Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que le licenciement n’était pas justifié puisque les seules actions qui pouvaient lui être reprochées sont d’avoir prêté un appareil à son conjoint et d’avoir réinstallé le système d’exploitation des appareils – elle maintenait qu’elle n’avait pas dépensé de fonds publics à des fins personnelles – le licenciement était approprié dans les circonstances – la fonctionnaire s’estimant lésée a failli à son devoir de gérer et d’utiliser judicieusement les ressources publiques qui lui avaient été confiées – elle était tenue à un devoir d’intégrité comme précisé dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public – la fonctionnaire s’estimant lésée a contrevenu à ce code – le licenciement n’était pas excessif dans les circonstances – le bon dossier de rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée, ses années de service, son dossier disciplinaire vierge et les remords qu’elle a exprimés à la fin de l’enquête sont des facteurs atténuants – néanmoins, la fonctionnaire s’estimant lésée a abusé des fonctions et des privilèges dont elle jouissait – le fait qu’elle ait partagé son mot de passe et remis un téléphone cellulaire à son conjoint démontre qu’elle n’a pas géré et utilisé judicieusement les ressources publiques qui étaient sous sa responsabilité – sa négligence a permis à une personne non autorisée de dépenser des fonds publics – la fonctionnaire s’estimant lésée a délibérément nui à l’enquête en réinstallant le système d’exploitation des appareils, en omettant de remettre les cartes SIM des comptes dont elle était responsable et en supprimant toutes les données des appareils qu’elle avait en sa possession alors que son gestionnaire lui avait demandé de retourner ces appareils intacts – le manque d’intégrité de la fonctionnaire s’estimant lésée au cours de l’enquête a nui au travail des enquêteurs – les facteurs aggravants l’emportent sur les facteurs atténuants – les gestes posés par la fonctionnaire s’estimant lésée étaient incompatibles avec les responsabilités et les attentes de son poste et sont d’une gravité telle que le lien de confiance a été irrémédiablement rompu.

Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180906
  • Dossier:  566-02-11834
  • Référence:  2018 CRTESPF 75

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

NATHALIE LACROIX

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Services partagés Canada)

défendeur

Répertorié
Lacroix c. Administrateur général (Services partagés Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage


Devant:
Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Émilie Laplante, avocat
Pour le défendeur:
Kétia Calix, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 18 et 19 juillet, 2016 et du 24 au 26 janvier 2017.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1        Le 20 août 2015, Nathalie Lacroix, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a été licenciée de son poste de technicienne en télécommunications, Services de télécommunications de voix à Services partagés Canada (« SPC » ou « l’employeur »). À la suite d’une enquête administrative SPC a conclu qu’elle avait utilisé frauduleusement des téléphones cellulaires, dépensé des fonds publics à des fins personnelles, nui délibérément à l’enquête et enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

2        La fonctionnaire admet avoir partagé son téléphone cellulaire ministériel avec son conjoint et lui avoir donné ses mots de passe. Toutefois, elle maintient ne pas avoir dépensé de fonds publics à des fins personnelles. Son conjoint a utilisé les téléphones cellulaires à son insu pendant plusieurs mois. Elle n’était pas au courant de son problème de jeu. Elle nie avoir nui délibérément à l’enquête.

3        Pour trancher les questions devant moi, les trois questions suivantes se posent: La conduite de la fonctionnaire justifie-t-elle la prise d’une mesure disciplinaire? Dans l’affirmative, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était-elle excessive dans les circonstances? Si la mesure disciplinaire imposée était excessive, quelle autre mesure serait appropriée dans les circonstances?

4        Pour les raisons qui suivent, je rejette le grief. Je suis d’avis que l’employeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite de la fonctionnaire justifiait le licenciement. La fonctionnaire a fourni ses mots de passe et partagé un téléphone cellulaire ministériel avec son conjoint à des fins personnelles. La preuve a établi que la fonctionnaire n’a pas géré judicieusement les ressources publiques qui lui étaient confiées. Sa négligence a permis à une personne non autorisée de dépenser des fonds publics. La preuve a démontré qu’elle a nui délibérément à l’enquête en supprimant toutes les données des appareils qu’elle avait en sa possession alors que son gestionnaire lui avait demandé de retourner ces appareils intacts. De plus, elle n’a admis sa conduite qu’à la fin de l’enquête. Les gestes posés par la fonctionnaire étaient incompatibles avec les responsabilités et les attentes de son poste et sont d’une gravité telle que le lien de confiance est irrémédiablement rompu. Le licenciement était donc approprié dans les circonstances.

5        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et les titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans le fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu'ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Contexte

6        En 2011, le gouverneur général en conseil a promulgué la Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, transférant à SPC la responsabilité des services suivants à l’égard des secteurs de l’administration publique fédérale : les services de courriels, les centres de données et de réseaux et les services de soutien à la technologie de l’information  de chaque ministère ou secteur de l’administration publique fédérale. Comme plusieurs autres employés œuvrant en technologie de l’information dans divers ministères, la fonctionnaire était une ancienne employée d’Environnement Canada qui a été transférée à SPC. 

III. Analyse

A.  La conduite de la fonctionnaire justifie-t-elle la prise d’une mesure disciplinaire?

1.  L’enquête

7        Fred Schrie, gestionnaire, Liaison pour la transformation et gestion des enjeux, Liaison Services Partagés, Direction générale des services ministériels, Environnement Canada, a expliqué que ses responsabilités englobaient tout ce qui touche aux télécommunications, aux réseaux de données, aux téléphones de bureau et aux vidéoconférences. Il a reçu une copie du rapport faisant état d’un usage important chez les 20 principaux usagers d’appareils sans fil à Environnement Canada. Le rapport sur les 20 principaux usagers, délivré par SPC, visait 43 ministères, dont 17 sont appuyés par la division des télécommunications. Il s’agit d’un rapport unique, qui vise les BlackBerry et les téléphones cellulaires. Les factures y sont présentées par ordre décroissant, soit de la plus élevée à la moins élevée. Le rapport a été présenté à la division ministérielle de SPC. Les ministères sont responsables de tous les frais de téléphone cellulaire élevés. Dans certains cas, des sous-ministres effectuant des voyages professionnels à l’étranger peuvent engager des frais d’itinérance élevés qui sont jugés acceptables. Puisque SPC est chargé du paiement des factures relatives à l’utilisation des appareils sans fil, les ministères sont responsables de faire le suivi des coûts. M. Schrie a été chargé d’examiner et d’expliquer pourquoi les coûts étaient aussi élevés à Environnement Canada.

8        Le nom de la fonctionnaire figurait dans le rapport. Lorsque M. Schrie a vu ce rapport pour la première fois, il a présumé que la fonctionnaire avait laissé son nom associé à un appareil par erreur. Parfois, les agents de télécommunications s’attribuent les appareils afin d’accélérer le processus d’assignation. M. Schrie ignorait alors que la fonctionnaire était en possession de trois appareils. Après avoir reçu le rapport, il a accédé aux portails en ligne de Rogers et de Bell. Il a produit des rapports individuels pour chacun des appareils indiqués dans la liste des usagers de niveau supérieur; les rapports visaient une période minimale d’un an.

9        En examinant les factures mensuelles de la fonctionnaire, il a découvert des frais facturés par un tiers fournisseur lesquels, selon lui, étaient liés au jeu en ligne. Tous les appareils appartenaient à la division des télécommunications de SPC, et les 17 autres factures portaient sur des dépenses légitimes engagées par des ministres ou d’autres cadres gouvernementaux à des fins professionnelles.

10        M. Schrie a communiqué avec Alan King, qui était à l’époque chef d’équipe, Équipe nationale de télécommunications, SPC (Services de télécommunications de voix, Portefeuille des sciences), à Ottawa. Ses obligations et responsabilités comprenaient la prestation des services de télécommunications, y compris la distribution des téléphones cellulaires, de BlackBerry, de modems, de voix sur IP, de PC et de systèmes téléphoniques, ainsi que les téléphones filaires des employés de 17 ministères gouvernementaux. En qualité de technicienne en télécommunications, la fonctionnaire relevait directement de M. King et était principalement responsable des appareils sans fil. Le bureau de M. King se trouvait sur la promenade Colonnade, à Ottawa, et celui de la fonctionnaire était situé à Gatineau.

11        Le 8 avril 2015, M. King a envoyé un courriel à Karl Primmer, chef d’équipe, Relations de travail, Environnement Canada, et à Isabelle Rossignol, conseillère principale en ressources humaines, SPC, afin de les aviser du total des frais engagés entre septembre 2014 et février 2015 pour trois téléphones cellulaires associés aux numéros suivants : le ***-***-4151 (l’«appareil 4151 »), le ***-***-5563 (l’«appareil 5563») et le ***-***-3515 (l’« appareil 3515 »). Un tableau de l’ensemble des frais pour les trois appareils a été élaboré. Des mesures immédiates ont été prises pour suspendre l’utilisation des appareils en question et enquêter sur les coûts.

