Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésées ont contesté la décision de l’employeur de mettre fin à leur emploi en cours de stage, après un incident au cours duquel elles ont omis de signaler un collègue en détresse – elles ont allégué que les mesures disciplinaires et la suspension étaient non fondées, excessives et injustifiées – la Commission a rejeté les griefs de la première fonctionnaire s’estimant lésée pour cause d’abandon – elle ne s’est pas présentée à l’audience et son omission de présenter tout élément de preuve visant à appuyer les griefs indiquait clairement qu’ils avaient été abandonnés – en ce qui concerne l’autre fonctionnaire s’estimant lésée, l’employeur a affirmé que la Commission n’avait pas compétence pour entendre ses griefs, puisqu’elle avait été renvoyée en cours de stage en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique – la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour déterminer si la décision de licencier un employé en cours de stage reposait sur de la mauvaise foi, un subterfuge ou un camouflage – de plus, la fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que, dans les faits, elle n’avait pas été renvoyée en cours de stage – elle avait été suspendue sans rémunération pour une période de trois mois durant son stage – l’employeur a soutenu que son stage avait déjà été prolongé à ce moment-là – la Commission a rejeté son argument en faisant valoir que, conformément à la convention collective, une suspension sans rémunération n’équivalait pas à un congé non payé et que, par conséquent, la période de stage n’a pas été prolongée pour la durée de sa suspension – en conséquence, la période de stage a pris fin avant le renvoi de la fonctionnaire s’estimant lésée en cours de stage, ce qui, du même coup, annulait le licenciement – l’employeur aurait pu avoir une raison valable d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire s’estimant lésée et de mettre fin à son emploi en raison de sa conduite, mais il a décidé de ne pas se prévaloir de cette option – il a plutôt opté pour le renvoi de la fonctionnaire s’estimant lésée en cours de stage, mais il ne l’a pas fait pendant la période de stage.

Deux griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180813
  • Dossier:  566-02-9669 à 9672, 9714, 9715, 9717, 9718, 9756, 9768, 9769, 9811 à 9813 et 9866.
  • Référence:  2018 CRTESPF 63

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

SABRINA SANDHU ET ALYSIA NEEDLES

fonctionnaires s'estimant lésées

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Sandhu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Dev A. Chankasingh, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour Mme Sandhu:
Amélie Charlebois, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN
Pour Mme Needles:
Personne
Pour le défendeur:
Zorica Guzina, avocate
Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
du 15 au 18 mars et les 17 et 18 août 2016.
(Réfutation entendue par téléconférence le 1er septembre 2016.)
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels devant la Commission

1        Sabrina Sandhu et Alysia Needles, les fonctionnaires s’estimant lésées (les « fonctionnaires »), travaillaient pour le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») en tant qu’agentes correctionnelles au groupe et au niveau CX-02, à l’Établissement d’Edmonton pour femmes (l’« Établissement ») à Edmonton, en Alberta. Mme Needles a été embauchée le 8 janvier 2013, et Mme Sandhu, le 23 janvier 2013. L’annexe aux lettres d’offre des fonctionnaires comprend la disposition suivante :

[Traduction]

STAGE

Conformément à l’article 61 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, les personnes nommées par nomination externe sont soumises à une période de stage de douze mois. Cette période ne comprend pas les périodes de congé non payé, de formation linguistique à temps plein ou de congé payé de plus de trente jours consécutifs ainsi que les périodes de repos pour les employés saisonniers. Votre période de stage se poursuivra avec toute nouvelle nomination ou mutation jusqu’à la fin de cette période de stage.

2        À la suite d’un incident qui est survenu pendant le quart de soir du 31 octobre au 1er novembre 2013, les fonctionnaires ont été suspendues avec solde du 1er novembre au 1er décembre 2013. Dans une note de service du 29 novembre 2013, elles ont ensuite été suspendues sans solde à compter du 2 décembre 2013. Elles ont été avisées comme suit dans une note de service du 1er janvier 2014 : [traduction] « Comme vous avez été en congé non payé à partir du 2 décembre 2013, vous demeurez en stage et votre stage sera prolongé d’une période équivalente. »

3        Dans des notes de service du 23 décembre 2013, du 13 janvier 2014 et des 3 et 24 février 2014, les fonctionnaires ont été avisées que leurs suspensions sans solde se poursuivraient. Dans des lettres du 5 mars 2013, elles ont été avisées qu’elles demeureraient encore en stage et qu’il serait mis fin à leur emploi au SCC pendant leur stage, à compter du 2 décembre 2013.

4         Les griefs de licenciement de Mme Sandhu (tous deux rédigés le 19 mars 2014) mentionnent notamment ce qui suit :

[Traduction]

ÉNONCÉ DU GRIEF

Je présente un grief concernant la décision de l’employeur de mettre fin à mon emploi le 5 mars 2014 ou vers cette date. Je conteste cette mesure disciplinaire non fondée en fait et en droit, excessive et injustifiée.

          MESURE CORRECTIVE DEMANDÉE

Je demande l’annulation du licenciement, la réintégration dans mes fonctions, le paiement rétroactif de toutes les sommes dues, y compris les rajustements de la pension, les contributions au Régime de pensions du Canada que j’ai perdues et perdrai, ainsi que le dédommagement de l’interruption des prestations que j’ai subie et subirai par suite de la décision de l’employeur. Je sollicite tous les autres droits qui peuvent m’être conférés en vertu des lois et de la convention collective, ainsi que les dommages réels, moraux ou exemplaires, et ce, rétroactivement avec intérêt au taux légal, sans préjudice aux autres droits dévolus.

5         Ses griefs ont été rejetés. La réponse du SCC (en date du 27 novembre 2014) au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs indique notamment ce qui suit :

[Traduction]

La présente est notre réponse aux griefs mentionnés ci-dessus que la direction a reçus le 7 janvier, le 4 février et les 10 et 19 mars 2014, respectivement. Selon les griefs portant les nos 51949, 51950, 52071, 52072, 52218 et 52251, vous contestez la suspension sans solde qui vous a été imposée jusqu’à la fin d’un processus disciplinaire. Selon le grief no 52253, vous alléguez que, lors d’une audience disciplinaire devant la direction, le 6 février 2014, vous n’aviez pas reçu à l’avance tous les renseignements nécessaires en vertu des articles 17.07 et 17.08 de la convention entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des agents correctionnels du Canada (la « convention collective »). Plus précisément, vous prétendez que les enregistrements sonores que vous avez entendus pendant l’audience disciplinaire ne vous avaient pas été fournis, ni leurs transcriptions. Selon les griefs portant les nos 52254 et 52255, vous contestez la décision de l’employeur de mettre fin à votre emploi à compter du 2 décembre 2013.

[…]

Une audience relative au grief au premier palier a été tenue en votre présence et en celle de votre représentant syndical, le 13 novembre 2014. J’ai examiné soigneusement tous les renseignements dont je disposais avant de rendre une décision au sujet des questions mentionnées ci-dessus.

En ce qui concerne les griefs portant les nos 51949, 51950, 52071, 52072, 52218 et 52251, je peux indiquer ce qui suit. Le 1er novembre 2013 ou vers cette date, pendant son quart, un agent correctionnel a été découvert dans un état qui l’empêchait d’exercer ses fonctions et compromettait la sûreté et la sécurité de l’établissement. Vous étiez en fonction, comme agente correctionnelle, pendant la période en question.

La direction a procédé à l’examen préliminaire de votre intervention lors de l’incident mentionné. À la suite de cet examen, vous avez été placée en suspension administrative avec solde à compter du 1er novembre 2013. Le 6 novembre 2013, la direction a lancé une enquête officielle sur les faits mentionnés.

À la suite de la réception de renseignements supplémentaires, la direction a mené un autre examen de votre intervention à l’occasion des faits évoqués. Au vu des renseignements disponibles à l’époque, la direction a établi que votre présence dans le milieu de travail présentait un risque pour la sûreté et la sécurité de l’établissement. À ce titre, il a été décidé de vous mettre en suspension administrative sans solde, à compter du 2 décembre 2013, jusqu’à la fin du processus disciplinaire ayant trait aux faits évoqués.

Plus précisément, il semble que pendant la période en question vous ne soyez pas intervenue dans une situation délicate, que par conséquent vous ayez laissé un autre agent correctionnel dans un état de détresse, et qu’en outre, vous ayez tenté de cacher l’incident. Ces questions ont soulevé beaucoup de préoccupations pour la direction en ce qui concerne votre présence dans le milieu de travail. Entre autres préoccupations, je mentionnerai le risque pour la sécurité de l’établissement, le risque pour le bien-être des détenus et le risque pour les autres membres du personnel. Je sais que la direction avait aussi des préoccupations importantes à l’égard de votre manque de jugement.

Je souligne que la direction a envisagé d’autres lieux de travail pour vous, afin d’atténuer les préoccupations que j’ai mentionnées. Toutefois, la direction est d’avis que compte tenu de la gravité des faits et du risque qui y est associé, un poste à l’extérieur de l’établissement, ou dans tout autre établissement, ne convient pas.

De plus, je sais que la direction a soigneusement revu sa décision de vous suspendre sans interruption pendant la période de suspension, afin de déterminer si le risque dont j’ai fait mention existait encore, et si la décision de vous suspendre sans solde, jusqu’à la fin du processus disciplinaire, demeurait raisonnable et appropriée dans les circonstances.

Au vu des préoccupations constantes à l’égard du risque que constitue votre présence dans le milieu de travail, la décision de vous suspendre sans solde, à compter du 2 décembre 2013, et ce jusqu’à la fin du processus disciplinaire, est une mesure administrative appropriée.

En ce qui concerne les griefs portant les nos 52254 et 52255, dans lesquels vous soulevez des préoccupations concernant votre licenciement, je peux indiquer ce qui suit.

Comme je l’ai déjà souligné, le 1er novembre 2013 ou vers cette date, pendant son quart, un agent correctionnel a été découvert dans un état qui l’empêchait d’exercer ses fonctions et compromettait la sûreté et la sécurité de l’établissement. Vous étiez en fonction pendant la période en question.

Le 6 novembre 2013, la direction a lancé une enquête sur cet incident. À la fin de l’enquête, il a été décidé que : i) en tant que premier agent correctionnel ayant pris connaissance du fait que l’agent mentionné était en quelque sorte en détresse, et n’était plus en mesure d’exercer ses fonctions, vous n’avez pas pris les mesures appropriées afin d’assurer la sûreté de l’agent et le bien-être ou la sûreté et la sécurité de l’établissement; ii) vous n’avez pas avisé dans les plus brefs délais la gestionnaire correctionnelle du fait que l’agent correctionnel était en quelque sorte en détresse et n’était plus en mesure d’exercer ses fonctions. Vous avez plutôt décidé de faire intervenir des collègues de travail pour tenter de cacher la situation à la gestionnaire correctionnelle en fonction. Par conséquent, l’établissement s’est retrouvé avec un (1) agent correctionnel en moins pendant près de deux (2) heures jusqu’à ce qu’un autre agent arrive sur place pour assurer le remplacement requis. Je souligne qu’en cas d’urgence ou d’incident exigeant une intervention, la capacité des agents correctionnels à intervenir adéquatement aurait été compromise. Il a en outre été établi que par suite des actes mentionnés, vous avez commis diverses violations du Code de discipline du Service correctionnel du Canada (SCC) (DC 060), à savoir des alinéas 6g), 6f) et 10f).

Il est très préoccupant que vous n’ayez pas signalé dans les plus brefs délais à la gestionnaire correctionnelle en fonction qu’un collègue de travail se trouvait dans un état qui l’empêchait d’exercer ses fonctions. Vous avez plutôt décidé de faire intervenir un collègue de travail pour redresser la situation. Comme je l’ai déjà souligné, vos actes ont eu des répercussions importantes pour la sûreté et la sécurité de l’établissement, du personnel et des détenus. Afin d’éviter que la direction ne décèle les problèmes ayant trait à l’agent en question, vous avez fait passer la protection d’un autre agent correctionnel avant la sûreté et la sécurité de l’établissement.

Le stage permet à l’employeur d’évaluer les aptitudes de l’employé à occuper le poste pour lequel il a été embauché. La direction a constaté que vous n’aviez fait preuve ni d’un bon jugement ni d’intégrité dans votre rôle d’intervenante de première ligne et que vous aviez contrevenu au Code de discipline du SCC. Après avoir examiné les facteurs aggravants et atténuants, la direction a conclu que vous n’étiez plus apte à l’emploi et que le lien de confiance avait été irrévocablement brisé.

Je sais qu’il a été mis fin à votre emploi pendant votre stage, à compter du 2 décembre 2013. Je remarque en outre que vous avez reçu un (1) mois de salaire tenant lieu de préavis, conformément à l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Compte tenu des motifs susmentionnés, je souscris à la décision de mettre fin à votre emploi pendant votre stage.

En dernier lieu, d’après le grief no 52253, vous alléguez que pendant une audience disciplinaire devant la direction, le 6 février 2014, vous n’aviez pas reçu tous les renseignements au préalable, notamment les enregistrements sonores et leurs transcriptions, comme l’exigent les clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective.

Je sais que vous avez reçu une copie du rapport d’enquête et de toutes ses annexes, y compris les transcriptions des enregistrements sonores dont vous avez fait mention. De plus, je souligne que le rapport d’enquête faisait renvoi aux enregistrements sonores, et qu’un certain nombre d’entre eux concernaient des conversations que vous aviez eues avec d’autres employés pendant la période en question. Comme vous avez participé à ces conversations, vous devez en connaître le contenu. À ce titre, je ne doute pas que, sous réserve des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, vous avez eu accès aux renseignements que votre employeur a utilisés pendant l’enquête disciplinaire et, en outre, que la direction n’a pas présenté de documents extraits de votre dossier dont vous ignoriez le contenu au moment du dépôt.

Par conséquent, vos griefs sont rejetés et la mesure corrective demandée est refusée.

6        Le 10 mars 2014, les griefs de Mme Sandhu ont été renvoyés à l’arbitrage.

7        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique(CRTEFP), qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publiqueet l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec laLRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

8        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFPpour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéralet la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « LRTSPF »). Par souci de commodité, la « Commission » désigne à la fois la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

9        Dans une lettre adressée au greffe de la Commission le 3 mars 2016, le SCC s’est opposé, comme suit, à la compétence de la Commission à instruire les griefs de licenciement de Mme Sandhu :

[Traduction]

L’employeur conteste respectueusement la compétence d’un arbitre de grief à l’égard des renvois à l’arbitrage susmentionnés, au motif que l’affaire ne répond pas aux critères de l’arbitrage conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

Bien que Mme Sandhu allègue que le grief concerne un licenciement en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, l’employeur soutient que la question faisant l’objet du grief est la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de Mme Sandhu pendant le stage, conformément au paragraphe 62 (1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP).

Mme Sandhu s’est vu offrir un poste pour une durée indéterminée au groupe et au niveau CX-02 par le Service correctionnel du Canada (SCC) à partir du 23 janvier 2013. La lettre d’offre relative à ce poste (Annexe A) indique clairement que Mme Sandhu sera en stage pendant douze (12) mois à compter de la date de sa nomination. Mme Sandhu était donc encore en période de stage lorsqu’elle a été avisée, dans une lettre en date du 5 mars 2014 (Annexe B), qu’elle était licenciée pendant le stage, à compter du 2 décembre 2013, en fonction de la décision selon laquelle elle n’était pas apte à l’emploi au SCC. Cette lettre indiquait clairement que Mme Sandhu était licenciée pendant le stage en raison de préoccupations concernant son aptitude à se conformer auxRègles de conduite professionnelleet au Code de discipline du SCC. Il convient de souligner que Mme Sandhu a obtenu à juste titre un (1) mois de salaire tenant lieu de préavis, conformément au Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi au cours de la période de stage du Conseil du Trésor, en vertu de l’alinéa 26(1)c) de la LEFP.

Mme Sandhu a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP par suite d’une « mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». L’employeur soutient que le grief ne répond pas aux critères pour le renvoi en vertu de cet article de la LRTFP, puisque Mme Sandhu a été licenciée pendant le stage pour des motifs liés à l’emploi, et que la direction n’a imposé aucune mesure disciplinaire. Nous soutenons respectueusement que les dispositions relatives au renvoi de l’alinéa 209(1)b) sont limitées par l’application de l’alinéa 211a) de la LRTFP, lequel interdit le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel qui s’applique à un licenciement en vertu de la LEFP, ce qui exclut le renvoi à l’arbitrage des griefs présentés contre un licenciement pendant le stage.

L’employeur souligne que l’arbitre de grief McKenzie a confirmé, dans Tello c. Administrateur général (SCC), 2010 CRTFP 134, que le retrait des mots « pour un motif déterminé » dans la nouvelle LEFPmodifie les exigences du fardeau de la preuve pour l’administrateur général. L’arbitre de grief déclare que « [l]’administrateur général n’a maintenant qu’à établir que l’employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement et qu’un préavis ou une indemnité en guise de préavis a été donné ». L’employeur considère qu’il s’est acquitté de ce fardeau et prétend que Mme Sandhu a été licenciée pendant le stage de bonne foi.

