Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut ») a appliqué de manière discriminatoire des normes de discipline à son égard au motif qu’il fait partie de la minorité qui siège au conseil d’administration de l’Institut – l’Institut s’est opposé au motif que la plainte était hors délai en vertu de l’alinéa 190(3)c) de la Loi et que le plaignant n’a pas satisfait à l’exigence prévue à l’alinéa 190(3)a) de la Loi selon laquelle il doit soulever la question au cœur de sa plainte dans le cadre de la procédure d’appel de l’Institut – la Commission a conclu que la plainte avait été déposée en temps opportun puisqu’elle a été déposée par télécopieur à l’intérieur du délai prévu par la loi et parce que la plainte initiale a été déposée à la Commission conformément au paragraphe 3(2) du Règlement – de plus, la Commission a conclu que le plaignant avait présenté ses allégations dans le cadre de la procédure d’appel de l’Institut – cependant, la Commission a conclu que, dans la mesure où les allégations du plaignant sont vraies, elles ne peuvent pas constituer une discrimination au sens de l’alinéa 188c) de la Loi, puisqu’elles ne comprennent aucune distinction illégitime, de la part de l’Institut à l’égard du plaignant, fondée sur des motifs inappropriés.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

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  • Date:  20180803
  • Dossier:  561-34-900
  • Référence:  2018 CRTESPF 62

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

PETER GILKINSON

plaignant

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Gilkinson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Lui-même
Pour le défendeur:
Martin Ranger, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposée les 4, 6 et 17 avril 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Le 12 février 2018, Peter Gilkinson (le « plaignant ») a déposé une plainte par télécopieur à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur »). La version originale de la plainte a été reçue par la poste le 15 février 2018. Le plaignant allègue que le défendeur s’est livré à une pratique déloyale de travail en appliquant ses normes de discipline de façon discriminatoire, contrairement à l’alinéa 188c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), libellé comme suit :

188 Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

a)[…];

b)[…];

c)de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

[…]

2        Le défendeur a demandé plus de précisions, qui lui ont été fournies le 4 avril 2018. Le 6 avril 2018, il a répondu aux précisions et a demandé que la plainte soit rejetée de façon sommaire. Le plaignant a répondu à cette demande le 17 avril 2018.

3        Pour les motifs qui suivent, la Commission rejette la plainte.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

4        Le plaignant a allégué qu’il avait été retiré de son poste de président du Comité des finances, au sein de la structure de gouvernance du défendeur, parce qu’une conclusion de harcèlement avait été rendue contre lui à la suite d’une demande d’information qu’il avait déposée en tant que président du Comité des finances.

5        L’action était discriminatoire parce que le conseil d’administration, auquel il siégeait, est divisé en deux groupes, le groupe de contrôle, qui a le pouvoir, et le groupe minoritaire, dont il fait partie et qui n’a pas de pouvoir. Ses précisions comprennent l’allégation suivante :

[Traduction]

[…]

Le groupe avec le vote contrôlant comprend la présidente, et celle-ci exerce un contrôle considérable sur le processus disciplinaire.

Les membres du groupe de contrôle bénéficient d’un traitement de faveur lorsqu’il s’agit de questions de discipline et les membres du groupe minoritaire sont traités de façon bien pire que le groupe de contrôle.

[…]

B. Pour le défendeur

6         Le défendeur a demandé que la plainte soit rejetée de façon sommaire pour deux raisons : elle est prescrite et le plaignant a omis de se conformer au paragraphe 190(3) de la Loi.

7        Le plaignant a exercé son droit d’interjeter appel de l’imposition de mesures disciplinaires à l’aide du mécanisme d’appel interne du défendeur. Il a reçu une réponse à son appel le 16 novembre 2017. Selon le cachet qui figure sur la plainte, celle-ci a seulement été déposée auprès de la Commission le 15 février 2018, c’est-à-dire un jour après la fin de l’échéancier obligatoire de 90 jours fixé au paragraphe 190(2) de la Loi.

