demeurer dans la salle de rassemblement, pendant que le défendeur déterminait ses besoins opérationnels et ses obligations en vertu des changements apportés récemment au CCT. La situation de la plaignante était concomitante à l’ensemble de la situation; toutefois, je n’ai été saisie que de sa situation, et non de celle de tout le groupe de CX en cause. Son quart de travail ne se serait pas terminé si elle n’avait pas demandé un congé, contrairement à tous les autres agents qui sont restés sur place.

69        Je conclus que c’est une question de fait que la plaignante avait réservé un congé annuel et prévu que son quart de travail prenne fin à 15 h 15, le 31 octobre 2014, pour se rendre à un rendez-vous médical. Elle a plutôt été retenue pendant 45 minutes avec d’autres CX en raison de sa participation au refus de travailler. La plaignante n’a eu connaissance du refus de travailler que lorsque la GC Arsenault l’a informée du refus de travailler et lui a demandé si elle appuyait ce refus, ce à quoi la plaignante a répondu par l’affirmative. À ce moment-là, la plaignante a été informée qu’elle ne devait pas quitter l’établissement. Son congé a été annulé avant son départ; il ne s’agissait pas d’un cas de rappel de congé.

70        En ce qui concerne les événements qui se sont produits dans la salle de rassemblement, la plaignante est d’avis qu’ils n’avaient rien à voir avec les routines de l’établissement et qu’il s’agissait plutôt d’un moyen de punir ceux qui y étaient réunis. Pour déterminer si les actes du défendeur constituaient des mesures de représailles, la Commission doit examiner l’intention du défendeur derrière la prise des mesures reprochées. Il incombait au défendeur de démontrer qu’il n’avait jamais eu l’intention de prendre des mesures de représailles (voir Laycock).

71        De nombreuses personnes représentant le défendeur ont pris part à cette situation. Les GC étaient le visage de la direction, mais le directeur par intérim, la sous-directrice par intérim et le directeur adjoint, Opérations, par intérim étaient son esprit dirigeant et sa volonté. Je n’ai aucun doute que le refus de travailler exercé ce jour-là a augmenté les bouleversements de l’établissement après une journée consacrée à la recherche de l’outil manquant. Cette situation a été une source de frustration, particulièrement pour M. Kooistra, qui semblait particulièrement préoccupé par le conflit entre les droits des détenus et ceux des CX. Cette frustration était peut-être manifeste pour ceux qui ont interagi avec lui, tel qu’il a été décrit dans son témoignage, mais la frustration n’équivaut pas à une intention d’imposer des mesures disciplinaires, et n’est pas non plus une preuve de représailles.

72        M. Huish, en tant que directeur intérimaire et âme dirigeante de l’établissement, n’avait pas l’intention d’imposer des mesures disciplinaires ni des représailles lorsqu’il a convenu que les CX devaient être gardés sur place. Son objectif était de clarifier les obligations du défendeur en vertu des modifications apportées au CCT et de veiller à ce que les exigences opérationnelles de l’établissement soient satisfaites. Cependant, le fait qu’il croyait avoir besoin de garder un aussi grand nombre de CX sur place après leur quart de travail est tout de même curieux étant donné que, selon le témoignage de M. Jensen, les articles du CCT en cause n’avaient pas été modifiés. Toutefois, ce fait n’attribue pas de mauvaise intention à la décision de M. Huish.

73        Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, abordent la nature des sanctions disciplinaires au paragraphe 7:4210. Au moment de décider si un employé a fait l’objet de mesures disciplinaires, un décideur doit tenir compte à la fois de l’objet et de l’effet des agissements du défendeur. La caractéristique fondamentale d’une mesure disciplinaire est une intention de corriger une mauvaise conduite. Une confirmation du défendeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, pour régler la question. Le défendeur a le droit de demander des éclaircissements au cours du refus de travailler d’un employé, afin de déterminer quelles sont exactement les obligations des parties respectives. Toutefois, le défendeur est également tenu de connaître ses obligations en vertu de la loi, peu importe à quel moment elles entrent en vigueur. Le fait d’utiliser cette ignorance comme prétexte pour retarder les CX à la fin de leur quart de travail était peut-être de la mauvaise gestion de la main-d’œuvre, mais je ne peux pas conclure qu’elle était de nature punitive.

74        Un défendeur a le droit de maintenir ses opérations en dépit d’un refus de travailler. Dans le cas d’un pénitencier, la LSCMLC prévoit que certains niveaux de service doivent être maintenus pour la santé, la sûreté et la sécurité de l’établissement, des détenus, du personnel et du public. Le défendeur avait le droit d’examiner l’incidence du refus de travailler sur la routine de l’établissement et compte tenu de la possibilité d’une fouille en vertu de l’article 53 de la LSCMLC, de retarder le départ du quart de jour, y compris le retard du départ en congé de la plaignante, afin de s’assurer qu’il avait suffisamment de personnel pour répondre à ces besoins. Une fois que les niveaux de dotation appropriés ont été établis, le personnel du quart de jour a été libéré et a été rémunéré pour les heures supplémentaires de façon appropriée, et la plaignante a été autorisée à partir en congé. Toutefois, la présente plainte ne concerne pas les CX qui ont été détenus après leur quart de travail, même s’il en a beaucoup été question tout au long de l’audience.

75        La présente plainte concerne la plaignante, qui devait travailler et qui s’attendait à être en congé annuel. À la suite de sa participation à un refus de travailler, 45 minutes de son congé annuel ont été révoquées. J’ai conclu que la nature de cet acte n’était pas punitive. L’annulation de 45 minutes de ses vacances constitue peut-être une violation de sa convention collective, mais je ne peux conclure qu’il y avait un lien avec les motifs interdits énumérés à l’article 147 du CCT à la suite d’avoir exercé ses droits en vertu de l’article 128 du CCT, ou qu’il s’agissait d’un acte de représailles. Le défendeur a cherché à veiller à ce que les besoins opérationnels de l’établissement soient satisfaits avant de lui permettre de partir en congé, ce qu’il est en droit de faire.

76        Le conflit évident entre M. Sehra et la plaignante, concernant la question de savoir s’il était présent lorsque la GC Arsenault l’a avisée qu’elle devait se présenter à la salle de rassemblement plutôt que de quitter l’établissement, ne peut être réglé étant donné que les seules personnes qui pourraient confirmer la présence de M. Sehra à ce moment-là n’ont pas témoigné.

77        La question de savoir si M. Sehra a rencontré la plaignante dans le bureau du GC avant la réunion ou à la salle de rassemblement a peu d’importance. Les mesures du défendeur n’étaient pas empreintes de mauvaises intentions et étaient nécessaires pour la sécurité de l’établissement. À mon avis, il n’y avait pas de lien entre l’exercice du droit de la plaignante de refuser de travailler en vertu de l’article 128 et les mesures prises par le défendeur. Indépendamment de la question de savoir si un employé a exercé ses droits en vertu du CCT, l’employeur se réserve le droit de diriger et de gérer son milieu de travail.

78        Pour tous les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance suivante :

V. Ordonnance

79        J’ordonne que la pièce 9 soit mise sous scellés.

80        La plainte est rejetée.

Le 25 juillet 2018.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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