Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination relatif à un poste de chef d’équipe lorsque l’intimé a modifié l’énoncé des critères de mérite (ECM), ce qui a désavantagé le plaignant dans le cadre de sa participation au processus – la Commission a conclu que le plaignant n’a pas été désavantagé puisque l’ECM n’a pas été modifié – le plaignant a soutenu qu’il y avait une virgule de plus dans le premier ECM, ce qui a entraîné l’élimination inappropriée de sa candidature – la Commission a conclu qu’une virgule avait été supprimée du deuxième ECM, et que celui-ci n’avait été fourni à tous les candidats qu’à des fins de clarification – la Commission a été convaincue que le gestionnaire responsable avait eu raison de conclure que le plaignant ne satisfaisait toujours pas à la qualification essentielle – le plaignant a également allégué qu’il existait une crainte raisonnable de partialité – le gestionnaire responsable a indiqué qu’il ne pouvait pas faire confiance à qui que ce soit dans le bureau du plaignant après avoir découvert que des renseignements personnels sur son divorce avaient été divulgués et fait l’objet d’une discussion – la Commission a conclu qu’en raison de cette réponse chargée d’émotion, formulée dans un moment de stress, un observateur relativement bien renseigné, qui examine cette question dans le contexte approprié, ne pourrait raisonnablement percevoir de la partialité à son égard de la part du gestionnaire – la Commission a conclu que la déclaration du gestionnaire n’avait rien à voir avec le plaignant – enfin, le plaignant a allégué que l’intimé a commis un abus de pouvoir sous forme de favoritisme personnel lors de la prise de décisions concernant les nominations intérimaires à un autre bureau – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas été nommé en raison de difficultés financières à l’autre bureau, et non par suite de favoritisme personnel – aucun élément de preuve n’a démontré qu’il y avait une relation personnelle entre l’intimé et la personne nommée.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180815
  • Dossier:  EMP-2015-9898
  • Référence:  2018 CRTESPF 65

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ROBERT JOHNSTON

plaignant

et

LE DIRECTEUR DES POURSUITES PÉNALES

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Johnston c. Directeur des poursuites pénales


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Chris Rootham, avocat
Pour l'intimé:
Zorica Guzina, avocate
Pour la Commission de la fonction publique:
Louise Bard (arguments écrits)
Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 18 et 19 juillet 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé

1        Robert Johnston, le plaignant, a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13; la « Loi »), alléguant qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’ intimé, soit le directeur des poursuites pénales, dans l’application du critère de mérite dans le processus de nomination relatif à un poste de chef d’équipe (classifié au groupe et au niveau LP-03; numéro de processus de sélection 2015-PPSC-IA-EE-97542), à Kitchener, en Ontario, au bureau du Service des poursuites pénales du Canada (le « SPPC ») – Bureau régional de l’Ontario. Plus particulièrement, le plaignant allègue qu’il existait une crainte de partialité dans l’esprit du gestionnaire responsable de l’embauche à l’égard du personnel du bureau où le plaignant a travaillé, soit le bureau local de Brampton de l’ intimé, à Brampton, en Ontario.

2        Le plaignant allègue également qu’il y a eu une erreur de ponctuation dans la liste de qualifications essentielles initiales figurant dans l’annonce de possibilité d’emploi (l’« APE »), qu’il a signalée à l’ intimé. Le plaignant allègue que, une fois la ponctuation révisée, le deuxième énoncé des critères de mérite (ECM) a été approuvé de manière inappropriée par le gestionnaire responsable de l’embauche qui faisaitpartie du comité d’évaluation et que ce dernier ne bénéficiait pas de l’autorisation légale de le faire en vertu de la Loi. Il allègue également que l’ECM révisé a été distribué de manière inappropriée, uniquement aux individus qui ont présenté leur candidature en fonction de l’APE initiale.

3        Enfin, le plaignant allègue que l’ intimé a commis un abus de pouvoir dans l’application du critère de mérite lorsqu’il a conclu par erreur qu’il ne répondait pas au critère essentiel selon lequel il devait avoir une expérience importante en tant que chef d’équipe. Il souligne que le processus de nomination était empreint de favoritisme personnel.

4        Après avoir écouté attentivement tous les témoignages et les arguments bien documentés et préparés du plaignant, et après avoir examiné toute la preuve documentaire et la jurisprudence présentée par les parties, je conclus qu’il n’existait ni crainte raisonnable de partialité ni partialité réelle de la part du gestionnaire responsable de l’embauche.

5        De plus, je n’ai trouvé aucune erreur, omission ou comportement inapproprié qui équivaut à un abus de pouvoir dans la façon dont le plaignant a été évalué, que ce soit par rapport au premier ou au deuxième ECM. Je conclus que le deuxième ECM était une clarification du premier ECM.

6        L’ intimé a pris soin de mener une évaluation équitable de la candidature du plaignant. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et ses prédécesseurs ont systématiquement refusé d’accueillir les plaintes qui laissent entendre que d’autres employés, qui n’ont pas été nommés, ont subi un préjudice parce qu’une possibilité leur a été refusée, tel qu’il est allégué en l’espèce.

II. Contexte

7        Le plaignant a été admis au Barreau en tant qu’avocat en 2000, après une carrière de 17 ans en tant que policier. À la date des événements qui ont donné lieu à la présente plainte, il occupait un poste LP-02 au bureau local de Brampton. Il a déposé sa plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique le 13 août 2015.

8        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

III. Analyse

9        La plainte a été déposée en vertu de l’article 77 de la Loi, qui prévoit qu’un candidat non reçu dans la zone de sélection dans le cadre d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte auprès de la Commission s’il n’a pas été nommé ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour abus de pouvoir. Il incombe au plaignant d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, l’ intimé a fait preuve d’abus de pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale), 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

10        Le paragraphe 30(1) de la Loi précise que les nominations – internes ou externes – à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite. L’alinéa 30(2)a) précise qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir.

11        Aucune définition d’« abus de pouvoir » n’est prévue par la Loi. Cependant, le paragraphe 2(4) prévoit ce qui suit, à titre d’orientation : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

12         Comme l’a souligné la présidente de la Commission, Mme Ebbs, dans sa récente décision, Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au paragraphe 14, la Commission et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) ont établi que le paragraphe 2(4) de la Loi doit être interprété de façon générale.