8        Même si le plaignant a porté les mesures disciplinaires en appel à l’aide du processus d’appel interne, son appel ne comprenait pas le motif apparent de sa plainte devant la Commission, à savoir que la présidente aurait exercé un contrôle pour s’ingérer dans le processus disciplinaire. Comme le plaignant ne s’est pas prévalu du système d’appel interne pour contester l’acte de contrôle discriminatoire allégué du président, il ne pouvait pas se présenter devant la Commission avec cette question, car cela va à l’encontre du paragraphe 190(3) de la Loi, qui se lit comme suit :

190(3) Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

  1. le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale et à laquelle il a pu facilement recourir;
  2. l’organisation syndicale a :
    1. soit statué sur le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,
    2. soit omis de statuer sur le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;
  3. la plainte est adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant était habilité à le faire aux termes des alinéas a) et b).

9        Par conséquent, le défendeur demande que la plainte soit rejetée de façon sommaire.

C. Réplique du plaignant

10        Selon le plaignant, un dénombrement approprié des jours montre qu’il respectait le délai de 90 jours.

11        Pour ce qui est de l’allégation qu’il n’aurait pas épuisé le processus interne, le plaignant fait valoir qu’on aurait fait fi de ses tentatives de se faire entendre. Il a soulevé certains actes d’ingérence apparente de la présidente du défendeur dans le processus de traitement des plaintes, mais on lui a dit qu’il s’agissait de [traduction] « conjecture plutôt que d’éléments de preuve » et la question n’a pas été abordée dans la décision sur son appel.

III. Motifs

12        Je vais aborder les deux motifs sur lesquels le défendeur se fonde pour faire rejeter la plainte de façon sommaire. En fin de compte, je rejette la plainte non pas pour les motifs du défendeur, mais plutôt pour défaut de compétence.

13        L’objection du défendeur au respect des délais ne peut être maintenue. Si le délai de 90 jours a commencé le 16 novembre 2017, comme l’a indiqué le défendeur, alors il a expiré le 14 février 2018. Le plaignant a télécopié sa plainte à la Commission le 12 février 2018. Le paragraphe 3(2) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») prévoit ce qui suit : « Le document introductif transmis par télécopieur est réputé être reçu le jour de son envoi par télécopieur […] », tant et aussi longtemps que l’original est fourni dans les plus brefs délais. L’original a été reçu et cacheté le 15 février 2018. Le cachet ne représente pas la date de réception de la demande en vertu du Règlement.

14        L’argument du défendeur concernant le mécanisme d’appel ne peut pas non plus être maintenu. Le défendeur a fourni une copie de la décision sur appel. Le contexte de l’appel est énoncé dans les termes suivants : [traduction] « La plainte de l’appelant était que la présidente avait nui à sa capacité de s’acquitter de ses fonctions à titre de président du Comité des finances de l’IPFPC. » Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que le plaignant a soulevé ses allégations à l’aide du mécanisme d’appel interne du défendeur.

15        Cela ne signifie pas que la Commission est saisie d’un recours.

16        Le législateur a donné à la Commission une compétence très étroite de s’ingérer dans les affaires internes des organisations syndicales. Les seuls motifs en fonction desquels la Commission peut intervenir dans les mesures disciplinaires d’une organisation syndicale contre ses membres sont la discrimination ou le déni des droits protégés par la Loi.Le plaignant allègue avoir été victime de discrimination. Il doit y avoir une indication, si tous les faits qui sont allégués étaient vrais, que l’organisation syndicale aurait fait preuve de discrimination à son endroit.

17        La Loi ne contient pas de définition de la discrimination. Toutefois, la version française de la Loi parle de « distinctions illicites », ou distinctions illégitimes, pour traduire la discrimination. Le Black’s Law Dictionary définit la discrimination comme étant [traduction] « un traitement différentiel »; The Concise Oxford Dictionary définit le verbe « discriminate » comme l’acte de [traduction] « faire une distinction injuste dans le traitement de diverses personnes ».