Comme le motif lié à l’emploi du licenciement de Mme Sandhu pendant le stage se rattachait à des violations des Règles de conduite professionnelleet du Code de discipline du SCC, il convient de souligner que dans Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), la Cour fédérale a confirmé que l’inconduite au travail peut faire l’objet d’une mesure disciplinaire ou du licenciement pendant le stage. La direction a décidé que le licenciement pendant le stage était approprié, en fonction de l’évaluation selon laquelle Mme Sandhu n’était pas apte à occuper le poste d’intervenante de première ligne au groupe et au niveau CX-02.

Il convient également de souligner que l’arbitre de grief Bédard a confirmé, dans Rousseau c. Administrateur général (SCC), 2009 CRTFP 91, qu’en vertu de l’exclusion prévue à l’article 211 de la LRTFP, elle n’avait pas compétence pour instruire le grief si des motifs légitimes justifiaient le licenciement pendant le stage. De plus, dans Melanson c. Administrateur général (SCC), 2009 CRTFP 33, l’arbitre de grief Mooney a confirmé que le rôle de l’arbitre de grief est limité lorsqu’il s’agit d’examiner un licenciement pendant le stage, puisqu’il indique ce qui suit dans sa décision : « mon rôle ne consiste pas à déterminer le caractère raisonnable de l’évaluation effectuée par M. Niles. Si le motif est un motif légitime lié à l’emploi, je ne peux intervenir ».

Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’employeur demande respectueusement à l’arbitre de grief de rejeter le présent grief pour défaut de compétence sans tenir d’audience, comme le prévoit l’article 41 de la LRTFP.

10        Mme Needles a aussi déposé des griefs (six en tout) contestant sa suspension sans solde et son licenciement pendant le stage.

11        À la fin de son argumentation, l’employeur a présenté une motion de rejet des griefs de Mme Needles pour cause d’abandon. Pour les motifs énoncés plus loin dans la présente décision, je fais droit à cette motion.

II. Résumé de la preuve

A. Pour le SCC

1. Amanda Holm

12        Amanda Holm travaille pour le SCC depuis près de 17 ans. Elle est présentement gestionnaire correctionnelle (GC) à l’établissement et assume ce rôle depuis le 31 octobre 2013.

13        Mme Holm a témoigné au sujet des faits qui sont survenus pendant le quart de soir du 31 octobre au 1er novembre 2013.  Ces faits ont débuté le 31 octobre à 18 h 30 et ont pris fin le 1er novembre à 7 h. Huit agents correctionnels étaient en fonction pendant ce quart. Ils étaient affectés à différents postes dans l’ensemble de l’Établissement. Les agents affectés aux postes EF1 et EF2 étaient responsables de la surveillance de l’unité (qui comprend des patrouilles de sécurité au sein de la population carcérale générale). L’agent affecté au poste principal de commande et de contrôle (PPCC) était responsable de la surveillance des caméras de sécurité, des radiotransmissions et des dispositifs d’alarme. L’agent affecté au poste de contrôle de l’unité carcérale (PCUC) était responsable de la surveillance des dispositifs d’alarme et des appels provenant des cellules ainsi que de la supervision des autres agents pendant leurs patrouilles. Les agents EF12 et EF13 travaillaient en tandem et étaient responsables de la surveillance des détenues de l’unité Hummingbird, ainsi que de la surveillance des appels et des alarmes provenant des cellules des 10 détenues de cette unité. Ils devaient aussi effectuer des rondes, des dénombrements ou des fouilles nécessaires. L’agent affecté au poste EF15 était responsable de la surveillance de l’entrée principale de l’Établissement et devait faire des tournées dans l’unité carcérale à divers moments du quart. En dernier lieu, l’agent affecté à la « surveillance accrue » (SA) était responsable de la surveillance d’une détenue précise.

14        Finalement, la présente décision ne concerne pas précisément ce qui s’est passé cette nuit-là, mais plutôt la façon dont l’employeur a géré l’emploi de Mme Sandhu par la suite. Par conséquent, j’ai choisi de n’indiquer que les noms des personnes qui ont témoigné à l’audience. J’utiliserai des pseudonymes pour désigner les autres personnes qui étaient présentes cette nuit-là. Pendant le quart de soir du 31 octobre 2013, les affectations des agents en fonction étaient les suivantes :

Affectation

À 23 h

À 3 h

EF1

Agent A

Personne

EF2

Mme Sandhu

Agent B

PPCC

Agente C

Agente C

PCUC

Erin Maxwell

Erin Maxwell

EF12

Agente D

Agente D

EF13

Agent B

Mme Sandhu

EF15

Mme Needles

Mme Needles

SA

Agent E

Agent E

15        Le 31 octobre 2013, Mme Holm a entamé son quart à 22 h 30, puisqu’elle avait été en congé personnel auparavant. Rien d’inhabituel ne s’est produit avant 4 h, environ. À ce moment-là, l’agente Erin Maxwell a appelé et a prié Mme Holm de venir à l’unité carcérale afin de discuter d’une question très importante. Lorsque Mme Holm est arrivée, l’agente Maxwell l’a priée de sentir le thermos déposé sur le comptoir, qui appartenait à l’agent A. Mme Holm s’est exécutée, flairant ainsi une odeur d’alcool. L’agente Maxwell lui a alors dit : [traduction] « Tu pourrais avoir quelqu’un d’ivre mort pendant le quart. » Mme Holm a alors demandé : [traduction] « Où est-il? », et l’agente Maxwell lui a indiqué la salle de bain du bureau principal.

16        Mme Holm s’est rendue au bureau et a vu l’agent B dans le couloir. Ce dernier lui a dit que l’agent A était dans le pétrin, qu’il avait bu une sorte de [traduction] « sirop » et qu’il ne semblait pas être dans son état normal. Mme Holm a alors dit à l’agent B qu’il était en stage et qu’il devait être très honnête envers elle. Il lui a alors dit : [traduction] « [L’agent A] est dans le pétrin. »

17        Mme Holm s’est ensuite rendue à la salle de bain, afin de voir l’agent A. Elle a constaté que ce dernier était assis sur le plancher, les pantalons défaits, et qu’il avait les cheveux ébouriffés. Il se trouvait dans ce qu’on appelle un « état anormal ». Mme Holm lui a demandé s’il avait besoin de quelque chose. Il s’est contenté de sourire et a demandé un verre d’eau. Mme Holm est ensuite retournée à son bureau, puis a appelé une autre GC, Janice Marghella, afin de remplacer l’agent A, puisqu’il était inapte au travail. Mme Holm a ensuite appelé le directeur adjoint, Clovis LaPointe, parce qu’elle avait besoin de recevoir des directives au sujet de ce qu’elle devait faire ensuite.

18        L’Établissement a besoin d’un nombre minimal d’employés à chaque quart. Comme l’agent A n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions, l’Établissement était à court de personnel. L’agent A était censé être au PPCC à 3 h. Comme cela lui était impossible, l’agent B n’avait pas de partenaire pour effectuer sa tournée. En outre, l’Établissement a besoin d’un nombre minimal d’employés pour intervenir en cas d’incendie et ne disposait donc pas du nombre requis parce que l’agent A était inapte au travail.

19        À l’arrivée de Mme Marghella, Mme Holm s’est adressée à tous les autres membres du personnel en fonction pendant le quart. Elle a parlé à Mme Sandhu; l’agent D en a été témoin. Mme Holm a questionné Mme Sandhu au sujet du café qu’elle avait bu ce soir-là. Mme Sandhu a déclaré qu’elle l’avait apporté au début de son quart, à 18 h 30. Elle a déclaré aussi qu’elle n’avait rien remarqué de différent à l’égard de l’agent A ce soir-là, et qu’elle ne le connaissait pas très bien. Elle n’a rien dit d’autre à Mme Holm au sujet de l’agent A.

20        Mme Holm a ensuite rencontré Mme Needles, qui lui a dit qu’elle avait aussi apporté son café au début de son quart. Mme Needles a nié avoir bu de l’alcool ce soir-là. Elle a ajouté que l’agent A semblait d’humeur joyeuse pendant son quart. Mme Holm l’a ensuite questionnée au sujet du thermos de l’agent A, qui ne se trouvait plus dans l’unité carcérale. Mme Needles a répondu qu’elle l’avait mis dans le sac de Mme Sandhu. Mme Holm a ensuite fouillé le sac de Mme Sandhu en sa présence, puis en a retiré le thermos, afin de le montrer à M. LaPointe.

21        Mme Holm a ensuite interrogé d’autres membres du personnel, qui ont déclaré que l’agent A avait l’air [traduction] « joyeux et blagueur » ce soir-là.

22        À son arrivée, M. LaPointe a emmené l’agent A au bureau de la directrice de l’Établissement, après quoi l’aumônier est allé le reconduire chez lui. Mme Holm a ensuite rédigé un « Rapport d’observation ou de déclaration » (ROD).

23        Mme Holm a déclaré qu’elle avait entretenu une bonne relation de travail avec Mme Sandhu avant le 31 octobre 2013, et qu’elle avait le sentiment que cette dernière travaillait bien.

24        Vers 1 h, Mme Holm a vu l’agent A dans l’unité carcérale. À ce moment-là, elle n’a rien remarqué d’anormal chez lui et ne se doutait pas qu’il avait bu. Elle n’a entendu qu’une seule radiotransmission avant l’appel de l’agente Maxwell. Dans cette radiotransmission, on entendait l’agent A répondre à un appel radio de l’agente C, vers 3 h. Cette dernière lui demandait de la relever de ses fonctions. L’agent A a répondu qu’il serait là à l’instant. La salle de bain du bureau principal se trouve à proximité du bureau de Mme Holm, qui n’a remarqué aucune circulation inhabituelle aux alentours de son bureau ce soir-là.

25        Mme Holm a déclaré que dans le cadre du Programme de formation correctionnelle, les agents correctionnels apprennent à signaler tout problème à leur GC. Les stagiaires devaient le savoir et, par conséquent, rien ne devait les empêcher de lui signaler l’état de l’agent A. Seuls l’agent B et l’agente Maxwell lui ont dit que l’agent A était dans la salle de bain.

26        En dernier lieu, Mme Holm a déclaré que Mme Sandhu ne s’était pas acquittée de ses fonctions d’agente correctionnelle pendant le quart en question, puisqu’elle ne lui avait pas signalé l’incident.

2. M. LaPointe

27        M. LaPointe est le sous-directeur de l’Établissement. Il occupe ce poste depuis août 2015.

28        Le 1er novembre 2013, entre 4 h 30 et 5 h, M. LaPointe a reçu un appel de Mme Holm. Après qu’elle l’eut mis au courant du fait qu’un employé se trouvait dans un état anormal, il lui a conseillé de renvoyer l’employé chez lui. M. LaPointe s’est ensuite rendu à l’Établissement. Mmes Holm et Marghella étaient sur place.

29        Entre 5 h 15 et 5 h 30, M. LaPointe s’est rendu à la salle de bain du bureau principal. Il a affirmé qu’il avait entendu l’agent A ronfler, et que lorsqu’il était entré dans la salle de bain, il avait constaté que l’agent A était [traduction] « ivre mort » et qu’il gisait sur le plancher. Il était roulé en position fœtale, près de la toilette. M. LaPointe a prononcé le nom de l’agent A à quelques reprises, l’a placé en position assise et a tenté de le réveiller. Il a ensuite relevé l’agent A, l’a tenu contre un mur et a prononcé son nom. Ce dernier a ouvert les yeux mais ne semblait pas comprendre où il se trouvait ni ce qui se passait M. LaPointe a alors demandé à l’agent A : [traduction] « Que se passe-t-il? Où es-tu? » L’agent A a répondu : [traduction] « J’ai trop bu. » M. LaPointe a décelé une odeur d’alcool dans l’haleine de l’agent A quand celui-ci a commencé à parler.

30        M. LaPointe a ensuite emmené l’agent A au bureau de la directrice. L’agent A a dit ceci : [traduction] « J’ai tout foutu en l’air. Je me suis planté. » Il semblait très embarrassé et a prié M. LaPointe de ne pas demander à l’aumônier de le reconduire chez lui.

31        M. LaPointe s’est vu montrer une déclaration qu’il avait rédigée. Il a été questionné au sujet des mots suivants : [traduction] « Comme les GC ignoraient tout de ce qui se passait, [l’agent A] se trouvait dans une situation très dangereuse ». M. LaPointe a voulu dire par là que l’agent A aurait pu être victime d’une intoxication alcoolique, ou encore vomir et s’étouffer, et que personne n’était là pour l’aider. L’agent A n’est revenu à lui qu’au moment où M. LaPointe l’a mis debout; le secouer n’avait donné aucun résultat.

32        Mme Holm a ensuite informé la directrice de l’Établissement, Angela Draude, à son arrivée sur place. Mme Draude a demandé à Mme Holm de rencontrer les autres membres du personnel en fonction pendant le quart. Mme Draude a aussi tenu des réunions du personnel. M. LaPointe a assisté à certaines d’entre elles.

33        M. LaPointe a été questionné au sujet des normes de mutation de l’Établissement. À tout le moins, sept employés doivent être présents pendant un quart du matin. Le 1er novembre 2013 au matin, si l’agent A n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions, l’Établissement n’était pas sécuritaire sur le plan opérationnel, puisqu’il ne pouvait pas satisfaire aux normes de mutation. Cela aurait pu empêcher le personnel d’intervenir en cas d’incendie, ou encore s’il avait fallu ouvrir la porte d’une cellule ou réagir à toute autre urgence. Cela aurait pu aussi donner lieu à des plaintes du personnel en vertu de l’art. 128 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) et à son refus de travailler, mais cela ne s’est pas produit.

34        M. LaPointe n’avait pas eu d’échanges avec Mme Sandhu avant le 1er novembre 2013, et il n’était au courant d’aucun problème disciplinaire l’ayant mise en cause. Il a convenu que l’incident en question avait été [traduction] « exceptionnel » et que c’était la première fois qu’il avait dû intervenir auprès d’un employé en état d’ébriété. Les GC effectuent des évaluations du rendement des stagiaires aux étapes prévues après six mois et après 12 mois, mais M. LaPointe ne savait pas s’il y en avait eu dans le cas de Mme Sandhu.

35        En dernier lieu, M. LaPointe a déclaré que si un agent correctionnel n’est pas relevé de ses fonctions, il doit demeurer à son poste. Au meilleur de sa connaissance, le système de radiotransmission fonctionnait bien pendant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013.

3. Darcy Begrand

36        Darcy Begrand est gestionnaire, évaluation et intervention, au Pénitencier de la Saskatchewan. Il occupe ce poste depuis 2011 et travaille au SCC depuis 2000.

37        Un [traduction] « comité d’enquête disciplinaire » (CED) composé de M. Begrand et de la codirectrice de la patrouille de district de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest, Lori Luhela, a été affecté à la conduite d’une enquête sur les faits survenus pendant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013, lors duquel il a été constaté que l’agent A se trouvait dans un état anormal. Le CED a été mis sur pied en vertu d’un ordre de convocation que Mme Draude a signé le 6 novembre 2013. M. Begrand a signé le « rapport d’enquête » complet le 6 janvier 2014, et Mme Luhela l’a signé le 13 janvier 2014. Mme Draude a accepté le rapport le 13 janvier 2014.

38        Dans le cadre de son enquête, le CED a examiné divers documents, dont les suivants :

  • les « Règles de conduite professionnelle »;
  • la « Directive du commissaire no 060 – Code de discipline »;
  • les ordres de poste de l’Établissement;
  • les ROD préparés par les agents A, B, C, Sandhu, Needles et Maxwell, ainsi que par Mme Holm;
  • les déclarations écrites de Mmes Draude et Needles et de M. LaPointe;
  • les notes de surveillance découlant des entrevues des agents A, B, C et Sandhu;
  • les notes d’entrevue des agents A, B, Sandhu et Needles;
  • les enregistrements sonores des radiocommunications en date du 1er novembre 2013.

39        Le CED a aussi interrogé les agents A, B, C, D, E, Sandhu, Needles et Maxwell, ainsi que Mme Holm.

40        Dans son rapport d’enquête, le CED a déclaré ce qui suit concernant la conduite de l’agent A pendant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013 :

[Traduction]

Par suite de l’examen des Rapports d’observation ou de déclaration, des séquences de télévision en circuit fermé (TVCF), des enregistrements téléphoniques du PPCC et du PCUC et des entrevues avec les employés et les témoins, nous avons établi ce qui suit :

  • De son propre aveu, le CXII [agent A] a pris volontairement et sobrement la décision d’acheter de l’alcool et de l’apporter à l’Établissement (EEF).
  • De son propre aveu, le CXII [agent A] a consommé de l’alcool avant et pendant son quart du matin, jusqu’à tomber ivre mort peu après 3 h 15 (19 h à 7 h) le 2013-10-31.
  • De son propre aveu, le CXII [agent A] a introduit des objets interdits (boisson alcoolisée, vin blanc) dans l’Établissement (EEF).
  • De son propre aveu, ce qui a été corroboré par les renseignements dont disposait le comité d’enquête, le 2013-11-01, entre 3 h et 6 h, le CXII [agent A] a été frappé d’incapacité et s’est ensuite endormi dans les toilettes du personnel situées près du bureau principal de l’EEF, par suite d’une intoxication alcoolique grave, ayant ainsi négligé ses fonctions d’agent correctionnel.