13        Par conséquent, l’expression « abus de pouvoir » ne se limite pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition d’« abus de pouvoir », figurant au paragraphe 2(4) de la Loi, n’est pas exhaustive et peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée.

14        La nature et la gravité de la conduite inappropriée ou de l’omission détermineront s’il s’agit d’un abus de pouvoir ou non; voir Tibbs, au paragraphe 66.

A. Questions en litige

1. Existait-il une partialité ou une crainte raisonnable de partialité envers le plaignant?

15        Dans son témoignage, le plaignant a souligné que, selon sa compréhension, de nombreuses plaintes ont été déposées contre M. Stephane Marinier, procureur fédéral en chef adjoint, Opérations régionales, par des avocats du bureau de Brampton qui estimaient avoir fait l’objet de harcèlement de sa part. Le plaignant a également affirmé qu’un rapport sur une [traduction] « évaluation du milieu de travail », en date du 31 mars 2014, avait été préparé. Ce rapport a été présenté à titre d’élément de preuve. Le rapport est un document plutôt banal qui comprend des conclusions et des recommandations, notamment :

[Traduction]

[…]

1.   Manque de leadership perçu

Un certain nombre de préoccupations au sujet du leadership exercé par le bureau de Brampton ont été exprimées. Il y avait un sentiment de manque de communication entre la direction et le personnel, d’inégalité de traitement […] et de manque de collaboration. Il y avait un sentiment général de manque de soutien. Ces préoccupations semblent exister depuis un certain temps. Il existait également une préoccupation perçue selon laquelle les problèmes de leadership ont eu une incidence négative sur la réputation du bureau de Brampton.

2.   Nombre d’employés insuffisant

[…]

Même si de nombreux membres du personnel semblent s’être adaptés au rythme du milieu de travail, des sacrifices ont été nécessaires. Les deux avocats et les membres du personnel administratif ont parlé de l’incidence sur leur santé et leur bien-être, y compris l’anxiété associée aux congés de maternité. Le personnel de Brampton se sentait négligé et avait l’impression qu’il manquait de ressources depuis longtemps.

2.   Lacunes dans les perceptions de la haute direction et de l’équipe de Brampton

Les lacunes entre les perceptions de la haute direction et des employés participants étaient notables. Ces points de vue divergents ont probablement une incidence sur la cohésion générale puisque les priorités, les perceptions et les préoccupations du personnel n’étaient pas harmonisées avec les priorités, les perceptions et les préoccupations de la direction.

3.   Manque de tribunes de règlement de différends ayant du succès

Les participants du bureau de Brampton semblent avoir éprouvé des difficultés à signaler les problèmes concernant la haute direction ou avaient l’impression que leurs problèmes n’étaient pas abordés et réglés lorsqu’ils étaient soulevés auprès de la haute direction.

Nous ne sommes pas bien placés pour valider les processus qui ont été entrepris, mais il vaut la peine d’examiner les perceptions subjectives. Certains membres du personnel ont indiqué ne pas avoir soulevé leurs préoccupations par crainte de représailles. De plus, il est de la nature des professions, comme la profession juridique, où les plaintes au sujet du leadership ne sont pas considérées comme judicieuses en ce qui concerne le cheminement professionnel. Cette pratique de l’hésitation donne lieu à un goulot d’étranglement de problèmes qui ne sont pas communiqués à la direction et, par conséquent, ceux-ci ne sont pas réglés et créent des risques pour le SPPC.

[…]

8.   CONCLUSION

L’évaluation a donné des éclaircissements quant à la forte perception de préoccupations concernant le leadership du bureau de Brampton et le rythme impitoyable exigé du personnel. Toutefois, il y a une base solide de membres du personnel dévoués et loyaux qui apprécient profondément leurs contributions au SPPC et qui travaillent avec diligence pour réussir à s’acquitter de leurs obligations. En conséquence, le SPPC ne peut que profiter d’écouter et de répondre à la transparence et à la franchise de ceux qui ont participé.

16        Après avoir lu l’ensemble du rapport, et conformément aux constatations et à la conclusion que j’ai résumées, j’accorde peu de valeur probante à cette preuve puisque les renseignements sont si généralisés qu’ils n’ajoutent pratiquement rien aux allégations du plaignant, soit que je devrais constater une crainte de partialité dans la façon dont M. Marinier l’a traité.

17        Le plaignant a expliqué que d’autres avocats lui ont dit que de nombreuses plaintes avaient été déposées contre M. Marinier et qu’il devait être prudent à l’égard de M. Marinier. Il a ajouté qu’il n’avait aucune difficulté avec M. Marinier et qu’ils discutaient des activités de football de leurs enfants.

18        Le plaignant a déclaré que, pendant une séance de formation sur le harcèlement, une discussion est survenue dans le cadre de laquelle M. Marinier a [traduction] « craqué » et a dit qu’il ne pouvait pas faire confiance à qui que ce soit travaillant au bureau de Brampton.

19        Le plaignant a expliqué en outre qu’il avait entendu que des renseignements du bureau avaient été divulgués, lesquels avaient eu une incidence négative sur M. Marinier pendant son instance en divorce.

20        En interrogatoire principal, lorsqu’il a été interrogé au sujet des plaintes de harcèlement et des commentaires allégués à l’égard du bureau de Brampton, M. Marinier a indiqué qu’il savait que trois plaintes de harcèlement avaient été déposées. Il a affirmé que bien qu’il ne les ait jamais vues, il était au courant que deux des plaintes n’étaient pas liées à son interaction avec ses employés.

21        Dans son témoignage, M. Marinier a indiqué que chaque plainte avait été examinée et qu’aucune autre enquête n’avait été jugée nécessaire. Il a ajouté que l’évaluation du milieu de travail avait été effectuée en raison de la pression du syndicat à cet égard.

22        M. Marinier a déclaré qu’il n’avait pas craqué, contrairement aux allégations du plaignant. Il a indiqué que si tel avait été le cas, sa supérieure, soit la directrice adjointe des poursuites pénales, lui en aurait parlé.

