Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que sa situation n’avait pas été évaluée de façon équitable et que le processus d’évaluation comportait une crainte raisonnable de partialité, ce qui avait donné lieu à un abus de pouvoir – selon la plaignante, il est possible que les membres du comité d’évaluation aient eu une opinion négative à son égard parce qu’ils étaient au courant qu’elle avait déposé des plaintes et des griefs contre la direction – la plaignante a aussi allégué qu’ils n’avaient pas corrigé ses réponses de façon objective, mais bien en fonction de normes subjectives, notamment en se consultant avant de parvenir à un consensus sur les notes à attribuer à ses réponses – la Commission a conclu que rien dans la preuve n’indiquait qu’il y avait eu partialité, et qu’un observateur n’aurait pas pu raisonnablement percevoir de la partialité de la part des membres du comité d’évaluation – aucun d’eux n’avait été visé par les plaintes ou les griefs de la plaignante, et il n’y avait eu aucun conflit apparent entre elle et l’un d’eux – la Commission a aussi conclu que la méthode d’évaluation des réponses de la plaignante aux questions de l’entrevue était objective et que le processus d’entrevue était équitable – une grille de réponse a été utilisée pour évaluer ses réponses – les membres ont d’abord évalué ses réponses individuellement et lui ont attribué des notes initiales – ils se sont ensuite consultés pour déterminer les notes finales à attribuer à ses réponses – dans l’ensemble, la preuve indiquait que la candidature de la plaignante n’avait pas été retenue parce qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage à certaines questions de l’entrevue.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180821
  • Dossier:  EMP-2015-10093
  • Référence:  2018 FPSLREB 69

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

SHERRY GREEN

plaignante

et

SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Green c. Sous-ministre de la Défense nationale


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Louis Bisson, avocat
Pour l'intimé:
Karl Chemsi, avocat
Pour la Commission de la fonction publique:
Luc Savard, observations écrites
Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
les 10 et 11 avril 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Sherry Green, la plaignante, a posé sa candidature au processus de nomination interne annoncé pour le poste de superviseure des techniciens civils des munitions (GT-03) auprès du ministère de la Défense nationale à Victoria, en Colombie-Britannique. Il a été conclu qu’elle n’était pas qualifiée pour le poste. Elle allègue que l’intimé, le sous-ministre du MDN, n’a pas évalué sa situation de façon équitable et n’a pas veillé à ce que son évaluation soit impartiale. À son avis, le processus d’évaluation comportait une crainte raisonnable de partialité, ce qui a donné lieu à un abus de pouvoir.

2        L’intimé nie qu’il y a eu abus de pouvoir.

3        La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas comparu à l’audience, mais a présenté des observations écrites dans lesquelles elle a abordé ses différentes politiques et lignes directrices pertinentes. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte.

4        Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée. La plaignante n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination en cause.

II. Contexte

5        Une annonce de possibilité d’emploi (APE) pour le poste de superviseur des techniciens civils des munitions a été affichée sur le site Web des emplois de la fonction publique, avec une date de clôture du 24 juillet 2015. La plaignante a posé sa candidature et a été présélectionnée. Elle a réussi l’examen et a été convoquée à une entrevue.

6        Pendant l’entrevue, les candidats ont été évalués par rapport aux cinq critères relatifs à l’expérience, aux quatre critères relatifs aux qualités personnelles et aux deux critères relatifs aux aptitudes figurant dans l’APE. Il a été conclu que la plaignante ne respectait pas trois des critères d’expérience et deux des critères relatifs aux qualités personnelles. Sa candidature n’a pas été retenue.

7        Le 1er décembre 2015, une Notification de nomination ou de proposition de nomination (NNPN) a été publiée pour les deux candidats retenus.

8        Le 16 décembre 2015, la plaignante a déposé une plainte d’abus de pouvoir auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique conformément à l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12. 13; LEFP).

9        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

III. Question

10        Je dois trancher la question suivante : l’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’application des critères de mérite au motif d’une crainte raisonnable de partialité?

IV. Résumé de la preuve

A. La plaignante

11        La plaignante a présenté un témoignage à l’audience. Elle a expliqué qu’elle travaille pour le MDN depuis 2009. Elle est actuellement une technicienne civile des munitions (classifiée GT-02) et elle travaille au Dépôt des munitions des Forces canadiennes (le « Dépôt ») à Rocky Point, en Colombie-Britannique.

12        Elle a déclaré que deux mois après avoir commencé à travailler pour le MDN en 2009, elle a été blessée au travail, sur le quai. Elle a présenté une demande de prestations de la commission provinciale des accidents du travail (CAT). Dans sa décision, la CAT a reconnu que sa maladie était liée au travail.

13        En raison de son accident, elle a utilisé tous ses congés de maladie en 2012. Elle a expliqué que l’intimé lui avait demandé de subir une évaluation de Santé Canada en 2013. Selon cette évaluation, elle n’était pas apte à retourner au travail. Depuis, elle est en congé de maladie prolongé. Elle a tenté de revenir au travail deux fois depuis 2013, mais n’y est pas parvenue.

14        La plaignante a expliqué qu’au cours des années, elle a présenté plusieurs plaintes et griefs contre deux superviseurs avec qui elle a travaillé au Dépôt. Au moins deux des griefs ont été renvoyés à l’arbitrage. Les deux superviseurs ont pris leur retraite en 2013 et n’ont pas participé au processus de dotation en question.

15        La plaignante a terminé avec succès la formation de technicienne civile des munitions de niveau 3 (TCM 3) avant de poser sa candidature au processus de dotation pour le poste GT-03.