41        En ce qui a trait à la conduite de Mme Sandhu pendant le quart en question, le CED a déclaré ce qui suit dans le rapport d’enquête :

[Traduction]

La CXII SANDHU a indiqué pendant son entrevue que le CXII [agent A]n’avait pas l’air d’être dans un état de « détresse médicale », ni dans un état anormal, lorsqu’elle et la CXII NEEDLES l’avaient découvert dans les toilettes, vers 3 h. La CXII SANDHU a ajouté qu’elle avait « paniqué et eu peur » lorsqu’elle avait vu le CXII [agent A] dans les toilettes. Cela donne à penser qu’elle savait ou se doutait que le CXII [agent A] se trouvait dans un état anormal. De plus, elle savait que la CXII NEEDLES avait assumé les fonctions d’un deuxième poste pendant le quart, afin de remplacer le CXII [agent A], ce qui, selon les entrevues avec les employés, est une situation tout à fait hors du commun pendant un quart du matin, et qui, en soi, aurait dû être signalé à la gestionnaire correctionnelle dans les plus brefs délais. Le présent comité d’enquête a donc déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que la CXII SANDHU a intentionnellement induit en erreur les membres du comité afin d’atténuer sa culpabilité pour ne pas avoir avisé la gestionnaire correctionnelle.

Le comité est d’avis que la CXII SANDHU a reconnu que le CXII [agent A] s’était en quelque sorte trouvé en état de détresse. Bien qu’elle ait avisé le CED que selon elle le CXII n’avait pas été sous l’influence d’une substance intoxicante, le comportement de celui-ci (trouble de l’élocution, marmonnement, endormissement sur le plancher, réactivité réduite au minimum) aurait dû inciter la CXII SANDHU à penser que s’il n’était pas en état d’ébriété, il éprouvait un problème médical ou psychologique. Le comité estime que les gestes que la CXII SANDHU a posés n’allaient pas de pair avec ce qu’on attendrait d’une personne raisonnable, plus particulièrement si elle est formée pour intervenir en cas d’urgence, après avoir découvert par hasard un collègue qui, sans raison apparente, se serait trouvé dans l’état où se trouvait le CXII [agent A] selon ce qui a été dit.

Le comité est aussi d’avis que la CXII SANDHU a pris part à des tentatives visant à cacher la situation à la gestionnaire correctionnelle. Au cours des 17 minutes ultérieures (de 3 h 25 à 3 h 42, d’après la séquence de TVCF et les renseignements recueillis au moyen des entrevues), il semble qu’au même titre que la CXIINEEDLES, la CXII SANDHU se soit demandé quoi faire dans la situation à l’égard du CXII [agent A], qui se trouvait dans les toilettes. À son entrevue, la CXII SANDHU a signalé qu’elle « avait eu peur et avait paniqué », ce qui ne concorde pas avec son évaluation selon laquelle le CXII [agent A] ne se trouvait pas dans un état « de détresse pressante ». Pendant sa conversation téléphonique enregistrée avec la CXII [agente C],à 4 h 03, la CXII SANDHU semblait très préoccupée et convenait avec la CXII que la question était que la GC Holm n’avait pas encore constaté que le CXII [agent A] était ivre mort dans les toilettes. Cela donne à penser que la CXII SANDHU avait des préoccupations au sujet du bien-être du CXII [agent A], malgré son affirmation selon laquelle elle avait estimé qu’il ne se trouvait pas dans un état « de détresse pressante ».

Si la CXII SANDHU avait avisé la gestionnaire correctionnelle dans les plus brefs délais, cette dernière aurait pu évaluer l’état du CXII [agent A], lui venir en aide et s’assurer que les fonctions du poste étaient réassignées de manière appropriée et qu’un remplacement adéquat était prévu. La CXII SANDHU a plutôt pris la décision de mêler des collègues de travail à ce qui ne peut être qualifié que de tentative de cacher la situation à la gestionnaire, comme les enregistrements téléphoniques le laissent penser. En conséquence, l’Établissement s’est retrouvé avec un agent en moins entre 3 h et 4 h 45, environ, heure de l’arrivée de la GC Marghella à l’établissement afin d’assurer le remplacement. La tournée fixée à 3 h conformément à la politique de l’établissement a été sautée, puisque les autres agents se débattaient pour remplacer le CXII [agent A]. En cas d’urgence ou d’incident exigeant une intervention, la capacité d’intervention aurait été compromise. Même si rien ne prouve que la CXII SANDHU ait consommé de l’alcool pendant son quart, sa réaction face à l’état du CXII [agent A] risquait de présenter un danger pour lui et pour la sécurité de l’Établissement.

[…]

Rien ne prouve que la CXII SANDHU ait consommé de l’alcool pendant son quart.

Par suite de l’examen des Rapports d’observation ou d’observation, des enregistrements téléphoniques du PPCC et du PCUC et des entrevues avec les employés et les témoins, nous avons établi ce qui suit :

  • Les gestes que la CXII SANDHU a posés n’allaient pas de pair avec ce que ferait une personne raisonnable après avoir découvert par hasard un collègue qui, sans raison apparente, se serait trouvé frappé d’incapacité dans les toilettes. On s’attend à ce qu’un agent s’assure que le gestionnaire correctionnel soit avisé d’une pareille situation dans les plus brefs délais.
  • Les gestes que la CXII SANDHU a posés n’allaient pas de pair avec l’exigence selon laquelle un agent correctionnel doit porter un incident à l’attention du gestionnaire correctionnel dans les plus brefs délais.
  • La CXII SANDHU a volontairement caché des renseignements à sa gestionnaire correctionnelle lorsqu’elle a été questionnée au sujet des faits survenus pendant la soirée et de sa connaissance de la situation ou de sa participation.
  • La CXII SANDHU a volontairement fourni des renseignements inexacts au comité d’enquête et à la direction de l’Établissement, afin de se dégager de la responsabilité de ses actes et de son inaction pour avoir laissé le CXII [agent A] dans les toilettes et ne pas avoir avisé la gestionnaire correctionnelle.

42        Voici les conclusions du CED au sujet de l’intervention de Mme Sandhu pendant le quart en question :

[Traduction]

Compte tenu de ce qui précède, le comité d’enquête estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la CXII SANDHU, qui a été la première parmi les agents à avoir pris connaissance du fait que le CXII [agent A] se trouvait en quelque sorte en état de détresse, n’a pas pris les mesures appropriées pour assurer la sécurité du CXII [agent A] ou celle de l’Établissement. Lorsqu’elle a estimé que l’état du CXII [agent A] l’empêchait d’exercer ses fonctions parce qu’il se trouvait dans un état anormal, elle n’a pas avisé la gestionnaire correctionnelle dans les plus brefs délais. La CXII SANDHU a plutôt décidé de mêler des collègues de travail à ce qui ne peut être qualifié que de tentative de cacher la situation à la gestionnaire. En conséquence, l’Établissement s’est retrouvé avec un agent en moins entre 3 h et 4 h 45, environ, heure de l’arrivée de la GC Marghella à l’Établissement afin d’assurer le remplacement. Ainsi, une tournée fixée à 3 h conformément à la pratique locale de l’EEF a été sautée, puisque les autres agents se débattaient pour remplacer le CXII [agent A]. En cas d’urgence ou d’incident exigeant une intervention, la capacité d’intervention aurait été compromise. Le comité estime que les gestes que la CXII SANDHU a posés en lien avec cet incident sont incompatibles avec l’énoncé de valeurs du Service correctionnel du Canada et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Plus précisément, le « professionnalisme » est défini en ces termes : « un engagement à demeurer fidèle à des normes de conduite éthique élevées et à des normes communes pertinentes, ainsi qu’à acquérir et à mettre en pratique des connaissances spécialisées pour le bien public. Le professionnalisme est basé sur un engagement à l’intégrité – l’engagement de soutenir nos valeurs même dans les circonstances les plus difficiles ».

Par conséquent, la CXII SANDHU a commis les infractions suivantes au Code de discipline (DC060) :

6 g) « omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions; »

6 f) « omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons; »

10 f) « ne tient pas compte des normes de sécurité établies; »

43        Le CED a notamment conclu ce qui suit :

[Traduction]

Par suite de la présente enquête et de tous les renseignements obtenus, il est démontré que l’allégation de conduite inappropriée de la part de la CXII Sandhu dans l’exercice de ses fonctions, par rapport à un incident lors duquel le CXII [agent A]a été découvert dans un état anormal pendant la soirée du 31 octobre 2013 au 1er novembre 2013, est fondée.

44        Pendant son témoignage, M. Begrand a revu le rapport d’enquête. Dans ses observations sur les conclusions du CED au sujet de Mme Sandhu, il a déclaré qu’elle avait fait preuve d’un manque de jugement élémentaire, dans la mesure où elle n’avait pas signalé à Mme Holm que l’agent A se trouvait dans un état anormal. Le CED a aussi considéré qu’il s’agissait d’une question d’éthique concernant ce qu’une personne raisonnable ferait dans une telle situation. Étant donné que Mme Sandhu avait vu l’agent A assis sur le plancher des toilettes et qu’il était en retard de 20 minutes à son poste, en pareille situation une personne raisonnable serait allée au bureau de Mme Holm, dans la pièce à côté, et aurait avisé cette dernière de la possibilité que l’Établissement se trouve à court de personnel, afin qu’elle puisse y voir. Au lieu de cela, Mme Sandhu a caché ces renseignements à Mme Holm après avoir pris connaissance de l’état de l’agent A.

45        De plus, M. Begrand a déclaré que la principale fonction d’un agent correctionnel est la préservation de la vie humaine, qu’il s’agisse de celle d’un détenu ou d’une autre personne. Dans le cas qui nous occupe, les agentes Sandhu et Needles savaient que l’agent A n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions et qu’il manquait un agent à l’Établissement. Dans cette situation, Mmes Sandhu et Needles auraient dû aviser Mme Holm dans les plus brefs délais. Elles ont plutôt décidé de mêler d’autres agents correctionnels à une tentative de cacher la situation à Mme Holm. En procédant de cette façon, Mmes Sandhu et Needles ont agi de manière incompatible avec le Code d’éthique du SCC et avec sa « Directive du commissaire 060 », le « Code de discipline ».

46        M. Begrand a confirmé que Mme Sandhu avait pris un appel provenant d’une cellule après que Mme Needles et elle eurent vu l’agent A dans la salle de bain, à 3 h 31. M. Begrand a déclaré qu’à ce moment-là il n’était pas plus crucial pour Mme Sandhu de répondre à l’appel en provenance de la cellule que de rester auprès de l’agent A, puisque de telles décisions sont justifiées si elles sont conformes à l’éthique. Dans ce cas, la principale fonction de Mme Sandhu en qualité d’agente correctionnelle était la préservation de la vie humaine. Cependant, aucune politique du SCC ne traitait du cas auquel elle a fait face ce jour-là, qui était complexe et isolé.

47        Les agents correctionnels reçoivent une formation sur la prise de décision éthique, mais pas à l’égard des situations qui mettent en cause d’autres membres du personnel. Habituellement, ce sont des détenus qui sont découverts dans un état anormal, et non des membres du personnel, et il sort de l’ordinaire qu’un membre du personnel soit ivre au travail.

48        Sur les huit agents en fonction pendant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013, il y en avait six qui étaient suffisamment au courant de la situation liée à l’agent A pour en faire part à Mme Holm. Même si l’agente Maxwell a informé Mme Holm de la situation, elle ne l’a pas fait volontiers, puisqu’elle aurait été considérée comme une informatrice. Mme Sandhu et les autres membres du personnel pendant ce quart devaient nourrir la même crainte des conséquences de la part de leurs pairs s’ils informaient Mme Holm de l’état de l’agent A.

49        M. Begrand a déclaré que l’enquête et la préparation du rapport d’enquête se sont déroulées du 12 novembre 2013 au 6 janvier 2014. L’enquête a demandé plus de temps que d’habitude, parce que le CED voulait assurer l’exactitude et l’exhaustivité sans retarder le processus.

4. Mme Maxwell

50        Mme Maxwell est agente correctionnelle au SCC depuis octobre 2010. Elle travaille à l’Établissement depuis mars 2013.

51        Pendant la soirée du 31 octobre au 1er novembre 2013, le quart de Mme Maxwell allait de 23 h à 7 h. Elle a entamé son quart en SA (ce qui l’obligeait à voir ce que faisait une détenue toutes les 15 minutes), puis s’est rendue au PCUC à 1 h. Elle y a vu Mmes Needles, Sandhu et Holm ainsi que l’agent A. Ils s’entretenaient et étaient de bonne humeur. Mme Maxwell a alors remarqué que l’agent A buvait à même un thermos noir et argent portant son nom. À un moment donné, l’agent A a versé une partie du contenu de son thermos dans deux tasses de café. Mme Maxwell a vu Mmes Sandhu et Needles tenir ces tasses. Le liquide provenant du thermos que l’agent A versait était clair, ce que Mme Maxwell a trouvé bizarre. L’agent E a relevé Mme Maxwell de ses fonctions de SA.

52        Entre 1 h 30 et 3 h, Mme Maxwell a remarqué que Mme Needles effectuait toutes les tournées dans la cour sécurisée et dans celle de la population carcérale générale. C’était inhabituel, puisque normalement deux agents effectuent la tournée dans la cour de la population carcérale générale. Mme Maxwell a demandé à Mme Needles où était l’agent A. Cette dernière a répondu qu’elle l’ignorait.

53        Mmes Sandhu et Needles ont effectué les tournées après 3 h. Elles avaient l’air affolées et inquiètes. Mme Maxwell leur a demandé où était l’agent A. Elles ont répondu qu’il avait pris un médicament pour le rhume et qu’il faisait une somme. Mme Maxwell a dit à Mme Sandhu qu’elle devait faire savoir au bureau principal que l’agent A ne se portait pas assez bien pour travailler. Mme Sandhu a rétorqué à Mme Maxwell qu’elles iraient rejoindre l’agent A. Mme Maxwell ne pensait pas que la situation était bien grave.

54        Mme Maxwell n’a pas vu l’agent A. Cependant, elle a vu Mmes Sandhu et Needles entre 3 h 30 et 4 h. Mme Sandhu a dit à Mme Maxwell que l’agent A n’arrivait pas à ouvrir les yeux. Mme Sandhu a ensuite effectué une tournée.

55        L’agent E est arrivé et a dit à Mme Maxwell qu’ils devaient faire savoir ce qui se passait au bureau principal. L’agent E ne voulait pas s’en mêler. Mme Maxwell lui a dit de changer de place avec elle et qu’elle ferait l’appel au bureau principal, puisqu’elle n’avait pas accès au téléphone à son poste.

56        Vers 4 h, Mme Maxwell s’est rendue au PCUC et a prié Mme Holm de venir à l’unité carcérale. Elle lui a dit que l’agent A avait bu et qu’il était ivre mort dans la salle de bain. Mme Holm a ensuite senti le thermos qui se trouvait dans le PCUC, et Mme Maxwell a repris sa SA.

57        Mme Maxwell a déclaré qu’elle n’avait pas dit à l’agente C qu’elle avait appelé Mme Holm, parce qu’elle aurait été étiquetée comme étant un rat pour ne pas avoir obtenu l’aval de sa collègue. Elle a décidé d’informer Mme Holm de la situation liée à l’agent A parce que les autres agents en fonction ne pouvaient pas travailler en l’absence d’un agent, ce qui constituait une grave question de sécurité.

58        Mme Maxwell a déclaré qu’après le 1er novembre 2013, la situation est devenue étrange pour elle au travail, et que ses collègues sont devenus fermés comme des huîtres avec elle. Un agent correctionnel lui a dit que les détenues étaient mieux qu’elle, parce qu’elles, au moins, prenaient le parti des leurs. Elle savait que cela arriverait, mais elle avait fait ce qu’il fallait parce que les agents correctionnels sont obligés de maintenir la sûreté et la sécurité de l’Établissement.

59        Mme Maxwell a déclaré qu’elle avait une bonne relation avec Mme Sandhu et qu’elle la connaissait depuis mars 2013.

5. Brad Sass

60        Brad Sass est directeur adjoint, Interventions, à l’Établissement. Il occupe ce poste depuis 2007. Il a fait ses débuts au SCC en 1995 et a travaillé à plusieurs postes depuis lors. En qualité de directeur adjoint, M. Sass est le responsable en second de l’Établissement.

61        Les 31 octobre et 1er novembre 2013, M. Sass a effectué les quarts allant de 8 h à 16 h. Il a été avisé de l’incident en question pendant la matinée du 1er novembre 2013. Il a été informé qu’un membre du personnel avait été incapable d’exercer ses fonctions parce qu’il avait consommé de l’alcool et s’était trouvé dans un état anormal, et que les autres membres du personnel ne s’étaient pas occupés de lui. M. Sass et Mme Draude ont ensuite rencontré Mmes Sandhu et Needles.