23        M. Marinier a déclaré qu’il ne se souvenait pas de ses paroles exactes, mais qu’il avait été très émotif à ce moment. Il a répété qu’il ne se souvenait pas avoir dit qu’il ne pouvait pas faire confiance à qui que ce soit au bureau de Brampton.

24        Vu le témoignage au sujet de ce que M. Marinier a dit, je conclus que, vraisemblablement, il a affirmé qu’il ne pouvait pas faire confiance à qui que ce soit travaillant au bureau de Brampton, conformément au témoignage du plaignant.

25        M. Marinier n’a pas été en mesure de se rappeler exactement ce qu’il avait dit à l’époque, ce dont je n’ai aucun doute, vu que les deux témoins ont indiqué qu’il s’était exprimé dans le cadre d’une discussion en grand groupe, à un moment où les émotions étaient fortes.

26        Bien que j’accepte le témoignage du plaignant quant à cet énoncé de M. Marinier, je ne bénéficie pas du contexte intégral de la discussion plus large dans le cadre de laquelle il a été formulé.

27        D’après le témoignage des deux témoins, je sais toutefois que l’énoncé a été formulé dans le cadre d’une discussion avec de nombreux employés, ou même l’ensemble des employés, et ce, en réponse à une personne au sein du grand groupe qui a soulevé le divorce de M. Marinier, qu’il a décrit comme [traduction] « acrimonieux ».

28        M. Marinier n’était pas content qu’une question aussi personnelle et désagréable soit soulevée aux fins de discussion devant le personnel du bureau qu’il gérait. Je peux déduire de son témoignage qu’il s’agissait d’une discussion difficile et d’une expérience stressante pour lui.

29        Le plaignant a affirmé que M. Marinier avait craqué parce qu’un participant à la réunion a mentionné qu’il était entendu qu’une personne du bureau de Brampton avait communiqué des renseignements personnels à son sujet soit à son ex-épouse, afin de l’aider pendant leur instance en divorce, ou au public, toujours pour aider son ex-épouse.

30        Dans son témoignage, M. Marinier a indiqué que, même si des questions difficiles ont été soulevées aux fins de discussion lors du colloque sur le harcèlement et qu’il avait répondu à ces questions, il n’a jamais douté que le plaignant avait un lien quelconque avec la communication de renseignements sur son divorce, laquelle communication a donné lieu à sa réaction très émotive.

31        En tant que contexte supplémentaire pertinent aux plaintes de harcèlement soulevées par le plaignant, M. Marinier a indiqué qu’avant d’être le dirigeant du bureau, le personnel avait en grande partie été laissé à lui-même, puisque son prédécesseur se concentrait plus sur ses dossiers de litige. M. Marinier a expliqué qu’il avait adopté un style de gestion plus ciblé au bureau de Brampton puisqu’il estimait que le bureau était [traduction] « très dysfonctionnel » à son arrivée.

32        Vu le texte mentionné antérieurement tiré de l’évaluation du milieu de travail, je conclus que ses conclusions sont tout à fait compatibles avec un bureau comportant une charge de travail très lourde et très stressante qui est gérée par un nouveau gestionnaire selon un style qui est contraire à celui de l’ancien gestionnaire.

33        Le plaignant a indiqué dans son argumentation de cette allégation que la Commission avait conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’une partialité réelle soit constatée, puisqu’une crainte raisonnable de partialité peut constituer un abus de pouvoir (voir Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9, au paragraphe 25, qui cite Denny c. Le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, au paragraphe 125, qui renvoie à Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394).

34        Dans sa forme initiale, dans Committee for Justice and Liberty, à la p. 394, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère relatif à l’existence d’une crainte de partialité comme suit :

[…]« à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

35        Dans Ryan, en invoquant Gignac c. Le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, qui à son tour a invoqué Committee for Justice and Liberty, le TDFP a adapté le critère comme suit :

[…]

Lorsqu’il y a allégation de partialité, le critère suivant pourra être appliqué à son analyse en tenant compte des circonstances l’entourant : Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes chargées de l’évaluation, le Tribunal pourra conclure qu’il y a abus de pouvoir.

[…]

[Je souligne]

36        Vu le témoignage que j’ai documenté sur cette question, dans le cadre du contexte important de la façon dont l’énoncé de M. Marinier a été formulé et du moment où il l’a été, je ne peux souscrire à l’argument du plaignant selon lequel un observateur raisonnablement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité à son égard de la part de M. Marinier.

37        Au contraire, je conclus qu’un observateur raisonnablement bien renseigné qui examine la question de manière réaliste et pratique, tel qu’il a été indiqué dans le critère initial de la Cour suprême du Canada, percevrait cet énoncé pour ce qu’il était réellement, soit une réponse chargée d’émotion formulée dans un moment de stress alors que les affaires très personnelles de M. Marinier faisaient l’objet d’une discussion de bureau, devant son personnel.

38        Tout observateur raisonnablement bien informé qui examine cette question dans ce contexte approprié et qui n’a pas uniquement connaissance de l’énoncé formulé, sans que celui-ci soit mis en contexte, comprendrait que l’énoncé relatif au manque de confiance envers le personnel renvoyait aux affaires et aux documents personnels de M. Marinier qui, selon la preuve, avaient été communiqués au cours de son instance de divorce acrimonieux.

39        Pris dans son contexte pratique et approprié, la preuve convaincrait tout observateur raisonnable que l’énoncé formulé n’avait rien à voir avec le plaignant, personnellement, ou avec le bureau d’avocats de la poursuite dans la mesure où il portait sur l’exercice des fonctions professionnelles du bureau.

40        Pour ces motifs, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir l’existence de partialité ou de crainte raisonnable de partialité de la part de M. Marinier à son égard.

2. L’ECM a-t-il été modifié ou tout simplement clarifié? L’ intimé a-t-il fait preuve d’abus de pouvoir en permettant à une personne ne disposant pas des pouvoirs prévus par la Loi de le modifier?                                                              

41        Le plaignant a allégué qu’un changement important avait été apporté aux qualifications essentielles puisque l’ECM a été publié de nouveau après qu’il ait envoyé de nombreux longs courriels indiquant ce qu’il estimait être des problèmes relatifs à la ponctuation et à l’interprétation de l’ intimé en ce qui concerne le libellé. Selon lui, ces problèmes ont entraîné l’élimination inappropriée de sa candidature.

