Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Deux griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement – le premier grief concernait la rémunération pendant l’heure de la pause repas des constables, caporaux et sergents de la Chambre des communes qui travaillent au Service de protection parlementaire – le second grief concernait la rémunération pour la période de préparation avant et après les quarts de travail supplémentaire – les griefs étaient liés à la politique de l’employeur qui empêche les membres de quitter la cité opérationnelle avec l’équipement à utilisation restreinte (arme à feu et chargeurs, bâton, poivre de cayenne, radio et écouteur) – au moment de sortir de l’enceinte de la cite opérationnelle, cet équipement devait être placé dans un casier sécurisé – le temps consacré à répondre aux exigences de l’employeur était pendant une période où l’employé n’est pas en devoir et n’est pas rémunéré – vu le temps exigé pour satisfaire aux exigences de l’employeur, les membres avaient tendance à rester en uniforme complet pendant leur pause repas – l’agent négociateur a soutenu que les membres demeuraient captifs, mobilisés ou tenus à leur tâche par l’employeur pendant les pauses repas et devraient être rémunérés en conséquence – l’arbitre de grief a conclu que le second grief avait été réglé par une entente précédente qui prévoyait le versement d’un montant forfaitaire aux membres pour le temps qu’il leur fallait pour mettre et enlever leur équipement avant et après leurs quarts de travail, sans égard au temps requis ni au type de quarts – pour le premier grief, l’arbitre de grief a conclu que, bien que les membres ne puissent utiliser leur heure de repas entièrement librement en raison de leur uniforme, leur temps de pause n’appartenait pas pour autant à l’employeur puisqu’ils pouvaient utiliser ce temps à leur guise.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180814
  • Dossier:  466-HC-412 et 413
  • Référence:  2018 CRTESPF 64

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

DERRICK VOLPI ET JEAN-MICHEL PAUL

employés s'estimant lésés

et

SERVICE DE PROTECTION PARLEMENTAIRE

employeur

Répertorié
Volpi c. Service de protection parlementaire


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 63 de la Loi sur les relations de travail au Parlement


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les employés s'estimant lésés:
Sylvain Beauchamp, avocat
Pour l'employeur:
George Vuicic, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
Du 21 au 23 novembre 2017, le 4 avril, et les 10 et 11 mai 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        Je suis saisie de deux griefs renvoyés à l’arbitrage le 13 novembre 2015. Le premier grief (466-HC-412), déposé par Derrick Volpi, concerne la rémunération pendant l’heure de la pause repas des constables, caporaux et sergents de la Chambre des communes (« les membres ») qui travaillent au Service de protection parlementaire (« SPP » ou « l’employeur »). Le second grief (466-HC-413), déposé par                  Jean-Michel Paul, concerne la rémunération pour la période de préparation avant et après les quarts de travail supplémentaires. Il s’agit de griefs collectifs, en ce sens qu’ils couvrent l’ensemble des personnes qui sont membres de l’unité de négociation représentée par l’Association des employés du Service de sécurité de la Chambre des communes (l’« agent négociateur »). L’agent négociateur et la Chambre des communes ont signé une convention collective le 30 octobre 2012, qui expirait le 31 mai 2014, et qui s’appliquait au moment où les griefs ont été déposés. En vertu du paragraphe 101(2) de la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015,L.C. 2015, ch. 36 (loi qui a créé le SPP), la convention collective lie désormais le SPP à titre d’employeur.

II. Modifications législatives

2        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

III. Objection préliminaire

3        L’audience a débuté par une objection préliminaire de l’employeur à la compétence de la Commission pour entendre les présents griefs. L’employeur est d’avis que les questions soulevées dans ces griefs ont déjà été réglées entre les parties en 2014, dans le cadre d’un protocole d’entente mettant fin à un grief collectif déposé en 2012.

4        Le grief collectif de 2012 concernait le temps requis pour revêtir l’uniforme et l’équipement et s’en dévêtir. Dans ce grief, les membres demandaient d’être payés au début et à la fin de leurs quarts réguliers ou effectués en heures supplémentaires.

5        L’uniforme et l’équipement que revêtent les membres comprennent une somme d’éléments sur lesquels nous reviendrons dans la présentation de la preuve. Aux fins de la compréhension de l’entente sur laquelle l’employeur a fondé son objection préliminaire, il suffit de dire qu’outre l’uniforme réglementaire qui comprend chemise, pantalon, ceinture et bottes, l’équipement additionnel comprend une veste pare-balles ainsi que de l’équipement à utilisation restreinte, notamment un bâton rétractable, une radio encryptée et une arme à feu. Cet équipement à utilisation restreinte doit être mis sous clé, dans un casier sécurisé, lorsque l’agent n’est pas en devoir; la veste           pare-balles doit être rangée dans un endroit sûr. Dans le grief de 2012, les membres demandaient d’être dédommagés pour le temps nécessaire pour revêtir l’équipement avant le quart de travail et se dévêtir et ranger l’équipement après le quart de travail. Le libellé du grief collectif se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Je présente un grief contre le fait que je ne suis pas rémunéré pour tout le temps travaillé en raison de l’exigence de l’employeur que je range mon bâton défensif et ma veste pare-balles dans un lieu autre que celui où je suis en devoir.

[…]

6        Le grief comprenait la mesure de redressement suivante :

[TRADUCTION]

Je demande d’être rémunéré au taux de rémunération approprié pour tout le temps consacré à l’exécution de mes fonctions dans une journée, y compris le temps requis pour satisfaire à l’exigence de l’employeur depuis mai 2010 de ranger ma veste pare-balles dans un lieu autre que celui où je suis en devoir. Je demande une pleine mesure de redressement comme suit : 15 minutes avant et 15 minutes après chaque poste travaillé en travail régulier ou en heures supplémentaires.