62        Plus tard ce jour-là, M. Sass et un conseiller en relations de travail ont eu une discussion par téléphone avec Mme Sandhu et le représentant de son agent négociateur. Au cours de cette discussion, la version des faits de Mme Sandhu est demeurée identique à celle qu’elle avait déclarée dans son ROD. Mme Sandhu a ensuite été mise en congé administratif payé jusqu’à la fin de l’enquête. Il lui a alors été recommandé d’envisager de recourir au Programme d’aide aux employés (PAE) du SCC.

63        M. Sass, un représentant des Relations de travail, et un représentant de l’agent négociateur ont eu une autre conversation téléphonique avec Mme Sandhu le 4 ou le 5 novembre 2013. M. Sass a de nouveau recommandé à cette dernière de recourir au PAE. Il lui a dit que le SCC lançait une enquête disciplinaire, qui pouvait durer quelques semaines. Elle demeurerait en congé payé, mais cela pouvait changer. Mme Sandhu a demandé pourquoi le SCC lançait une enquête. M. Sass a répondu que cela était en partie attribuable à son défaut d’intervenir auprès d’un membre du personnel en état de détresse, ainsi qu’à d’autres allégations. Après cela, M. Sass a rédigé l’ordre de convocation que Mme Draude devait signer.

64        M. Sass a expliqué que le critère énoncé dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, (le « critère Larson ») s’applique lorsque le SCC envisage d’imposer une suspension avec ou sans solde. Une évaluation est effectuée afin de déterminer si l’employé peut être au travail, s’il doit rester chez lui avec ou sans solde ou s’il doit se voir assigner d’autres fonctions ou un autre lieu de travail.

65        M. Sass a déclaré que si un employé est suspendu avec ou sans solde, il n’est pas en congé mais suspendu. Mme Sandhu a été suspendue avec solde du 1er novembre au 1er décembre 2013, puis sans solde à partir du 2 décembre 2013. Dans une telle situation, l’employé ne peut pas choisir la suspension avec solde ou sans solde.

66        Quant aux motifs de la suspension sans solde de Mme Sandhu, M. Sass a déclaré que l’employeur avait examiné les allégations et évalué le risque pour le SCC (par exemple, pour sa réputation) et les répercussions sur la sécurité de l’Établissement et la sûreté de ses détenues, de son personnel et des visiteurs. L’employeur était d’avis que le jugement de Mme Sandhu à l’égard des liens entre ce genre de choses et l’exécution de ses fonctions posait un risque pour l’Établissement en ce qui concerne ses valeurs et son professionnalisme. En outre, la conduite de Mme Sandhu au travail devait être représentative des valeurs de la fonction publique et du SCC. Les agents correctionnels sont formés pour intervenir en cas d’urgence, assimilent des notions de professionnalisme et d’éthique et apprennent comment ces notions s’appliquent à différentes situations au travail.

67        Mme Sandhu a trouvé l’agent A dans un état anormal, en raison d’un problème médical ou d’une intoxication, et elle a décidé de ne pas alerter la GC, mais de mêler à cette affaire deux membres du personnel. De plus, elle a dissimulé l’incident afin de cacher la situation de l’agent A à la GC. De l’avis de M. Sass, les actes de Mme Sandhu présentaient un risque pour la sécurité de l’Établissement, des détenues et du personnel.

68        Selon le modèle de mutation auquel ont souscrit le SCC et l’agent négociateur des fonctionnaires, le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN), il doit y avoir un nombre minimal d’employés sur place à chaque quart. Comme il lui manquait un agent, l’Établissement n’aurait pas pu intervenir en cas d’urgence, d’incendie ou de problèmes liés aux détenues tels que les suicides, les automutilations, etc., et la GC n’aurait pas pu remédier à cette situation, parce que Mme Sandhu ne l’avait pas avisée que l’agent A n’était pas en mesure de travailler.

69        Cela a amené M. Sass à se demander si Mme Sandhu avait pris des décisions similaires dans le passé et si elle en prendrait à l’avenir. M. Sass était également préoccupé du fait que même si l’employeur avait appris plus tard que l’agent A était en état d’ébriété, cette information n’était pas connue au moment opportun, et l’agent A aurait pu se trouver en situation de crise médicale. Mme Sandhu est formée en premiers soins et en réanimation cardio-respiratoire et possède un dispositif de communication personnel. Plutôt que d’aider l’agent A, elle a décidé de faire intervenir d’autres membres du personnel et n’a pas redressé la situation. Cela a amené M. Sass à se demander comment elle agirait si elle trouvait une détenue ou une autre personne dans une situation similaire.

70        Au sujet de sa préoccupation concernant l’atteinte à la réputation du SCC, M. Sass a déclaré qu’il avait été allégué que Mme Sandhu pouvait avoir bu, et que son ROD et les conversations enregistrées ne concordaient pas. De plus, les allégations concernant ce qui s’est passé pendant ce quart étaient largement connues à l’Établissement et dans d’autres établissements correctionnels, ce qui, encore là, le préoccupait. Pour ce motif, M. Sass a décidé que Mme Sandhu ne pouvait pas être temporairement placée dans un autre établissement (comme l’Établissement d’Edmonton), comme le prévoit l’« entente globale » entre le SCC et l’UCCO-SACC-CSN en date du 26 juin 2006.

71        En vertu du critère Larson, le SCC doit examiner une suspension sans solde toutes les trois semaines, afin de déterminer si les allégations faites contre l’employé étaient inexactes. À ce titre, M. Sass a envoyé des notes de service le 23 décembre 2013 et les 13 janvier, 3 février et 24 février 2014. Ces notes de service avisaient Mme Sandhu des examens périodiques de sa suspension sans solde qu’effectuait M. Sass et indiquaient que la suspension se poursuivrait.

72        M. Sass se préoccupait aussi du personnel de l’Établissement et était d’avis que le retour de Mme Sandhu nuirait à la réputation du SCC. En ce qui concerne le critère Larson, M. Sass a déclaré que le SCC doit examiner les valeurs, l’éthique, le professionnalisme et le jugement de l’employé et déterminer si la remise au travail de cet employé risque de compromettre la sûreté et la sécurité de l’Établissement, de ses employés, etc.

73        M. Sass a déclaré qu’il n’avait eu d’autre choix que de suspendre Mme Sandhu (et Mme Needles) sans solde à partir du 2 décembre 2013. Il ne s’agissait pas d’une sanction, mais d’une mesure administrative attribuable à la conduite de Mme Sandhu et à l’allégation de conduite répréhensible qui devait faire l’objet d’une enquête. M. Sass a conclu qu’il existait un risque grave ou immédiat qui justifiait de passer d’une suspension avec solde à une suspension sans solde. Avant de prendre cette décision, M. Sass a examiné le ROD de Mme Sandhu et les enregistrements de ses conversations avec d’autres agents pendant le quart en question. Cependant, il n’a pas reçu de nouveaux renseignements entre le 29 novembre et le 2 décembre 2013.

74        M. Sass a déclaré qu’au vu de ses 26 années d’expérience, il est d’avis que certains agents correctionnels respectent la loi du silence. Cependant, il y a une marge qu’ils ne franchissent pas, à savoir dans un cas où la sécurité est compromise. M. Sass ne s’est jamais conformé à cette loi. Il a reconnu que Mme Sandhu avait beaucoup à perdre et peu à gagner en s’abstenant de signaler l’état de l’agent A à la GC. Même si cela pouvait être attribuable à la loi du silence, cette loi ne se serait appliquée que si Mme Sandhu et d’autres agents avaient cru que l’agent A avait fait quelque chose de répréhensible.

6. Mme Draude

75        Mme Draude a agi comme directrice de l’Établissement de février 2012 à décembre 2014. Elle a commencé à travailler pour le SCC en juillet 1996, à plusieurs titres. Après avoir quitté le SCC, en décembre 2014, elle a été employée comme directrice générale du Centre psychiatrique régional, à Saskatoon, jusqu’en septembre 2015. Actuellement, elle est la directrice générale provinciale de la Forensic Psychiatry Services Commission en Colombie-Britannique. Elle occupe ce poste depuis septembre 2015.

76        En qualité de directrice de l’Établissement, Mme Draude était responsable de la direction générale, notamment du personnel, de la sécurité et des actifs. Ses heures de travail régulières allaient de 7 h 30 à 16 h 30 ou 17 h, et elle était disponible 24 heures par jour, sept jours par semaine.

77        Le 1er novembre 2013, M. LaPointe a appelé Mme Draude au travail de bonne heure. Il l’a avisée que l’agent A avait été découvert dans état anormal et que ce qui s’était passé pendant le quart en question suscitait des préoccupations. À son arrivée à l’Établissement, Mme Draude s’est entretenue avec M. LaPointe et Mme Holm. Ces derniers ont informé Mme Draude au sujet de l’agent A et du fait que deux agentes, Mmes Sandhu et Needles, avaient peut-être aussi consommé de l’alcool pendant le quart.

78        Ils ont ensuite interrogé Mme Sandhu. Mme Draude a estimé que Mme Sandhu était communicative, quoique très nerveuse. Mme Draude n’avait jamais rencontré Mme Sandhu auparavant. L’entrevue a duré une dizaine de minutes. À la fin de l’entrevue, Mme Draude a eu le sentiment qu’elle devait recueillir de plus amples renseignements sur l’incident. Ils ont ensuite interrogé Mme Needles. Encore là, Mme Draude a eu le sentiment qu’elle devait enquêter de manière plus approfondie et recueillir de plus amples renseignements afin de savoir ce qui s’était passé.

79        Mme Draude a ensuite lancé une enquête, puis signé un ordre de convocation le 6 novembre 2013, ainsi qu’une modification à l’ordre de convocation le 11 novembre 2013. En vertu de l’ordre de convocation, le CED devait enquêter sur les agents A, Sandhu, Needles, B, C, et Maxwell, de même que sur Mme Holm, en raison d’une éventuelle conduite inappropriée pendant le quart en question.

80        Mme Draude a reçu le rapport d’enquête et l’a signé le 13 janvier 2014. Elle a accepté toutes les conclusions du CED.

81        Par la suite, le 6 février 2014, Mme Draude a rencontré Mme Sandhu, le représentant de son agent négociateur et deux agents des relations de travail, afin d’obtenir la réponse de Mme Sandhu aux conclusions du CED. Mme Draude était d’avis que la rencontre avait été frustrante, parce que les réponses de Mme Sandhu aux questions contredisaient celles qu’elle avait données antérieurement, ainsi que les conclusions du rapport d’enquête. Mme Draude était d’avis que Mme Sandhu n’avait pas reconnu sa responsabilité, parce que même si elle avait dit [traduction] « je suis désolée » à plusieurs reprises, elle avait ajouté [traduction « mais ». Mme Draude n’avait pas le sentiment que Mme Sandhu assumait ses actes.

82        Avant cette réunion, Mme Sandhu avait présenté sa réfutation des conclusions du CED à Mme Draude. Cette dernière était d’avis qu’il y avait des contradictions entre les déclarations de Mme Sandhu dans la réfutation et celles des autres employés. Même si Mme Sandhu s’était excusée pour ses actes, ses excuses n’étaient pas inconditionnelles, puisqu’elles étaient suivies d’un [traduction] « mais ».

83        Mme Draude a accepté les conclusions du CED selon lesquelles Mme Sandhu avait violé les alinéas 6g), 6f) et 10f) du Code de discipline, puisqu’elle n’avait pas signalé l’état de l’agent A à la GC, alors qu’elle savait que ce dernier n’était pas en mesure de travailler et que l’Établissement menait ses activités avec un membre du personnel en moins. De plus, Mme Sandhu était responsable de la sûreté et de la sécurité de l’Établissement, que ses actes et son inaction avaient compromises.

84        Mme Draude a déclaré que l’employeur n’avait guère eu d’autre choix que de licencier Mme Sandhu, puisqu’elle-même ne pouvait pas se fier au jugement de Mme Sandhu, ni croire que celle-ci pouvait s’acquitter de ses tâches sans présenter un risque pour l’Établissement. La décision de licencier Mme Sandhu n’a pas été prise à la légère. Mme Draude a consulté les directions régionale et nationale du SCC, puisque la carrière de Mme Sandhu était en jeu. Mme Draude a déclaré qu’elle avait voulu [traduction] « se conformer entièrement aux règles ».

85        Cette décision a touché Mme Draude sur les plans personnel et professionnel. Elle a subi la pression exercée par ses collègues et par le bureau du commissaire, qui voulaient s’assurer qu’elle avait tout bien considéré. Mme Draude s’est sentie incitée à [traduction] « fermer les yeux ». Cependant, elle devait s’en tenir à ses valeurs et à l’éthique et ne pouvait pas tolérer ce comportement dans l’Établissement.

86        Le rapport d’enquête a été remis le 6 janvier 2013. La suspension sans solde de Mme Sandhu a été maintenue. La note de service du 13 janvier 2014 lui a été envoyée. La note indiquait que la suspension se poursuivrait (parce que les conclusions du CED ne changeaient en rien l’évaluation que Mme Draude avait faite de la conduite de Mme Sandhu). Le 6 février, Mme Draude a tenu la réunion disciplinaire avec Mme Sandhu, qui lui a présenté une autre réfutation le 20 février. Mme Draude n’a envoyé la lettre de licenciement que le 5 mars 2014, parce qu’elle voulait prendre son temps en raison de l’importance de la décision.

87        Sur les huit employés en fonction pendant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013, quatre, à savoir Mmes Sandhu et Needles et les agents B et E, étaient des stagiaires. Les autres agents en fonction pendant ce quart ont aussi fait l’objet de mesures disciplinaires. L’agent A a été licencié (décision qui a été annulée en appel), Mme Needles a été renvoyée en cours de stage et les agents B, C et E ont reçu une sanction pécuniaire.

88        Bien que Mme Draude ait reçu l’appui du commissaire du SCC pour avoir pris la décision d’imposer des mesures disciplinaires aux autres agents correctionnels, il n’en a pas été ainsi dans le cas de Mme Sandhu. Mme Draude s’est sentie obligée de traiter Mme Sandhu différemment. Elle a reçu un appel téléphonique d’une collègue, qui était une amie de la mère de Mme Sandhu, qui l’a priée de ne pas prendre de mesures disciplinaires contre cette dernière. De plus, la mère de Mme Sandhu a appelé Mme Draude au sujet du cas de sa fille. Jusqu’à cet incident, Mme Draude avait ignoré que la mère de Mme Sandhu était la directrice d’un autre établissement.

89        Finalement, Mme Draude a estimé qu’elle ne pouvait pas traiter Mme Sandhu différemment, et qu’elle devait se conformer aux règles et aux normes du SCC, ainsi qu’aux recommandations et aux conseils qu’elle avait reçus des Relations de travail et de ses collègues. Cependant, elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Cela n’a pas été une période facile pour moi. »

90        Mme Draude a déclaré qu’elle n’avait jamais fait face à une situation où un membre du personnel avait été ivre dans l’exercice de ses fonctions.

91        Comme Mme Sandhu a été embauchée à compter du 23 janvier 2013, son stage aurait dû se terminer le 22 janvier 2014. Mme Draude a convenu que la note de service du 29 novembre 2013, qui a été envoyée à Mme Sandhu, dans laquelle sa suspension avec solde était modifiée, indiquait qu’elle serait en suspension sans solde, et non en congé. Cependant, selon les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C., 1985, ch. F-11; LGFP), une suspension sans solde est qualifiée de congé puisque, selon les mots de Mme Draude : [traduction] « C’est comme ça qu’on est payé. »

92        Mme Draude a confirmé que le licenciement de Mme Sandhu avait pris effet le 2 décembre 2013, mais elle a déclaré qu’elle ignorait pour quel motif il avait pris effet à cette date.

93        Mme Draude a reconnu que la suspension sans solde d’un employé n’est pas une pratique habituelle, qu’il s’agissait d’une décision importante, et que M. Sass l’a prise en qualité de directeur adjoint de l’Établissement. Mme Draude a aussi souscrit à l’évaluation que M. Sass avait faite du critère Larson, ainsi qu’à sa décision de suspendre Mme Sandhu sans solde. Ils ont décidé de prendre cette mesure et de ne pas affecter Mme Sandhu à un autre poste, parce qu’ils étaient d’avis que le jugement et la réaction dont elle avait fait preuve étaient inadéquats à un point tel qu’il leur était impossible de croire qu’elle ne présenterait aucun risque pour la sûreté et la sécurité de l’Établissement.

94        Mme Draude a émis des notes de service prolongeant la suspension sans solde de Mme Sandhu à toutes les trois semaines, parce qu’elle n’avait reçu aucun renseignement supplémentaire ou nouveau qui aurait pu la faire changer d’avis à ce sujet. En ce qui a trait au critère Larson, Mme Draude a déclaré que, en ce qui concerne le [traduction] « risque immédiat », l’employeur n’avait pas confiance que Mme Sandhu puisse poser des jugements appropriés, de façon à assurer la sûreté et la sécurité de l’Établissement. De plus, de par ses actes, elle avait exposé les détenues à un risque immédiat, parce que le soir en question l’Établissement s’était retrouvé avec un employé en moins.