16        Le comité qui a évalué la plainte était composé de Sandra Nelson, de Michel Gingras et de David Ramalho. Au moment du processus de dotation en question, les trois personnes travaillaient au Dépôt; Mme Nelson et M. Gingras occupaient un poste intérimaire, elle était officière de la sécurité des explosifs et il était un officier du traitement du matériel (il était également conseiller pour le programme de retour au travail). M. Ramalho était un officier du contrôle du matériel.

17        À l’origine, la plaignante a allégué que l’intimé avait suscité une crainte raisonnable de partialité lorsqu’il a permis à un membre du comité de prendre part à son évaluation alors que ce dernier avait déjà été visé par des plaintes ou des griefs de discrimination présentés antérieurement par la plaignante. Elle a également allégué que le membre du comité était en situation de conflit d’intérêts pendant le processus de dotation en raison de ses plaintes et griefs et qu’il ne l’a donc pas évalué de manière appropriée.

18        À l’audience, le représentant de la plaignante a précisé ce que cette dernière voulait dire au moment de formuler ces allégations. Même si aucun membre du comité n’a été visé par ses plaintes et ses griefs, ils étaient au courant qu’elle avait déposé plusieurs plaintes et griefs contre la direction. Deux membres ont également participé, dans une certaine mesure, à ses plaintes ou griefs. Elle croit que le comité d’évaluation n’a pas veillé à ce que son évaluation soit impartiale.

19        La plaignante a mentionné que lorsqu’elle a appris la composition du comité d’entrevue, avant l’entrevue, elle a dit à son représentant syndical et à un conseiller en ressources humaines qu’elle craignait que le comité soit impartial à son égard. Interrogée à ce sujet à l’audience, elle s’est corrigée et a dit qu’elle avait exprimé ses préoccupations quant à la composition du comité uniquement après l’entrevue. Elle a expliqué que son représentant syndical et le conseiller en ressources humaines lui avaient dit que son seul recours consistait à déposer une plainte dans les 15 jours suivant la publication de la NNPN.

20        La plaignante a également déclaré qu’un membre du comité lui avait posé une question inappropriée durant l’entrevue, sans toutefois pouvoir préciser qui; elle a noté qu’il pouvait s’agir de Mme Nelson ou de M. Gingras. Elle a dit qu’une personne lui avait demandé si elle réussirait à s’intégrer avec succès au lieu de travail étant donné qu’elle avait été absente du travail pendant plusieurs années. Elle n’a pas su quoi répondre.

21        À l’audience, la plaignante a expliqué plus en détail pourquoi elle croyait que chaque membre du comité d’évaluation pouvait être biaisé à son égard.

22        En ce qui concerne M. Ramalho, elle a expliqué qu’avant sa nomination en tant qu’officier du contrôle du matériel, il était le président de la section locale du syndicat responsable du Dépôt. En cette qualité, il a assuré sa représentation dans le cadre de plusieurs procédures qu’elle a intentées contre ses deux superviseurs, dont une plainte pour harcèlement et un grief qui portait sur l’obtention et l’octroi de congés de maladie et l’omission prendre des mesures d’adaptation à l’égard de sa déficience. Dans le cadre d’un autre grief, elle a allégué qu’elle avait fait l’objet de discrimination, d’intimidation et de harcèlement.

23        La plaignante a déposé en preuve deux de ces griefs (numéros 5475 et 5591). Sur chacun d’eux, la signature de M. Ramalho figure sous la phrase suivante : [traduction] « Par la présente, j’autorise la présentation du grief relatif à une convention collective ou à une décision arbitrale, et j’accepte de représenter l’employé ». Chaque grief a été accueilli en partie au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

24        La plaignante a expliqué que puisque M. Ramalho l’avait déjà représentée et qu’il faisant maintenant [traduction] « équipe » avec la direction, il s’agissait d’une forme de trahison. Elle croyait qu’il était peu probable qu’il puisse évaluer sa situation de façon impartiale. Toutefois, elle a reconnu que ses plaintes et ses griefs ne le visaient pas.

25        À l’appui de ses arguments, la plaignante a également déposé en preuve un courriel qu’elle a reçu de M. Ramalho le 28 juin 2015, qui démontre qu’à cette époque, il partageait son avis quant au comportement douteux d’un ancien membre de la direction.

26        En ce qui concerne M. Gingras, la plaignante a expliqué qu’il était le conseiller pour le programme de retour au travail au Dépôt. En cette qualité, il devait s’occuper du retour au travail des employés après une période d’absence. La plaignante a eu affaire avec lui puisqu’elle a été absente du travail pendant des années et qu’elle a tenté un retour au travail.

27        En particulier, la plaignante a souligné qu’après son accident et après avoir présenté sa demande à la CAT, elle a découvert que M. Gingras avait formulé des commentaires négatifs à son sujet à la CAT. Plus précisément, avant que la CAT n’approuve sa demande, et à la demande de l’un des deux superviseurs visés par ses plaintes et griefs, M. Gingras a communiqué avec la CAT. La plaignante a dit qu’il avait fait cette démarche pour communiquer le point de vue de la direction selon lequel elle n’était pas crédible et qu’elle souhaitait obtenir une compensation monétaire pour couvrir son congé de la période des Fêtes de l’époque.

28        À l’appui de sa prétention, la plaignante a invoqué le grief numéro 5591, qu’elle a présenté le 10 juillet 2013, dans lequel elle a présenté un long récit des faits menant au grief. Elle a inclus l’événement suivant, qu’elle a inscrit à côté de la date du 29 novembre 2012 : [traduction] « Mike Gingras a téléphoné à la CAT pour s’enquérir de l’état de réouverture de la demande. Il a dit que l’employeur pensait que je voulais que la CAT couvre ces heures de congé de maladie pour avoir un congé payé à Noël! ».