7        L’entente, signée le 14 novembre 2014 par la Chambre des communes et l’agent négociateur, comprend les dispositions suivantes (je ne reproduis ici que les dispositions pertinentes aux arguments de l’employeur dans le cadre de son objection préliminaire) :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE les employés de l’unité de négociation sont tenus de s’équiper et de se préparer complètement, y compris entreposer les armes à feu, avant et après leurs postes réguliers;

ATTENDU QUE les parties conviennent que l’intention de l’employeur est que tous les employés de l’unité de négociation soient aptes à utiliser des armes à feu;

LES PARTIES CONVIENNENT :

1. L’employeur paiera un montant de 300$ par mois à chaque employé à partir du 1er novembre 2014, sauf aux employés en congé sans solde.

[…]

5. Une fois la présente entente ratifiée par le Bureau de régie interne, l’agent négociateur retirera immédiatement les griefs en instance.

6. L’agent négociateur s’engage à ne déposer aucun grief concernant l’entreposage des armes à feu par les membres de l’unité de négociation.

8        L’employeur est d’avis que l’entente règle les griefs dont je suis saisie. Il invoque une jurisprudence selon laquelle un même grief, une fois retiré, ne peut être présenté à nouveau. Cela irait à l’encontre du principe de finalité inhérent au droit.

9        Selon l’employeur, il n’y a rien d’ambigu dans le texte de l’entente, qui règle par un montant forfaitaire la demande des membres d’être rémunérés pour leur temps de préparation. Par conséquent, aucune preuve extrinsèque n’est requise pour interpréter l’entente et, partant, pour la présente audience.

10        L’agent négociateur ne s’oppose pas aux principes invoqués qui sont tirés de la jurisprudence, à savoir qu’un grief résolu ne peut être présenté à nouveau, car cela serait contraire aux principes de finalité et d’économie judiciaire. Cela dit, l’agent négociateur fait valoir que l’objet des griefs dont je suis saisie n’est  pas le même que celui qui a été réglé par l’entente. Celle-ci ne traite pas de l’heure de repas, et le grief initial non plus. Quant aux quarts d’heures supplémentaires, ils n’ont pas été traités dans l’entente.

11        J’ai décidé à l’audience de prendre en délibéré l’objection de l’employeur, car il me semble, comme l’a d’ailleurs soutenu l’agent négociateur, qu’il me faut l’ensemble de la preuve pour déterminer si l’entente de 2014 réglait effectivement les griefs dont je suis saisie. La décision sur l’objection préliminaire figure dans mes motifs.

IV. Résumé de la preuve

12        L’agent négociateur a cité à témoigner Roch Lapensée, sergent, SPP, et président de l’agent négociateur, et Eric LaCharity, constable. L’employeur a cité à témoigner Guillaume Vandal, surintendant, SPP, pour la Chambre des communes, et Patrick McDonell, agent de sécurité en chef et sergent d’armes adjoint.

13        M. Lapensée a expliqué que le SPP comprend trois unités de négociation, représentées par trois différents agents négociateurs : les spécialistes en détection, représentés par l’Alliance de la fonction publique du Canada, les constables, caporaux et sergents du Sénat, représentés par l’Association des employés du Service de sécurité du Sénat, et les membres qui assurent la sécurité de la Chambre des communes, représentés par l’agent négociateur, dont il est le président.

14        Le SPP a été créé le 23 juin 2015, par laLoi no 1 sur le plan d’action économique de 2015, qui modifiait la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985) ch. P-1. Le 22 octobre 2014, un homme armé d’un fusil est entré dans l’édifice central du Parlement. Il a été abattu, mais cet incident a amené une remise en question de la façon dont la protection du Parlement était assurée, et a abouti notamment à la création du SPP.

15        M. Lapensée a débuté comme agent (maintenant constable) en 1987, au sein du service de protection de la Chambre des communes, tel qu’il existait alors. Il est devenu caporal en 2005, puis sergent en 2012. Les constables (environ 220), caporaux (de 15 à 20) et sergents (12) composent l’ensemble des membres de l’unité de négociation. Les surintendants qui les commandent ne sont pas représentés par un agent négociateur.

16        M. Lapensée est président de l’agent négociateur depuis 2011. Il était partie à tous les paliers du grief collectif de 2012, et il a signé l’entente de 2014. Cette entente, selon lui, ne vise que les périodes avant et après les quarts réguliers, mais ne couvre pas les quarts de travail en temps supplémentaire. En outre, la période de la pause repas n’est pas couverte, d’où les deux présents griefs.

17        M. Lapensée témoigne qu’entre 2012 et 2015, l’équipement des membres a beaucoup changé. Des éléments se sont ajoutés. Les membres portent désormais sur leur ceinture de service du poivre de cayenne, une arme à feu avec chargeur, deux chargeurs additionnels, une radio encryptée avec écouteur dans l’oreille, un bâton rétractable et des menottes.

18         L’agent négociateur a déposé en preuve deux documents, une directive opérationnelle intitulée « Port de la tenue réglementaire appropriée », datée du 1er avril 2012, et la « Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite », qui remplace la directive opérationnelle de 2012. Deux versions de la Politique ont été déposées, l’une datée du 20 novembre 2015, l’autre du 23 juin 2017. Cette dernière, plus détaillée, est celle qui s’applique aux faits en l’espèce. Elle précise la directive déjà en place au moment du dépôt du grief.