95        Mme Sandhu avait aussi exposé l’agent A à un risque, puisque l’état de ce dernier n’était pas connu et qu’il aurait pu s’agir d’un problème médical. Mme Sandhu a admis que s’il s’était s’agit d’une détenue plutôt que de l’agent A, elle aurait fait en sorte que la GC gère son cas. Même si Mme Holm avait laissé l’agent A seul dans la salle de bain, elle avait constaté qu’il était ivre et avait vu à lui en conséquence.

96        Mme Draude a reconnu qu’aucune évaluation du rendement n’avait été effectuée à l’égard de Mme Sandhu et qu’aucune mesure disciplinaire n’était consignée dans son dossier.

97        Mme Draude a déclaré que même si le rapport avait été rédigé le 13 janvier 2014, Mme Sandhu n’avait été renvoyée en cours de stage que le 5 mars 2014, parce qu’elle devait revoir le rapport d’enquête. Mme Sandhu a présenté une réfutation des conclusions du rapport dont Mme Draude a dû tenir compte.

98        Les transcriptions des conversations radio tenues pendant le quart en question ont été communiquées à Mme Sandhu pendant l’entrevue d’enquête. Mme Draude les lui a aussi fait entendre pendant l’audience disciplinaire, le 6 février 2014. En ce qui a trait à l’exigence prévue à la clause 17.07 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et la CSN pour le groupe Services correctionnels (date d’expiration au 31 mai 2014) (la « convention collective »), en vertu de laquelle l’employeur permet à l’employé l’accès à l’information ayant servi au cours de l’enquête disciplinaire, Mme Draude a déclaré qu’une audience disciplinaire fait partie du processus d’enquête. En ce qui la concernait, les radiotransmissions avaient été communiquées à Mme Sandhu. Dans le cas contraire, cela aurait pu influer sur le rapport d’enquête. Cependant, le contenu des appels radio a été l’un des facteurs dont elle a tenu compte.

99        Mme Draude a confirmé que dans la foulée du suicide d’Ashley Smith, une adolescente décédée par autoasphyxie en octobre 2007 pendant qu’elle était sous surveillance du risque de suicide à l’Établissement pour femmes Grand Valley, ce qui a fait les manchettes à l’échelle nationale, il a été rappelé à tous les directeurs d’établissement que leurs agents devaient répondre aux détenus. À ce titre, un agent doit répondre à tous les appels en provenance des cellules, sans exception, à moins qu’un autre agent n’intervienne pour lui. Même si Mme Sandhu a laissé l’agent A à lui-même pour répondre à un appel provenant d’une cellule, elle a constaté son état et ne l’a pas signalé alors qu’elle savait qu’il éprouvait un problème.

100        En ce qui concerne la mesure disciplinaire différente qui a été imposée à l’agent B, par opposition à celle dont Mme Sandhu a fait l’objet, Mme Draude a déclaré que l’agent B avait signalé que quelque chose clochait. L’agent B a été suspendu avec solde du 1er novembre au 9 décembre 2013, puis a été mis en congé non payé du 9 décembre 2013 au 12 février 2014. Il n’a pas été suspendu avec ou sans solde au cours de cette dernière période, parce qu’il avait signalé l’incident. De plus, l’agent B n’a pas été renvoyé en cours de stage parce qu’il n’a pas contrevenu aux alinéas 6g) ou 10f) du Code de discipline. Ce n’est pas le cas de Mme Sandhu, puisqu’il n’est pas possible de compter sur elle pour signaler un incident similaire à l’avenir.

101        En dernier lieu, Mme Draude a convenu que Mme Sandhu aurait probablement réussi le stage n’eût été de l’incident en question ou d’un autre.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée Mme Sandhu

1. Brendon Cheung

102        M. Cheung travaille pour le SCC depuis 17 ans. Il travaille à l’Établissement depuis 13 ans, en qualité de CX-02. Il remplit aussi les fonctions de président de la section locale de l’agent négociateur depuis cinq ans.

103        M. Cheung a déclaré qu’il avait formé plus d’une cinquantaine d’employés depuis qu’il travaille à l’Établissement, notamment une quarantaine au moins depuis les trois dernières années, parce que le roulement du personnel est élevé.

104        En tant que recrues, les agents correctionnels apprennent à écouter, à se taire et à ne pas faire de vagues.

105        Pour ce qui est de la résolution des problèmes qui surviennent sur un étage de l’Établissement, les agents apprennent à faire intervenir le moins d’employés possible et à régler les problèmes entre eux. Les agents correctionnels observent la [traduction] « loi du silence » des détenus, parce qu’ils doivent se faire mutuellement confiance. Ceux qui sont considérés comme des rats subissent les représailles de leurs collègues et ont par conséquent un milieu de travail pénible.

106        M. Cheung a fait la connaissance de Mme Sandhu en janvier 2013. Cette dernière l’a observé à deux postes. Il lui a enseigné les fonctions et les politiques applicables à ces postes. Ils ont été des collègues pendant huit mois. M. Cheung a effectué une quarantaine de quarts de 13 heures avec Mme Sandhu. Il est au courant des faits survenus le 1er novembre 2013, puisqu’il a assisté à trois entrevues avec les agents concernés. Il a déclaré qu’il travaillerait de nouveau avec Mme Sandhu sans hésiter, et qu’à son avis, elle était en passe de devenir une bonne agente correctionnelle, n’eût été des faits survenus pendant le quart en question. Cependant, M. Cheung a reconnu qu’il n’était pas en fonction pendant ce quart, qu’il n’était pas intervenu dans le processus décisionnel et qu’il n’avait pas évalué le rendement de Mme Sandhu pendant ce quart.

2. Claudia Ramirez

107        Mme Ramirez est agente correctionnelle (CX-02) à l’Établissement. Elle occupe ce poste depuis environ neuf ans.

108        Mme Ramirez travaille très souvent au PPCC. Si la GC n’est pas en mesure de s’acquitter de ses fonctions, l’agent affecté au PPCC prend le contrôle de l’Établissement. Dans ce rôle, Mme Ramirez est responsable de l’Établissement — elle dirige les agents correctionnels mobiles sur l’étage, communique avec eux par radio et leur donne des directives. Les problèmes liés à la qualité des radiotransmissions ont été fréquents en 2013. Il y avait des zones mortes, par exemple, dans l’unité Hummingbird et dans le nouvel édifice (qui était à sécurité minimale).

109        Au début de leur carrière, les agents correctionnels apprennent à garder un profil bas, à se taire et à faire leur travail, ce qu’ils font au cours des premières années. Ils se mêlent de leurs affaires, suivent les directives de leurs supérieurs et assimilent les routines de l’Établissement.

110        Au sujet des collègues qui règlent les problèmes entre eux, Mme Ramirez a déclaré qu’ils y voient effectivement eux-mêmes. Les rats sont mal perçus par leurs collègues et personne ne veut travailler avec eux. Ils sont isolés et étiquetés comme étant indignes de confiance. Leurs collègues ne veulent pas travailler avec eux et parlent dans leur dos. Cependant, la sécurité de l’Établissement passe avant l’exclusion d’un employé assimilé à un rat.

111        Mme Ramirez a rencontré Mme Sandhu lorsque celle-ci a commencé à travailler à l’Établissement. Tout le monde y savait que la mère de Mme Sandhu était la directrice de l’Établissement de Matsqui. Mme Ramirez a entretenu une relation très professionnelle avec Mme Sandhu, et elles ont collaboré assez souvent. Mme Ramirez n’éprouverait aucune difficulté à travailler de nouveau avec Mme Sandhu. À son avis, cette dernière travaillerait encore à l’Établissement n’eût été des faits survenus le 1er novembre 2013. Cependant, Mme Ramirez ne travaillait pas pendant le quart en question et n’a pas évalué le rendement de Mme Sandhu à cet égard.

3. Mme Sandhu

112        Mme Sandhu a été employée comme agente correctionnelle (CX-02) à l’Établissement pendant un peu moins d’un an. Avant cela, elle a participé au Programme de formation correctionnelle du SCC à Kingston, en Ontario, qui a duré deux mois et demi. Elle s’est initiée à l’autodéfense et a appris comment porter l’équipement correctement et comment négocier avec les détenus, mais n’a pas appris comment traiter les questions liées au personnel.

113        Pendant que Mme Sandhu suivait le cours, une personne qui savait que sa mère était directrice d’établissement a répandu cette information. Par conséquent, lorsque Mme Sandhu a commencé à travailler à l’Établissement, presque tout le monde était au courant de cela, ce qui a amené ses collègues à être distants avec elle et à ne pas lui faire confiance parce qu’un membre de sa famille faisait partie de la direction. En raison de cela, Mme Sandhu a eu le sentiment qu’elle devait prouver qu’elle était digne de confiance. Elle avait une excellente relation de travail avec les agents qui avaient suivi leur formation avec elle, mais les autres étaient distants et ne l’acceptaient pas dans leurs cercles. Elle ne voyait pas l’équipe de direction et n’avait aucun contact avec elle.

114        Lors de son premier jour à l’Établissement, Mme Sandhu s’est fait dire par un agent correctionnel supérieur, au même titre que d’autres agents correctionnels, qu’ils devaient garder les problèmes pour eux, ne pas dénoncer les autres, régler eux-mêmes les différends et ne signaler que les gros problèmes à la direction. L’agent correctionnel supérieur en question a dit à Mme Sandhu et aux autres nouveaux agents que [traduction] « les bleus restent avec les bleus », c’est-à-dire que les agents correctionnels se serrent les coudes et ne prennent pas la part des [traduction] « bleus pâles », c’est-à-dire des GC.

115        Mme Sandhu a donné un compte rendu de ce qu’elle avait vécu pendant le quart de soir du 31 octobre au 1er novembre 2013. Le 31 octobre, elle a entamé son quart à 18 h 30. Son premier poste était l’EF23, dans l’unité carcérale, où elle devait effectuer des tournées au sein de la population et surveiller les détenues. À 23 h, elle a apporté les feuilles de dénombrement à la GC. À ce moment-là, ses partenaires étaient les agents E, Maxwell et Needles.

116        Après 23 h, le deuxième poste de Mme Sandhu était l’EF1. Ses fonctions consistaient à veiller sur la population carcérale générale, à effectuer des tournées et à s’assurer que tout le monde était en sécurité. Son partenaire était l’agent A. Son troisième poste débutait à 3 h 30, dans le milieu de vie structuré. Ses fonctions consistaient de nouveau à surveiller les détenues, à procéder aux dénombrements et à s’assurer que tout le monde était en sécurité. Elle travaillait en tandem avec l’agent D à ce poste.

117        Les autres agents en fonction pendant ce quart étaient les agents A, B, C, D, E et Maxwell. Mme Holm était la GC en fonction. Mme Sandhu n’avait travaillé avec l’agent A qu’à deux ou trois reprises auparavant. Pendant ce quart, il avait l’air normal. Il était drôle et bavard.

118        Comme c’était l’Halloween, tout le monde était excité et l’ambiance était joviale. Rien d’extraordinaire ne s’est produit pendant que Mme Sandhu a occupé son premier poste à l’EF23, entre 18 h 30 et 23 h. Vers 2 h, Mme Sandhu et l’agent A ont effectué leur dernière patrouille et tout allait bien.

119        Un peu avant 2 h 45, Mme Sandhu et l’agent A sont allés au parc de stationnement du personnel. Mme Sandhu allait chercher un chargeur de téléphone cellulaire que l’agent B lui avait apporté. L’agent A est allé à sa voiture. Mme Sandhu ne pouvait pas le voir. Elle l’a attendu et ils sont rentrés ensemble dans l’Établissement. Ils sont revenus vers 2 h 45. Mme Sandhu a dit à l’agent A qu’elle allait à l’unité carcérale. Ce dernier est allé à la salle de bain.

120        L’agente C se trouvait dans le PPCC. Mme Sandhu lui a dit que l’agent A était à la salle de bain. Après cela, Mme Sandhu a entendu un appel radio destiné à l’agent A, à qui on demandait où il était. L’agent A a répondu à l’appel. Le poste de contrôle a de nouveau lancé un appel radio mais n’a pas reçu de réponse de l’agent A. Il était à la salle de bain depuis une quinzaine de minutes. Mme Sandhu a décidé d’aller voir ce qu’il faisait et d’en informer le poste de contrôle.

121        Mme Sandhu s’est rendue à la salle de bain. La porte était fermée. Mme Sandhu a frappé et a demandé : [traduction] « Est-ce que ça va? » L’agent A a répondu [traduction] « Oui ». Mme Sandhu est alors retournée à l’unité carcérale et a avisé le poste de contrôle que l’agent A était encore à la salle de bain. Après un nouvel appel radio du poste de contrôle, Mme Sandhu a prié Mme Needles de venir avec elle voir ce qu’il en était de l’agent A. Elle a dit à Mme Needles que l’agent A était à la salle de bain et qu’il ne s’était pas présenté à son poste de contrôle. Mmes Sandhu et Needles se sont arrêtées au PPCC et ont informé l’agente C de ce qu’elles faisaient. Mme Sandhu a dit qu’elle n’avait pas avisé la GC à ce moment-là [traduction] « parce qu’il n’y avait rien à lui dire ».

122        Lorsque Mmes Sandhu et Needles sont arrivées à la salle de bain, la porte était encore fermée. Mme Sandhu a cogné fort et n’a pas reçu de réponse. Elle a ouvert la porte lentement. L’agent A était assis sur le plancher, les genoux relevés vers le menton, la tête baissée. Il était autour de 3 h 25 ou 3 h 30. Mme Sandhu est restée à la porte une quinzaine ou une vingtaine de secondes. Mme Needles est entrée dans la salle de bain. C’est la dernière fois que Mme Sandhu a vu l’agent A. Elle a pensé qu’il était malade. Elle a alors reçu un appel en provenance d’une cellule de l’unité carcérale et a quitté les lieux afin d’y répondre.

123        Mme Sandhu s’est vu montrer le rapport d’enquête et sa déclaration selon laquelle elle avait [traduction] « paniqué et eu peur ». Elle a expliqué qu’elle avait éprouvé ce sentiment parce qu’elle avait vu l’agent A et avait dû répondre à un appel en provenance d’une cellule de l’unité carcérale. Elle n’avait pas signalé que l’agent A était dans la salle de bain parce qu’elle ignorait qu’il n’était pas en mesure de le faire lui-même. Elle a décidé de répondre à l’appel provenant de la cellule parce qu’à son avis, la sécurité d’une détenue est une priorité, surtout dans le cas de celles qui sont sous surveillance du risque de suicide ou SA.

124        Mme Needles est retournée à l’unité carcérale. Elle a dit à Mme Sandhu que l’agent A avait été mécontent de sa présence; il en était irrité et fâché. Mmes Sandhu et Needles ont décidé de demander à une personne de sexe masculin, l’agent B, d’aller vérifier l’état de l’agent A. Mme Sandhu a dit qu’elle n’avait pas avisé la GC à ce moment-là parce qu’il n’y avait rien à signaler, à part le fait que l’agent A était malade, et qu’elle ignorait qu’il ne pouvait pas signaler lui-même son état. Elle voulait qu’il le fasse lui-même.

125        Mme Sandhu s’est adressée à l’agent B. Ils ont échangé du matériel, étant donné que le quart suivant de Mme Sandhu se trouvait au poste que l’agent B quittait. Mme Sandhu a parlé à ce dernier de l’agent A, et il est allé le voir. Mme Sandhu a aussi parlé de l’agent A à l’agente D. Cette personne lui a dit de tenter de faire travailler l’agent A  à un autre poste que le poste de contrôle, où elle-même travaillerait.

126        Mme Sandhu a été questionnée au sujet de sa déclaration concernant une transcription de sa communication radio avec Mme Needles à 4 h 43, lorsqu’elle avait demandé à cette dernière : [traduction] « Est-il encore malade? » Elle pensait encore que l’agent A était malade à ce moment-là. Elle n’a conclu qu’il était en état d’ébriété qu’au moment où Mme Holm lui a demandé si elle avait bu.

127        À la suite de cette conversation par radio, l’agente D a dit à Mme Sandhu qu’en cas de fouille des effets personnels, elle devait être sur place à ce moment-là. Mme Sandhu s’est vu demander pourquoi le thermos de l’agent A se trouvait dans son sac. Elle a répondu qu’elle avait demandé à Mme Needles de sortir son goûter de l’unité carcérale et de le mettre dans le réfrigérateur, et que Mme Needles avait mis le thermos dans son sac. Mme Holm lui a demandé ce qu’il y avait dans sa tasse de café et si elle avait bu à même le thermos de l’agent A. Mme Sandhu a dit qu’elle [traduction] « avait eu peur et avait paniqué » par suite de ces questions, parce que Mme Holm avait trouvé un agent dans un état anormal. Mme Sandhu a présumé que Mme Holm croyait qu’elle avait bu elle aussi.

128        Mme Sandhu a ensuite rencontré Mme Draude, M. Sass et un représentant de l’agent négociateur. Ces derniers lui ont demandé si elle avait bu, si elle avait tenté de cacher l’état de l’agent A et si celui-ci était dans un état anormal, puis l’ont questionnée au sujet de sa mauvaise décision de répondre à l’appel provenant de la cellule après avoir vu l’agent A dans la salle de bain. Mme Sandhu est rentrée chez elle en voiture à la fin de son quart. Elle n’a bénéficié d’aucune séance de gestion du stress à la suite d’un incident critique, ce qui est généralement offert aux employés afin de les aider à supporter un incident.