18        Dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, la Commission examinait la signification du terme « discriminatoire » à l’alinéa 188c) comme suit :

85. En ce qui concerne le sujet de la discrimination, j’estime que c’est ce qui caractérise l’interdiction contenue à l’alinéa 188c). En effet, ce ne sont pas toutes les mesures disciplinaires ni toutes les sanctions qui sont interdites par cette disposition; il faut que la mesure ou la sanction soit imposée dans le contexte des normes de discipline de l’agent négociateur et d’« une manière discriminatoire » pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’alinéa 188c). Dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSS 4, la Cour suprême du Canada a énoncé quelques principes pour nous aider à mieux comprendre en quoi consiste la discrimination. Après avoir analysé diverses définitions contenues dans la législation sur les droits de la personne et des jugements antérieurs, la Cour a formulé les observations suivantes à propos de la discrimination en milieu de travail :

[…]

48. La prémisse voulant qu’une pratique, une norme ou une exigence du milieu de travail ne puisse pas désavantager un individu par l’attribution de caractéristiques stéréotypées ou arbitraires est au cœur de ces définitions. Le but de la prévention des obstacles discriminatoires est l’inclusion. Ce but est atteint si on empêche que des individus soient soustraits à des possibilités et à des agréments fondés non pas sur leurs aptitudes réelles, mais sur des aptitudes qu’on leur attribue. La discrimination réside essentiellement dans le caractère arbitraire de son incidence négative, c’est-à-dire le caractère arbitraire des obstacles érigés intentionnellement ou inconsciemment.

49. Il en résulte une différence entre discriminationet distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet — qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur.

[…]

86. Dans le contexte de la justice administrative et des relations de travail, la Commission se doit de retenir une interprétation libérale de la discrimination en respectant les limites de la législation; la Commission doit aussi étudier non seulement « […] les résultats de l’application des normes disciplinaires, mais aussi les raisons qui les ont justifiées et la manière dont elles furent appliquées. » À ce propos, je renvoie à Daniel Joseph McCarthy, [1978] 2 Can LRBR 105; citée dans Beaudet-Fortin, au paragraphe 84, dans laquelle le CCRT dit ceci :

[…]

Nous croyons que dans le présent contexte, le terme « discriminatoire » signifie l’application de règles d’adhésion visant à établir des distinctions entre des personnes ou des groupes, pour des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables. La distinction est de toute évidence illégale lorsqu’elle se fonde sur des considérations interdites [par la législation sur les droits de la personne], la distinction est arbitraire si elle n’est pas fondée sur aucune règle, aucune politique ni principe d’ordre général; enfin la distinction est jugée déraisonnable si elle n’a aucun rapport juste ou raisonnable avec la décision prise, bien qu’elle ait été établie conformément à une règle ou à une politique générale […]

87. J’estime que ces observations s’appliquent aussi à l’interdiction d’agir d’une manière discriminatoire contenue à l’alinéa 188c) de la Loi. Cette interdiction est de nature inclusive et vise à empêcher les agents négociateurs d’exclure des employés des activités de l’organisation syndicale en se basant sur les aptitudes qu’on leur attribue plutôt que sur leurs aptitudes réelles. La protection consiste essentiellement à éliminer les obstacles qui sont illégaux, arbitraires ou déraisonnables. […]

[…]

19        La discrimination comporte donc une distinction illégitime fondée sur des motifs non pertinents. Dans ce cas, le plaignant n’a pas jeté de lumière sur la nature de la distinction qu’il allègue. Il n’invoque aucun motif. Une situation conflictuelle a plutôt vu le jour.

20        Le fait que le plaignant perçoit un « groupe de contrôle » et un « groupe minoritaire » ne soulève pas de motif de discrimination qui permettrait à la Commission d’intervenir dans les mesures disciplinaires du défendeur. Plutôt, les allégations concernent une présumée lutte de pouvoir entre les groupes concurrents au sein du conseil d’administration du défendeur. Même si tous les faits sur lesquels se fonde le plaignant sont vrais, il n’y a pas de cause défendable selon laquelle le défendeur aurait fait preuve de discrimination à son endroit au sens de l’alinéa 188c) de la Loi.

21        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

22        La plainte est rejetée.

Le 3 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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