12        Anik Marion, agente de télécommunications à SPC depuis janvier 2010, a expliqué qu’elle avait remarqué un numéro de téléphone qu’elle ne connaissait pas, soit le 4151, sur la facture de son cellulaire. Son gestionnaire, M. King, lui a demandé de composer ce numéro pour savoir qui utilisait le téléphone. M. King soupçonnait que le téléphone était utilisé par une personne qui ne travaillait pas pour la fonction publique.

13        Le 8 avril 2015, Mme Marion a composé ce numéro une première fois, mais personne n’a répondu. La deuxième fois, un homme a répondu et lui a dit qu’il se nommait Pascal Sauvé et qu’il ne travaillait pas à SPC, mais qu’il travaillait auparavant pour Environnement Canada. Mme Marion lui a demandé qui lui avait remis le téléphone, il a répondu Nathalie Lacroix, c’est-à-dire la fonctionnaire.

14        À la demande de M. King, Heather Martin, agente des télécommunications, Division des télécommunications, Portefeuille des sciences, SPC, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, est intervenue. M. King et elle ont consulté toutes les factures associées aux trois numéros de téléphones cellulaires pendant les 18 derniers mois, au moyen du portail de Rogers. Les factures couvraient une période d’un mois et demi à deux mois. M. King et Mme Martin ont remarqué les trois premiers comptes et ont extrait les factures des trois derniers mois pour examen. Mme Martin a imprimé les factures de Rogers pour l’appareil 3515, assigné à la fonctionnaire, et les appareils 4151 et 5563, identifiés comme des appareils de remplacement, pour la période du 1er novembre 2013 au 1er avril 2015. Elle cherchait à savoir d’où provenaient les frais de tiers fournisseurs tels Facebook et BOKU mobile co.

15        Selon M. King, les sommes facturées étaient exorbitantes pour une agente de télécommunications. Le montant maximal de facturation pour un appareil est de 300 $. Les factures détaillées indiquaient toutes des frais provenant de Facebook et de BOKU mobile co. M. King a remarqué que des jetons d’authentification de BOKU mobile co. avaient été achetés au moyen de Facebook, à des fins de jeu. L’analyse des factures de Rogers a été effectuée manuellement pour chacun des numéros d’appareil à chaque mois. Les factures de Rogers sont jointes à la feuille de calcul.

16        Mme Martin a inscrit toutes les anomalies relevées dans un document qu’elle a créé en avril 2015 (pièce E-2). La fonctionnaire était en congé de maternité du 13 janvier 2014 au 7 janvier 2015. Mme Martin ne savait pas si la fonctionnaire avait obtenu la permission de sa superviseure immédiate à Environnement Canada, Joanne Durand,  pour utiliser le téléphone cellulaire qui lui avait été assigné pendant cette période.

17        Le 9 avril 2015, M. King a téléphoné à la fonctionnaire pour l’informer qu’elle faisait l’objet d’une enquête. La même journée, M. Schrie a informé la fonctionnaire par écrit qu’il allait faire enquête à l’égard des frais encourus. Pendant cette période, la fonctionnaire a tenté d’utiliser les appareils pour faire des achats, mais en a été incapable parce que leur utilisation avait été suspendue.

18        M. King a demandé à la fonctionnaire de travailler à domicile jusqu’à ce qu’elle soit réaffectée temporairement à un autre groupe. La fonctionnaire a été choquée, mais elle savait qu’il se passait quelque chose parce qu’elle avait essayé de communiquer avec M. Schrie et le service à la clientèle de Rogers. À ce moment-là, il n’a pas été question du fait qu’elle était responsable d’un troisième appareil. Il n’a été question que de deux appareils. La fonctionnaire n’a jamais été informée directement de l’utilisation du troisième appareil.

19        Après avoir été informée qu’elle faisait l’objet d’une enquête, la fonctionnaire a demandé à M. King pourquoi M. Schrie s’occupait dorénavant de la liste des 20 utilisateurs les plus importants puisqu’il n’avait pas l’information ni accès à la bande de données. M.  King lui a répondu qu’elle n’aurait pas besoin de créer la liste puisque quelqu’un d’autre s’en occuperait dorénavant.

20        Le 9 avril 2015, la fonctionnaire a appelé la division des projets vocaux de télécommunications pour savoir qui avait demandé la suspension des appareils et pourquoi. Elle a été informée que M. King avait fait la demande. Elle a ensuite demandé

à M. King pourquoi son compte avait été suspendu, ce à quoi M. King a répondu qu’il n’était pas encore libre d’en discuter avec elle. Il lui a dit que des anomalies avaient été relevées quant à l’utilisation de son BlackBerry du travail et d’un appareil de remplacement. Il lui a dit d’être patiente et qu’il lui communiquerait des nouvelles informations dès que possible.

21        Le 9 avril 2015, M. Shrie a envoyé un courriel à la fonctionnaire pour lui demander à qui était assigné l’appareil 3515. Elle a confirmé qu’il s’agissait du numéro de son BlackBerry. Elle a ajouté qu’à la maison, elle utilisait un téléphone cellulaire de remplacement à des fins de diagnostic, dont le numéro était le 4151. Elle a aussi informé M. Shrie qu’elle avait demandé le transfert de son appareil 4151 de remplacement à son compte personnel, parce qu’elle voulait garder ce numéro pour elle-même. Mme Martin a trouvé cette demande inhabituelle et suspecte. M. Schrie a demandé à la fonctionnaire à qui était assigné l’appareil 5563, parce que le rapport ne mentionnait que l’appareil de remplacement. La fonctionnaire lui dit que l’appareil 4151 de remplacement et l’appareil 3515 avaient été suspendus. Elle n’a donné aucune autre information au sujet de l’appareil 5563 de remplacement. La même journée, la fonctionnaire a informé M. Schrie qu’elle ne se sentait pas bien et qu’elle prendrait congé.

22        Pendant une téléconférence avec M. Primmer, Relations de travail, et Mme Rossignol, conseillère en relations de travail, M. King a informé la fonctionnaire qu’il enverrait un service de messager chez elle afin de récupérer les téléphones cellulaires et l’ordinateur portatif. Il lui a dit de remettre les appareils tels quels et lui a ordonné de ne pas les manipuler. La fonctionnaire a répondu de manière conciliante et a dit qu’elle remettrait les appareils.

23        Le 13 avril 2015, M. King a envoyé un courriel à la fonctionnaire pour confirmer qu’il enverrait un messager récupérer tous les téléphones cellulaires et l’ordinateur portatif émis par le gouvernement du Canada qui étaient en sa possession. Elle a répondu que l’ordinateur portatif appartenait à Environnement Canada et non à SPC, et qu’elle enverrait seulement les deux téléphones cellulaires, le sien et celui sur lequel elle a réinstallé le système d’exploitation. M. King lui a demandé d’envoyer les appareils tels quels et de ne pas les modifier. Mme Martin a souligné que lorsqu’on réinstalle le système d’exploitation, l’historique d’utilisation de l’appareil est supprimé.

24        M. King a communiqué avec le représentant du service à la clientèle de Rogers, afin de déterminer quelles mises à niveau avaient été effectuées pour chacun des appareils, soit l’appareil 3515 (le téléphone cellulaire de la fonctionnaire), l’appareil 5563 (l’appareil de remplacement) et l’appareil 4151 (l’appareil de remplacement). M. King a également demandé à Rogers de fournir de plus amples renseignements sur les frais provenant de BOKU mobile co. et Facebook, afin de trouver un moyen de déterminer quelles transactions avaient été effectuées par l’intermédiaire de Facebook et par les services de sécurité des TI.

25        Le 14 avril 2015, par courriel, M. King a informé la fonctionnaire qu’elle devait se présenter au service d’appui du centre d’appels de SPC, à Gatineau, au sein de sa nouvelle équipe d’affectation, et ce, à compter du 21 avril 2015. M. King lui a dit de ne pas discuter de l’enquête avec quiconque. La fonctionnaire n’a pas suivi ces directives et a téléphoné à ses collègues afin qu’ils lui transmettent des renseignements.

26        À la réception des appareils, M. King n’a pas ouvert le colis scellé, comme les services de sécurité des TI lui avaient demandé. Il ne savait pas quels appareils étaient dans le colis. Il a envoyé le colis scellé à Marc Primeau, directeur de la sécurité, SPC. Il a aussi demandé aux Ressources humaines de retracer tous les sites visités au moyen de l’ordinateur portatif et de vérifier le serveur lui-même.