42        L’avocate de l’ intimé a répondu en faisant valoir que les critères essentiels n’ont pas été changés et que l’ECM a été clarifié uniquement en vue de répondre aux nombreuses préoccupations que le plaignant a soulevées à son égard. L’ intimé a soutenu que l’interprétation du critère essentiel et l’utilisation de ce critère dans la présélection des candidatures sont demeurées uniformes tout au long du processus.

43        Le plaignant a soulevé que la Loi prévoit des pouvoirs séparés et distincts en ce qui concerne l’embauche d’une personne et la création des qualifications essentielles pour le travail à accomplir. Plus particulièrement, le paragraphe 30(1) et l’alinéa 30(2)a) prévoient ce qui suit :

30(1) Les nominations – internes ou externes – à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles […]établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

44        Les faits pertinents à cette allégation ne sont pas en litige.

45        L’APE initiale pour le poste de chef d’équipe LP-03, à Kitchener, a été affichée au début de 2015, et la date de fermeture était le 2 mars 2015. L’APE mentionnait les qualifications essentielles suivantes :

[…]

Expérience

  • Expérience appreciable [sic]* de la direction d’une équipe spécialisée en matière de contentieux des affaires criminelles qui gère des dossiers parfois mal définis et complexes, ou de l’exercice d’un leadership à cet égard.
  • Expérience de l’encadrement et du mentorat d’autres personnes relativement à des questions touchant les enquêtes et les contentieux en matière criminelle.

* On entend par expérience « appréciable » une expérience associée à un large éventail de dossiers du contentieux en matière criminelle de plus en plus complexes s’inscrivant dans une période de six (6) ans, acquise au cours des douze (12) dernières années.

[…]

46        L’APE précisait les qualifications constituant un atout suivantes :

  • Expérience appréciable* de l’engagement de poursuites dans des affaires complexes et des domaines de responsabilité fédérale en lien avec le crime organisé, l’application de la loi sur les drogues et les substances contrôlées et les infractions d’ordre fiscal et réglementaire.
  • Expérience récente et directe** de la direction d’une équipe de poursuite composée d’avocats et de membres du personnel de soutien juridique relativement à des affaires complexes et d’envergure, ou de la supervision des domaines de la pratique du droit dans le cadre de poursuites pénales de responsabilité fédérale en lien avec le crime organisé, l’application de la loi sur les drogues et les substances contrôlées et les infractions d’ordre fiscal ou réglementaire.
  • Expérience de la prestation de conseils juridiques à la police, aux organismes d’enquête, aux gestionnaires ou aux responsables gouvernementaux.

* On entend par « appréciable » une expérience associée à un large éventail de dossiers de poursuites pénales de plus en plus complexes s’inscrivant dans une période de six (6) ans, acquise au cours des douze (12) dernières années.

** On entend par « expérience récente et directe » une expérience associée à des dossiers actifs traités au cours des trois (3) années précédentes où le candidat était l’avocat chargé de ces dossiers.

47        Le plaignant y a répondu en présentant sa candidature. Toutefois, il a été informé, au moyen d’une lettre datée du 30 mars 2015, que sa candidature avait été éliminée parce qu’il ne satisfaisait pas à la qualification essentielle suivante : « Expérience appreciable [sic]* de la direction d’une équipe spécialisée en matière de contentieux des affaires criminelles qui gère des dossiers parfois mal définis et complexes, ou de l’exercice d’un leadership à cet égard. »

48        Après avoir reçu l’avis selon lequel sa candidature avait été éliminée, le plaignant s’est renseigné et a été informé qu’il devait poser ses questions à ce sujet à M. Marinier. Le 31 mars 2015, à 10 h 24, le plaignant a envoyé à M. Marinier un courriel auquel était jointe une note de quatre pages et, entre autres, lui demandant une explication quant à [traduction] « […] ce qui était requis exactement en tant qu’“expérience appréciable” […] ». La note indiquait également ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il semble tout à fait clair que le demandeur doit posséder;

  1. Expérience appréciable* de la direction de contentieux parfois mal définis et complexes.
  2. ou

  3. Expérience appréciable* à assumer un rôle de leadership d’une équipe spécialisée en matière de contentieux des affaires criminelles.

[…]

[Je souligne]

49        Dans la note qu’il a fournie, le plaignant a ensuite énuméré d’importants exemples de sa capacité à diriger la conduite de litiges mal définis et complexes. Il a précisément mentionné des dossiers, dont bon nombre étaient très complexes et donc mal définis, dans la lettre d’accompagnement de sa demande. Il a ensuite fourni des détails considérables tout en répétant ses nombreuses qualifications et son expérience pertinentes qui, à son avis, auraient dû suffire aux fins de sa présélection. Il a ensuite demandé le réexamen de la décision.

50        M. Marinier a répondu le 1er avril 2015, à 13 h 46, et a expliqué que la première des deux qualifications essentielles (expérience appréciable de la direction d’une équipe spécialisée en matière de contentieux des affaires criminelles qui gère des dossiers parfois mal définis et complexes) comprenait les quatre éléments suivants :

[Traduction]

[…]

  1. une expérience appréciable;
  2. diriger ou assumer un rôle de leadership;
  3. être membre d’une équipe en matière de contentieux des affaires criminelles;
  4. dans le cadre de litiges mal définis et complexes.

[…]

51        M. Marinier a indiqué qu’il ne souscrivait pas à la suggestion du plaignant dans le courriel précédent selon laquelle une équipe en matière de contentieux des affaires criminelles comprend [traduction] « la police, les douanes, l’immigration et d’autres participants d’application de la loi, ainsi que des témoins civils dans certaines circonstances, d’autres avocats, des étudiants en droit, des parajuristes et le personnel de soutien ».

52        M. Marinier a également déclaré que le poste annoncé était un poste de chef d’équipe qui aurait à diriger une équipe d’avocats, de parajuristes et de personnel de soutien. Il a également affirmé que, par nécessité, une équipe en matière de contentieux des affaires criminelles comprendrait d’autres avocats et, dans certains cas, des parajuristes ou du personnel de soutien, selon leur rôle dans le cadre d’une poursuite particulière, mais ne comprendrait pas le personnel d’organismes d’application de la loi ou des témoins civils, comme l’a suggéré le plaignant.