29        Selon la plaignante, puisque M. Gingras a appelé la CAT et qu’il a fait une déclaration à ce sujet plus tard, il était peu probable qu’il l’évalue de façon impartiale. Toutefois, elle a reconnu qu’il s’agit des seuls gestes qu’elle reproche à M. Gingras et que ses plaintes et griefs ne le visaient pas.

30        La plaignante a déclaré qu’il n’y avait aucun conflit entre Mme Nelson et elle. Elle a également reconnu que ses plaintes et ses griefs ne visaient pas Mme Nelson.

31        Pour les raisons que j’ai notées, la plaignante croit qu’elle n’a pas fait l’objet d’une évaluation équitable pour le poste. Selon elle, dans le cadre du processus de dotation, l’intimé aurait dû veiller à ce qu’aucun membre du comité d’évaluation n’ait une impression négative à son sujet. Selon le cas, l’intimé aurait pu demander à d’autres employés classifiés au groupe GT provenant d’autres dépôts de munitions de l’évaluer. Elle a déclaré qu’il y avait trois autres dépôts au Canada.

B. Les membres du comité d’évaluation

32        Les trois membres du comité d’évaluation ont témoigné à l’audience. Ils ont expliqué qu’avant d’interviewer la plaignante, ils se sont présentés et ont expliqué comment se déroulerait l’entrevue. Ils ont ensuite demandé à la plaignante si elle avait des questions au sujet du processus d’entrevue. Elle a répondu qu’elle n’en avait aucune et ils ont procédé à l’entrevue.

33        Les trois membres ont souligné qu’ils avaient écrit les réponses de la plaignante pendant l’entrevue. Ils ont ensuite noté individuellement ses réponses. Après l’entrevue, ils sont parvenus à un consensus sur la notation de chaque question. Mme Nelson a expliqué que les notes étaient semblables et qu’il avait été facile de parvenir à un consensus.

34        Il a été conclu que la plaignante ne respectait pas trois des critères relatifs à l’expérience et deux critères relatifs aux qualités personnelles pour le poste. Ses notes pour les critères 1, 2 et 5 relatifs à l’expérience étaient, respectivement, de 8 sur 20 (la note de passage était 12), de 17 sur 32 (la note de passage était 19) et de 15 sur 30 (la note de passage était 18). Elle a obtenu des notes plus élevées que les notes de passage pour les critères 3 et 4 relatifs à l’expérience. Ses notes pour les critères 3 et 4 relatifs aux qualités personnelles étaient respectivement de 10 sur 20 dans les deux cas (la note de passage était 12). Elle a obtenu les notes de passage pour les critères 1 et 2 relatifs aux qualités personnelles et pour les critères 1 et 2 relatifs aux habiletés. Puisqu’elle ne possédait pas certaines des qualifications essentielles, sa candidature n’a pas été retenue.

35        Le 15 septembre 2015, la plaignante a été informée que le comité d’évaluation avait conclu qu’elle ne respectait pas les cinq qualifications essentielles suivantes : (1) expérience de la réparation mécanique, des modifications et de l’entretien mécaniques, de l’essai de munitions, d’explosifs, de missiles et d’articles connexes; (2) expérience de la délivrance, de la réception, de l’entreposage et de l’inspection des munitions, des explosifs, des missiles et des articles connexes; (3) expérience de la supervision; (4) jugement; et (5) initiative.

1. Mme Nelson

36        Mme Nelson, qui était la présidente du comité d’évaluation et qui possède 20 ans d’expérience dans la classification GT, a expliqué en quoi le comité avait considéré que certaines des réponses de la plaignante étaient faibles. Elle a expliqué qu’un guide de réponse avait été préparé, afin que les membres du comité évaluent les réponses des candidats en les comparant aux réponses suggérées. Certaines des réponses de la plaignante n’étaient pas conformes au guide.

37        En particulier, Mme Nelson a expliqué qu’en ce qui concerne les deux premières expériences relatives aux munitions, les réponses de la plaignante étaient considérées comme faibles puisque les activités décrites en ce qui concerne l’accomplissement de certaines manœuvres étaient non sécuritaires ou inadéquates. Renvoyant à ses notes, Mme Nelson a donné plusieurs exemples, notamment une des réponses de la plaignante où cette dernière a mentionné qu’elle retirerait ses gants pour manipuler une douille spéciale. Mme Nelson a précisé qu’agir ainsi était dangereux. Elle a ajouté que les réponses de la plaignante démontraient qu’elle ne comprenait pas bien les conséquences possibles des risques qu’elle prenait en accomplissant ses tâches ou activités.

38        Mme Nelson a aussi expliqué pourquoi la plaignante ne satisfaisait pas à la qualification relative à l’expérience de supervision. La question suivante a été posée pour évaluer cette expérience : [traduction] « Deux techniciens en munitions classifiés au groupe et au niveau GT-02 travaillent avec vous dans votre direction. Les deux vous ont abordé à des moments différents au cours des deux derniers jours pour vous informer qu’ils ont un conflit l’un avec l’autre. En tant que superviseur, quelle est votre responsabilité? ».

39        La grille de réponse proposait les réponses suivantes : (i) tenir une réunion avec chaque employé individuellement pour déterminer les problèmes; (ii) demander aux employés s’ils veulent participer à une rencontre; (iii) le cas échéant, tenir une réunion; (iv) aviser le superviseur principal du résultat de la réunion; (v) faire le suivi afin de s’assurer que le conflit est réglé.

40        Mme Nelson a expliqué que la réponse de la plaignante à cette question a été considérée comme faible parce qu’elle comportait des éléments qui n’étaient pas conformes aux réponses souhaitées. Par exemple, elle a mentionné qu’elle envisagerait d’imposer une mesure disciplinaire et de déplacer les employés, au besoin. Mme Nelson a indiqué qu’un superviseur de premier niveau ne pouvait appliquer de telles mesures. Comme la réponse de la plaignante reprenait quelques éléments de la grille, le comité d’évaluation lui a accordé 5 points sur 10 pour sa réponse.

