Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que la décision de l’employeur de refuser sa demande de temps libre payé pour d’autres motifs contrevenait à la convention collective – la demande de congé concernait un jour où il ne s’est pas présenté au travail en raison de conditions atmosphériques défavorables – ce matin là, il avait tenté de se rendre au travail, mais il est retourné chez lui parce qu’il estimait que ce n’était pas sécuritaire – le bureau où il travaillait a ensuite été fermé à 13 h – le fonctionnaire s’estimant lésé a obtenu un congé payé de cinq heures, quatre heures pendant lesquelles le bureau était fermé et une heure pour ses efforts afin de se rendre au travail – il a demandé un congé payé pour le reste de la journée (3,5 heures) pour d’autres motifs en vertu de la clause 54.01 de la convention collective, qui prévoit un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail – cette demande lui a été refusée, car l’employeur n’était pas convaincu que les conditions atmosphériques avaient empêché le fonctionnaire s’estimant lésé de se rendre au travail – selon les éléments de preuve, la Commission était convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail et qu’une tempête de neige l’avait empêché de le faire – la décision de l’employeur de lui refuser le congé demandé était déraisonnable dans les circonstances.

Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180817
  • Dossier:  566-34-10797
  • Référence:  2018 CRTESPF 68

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

LESLIE SMITH

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Smith c. Agence du revenu du Canada


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Christopher Schulz, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Karyne Desjardins
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 25 juillet 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

Remarque : Les parties ont convenu de traiter le grief au moyen d’un arbitrage accéléré. La décision est définitive et exécutoire  et ne peut constituer un précédent jurisprudentiel ni être renvoyée à la Cour d’appel fédérale pour un contrôle judiciaire.

Introduction

1        Le 18 février 2015, Leslie Smith, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé un grief à l’arbitrage. Il a déposé ce grief afin de contester la décision de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC » ou l’« employeur ») de refuser sa demande de congé payé pour d’« autres motifs» en vertu de la clause 54.01a) de la convention collective conclue entre l’ARC et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC ») pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs, qui est venue à échéance le 31 octobre 2012 (la « convention collective »).

2        Le fonctionnaire allègue que la décision de l’employeur contrevenait à la clause 54.01a) de la convention collective.

3        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Résumé de la preuve

4        La présente section résume la preuve présentée à l’audience, notamment l’exposé conjoint des faits et le recueil conjoint de documents des parties.

5        Au moment du dépôt du grief, le fonctionnaire travaillait au Bureau des services fiscaux (le « BSF ») de l’ARC à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. Il occupait un poste classifié au groupe et au niveau SP-05. Il résidait à Summerside, situé à environ une heure de route de son lieu de travail, et ses heures de travail régulières étaient de 8 h à 17 h.

6        Le 4 décembre 2013, le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail en raison de conditions météorologiques défavorables. Une tempête de neige s’est abattue sur l’Île-du-Prince-Édouard ce jour-là. À 7 h, le fonctionnaire a communiqué avec la ligne d’urgence de l’ARC et a confirmé que le BSF de Charlottetown serait ouvert à temps. Il est parti de chez-lui à 7 h 4. Après environ 20 à 25 minutes de route sur des chemins non déneigés et après avoir vu un camion à quatre roues motrices dans le fossé, il a décidé de retourner chez lui.

7        À son retour à la maison, il a téléphoné à son chef d’équipe pour l’informer de sa situation et des conditions routières. Cet appel téléphonique n’est pas indiqué dans la partie narrative de l’exposé conjoint des faits, mais fait partie du dossier de l’audience. L’exposé conjoint des faits comporte 11 annexes, dont une comprend la version des événements du fonctionnaire qui a été communiquée à l’employeur au dernier palier des consultations entre l’AFPC et l’employeur.

8        Le matin du 4 décembre 2013, le fonctionnaire a également communiqué avec un ami qui travaillait au bureau de Service Canada, à Charlottetown. Il a alors été informé que l’ouverture de ce bureau avait été retardée davantage, soit jusqu’à 12 h 30. En fin de compte, le bureau a été fermé toute la journée.

9        À 10 h 26, un chasse-neige a déneigé la rue du fonctionnaire. Il a ensuite consacré entre 30 et 45 minutes à déneiger son entrée. Vers 11 h 30, il a conduit dans les alentours de Summerside pour déterminer s’il pouvait continuer jusqu’à Charlottetown. Par la suite, il a décidé que les conditions routières n’étaient toujours pas sécuritaires. À 12 h 30, il a appelé son chef d’équipe pour l’informer qu’il estimait qu’il était dangereux pour lui de se rendre à Charlottetown.

10         Le 4 décembre 2013, le BSF de Charlottetown a été fermé à 13 h en raison des conditions météorologiques défavorables. Le Centre fiscal de Summerside n’a pas été fermé ce jour-là. Toutefois, un certain nombre d’autres entreprises et de bureaux gouvernementaux ont été fermés en raison de la tempête de neige. La liste des bureaux fermés fait partie du dossier de l’audience.