53        Il a ensuite abordé certains aspects du courriel du plaignant et expliqué que l’expérience professionnelle déclarée du plaignant ne mentionnait pas ni ne précisait l’expérience nécessaire pour satisfaire aux quatre éléments essentiels de la deuxième des deux qualifications essentielles en matière d’expérience. Il a ajouté que la liste des dossiers que le plaignant a donnée indiquait, dans l’ensemble, qu’il avait aidé en tant qu’avocat adjoint ou qu’il en était le seul responsable.

54        Le plaignant a répondu le 2 avril 2015, à 18 h 6, comme suit : [traduction] « Merci Steph! Je l’examinerai à un moment donné en fin de semaine et si j’ai d’autres questions ou souhaite te rencontrer, je te le dirai mardi. »

55        Après avoir eu la longue fin de semaine pour examiner la question de manière beaucoup plus approfondie, le plaignant a ensuite envoyé un courriel d’une longueur équivalente à six pages le 8 avril 2015, à 14 h 36. Le courriel présentait une argumentation sous la forme d’un plaidoyer vigoureux qui visait de toute évidence à convaincre M. Marinier que sa décision d’éliminer sa candidature était erronée.

56        Parmi les nombreux arguments figurant dans ce courriel, le plaignant a fait valoir que l’interprétation des critères essentiels de la part de M. Marinier était [traduit] « contraire à toute logique grammaticale ». Il a donné une longue description de l’analyse à l’appui de cette conclusion et il a répété sa déclaration antérieure, comme suit :

[Traduction]

[…]

En conséquence, la seule conclusion logique quant à ce qui devait être démontré par rapport au premier critère d’expérience a été annoncée comme un critère à deux volets;

  1. Expérience appréciable de la direction de contentieux parfois mal définis et complexes.
  2. OU

  3. Assumer un rôle de leadership d’une équipe spécialisée en matière de contentieux des affaires criminelles qui gère des dossiers parfois mal définis et complexes.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

57        Bien que la longue plaidoirie par courriel du plaignant n’ait pas réussi à convaincre M. Marinier de changer d’avis quant à l’élimination de sa candidature, elle a fait en sorte que l’ intimé remette en question l’efficacité de la ponctuation dans son ECM, ce qui a mené aux événements qui n’ont été motivés que par un effort de répondre à la longue plaidoirie du plaignant sur le processus qui, à leur tour, ont donné lieu à la présente plainte.

58        M. Marinier a répondu au plaignant le 16 avril 2015 à 11 h 15. Dans une tentative évidente de mettre fin aux plaidoiries par courriel, il a indiqué qu’il avait consulté les Ressources humaines. Il n’a pas répondu de manière approfondie et a suggéré qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre les longs échanges de courriels.

59        M. Marinier a déclaré que les qualifications essentielles et la qualification constituant un atout en question avaient été tirées de concours semblables antérieurs en vue de maintenir une certaine uniformité. Dans la mesure où le libellé pourrait permettre différentes interprétations, celui qu’il a fourni était compatible avec l’intention et la signification des qualifications essentielles et constituant un atout. Qui plus est, la même interprétation avait été utilisée dans le cadre du processus de sélection et appliquée à tous les candidats.

60        M. Marinier a affirmé que, dans la mesure où une clarification pourrait être nécessaire, les Ressources humaines communiqueraient avec tous les candidats pour leur donner des précisions et inviter les candidats intéressés à présenter à nouveau leur demande. Il a indiqué que le comité de sélection serait reconstitué afin de l’inclure ainsi que Tom Andreopoulos, et que le processus de sélection serait effectué à nouveau.

61        Le 16 avril 2015, l’ intimé a communiqué avec tous les candidats qui avaient présenté des demandes fondées sur l’APE. La correspondance était intitulée [traduction] « ERREUR RELATIVE AU CRITÈRE D’EXPÉRIENCE » et mentionnait le numéro de processus de sélection pertinent et le titre du poste. Les candidats ont été informés qu’ils n’étaient pas tenus de le faire, mais qu’ils pouvaient choisir de présenter à nouveau leurs demandes en fonction des critères clarifiés. La lettre comprenait l’extrait suivant :

[Traduction]

[…]

Madame,

Monsieur,

À la suite du courriel d’élimination que vous avez reçu le 30 mars 2015, la présente a pour but de vous informer qu’une erreur grammaticale a été cernée dans un des critères d’expérience énumérés dans la version anglaise de l’énoncé des critères de mérite. Il a été déterminé que l’erreur pourrait avoir donné lieu à différentes interprétations de l’expérience requise. Le critère d’expérience devrait se lire comme suit :

  • Significant* experience in leading or in taking on a leadership role in a criminal litigation team, in the conduct of ill-defined and complex litigation.

[Par souci de commodité pour le lecteur, le texte initial de la version anglaise, tel qu’il a été cité antérieurement, est le suivant :

Significant* experience leading, [je souligne] or in taking on a leadership role in a criminal litigation team, in the conduct of ill-defined and complex litigation.]

* Significant is defined as experience associated with a broad range of progressively increasing complexity of criminal litigation over a six (6) year period accumulated within the past twelve (12) years.

Veuillez noter que le critère d’expérience comporte trois éléments

  1. Une expérience appréciable à diriger ou assumer un rôle de leadership;
  2. être membre d’une équipe en matière de contentieux des affaires criminelles;
  3. dans le cadre de litiges mal définis et complexes.

[…]

62        Le lendemain, le 17 avril 2015, l’ intimé a envoyé aux candidats le courriel suivant :

[Traduction]

Madame,

Monsieur,

Vous trouverez ci-dessous des définitions qui pourraient vous aider à présenter à nouveau votre demande :

  • L’expression « équipe en matière de contentieux des affaires criminelles » peut être définie largement en vue d’inclure deux groupes très distincts d’individus. Elle peut inclure une équipe d’avocats et des membres du personnel de soutien qui, ensemble, forment une équipe ou un bureau chargé d’accomplir les travaux liés aux litiges criminels dans le cadre d’une compétence clairement définie ou elle peut inclure un groupe de deux avocats ou plus affectés à un dossier de poursuite, où l’avocat principal est clairement identifié, et elle peut également inclure le personnel de soutien qui offre un soutien juridique important au cours ou pendant la grande partie de la vie du dossier de poursuite.
  • L’expression « mal défini » et le terme « complexe » s’entendent de l’application de principes juridiques complexes, multiples, incertains ou émergents dans la conduite d’un litige concernant des contextes juridiques et/ou factuels complexes (c.-à-d. de longues enquêtes dans le cadre desquelles une preuve importante est recueillie, souvent sous diverses formes, comme la surveillance, les communications interceptées, les agents de la police, des agents d’infiltration, des autorisations judiciaires, entre autres, concernant souvent plus d’un accusé).