27        Le 14 avril 2015, les deux appareils ont été livrés aux services de sécurité ministérielle de SPC pour analyse judiciaire. La même journée, Eric Paul, enquêteur en matière de gestion de l’information, Direction générale des services ministériels, SPC, a reçu une demande de rencontre des relations de travail pour prendre possession des appareils cellulaires et discuter du cas. Les tâches principales de M. Paul consistaient à offrir un soutien informatique pour toute enquête en cours aux SPC. Il y avait 31 enquêtes en cours à cette époque.

28        Le 15 avril 2015, M. King et Mme Martin ont tenu une téléconférence avec M. Paul et d’autres membres des services de sécurité de SPC pour discuter de la situation, de l’analyse de l’ordinateur portatif et des trois appareils cellulaires. C’est à cette rencontre que les services d’analyse judiciaire ont pris possession des trois appareils cellulaires, soit le Q5, le Q10 et le Torch 9810, et de l’ordinateur portatif. M. Paul a inscrit les appareils sur une  feuille de suivi de la preuve et a officialisé le document à la rencontre avec M. King, Mme Martin et Mme Rossignol. En effectuant un examen préliminaire des appareils, il a remarqué qu’ils avaient été réinitialisés. Il les a ensuite rangés dans un cabinet sécurisé.

29        Le Q10 était un téléphone actif avec une carte SIM. Durant une entrevue avec M. Paul en juin 2015, la fonctionnaire a expliqué qu’elle s’était assigné ce téléphone pour se familiariser avec l’appareil. Le Q10 était assigné au numéro 3515; le Q5 n’avait aucune carte SIM et aucun numéro de téléphone n’y était assigné. Les deux appareils avaient été réinitialisés et il était impossible de récupérer leurs données. Les numéros et la description des appareils ne coïncidaient pas avec les téléphones reçus. M. Paul a essayé de comprendre ce qui se passait. Il ne pouvait pas dire comment le système d’exploitation des appareils avait été réinstallé, mais il savait qu’il était possible de le faire au moyen du menu de BlackBerry ou en entrant plusieurs fois le mauvais mot de passe.

30        Le 16 avril 2015, Rogers a envoyé un courriel à Mme Martin détaillant l’historique des trois appareils cellulaires que possédait la fonctionnaire. Selon cet historique, l’appareil 3515, assigné à la fonctionnaire, a été mis à jour le 14 janvier 2015, soit deux jours après son retour de congé de maternité, et la carte SIM de l’appareil 4151 a été transférée à un nouveau BlackBerry Q10, portant le matricule IME ***********9792, au téléphone de la fonctionnaire s’estimant lésée soit le 3515. Mme Martin a noté que l’appareil original assigné au numéro 4151, l’appareil de remplacement, a été échangé pour un BlackBerry Torch 9810, portant le matricule ***********7624, le 2 mai 2013. Un appareil assigné au numéro 5563, un appareil de remplacement, a été échangé pour un BlackBerry Torch 9810. Ce BlackBerry Torch 9810 était assigné au numéro 4151, à titre d’appareil de remplacement.

31        Le 20 avril 2015, en raison de la découverte de renseignements supplémentaires, M. King a avisé la fonctionnaire qu’elle devait rester à la maison, en congé payé. Le 22 avril 2015, un représentant de Rogers a communiqué avec Mme Martin pour lui faire part de toutes les transactions pour les trois appareils cellulaires. Avec cette information, M. King a réussi à déterminer les paramètres de sa recherche. Rogers lui a fourni toutes les factures relatives aux trois appareils, lesquelles énuméraient l’ensemble des frais. À l’aide de ces renseignements, Mme Martin a pu accéder au portail de Rogers et extraire toutes les factures à consulter. La majorité des frais provenaient de BOKU mobile co. et de Facebook, et concernaient des jeux tels que Casino Royale et Texas Hold’em. Lorsqu’elle a trouvé les dates requises, Mme Martin a pu imprimer les factures dont elle avait besoin. Elle a présenté à MM. King et Schrie une analyse des factures de Rogers et de l’usage des trois téléphones cellulaires (pièce E-5).

a. L’allégation de dépenses de fonds publics à des fins personnelles

32        Mme Martin a examiné toutes les factures associées au numéro de téléphone 3515, appartenant à la fonctionnaire, pour la période allant de novembre 2013 à mai 2015. Les seules factures associées au numéro de téléphone 3515 qui contenaient des anomalies étaient les suivantes : la facture du 1er février 2014, à raison de 99 cents; la facture de septembre 2014, à raison de 172,64 $, soit le montant pour l’achat de jetons d’authentification par le biais de Facebook et de BOKU mobile co.; la facture d’octobre 2014, à raison de 80,61 $. En novembre 2014, un montant de 245,62 $ a été facturé par Facebook et BOKU mobile co. au numéro de téléphone 3515. Cette somme était du même ordre que celle facturée pour les mois de décembre 2014 et de janvier à mai 2015, alors que le numéro de téléphone a été suspendu en avril 2015.

33        En ce qui concerne l’appareil 4151 de remplacement, Mme Martin a imprimé les factures pour la période allant de novembre 2013 à mai 2015. Les anomalies commençaient en décembre 2013 et cessaient en avril 2014; elles étaient principalement liées à Gameloft Guild et s’élevaient pour la plupart à 5 $. Aucune anomalie n’apparaissait en juin, juillet et août 2014. En date de septembre 2014, les anomalies avaient augmenté à 249,16 $ pour l’utilisation de Facebook et de BOKU mobile co. Les sommes relatives aux frais engagés pour l’utilisation de Facebook et de BOKU mobile co. au cours de la période d’octobre 2014 à février 2015 variaient entre 231,78 $ et 247,73 $ mensuellement. En mars 2015, les frais engagés pour l’utilisation de Facebook et de BOKU mobile co. s’élevaient à 171,96 $, alors qu’en avril 2015, ils étaient de 197,34 $. En mai 2015, ces frais étaient de 126,66 $. Seuls les frais de jeu ont été évalués dans le cadre de la recherche des faits.

34        Aucune précision n’était disponible pour l’appareil portant le numéro 5563. Mme Martin a effectué un historique des appels en examinant les détails téléphoniques, afin de voir si les trois appareils étaient synchronisés. Il s’agissait du seul appareil pour lequel Rogers ne pouvait pas donner de précisions. Cependant, la compagnie a pu trouver des détails au moyen des messages textes. Rogers n’a pas pu confirmer si une demande spéciale avait été présentée afin que les détails de la facturation ne puissent pas être dévoilés. Les détails étaient difficiles à lire parce que tous les renseignements étaient transmis par messages textes.

35        Une recherche effectuée dans Canada 411 a révélé le numéro de téléphone à domicile de la fonctionnaire, qui correspondait à la même adresse que celle du lieu d’où l’on avait expédié les appareils cellulaires par messager. En examinant les précisions sur les appels déposées en preuve (pièce E-7), qui s’appliquaient à l’appareil 3515 assigné à la fonctionnaire, il a été possible d’établir l’existence d’appels entre les trois numéros de téléphone, soit l’appareil 4151 de remplacement, l’appareil 3515 et l’appareil 5563 de remplacement, avec celui du domicile de la fonctionnaire. Mme Martin a expliqué que Rogers imposait un seuil maximal de 300 $ pour chacun des appareils. En examinant l’ensemble des factures applicables à tous les appareils sans fil, les frais engagés s’élevaient en tout à 300 $, ce qui correspond au seuil établi par Rogers.

36        En contre-interrogatoire, Mme Martin a confirmé qu’à son avis, le transfert d’un compte gouvernemental à un compte personnel privé est une pratique interdite. Elle a convenu que, dans une certaine mesure, il est permis d’utiliser un appareil à des fins personnelles, mais que les frais engagés pour les appareils en la possession de la fonctionnaire dépassaient ceux d’un usage personnel acceptable. Mme Martin a aussi confirmé qu’elle savait, même si elle n’était pas là à l’époque, que M. King avait prié la fonctionnaire de retourner tous les appareils du gouvernement du Canada intacts, ce que la fonctionnaire n’a pas fait. Une fois tous les appareils retournés, aucune de leurs données n’était récupérable, parce qu’elles avaient été effacées par suite de multiples échanges de cartes SIM. Mme Martin a convenu qu’il était impossible de savoir qui utilisait les appareils au moment où les frais avaient été engagés. Cependant, SPC a été en mesure d’associer l’utilisation des appareils à la fonctionnaire et à son conjoint, M. Sauvé.