19        M. Lapensée explique la problématique particulière qui se pose à l’heure du repas.

20        Les membres ont reçu comme directive de porter leur uniforme et équipement complet, qu’ils soient en devoir ou en pause, lorsqu’ils sont dans la cité opérationnelle (la Colline du Parlement et quelques rues avoisinantes, de Elgin à Kent et jusqu’au côté nord de la rue Queen). Ils peuvent donc aller sur la rue Sparks ou la rue Queen (côté nord) prendre leur repas, tout en portant leur uniforme et équipement. Toutefois, ils ne peuvent sortir de l’enceinte de la cité opérationnelle avec l’équipement à utilisation restreinte (arme à feu et chargeurs, bâton, poivre de cayenne, radio et écouteur). Cet équipement doit être porté ou placé dans un casier sécurisé. Ils ne peuvent non plus porter l’uniforme à moitié – c’est tout ou rien.

21        Le port de l’arme à feu (qui commençait à peine en 2012) a changé considérablement la réalité des membres. Dans la directive de 2012, on lit ce qui suit :

1.2 En service, l’employé ne portera que l’uniforme et l’équipement réglementaires. Lorsqu’un employé décide de quitter la Cité parlementaire à l’heure du dîner, il doit le faire avec son uniforme complet et ne pas être assorti de vêtements civils;

1.3 L’uniforme et l’équipement réglementaires ne doivent pas être utilisés en dehors des heures de travail. Ils peuvent être portés pour se rendre au travail et en revenir. L’employé est responsable de sécuriser son uniforme et l’équipement réglementaires;

22        Depuis 2015, le port de l’uniforme est désormais interdit à l’extérieur de la cité opérationnelle. La Politique de 2017 prévoit notamment ce qui suit :

2.2

[…]

  • Les membres titulaire [sic] d’un uniforme doivent le porter lorsqu’ils sont en service, à moins qu’ils en soient exemptés par la direction du SPP où [sic] lorsque leurs fonctions requièrent une tenue civile.
  • Les membres titulaires d’un uniforme devront porter tous les éléments de l’uniforme conformément à la tenue réglementaire décrite à la Section 2.3 et dans les circonstances qui y sont prescrites.
  • […]

  • Les officiers et les sous-officiers en service peuvent effectuer en tout temps une inspection visuelle de l’uniforme et de l’équipement des membres en service du SPP.
  • Lorsqu’il est en service, les membres [sic] peuvent circuler librement dans la cité opérationnelle tel que définie à l’Annexe B.
  • Il est recommandé de retirer l’uniforme opérationnel du SPP lors du déplacement à destination ou en provenance du travail. Si un membre du SPP désire garder son uniforme lors d’un tel déplacement, la ceinture de service doit être retirée, et tous les écussons et les insignes doivent être entièrement couverts à l’aide d’une veste personnelle (automne, hiver, printemps) ou d’un chandail noir (été). La veste de l’uniforme et la ceinture de service vidée peuvent être transportées dans un sac d’entraînement du SPP.
  • Tous les articles restreints (pistolets de service, carabines, MP5, munitions, chargeurs, des radios encryptées, menottes, Aérosol capsique, bâton et masque à gaz) seront sécurisés dans les armoires de rangement approuvées à la fin de chaque quart de travail.

[…]

23        Les casiers sécurisés se trouvent dans un vestiaire situé au deuxième sous-sol d’un édifice situé sur la rue Wellington. Avant de remiser l’arme à feu, il faut la décharger, et décharger également les chargeurs. L’arme est déchargée dans un réceptacle spécialisé situé au premier sous-sol de l’édifice où sont les casiers. Les chargeurs sont déchargés dans le casier. L’arme est cadenassée, puis verrouillée dans un petit casier qui contient aussi le bâton, le poivre de cayenne et la radio. Le petit casier est cadenassé. Finalement, le casier assigné dans lequel on met la veste        pare-balles (à l’horizontale), l’uniforme et l’équipement non restreint est également cadenassé.  Les membres peuvent revêtir une veste ou un chandail pour cacher leur chemise qui les identifie comme membre du SPP plutôt que de changer de chemise.

24        M. LaCharity s’est présenté à l’audience avec la tenue complète des membres, pour que je saisisse bien l’enjeu du casier à l’heure du repas. Il portait son uniforme (pantalon, chemise, bottes, ceinture et bretelles, la veste pare-balles, une ceinture de service pour son arme à feu, les deux chargeurs, la radio encryptée, les menottes, les gants, le bâton rétractable, une lampe de poche et une trousse de premiers soins; il n’avait pas de poivre de cayenne parce qu’il n’avait pas encore reçu la formation. Pour les besoins de l’audience, l’écouteur n’était pas branché, mais normalement, il aurait l’écouteur de la radio dans l’oreille.

25        Les membres ont une période non payée de 60 minutes pour la pause repas. M. Lapensée a chronométré le temps requis pour se rendre au casier à partir du poste où le membre est en devoir, enlever la ceinture de service et la veste, décharger l’arme à feu et son chargeur, et ranger l’arme et l’équipement selon les consignes. Le temps requis varie de 20 à 30 minutes, selon l’endroit où se trouve le poste du membre.

26        Autrement dit, d’après la preuve de M. Lapensée, il est impossible pour un membre de sortir de la cité opérationnelle à l’heure du repas pour se rendre, par exemple, au centre Rideau, pourtant à 5 minutes de marche de la Colline du Parlement. L’aller-retour, soit le temps de se rendre au casier pour remiser l’équipement et ensuite le revêtir après avoir rechargé l’arme et les chargeurs, pour ensuite retourner au poste de travail, prend en moyenne 50 minutes.

27        L’heure du repas est donc passée dans la cité opérationnelle, avec l’uniforme et l’équipement complet. Cela signifie, selon M. Lapensée, que le membre reste en devoir, compte tenu de l’expectative des personnes qu’il rencontre au cours de cette heure (parlementaires, visiteurs, employés) qu’il peut toujours prêter main-forte en cas de besoin ou répondre aux questions, de quelque nature qu’elles soient. L’uniforme complet comprend l’écouteur dans l’oreille, qui reste allumé lorsqu’il est porté. Si une alerte est donnée, le membre est tenu d’y répondre – évacuation, incident médical, accident, attaque armée, les possibilités sont nombreuses.