129        Mme Sandhu a été suspendue avec solde le 1er novembre 2013, après la fin de son quart. Le 29 novembre 2013, elle a été avisée que sa suspension serait sans solde. Elle ne s’est pas vu offrir de réaffectation et n’a reçu aucune information au sujet du risque qu’elle présentait. Elle a reçu toutes les trois semaines des notes de service l’avisant de son statut d’employée suspendue sans solde et indiquant que la suspension se poursuivrait. Elle a aussi reçu une note de service en date du 23 janvier 2014, qui l’avisait que son stage serait prolongé, la note ayant été envoyée une journée après l’expiration de sa période de stage.

130        Le 6 février 2014, Mme Sandhu a comparu à une audience disciplinaire devant Mme Draude et d’autres personnes, ce qu’elle a trouvé très stressant. Au préalable, elle avait présenté une réfutation des conclusions du CED énoncées dans le rapport d’enquête. À l’audience disciplinaire du 6 février, Mme Draude n’a fait aucune allusion à la réfutation de Mme Sandhu. Le seul document que cette dernière avait reçu avant cette audience était une copie du rapport d’enquête. Après l’audience, Mme Sandhu a présenté de plus amples éclaircissements sur les enregistrements sonores et leurs transcriptions.

131        Mme Sandhu s’est vu demander comment elle réagirait dans une situation similaire à celle qui s’était présentée le 1er novembre 2013. Elle a déclaré qu’elle signalerait la situation à la GC dans les plus brefs délais, parce qu’il s’agirait d’un cas extraordinaire ou inhabituel.

132        Mme Sandhu a examiné une lettre d’offre en date du 11 octobre 2013 qu’elle avait reçue du directeur de l’Établissement de la vallée du Fraser. Cette offre concernait une affectation à temps plein comme CX-02 (intervenant de première ligne) dans cet établissement, à compter du 12 mai 2014.Mme Sandhu a accepté cette offre le 17 octobre 2013.

133        En contre-interrogatoire, Mme Sandhu a confirmé qu’elle avait commencé à travailler à l’Établissement le 23 janvier 2013. Elle avait cru comprendre qu’elle ferait un stage de 12 mois. Elle avait aussi accepté de se conformer au « Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique », ainsi qu’au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du SCC dont il était fait mention dans l’annexe à sa lettre d’offre.

134        Mme Sandhu a été priée d’examiner la description de travail du poste CX-02. Elle a reconnu qu’un agent correctionnel doit assurer la sûreté et la sécurité du public, du personnel et des détenus de son établissement. Elle a aussi reconnu que la sûreté et la sécurité du personnel, et non des détenus seulement, est une priorité pour un agent correctionnel.

135        Mme Sandhu a convenu de ce qui suit :

  • les agents correctionnels doivent alerter un GC s’ils remarquent quelque chose qui sort de l’ordinaire, en fonction de la situation;
  • une chose qui sort de l’ordinaire pourrait éventuellement entraîner une situation dangereuse;
  • la situation de l’agent A sortait de l’ordinaire après qu’il eut été établi qu’il avait consommé;
  • la première fois qu’elle avait vu un agent sur le plancher des toilettes était le moment où elle y avait vu l’agent A, le 1er novembre 2013;
  • elle n’avait pas signalé à la GC qu’elle avait vu l’agent A sur le plancher des toilettes.

136        Mme Sandhu ignorait que l’agent A n’était pas en mesure d’exercer ses fonctions lorsqu’elle l’avait vu sur le plancher de la salle de bain, parce qu’il était encore conscient, même s’il s’était absenté de son poste pendant une demi-heure au moins et qu’il gisait sur le plancher. Mme Sandhu a reconnu que l’agent A avait gémi, mais qu’il était aussi encore conscient. Elle avait parlé de l’agent A à l’agent B plutôt qu’à la GC parce que Mme Needles lui avait dit que l’agent A avait été mal à l’aise de sa présence, et que Mme Needles et elle avaient eu le sentiment que l’intervention d’une personne de sexe masculin la soulagerait.

137        Lorsque Mme Sandhu a vu l’agent A dans la salle de bain, elle lui a jeté un coup d’œil rapide, selon ses mots, puis a constaté qu’il ne présentait aucune blessure visible et n’avait pas de sang sur lui. Elle a convenu que si elle prenait connaissance d’un problème de santé, elle devait le signaler à la GC. Elle ne pensait pas que le fait de laisser l’agent A dans les toilettes l’exposait à un risque, puisqu’elle le laissait en compagnie de Mme Needles, qui avait également suivi une formation en secourisme.

138        Mme Sandhu était d’avis qu’entre 3 h 10 et le moment où Mme Holm était venue la voir, l’agent A était en mesure de se présenter ou d’occuper son poste ultérieur. Mme Sandhu a convenu qu’elle n’avait pas signalé à Mme Holm la situation de l’agent A, qui sortait de l’ordinaire, parce qu’elle était d’avis qu’il aurait pu le faire lui-même. De plus, elle croyait que Mme Holm était au courant de ce qui se passait, parce qu’elle s’était trouvée dans son bureau et avait pu entendre les radiotransmissions.

139        Mme Sandhu a admis que le motif qu’elle avait invoqué, à savoir qu’elle avait vu l’agent B (afin de le prier d’aller à la salle de bain où se trouvait l’agent A, puisqu’il était un homme) n’était indiqué ni dans son ROD ni dans sa réfutation du rapport d’enquête, et qu’il n’avait pas été mentionné à la réunion disciplinaire avec Mme Draude, le 6 février 2014. Mme Sandhu a convenu qu’elle n’avait fait mention de ce motif qu’au moment de son interrogatoire principal.

140        Mme Sandhu a aussi admis qu’elle n’avait pas mentionné dans son ROD qu’elle avait cru que Mme Holm était alors au courant du fait que l’agent A ne s’était pas présenté à son poste, qu’elle n’avait pas demandé à Mme Holm si elle savait qu’il ne s’était pas présenté, et qu’elle n’avait pas mentionné non plus dans ses deux réfutations qu’elle avait cru que Mme Holm était au courant du fait que l’agent A ne s’était pas présenté à son poste. Mme Sandhu a convenu qu’étant donné que Mme Needles avait été affectée à l’unité carcérale, il lui incombait, en qualité d’EF1, de répondre aux appels provenant des cellules de l’unité carcérale. Cependant, Mme Sandhu a répondu à l’un de ces appels parce que Mme Needles était auprès de l’agent A dans la salle de bain.

141        Enfin, Mme Sandhu a convenu qu’elle n’avait fait mention de la loi du silence à l’Établissement ni dans son ROD, ni dans ses entrevues, ni dans ses deux réfutations, ni même à la réunion disciplinaire, le 6 février 2014. Elle a déclaré qu’elle n’était pas à l’aise pour en parler avec la GC ou avec la directrice de l’Établissement.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le SCC

142        L’employeur a soutenu que la preuve établit que Mme Sandhu a été renvoyée en cours de stage pour des motifs liés au rendement. À cet égard, l’employeur n’avait pas à justifier, mais seulement à montrer que le renvoi était lié à l’emploi. En outre, la suspension sans solde de Mme Sandhu et les griefs connexes sont théoriques, puisqu’il a été mis fin à l’emploi rétroactivement, à la date de la suspension sans solde. Il n’y a pas eu violation de la clause 17.07 (l’Employeur permet à l’employé-e l’accès à l’information ayant servi au cours de l’enquête disciplinaire) ou de la clause 17.08 (ne produire comme élément de preuve, au cours d’une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l’employé-e dont le contenu n’a pas été porté à la connaissance de celui-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable) de la convention collective, puisque l’employeur a exposé à Mme Sandhu les motifs du renvoi en cours de stage.

1. Le renvoi en cours de stage

143        Les articles 61 et 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) prévoient qu’une personne nommée par nomination externe doit effectuer un stage et qu’il peut être mis fin à son emploi à la fin du stage sur présentation d’un avis. De plus, le paragr. 209(1) de la LRTSPF prévoit qu’un employé peut déposer uniquement un grief portant sur l’interprétation ou l’application, à son égard, d’une disposition d’une convention collective ou d’une mesure disciplinaire entraînant pour lui le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. En outre, l’art. 211 de la LRTSPF indique qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage s’il porte sur un licenciement sous le régime de la LEFP. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour instruire les griefs de licenciement de Mme Sandhu, puisque je n’y suis pas autorisé en vertu des articles 209 et 211 de la LRTSPF.

144        La jurisprudence confirme qu’un arbitre de grief a une compétence limitée lorsqu’il s’agit d’examiner un renvoi en cours de stage, et qu’il ne peut pas examiner le bien-fondé de la décision de renvoyer l’employé en cours de stage si l’employeur éprouve une insatisfaction de bonne foi à l’égard de l’employé. De plus, un employeur n’a pas à justifier un renvoi en cours de stage, mais uniquement à montrer qu’il était lié à l’emploi; voir Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] A.C.F. no 461 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802 (QL); Jacmain c. Canada (Procureur général), [1978] 2 R.C.S. 15.

145        Si un employeur établit qu’un renvoi en cours de stage a été effectué pour un motif lié à l’emploi, un arbitre de grief n’a compétence que pour examiner si le licenciement a été effectué de mauvaise foi ou s’il s’agissait d’un camouflage ou d’un subterfuge; voir Voice c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39; Ducharme c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 136; Kubinski c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 87; Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Maqsood c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2009 CRTFP 175; Premakantham c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 67; Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134; Rahman c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2013 CRTFP 6; Ricard c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRTFP 72; Dyck c. Administrateur général (ministère des Transports), 2011 CRTFP 108; Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 19; Stamp c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 73.

146        La preuve a révélé que Mme Sandhu avait été renvoyée en cours de stage pour les motifs suivants :

  1. elle n’a pas été franche pour le signalement de l’incident dans l’ensemble du processus;
  2. elle n’a pas signalé à Mme Holm qu’un agent se trouvait dans un état anormal.

147        De plus, la lettre de licenciement indique que par ses actes, Mme Sandhu a compromis la sûreté de l’Établissement, ainsi que la santé et la sécurité d’un autre agent. Sa version des faits a varié constamment et comportait des incohérences à l’égard du temps qu’elle avait passé auprès de l’agent A. Elle n’a fait preuve ni de remords ni de responsabilisation pour ne pas avoir signalé l’état de l’agent A à Mme Holm. Les besoins minimaux en dotation de personnel de l’Établissement n’étaient pas satisfaits en raison de l’état de l’agent A, ce qui présentait un risque pour l’Établissement. De plus, Mme Sandhu a négligé son devoir consistant à assurer la santé et la sécurité des détenues et du personnel. Mme Draude a déclaré qu’elle ne pouvait pas faire confiance à Mme Sandhu pour assurer la sécurité du personnel et de l’Établissement à l’avenir.

148        En qualité d’agente correctionnelle et d’agente de la paix, Mme Sandhu était soumise à des règles de conduite plus rigoureuses; voir McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26. Elle n’a pas respecté ces règles, puisqu’elle a omis de signaler que l’agent A était inconscient depuis 45 minutes au moins et n’était pas en mesure de se présenter à son poste. En vertu de sa description de travail et des Règles de conduite professionnelle, Mme Sandhu devait assurer la santé et la sécurité des détenues et du personnel. Elle ne l’a pas fait en omettant de signaler l’état de l’agent A à Mme Holm, ce qui constituait un motif suffisant pour la renvoyer en cours de stage. Il s’agissait clairement d’une décision liée à l’emploi, et un employeur n’a à démontrer qu’un seul motif de renvoi d’un employé en cours de stage. En pareil cas, un arbitre de grief n’a pas la compétence de substituer sa décision à celle de l’employeur; voir Melanson et Bilton c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 39. La fonctionnaire ne s’est pas acquittée de son fardeau consistant à établir que la décision de l’employeur de la renvoyer en cours de stage reposait sur la mauvaise foi, un subterfuge ou un camouflage.

149        Le but d’un stage est d’évaluer les aptitudes d’un employé à exercer les fonctions d’un poste dans un milieu donné et d’appliquer les règles de conduite. Mme Sandhu n’a pas appliqué les règles de conduite escomptées à son poste. Il s’agissait d’un motif suffisant pour la renvoyer en cours de stage, puisqu’un critère peu exigeant permet de le faire; voir Fell c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 2 et Tarasco c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CRTFP 101. Il n’y a eu ni subterfuge, ni camouflage, ni mauvaise foi. Les préoccupations de la direction étaient réelles, et non factices. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour examiner la décision de l’employeur.

150        Le témoignage de Mme Sandhu au sujet d’une loi du silence à l’Établissement n’est pas fondé. Il est important de souligner que Mme Sandhu n’en a fait mention ni dans les documents qu’elle a préparés ni à ses entrevues. Même s’il existait une telle loi du silence et que Mme Sandhu était d’avis que l’agent était malade, il n’y avait aucun motif de ne pas signaler cela, et elle n’aurait eu aucun motif de craindre de dénoncer l’agent A s’il était effectivement malade.

2. Le stage

151        La lettre d’offre adressée à Mme Sandhu indique qu’aucun congé, payé ou non payé, n’est prévu pendant le stage de 12 mois. Mme Sandhu a été suspendue avec solde du 1er novembre au 1er décembre 2013, et sans solde du 2 décembre 2013 jusqu’à son licenciement, le 5 mars 2014. Elle a été avisée en ces termes dans une note de service du 23 janvier 2014 : [traduction] « Comme vous avez été en congé non payé à partir du 2 décembre 2013, vous demeurez en stage et votre stage sera prolongé d’une période équivalente. »

152        Un congé s’entend au sens où un employé n’est pas au travail. La convention collective fait état de plusieurs types de congé, notamment le congé de maladie, le congé de décès et le congé non payé, qui s’entendent au sens où un employé ne travaille pas.

153        Au titre des articles 11 et 11.1 de la LGFP, en tant qu’employeur, le SCC a des droits de gestion généraux, y compris celui de mettre un employé en congé payé ou non payé; voir Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), [2005] A.C.F. no 106 (C.A.)(QL); Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Hood c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CRTFP 49; Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686; P.S.A.C. v. Canada (Canadian Grain Commission), [1986] F.C.J. No. 498 (T.D.)(QL).

154        Il serait absurde qu’un employeur ne puisse pas prolonger un stage après avoir suspendu un employé avec ou sans solde. À titre d’exemple, si un employé est malade et qu’il est en congé prolongé, l’employeur pourrait alors prolonger le stage d’une période équivalente à l’absence de l’employé. Cependant, si un employé fait l’objet d’une enquête pour inconduite au travail et qu’il est suspendu avec ou sans solde pendant une période prolongée, dans ce cas, l’employeur ne pourrait pas prolonger le stage.

155        Le renvoi en cours de stage a été effectué rétroactivement au 2 décembre 2013, le premier jour de la suspension sans solde, ce que l’employeur est autorisé à faire en vertu du paragr. 62(2) de la LEFP. De plus, la fonctionnaire n’a pas soulevé la question de la prolongation du stage par l’employeur dans ses griefs. Examiner cette question modifierait la nature des griefs, ce qui n’est pas autorisé au palier de l’arbitrage; voir Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192.

3. Il n’y a pas eu violation de la convention collective

156        Mme Sandhu a eu la possibilité de répondre à toutes les allégations avant que la décision de mettre fin à son emploi n’ait été prise. Elle a reçu les transcriptions des enregistrements des radiotransmissions. Mme Draude n’a examiné aucun nouvel élément de preuve avant de décider de licencier Mme Sandhu. Par conséquent, l’employeur n’a pas violé les clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective.

4. Suspension sans solde pour une durée indéterminée

157        Les griefs de Mme Sandhu qui portent sur sa suspension sans solde sont théoriques, puisque son renvoi en cours de stage a été effectué rétroactivement à la date de la suspension, soit le 2 décembre 2013. Les précédents appuient cette conclusion; voir Borowsky c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62; Leboeuf c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2007 CRTFP 27; Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107; Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63; Procureur général duCanada c. Frazee, 2007 CF 1176; Chase c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 9; Hanna c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CRTFP 94; Larson; Basra; Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138; Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10; Hughes c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTFP 75.

158        S’il est fait droit aux griefs de licenciement au motif que le renvoi en cours de stage était un subterfuge, un camouflage ou était entaché de mauvaise foi, la fonctionnaire doit réintégrer son poste à compter du 2 décembre 2013. Comme elle a été rémunérée à cette date, les griefs de suspension seraient théoriques. En outre, si je conclus que la suspension sans solde était de nature disciplinaire, elle était raisonnable dans les circonstances sur le fondement du témoignage de M. Sass, selon lequel l’évaluation du risque était suffisante pour permettre à l’employeur de suspendre Mme Sandhu sans solde.