37        Le 11 mai 2015, M. Paul a rencontré M. King, Mme Rossignol et James Walker, spécialiste en sécurité de la technologie de l’information, Direction générale des services ministériels, SPC, pour la remise d’un ordinateur portatif Toshiba Portégé et d’un téléphone cellulaire Z10. M. Paul les a emportés aux services d’analyses judiciaires et a installé un dispositif afin de protéger l’intégrité du disque dur de l’ordinateur. De la même façon, il a fait un examen préliminaire du téléphone Z10 et de sa carte SIM et il les a ensuite rangés dans un endroit sûr.

b. La réinstallation du système d’exploitation des appareils cellulaires

38        Le Z10 semble être le seul appareil dont le système d’exploitation n’avait pas été réinstallé. Le code d’identification du BlackBerry était associé au compte de télécommunications ***@EC.CA. Il s’agissait d’un téléphone à usage corporatif, qui n'était pas d’un type que M. Paul devait vérifier. M. Paul a expliqué que le téléphone était lié à un compte d’Environnement Canada que la fonctionnaire pourrait avoir activé  manuellement ou en insérant la carte SIM d’un autre téléphone. Le Z10 était le téléphone personnel de la fonctionnaire. M. Paul a remis le téléphone à la fonctionnaire.

39        Dans le courriel du 11 mai 2015 à M. King, M. Walker, Mme Martin et Mme Rossignol énumèrent l’information recueillie à partir de l’ordinateur portatif et du Z10, laquelle coïncide avec la feuille de suivi de la preuve. Le 12 mai, 2015 M. Paul a informé Mme Rossignol de la date à laquelle le système d’exploitation des appareils a été réinstallé, soit le 10 janvier 2015 pour le Torch 9810, et le 13 avril 2015 pour le Q10 et le Q5. C’est en se fiant à la date d’affichage du message de bienvenue automatique que M. Paul a pu déterminer la date de réinstallation du système d’exploitation. Il n’a pas pu faire d’analyse approfondie puisqu’ils avaient tous été réinitialisés, sauf le Z10.

40        Les services de sécurité de SPC ont remarqué que le système d’exploitation des appareils cellulaires retournés par la fonctionnaire avait tous été réinstallés. Ils n’ont pu récupérer aucune donnée. Aucun des appareils sans fils ne correspondait aux factures vérifiées, soit d’un modèle Q5, Q10, Z10 ou Torch 9810. De plus, toutes les cartes SIM avaient été transférées dans différents appareils. La carte SIM de l’appareil portant le numéro 5563 était dans un nouvel appareil. L’historique confirmé par Rogers, par courriel (pièce E-3), indique que le numéro 3515 avait été utilisé avec plusieurs appareils.

41        L’analyse de M. Paul portait principalement sur les données disponibles et les trois comptes impliqués dans cette analyse ont été reliés. Si le système d’exploitation des appareils n’avait pas été réinstallé, celui-ci et les activités avec le fournisseur auraient pu être analysés. De plus, les numéros d’identification des appareils reçus différaient des numéros IMEI des appareils liés à la demande d’analyse judiciaire, à l’exception du Q10. Les transactions étaient liées aux comptes et non aux appareils. L’appareil associé au 5563 était impossible à localiser.

42        L’appareil portant le numéro 4151 datait de 2012 et il s’agissait d’un appareil Samsung appartenant à un autre employé. Mme Martin a découvert que la carte SIM dans cet appareil était utilisée depuis le mois de mai 2013. La carte SIM appartenait auparavant à un autre employé. Cette carte était maintenant utilisée dans l’appareil 4151, soit le Q10, qui a été modernisé le 16 janvier 2015. La carte SIM de l’appareil 4151 a été transférée à l’appareil 3515. C’est pourquoi la fonctionnaire a demandé que le numéro soit transféré à un compte personnel. Cependant, chaque fois que la carte SIM était transférée, elle devenait de plus en plus difficile à analyser.

43        Le 27 avril 2015, M. King a envoyé un courriel à la fonctionnaire afin de la convoquer à une rencontre le 4 mai 2015, en compagnie d’un représentant de son choix. Le 29 avril 2015, Mme Rossignol a écrit à Patrice Desrochers, gestionnaire par intérim, Opérations de la sécurité - gestion de l’information et technologies de l’information, Direction générale des services ministériels, Environnement Canada, pour lui demander un relevé d’utilisation d’Internet pour la période allant du 1er septembre 2014 au 1er avril 2015. Le 1er mai 2015, M. Desrochers a envoyé les journaux de bord des deux systèmes utilisés par la fonctionnaire. M. King a expliqué que les demandes de connexion pour l’ordinateur portatif portant l’adresse IP ***.***.***.53 provenaient de la fonctionnaire. Il a ajouté que l’ordinateur avait été utilisé pour accéder à Facebook plusieurs fois par jour. Au moins une fois, le 28 novembre 2014, l’ordinateur a été utilisé pour s’adonner à des jeux de hasard, alors que le 15 septembre 2014, il a été utilisé pour s’adonner à des jeux de simulation.

44        Le 4 mai 2015, M. King, Mme Rossignol, la fonctionnaire et Marie-Claude Chartier, sa représentante syndicale, se sont rencontrés. Plusieurs questions ont été posées à la fonctionnaire au sujet des numéros de téléphone 3515, 4151 et 5563, et un récapitulatif de transactions lui a également été présentée. La fonctionnaire a dit qu’elle détenait un compte Facebook, mais que les jeux identifiés dans le récapitulatif ne lui étaient pas familiers. Elle a mentionné que tous les appareils délivrés par le gouvernement venaient avec un mot de passe et qu’elle avait communiqué ces mots de passe à son conjoint, M. Sauvé. 

45        Mme Rossignol a rédigé une liste de questions à poser à la fonctionnaire pour établir les faits. À partir de ces informations, elle a créé un tableau résumant les dépenses reliées aux trois comptes. Les questions et notes manuscrites de Mme Rossignol prises durant la rencontre ont été déposées en preuve (pièces E-43 et  E-63). La fonctionnaire a reconnu avoir eu en sa possession trois appareils cellulaires pendant son congé de maternité, lesquels ont tous été approuvés par Mme Durand, sa superviseure immédiate à l’époque. Selon la fonctionnaire, les coûts liés à l’utilisation de son téléphone personnel ne dépassaient pas 10 $ par mois. Selon les notes de Mme Rossignol, la fonctionnaire a avoué avoir récemment accédé au portail de Rogers BlackBerry à partir duquel il est possible de créer et de modifier des comptes en plus d’accéder aux factures mensuelles.  

46        La fonctionnaire a confirmé avoir partagé l’appareil 4151 avec son conjoint pour qu’il puisse communiquer avec elle uniquement. Elle utilisait aussi ce téléphone comme outil de travail pour faire des diagnostics. Lorsqu’elle a appris que le compte avait été suspendu, elle cherchait à savoir pourquoi. Par conséquent, le 9 avril 2015, elle a demandé à Rogers de transférer le compte à son compte personnel. Elle utilisait ce téléphone pour envoyer des messages textes et faire des appels personnels. Elle utilisait l’appareil 5563 pour faire de la synchronisation.

47        La fonctionnaire a admis avoir partagé tous ses mots de passe avec son conjoint pour faciliter leur vie de couple et avoir un compte Facebook. Elle a toutefois précisé qu’elle ne jouait pas à des jeux sur ce compte. Son conjoint avait trois comptes Facebook et les trois numéros de téléphone y apparaissaient. Mme Rossignol a fait une analyse des comptes de Rogers et indiqué le total de tous les montants encourus pour chaque appareil. Les factures de Rogers liées au compte 3515, du mois de novembre 2013 au mois d’avril 2015, totalisaient 1727,27 $. Les factures liées au compte 4151, pour la même période, totalisaient 1872,54 $, et celles liées au compte 5563 totalisaient 987,13 $.

48        Lorsque Mme Rossignol et M. King lui ont présenté le tableau avec tous les frais encourus, la fonctionnaire a dit que son conjoint jouait à des jeux et que, selon elle, il s’agissait de piratage. À la fin de la rencontre, Mme Rossignol et sa représentante syndicale lui ont demandé pourquoi le système d’exploitation des appareils avait été réinstallé avant de remettre les appareils à SPC. La fonctionnaire a répondu qu’elle ne savait pas en haussant les épaules.

49        Le 5 mai 2015, Mme Rossignol a écrit à Mme Durand pour vérifier quels appareils avaient été confiés à la fonctionnaire pendant son congé de maternité et les conditions rattachés à leur utilisation. Mme Durand a informé Mme Rossignol qu’elle avait demandé à la fonctionnaire et à d’autres employés de travailler à domicile afin d’assurer la continuité du service. Le poste de la fonctionnaire n’a pas été pourvu pendant son congé de maternité, et celle-ci a offert de continuer de travailler sur certains dossiers et d’aider son collègue. La fonctionnaire voulait être au courant des changements ayant lieu au sein de la section sans fil pendant son congé de maternité. Par conséquent, Mme Durand a permis à la fonctionnaire de conserver les appareils qu’elle avait en main. Elle ignorait que la fonctionnaire avait un ordinateur portatif. M. King a signalé que Mme Durand n’était pas habilitée à autoriser l’utilisation d’appareils pendant un congé de maternité. Le protocole habituel consiste à suspendre l’utilisation des appareils pendant les congés de maternité. Mme Durand relevait de M. King, qui n’autorisait pas cela.