41        Mme Nelson a expliqué qu’en tant que présidente du comité d’évaluation, elle a sélectionné les autres membres du comité. Elle a dit qu’afin d’être en mesure d’évaluer correctement les réponses des candidats aux postes GT-03, les membres du comité devaient être classifiés au groupe GT, à un niveau supérieur à GT-03. M. Gingras et M. Ramalho ont répondu aux exigences. Elle avait également besoin de quelqu’un qui pouvait parler français, et M. Gingras était un gestionnaire francophone. M. Gingras et M. Ramalho avaient l’expérience des processus de nomination et une connaissance technique approfondie de la nature des munitions et des dangers connexes.

42        Enfin, Mme Nelson a affirmé que les seules questions posées à la plaignante étaient celles qui figuraient dans le guide de questions et réponses. Elle n’a pas été interrogée sur sa santé ou la question de savoir si elle pouvait s’intégrer avec succès au lieu de travail étant donné qu’elle avait été absente du travail pendant plusieurs années.

2. M. Gingras

43        M. Gingras a expliqué qu’il s’est joint à l’armée en 1974. Il a quitté l’armée 29 ans plus tard et il fait maintenant partie du personnel civil. Il travaille dans le secteur des munitions depuis 37 ans.

44        Depuis 2010, M. Gingras est le conseiller pour le programme de retour au travail au Dépôt. En cette qualité, il aide les superviseurs à déterminer et à offrir un travail modifié lorsqu’ils reçoivent des demandes de mesures d’adaptation. L’objectif consiste à permettre à un employé blessé ou malade à demeurer au travail ou à y retourner en accomplissant des tâches appropriées tout en tenant compte de ses capacités fonctionnelles. M. Gingras doit également répondre aux questions au sujet de la gestion d’une maladie, d’une blessure ou de toute autre condition médicale ou déficience dans le lieu de travail.

45        M. Gingras a affirmé qu’il n’avait jamais eu de conflit avec la plaignante et qu’elle n’avait jamais présenté de grief ou déposé de plainte contre lui. Il a indiqué dans son témoignage qu’il ne se rappelait pas avoir eu de problèmes dans le passé avec elle. En ce qui concerne la demande de mesure d’adaptation qu’elle a présentée dans le passé, M. Gingras a expliqué que la plaignante avait demandé à travailler uniquement des demi-journées, à raison de trois jours par semaine. Il a expliqué que l’employeur avait accordé sa demande et lui avait trouvé du travail. Toutefois, après une semaine de travail, elle a choisi de ne pas continuer.

46        M. Gingras a également expliqué pourquoi il a appelé la CAT à la demande de la direction le 29 novembre 2012. Comme la plaignante avait utilisé tous ses crédits de congé de maladie en 2010 et en 2011, la direction lui avait avancé un nombre important de crédits de congé de maladie en 2012. En novembre 2012, la direction devait décider si elle pouvait lui avancer d’autres crédits de congé de maladie tout en respectant la convention collective et la pratique.

47        Ainsi, le gestionnaire responsable de prendre cette décision a demandé à M. Gingras de vérifier auprès de la CAT si la demande de la plaignante serait acceptée. Dans l’affirmative, la direction aurait exercé son pouvoir discrétionnaire de lui avancer d’autres crédits de congé de maladie, ce qui aurait été possible puisque tous les crédits de congé de maladie qu’elle avait utilisés au cours des dernières années lui auraient été remis, ce qui l’aurait aidée.

48        Toutefois, M. Gingras a appris qu’aucune décision n’avait encore été prise au sujet de la demande. Il a demandé à la CAT d’accélérer le traitement du dossier de la plaignante. Au bout du compte, la direction n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de lui avancer plus de crédits de congé de maladie.

49        Un an ou deux plus tard, probablement lorsque la plaignante a présenté un grief contre un membre de la direction, M. Gingras a été interrogé au sujet de l’appel qu’il a fait à la CAT. Il a rédigé une déclaration qu’il a remise aux Ressources humaines. Il n’a rien fait d’autre et n’en a plus entendu parler par la suite.

50        Pour ce qui est des questions qui ont été posées à la plaignante pendant l’entrevue, M. Gingras a dit qu’aucune question au sujet de son état de santé ne lui a été posée. Il a affirmé que les seules questions qui lui ont été posées étaient celles qui figuraient dans le guide de questions et réponses.

3. M. Ramalho

51        M. Ramalho a expliqué qu’il a été membre de la Marine royale canadienne de 1975 à 1996. Par la suite, il a travaillé à son compte pendant quelques années. Il a commencé à travailler auprès du ministère en 2001 dans un poste classifié au groupe GT. En juillet 2015, il est devenu l’officier de contrôle du matériel au Dépôt (un poste classifié GT-05). Il a souligné qu’il travaille dans le domaine des munitions depuis 1991.

52        M. Ramalho a noté que de 2006 à 2014, il était également le président de la section locale de l’Union des employés de la Défense nationale, un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui représente le personnel civil qui appuie le MDN. En cette qualité, il a représenté la plaignante lors de la présentation de ses griefs. Interrogé au sujet de ces griefs, il a mentionné qu’elle en avait présenté probablement une douzaine. Il a dit qu’il avait représenté de nombreux fonctionnaires s’estimant lésés au cours des années et que son objectif consistait à les aider à trouver un compromis pour qu’ils puissent aller de l’avant avec leur employeur. Il n’a jamais refusé de représenter un membre du syndicat.

53        M. Ramalho a mentionné qu’il était heureux que la plaignante soit une candidate pour le poste GT-03. Il n’avait aucun problème quant à son rendement et il était satisfait de son travail.

