Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a distribué à ses membres des lacets de couleur orange vif sur lesquels est imprimé en caractères noirs le message [traduction] « Je soutiens mon équipe de négociation » - les parties étaient engagées dans une ronde de négociation collective à ce moment-là – certains employés de l’unité de négociation ont commencé à porter les lacets ailleurs que sur leurs bottes, notamment pour attacher leurs cheveux ou comme bracelets tressés – le défendeur a émis une directive claire selon laquelle les bracelets ne pouvaient être portés que sur leurs bottes – l’agent négociateur s’est plaint, alléguant qu’il s’agissait d’une pratique déloyale de travail – selon le principal argument du défendeur, une telle utilisation des lacets soulevait une préoccupation relative à la santé et à la sécurité – la Commission a conclu que cet argument était peu convainquant et qu’il s’agissait d’un prétexte – la preuve n’a pas permis d’établir que la santé et la sécurité des personnes étaient en péril – la Commission a conclu que l’interdiction du défendeur de porter les lacets ailleurs que sur les bottes allait à l’encontre des articles 5 et 186 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral qui garantit le droit de participer à des activités syndicales licites sans menaces de mesures disciplinaires, et de la clause 19.01 de la convention collective pertinente, qui prévoit qu’il n’y aura « aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée […] », notamment en raison de la participation à une activité syndicale – un employeur ne peut dicter la façon dont les employés expriment leur solidarité à l’égard de leur équipe de négociation – si un problème de santé survient, une interdiction générale n’est pas la solution – l’employeur doit plutôt déterminer, avec l’agent négociateur, comment les droits peuvent être exercés sans risque de dommages.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180815
  • Dossier:  561-02-888
  • Référence:  2018 CRTESPF 66

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Amy Kishek, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Joel Stelpstra, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 28 au 30 mai 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

Plainte devant la Commission

1        La présente affaire porte sur des lacets. Il s’agit de déterminer si les agents des services frontaliers (ASF) qui travaillent pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) peuvent les porter ailleurs que sur leurs bottes, par exemple, pour nouer leurs cheveux ou en tant que bracelets tressés.

2        La présente affaire porte sur les ’activités syndicales licites pendant les heures de service. Sur ces lacets de couleur orange vif, le message qui suit est imprimé en caractères noirs : « Je soutiens mon équipe de négociation. » L’ASFC a reconnu que les ASF ont la permission de porter un autocollant de couleur orange vif sur leur uniforme avec le même message. Elle a toutefois énoncé une directive claire selon laquelle les lacets de couleur orange vif et portant l’inscription en caractères noirs doivent être portés comme prévu, soit à travers les œillets des bottes.

3        Les ASF sont employés exclusivement à l’ASFC, dont le défendeur, le Conseil du Trésor, est l’employeur. Leur agent négociateur est l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou l’« agent négociateur »), qui se divise en plusieurs éléments. L’élément pertinent pour les ASF est le Syndicat des Douanes et de l’Immigration (SDI).

4        L’agent négociateur demande à la Commission de déclarer que l’interdiction unilatérale de l’ASFC de porter des lacets ailleurs que sur les bottes enfreint le droit de participer à des activités syndicales prévu aux articles 5 et 186 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, section 2; la « Loi ») et la clause 19.01 de sa convention collective avec le Conseil du Trésor (dont l’échéance est le 30 juin 2014; la « convention collective »).

5        Pour les motifs qui suivent, je déclare que l’interdiction générale de porter les lacets comme attaches à cheveux, bracelets ou tout autre élément décoratif va à l’encontre des articles 5 et 186 de la Loi et constitue une violation de la clause 19.01 de la convention collective. Sous réserve de préoccupations opérationnelles valides et légitimes, l’ASFC ne peut dicter la façon dont ses employés choisissent de montrer leur soutien à l’égard de leur agent négociateur et de leur équipe de négociation.

Résumé de la preuve

6        L’agent négociateur a cité deux témoins : Morgan Gay, négociateur en chef à l’AFPC, et Jean-Pierre Fortin, président du SDI. Le défendeur a cité un témoin : Marc Thibodeau, directeur général des Relations de travail à l’ASFC.