28        En contre-interrogatoire, M. Lapensée a convenu que l’obligation des membres d’assurer la sécurité des personnes et des biens ne s’applique qu’à la Colline du Parlement (les édifices du Parlement) et non à l’ensemble de la cité opérationnelle. Sur les rues Wellington, Sparks et Queen, par exemple, cette responsabilité revient au service de police d’Ottawa. Il a également reconnu qu’à sa connaissance, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée à un membre pour avoir éteint son écouteur alors qu’il n’était pas en devoir. Il a toutefois dit que la discipline professionnelle des membres les amène à écouter leur radio dès qu’ils la portent. Il a insisté sur le fait qu’un membre en uniforme se doit d’être vigilant, ce qui inclut garder l’écouteur branché.

29        Les membres ne portent pas tous l’uniforme et l’équipement. Un nombre restreint d’entre eux sont affectés à des tâches pour lesquelles ils sont habillés en tenue civile (notamment, les services de renseignements, de protection du premier ministre ou de dignitaires étrangers et de planification d’événements majeurs). M. Lapensée a témoigné que les membres sont affectés à un service, mais qu’il peut y avoir des transferts d’un service à l’autre.

30        M. Vandal a témoigné que des casiers sécurisés sont disponibles dans tous les édifices où travaillent les membres du SPP, de sorte que le temps d’entreposage de l’équipement est plutôt de deux minutes. On m’a remis une clé USB contenant une vidéo où l’on voit M. Vandal en faire la démonstration. Dans cette vidéo, il entre dans une pièce où se trouvent bon nombre de casiers sécurisés ainsi qu’un poste pour décharger l’arme à feu. Il décharge l’arme à feu, sécurise les munitions, place les pièces d’équipement à utilisation restreinte dans le casier sécurisé, le verrouille, et place son gilet pare-balles sur une tablette. Finalement, il revêt un chandail pour couvrir son écusson – et voilà, en deux minutes il peut quitter la cité opérationnelle.

31        M. Vandal a confirmé qu’un membre en uniforme est un membre en service. Il peut ne pas être en devoir pendant ses pauses, mais il est considéré comme étant en service, et donc, tenu de porter l’uniforme complet, sauf s’il quitte la cité opérationnelle.

32        En contre-preuve, M. Lapensée a témoigné une seconde fois. Il a dit qu’il apprenait pour la première fois l’existence de casiers sécurisés mis à la disposition des membres du SPP dans l’édifice du centre. On me remet une autre clé USB sur laquelle on voit une autre vidéo. Cette fois, on voit un membre quitter son poste de travail pour se rendre à la salle où se trouvent les casiers sécurisés. La vidéo a été tournée tôt le matin, de sorte qu’il n’y a presque personne dans les couloirs, ce qui ne serait pas le cas à l’heure du repas, d’après le témoin. Il y a deux salles sécurisées dans l’édifice du centre. L’une est accessible avec une clé qu’on obtient dans une salle de repos, l’autre doit être ouverte par un agent de sécurité qu’il faut appeler. Les salles contiennent un certain nombre de casiers sécurisés, mais ils ne sont pas tous disponibles. Certains sont déjà réservés. L’espace dans la salle est restreint, de sorte qu’on ne pourrait permettre à plusieurs membres de se changer en même temps, par mesure de sécurité, puisque l’opération comprend également la décharge de l’arme à feu. Selon cette vidéo, il faudrait environ 12 à 15 minutes à un membre pour ranger son équipement, à partir du moment où il est relevé de son poste de travail. Si plusieurs membres se présentent en même temps, plus de temps est nécessaire.

33        J’ai posé la question pour être certaine que les deux parties étaient d’accord sur un point précis : la réalité pour la grande majorité des membres, c’est qu’ils n’enlèvent pas leur équipement à l’heure du repas. Ils restent en uniforme, avec l’équipement complet. Ils disposent de salles de repos, ils ont accès à des cafétérias sur la Colline du Parlement, ils peuvent aller sur les rues Sparks et Queen, d’Elgin à Kent, pour manger, faire des emplettes, réaliser des opérations bancaires, etc. Ils ne peuvent aller au-delà de la cité opérationnelle en uniforme, ce qui exclut le centre Rideau, le marché By et le reste de la ville.

34        M. McDonell a témoigné au sujet de sa compréhension de l’entente qui a été signée en 2014. Il en est le signataire au nom de l’employeur, et c’est lui qui a négocié l’entente avec M. Lapensée. Il s’est dit surpris des griefs en l’espèce puisque, selon lui, l’entente prévoyait clairement qu’il n’y aurait plus de griefs liés à l’entreposage des armes à feu.

35        En contre-interrogatoire, M. McDonell a convenu que la pause repas n’avait pas été mentionnée dans le cadre des discussions qui ont abouti au règlement. Il ne se rappelle pas non plus si les quarts supplémentaires ont fait l’objet de discussions à ce moment-là. Il a précisé que les discussions ont surtout porté sur le temps qui devrait être rémunéré pour permettre aux membres de mettre et enlever leur équipement, pour en arriver comme compromis à un montant forfaitaire.

V. Résumé de l’argumentation

36        Les parties ont convenu que l’agent négociateur plaiderait en premier, même si l’argumentaire débute par l’objection de l’employeur quant au caractère arbitrable du grief.

A. Pour les employés s’estimant lésés

1. Objection préliminaire

37        L’agent négociateur souligne que malgré l’argument de l’employeur que l’entente de 2014 couvre les présents griefs, M. McDonell a convenu que le problème réglé par l’entente était le temps passé avant et après les quarts réguliers pour mettre et enlever l’uniforme et l’équipement. Les échanges au sujet des griefs, et notamment les réponses aux différents paliers de la procédure de grief, ne traitent pas des heures supplémentaires. Il est clair que cette question n’est tout simplement pas visée par l’entente.