54        Il a expliqué que durant l’entrevue de la plaignante, certaines de ses réponses aux questions étaient très bonnes, mais que d’autres étaient incorrectes. Comme les autres membres du comité, il a pris des notes de ses réponses. Les membres du comité ont évalué individuellement ses réponses après les avoir comparées à celles du guide de réponse. Après l’entrevue, ils lui ont attribué une note conjointe qui a été établie par consensus. Il n’y avait aucun litige en ce qui concerne les notes qu’ils ont établies par consensus.

55        M. Ramalho a également affirmé que les seules questions posées à la plaignante étaient celles figurant dans le guide de questions et réponses, en plus des questions générales comme : [traduction] « Souhaitez-vous ajouter quelque chose à votre réponse? ». C’est tout.

III. Position des parties

56        Le paragraphe 77(1) de la LEFP prévoit qu’une personne dans la zone de recours peut présenter une plainte à la Commission selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir. La LEFP ne prévoit aucune définition de l’expression « abus de pouvoir », mais elle indique ce qui suit au paragraphe 2(4) : « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel » [le passage en caractère gras l’est dans l’original].

57        Dans le cadre d’une plainte pour abus de pouvoir, le plaignant doit s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe; voir Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 8, aux paragraphes 48 à 55.

A. Pour la plaignante

58        La plaignante a soutenu qu’il y avait deux raisons pour lesquelles l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application des critères de mérite au motif d’une crainte raisonnable de partialité. D’abord, le comité d’évaluation était composé de personnes qui n’étaient pas impartiales à son égard. Ensuite, ces personnes n’ont pas évalué ses réponses de façon objective.

59        À l’appui de sa première allégation, la plaignante a fait valoir qu’elle éprouvait de réels problèmes au travail, qui ont mené à ses plaintes et à ses griefs. Afin de démontrer que les difficultés qu’elle a éprouvées au travail étaient importantes, elle a déposé en preuve les réponses qu’elle a reçues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs pour le grief numéro 5591. Dans cette lettre, le directeur général, Gestion du milieu de travail, a accueilli en partie son grief. Il a conclu qu’elle avait fait l’objet de commentaires et de comportements inappropriés de la part de son superviseur aux deux occasions suivantes : (1) le 22 novembre 2012, lorsque son superviseur a remis en question de façon inappropriée sa demande de congé pour obligations familiales; (2) le 11 mars 2013, lorsque son superviseur a discuté de façon inappropriée de la possibilité de donner du sang et de participer à une activité dans le lieu de travail (un tournoi de balle molle).

60        La plaignante a fait valoir qu’en raison de ces plaintes et de ses griefs, il est possible que les membres du comité d’évaluation aient une opinion négative à son égard. Ils étaient au courant qu’elle avait déposé et présenté un grand nombre de plaintes et griefs contre la direction.

61        La plaignante m’a renvoyée à la décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) dans Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale et al., 2009 TDFP 29, aux paragraphes 133 à 140, où le TDFP a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve directe pour démontrer la partialité, et qu’une crainte raisonnable de partialité suffit. Elle a souligné qu’elle n’avait pas à soulever ses préoccupations en matière de partialité avant la tenue de l’entrevue. Elle a invoqué le paragraphe 139 de Denny, où le TDFP a conclu que les Lignes directrices en matière d’évaluation, le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation et le document Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination déposés par la CFP précisaient clairement que la responsabilité d’assurer une évaluation exempte de parti pris incombe à l’administrateur général, au gestionnaire délégataire et aux membres du comité d’évaluation.

62        La plaignante a fait ressortir que dans Denny, le plaignant a allégué avoir eu un conflit antérieur avec un membre du comité l’ayant évalué dans le cadre d’un examen pratique et que, par conséquent, il n’a pas été évalué de façon impartiale. Le TDFP a tenu pour avéré que le plaignant et l’évaluateur se sont trouvés en situation de conflit avant le processus de nomination. Le TDFP a également conclu qu’une personne bien informée qui examine la preuve de manière réaliste et pratique, conclurait que, vraisemblablement, l’évaluateur, consciemment ou non, n’aurait pas administré l’examen pratique de manière équitable à l’égard du plaignant. Le TDFP a aussi conclu que d’autres personnes qualifiées auraient pu administrer l’examen.

63        La plaignante a fait valoir que d’autres personnes qualifiées auraient pu mener l’entrevue. L’intimé aurait pu les trouver à un autre dépôt de munitions. Selon elle, si l’entrevue avait été menée par d’autres employés d’un autre dépôt au Canada, la crainte de partialité aurait été réduite.

64        La plaignante a ajouté que dans Tibbs, au paragraphe 70, le TDFP a donné des exemples d’abus de pouvoir qui comprennent un résultat inéquitable (incluant des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives). En l’espèce, elle a fait valoir que la question au sujet de sa santé qui lui a été posée durant l’entrevue était discriminatoire et déplacée et donnait à penser que la personne croyait que sa condition était problématique et qu’elle ne lui permettait pas d’accomplir les fonctions de son poste.

65        Elle a ajouté que bien qu’elle n’ait pas suggéré dans sa plainte et ses allégations que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son endroit, elle a allégué qu’il y avait eu abus de pouvoir, notamment une mesure discriminatoire inappropriée.

66        La plaignante m’a aussi renvoyée à la décision du TDFP dans Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6, aux paragraphes 55, 57 et 58. Dans cette affaire, il était allégué que la participation de deux membres du comité d’évaluation a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité en raison de conflits antérieurs avec le plaignant. Le TDFP a conclu qu’une crainte raisonnable de partialité avait été établie en raison de l’existence de ces conflits. La plaignante a mis en évidence le fait qu’au paragraphe 50 de cette affaire, le TDFP a noté ce qui suit : « Par ailleurs, les Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP stipulent que les personnes responsables de l’évaluation ne doivent pas être en conflit d’intérêts et doivent être en mesure de remplir les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste ».