7        L’ASFC est responsable de contrôler tous les points d’entrée au Canada, qu’ils soient terrestres, maritimes ou aériens. Les ASF sont ses agents d’application de la loi. Ils travaillent aux points d’entrée, qu’il s’agisse de postes frontaliers terrestres, d’aéroports ou de ports maritimes. Ils sont responsables de veiller à ce que seuls les personnes et les biens autorisés traversent la frontière au Canada.

8        M. Gay et M. Fortin ont tous deux témoigné pour dire que la relation entre l’ASFC et l’agent négociateur, représenté par le SDI et l’AFPC, est difficile. M. Gay participe aux négociations collectives avec l’ASFC depuis sa création, en 2007 et il est aussi négociateur en chef pour d’autres groupes. Il a indiqué que l’ASFC est l’organisation avec laquelle il est le plus difficile de traiter.

9        La durée des rondes de négociation est l’aspect le plus révélateur de cette relation difficile. La dernière ronde de négociations a commencé le 16 avril 2014. Elle venait de se terminer au moment de l’audience et les membres votaient sur la ratification de la nouvelle convention collective, qui arrivait à échéance le 31 mai 2018. D’ici à ce que les deux parties signent la nouvelle convention, elle sera échue. Les parties devraient être de retour à la table de négociation à l’automne 2018.

10        M. Gay a indiqué que la question des mesures disciplinaires à l’ASFC est l’une des difficultés que les négociations visaient à résoudre. La direction a la réputation d’être sévère et encline à exercer des représailles à l’égard des employés.

11        La question des lacets a surgi dans le contexte de cette relation tumultueuse. L’histoire de leur origine variait. M. Gay a indiqué qu’ils étaient apparus spontanément à Coots (Alberta), comme l’expression de la frustration des employés concernant le rythme des négociations collectives. M. Fortin a témoigné en disant qu’ils étaient imprimés et distribués par les bureaux régionaux de l’AFPC. Tous s’entendaient sur le fait qu’ils étaient verts au départ et qu’ils étaient maintenant orange, comme la couleur de la couverture de la convention collective.

12        Les lacets ont suscité des tensions lorsque les employés ont commencé à les porter comme attaches à cheveux et comme bracelets. L’agent négociateur et la Direction générale des ressources humaines de l’ASFC ont eu des échanges à l’automne 2017. Jacqueline Rigg, vice-présidente responsable de la Direction générale des ressources humaines, a réitéré à plusieurs reprises que [traduction] « […] les employés doivent porter les articles comme prévu quand ils montrent leur soutien à leur équipe de négociation ». M. Fortin a indiqué qu’il avait reçu plusieurs rapports locaux selon lesquels les gestionnaires avaient dit à leurs employés de porter les lacets sur leurs bottes seulement.

13        M. Thibodeau a témoigné à l’audience que la direction se réservait le droit de décider au cas par cas comment porter des articles servant à manifester un appui au syndicat. Parfois, il peut y avoir approbation, parfois non. Il a parlé d’un grief dans lequel un fonctionnaire  avait contesté l’interdiction imposée par l’ASFC de porter deux collants sur lesquels se trouvait un message d’appui au syndicat. La direction a cédé à l’audience au premier palier, en permettant au fonctionnaire de porter deux collants, l’un en anglais et l’autre en français. Dans la réponse à ce palier, on avait aussi indiqué ce qui suit : [traduction] « La direction ne s’est jamais préoccupée du fait que les employés portent de multiples articles syndicaux individuels en même temps (p. ex., un bracelet,  un collant, des lacets et un cordon). »

14        À l’audience, M. Thibodeau a indiqué qu’il s’agissait bel et bien de la position de la direction. À titre d’exemple, on pouvait transformer les lacets en cordons avec une boucle qui s’ouvre sous pression, ce qui était acceptable. Il a expliqué que la direction se préoccupait plutôt du risque pour la sécurité que posait le port des lacets ailleurs que sur les bottes — ils pouvaient se prendre dans de l’équipement ou être saisis par des voyageurs agressifs. Les cordons avaient été jugés sécuritaires, puisque la boucle ouvrirait s’ils devenaient pris ou s’ils étaient saisis.