11         Le journal quotidien de l’Île-du-Prince-Édouard, The Guardian, a publié ce qui suit le 4 décembre 2013 :

[Traduction]

[…] La pluie ne devait devenir de la neige que plus tard au cours de la journée mercredi, mais les résidents de West Prince [la région où est située la résidence du fonctionnaire à Summerside] se sont réveillés mercredi matin avec une couche de neige et de la neige fondue qui ont soudainement forcé les opérateurs de machineries lourdes à travailler afin de dégager les routes.

[…]

12         Le Guardian a ensuite signalé que Victoria Park, qui se trouve à 5 km du BSF de Charlottetown [traduction] « […] était tranquille pendant la tempête mercredi. En raison des vents forts et de la mauvaise visibilité, peu de gens se sont aventurés à l’extérieur. »

13         En raison de la fermeture du BSF de Charlottetown le 4 décembre 2013, le fonctionnaire a obtenu un congé payé de cinq heures pour les motifs suivants : quatre heures pendant lesquelles le bureau était fermé et une heure pour ses efforts afin de se rendre au travail.

14         Le fonctionnaire a demandé un congé payé pour le reste de la journée (3,5 heures) pour d’« autres motifs » en vertu de la clause 54.01 de la convention collective, qui est libellée comme suit :

CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS POUR D’AUTRES MOTIFS

54.01 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

  1.        un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e l’empêchent de se rendre au travail; ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;
  2.        un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

15         L’employeur a refusé la demande de congé du fonctionnaire en vertu de la clause 54.01a) de la convention collective. Le 24 décembre 2013, le fonctionnaire a déposé un grief contestant ce refus.

16         Lorsque les événements qui ont donné lieu au grief sont survenus, la politique de l’employeur sur les tempêtes à Charlottetown, en date de novembre 2013, était en vigueur et énonçait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

7.       Si un employé appelle un matin de tempête et qu’il a déterminé qu’il ne peut pas se rendre au travail en raison des conditions climatiques, mais que le bureau est quand même ouvert à ce moment-là, l’employé devra prendre un congé annuel ou un autre congé […]

[…]

17         En janvier 2014, le fonctionnaire a présenté une demande de congé de maladie payé de 3,5 heures pour le 4 décembre 2013, qui lui a été accordée.

18         Le 25 janvier 2014, le fonctionnaire a acheminé à l’AFPC une liste des bureaux qui étaient fermés le 4 décembre 2013, à l’Île-du-Prince-Édouard. Plus tard, l’AFPC a acheminé cette liste à l’employeur.

19         Le 12 février 2014, le grief a été rejeté au premier palier de la procédure de règlement de griefs. Le 24 avril 2014, il a été rejeté au troisième palier. Enfin, le 22 décembre 2014, il a été rejeté au dernier palier pour les motifs suivants :

[Traduction]

Après examen, même si les conditions météorologiques étaient défavorables, je suis convaincu que les conditions météorologiques ne vous ont pas empêché de vous rendre au travail auxdites dates. En outre, selon la politique sur les tempêtes de Charlottetown, [traduction] « Si un employé appelle un matin de tempête et qu’il a déterminé qu’il ne peut pas se rendre au travail en raison des conditions climatiques, mais que le bureau est quand même ouvert à ce moment-là, l’employé devra prendre un congé annuel ou un autre congé. Si le bureau est ensuite fermé ce jour-là, l’employé se verra accorder le congé autorisé pour les heures pendant lesquelles le bureau est officiellement fermé. »

Selon ma compréhension, le 4 décembre 2013, le bureau a fermé à 13 h et vous avez obtenu un congé payé de cinq heures pour d’autres motifs pour la période pendant laquelle le bureau était fermé, et d’une heure pour vos efforts afin de vous rendre au travail […] Pour ce qui est du reste de la journée de travail du 4 décembre 2013 (3,5 heures), […] la direction a refusé à bon droit votre demande de congé payé pour d’autres motifs puisque le bureau était ouvert.

Analyse

20         Le grief porte sur l’interprétation et l’application de la clause 54.01a) de la convention collective.

21         Un congé en vertu de l’article 54 de la convention collective relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur, mais son exercice de ce pouvoir est limité par l’exigence prévue à cette clause selon laquelle le congé demandé ne peut être refusé sans motif raisonnable. Il incombait au fonctionnaire d’établir d’abord que des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables l’empêchaient de se rendre au travail et que sa demande de congé avait été refusée sans motif raisonnable.

22         Pour les motifs suivants, je conclus que le fonctionnaire s’est acquitté du fardeau qui lui incombait.

23         À l’appui de son argument, le fonctionnaire a invoqué Cloutier et le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. no 104 (QL), dossiers de la CRTFP 166-02-21839 et 21840 (19920721), Colp et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 138, dossiers de la CRTFP 166-02-23215 et 23216 (19930803) et Coppin c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 81.

24         Dans Coppin, l’arbitre de grief a conclu ce qui suit au paragraphe 33 :

[33] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents, et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande. Il n’y a pas de mal à ce que l’employeur élabore une politique pour gérer les demandes de congé après une tempête de neige, mais cette politique doit être appliquée avec une certaine souplesse dans l’évaluation des faits relatifs à chaque demande, étant donné que le facteur clé est de savoir si l’employé a été empêché de se présenter au travail par des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables.