67        La plaignante a fait valoir qu’une personne informée examinerait les éléments de preuve suivants avant de rendre une décision sur la partialité : (i) le fait qu’elle avait déposé et présenté un grand nombre de plaintes et de griefs contre la direction et que les membres du comité d’évaluation étaient au courant; (ii) le fait qu’un membre du comité, peut-être M. Gingras ou Mme Nelson, lui avait posé une question discriminatoire; (iii) le fait que M. Gingras avait appelé la CAT pour dire quelque chose de négatif à son sujet et qu’il a par la suite fait une déclaration à cet égard, qu’il a partagée avec les Ressources humaines. À son avis, une personne informée qui étudierait cette preuve de façon réaliste et pratique croirait que, vraisemblablement, le comité d’évaluation, consciemment ou non, n’a pas évalué sa situation de façon équitable durant son entrevue.

68        La plaignante a ajouté que puisque M. Ramalho l’a représentée dans le passé, son évaluation pouvait être empreinte d’une apparence de partialité positive. Elle a fait valoir que la partialité est habituellement négative, mais qu’elle peut également être positive. Par conséquent, elle a fait valoir qu’il y a apparence de partialité dans le processus de nomination et que l’obligation de tenir un processus de nomination équitable n’a pas été remplie.

69        La plaignante a soutenu que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application des critères de mérite pour une deuxième raison. À son avis, les membres du comité d’évaluation n’ont pas corrigé ses réponses de façon objective, mais bien en fonction de normes subjectives. Elle a ajouté que la notation subjective affaiblit toujours la fiabilité et que, par conséquent, elle affaiblit la validité ultime de l’interprétation et des conclusions. En particulier, elle a souligné que les membres du comité avaient discuté de sa note définitive pour chaque question. Ils se sont consultés avant de parvenir à un consensus sur les notes à attribuer à ses réponses. Par exemple, pour la question 2, Mme Nelson et M. Gingras lui ont donné une note de 4, mais M. Ramalho lui a donné une note de 5. Toutefois, après discussion, il y a eu consensus selon lequel la note devrait être de 4.

70        Selon la plaignante, cette notation subjective de ses réponses est problématique. À son avis, un observateur relativement bien renseigné qui étudierait la situation pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’une ou plusieurs personnes ayant participé à son évaluation.

71        Enfin, la plaignante a précisé qu’elle ne contestait pas l’évaluation par le comité des personnes nommées.

B. Pour l’intimé

72        L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans ce processus. Il a souligné que les plaintes et les griefs présentés par la plaignante ne visaient aucun membre du comité d’évaluation, mais plutôt des superviseurs qui n’ont pas participé au processus de dotation.

73        Il a fait valoir que le processus de nomination était structuré. La candidature de la plaignante n’a pas été retenue parce qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage pour certaines questions de l’entrevue.

74        De plus, avant ou pendant l’entrevue, la plaignante n’a soulevé aucune préoccupation quant à la composition du comité d’évaluation. Le comité lui a donné la possibilité de poser des questions et elle n’en avait aucune à poser.

75        L’intimé a souligné que la plaignante a indiqué dans son témoignage qu’elle n’avait aucun problème avec Mme Nelson. La plaignante a seulement dit que Mme Nelson pouvait avoir posé la question inappropriée, sans toutefois en être certaine.

76        L’intimé a également noté que la plaignante a confirmé que ses griefs et plaintes ne visaient pas M. Gingras. Il n’était pas son superviseur. Elle a déclaré que puisqu’il était le conseiller pour le programme de retour au travail du Dépôt, il n’aurait pas dû l’évaluer. Toutefois, il accomplissait uniquement le travail administratif normal d’un tel conseiller, rien de plus.

77        Plus précisément, M. Gingras faisait son travail lorsqu’il a appelé la CAT à la demande de la direction. À un certain moment, on lui a demandé de préparer une déclaration de sa conversation avec le représentant de la CAT, qu’il a ensuite partagée avec les Ressources humaines. Il a fait son travail et il l’a fait de manière transparente. Rien ne démontre qu’il avait un conflit avec la plaignante; il n’avait pas une relation difficile avec elle.

78        L’intimé a également mentionné que M. Ramalho n’avait pas une relation difficile avec la plaignante. M. Ramalho l’a même aidée et appuyée au cours des années. Elle n’avait aucun problème avec lui.

79        L’intimé a ajouté que la plaignante avait déclaré que les membres du comité lui avaient posé une question inappropriée, mais elle ne se rappelle pas qui l’a posée et n’en a parlé à personne après l’entrevue. Selon l’intimé, aucune preuve concrète n’a établi qu’une telle question a été posée. De plus, les trois membres ont dit qu’ils ne l’avaient pas posée. Ils ont expliqué que, conformément aux instructions, ils ont posé des questions prédéterminées. Ils ont ajouté que le processus était juste et impartial. En outre, l’intimé a fait valoir que la plaignante avait tenté de formuler une nouvelle allégation en faisant valoir que la question était discriminatoire. Quoi qu’il en soit, rien dans la preuve n’indique qu’une question discriminatoire lui a été posée durant l’entrevue.

80        En réponse à l’argument de la plaignante selon lequel M. Ramalho pouvait avoir fait preuve d’une partialité positive à son égard, l’intimé a répondu que la partialité est habituellement négative et que même si elle peut être positive, il ne s’agit pas d’une preuve de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir.