38        Pour ce qui est du grief relatif à l’heure de la pause repas, il y a eu un changement dans les conditions de travail des membres avec la directive de 2015, dont témoigne la politique de novembre 2015 : contrairement à la politique antérieure, les membres ne peuvent quitter la cité opérationnelle avec leur uniforme. Il faut donc consacrer du temps à mettre et à enlever l’équipement si l’on veut quitter la cité opérationnelle à l’heure du repas, une situation qui n’était pas visée dans les griefs de 2012 et, partant, dans l’entente de 2014.

2. Grief sur l’heure du repas

39        L’agent négociateur m’a renvoyée à une décision rendue dans le cadre d’un autre grief qui opposait la Chambre des communes et les employés préposés à la détection représentés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Le grief portait sur le temps requis pour enlever et entreposer la veste protectrice. Le décideur au dernier palier de la procédure de grief a donné raison aux employés dans les termes suivants : [traduction] « […] le temps consacré à répondre aux exigences de l’employeur pendant une période où l’employé n’est pas en devoir devrait faire partie des services rendus et être rémunéré en conséquence. » Je note qu’aucune mesure de redressement n’est proposée; elle est laissée aux soins des parties.

40        L’argument principal de l’agent négociateur est que les membres demeurent captifs pendant leur pause repas. Vu le temps exigé pour se changer, ils restent en uniforme complet, avec leur écouteur branché et, par conséquent, sont constamment en état de vigilance. Leur travail habituel est justement la vigilance; il se poursuit pendant leur pause repas. Parce qu’ils sont en uniforme, ils sont perçus par les visiteurs et parlementaires comme des personnes ressources à qui on peut faire appel en cas de besoin.

41        De plus, selon la politique vestimentaire de l’employeur, tout officier peut faire une inspection visuelle de l’uniforme des membres; ces derniers sont donc encore, pendant l’heure de la pause repas, sous le contrôle de l’employeur.

42        L’agent négociateur invoque la disposition du Code criminel qui prévoit qu’il est permis pour un fonctionnaire d’avoir en sa possession une arme à feu « dans le cadre de ses fonctions ». Par conséquent, si les membres gardent leur arme à feu pendant l’heure du repas, ils demeurent en fonction.

43        Les arguments opposés par l’employeur ne sont pas valables. L’employeur soutient que les membres peuvent profiter de salles de repos, où ils ne sont pas dérangés. Ils peuvent aller aux restaurants avoisinants. Enfin, ils peuvent utiliser les casiers sécuritaires pour entreposer l’équipement restreint.

44        Chacune de ces solutions, selon l’agent négociateur, confirme que l’heure de repas des membres ne leur appartient pas. Dans la salle de repos, ils sont à proximité du lieu de travail. Ils restent vigilants au cas où ils sont appelés à intervenir. S’ils vont à un restaurant, ils sont visibles comme gardiens de la paix, avec les attentes que cela entraîne de la part du public. S’ils utilisent les casiers sécuritaires, le temps requis pour bien entreposer l’équipement ne leur appartient pas, il appartient à l’employeur, puisque les mesures d’entreposage sont une exigence de l’employeur.

B. Pour l’employeur

1. Objection préliminaire

45        L’employeur soutient que les griefs ont déjà été réglés par l’entente de règlement de 2014. Le grief qui portait sur les heures supplémentaires a été retiré à la suite d’une disposition expresse dans l’entente.

46        Le grief qui porte sur l’heure de repas est également visé par l’entente, puisque l’essentiel du problème est l’entreposage de l’arme à feu de façon sécurisée. Or, l’entente de 2014 prévoit clairement que l’agent négociateur ne déposera plus de griefs relatifs à l’entreposage des armes à feu.

2. Grief sur l’heure du repas

47        Selon l’employeur, l’argument selon lequel les membres sont « captifs » à l’heure du repas repose sur quatre éléments : ils doivent porter leur uniforme et équipement, ou prendre du temps pour se changer; l’écouteur de leur radio doit rester branché; ils restent en disponibilité pendant la pause repas; on leur impose des tâches (répondre aux questions) pendant leur pause.

48        En fait, soutient l’employeur, les membres ne sont pas « captifs » pendant la pause repas. Oui, ils doivent rester en uniforme complet, ou l’enlever, pendant la pause repas. Même en uniforme, ils sont libres de leurs mouvements et ne sont pas sous la direction ou le contrôle de l’employeur.

49        L’agent négociateur soutient que parce que l’uniforme peut être inspecté pendant la pause repas, les membres demeurent sous le contrôle de l’employeur et, par conséquent, ils ont droit à la rémunération. D’après l’employeur, le port approprié de l’uniforme est une attente normale de l’employeur. Cette contrainte est liée à la réputation de l’employeur. De la même façon, les employés ne peuvent, même           en-dehors des heures de travail, dire n’importe quoi sur les médias sociaux à propos de leur employeur, sous peine de sanction disciplinaire. Le temps à l’extérieur n’est pas rémunéré, mais l’employé garde tout de même une certaine responsabilité à l’égard de son employeur.

50        Les membres ont un choix à faire lors de leur pause repas : circuler librement dans la cité opérationnelle, vêtus de leur uniforme complet, ou quitter l’uniforme pour sortir de la cité opérationnelle. Celle-ci couvre une zone assez vaste avec de nombreuses ressources commerciales, alimentaires et sportives. S’ils choisissent de la quitter, les membres disposent de plusieurs salles où l’équipement peut être entreposé de façon sécuritaire.