[…] nous invitons les candidats à présenter à nouveau leur demande s’ils estiment que c’est nécessaire. Veuillez noter que vous n’êtes pas tenus de la présenter à nouveau.

[…] Si nous ne recevons pas une réponse, nous tiendrons compte de votre première demande dans le cadre du processus de sélection.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

63        Dans son témoignage, M. Marinier a dit que les Ressources humaines avaient envoyé la clarification à tous ceux qui avaient déjà présenté une demande en précisant que les candidats pouvaient, sans y être tenus, présenter à nouveau leur demande en fonction de l’ECM clarifié. Il a également déclaré qu’en raison des préoccupations du plaignant, il a invité M. Andreopoulos, un collègue gestionnaire, à se joindre au comité d’évaluation afin d’examiner la deuxième demande du plaignant, soit la seule demande reçue en réponse à la clarification.

64        Lorsqu’il a été interrogé en contre-interrogatoire au sujet du processus et de la décision qui ont mené à la clarification de l’ECM au moyen du courriel [traduction] « erreur » du 16 avril 2015, M. Marinier a affirmé qu’il n’avait pas ordonné au personnel des Ressources humaines affecté au dossier à faire quoi que ce soit. Il a expliqué que les Ressources humaines l’ont informé qu’une clarification était nécessaire en fonction des commentaires du plaignant et que, par souci d’équité, la clarification serait communiquée à tous les candidats.

65        En contre-interrogatoire, M. Marinier a expliqué que les cadres du bureau principal de l’ intimé avaient examiné antérieurement les qualifications essentielles du poste de chef d’équipe et qu’ils avaient publié un document sur la norme nationale afin d’assurer l’uniformité de l’ensemble de ses activités nationales. Il a ajouté qu’il n’avait pas parlé aux individus qui l’avaient rédigé dans le cadre du processus en litige et qu’il n’avait parlé qu’au personnel des Ressources humaines, qui lui ont formulé des recommandations sur la manière appropriée de mener le processus.

66        En contre-interrogatoire, lorsque son témoignage au sujet de l’évaluation des deux demandes du plaignant et de la participation subséquente de M. Andreopoulos a été contesté, M. Marinier a affirmé que pour chaque demande, il avait appliqué uniformément les mêmes critères, y compris en ce qui concerne la deuxième demande du plaignant. Il a ajouté que le deuxième membre du comité avait été ajouté pour répondre à l’allégation de partialité invoquée contre lui par le plaignant dans un de ses courriels qu’il avait envoyé après l’élimination de sa candidature.

67        Selon le plaignant, le deuxième ECM était très désavantageux en ce qui concerne sa candidature puisque, selon son interprétation du premier ECM, ses antécédents professionnels répondaient à cette première version.

68        À la question de savoir si les mérites de la demande du plaignant répondaient aux critères essentiels, M. Marinier a affirmé que les demandes du plaignant ne comportaient aucune indication qu’il avait une expérience professionnelle à diriger deux ou plusieurs avocats. M. Marinier a confirmé que le plaignant avait dirigé quelque chose intitulé « ipoc », et que ses connaissances personnelles au sujet des travaux liés à « ipoc » lui permettaient de déterminer que ce travail ne répondait pas aux critères essentiels.

69        M. Marinier a également affirmé que, bien que la demande du plaignant indiquait qu’il avait déjà occupé un poste intérimaire de chef d’équipe à Kitchener, il n’était au courant que d’une telle occasion. De plus,  au moyen d’une recherche dans les bases de données des courriels, il a eu la confirmation qu’une telle affectation avait eu lieu dans le cadre d’un remplacement d’une semaine aux fins de vacances.

70        M. Marinier a également indiqué que, si le plaignant avait en fait agi en tant que chef d’équipe intérimaire à d’autres occasions, l’essentiel du travail qu’il avait accompli ne figurait toujours pas dans sa demande, de manière à démontrer comment ce travail répondait aux autres critères énumérés dans l’ECM.

71        M. Marinier a également lu ligne par ligne les nombreuses poursuites criminelles et l’expérience dans la police que le plaignant a énumérées dans sa demande. Il a présenté ses motifs qui lui ont permis de conclure que chaque ligne ne répondait pas aux critères déclarés dans l’ECM.

72        M. Marinier a été contre-interrogé au sujet de son évaluation de la candidature du plaignant et de la décision de choisir le candidat nommé. Il a indiqué qu’il a été conclu que la personne nommée était la seule personne à répondre à tous les critères essentiels et aux autres facteurs utilisés pour examiner l’aptitude. Il a expliqué que, même s’il a choisi personnellement le candidat aux fins de nomination, il en a également informé le procureur en chef qui, selon M. Marinier, devait approuver la nomination.

73        L’avocat du plaignant a fait valoir que l’administrateur général établit un ECM et que, indépendamment, le comité de sélection exerce un pouvoir délégué de dotation de la Commission de la fonction publique (la « CFP ») en vue de sélectionner un candidat et de faire la nomination. Il a fait valoir que les paragraphes 30(1) et (2) de la Loi établissent comme suit une distinction claire entre le pouvoir de délégation de la CFP aux fins de l’embauche et de l’établissement d’un ECM :

30 (1) Les nominations – internes ou externes – à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

74        L’avocat du plaignant a soutenu que l’ intimé avait violé ces pouvoirs lorsque le comité de sélection a modifié unilatéralement l’ECM en changeant la ponctuation, ce qui, selon lui, a modifié de façon importante la qualification essentielle, et ce, au détriment du plaignant. Il soutient qu’une telle violation d’une délégation de pouvoir en vertu de la loi constitue une erreur grave et que, dans le passé, elle a été jugée constituer un abus de pouvoir.