25         Le représentant du fonctionnaire soutient que le fonctionnaire a fait tous les efforts raisonnables pour se rendre au travail le 4 décembre 2013, et qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il mette en péril sa sécurité. Il fait également valoir que, lorsqu’il a conclu que [traduction] « la direction avait raison de refuser sa demande de congé payé pour d’autres motifs parce que le bureau était ouvert », l’employeur n’a pas tenu compte de sa situation particulière et n’a pas exercé de manière raisonnable son pouvoir discrétionnaire en vertu de la clause 54.01 de la convention collective.

26         La représentante de l’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas déployé des efforts suffisants pour se rendre au travail le 4 décembre 2013.

27         Selon les éléments de preuve au dossier, je conclus que les conditions routières étaient mauvaises et non sécuritaires à Summerside et à Charlottetown le 4 décembre 2013. Le journal local a signalé qu’une tempête de neige s’était abattue sur la région. De plus, une liste des entreprises et des bureaux gouvernementaux fermés ce jour-là à Summerside et à Charlottetown a été fournie à la Commission. Selon cette liste, de nombreux bureaux ont été ouverts en retard et certains sont demeurés fermés toute la journée.

28         Le 4 décembre 2013, puisqu’il se déplaçait en voiture et que les conditions routières étaient mauvaises, le fonctionnaire a décidé de revenir sur ses pas jusqu’à sa maison à Summerside plutôt que de continuer à Charlottetown. Il a ensuite informé son chef d’équipe qu’il attendrait avant de décider s’il pouvait se rendre à Charlottetown et qu’il déterminerait si les conditions demeuraient mauvaises, s’amélioraient ou se détérioraient davantage. Enfin, vers 12 h 30, après avoir déneigé son entrée et sa voiture et avoir conduit à Summerside, il a informé son chef d’équipe que les conditions ne s’étaient pas améliorées et qu’il était préférable qu’il reste chez-lui.

29         Il s’agissait d’une décision prudente de la part du fonctionnaire. Il n’aurait pas été sage pour lui de mettre sa vie ou sa santé physique en péril en conduisant dans des conditions routières très difficiles de chez lui jusqu’à son lieu de travail, qui était à une heure de route. Tout le monde convient qu’il ne s’agit pas du problème.

30         La seule question est celle de savoir si le fonctionnaire a droit à un congé autorisé en vertu de la clause 54.01 de la convention collective.

31         À cet égard, je note que l’employeur était disposé à appuyer le fonctionnaire, jusqu’à une certaine mesure. Il a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de la clause 54.01 de la convention collective afin de lui accorder un congé d’une heure pour ses efforts afin de se rendre au travail. Il lui a également accordé un congé de maladie payé pour le reste de la journée, alors que le bureau est demeuré ouvert, soit 3,5 heures.

32         Toutefois, je suis d’avis que, en raison de la tempête qui s’est abattue sur l’Île-du-Prince-Édouard ce jour-là et ses conséquences sur la capacité du fonctionnaire à se rendre au travail, il aurait été raisonnable de lui accorder un congé pour toute la journée en vertu de la clause 54.01a) de la convention collective.

33         Je comprends que des employés peuvent s’absenter en raison d’une tempête de neige et que l’employeur ne souhaite peut-être pas croire sur parole chaque employé qui dit qu’il n’a pas été en mesure de se rendre au travail en raison d’une tempête. Cependant, tel qu’il a été déclaré dans Coppin, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, l’employeur doit examiner chaque demande et les faits connexes individuellement et sa décision doit être fondée sur le bien-fondé de chaque demande.

34         Selon les éléments de preuve, je suis convaincue que le fonctionnaire a fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail et que la tempête de neige l’a empêché de se rendre à son lieu de travail.

35          À part appliquer rigoureusement sa politique sur les tempêtes, le fondement sur lequel l’employeur s’appuie pour conclure que le fonctionnaire n’a pas fait suffisamment d’efforts pour se rendre au travail n’est pas clair. L’employeur a souligné que le fonctionnaire n’avait pas appelé le centre fiscal de Summerside pour savoir s’il pouvait y travailler ce jour-là. Il n’a pas non plus fait du télétravail. D’autre part, la représentante de l’employeur ne savait pas si ces options avaient été prises en considération ou si elles étaient même possibles à la période pertinente.

36         En conséquence, je conclus que le fonctionnaire a fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail le 4 décembre 2013, mais qu’une tempête de neige l’a empêché de le faire. La décision de l’employeur de lui refuser en partie un congé en vertu de la clause 54.01 de la convention collective et de lui accorder plutôt un congé de maladie payé pour le reste des heures de la journée était déraisonnable dans les circonstances.

37         Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

38         Le grief est accueilli.

39         L’employeur versera 3,5 heures au solde des crédits de congé de maladie du fonctionnaire et il lui accordera un congé pour ces heures en vertu de la clause 54.01a) de la convention collective.

Le 17 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Nathalie Daigle,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.