81        L’intimé a invoqué Bizimana c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2014 TDFP 3 au paragraphe 76, et a soutenu que la question à poser est la suivante :

[76]    […] le Tribunal doit déterminer si un observateur relativement bien renseigné qui examinerait le processus de nomination en cause croirait que, selon toute vraisemblance, les membres du comité qui ont rencontré la plaignante en entrevue ne l’ont pas évaluée de façon équitable, que ce soit consciemment ou non.

82        L’intimé a aussi invoqué Saunders c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 13, à l’appui de sa position selon laquelle le fait que la plaignante ait présenté des griefs et plaintes contre la « direction » ne suffit pas en soi pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il a porté à mon attention les paragraphes 39 et 40 de cette décision, qui sont libellés comme suit :

[39]    La plaignante soutient que le simple fait de savoir qu’elle avait déposé des griefs et des plaintes contre la direction rendait la Lcol Ross et Mme Williams partiales à son égard, puisqu’elles font partie de la direction. Le Tribunal ne souscrit pas à cette proposition. La présentation d’un grief ou d’une plainte ne suffit pas en soi pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part d’un membre de la direction.

[40]    La preuve concernant les griefs et les plaintes présentés par la plaignante ne porte que sur l’allégation de retard dans la mise à jour du SRV et, dans un cas, sur une allégation de harcèlement. La preuve n’indique aucunement que les relations entre la plaignante et la Lcol Ross ou Mme Williams étaient difficiles. Comme il a déjà été mentionné, les griefs et les plaintes ne concernaient pas directement la Lcol Ross ni Mme Williams elles-mêmes. La preuve dont dispose le Tribunal n’est donc pas suffisante pour établir que ces griefs et plaintes ont influé sur la façon dont la Lcol Ross et Mme Williams ont évalué les qualifications de la plaignante.

83        L’intimé m’a également renvoyée à Jean Pierre c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TDFP 28, au paragraphe 45, où le TDFP a noté que les employés ne sont pas toujours d’accord avec leur superviseur, mais que le traitement d’une telle contestation fait partie des tâches régulières d’un superviseur. Le TDFP a noté ce qui suit :

[45]    Le plaignant soutient que Mme Giroux n’était pas impartiale à son égard parce qu’il a contesté deux rapports d’évaluation de son rendement. Le Tribunal note d’abord que le plaignant n’a pas informé le comité d’évaluation lors de son entrevue, laquelle a eu lieu avant la prise de références, qu’il s’objectait à ce que Mme Giroux agisse à titre de répondante. Il n’a fait part de ses préoccupations au comité d’évaluation qu’après avoir reçu une référence défavorable. Cela étant dit, il va de soi que les employés ne sont pas toujours d’accord avec l’évaluation de leur rendement effectuée par leur superviseur. Il arrive à l’occasion qu’un employé conteste cette évaluation. Cela fait partie du schème normal des relations de travail, et traiter une telle contestation fait partie des tâches régulières d’un superviseur. Le plaignant n’a pas établi que sa contestation avait affecté l’impartialité de Mme Giroux à son égard.

84        Pour toutes ces raisons, l’intimé a soutenu qu’un observateur relativement bien renseigné qui étudierait ce processus de nomination en cause ne croirait pas que, selon toute vraisemblance, les membres du comité qui ont interviewé la plaignante l’ont évaluée de façon inéquitable, que ce soit consciemment ou non.

C. Les observations écrites de la CFP

85        La CFP a fait valoir que bien qu’ils aient un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le choix des outils d’évaluation, les administrateurs généraux doivent respecter ses Lignes directrices en matière d’évaluation, qui prévoient que les évaluations doivent être élaborées et appliquées de façon impartiale, exemptes d’influence politique ou de favoritisme personnel et qu’elles ne doivent pas entraîner d’obstacles systémiques. La CFP indique également que les processus et les méthodes d’évaluation doivent évaluer efficacement les qualifications essentielles et autres critères de mérite et doivent être administrés équitablement.

86        La CFP a également déposé un document intitulé « Série d’orientation Évaluation, sélection et nomination ». Elle a souligné que le guide fournit une orientation pour aider les gestionnaires à prendre des décisions de nomination impartiales et exemptes d’obstacles systémiques. Par exemple, les gestionnaires peuvent faire ce qui suit :

                   [Traduction]

[...]

  • [s’assurer] que les membres des comités d’évaluation ont été sensibilisés à l’exigence d’une évaluation impartiale;
  • [...]

  • [s’assurer] que les relations entre les candidats et les membres du comité d’évaluation n’influencent pas le processus d’évaluation ou ne semblent pas l’influencer;
  • [...]

  • [s’assurer] que les membres du comité d’évaluation comprennent la nature du poste et les critères de mérite afin de procéder à une évaluation juste;
  • [s’assurer] que les membres du comité d’évaluation ont les qualifications ou les compétences nécessaires, y compris les aptitudes linguistiques requises afin de permettre une communication efficace, dans le but d’assurer une évaluation juste et complète.

[...]

VI. Analyse

87        Après avoir examiné les témoignages et les documents soumis par les parties, je conclus que rien dans la preuve n’indique que le comité d’évaluation a fait preuve de partialité. Par conséquent, je dois déterminer si la preuve suffit pour appuyer l’allégation de la plaignante relative à la crainte raisonnable de partialité.

88        Dans Denny, le TDFP a renvoyé à Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, qui indique les critères relatifs à une crainte raisonnable de partialité ainsi à la page 394 :

[...] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question [...] de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

89        Dans Denny, le TDFP a appliqué les critères relatifs à une crainte raisonnable de partialité dans le cadre d’une plainte de dotation. Dans le contexte de la dotation, le TDFP a mentionné que le critère pourrait être formulé ainsi : un observateur relativement bien renseigné qui étudierait le processus percevrait-il raisonnablement la partialité chez une ou plusieurs des personnes participant à l’évaluation de la plaignante?

90        De même, dans Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33, les critères ont été énoncés ainsi :

[...]