75        La jurisprudence de la Cour fédérale invoquée à l’appui de l’argument du plaignant se trouve au paragraphe 71 de Canada (Procureur général) c. Allard, 2008 CF 1294, qui conclut que le comité de sélection dans cette affaire, en tant que représentant de la CFP, n’avait pas l’autorisation d’ajouter aux qualités requises de l’organisation.

76        Cette affaire renvoie à Canada (Procureur général) c. Blashford, [1991] 2 C.F. 44 (C.A.), dans laquelle la Cour a conclu que le comité de sélection n’a pas le droit d’intervenir, que ce soit en ajoutant ou en modifiant en partie les exigences de base, telles qu’elles sont définies par l’organisation. Blashford cite Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.). La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans Blashford, au paragraphe 25 :

[…]

Il a été jugé par l’arrêt Bambrough, à mon avis, a) que les qualités requises pour un poste, normalement définies par le ministère intéressé avant l’ouverture du processus de sélection, peuvent être validement modifiées par celui-ci au cours de ce processus de sélection, pourvu que la modification ne soit pas une manœuvre visant à favoriser indûment un candidat et ne soit que le développement raisonnable d’une exigence qui se déduit de l’énoncé primitif des qualifications; et b) que la Commission peut participer à la formulation de cette modification à condition que l’autorité décisionnelle continue d’être le ministère en question.[…]

[…]

77        L’avocate de l’ intimé a fait valoir qu’il ressort de la preuve que la signification et l’application de l’ECM en ce qui concerne les demandes sont demeurées entièrement uniformes tout au long des deux processus et que le deuxième ECM ne constituait qu’une clarification, ce que la Commission a jugé acceptable dans le passé. En effet, dans Jean-Pierre c. Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2016 CRTEFP 62, au paragraphe 88, la Commission a conclu qu’un gestionnaire délégué pouvait à bon droit fournir des précisions au sujet des qualifications essentielles publiées.

78        Le plaignant a également invoqué la décision du TDFP dans Burke c. Sous-Ministre de la défense nationale, 2009 TDFP 3, qui a conclu à la présence d’abus de pouvoir lorsque des modifications ont été apportées à un ECM après l’évaluation des candidats. Le TDFP a conclu que les modifications étaient importantes. Les candidats n’ont pas été évalués de nouveau par rapport aux nouveaux critères; ils n’ont pas non plus été informés des révisions. Le TDFP a conclu qu’aucune explication logique n’avait été donnée pour la modification et que l’omission d’évaluer de nouveau les candidats par rapport aux nouveaux critères constituait de la négligence et de l’abus de pouvoir.

79        J’établis une distinction entre les faits dans Burke et ceux en l’espèce. Dans la présente affaire, les candidats ont été informés des précisions apportées à l’ECM et le plaignant a été le seul à présenter de nouveau sa demande, qui a été évaluée une nouvelle fois par rapport aux critères clarifiés, ce qui est compatible avec l’interprétation des critères utilisés pour évaluer les autres candidats.

80        Le plaignant a indiqué que, récemment, la Commission a invoqué Burke dans De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, dans laquelle la Commission a conclu qu’il y avait abus de pouvoir lorsque l’exigence relative aux études appliquée pour évaluer les candidats aux fins de nomination n’était pas la même que celle déclarée dans la déclaration d’intérêt.

81        Le plaignant a également invoqué Renaud c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26, à titre de jurisprudence relative à une conclusion d’abus de pouvoir. Dans cette affaire, un comité d’évaluation avait interprété la formulation d’un ECM d’une manière contraire au sens habituel et ordinaire des mots afin de nommer un candidat qui ne satisfaisait pas aux critères essentiels (voir le paragraphe 43). Le TDFP a conclu en outre qu’il y avait une erreur dans l’ECM relativement à une des qualifications essentielles et que celle-ci avait été mal interprétée par rapport au sens habituel et ordinaire du terme afin de permettre la sélection d’un candidat qui n’était manifestement pas qualifié, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

82        L’avocat du plaignant a également mentionné le témoignage du plaignant selon lequel sa candidature avait été retenue parce qu’il avait satisfait à tous les critères essentiels du poste, soit le même poste qui est en litige dans l’affaire dont je suis saisi dans le cadre d’un processus de nomination dans une autre région. Ce fait n’aide pas le plaignant à établir qu’il y a eu abus de pouvoir dans le cadre de ce processus de nomination. J’ai entendu un témoignage convaincant du gestionnaire délégué, soit M. Marinier, quant à la raison pour laquelle le plaignant n’a pas satisfait à la qualification essentielle et pour laquelle sa candidature a été éliminée de ce processus de nomination.

83        Le plaignant a également laissé entendre qu’il était inapproprié que l’ECM soit révisé et diffusé uniquement aux membres du personnel qui ont présenté leur candidature. Il a suggéré que l’ECM aurait être publié de nouveau. Il a soutenu qu’il était également inapproprié d’ajouter un deuxième membre au comité d’évaluation et de demander ensuite à ce membre de collaborer uniquement à l’évaluation du plaignant. Je ne suis pas d’accord. Selon les faits de l’affaire dont je suis saisi, je ne conclus pas que ces accommodements procéduraux visant à répondre aux nombreuses préoccupations du plaignant constituaient une erreur et je ne conclus pas non plus qu’ils ont entraîné un élément inéquitable dans le processus.

84        L’avocat du plaignant a également fait valoir qu’il était inapproprié de refuser au plaignant la possibilité d’agir en tant que chef d’équipe intérimaire et d’ensuite reconnaître l’expérience acquise par la personne nommée éventuelle dans le cadre de cette nomination intérimaire. Le plaignant a invoqué Allard, dans laquelle la Cour fédérale a tenu compte d’une jurisprudence antérieure tirée de Levac c. Canada (Procureure générale), [1994] A.C.F. no 622, (C.A.). Toutefois, comme il a été conclu dans Allard, au paragraphe 118 « [m]ême s’il y avait un avantage, cela ne revient pas nécessairement à déterminer que tout avantage est indu. En l’espèce, le seul fait qu’il y avait des candidats, qui avaient travaillé comme surveillant intérimaire […] pendant des années […] ne constitue pas un avantage indu. »

85        Tel que je l’ai affirmé dans Warford c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2016 CRTEFP 56, au paragraphe 21, les mesures mises en place dans le milieu de travail qui pourraient sembler favoriser un employé afin de préparer cette personne à une nomination peuvent être raisonnablement justifiées par une preuve démontrant que les mesures contestées reposaient en réalité sur des besoins opérationnels du bureau. Ces mesures seront ensuite fondées sur le mérite et non sur le favoritisme personnel inapproprié.