51        Pour ce qui est de l’écouteur qui doit être branché, la preuve a établi qu’il n’y a aucune obligation imposée par l’employeur de le faire ni menace de sanction disciplinaire si l’écouteur n’est pas branché. Il n’y a ni besoin opérationnel ni attente à ce sujet. Il n’y a aucune attente que le membre demeure en disponibilité pendant sa pause repas.

52        Finalement, pour ce qui est de l’imposition du public ou des parlementaires, les témoins ont parlé de conversations de très brève durée, avec la possibilité pour le membre importuné de rediriger la personne à un membre en devoir.

53        Selon l’employeur, la convention collective, source principale des droits et obligations des employés et de l’employeur, n’appuie pas les revendications des membres. L’article 20.07 prévoit que la pause repas n’est pas rémunérée, sauf si l’employé doit rester sur son lieu de travail.

VI. Motifs

A. Objection préliminaire

54        L’agent négociateur a cité Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta Health Services, [2017] A.G.A.A. No. 39 (QL) pour démontrer qu’on peut accepter une preuve extrinsèque pour faciliter l’interprétation d’une entente. Selon ce raisonnement, le fait que les échanges entourant la conclusion de l’entente de 2014 n’ont jamais porté sur les heures supplémentaires ni l’heure des repas rend les deux griefs en instance recevables.

55        L’employeur de son côté a présenté une jurisprudence qui montre que, de façon générale, lorsque des griefs sont retirés à la suite d’un règlement, on ne peut présenter subséquemment les mêmes griefs. Dans la décision Fournier c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 65, l’arbitre de grief écrit ce qui suit :

22 Une fois retiré de l'arbitrage, un grief ne peut être rétabli, pas plus qu'un autre grief ne peut être déposé pour la même affaire. Comme il a été déclaré dans C.U.P.E., Local 207 v. City of Sudbury(1965), 15 L.A.C. 403, pp. 403 et 404 :

[Traduction]

[…] Nombreux sont les précédents qui établissent qu'un conseil d'arbitrage n'a pas le pouvoir d’examiner un grief identique à un grief déposé antérieurement par le plaignant et, soit retiré, abandonné ou réglé, soit tranché par un conseil d'arbitrage, ou subsidiairement que le plaignant ou ses représentants syndicaux sont empêchés, notamment par préclusion, de présenter semblable grief. Certaines de ces décisions s'appuient sur la préclusion, d'autres sur l'autorité de la chose jugée, mais, quel que soit le fondement retenu, il se dégage irrésistiblement des précédents qu'un conseil d'arbitrage n'a pas la compétence à entendre ce second grief (voir Re United Electrical Workers, Local 525, and Ferranti-Packard Electric Ltd. (1962), 12 L.A.C. 216, et Re United Steelworkers, Local 2251 and Algoma Steel Corp. Ltd. (1964), 14 L.A.C. 315). Une jurisprudence considérable établit également qu'il n'est pas du ressort du conseil d'arbitrage de statuer sur un grief qui, s'il n'est pas identique par son libellé et par sa forme à un grief précédent du même plaignant, lui est néanmoins identique en substance (voir U.A.W., Local 456 and Mueller, Ltd. (1961), 12 L.A.C. 131 (à titre de référence seulement) et Re U. A. W. , Local 1285, and American Motors (Canada) Ltd. (1964) 14 L.A.C. 422).

23 Même si les arbitres ont exprimé des opinions différentes au fil des ans quant aux motifs de la non-arbitrabilité d’un grief identique à un autre grief déjà réglé, tranché ou retiré, le principe fondamental décrit dans C.U.P.E., Local 207 a été adopté et confirmé dans des cas récents (voir, par exemple, Re Cuddy Food Products and United Food and Commercial Workers International Union, Locals 175 & 633(2003), 121 L.A.C. (4e) 56, et Apex Metals Inc. v. Canadian Auto Workers, Local 1524(1997), 64 L.A.C. (4e) 289).

24 À mon avis, peu importe si le principe relève de la préclusion ou de la chose jugée, son effet est critique. L'objectif de la procédure de règlement des griefs est de régler définitivement des conflits. Cet objectif ne peut être atteint si une affaire est plaidée et replaidée, si un grief réglé est redéposé ou si un grief retiré est ravivé. Dans le domaine des relations de travail, les parties entretiennent un rapport constant qui exige une procédure de règlement des griefs prévisible et définitive pour une prise de décisions efficace. La procédure ne peut générer de certitude si elle n'est pas définitive.

56        Je pense qu’il convient d’établir une distinction entre les deux griefs. Le grief sur le temps pour revêtir son équipement et se dévêtir avant et après les quarts supplémentaires a été présenté en 2012. Les parties ont choisi de ne pas en traiter directement dans leur entente de 2014, mais plutôt de prévoir le versement d’un montant forfaitaire, sans égard au temps requis ni au type de quarts. On mentionne « quarts réguliers » (« scheduled shifts ») dans les attendus de l’entente, mais la directive du 26 février 2015, émise conjointement par MM. McDonell et Lapensée, parle du « […] temps requis, avant et après les quarts de travail […] » sans préciser davantage la nature des quarts de travail. L’entente prévoit clairement que les griefs sous-jacents seront retirés dès la signature de l’entente. Il me semble bien établi qu’un grief réglé par voie de règlement (celui-ci prévoit que le grief sera retiré) ne peut pas être réintroduit.

57        Je conclus que l’employeur a raison de dire que le grief sur le temps nécessaire pour revêtir l’équipement et se dévêtir avant et après les quarts supplémentaires n’est pas arbitrable.

58        Par contre, le grief sur le problème de l’uniforme lors de la pause repas n’est pas visé par l’entente de 2014. La problématique n’a pas fait l’objet d’un grief et n’a pas été envisagée dans le cadre de l’entente, puisqu’elle découle d’une nouvelle règle dictée par l’employeur, soit que les membres ne peuvent quitter la cité opérationnelle en uniforme avec leur équipement, qu’ils doivent ranger de façon sécuritaire. Il convient donc de trancher ce grief sur le fond.