15        L’avocat de l’employeur et la représentante de l’agent négociateur ont tous deux délaissé momentanément leurs rôles afin de présenter une preuve directe par démonstration — l’avocat de l’employeur en tirant sur son cordon pour faire ouvrir la boucle et la représentante de l’agent négociateur en portant un lacet bien serré pour tenir sa queue de cheval. M. Thibodeau a admis que le lacet ne posait aucune menace à la sécurité des employés quand il était porté de la sorte. M. Fortin a quant à lui indiqué ignorer avant l’audience que les lacets pouvaient être portés comme cordons.

16        M. Thibodeau a donné un exemple de la préoccupation de l’employeur quant à l’utilisation inappropriée des articles vestimentaires d’appui au syndicat, comme les boutons pouvant percer les vestes de sécurité des ASF. L’ASFC avait été informée que le fabricant des vestes n’honorerait pas sa garantie si les vestes étaient endommagées par des perçages. Le problème était survenu quelques années plus tôt et les parties l’avaient résolu en acceptant l’utilisation de collants Velcro ou d’autocollants sur les vestes.

17        M. Thibodeau et M. Fortin ont fait état d’un autre incident au cours duquel un ASF avait apposé un grand nombre d’autocollants sur son uniforme afin de manifester son soutien à son équipe de négociation. M. Thibodeau avait parlé à M. Fortin afin de lui dire que ce comportement était inacceptable. M. Fortin a veillé à ce que l’ASF soit informé que son comportement était excessif. L’affaire a été réglée sans autre formalité.

18        M. Fortin et M. Thibodeau ont tous deux indiqué dans leur témoignage que le Comité national mixte de santé et de sécurité n’avait pas été consulté à propos des lacets.

Motifs

19        Le défendeur a plaidé que cette affaire constituait une question d’équilibre entre le droit de l’employeur de gérer le milieu de travail et le droit légitime des employés de participer à des activités syndicales licites en milieu de travail. L’agent négociateur croit, quant à lui, qu’il s’agit d’une violation des droits des fonctionnaires à participer à des activités syndicales licites.

20        Selon l’agent négociateur, l’interdiction imposée par l’ASFC de porter des lacets autrement que prévu constitue une pratique déloyale de travail allant à l’encontre des articles 5 et 186 de la Loi et constitue une violation de la clause 19.01 de la convention collective.Les dispositions pertinentes sont rédigées en ces termes :

5 Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

[…]

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie [y compris l’article 5] ou les parties 2 ou 2.1;

                  […]

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

21        Les deux parties ont soutenu que la présente discussion tire son origine de la décision rendue dans Bartlett c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 21. Dans cette décision, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait enfreint la convention collective en ordonnant aux fonctionnaires s’estimant lésés de ne pas porter des bracelets d’une largeur d’un centimètre qui affichaient le message « support the bargaining team/support à l’équipe de négociation ».

22        Dans Bartlett, l’employeur soutenait que le port du bracelet n’était pas conforme au code vestimentaire puisque les bracelets de couleur ne font pas partie des ajouts admissibles à l’uniforme, comme une montre- bracelet ou des boutons d’oreille. Les fonctionnaires ont répondu qu’il s’agissait d’une activité syndicale licite.

23        L’arbitre de grief dans cette affaire a conclu qu’il s’agissait d’une activité syndicale licite protégée par des décisions précédentes, où l’on avait confirmé le droit des fonctionnaires fédéraux de manifester leur soutien à l’égard de leurs agents négociateurs dans leurs interactions avec le public (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 106; Bodkin c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-18108 à 18116, 18183 à 18188, 18190, 18209 à 18217, 18242 et 18243 (19890525), [1989] C.R.T.F.P.C. no 117 (QL), confirmée dans Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.)).