5. Mesure disciplinaire discriminatoire

159        Mme Draude a expliqué pourquoi les agents en fonction pendant le quart en question s’étaient vu imposer des mesures disciplinaires différentes. L’agente C n’a pas vu l’agent A, contrairement à Mmes Needles et Sandhu. L’agent E savait que quelque chose clochait, mais n’était pas au courant de toute la situation. L’agent B n’a pas signalé l’incident à Mme Holm dans les plus brefs délais. Cependant, il allait le faire et a éprouvé des remords. Mmes Needles et Sandhu ont été traitées de la même façon et ont reçu la même sanction. De surcroît, il n’est pas nécessaire que je me penche sur cette question parce que le renvoi en cours de stage de Mme Sandhu a été effectué pour un motif lié à l’emploi.

6. Motion de rejet

160        L’employeur a présenté une motion de rejet des griefs de Mme Needles pour cause d’abandon. Il a soutenu que Mme Needles connaissait les dates d’audience et qu’elle a décidé de ne pas comparaître. De plus, elle n’a fourni aucun motif pour justifier sa non-comparution. Par conséquent, ses griefs devraient être rejetés pour cause d’abandon. L’employeur s’est fondé sur les précédents suivants : Boulos c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTEFP 5; Cardinal c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CRTFP 137; Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119; Dupont c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales), 2012 CRTFP 82; Fletcher c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 39; Gallan c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 19; Howitt c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CRTFP 51; Smid c. Administrateur général (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2014 CRTFP 24; Synowski c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 63; Tshibangu c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2011 CRTFP 143; Villarceau c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2009 CRTFP 41.

B. Pour Mme Sandhu

161        L’agent négociateur de Mme Sandhu a soutenu que les questions dont je suis saisi consistent à décider :

  1. si Mme Sandhu était en stage lorsqu’elle a été licenciée, le 5 mars 2014;
  2. si une suspension sans solde peut être qualifiée de congé non payé;
  3. en cas de renvoi de Mme Sandhu en cours de stage, s’il s’agissait d’un subterfuge, d’un camouflage ou de mauvaise foi;
  4. si une mesure disciplinaire était justifiée en raison de l’inconduite de Mme Sandhu, si son licenciement était une sanction excessive et discriminatoire au vu de sa situation de famille et, dans l’affirmative, quelle serait la sanction disciplinaire appropriée.

1. Le stage

162        L’agent négociateur a soutenu que soit Mme Sandhu était encore en stage, soit son stage avait pris fin. Il est d’avis qu’elle n’était plus en stage lorsqu’elle a été licenciée. Au titre de l’al. 26(1)c) de la LEFP, le Conseil du Trésor a établi le Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi au cours de la période de stage (DORS/2005-375; le « Règlement »). En vertu de ces dispositions, Mme Sandhu devait effectuer un stage de 12 mois, qui débutait le 23 janvier 2013 et dont la période expirait le 22 janvier 2014. Son licenciement a eu lieu le 5 mars 2014, après l’achèvement de son stage.

2. Une suspension sans solde n’est pas un congé

163        Le Règlement ne définit pas le congé. Mais la clause 2.01(l) de la convention collective le définit en ces termes : « congé » désigne l’absence autorisée du travail d’un-e employé-e pendant ses heures de travail normales ou régulières […] [le passage en évidence l’est dans l’original] ». De plus, la clause 28.04 de la convention collective est ainsi libellée : « L’employé-e n’a droit à aucun congé payé pendant les périodes où il est en congé non payé ou sous le coup d’une suspension. »

164        Dans cette clause, le mot « ou » signifie que le congé non payé n’est pas une suspension; un employé se trouve dans une situation ou dans l’autre. En outre, selon le libellé de la clause, il existe deux types de congé : sans solde et avec solde, qui diffèrent tous deux d’une suspension. De plus, la définition du « congé » s’entend au sens d’une autorisation demandée par un employé. Ce libellé est clair et dépourvu d’ambiguïté. Il est bien établi qu’un employé ne peut pas demander l’autorisation d’obtenir un congé sous forme de suspension.

165        La note de service du 29 novembre 2013, qui indiquait que la suspension avec solde de Mme Sandhu devenait une suspension sans solde, porte l’en-tête suivant : [traduction] « Suspension sans solde jusqu’à la fin de l’enquête disciplinaire ». Les notes de service du 12 décembre 2013 et des 13 janvier, 3 février et 24 février 2014 portent toutes l’en-tête suivant : [traduction] « Suspension sans solde ». Ces notes ne font pas mention d’un congé. C’est uniquement dans la note de service en date du 23 janvier que l’employeur a avisé Mme Sandhu qu’à son avis, elle était en congé non payé depuis le 2 décembre 2013, et que son stage serait prolongé.

166        Mme Draude n’a pas expliqué pourquoi elle avait attendu jusqu’au 23 janvier 2014 pour prolonger le stage de Mme Sandhu, notamment puisque l’employeur avait reçu le rapport d’enquête le 6 janvier 2014. L’employeur n’a pas expliqué non plus pourquoi il n’avait pas évalué le rendement de Mme Sandhu aux étapes prévues après trois mois, six mois et neuf mois.

167        Le SCC a omis de se conformer au Règlement. Comme Mme Sandhu a reçu le 23 janvier 2014, c’est-à-dire après l’expiration de la période de stage, la lettre indiquant que son stage était censé être prolongé, celui-ci n’aurait pas pu être prolongé. Dans Canadian Labour Arbitration, 4e éd., au paragraphe 4:2152, Brown et Beatty affirment qu’une période de stage ne peut pas être prolongée après qu’elle a expiré. Le SCC a omis de se conformer au Règlement en ce qui a trait aux stages.

168        L’agent négociateur a invoqué les précédents suivants : Nova Scotia Community College v. NSGEU (Hannigan), 2012 CarswellNS 1057; Arnould c. Canada (Conseil du Trésor),2004 CRTFP 80; Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134; Cassin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 37; Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145.

3. Renvoi en cours de stage

169        Le renvoi de Mme Sandhu en cours de stage par l’employeur était un subterfuge, un camouflage, et a été effectué de mauvaise foi. Il convient de souligner que tous les employés qui se trouvaient sur l’étage pendant le quart en question ont omis de signaler dans les plus brefs délais ce qu’ils savaient au sujet de l’état de l’agent A, y compris l’agente Maxwell. Mmes Sandhu et Needles et les agents B, E, Maxwell et C ont tous été aux prises avec cette situation. Non seulement les stagiaires, mais aussi les agents supérieurs ne savaient pas quoi faire.

170        L’employeur soutient qu’il s’agissait d’un renvoi en cours de stage. Cependant, la preuve révèle qu’il s’agissait en réalité d’une mesure disciplinaire déguisée. Les notes de service des 29 novembre et 23 décembre 2013 et des 13 janvier, 3 février et 24 février 2014 font toutes allusion à une [traduction] « Suspension sans solde ». De plus, le rapport d’enquête s’intitule [traduction] « Rapport d’enquête disciplinaire ». En outre, les notes de l’audience du 6 février 2014 ont pour titre [traduction] « Audience disciplinaire – Sabrina Sandhu ». Cette dernière n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires, ni d’évaluations du rendement, pendant plus de neuf mois. L’employeur n’avait aucun motif de lui imposer une mesure disciplinaire.

171        Les sanctions disciplinaires que l’employeur a imposées aux agents mêlés à cet incident étaient discriminatoires et entachées de mauvaise foi. Mmes Sandhu et Needles ont été les seules à être licenciées, même si tous les autres agents ont eu une conduite similaire, et que les mêmes facteurs atténuants et aggravants s’appliquaient aussi à eux. Les agents B, C et E ont reçu une sanction pécuniaire et n’ont pas été licenciés.

172        Le CED a conclu que Mme Sandhu et les autres agents en fonction pendant le quart ce soir-là étaient suffisamment au courant pour signaler l’état de l’agent A à Mme Holm. Seule l’agente Maxwell l’a fait, l’agent B ne l’ayant fait que lorsque Mme Holm l’a confronté.

173        L’agent B a reçu une sanction pécuniaire d’un jour. Les agents C et E ont reçu une sanction pécuniaire de quatre jours. De plus, l’agent A a initialement été licencié, puis a été rétrogradé au groupe et au niveau CX-01 et muté dans un autre établissement.

174        Mmes Needles et Sandhu ont fait l’objet de mesures disciplinaires plus dures que les autres agents concernés, mais aucune justification valable n’a été présentée à cet égard. Selon l’agent négociateur, Mme Sandhu a été érigée en exemple parce que sa mère est directrice d’établissement, ce qui était bien connu à l’Établissement.

175        Les agents Cheung et Ramirez ont témoigné au sujet de la loi du silence à l’Établissement, selon laquelle les employés qui dénoncent d’autres employés sont isolés et n’ont pas la confiance des autres. Les actes de Mme Sandhu et ses réactions face à l’état de l’agent A doivent être envisagés dans ce contexte; voir Mackie c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CRTFP 3. Mme Sandhu a déclaré qu’elle avait eu le sentiment que l’agent A pouvait signaler lui-même son état, et qu’elle n’était pas directement allée voir Mme Holm pour cette raison. La décision de Mme Sandhu de ne pas signaler cet état à Mme Holm n’était pas un bon choix, mais cela ne justifiait pas le licenciement, notamment puisque d’autres agents en fonction avaient reporté son signalement et qu’ils n’ont pas reçu la même sanction disciplinaire.

176        Mme Sandhu a fait l’objet de discrimination de la part de l’employeur en raison de sa situation de famille lorsqu’il a mis fin à son emploi. Elle a déclaré que tout le monde à l’Établissement savait que sa mère est directrice d’établissement, et qu’elle était ciblée au travail parce qu’elle était la fille d’une directrice. Il est bien établi qu’un employeur ne peut pas faire de la discrimination contre un employé en raison de sa situation de famille; voir B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66.

177        La réaction de Mme Sandhu lorsqu’elle a vu l’agent A dans l’état où il se trouvait doit être envisagée dans ce contexte; elle était considérée comme la fille d’une directrice d’établissement, était ciblée, voulait s’intégrer et ne voulait pas être étiquetée comme étant un rat. Ses actes justifiaient peut-être une mesure disciplinaire, mais pas le licenciement, puisqu’il s’agit de la mesure disciplinaire la plus dure qu’un employeur puisse imposer. L’agent négociateur a soutenu que Mme Draude avait voulu envoyer un message aux employés de l’Établissement, à savoir qu’ils ne pouvaient pas réagir de cette façon à l’avenir. Elle a été plus dure envers Mme Sandhu parce qu’elle est la fille d’une directrice d’établissement, ou en réaction à la pression exercée par ses collègues, afin qu’elle ne mette pas fin à l’emploi de Mme Sandhu.

178        Le témoignage de Mme Sandhu et la réfutation qu’elle a rédigée en réponse au rapport d’enquête démontrent qu’elle assume la responsabilité et qu’elle reconnaît qu’elle aurait dû signaler l’état de l’agent A à Mme Holm.

4. La suspension de Mme Sandhu était de nature disciplinaire

179        La suspension sans solde de Mme Sandhu était de nature disciplinaire, puisqu’elle s’appliquait à une période indéterminée et qu’elle a duré trop longtemps. En vertu de l’entente globale, l’employeur peut suspendre un employé sans solde en attendant la conclusion d’une enquête si la présence permanente de l’employé à l’établissement pose « […] un risque grave et immédiat envers le personnel, les détenu-es, le public ou la réputation du SCC […] ». Il incombe à l’employeur de prouver que l’employé constituait « un risque grave et immédiat »; voir Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70.

180        La preuve de l’employeur n’appuyait pas la suspension sans solde, puisqu’elle n’a pas démontré que Mme Sandhu présentait un risque immédiat pour les détenues, le personnel ou le public. L’employeur aurait pu placer Mme Sandhu à un autre poste de l’Établissement sans nuire à l’enquête (par exemple, à des tâches administratives), l’affecter à un autre poste ne donnant pas lieu à des fonctions d’agente correctionnelle, à un établissement ou à un lieu de travail voisin, ou encore au quart de jour, où elle aurait été étroitement supervisée. Aucune de ces possibilités n’a été discutée avec elle. Il convient de souligner que la découverte d’un collègue ivre au travail était pratiquement incroyable. Licencier Mme Sandhu en raison d’un seul incident était inéquitable et constituait un camouflage, de la mauvaise foi ou un subterfuge.

5. Violation de l’article 17

181        L’agent négociateur a soutenu que l’employeur avait violé les clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective, parce qu’il n’avait fourni à Mme Sandhu ni les enregistrements des appels téléphoniques et des radiotransmissions ni leurs transcriptions.

6. Redressement demandé

182        Il devrait être fait droit aux griefs de licenciement et Mme Sandhu devrait être réintégrée à titre de CX-02 à compter du 2 décembre 2013. Elle devrait être intégralement dédommagée des pertes qu’elle a subies incluant le salaire, les heures supplémentaires, les primes de poste ou de jour férié, les vacances annuelles et les congés de maladie. De plus, l’agent négociateur demande que Mme Sandhu recommence à neuf et qu’elle soit nommée au poste qui lui est offert à l’Établissement de la vallée du Fraser.

183        À l’égard des griefs de suspension sans solde, l’agent négociateur a demandé que Mme Sandhu reçoive, pour la période du 2 décembre 2013 au 5 mars 2014, le remboursement de son salaire et le paiement des primes de poste, des heures supplémentaires, des avantages sociaux, des cotisations de retraite, des congés et des vacances.

C. La réfutation du SCC

184        Le défaut de l’employeur d’évaluer le rendement de Mme Sandhu n’a pas été contesté, et l’agent négociateur ne pouvait pas demander que cette question soit soulevée à l’arbitrage; voir Burchill et Shneidman.

185        Mme Sandhu n’a pas été au travail à compter du 1er novembre 2013 et n’a pas fait l’objet d’une évaluation en cours de stage après cette date. Par conséquent, elle demande d’écourter son stage, ce qui n’est pas autorisé sous le régime de la LEFP.

186        L’agent négociateur a demandé pourquoi la note de service de l’employeur du 23 janvier 2014 n’avait pas été envoyée plus tôt à Mme Sandhu. Rien ne prouve que cela ait été fait de mauvaise foi. De plus, aucune disposition de la convention collective n’obligeait l’employeur à envoyer cette lettre (qui avisait la fonctionnaire que son stage était prolongé). En outre, cette question n’a pas été soulevée dans les griefs et ne pouvait pas l’être à l’arbitrage. Le stage de Mme Sandhu a été gelé et s’est poursuivi ensuite pendant la période de prolongation.

187        En ce qui concerne l’allégation de l’agent négociateur selon laquelle il y a eu violation des clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective, Mme Draude a déclaré que tous les renseignements avaient été communiqués à Mme Sandhu. En outre, en vertu de la convention collective l’employeur n’était pas obligé de communiquer les enregistrements sonores et leurs transcriptions à une employée.

188        L’employeur était d’avis que l’allégation de discrimination de Mme Sandhu fondée sur la situation de famille n’avait pas été contestée et ne pouvait donc pas être soulevée à l’arbitrage. De plus, rien ne prouve que la direction de l’établissement ait traité Mme Sandhu différemment en raison du poste de directrice d’établissement de sa mère.

189        Pour ce qui est des griefs de suspension sans solde, si Mme Sandhu réintègre son poste à compter du 2 décembre 2013, ils deviennent théoriques.

190        En dernier lieu, l’employeur s’est opposé à la réintégration de Mme Sandhu au poste qui lui est offert à l’Établissement de la vallée du Fraser, au motif que je n’ai pas compétence à cet égard. S’il est fait droit aux griefs de licenciement de la fonctionnaire, je ne peux assurer sa réintégration qu’à son ancien poste à l’Établissement.

IV. Motifs

A. Questions en litige

191        Voici les questions à trancher en l’espèce :

  1. Mme Needles a-t-elle abandonné ses griefs?
  2. L’employeur a-t-il mis fin à l’emploi de Mme Sandhu pendant le stage?
  3. Si Mme Sandhu a été renvoyée en cours de stage, cette décision reposait-elle sur la mauvaise foi, un subterfuge ou un camouflage?
  4. L’employeur a-t-il suspendu Mme Sandhu sans solde à juste titre?
  5. L’employeur a-t-il violé les clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective?

B. Analyse des griefs de Mme Needles

1. La motion de rejet pour abandon

192        L’employeur a soutenu que Mme Needles était au courant des dates d’audience, qu’elle avait décidé de ne pas comparaître et qu’elle n’avait présenté aucun motif pour justifier sa non-comparution. Par conséquent, ses griefs devraient être rejetés pour cause d’abandon.

193        Mme Needles a déposé six griefs contestant sa suspension sans solde et son licenciement pendant le stage. Cependant, dans un courriel et dans une lettre du 4 mars 2013, l’UCCO-SACC-CSN l’a avisée qu’il lui retirait son appui à l’égard de ses griefs. Par ailleurs, le syndicat a avisé Mme Needles que l’audience était prévue à Edmonton, du 15 au 18 mars 2016, et lui a fourni des précisions sur le lieu, ainsi que d’autres renseignements. Ultérieurement, le greffe de la Commission a envoyé à Mme Needles une lettre recommandée et un courriel l’avisant que l’UCCO-SACC-CSN avait retiré son appui, que ses griefs demeuraient en cours, et qu’elle pouvait décider de se représenter elle-même, en lui donnant des précisions sur l’audience.