B. Grief sur la pause repas

59        L’agent négociateur a invoqué une jurisprudence au soutien de sa thèse que les membres sont captifs, ou mobilisés, ou tenus à leur tâche par l’employeur, ce qui a été reconnu par des arbitres de travail comme étant du temps qui devait être rémunéré.

60        Les faits doivent être distingués. Je suis d’accord que l’employé qui est tenu,    en-dehors de ses heures de travail, de demeurer disponible pour répondre aux besoins de l’employeur a droit à une certaine rémunération (Association des juristes de Justice c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2015 CRTEFP 31, confirmé dans Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55). De même, être de garde et devoir être en mesure de réagir instantanément donne droit à une compensation (Olynyk et le Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-2-14668 (19850501), [1985] C.R.T.F.P.C. no 122 (QL)). Pour ce qui est des personnes qui travaillent sur les bateaux ou dont le travail les tient loin de chez eux, la jurisprudence est contradictoire (Canada (Procureur général) c. Paton, [1990] 1 C.F. 351 (CAF); Hutchison c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2015 CRTEFP 32; Martin v. Canada (Treasury Board), [1990] F.C.J. No. 939 (CAF) (QL)), et j’en retiens que le libellé de la convention collective est primordial. Enfin, l’agent négociateur a cité la décision Steinberg Inc. v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 486, [1985] O.L.A.A. No. 5 (QL), où l’arbitre de grief a jugé qu’une présentation vidéo en-dehors des heures de travail donnait droit à une rémunération, parce que la situation équivalait à des heures supplémentaires.

61        De son côté, l’employeur a présenté une jurisprudence qui montre qu’une rémunération supplémentaire n’est versée que lorsqu’un travail supplémentaire est attendu par l’employeur. Il faut porter attention aux dispositions de la convention collective pertinente. Dans Annapolis Valley District Health Authority and Nova Scotia Government and General Employees Union, 177 L.A.C. (4th) 218 (NSLRB), les infirmières devaient rester sur les lieux de travail pendant leur pause repas, au cas où on aurait besoin d’elles. La convention collective prévoyait qu’elles ne seraient rémunérées que si elles travaillaient. L’agent négociateur soutenait que leur présence obligatoire donnait droit à une rémunération; l’arbitre de grief a donné raison à l’employeur. Cette décision contredit quelque peu la décision Olynyk où le fait d’être en disponibilité donnait droit à une rémunération.

62        Je pense qu’il convient de faire une distinction entre les heures de travail, qui incluent l’heure de la pause repas, et les heures à l’extérieur du travail. L’employé qui ne peut profiter de son temps à l’extérieur du travail parce qu’il doit être prêt à rentrer au travail sur appel a droit à une certaine rémunération. Par ailleurs, l’employé qui peut, pendant son heure de repas, être appelé à travailler s’est vu reconnaître dans certains cas le droit à une rémunération (Olynyk), mais pas toujours (Annapolis Valley; Elizabeth Centre and Ontario Nurses’ Association, [2009] O.L.A.A. No. 107 (QL)).

63        Dans la décision Nova Scotia (Attorney General) and P.A.N.S., [1993] N.S.L.A.A. No. 8 (QL), 32 L.A.C. (4th) 47, un conseil d’arbitrage tire les principes suivants de la jurisprudence : Si l’employeur ordonne à l’employé d’effectuer une tâche, l’employé est au travail et il a droit à une rémunération au taux approprié. Si l’employeur donne à l’employé l’occasion d’effectuer une tâche, la rémunération dépendra des circonstances. Finalement, l’employé peut volontairement effectuer une tâche; dans ce cas, la rémunération n’est pas assurée, il faut encore une fois avoir égard aux circonstances.

64        La jurisprudence citée insiste sur l’importance des termes de la convention collective pour trancher le débat de la rémunération. La convention collective en l’espèce prévoit déjà que le membre qui ne peut quitter son lieu de travail pendant son heure de repas sera rémunéré. Il s’agit de savoir si le fait de pouvoir utiliser son temps à sa guise, mais en uniforme, est du temps qui appartient davantage à l’employeur ou à l’employé.

65        Je dois dire que la preuve sur le temps nécessaire pour enlever et revêtir l’uniforme à l’heure du repas était plutôt contradictoire. Selon les circonstances, il fallait 25 minutes, ou deux minutes, ou douze minutes pour se changer et ranger l’équipement à utilisation restreinte de façon sécuritaire.

66        D’après l’ensemble de ce que j’ai vu et entendu, je tire les conclusions factuelles suivantes. L’équipement prend un certain temps à mettre et à enlever. Certains éléments exigent une manutention spéciale – l’arme et les chargeurs doivent être déchargés, puis rangés dans un casier sécurisé avec le bâton, le poivre de cayenne et la radio. Ces casiers sécurisés sont dans des salles désignées, dont l’accès exige un certain temps. Le reste de l’uniforme (la veste pare-balle, les menottes, la lampe de poche, les gants) doit être rangé dans un lieu sûr.

67        Je ne pense pas qu’il faille 25 minutes, à moins de retourner à l’édifice sur Wellington. Je ne pense pas que deux minutes suffisent. Je pense qu’il faut probablement au moins 10 minutes pour se dévêtir, un autre 10 minutes au minimum pour remettre l’uniforme, de sorte qu’au moins 20 minutes sont grugées sur l’heure du repas. Les parties étaient d’accord que les membres choisissent généralement de garder l’uniforme à l’heure du repas.

68        Je note que l’employeur a émis une directive en 2015, qui oblige les membres à porter l’uniforme au complet ou pas du tout, et à ne pas sortir de l’enceinte de la cité opérationnelle lorsqu’ils portent l’uniforme.