Compte tenu de l’historique de la terminologie, je crois que le critère peut être reformulé comme suit : si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir la partialité chez une ou plusieurs des personnes responsables de l’évaluation, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir.

[...]

91        Si j’applique le critère aux circonstances en l’espèce, je conclus qu’un observateur relativement bien renseigné ne percevrait pas raisonnablement de la partialité de la part des membres du comité d’évaluation qui ont évalué la plaignante.

92        Tout d’abord, je souligne qu’un conflit passé ou en cours entre des personnes peut être un indicateur important au moment de déterminer s’il y a crainte raisonnable de partialité. À cet égard, la plaignante a reconnu qu’aucun des membres du comité d’évaluation n’était visé par ses plaintes ou ses griefs. Il est également manifeste qu’il n’y avait aucun conflit apparent entre elle-même et l’un des membres du comité.

93        Dans la même veine, je reconnais que le TDFP a maintenu ce qui suit dans Denny : « […] la responsabilité d’assurer une évaluation exempte de parti pris incombe à l’administrateur général, au gestionnaire délégataire et aux membres du comité d’évaluation ». Toutefois, dans les cas comme celui en l’espèce, où il n’y a aucun conflit apparent entre le candidat et les membres du comité d’évaluation, je crois que le moment où le candidat soulève la question de la partialité devrait être examinée. En l’espèce, si la plaignante croyait que les membres du comité responsables de l’entrevue nuisaient à sa possibilité d’être évaluée de manière appropriée, elle aurait pu soulever la question de façon opportune, c’est-à-dire au moment où elle a appris pour la première fois leur nom ou avant son entrevue. Elle a reconnu qu’elle ne l’avait pas soulevée à ces moments. Elle a attendu après l’entrevue et ce n’est qu’à ce moment qu’elle s’est opposée à la présence des membres du comité au motif qu’ils étaient au courant de ses plaintes et griefs passés.

94        La plaignante allègue également que, durant l’entrevue, un membre du comité d’évaluation lui a posé une question inappropriée sur sa santé. Elle n’a qu’un vague souvenir de s’être fait poser une telle question et elle ne se rappelle pas quel membre du comité la lui a posée. Je remarque également qu’elle n’a jamais mentionné cette allégation dans sa plainte ou ses allégations et qu’elle l’a soulevée pour la première fois à l’audience seulement.

95        D’autre part, les trois membres du comité ont indiqué dans leur témoignage qu’ils ne lui avaient posé aucune question au sujet de sa santé. Leurs témoignages étaient uniformes et ils ont chacun été en mesure de fournir une description détaillée de leur processus décisionnel. On ne m’a donné aucune raison de douter de la crédibilité de leur témoignage, que ce soit sur les questions posées à la plaignante ou dans leur ensemble. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’allégation de la plaignante selon laquelle un membre du comité lui a posé une question sur sa santé pendant l’entrevue.

96        De façon individuelle, je conclus qu’un observateur relativement bien renseigné ne percevrait raisonnablement pas de la partialité de la part de M. Gingras parce que, en sa qualité de conseiller pour le programme de retour au travail, il a téléphoné à la CAT dans le but de faciliter la décision de la direction sur l’avancement d’un congé à la plaignante. Cette tâche faisait partie de son travail. Plus tard, M. Gingras a reçu la directive de préparer une déclaration expliquant pourquoi il a fait l’appel. À ce sujet, je souligne qu’en dehors du commentaire de la plaignante, aucune explication ou preuve n’a été présentée à l’appui de son allégation selon laquelle M. Gingras a formulé des commentaires négatifs à son sujet. À mon avis, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il n’aurait pas pu évaluer la plaignante de façon équitable, que ce soit consciemment ou non.

97        De même, je crois qu’un observateur relativement bien renseigné ne percevrait raisonnablement pas de partialité de la part de M. Ramalho au motif qu’il a représenté la plaignante dans le cadre de ses griefs passés. Bien que M. Ramalho puisse avoir représenté la plaignante dans le passé et que, à l’instar des autres membres du comité, il était au courant de ses nombreux griefs et plaintes, je souscris au raisonnement dans Saunders selon lequel ces faits ne suffisent pas pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Dans le même ordre d’idées, soutenir que cela a créé une partialité positive serait incompatible avec la nature de cette plainte et les résultats de l’évaluation de la plaignante.

98        Enfin, la plaignante allègue une crainte raisonnable de partialité parce que des normes subjectives ont été utilisées pour l’évaluer. Selon la preuve, je crois que la méthode d’évaluation des réponses de la plaignante aux questions de l’entrevue était objective et que le processus d’entrevue était équitable. Une grille de réponse a été utilisée pour évaluer ses réponses. Les membres ont d’abord évalué ses réponses individuellement et lui ont attribué des notes initiales. Ils se sont ensuite consultés pour déterminer les notes finales à attribuer à ses réponses. Par conséquent, je suis convaincue qu’ils ont évalué ses réponses de façon objective en tenant compte des réponses possibles de la grille de réponses puis en comparant les réponses afin d’en assurer l’uniformité.

99        Dans l’ensemble, la preuve indique que la candidature de la plaignante n’a pas été retenue parce qu’elle n’a pas obtenu la note de passage à certaines questions de l’entrevue. Par exemple, la preuve a établi que dans la description de son expérience, en tant que technicienne des munitions, de l’utilisation des outils spécialisés ou de l’équipement à des fins de tests, elle a mentionné des activités non sécuritaires ou inadéquates qui ne faisaient pas partie des procédures d’opérations normalisées.

100        Par conséquent, je conclus qu’il n’a pas été établi que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application des critères de mérite au motif d’une crainte raisonnable de partialité.

101        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

102        La plainte est rejetée.

Le 21 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Nathalie Daigle,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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