50        Le 6 mai 2015, Mme Rossignol a écrit à la fonctionnaire pour confirmer si les données de son téléphone cellulaire personnel, soit le Z10, étaient intactes et si elle permettait qu’une analyse de cet appareil soit faite. Elle a demandé à la fonctionnaire de remettre l’appareil pour analyse à M. Jean Duquette, gestionnaire des opérations à SPC. Le 7 mai 2015, M. King a parlé avec la fonctionnaire afin de prendre des dispositions concernant la remise du téléphone Z10.

51        Le 12 mai 2015, M. King a écrit au représentant de Rogers pour demander des précisions au sujet des trois numéros de téléphone faisant l’objet de l’enquête : le 3515, le 5563 et le 4151. Il voulait obtenir des renseignements détaillés permettant d’associer les achats à partir d’un compte Facebook en particulier. Rogers a répondu qu’il ne pouvait pas lui fournir ces renseignements en l’absence d’une ordonnance d’un tribunal. Le même jour, M. King a envoyé un courriel convoquant la fonctionnaire et sa représentante syndicale à une deuxième rencontre le 19 mai 2015. 

52        Mme Rossignol a communiqué avec le service à la clientèle de BOKU mobile co. afin de déterminer les frais engagés en novembre et décembre 2014 pour l’appareil 5563. Elle voulait savoir pourquoi il y avait neuf identifiants de paiement et huit transactions dont la valeur variait entre 1,45 $ et 119,24 $. Le service à la clientèle de BOKU mobile co. a confirmé qu’un message de confirmation avait été envoyé pour approuver chaque transaction. Toutes les transactions devaient être acceptées par message texte avant d’être approuvées.

53        Le 19 mai 2018, une deuxième rencontre a eu lieu en présence de M. King, Mme Rossignol, la fonctionnaire et sa représentante syndicale. Cette deuxième réunion avait pour but d’obtenir des renseignements supplémentaires à propos de la théorie de la fonctionnaire voulant que les appareils aient été piratés. Selon M. King, la fonctionnaire refusait de reconnaître la vérité. Elle a nié être au courant des jeux que l’employeur a été en mesure d’identifier dans l’historique des sites internet consultés à l’aide des appareils électroniques gouvernementaux dont la fonctionnaire avait la charge (pièce E-48). Elle a également nié avoir eu connaissance des activités et des jeux découverts dans les trois appareils sans fil. Il était évident que la situation était difficile pour elle sur le plan affectif. Elle a nié avoir envoyé et reçu des messages textes approuvant les frais de jeu. Elle a confirmé qu’elle et son conjoint utilisaient l’appareil 4151.

c. Les appareils cellulaires non liés à l’enquête

54        M. King et Mme Rossignol voulaient savoir pourquoi elle avait remis des appareils qui n’avaient aucun rapport avec l’enquête. Les appareils retournés à SPC ne portaient pas les numéros de série assignés aux comptes. Ce n’est qu’à la deuxième rencontre que la fonctionnaire a admis avoir assigné un appareil cellulaire à son conjoint pour son usage personnel. Elle a admis qu’elle et son conjoint utilisaient le compte 4151 depuis cinq ans. Elle a reconnu que « ce n’était pas fort ». À ce moment-là, M. King et Mme Rossignol ont appris que son conjoint s’était procuré son propre appareil avec Vidéotron.

55        M. King et la fonctionnaire ont discuté des modèles d’appareils cellulaires qu’elle avait retournés à SPC. Les deux étaient en désaccord sur les types de modèles retournés. À la question de savoir si elle avait fermé son compte Facebook, la fonctionnaire a répondu non. Mme Rossignol l’a questionné sur son compte Facebook et les applications et jeux récents pour lesquels elle a accordé la mention « J’aime », dont Casino Star. M. King voulait savoir pourquoi elle avait retourné un appareil Q5. Elle a maintenu avoir retourné un appareil BB5. Avec la nouvelle information reçue, la théorie du piratage est devenue moins pertinente. Après avoir discuté avec la section de la technologie de l’information et M. King, il a été conclu que la théorie du piratage était peu probable, surtout après l’aveu tacite de la fonctionnaire qu’elle avait réinstallé le système d’exploitation des appareils et changé les cartes SIM.  

d. La lettre d’excuse de la fonctionnaire

56        Le 20 mai 2015, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Rossignol, avec copie conforme à M. King et sa représentante syndicale, à partir du compte de messagerie de son conjoint. Dans cette lettre, elle a reconnu avoir manqué de jugement et s’est dit profondément désolée d’avoir donné à son conjoint accès à ses trois  numéros de téléphone gouvernementaux. Elle a dit qu’elle avait eu peur de perdre son emploi avant son congé de maternité et que, par conséquent, elle avait prise des décisions qu’elle regrettait beaucoup. Elle a admis qu’elle n’aurait jamais dû partager l’appareil 4151 et faire autant d’appels personnels. Elle a demandé qu’on lui donne l’occasion de démontrer qu’elle était une personne intègre et honnête et qu’elle avait appris de ses erreurs. La fonctionnaire a dit qu’elle était prête à être suspendue, à rembourser les dépenses encourues, à changer de section et à ne plus travailler avec les appareils cellulaires. Elle a déclaré qu’elle était prête à accepter toutes les conséquences, mais qu’elle ne voulait pas perdre son emploi. Suivant les recommandations des relations de travail, M. King a décidé de ne pas répondre à la fonctionnaire.

e. La théorie du piratage

57        Pendant l’entrevue dans le cadre de l’enquête des services de sécurité en juin 2015, la fonctionnaire a soutenu que les frais encourus n’étaient pas volontaires et qu’il s’agissait de piratage. Les agents de sécurité ont fait toutes les vérifications possibles afin  d’établir une tendance pour voir si les frais encourus étaient volontaires et ils ont remarqué qu’ils étaient trop structurés pour constituer du piratage. Suite à son entrevue en juin 2015 avec la fonctionnaire et sa représentante syndicale, M. Paul a préparé un tableau de toutes les transactions pour tous les numéros de téléphone avec tous les coûts associés.

58         En contre-interrogatoire, M. Paul a reconnu qu’il ne savait pas comment le système d’exploitation des appareils avait été réinstallé. Toutefois, il pouvait confirmer qu’il avait été réinstallé sur les appareils puisque ceux-ci affichaient des messages de bienvenue. Il a reconnu avoir reçu une copie du tableau préparé par Mme Martin pour chaque compte associé aux téléphones en question. Il a néanmoins fait sa propre enquête pour en vérifier la fiabilité. Il a considéré la possibilité qu’il s’agisse de piratage avant la préparation de son tableau (pièce E-26).

59        Selon M. Paul, la fonctionnaire était surprise lorsqu’elle a vu le tableau avec tous les frais encourus et a reconnu qu’ils étaient trop structurés pour être du piratage. Elle était visiblement déstabilisée et surprises des dates. Elle était en état de choc de voir la preuve établissant que les frais étaient clairement volontaires. Elle n’a pas admis que c’était son conjoint qui avait les téléphones et qui avait occasionné les frais. Sa rencontre avec la fonctionnaire était orientée sur le fait que les appareils étaient sous sa responsabilité.

2. Le témoignage de la fonctionnaire

60        La fonctionnaire a témoigné qu’elle a travaillé pour la fonction publique de mars 2007 au 20 août 2015. Elle était la seule technicienne en télécommunications classifiée au groupe et au niveau CS-01 qui s’occupait de résolution de problèmes (serveurs, courriels et BlackBerry). Elle s’occupait de la réparation des BlackBerry. Elle échangeait les pièces au besoin, dans le but de les réparer, et offrait de la formation sur les différents BlackBerry.

61        Le numéro 4151 et l’appareil Torch lui ont été assignés en 2010 ou en 2011. Pendant son congé de maternité, sa superviseure immédiate, Mme Durand, a approuvé l’utilisation de trois appareils cellulaires et de l’ordinateur portatif. Environnement Canada utilisait encore les BlackBerry Q5 alors que les autres ministères utilisaient la nouvelle technologie, soit les BlackBerry Q10. Elle avait donc en sa possession un BlackBerry Q5, son cellulaire Z10 pour parler aux clients, et un BlackBerry Q10 pour se familiariser avec la nouvelle technologie, surtout avec les changements de structure prévus au ministère. Selon la fonctionnaire, le numéro 5563 était associé au BlackBerry Q5.

62        Les appels personnels ne devaient pas dépasser 10 $ par mois à Environnement Canada. Au-delà de ce montant, l’employé concerné devait rembourser le ministère par chèque au nom du receveur général. Il s’agissait de la pratique acceptée par l’employeur et les employés. Certains des collègues de la fonctionnaire apportaient leur BlackBerry avec eux en voyage et ils devaient rembourser le receveur général.