86        La preuve dont je dispose me donne à penser uniquement que le poste de chef d’équipe intérimaire qui a été attribué à la personne nommée éventuelle a été attribué à cette personne uniquement à des fins opérationnelles et méritoires valides, tel qu’il a été mentionné dans le témoignage de M. Marinier (voir les paragraphes 96 et 99).

87        L’avocate de l’ intimé a fait valoir que la clarification de l’ECM constituait une distinction sans conséquence puisque, quoi qu’il en soit, le plaignant ne répondait pas aux critères essentiels.

88        L’argument du plaignant quant à cette allégation repose entièrement sur son interprétation très subjective de l’ECM initial. Selon mon interprétation, les deux ECM sont clairs et uniformes et n’ont pas été modifiés de manière importante par suite de la clarification.

89        Contrairement à l’opinion du plaignant voulant que l’interprétation de l’ intimé relative à l’ECM soit contraire à la logique grammaticale, je conclus que son analyse relative à son interprétation de l’ECM initial est contraire au bon sens logique si l’on prend en considération le contexte du poste et le travail à accomplir, plutôt que les qualités grammaticales du texte.

90        L’intimé se préparait à nommer un chef d’équipe chargé de la supervision d’une équipe de conseillers juridiques qui traite des litiges complexes. Il ressort clairement qu’il a interprété son ECM d’une manière compatible à la recherche d’un candidat ayant une expérience à titre de chef d’équipe ou dans la direction d’une équipe du contentieux dont les membres sont des avocats, et non pas seulement une expérience à diriger des enquêtes policières ou du personnel de soutien et d’agir à titre d’avocat-adjoint ou à travailler comme unique avocat dans le cadre de poursuites complexes (puisque cette expérience était courante dans la demande du plaignant).

91        Après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve, y compris les pages de courriels provenant du plaignant à l’intention de M. Marinier dans lesquels il analyse le libellé et la ponctuation de l’ECM, je ne peux arriver qu’à la même conclusion que celle que M. Marinier a fournie dans son témoignage et dans ses courriels de réponse au plaignant. Je conclus que le plaignant n’a pas été désavantagé de quelque façon que ce soit par la clarification de l’ECM puisqu’il ne satisfaisait pas à la qualification énoncée dans l’ECM initial ou dans l’ECM clarifié.

92        Vu ma conclusion fondée sur la preuve dont j’ai été saisi, soit qu’aucune modification importante n’a été apportée à l’ECM, seulement des clarifications, je n’ai pas besoin de poursuivre l’analyse de l’argumentation très détaillée et bien préparée de l’avocat du plaignant en ce qui concerne les mesures non autorisées alléguées qui, selon lui, allaient à l’encontre de la délégation appropriée des pouvoirs prévus par la Loi.

3. L’intimé a-t-il commis un abus de pouvoir en étant influencé par le favoritisme personnel lors de la prise de décisions concernant les nominations intérimaires et le processus de nomination subséquent?

93        La réponse à cette allégation est, simplement, « Non ». Il ressort clairement de la preuve qu’il n’y a eu aucun favoritisme personnel dans le cadre de la nomination ou du processus de nomination.

94        Le plaignant a affirmé que, à maintes reprises, il a demandé à être nommé par intérim au poste de chef d’équipe afin de mieux connaître les fonctions pertinentes en prévision d’une nomination éventuelle à ce poste qu’il convoitait. Il a affirmé qu’on lui avait refusé la possibilité d’agir à ce titre en raison de ce que son avocat a soutenu être du favoritisme personnel de la part de M. Marinier envers la personne nommée éventuelle, qui avait été choisie antérieurement pour occuper le poste par intérim, acquérant ainsi une expérience importante en vue d’être nommé ultérieurement pour une période indéterminée.

95        Cependant, M. Marinier a déclaré qu’il avait offert le poste à un autre avocat principal du bureau, dont le nom figurait déjà au bassin de candidats LP-03, avant de l’offrir à l’avocat qui a éventuellement été nommé pour une période indéterminée.

96        M. Marinier a également expliqué qu’il lui aurait été extrêmement difficile d’offrir la nomination intérimaire à une personne de l’extérieur du bureau de Kitchener, par exemple le plaignant de Brampton, puisque des dépenses importantes auraient été nécessaires pour couvrir les frais de déplacement. Il a également affirmé que l’avocat choisi aux fins de l’affectation intérimaire était le meilleur candidat au bureau, puisque le poste n’intéressait pas les autres.

97        M. Marinier a indiqué que ces événements ont eu lieu au cours d’une période où il y avait d’importantes contraintes budgétaires au sein du ministère et que tout avocat qui proposait de se déplacer au moyen de l’autoroute 407 en Ontario et qui exigeait le paiement de droits de péage devait obtenir une approbation au préalable du bureau principal aux fins de remboursement de la dépense.

98        Aucun élément de preuve n’a démontré qu’il y avait une relation personnelle entre M. Marinier et la personne nommée ou tout avocat membre du personnel. En fait, M. Marinier a affirmé qu’il avait délibérément maintenu une distance professionnelle à l’égard du personnel qu’il supervisait afin de ne causer aucun problème de partialité dans l’exercice légitime de ses fonctions de gestion au bureau.

99        M. Marinier a également déclaré que son choix de la personne à qui attribuer l’affectation intérimaire avait été fondé uniquement sur les besoins du bureau, y compris les contraintes budgétaires en matière de déplacement et le mérite.

100        Pour ces motifs, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait en ce qui concerne l’allégation de favoritisme personnel.

IV. Conclusion

101        Pour ces motifs, le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait en ce qui concerne l’ensemble de ses allégations. Par conséquent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

102        J’ordonne le rejet de la plainte.

Le 15 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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