24        L’arbitre de grief dans Bartlett a affirmé que, même si l’employeur a le droit d’avoir une politique sur l’uniforme, il ne peut l’imposer quand il est question d’une activité syndicale protégée par la clause anti-discrimination de la convention collective et l’article 5 de la Loi. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 23 :

[23] […] Ni la Loi ni la convention collective ne donne aux employés le droit d’avoir les cheveux bleus, les ongles longs, un anneau à la lèvre inférieure ou un tatouage sur le front. Cette absence de précisions dans la convention collective permet à l’employeur d’adopter une politique qui réglemente ces genres de préférences personnelles. La situation est toutefois différente pour ce qui est des activités syndicales. L’employeur ne peut pas, sur le fondement de sa propre politique unilatérale, retirer aux employés les droits accordés par la Loi ou la convention collective. Ce qui importe réellement dans le présent cas n’est pas la formulation de la politique, mais le fait de savoir si les bracelets avaient un effet négatif sur la capacité des fonctionnaires d’exécuter leur travail.

[Je souligne]

25        Les parties en l’espèce ont cité de la jurisprudence supplémentaire à l’appui de leurs thèses respectives. L’agent négociateur a cité des décisions du Québec dans lesquelles on appuyait le port de pantalons de camouflage ou de chapeaux de cowboy par des policiers en uniforme. En réplique, l’employeur a cité une promulgation récente de l’Assemblée nationale du Québec qui rendait obligatoire le port de l’uniforme complet par les policiers quand ils sont en devoir.

26        Outre ces cas, les deux parties ont présenté d’autres affaires portant sur l’équilibre entre le droit d’exprimer ses opinions et le droit de l’employeur de gérer son milieu de travail.

27        Je ne crois pas que cette jurisprudence supplémentaire me soit utile pour rendre ma décision. L’affaire dont je suis saisie porte sur le droit des fonctionnaires fédéraux de témoigner leur appui à leurs syndicats, vu le système législatif particulier qui s’applique à eux. L’employeur n’a pas contesté le message en soi, ce qui différencie l’affaire en l’espèce d’Almeida c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-17058 et 17059 (19890125), [1989] C.R.T.F.P.C. no 9 (QL).

28        La décision Bartlett, que les deux parties ont citée, est déterminante. Les parties sont les mêmes et les faits se ressemblent suffisamment pour mener à la même conclusion. Le droit des membres syndiqués de porter des articles qui représentent leur soutien à l’égard de leur syndicat est protégé par la Loi et la convention collective, comme la Commission, ses prédécesseurs ainsi que la Cour d’appel fédéral l’ont toujours affirmé.

29        Il ne fait aucun doute que l’employeur puisse entretenir des préoccupations légitimes lorsque des activités syndicales constituent une menace au milieu de travail ou à sa réputation. En l’espèce, le principal argument invoqué par l’ASFC pour insister sur l’utilisation des lacets aux fins prévues est une préoccupation relative à la santé et la sécurité. Un bracelet pendant ou une attache à cheveux lâche peuvent être dangereux; un voyageur agressif pourrait les saisir ou ils pourraient se prendre dans de l’équipement ou de la machinerie.

30        Cet argument, s’il est sincère, ne me convainc pas. La preuve n’a pas établi que l’usage des lacets mettrait en péril la santé ou la sécurité de quiconque. En outre, pourquoi les agents chargés de garantir la sécurité des frontières nationales du Canada ne réussiraient-ils pas à attacher de manière sécuritaire un lacet quand celui-ci est utilisé comme ruban à cheveux? Si on leur confie le mandat d’empêcher l’entrée de terroristes, de marchandises illégales et de criminels, pourquoi ne leur permettrait-on pas de faire preuve de bon sens pour attacher un lacet?

31        Les ASF ne sont pas des enfants sur un terrain de jeu qui doivent être supervisés au cas où un incident imprévu surviendrait. Ce sont des hommes et des femmes adultes. J’insiste encore sur les tâches importantes qu’on leur confie dans le cadre de leur travail quotidien. Je ne suis tout simplement pas persuadée par la préoccupation qu’allègue  l’ASFC en matière de santé et de sécurité; je conclus donc qu’il s’agit d’un prétexte pour imposer aux ASF la façon dont ils exprimeront leur solidarité à l’égard de leur équipe de négociation.