63        La fonctionnaire a prêté son cellulaire à son conjoint, M. Sauvé. Au début de sa grossesse, en 2013, elle n’allait pas bien. Elle craignait perdre son enfant. Tout son monde tournait autour de son enfant à naître. C’est la raison pour laquelle elle a décidé de prêter le téléphone cellulaire à son conjoint. Il travaillait à Environnement Canada, au bureau d’aide, et il n’avait pas de ligne directe. De cette façon, c’était réconfortant pour elle de pouvoir le joindre en tout temps. Il travaillait à contrat jusqu’à la fin avril 2014. Il a recommencé à travailler dans le secteur public fédéral en octobre 2014 et elle a continué de lui prêter le téléphone cellulaire pour pouvoir le contacter au besoin. Selon elle, elle ne lui avait pas assigné le téléphone cellulaire, elle lui prêtait le sien. Le seul appareil qu’elle lui a prêté était celui associé au numéro 4151.

64        C’est son conjoint qui lui avait suggéré la théorie du piratage. Il était un expert en technologie de l’information. Pour elle, il s’agissait d’une explication plausible. Elle n’avait aucune idée qu’il avait utilisé les téléphones cellulaires qu’elle gardait dans son sac à main. Il lui disait qu’après 15 ans de vie commune, elle devrait le croire. Elle avait des doutes, mais ne le lui a jamais dit. Le 28 août 2015, son conjoint a fondu en larmes et lui a dit qu’il avait engagé des frais de jeu. Il lui a expliqué comment il avait fait. Ils se sont disputés à plusieurs reprises. Il ne croyait pas qu’elle allait perdre son emploi, mais elle a été licenciée.

65        L’appareil 4151 n’avait pas de mot de passe. Selon le protocole de SPC, seulement les appareils qui avaient accès à de l’information protégée devaient avoir un mot de passe. Elle gardait les trois appareils dans son sac à main, protégés des tiers. Elle utilisait beaucoup l’appareil associé au 4151. Au mois de mars 2014, elle a remboursé une somme d’argent au receveur général pour des appels personnels.

66        Lorsque la fonctionnaire a été avisée qu’elle faisait l’objet d’une enquête, elle croyait que c’était pour des frais d’appels personnels encourus lors de son congé de maternité. Elle savait que SPC s’occupait maintenant des comptes clients et non plus Environnement Canada.

67        Le 13 avril 2015 elle a communiqué avec son collègue pour lui demander d’accéder à son compte. Elle n’a su qu’il y avait des frais encourus sur ses appareils qu’après en avoir réinstallé le système d’exploitation et les avoir retournés à SPC. Si elle l’avait su, elle n’aurait jamais réinstallé le système d’exploitation des appareils.

68        La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait réinstallé le système d’exploitation d’un BlackBerry Q5 d’une autre employée dans le but de synchroniser des adresses courriels provenant d’Environnement Canada et de SPC. Il fallait un mot de passe pour réinstaller le système d’exploitation. Au moment de la réinstallation, il n’y a pas de date ou d’heure car il n’y a aucune connexion au réseau. La fonctionnaire ne comprenait pas pourquoi M. King lui avait demandé de retourner les appareils intacts puisqu’il avait accès à tous les comptes et factures comprenant les détails des appels personnels. Si elle avait su qu’il y avait des montants élevés, elle ne les aurait pas effacés.

69        La fonctionnaire a proposé de remettre à l’employeur son téléphone personnel Z10 pour qu’il puisse vérifier ses courriels avec les clients et faire la synchronisation. Elle croyait sincèrement pouvoir simplement rembourser au receveur général les montants encourus pour les appels personnels.

70        À la rencontre du 19 mai 2015, lorsqu’elle a vu les frais excessifs, la fonctionnaire croyait qu’il s’agissait de piratage. Elle a fait des recherches sur Internet et elle a envoyé les résultats  à M. King. Lorsqu’elle a vu le document Excel, elle s’est dit que toutes sortes de choses auraient pu se produire. Après discussion avec son conjoint, elle a adhéré à la théorie de piratage de celui-ci, vu l’expérience de son conjoint en technologie de l’information. Son conjoint lui mentait. Ce n’est seulement qu’à la deuxième rencontre du mois de mai 2015 qu’elle a été convaincue que son conjoint lui avait menti.

71        Lors de l’enquête des services de sécurité en juin 2015, M. Paul a remis le document officiel à la fonctionnaire précisant en détail tous les frais liés au jeu en ligne. Elle a alors confronté son conjoint et éliminé la théorie du piratage. Son conjoint ne lui a avoué avoir engagé des frais de jeu qu’après le licenciement de la fonctionnaire. Il lui a dit avoir eu des problèmes de jeu lorsqu’il était dans la vingtaine. Il s’est rétabli et il s’est inscrit dans un programme d’auto exclusion auprès de la Société des casinos du Québec. C’est la raison pour laquelle la fonctionnaire s’occupe des finances du couple et que M. Sauvé a accepté de se faire contrôler financièrement. Elle lui accordait une grande confiance et il ne lui avait jamais donné aucune raison de le douter. Si elle avait su qu’il avait un problème de jeu, elle ne lui aurait pas prêté un téléphone cellulaire. Pour ce qui est de son compte Facebook et les mentions « J’aime », son conjoint accédait à son compte et s’envoyait des vies gratuitement pour des jeux Facebook, ce qui n’est pas illégal.

72        En contre-interrogatoire, elle a reconnu que l’appareil 4151 était son cellulaire et qu’elle l’avait prêté à son conjoint pendant et après sa grossesse. En 2012, elle le faisait plus occasionnellement. En 2013, son conjoint l’utilisait de façon indépendante. Elle a admis avoir consulté ses factures juste avant la rencontre préliminaire avec M. King et Mme Rossignol et que, à ce moment-là, elle a pensé avoir été victime de fraude. Ce n’est que lors de l’entrevue dans le cadre de l’enquête des services de sécurité en juin 2015 qu’elle a été convaincue qu’il ne s’agissait pas de piratage. Une fois qu’elle a obtenu le document des services de la sécurité, elle a pu confronter son conjoint. Elle ne comprenait pas comment il avait fait.

3. Le témoignage de M. Sauvé

73        Dans son témoignage, M. Sauvé a dit qu’il avait été technicien en informatique pour la Défense nationale entre 2012 et 2015. Ses tâches  comprenaient le dépannage informatique de premier niveau, soit au niveau logiciel et physique. Entre 2012 et 2015, il n’avait pas de téléphone cellulaire ni ligne directe au bureau. On pouvait seulement le joindre au numéro sans frais (1-800) de son service. La fonctionnaire n’avait aucun moyen de le joindre directement, c’est pourquoi elle lui a prêté l’appareil 4151. Au début de sa grossesse, la fonctionnaire a eu des complications et elle avait peur de faire une fausse couche. Pendant le congé de maternité de la fonctionnaire, M. Sauvé utilisait le téléphone moins souvent car il avait perdu son emploi et il était à la maison.

74        M. Sauvé a commencé à engager des frais de jeu en août ou en septembre 2014. Il a expliqué que les appareils n’étaient pas dans un coffre-fort, mais bien dans le sac à main de la fonctionnaire. Pendant qu’elle dormait, il prenait soin d’effacer tous les messages textes confirmant les achats. Il utilisait les appareils à son insu. Elle n’avait aucune raison de douter de lui. Il savait ce qu’il faisait. Elle croyait la théorie du piratage qu’il lui avait proposée car, selon lui, c’était plausible.

75        Lors de l’enquête des services de la sécurité en juin 2015, la fonctionnaire lui a dit que les enquêteurs lui avaient remis un document détaillant tous les frais encourus. Lorsque la fonctionnaire est revenue à la maison, elle l’a confronté et il en a été déboussolé. Il se sentait malade. Les frais étaient excessifs. Il a contracté un emprunt personnel pour rembourser la totalité du montant dû au receveur général. Il remboursait toujours cet emprunt au moment de l’audience.

76        Il a affirmé qu’il jouait à des jeux sur Facebook pour l’aider à passer sa rage. De novembre 2014  à mars 2015, il utilisait sa carte de crédit pour jouer à des jeux d’argent en ligne à l’insu de la fonctionnaire. Éventuellement, la fonctionnaire s’en est rendu compte et ils ont payé la carte de crédit et fermé le compte.

77        M. Sauvé a mentionné qu’il utilisait les appareils de la fonctionnaire pour jouer à des jeux d’argent en ligne. Puisque les frais qui pouvaient être engagés sur chacun de ces appareils étaient limités à 300 $, il devait parfois utiliser les autres appareils. Il était en arrêt de travail parce qu’il n’était plus capable de se concentrer au travail. Son patron lui a dit qu’il devait prendre soin de lui-même. Il s’est inscrit à son centre local de services communautaire et a consulté un psychologue à raison d’une fois par semaine. Il a essayé de reprendre le travail, sans succès. Il devait recommencer à travailler en février tout en continuant sa thérapie avec le psychologue. Présentement, la fonctionnaire s’occupe des finances du couple. Il travaille fort pour se rétablir et retourner au travail.