69        La question à trancher est de savoir si cela veut dire que les membres ont droit soit à être rémunérés pendant la pause repas soit à recevoir une prime pour le temps nécessaire pour mettre et enlever l’équipement.

70        La pause non rémunérée à l’heure de repas fait partie de la convention collective. Pour avoir gain de cause, l’agent négociateur doit me convaincre qu’en imposant le port de l’uniforme complet et le remisage sécurisé pour quitter la cité opérationnelle, l’employeur a enfreint la convention collective. S’il n’y a pas violation de la convention collective, je ne vois pas en vertu de quelle autorité je peux ordonner à l’employeur de payer une rémunération que ne prévoient ni la convention collective ni aucune autre entente entre les parties (voir Maple Leaf Fresh Foods Brandon and United Food & Commercial Workers, Local 832, [2010] M.G.A.D. no 30 (QL), 196 L.A.C. (4th) 336).

71        La convention collective prévoit ce qui suit pour la pause repas :

20.07 Lorsque les nécessités du service exigent la présence des employé(e)s au travail durant la totalité de leur quart de travail, les employé(e)s sont rémunérés pour la pause repas d’une (1) heure étant donné que les employé(e)s ne peuvent quitter leur lieu de travail. La pause-repas est alors rémunérée conformément aux dispositions relatives aux heures supplémentaires qui s’appliquent.

  1. Les périodes de pause-repas des employé(e)s peuvent être réparties à différents moments durant un jour de travail.
  2. On prévoira une période de pause-repas aussi près que possible du milieu du quart de travail.

72        L’argument principal de l’agent négociateur est que les conditions de travail ont changé avec la directive de 2015. Il est vrai que l’employeur impose le port de l’uniforme au complet à moins d’entreposer l’équipement restreint de façon sécuritaire. Il est vrai aussi que le port de l’uniforme complet empêche la sortie de la cité opérationnelle. Mais les conditions de travail ont-elles tant changé?

73        Lorsque le membre quitte son poste pendant une pause, il n’est plus en devoir. Il peut éteindre son écouteur. Il peut s’isoler dans une salle de repos, consulter les médias sociaux, s’adonner à des jeux vidéos, jaser avec ses copains, aller à la banque. Bref, son temps lui appartient; il n’appartient pas à l’employeur.

74        L’agent négociateur a tenté de démontrer que le port de l’uniforme faisait en sorte que ce temps appartenait désormais à l’employeur – on porte l’uniforme et, par conséquent, le public et les parlementaires ont des attentes de prestation, on est captif de la cité parlementaire, on doit réagir si jamais il y a une urgence.

75        M. Vandal a témoigné sur les attentes de l’employeur quant à la tenue et au comportement des membres pendant la pause repas. L’uniforme doit être porté au complet dans la cité opérationnelle, et même pendant la pause repas, un officier pourrait en faire l’inspection visuelle. Par contre, il n’y a aucune obligation de brancher l’écouteur et donc de réagir en cas d’urgence. Si un membre intervient en cas d’urgence, il sera rémunéré comme étant au travail.

76        La convention collective prévoit que la pause repas sera rémunérée si l’employé ne peut quitter son lieu de travail. Pour donner raison à l’agent négociateur, il faudrait que je considère l’ensemble de la cité opérationnelle comme étant le « lieu de travail ». Or, il est clair d’après le contexte qu’il faut entendre par lieu de travail le poste de travail où le membre est en devoir. Les membres n’exercent pas leurs fonctions dans l’ensemble de la cité opérationnelle, mais seulement dans les espaces de la Colline du Parlement où se trouvent les députés de la Chambre des communes. Par conséquent, à moins d’être en service pour la Chambre des communes, ils quittent leur lieu de travail lorsqu’ils se rendent sur la rue Sparks ou Queen. Ils ne sont plus en devoir s’ils débranchent leur écouteur et vont s’asseoir dans une salle de repos. Je suis d’accord avec l’employeur que le port de l’uniforme ne leur donne pas des tâches additionnelles à l’heure de la pause repas. Si on leur adresse une question, la réponse peut soit être brève et rapide, soit être redirigée à un membre en devoir.

77        Les membres ne peuvent utiliser leur heure de repas entièrement librement, en raison de leur uniforme. Leur temps de pause n’appartient pas pour autant à l’employeur. La convention collective prévoit que la pause repas s’insère dans le quart de travail et n’est pas rémunérée. De façon générale, les employés régis par une convention collective sont relativement captifs. Lorsque la pause dure une demi-heure, elle ne permet pas un grand éloignement; elle n’est pas rémunérée pour autant.

78        Les membres ont une pause d’une heure pendant laquelle ils ne sont pas en devoir. Encore une fois, ils peuvent utiliser le temps à leur guise. Ils doivent continuer de porter leur uniforme, mais l’uniforme fait partie de leur réalité. Tout employé doit se soumettre au code vestimentaire de son lieu de travail, code vestimentaire qui s’applique à l’heure des pauses repas. Il est vrai que l’uniforme du SPP est particulièrement lourd et encombrant, et c’est pour cette raison que l’employeur a signé l’entente sur le montant forfaitaire pour couvrir les préparatifs avant et après les quarts de travail. Parce que je considère que les membres sont maîtres de leur temps pendant la pause repas, je ne suis pas prête à ordonner le paiement d’un montant additionnel.

79        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

80        L’objection préliminaire de l’employeur est partiellement accueillie. Je n’ai pas compétence pour traiter du temps requis pour revêtir l’uniforme et l’équipement et se dévêtir avant et après les quarts supplémentaires. J’ai compétence pour trancher le grief 466-HC-412 sur les pauses repas.

81        Le grief 466-HC-413 est rejeté faute de compétence.

82        Le grief 466-HC-412 est rejeté.

Le 14 août 2018.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral

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