32        Il est inacceptable de dicter la façon de porter les lacets; cela est complètement contraire à l’esprit de la décision Bartlett. L’ASFC soutient que sa directive est conforme à la décision Bartlett; cependant, sa microgestion des attaches à cheveux et des bracelets d’amitié témoigne d’une profonde incompréhension des principes exposés dans la décision.

33        Contrairement à la décision Bartlett, la décision rendue en l’espèce ne porte pas sur un grief, mais plutôt sur une plainte de pratique déloyale de travail. Dans Bartlett, on a directement demandé aux fonctionnaires de retirer leurs bracelets, sans quoi ils seraient considérés comme ayant commis un acte d’insubordination. Le grief se fondait sur la clause 19.01 de la convention collective.

34        En l’espèce, je n’ai reçu aucune preuve directe qu’on leur avait ordonné aux fonctionnaires de retirer des lacets portés comme bracelets ou attaches à cheveux. J’accepte toutefois le témoignage de M. Fortin lorsqu’il affirme que cela s’est produit. Je dispose aussi de preuves très claires selon lesquelles la direction a dit à plusieurs reprises à l’agent négociateur que les lacets devaient être portés uniquement aux fins prévues. M. Thibodeau a parlé de décisions prises au cas par cas; encore une fois, cependant, il ressortait clairement de son témoignage que la direction se réservait le droit de décider ce qui était permis, ce qui implique une possibilité de mesures disciplinaires.

35        Je n’ai aucune difficulté à conclure que cela va à l’encontre des articles 186 et 5 de la Loi, qui garantissent le droit de participer à des activités syndicales licites sans menace de mesures disciplinaires, ainsi qu’à l’encontre de la clause 19.01 de la convention collective, qui indique qu’il n’y aura « […] aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire […] », notamment en raison de la participation à une activité syndicale.

36        Si l’employeur a de véritables préoccupations fondées sur des menaces concrètes à ses opérations, il est possible d’y remédier, comme en témoigne l’exemple du remplacement des boutons par des autocollants et des collants Velcro pour éviter d’endommager les vestes de sécurité. Toutefois, si un problème survient, une interdiction générale n’est pas la solution. L’employeur doit plutôt déterminer, avec l’agent négociateur, la façon dont les droits peuvent être exercés sans risque de dommages. Si l’employeur s’inquiétait véritablement des problèmes de santé et de sécurité que soulevaient les bracelets, il aurait pu en parler au Comité national mixte de santé et de sécurité ou à l’agent négociateur directement.

37        Par son attitude, l’employeur semble indiquer que c’est lui qui déterminera ce qui constitue une activité syndicale licite, même si on lui a dit dans plusieurs décisions qu’il est légal d’afficher son soutien à l’égard d’un syndicat. L’ASFC ne peut dicter la façon dont les employés affichent leur solidarité à l’égard de leur équipe de négociation. Bien entendu, cela signifie que l’ASFC doit compter sur ses employés pour qu’ils fassent preuve de jugement dans l’expression de leurs opinions sans nuire au travail qu’ils sont payés pour effectuer. S’il existe de véritables préoccupations, elles doivent être soulevées à l’échelle nationale avec l’agent négociateur plutôt que de demander aux gestionnaires locaux de menacer des employés individuels de la prise imminente de mesures correctives ou de faire émettre une interdiction générale par la direction nationale.

38        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

39        Je déclare que l’interdiction en litige de porter des lacets ailleurs que sur les bottes constitue une pratique déloyale de travail allant à l’encontre des articles 5 et 186 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et constitue une violation de la clause 19.01 de la convention collective.

40        J’ordonne à l’employeur d’afficher cette décision pendant 90 jours dans son intranet et à tous les sites de travail des ASF.

Le 15 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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