78        En contre-interrogatoire, M. Sauvé a précisé qu’il n’avait pas vu les documents remis à la fonctionnaire lors de dans le cadre de l’enquête des services de sécurité en juin 2015. Il se rappelle avoir avoué sa conduite à la fonctionnaire qu’après une engueulade solide avec elle, lorsque les factures de Rogers ont été présentées à la fonctionnaire, alors qu’il lui avait tout nié précédemment. En juin 2015, après la rencontre avec les services de la sécurité, il lui a admis que c’était lui qui avait engagé les frais de jeu. La fonctionnaire ne lui a pas remis de documents, mais elle lui a dit qu’elle avait tout vu : les messages textes, les heures où les dépenses ont été engagées, etc.  Il avait été cerné et il a tout avoué.

79        À la suite de l’enquête, Pankaj Sehgal, sous-ministre adjoint, Réseaux et utilisateurs, SPC, a décidé de licencier la fonctionnaire pour utilisation frauduleuse d’appareils de téléphonie mobile et dépense de fonds publics à des fins personnelles. Il était d’avis qu’elle avait enfreint le Code de valeurs  et d’éthique du secteur public en omettant de gérer et d’utiliser judicieusement les ressources publiques qui lui avaient été confiées. Il était convaincu qu’elle avait abusé de la confiance de l’employeur en assignant un téléphone cellulaire ministériel à son conjoint pour usage personnel; en accumulant des frais significatifs de tierces parties pour trois comptes téléphoniques qui étaient sous sa responsabilité; en fournissant le mot de passe de son téléphone cellulaire ministériel à son conjoint; et en nuisant délibérément à l’enquête. Selon lui, les gestes commis étaient d’une gravité telle que le lien de confiance était irrémédiablement rompu.

4. Le témoignage de M. Sehgal

80        Avant de décider de licencier la fonctionnaire, M. Sehgal a pris en considération les résultats de l’enquête. Il a parlé au directeur de la fonctionnaire à l’époque, ainsi qu’aux représentants des relations de travail. À sa demande, un cartable rempli d’échanges de courriels lui a été remis, afin de déterminer la mesure appropriée. Il a pris en considération son dossier de rendement, ses années de service, les remords exprimés à la fin de l’enquête administrative face aux gestes posés. Malgré ces facteurs atténuants, il a conclu qu’elle devait être licenciée. Elle était chargée de protéger et de distribuer adéquatement les biens du gouvernement. Elle a perdu la confiance de l’employeur en entravant l’enquête intentionnellement. Elle a eu de multiples occasions d’être honnête et de venir expliquer les raisons des frais. Au lieu de cela, elle a délibérément effacé les données des appareils. Ces facteurs aggravants étaient beaucoup plus sérieux que les circonstances atténuantes. Par conséquent, le licenciement de la fonctionnaire était justifié.

81        À l’audience du grief au dernier palier, l’employeur a accédé à la demande de la fonctionnaire d’entendre son conjoint, M. Sauvé, au sujet du fait qu’elle lui avait assigné un téléphone et fourni ses mots de passe. On a écouté ses observations et celles de son conjoint. La fonctionnaire a expliqué les circonstances entourant ce qui s’est produit. Essentiellement, elle ignorait ces frais. Ils ont été encourus à son insu. Son conjoint a admis qu’il avait une dépendance au jeu et qu’il la lui avait intentionnellement cachée. Il en a assumé l’entière responsabilité et a avoué que la théorie du piratage était son idée, et qu’il avait encouragé la fonctionnaire à la présenter en guise de couverture.

82        M. Sehgal a maintenu la décision de licencier la fonctionnaire malgré les remords exprimés par la fonctionnaire. Elle aurait pu éviter de se trouver dans cette situation et d’y placer le ministère. Elle était responsable des biens du gouvernement et, ultimement, de l’argent des contribuables. Il lui incombait en tant que fonctionnaire de gérer les ressources gouvernementales, et non d’en tirer un avantage personnel. La façon dont elle s’est conduite pendant l’enquête en fournissant les mauvais appareils et en effaçant les données a joué un rôle important dans l’évaluation de la mesure disciplinaire.

B. Conclusion

83        Selon la représentante de la fonctionnaire, il est clairement établi que les frais excessifs ont été engagés par son conjoint en raison de son problème de jeu et que ce dernier a utilisé les appareils sans fils à l’insu de la fonctionnaire. Elle n’était pas au courant de ce problème de jeu. Elle n’aurait jamais accepté d’engager ces frais ni imaginé que son conjoint puisse faire une chose pareille. Elle avait une confiance aveugle en lui. Ils faisaient vie commune depuis 15 ans et il était le père de son enfant à naître. Elle ne pouvait s’imaginer qu’elle devait verrouiller les appareils à clés. Dans une vie de couple, on doit pouvoir se faire confiance. Qu’elle ait donné ou non accès à un appareil, elle n’a jamais approuvé les frais de jeu. La fonctionnaire peut seulement être tenue responsable du prêt de l’appareil 4151. Son conjoint a eu recours à un stratagème et il a agi secrètement. Elle ne peut être tenue responsable des actions de son conjoint.

84        Par contre, la preuve établie clairement que la fonctionnaire a failli à son devoir de gérer et d’utiliser judicieusement les ressources publiques qui lui avaient été confiées. Selon le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, les fonctionnaires servent l’intérêt public et doivent utiliser les biens et ressources dont ils ont la responsabilité de façon efficace et efficiente. La section 3.2 prévoit que les fonctionnaires ne doivent jamais utiliser leur rôle officiel  en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux-mêmes ou autrui. Puisque les fonctionnaires sont garants de la confiance publique, ils doivent se conduire toujours avec intégrité et d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi. Comme indiqué dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi. Ils doivent agir de manière à préserver la confiance de leur employeur.

85        La fonctionnaire a complété le cours de Valeurs et éthique le 23 septembre 2009. Elle était au courant de ses obligations et des attentes de son employeur. Elle était responsable des biens appartenant à SPC. De son propre aveu, elle a prêté l’appareil 4151 à son conjoint pour son usage personnel, avant et pendant sa grossesse. Bien qu’elle fasse confiance à son conjoint, cet appareil était sous sa responsabilité pour un usage professionnel. Il ne lui appartenait pas de partager cet appareil avec lui, peu importe la raison. Si elle avait besoin de le joindre en tout temps, il aurait pu se procurer un téléphone personnel. La seule conclusion que je peux tirer est qu’elle avait l’intention de lui prêter un téléphone ministériel pour son usage personnel.

86        De plus, elle a admis avoir partagé tous ses mots de passe avec son conjoint pour faciliter sa vie de couple. Aucune preuve ou explication acceptable n’a été présentée pour justifier la décision de la fonctionnaire. Bien qu’elle n’ait pas engagé elle-même les frais de jeu sur Facebook et BOKU mobile co., elle était responsable de la gestion et de l’utilisation judicieuse des appareils dont elle avait la charge. Elle occupait un poste de technicienne de soutien des biens. Elle était tenue à un devoir d’intégrité comme précisé dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Sa décision de partager ses mots de passe avec son conjoint et de lui prêter l’un des appareils dont elle avait la charge démontre une insouciance complète à l’égard des biens appartenant à SPC. À la première rencontre de l’enquête, elle a avoué que tous les numéros de téléphones cellulaires apparaissaient sur les comptes Facebook de son conjoint et que ce dernier jouait à des jeux. À mon avis, l’explication de la fonctionnaire selon laquelle elle ne se doutait pas que les frais de jeu étaient engagés par son conjoint et qu’il s’agissait de piratage n’est pas crédible.

87        M. Paul a expliqué que les appareils remis par la fonctionnaire n’avaient aucun lien avec les comptes clients. La fonctionnaire ne comprenait pas pourquoi M. King lui avait demandé de remettre les appareils de façon intacte, puisqu’il avait accès à tous les comptes et à toutes les factures; les détails de tous les appels personnels y figuraient. À mon avis, la partie du témoignage de la fonctionnaire, selon lequel elle n’aurait pas effacé le contenu des appareils si elle avait su qu’il y avait des montants élevés, n’est pas crédible. De son propre aveu, comme noté par Mme Rossignol dans ses notes du 4 mai, 2015, la fonctionnaire a accédé aux comptes de Rogers BlackBerry pour voir les factures après avoir appris qu’elle faisait l’objet d’une enquête. Elle était donc au courant des montants encourus. Au contraire, je suis d’avis qu’elle a réinstallé le système d’exploitation des appareils parce qu’elle avait quelque chose à cacher.