194        Mme Needles n’a pas comparu à l’audience.

195        Deux dates supplémentaires (les 17 et 18 août 2016) ont été fixées subséquemment pour continuer l’audience. Le greffe de la Commission a aussi avisé Mme Needles de ces dates et du lieu.

196        Mme Needles n’a pas comparu à l’ajournement.

197        Je suis convaincu que Mme Needles a été avisée, en bonne et due forme, des dates et du lieu de l’audience. Nous devons présumer qu’elle n’avait pas l’intention de comparaître, ni de se prévaloir de ses griefs. Elle n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de ses griefs. Par conséquent, je conclus que les griefs de Mme Needles ont été abandonnés et qu’ils sont rejetés pour ce motif.

C. Analyse des griefs de Mme Sandhu

1. Compétence

198        La lettre de licenciement du 5 mars 2014 qui a été présentée à Mme Sandhu indique qu’il est mis fin à son emploi en vertu du paragr. 61(1) de la LEFP. Les alinéas 61(1)a) et 62(1)a) prévoient ce qui suit :

Durée de la période de stage

61 (1) La personne nommée par nomination externe est considérée comme stagiaire pendant la période :

a) fixée, pour la catégorie de fonctionnaires dont elle fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques[…]

[…]

Renvoi

62 (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques[…]

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

199        En vertu du par. 61(1) de la LEFP, une personne nommée par nomination externe doit effectuer un stage d’une durée fixée par le Règlement pour la catégorie de fonctionnaires dont elle fait partie dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la LGFP.

200        En vertu du par. 62(1) de la LEFP, l’administrateur général d’une organisation telle que le SCC peut aviser un stagiaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis prévu dans la LGFP.

201        En vertu du Règlement, la LGFP prévoit un stage de 12 mois pour les employés du SCC, ainsi qu’un délai de préavis de 2 semaines si l’employé travaille au SCC depuis 1 an ou moins et 1 mois si l’employé travaille au SCC depuis plus de 1 an.De plus, le par. 2(2) du Règlement prévoit que le stage dont il est fait mention au par. 61(1) ne comprend pas les périodes suivantes :

2 (2) […]

a) les périodes de congé non payé;

b) les périodes de formation linguistique à plein temps;

c) les périodes de congé payé de plus de trente jours consécutifs;

d) dans le cas du fonctionnaire saisonnier, les périodes pendant lesquelles il n’est pas tenu d’exercer les fonctions de son poste en raison de leur nature saisonnière.

202        La Commission n’a pas de compétence inhérente. Sa compétence découle plutôt des lois et des règlements. Le Règlement n’autorise pas un arbitre de grief (ou un employeur) à prolonger un stage; un stage ne peut être prolongé qu’en vertu des dispositions du par. 2(2) du Règlement.

203        Mme Sandhu a invoqué le par. 209(1) de la LRTSPF dans le renvoi de ses griefs à l’arbitrage. Ce paragraphe autorise la Commission à examiner un grief renvoyé à l’arbitrage s’il porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective à l’égard de l’employé. L’alinéa 209(1)b) donne à la Commission la compétence d’examiner une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. En vertu de l’al. 209(1)c), la Commission a compétence pour examiner un licenciement effectué en vertu de l’al. 12(1)d) de la LGFP pour cause de rendement insuffisant, ou de l’al. 12(1)e) de cette  loi pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

204        Cependant, l’al. 211a) de la LRTSPF prévoit ce qui suit :

211 L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

205        Par conséquent, comme un grief portant sur un licenciement sous le régime de la LEFP ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage, je n’ai pas compétence pour me pencher sur un tel licenciement. Par conséquent, étant donné que Mme Sandhu a apparemment été licenciée en vertu du par. 62(1) de la LEFP, je n’aurais pas compétence pour instruire le grief qu’elle a porté contre son renvoi en cours de stage.

206        La question n’est pas vidée pour autant. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Commission qu’un arbitre de grief a compétence pour décider si le licenciement d’un employé pendant un stage a effectivement été effectué de mauvaise foi, ou s’il s’agissait d’un subterfuge ou d’un camouflage. En pareil cas, le licenciement ne peut pas tenir.

207        Dans Tello, par exemple, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit aux paragraphes 105 et 111 :

[105] L’interprétation franche de la LRTFP et de la nouvelle LEFP est qu’un employé en stage peut être licencié avec préavis pour tout motif (ou sans motif) et n’a pas accès à l’arbitrage de grief. En vertu de la nouvelle LEFP, la seule restriction qui s’applique à l’administrateur général est que l’employé doit être dans sa période de stage et qu’un préavis (ou une indemnité de préavis) doit être donné […]

[…]

[111] Selon moi, le changement entre l’ancienne LEFPet la nouvelle LEFP, considéré dans le contexte de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada sur l’approche adéquate à adopter en matière d’emploi dans le secteur public, ne modifie pas considérablement la substance de l’approche que les arbitres de grief devraient prendre à l’égard des griefs sur le renvoi d’un employé en cours de stage. Toutefois, l’omission des mots « pour un motif déterminé » dans l’article 62 de la nouvelle LEFP modifie les exigences du fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve qui incombe à l’administrateur général a été allégé. L’administrateur général n’a maintenant qu’à établir que l’employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement et qu’un préavis ou une indemnité en guise de préavis a été donné. L’administrateur général n’est plus tenu de prouver « un motif déterminé » pour le renvoi en cours de stage. En d’autres termes, l’administrateur général n’a pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, un motif légitime lié à l’emploi pour le licenciement. Toutefois, les Lignes directrices sur le renvoi en cours de stage du Conseil du Trésor exigent que la lettre de licenciement d’un employé en stage énonce le motif de la décision de licenciement. L’administrateur général demeure tenu de produire la lettre de licenciement comme pièce (généralement par l’intermédiaire d’un témoin) pour prouver qu’il a rencontré les exigences législatives du préavis et du statut de stagiaire. Cette lettre énonce habituellement le motif de la décision de licencier l’employé qui est en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire. Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu’il n’y avait pas de « motifs liés à l’emploi » légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve. Outre ce changement au niveau du fardeau de la preuve, la jurisprudence rendue sous l’ancienne LEFP demeure pertinente pour déterminer la compétence sur les griefs à l’encontre du licenciement d’un employé en stage.

[Je souligne]

208        En résumé, selon les motifs énoncés par la Commission dans Tello,dans le contexte de l’arbitrage d’un grief sur le renvoi en cours de stage, l’employeur n’est pas tenu de démontrer qu’il avait un motif lié à l’emploi légitime de renvoyer l’employé. Il incombe plutôt à l’employeur de démontrer que le fonctionnaire s’estimant lésé était en stage, qu’il a été licencié pendant le stage et qu’il a reçu une lettre de licenciement indiquant le motif du licenciement, ainsi qu’uneindemnité en guise de préavis. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire s’estimant lésé, à qui il incombe de prouver que la décision de l’employeur de le renvoyer en cours de stage reposait sur la mauvaise foi, un subterfuge ou un camouflage.

2. Mme Sandhu a-t-elle été licenciée pendant le stage?

209        En ce qui concerne le fardeau de la preuve de l’employeur, il n’est pas contesté que Mme Sandhu était en stage et qu’elle a reçu une lettre de licenciement indiquant les motifs du licenciement, ainsi qu’uneindemnité en guise de préavis. La seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si la fonctionnaire a été licenciée pendant son stage.

210        L’employeur a soutenu que Mme Sandhu avait été en congé sans solde à partir du 2 décembre 2013, date à laquelle son statut était devenu une suspension sans solde, qui s’est poursuivie jusqu’au 5 mars 2014, date du renvoi en cours de stage. Par conséquent, conformément au par. 2(2) du Règlement, le stage de Mme Sandhu ne comprenait pas la période du 2 décembre 2013 au 5 mars 2014. Le stage a été prolongé d’une période équivalente et la fonctionnaire a été licenciée pendant son stage.

211        D’un autre côté, l’agent négociateur a fait valoir que le libellé de la convention collective indique qu’un congé non payé n’équivaut pas à une suspension sans solde. Comme l’employeur a suspendu Mme Sandhu sans solde, elle n’était pas en congé non payé et le par. 2(2) du Règlement ne s’applique pas. Par conséquent, sa période de stage a expiré le 22 janvier 2014, 12 mois après qu’elle a entamé son emploi auprès du SCC. L’employeur a mis fin à son emploi le 5 mars 2014, ce qui veut dire qu’il l’a fait en dehors du stage, et que le renvoi n’était donc pas valide.

212        L’argumentation de l’employeur tient à la question de savoir si une suspension avec ou sans solde équivaut à un congé payé ou non payé. Pour trancher cette question, il faut examiner comment les parties traitent les congés et les suspensions en vertu de la convention collective et de l’entente globale. À cet égard, il faut lire le par. 2(2) du Règlement dans le contexte du libellé utilisé dans ces ententes.

213        La convention collective ne définit pas la « suspension ».

214        La clause 2.01(l) de la convention collective définit le « congé » en ces termes :« « congé » désigne l’absence autorisée du travail d’un-e employé-e pendant ses heures de travail normales ou régulières […] (le passage en évidence l’est dans l’original) ». En outre, la clause 28.04 de la convention collective est ainsi libellée : « L’employé-e n’a droit à aucun congé payé pendant les périodes où il est en congé non payé ou sous le coup d’une suspension. »

215        L’article 29 traite des congés payés, et l’article 30 prévoit 19 autres types de congés payés ou non payés. De plus, l’article 31 prévoit un congé de maladie payé, et l’article 32, un congé d’études non payé et un congé de promotion professionnelle. Parmi les divers types de congés prévus à l’article 30, il y a des congés payés ou non payés qui sont accordés, en ces termes, pour d’autres motifs :

          30.18 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a)       un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b)       un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention collective.

216        Certains congés mentionnés à l’article 30 sont accordés par l’employeur, tandis que dans d’autres cas l’employé y a droit. De plus, certaines dispositions de l’article 30 prévoient qu’un congé sera accordé à un employé sur demande. La clause 30.03, par exemple, mentionne en partie ce qui suit :

          30.03 Congé de maternité non payé

a)       L’employée qui devient enceinte se voit accorder, sur demande, un congé de maternité non payé […]

217        De plus, la clause 30.06, « Congé parental non payé », précise que « [L]’employé […] a droit, sur demande, à un congé parental non payé […] ».

218        Après avoir lu exhaustivement l’article 30, je suis d’avis que les parties avaient envisagé l’utilisation du mot « accorder » et de l’expression « sur demande » dans l’intention suivante :

  • qu’un employé présente d’abord une demande de congé;
  • que sur réception d’une demande de congé, l’employeur puisse ou doive l’accorder.

219        En outre, il ressort clairement de la clause 28.04 que les parties avaient l’intention de distinguer le congé non payé d’une suspension. Si elles avaient voulu que le congé non payé s’entende au sens d’une suspension, elles auraient pu formuler le libellé en ce sens. Par exemple, elles auraient pu formuler ainsi la clause 28.04 : [traduction] « L’employé-e n’a droit à aucun congé payé pendant les périodes où il est en congé non payé, y compris une suspension. » Les parties ont plutôt délibérément choisi de distinguer le congé non payé de la suspension en utilisant le mot « ou » entre le terme « congé non payé » et les mots « sous le coup d’une suspension ».

220        De plus, il est bien établi qu’une suspension avec ou sans solde est imposée à un employé par un employeur. Un employé ne demande pas une suspension avec ou sans solde, et un employeur ne consent pas à une pareille demande. L’employeur a suspendu Mme Sandhu avec solde du 1er novembre au 1er décembre 2013. Puis il a changé ce statut pour une suspension sans solde à partir du 2 décembre 2013. Comme l’a déclaré M. Sass, lorsque l’employeur a pris la décision de suspendre la fonctionnaire sans solde, cette dernière n’a pas eu le choix. M. Sass a aussi déclaré qu’un employé n’est pas en congé s’il est suspendu avec ou sans solde; l’employé est suspendu.

221        De plus, l’entente globale fait allusion au statut d’un employé durant une enquête. À cet égard, la section III-C est ainsi rédigée :

III-C Suspension durant l’enquête (référence : article 20)

Aux fins de l’application de cet article, le SCC respectera les critères suivants :

  1. Lorsqu’un-e employé-e est sous enquête et que le ou la gestionnaire au niveau local a décidé de le ou la retirer de son poste, ou de le ou la réaffecter temporairement à un autre poste ou lieu de travail, il ou elle doit être considéré-e comme étant affecté-e à des tâches administratives et continuer de recevoir son traitement, jusqu’à ce que l’enquête soit terminée et qu’une décision ait été rendue à son sujet.
  2. Dans les cas où le ou la gestionnaire au niveau local est satisfait-e que le maintien de la présence de l’employé-e sur les lieux du travail pose un risque grave et immédiat envers le personnel, les détenu-es, le public ou la réputation du SCC, l’employé-e peut être suspendu-e sans traitement jusqu’à ce que l’enquête soit terminée et qu’une décision ait été rendue à son sujet.

222        Il est significatif que les parties n’aient pas utilisé les termes « congé payé » ou « congé non payé » dans cette disposition. Elles ont plutôt utilisé le titre « Suspension durant l’enquête » et fait référence au retrait d’un employé de son poste jusqu’à la fin de l’enquête. Ce dernier doit en pareil cas être « considéré-e comme étant affecté-e à des tâches administratives […] continuer de recevoir son traitement » et être « suspendu-e sans traitement ». Encore là, il aurait été simple pour les parties d’utiliser un libellé différent si elles avaient voulu que des « tâches administratives rémunérées » s’entendent au sens d’un « congé payé », ou que les mots « suspendu-e sans traitement » s’entendent au sens d’un « congé non payé ». Par conséquent, nous devons présumer que l’intention des parties était de distinguer une suspension avec ou sans solde d’un congé payé ou non payé.

223        En vertu de l’al. 61(1)a) de la LEFP, le Règlement exclut d’un stage les congés non payés et les congés payés de plus de 30 jours consécutifs. Mme Sandhu en a été avisée dans sa lettre d’offre. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle une suspension avec ou sans solde n’équivaut pas à un congé payé ou non payé, comme l’ont prévu les parties en vertu de leur convention collective et de l’entente globale, il va de soi que le stage de Mme Sandhu n’a pas été prolongé d’une période équivalente à celle de sa suspension avec et sans solde. Cela veut dire que la période de son stage a expiré le 22 janvier 2014. Étant donné que l’employeur a mis fin à son emploi le 5 mars 2014 (avec effet rétroactif au 2 décembre 2013), le renvoi a eu lieu en dehors du stage, ce qui annule le licenciement. Il est fait droit aux griefs de licenciement de Mme Sandhu.

224        L’employeur aurait fort bien pu avoir une raison valable d’imposer une mesure disciplinaire à Mme Sandhu, ainsi que le droit de mettre fin à son emploi en raison de sa conduite durant le quart du 31 octobre au 1er novembre 2013. Cependant, il a décidé de ne pas se prévaloir de cette option. Il a plutôt opté pour le renvoi de la fonctionnaire en cours de stage en vertu du par. 62(1) de la LEFP. Il devait le faire pendant la période de stage établie dans le Règlement. Il ne l’a pas fait.

3. Autres griefs de Mme Sandhu

225        Compte tenu de mes conclusions, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments de l’agent négociateur. Les griefs de Mme Sandhu qui portent sur sa suspension sans solde et sur la violation présumée des clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective deviennent théoriques par suite de ma conclusion selon laquelle son licenciement a eu lieu en dehors de sa période de stage.

226        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

227        Les griefs de Mme Needles (nos 51947, 51948, 52069, 52070, 52212 et 52219) sont rejetés.

228        J’ai compétence pour instruire les griefs de Mme Sandhu.

229        Il est fait droit aux griefs de licenciement de Mme Sandhu (nos 52254 et 52255).

230        Les griefs de suspension de Mme Sandhu (nos 51949, 51950, 52218, 52251, 52072 et 52071) sont rejetés.

231        Le grief de Mme Sandhu alléguant la violation des clauses 17.07 et 17.08 de la convention collective (no 52253) est rejeté.

232        Mme Sandhu réintégrera un poste d’agente correctionnelle classifié au groupe et au niveau CX-02, avec solde et sans interruption des prestations, à compter du 2 décembre 2013.

233        Dans les 60 jours suivant la présente décision, l’administrateur général devra rétablir le salaire de Mme Sandhu au groupe et au niveau CX-02, ainsi que ses prestations, à compter du 2 décembre 2013.

234        Dans les 60 jours suivant la présente décision, l’administrateur général devra verser à Mme Sandhu, à compter du 2 décembre 2013, un dédommagement pour la perte de son salaire au groupe et au niveau CX-02, dont seront déduits les sommes habituelles et tout revenu d’emploi touché par Mme Sandhu à compter du 2 décembre 2013, jusqu’à la date de sa réintégration dans ses fonctions.

Le 13 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Dev A. Chankasingh,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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