88        Pour trancher les questions liées à la crédibilité des témoins, les arbitres de griefs renvoient souvent à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna v. Chorny (1951), [1952] 2 D.L.R. 354. Pour déterminer si un témoin dit réellement la vérité, il faut vérifier si sa version est compatible avec celle qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait d'emblée comme une version raisonnable, selon la prépondérance des probabilités. Considérant les témoignages de M. King, de Mme Rossignol, de Mme Martin, de M. Paul et de M. Sauvé, le témoignage de la fonctionnaire à l’égard de la conduite que l’employeur lui reproche n’est pas crédible.

89        Il y avait aussi des contradictions importantes dans les témoignages de la fonctionnaire et de son conjoint.  Dans son témoignage, la fonctionnaire a dit qu’après la rencontre avec la sécurité en juin 2015, elle avait la preuve documentaire nécessaire pour confronter son conjoint. Toutefois, ce n’est qu’après son licenciement que son conjoint a admis avoir utilisé les appareils à son insu. Selon le témoignage de la fonctionnaire, son conjoint a tout admis en juin 2015, sans qu’elle ait à lui présenter une preuve documentaire. Ces contradictions importantes démontrent un manque de crédibilité de la part de la fonctionnaire. De plus, ses aveux tacites durant l’enquête en ce qui concerne la réinstallation du système d’exploitation des appareils, l’échange des cartes SIM et le prêt d’un téléphone ministériel à son conjoint pendant plus de cinq ans, ne concordent pas avec son témoignage à l’audience.

90        Le témoignage de la fonctionnaire à l’égard de l’utilisation du portable et des accès à Facebook défie le bon sens. Les éléments de preuve indiquent clairement de nombreux accès et activités sur Facebook. Les journaux de bord démontrent que des sites de jeu ont été visités sur Facebook au mois d’avril 2014. Au mois de mai 2015, lors de la première rencontre pendant l’enquête, la fonctionnaire a nié et indiqué qu’elle n’utilisait l’ordinateur portatif qu’à des fins professionnelles et qu’elle ne jouait pas à des jeux sur Facebook.

91        De plus, je suis en désaccord avec la prétention de la fonctionnaire que cette dernière voulait être transparente en remettant son téléphone personnel, soit le Z10. À partir du moment où la fonctionnaire a appris qu’elle faisait l’objet d’une enquête, sa conduite a démontré qu’elle avait quelque chose à cacher. Selon son aveu à la première rencontre pendant l’enquête, elle a communiqué avec Rogers pour faire transférer le compte à un compte personnel après avoir été informée qu’elle faisait l’objet d’une enquête, le 9 avril 2015. Malgré les indications précises de M. King, elle a communiqué avec ses collègues pour obtenir des renseignements sur les comptes sous enquêtes (pièce G-1).

92        De plus, lors de la première rencontre pendant l’enquête, elle a indiqué d’une façon non-verbale avoir réinstallé le système d’exploitation des appareils avant de les retourner à SPC; elle n’a fourni aucune explication à ce sujet. Toutefois, à l’audience, elle a fourni la pièce G-1 pour expliquer la réinstallation du système d’exploitation de l’appareil Q5 d’une autre employée dans le but de synchroniser des adresses courriels provenant d’Environnement Canada et de SPC. Je conclus que ce document n’offre aucune explication convaincante. Le courriel envoyé à M. Prévost, en date du 13 avril 2015, indiquant qu’elle avait réussi à réinstaller le logiciel sur l’appareil Q5 n’est pas concluant. Ce courriel a été envoyé par la plaignante 11 jours après le dernier contact avec la cliente. Je préfère le témoignage de M. Paul qui confirme que le système d’exploitation des appareils a été réinstallé le 13 avril 2015, la même journée où M. King a informé la fonctionnaire qu’il allait envoyer un messager chez elle pour ramasser tous les appareils en sa possession. Le seul appareil dont le système d’exploitation n’a pas été réinstallé était le téléphone personnel de la fonctionnaire, soit l’appareil Z10, qui ne contenait aucune donnée utile.

93        L’employeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite de la fonctionnaire justifiait la prise d’une mesure disciplinaire. Il ne fait aucun doute que la fonctionnaire, par ses gestes, n’a pas géré et utilisé judicieusement les ressources publiques qui étaient sous sa responsabilité et qu’elle a nui délibérément à l’enquête.

C. La mesure disciplinaire imposée par l’employeur était-elle excessive dans les circonstances?

94        À mon avis, le licenciement n’était pas excessif dans les circonstances. L’essentiel de la jurisprudence en relations de travail maintient que le licenciement est une sanction habituelle en matière de malhonnêteté, en l’absence de facteurs atténuants importants. Malgré son bon dossier de rendement, ses années de service, et les remords exprimés à la fin de l’enquête, il demeure que la fonctionnaire a agi d’une façon irréconciliable avec la nature des fonctions et responsabilités de son poste de technicienne de soutien. Parmi les activités principales de son poste, elle était responsable de tenir à jour un inventaire du matériel et des logiciels appartenant à SPC en plus de fournir un soutien technique lié au développement, à l’intégration, à la mise en œuvre et à la maintenance des composantes d’infrastructure de TI. Elle était responsable de la commande d’appareils cellulaires et des services cellulaires associés à ces appareils. Elle était également responsable de la gestion des comptes téléphoniques, de répondre aux questions des clients et de réparer les appareils. Elle était la seule spécialiste dans son domaine. Elle occupait un poste de confiance et de responsabilité à SPC, elle était chargée de protéger ces biens et d’en assurer une utilisation conforme.

95        Comme prévue dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, l’intégrité est la pierre angulaire de la bonne gouvernance et de la démocratie. Forts des normes d’éthique les plus rigoureuses, les fonctionnaires maintiennent et renforcent la confiance du public en l’honnêteté, l’équité et l’impartialité du secteur public fédéral. SPC était donc en droit de s’attendre à un haut niveau d’intégrité de la part de la fonctionnaire. La preuve a démontré que la fonctionnaire a délibérément nui à l’enquête, non seulement en réinstallant le système d’exploitation des appareils mais en omettant de remettre les cartes SIM des comptes dont elle était responsable. Les facteurs aggravants l’emportent sur les facteurs atténuants.

1. L’argumentation de la fonctionnaire s’estimant lésée

96        Selon la fonctionnaire, les seules actions qui peuvent lui être reprochées sont d’avoir prêté un appareil à son conjoint et d’avoir réinstallé le système d’exploitation des appareils. Ces deux gestes ne justifient pas le licenciement. Dans plusieurs décisions de cette Commission, les arbitres de grief ont renversé les licenciements lorsque les circonstances atténuantes le justifient. Lorsque celles-ci peuvent neutraliser et expliquer le comportement reproché, les arbitres de grief ont tendance à réintégrer les fonctionnaires.

97        Dans Douglas c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada),2004 CRTFP 60, Mme Douglas a été licenciée pour avoir accordé un traitement de faveur à un membre du public qu’elle connaissait et avec qui elle avait une relation amoureuse. Elle a falsifié des documents, communiqué des renseignements confidentiels et tenté d’obtenir de manière frauduleuse un avantage lié à l’emploi. Le ministère a conclu que ses gestes étaient complètement incompatibles avec les responsabilités de son poste d’agent de programme. Considérant son âge, ses années de service de plus de 20 ans, un dossier disciplinaire vierge, le fait qu’elle ait admis à son employeur qu’elle s’était placée en situation de conflit d’intérêts et exprimé des remords non seulement pendant l’enquête mais aussi à l’audience, un arbitre de grief a annulé le licenciement. Tout comme dans les circonstances de cette affaire, la fonctionnaire en l’espèce savait que ce qu’elle faisait était mal, mais pas jusqu’à quel point.

98        Dans Millar c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada),2001 CRTFP 120, un arbitre de grief a substitué le licenciement pour une suspension sans solde compte tenu des facteurs atténuants. Mme Millar avait reçu un trop payé sur son salaire pendant plus d’un an. Elle croyait qu’il y avait une raison légitime pour le paiement et ne portait pas trop attention à ses finances. Elle payait ses factures et dépensait le reste, voire plus. Elle considérait cet argent comme un cadeau du ciel. L’arbitre de grief n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Millar avait pleinement compris l’importance du trop payé. Mme Millar a exprimé de la surprise et de l’inquiétude aux premières rencontres. Elle a commencé à être préoccupée  par le trop-payé au mois de mai et c’est à ce moment-là qu’elle a manqué au devoir qu’elle avait envers son employeur de porter cette affaire à son attention. Au paragraphe 55 de cette décision, l’arbitre de grief a déterminé que « […] [b]ien que ce type d’aveuglement ou de négligence ne soit pas aussi malhonnête que le fait de ne pas avoir signalé l’affaire à l’employeur au mois de mai, après qu’elle eut reconnu elle-même qu’il y avait un problème, la conduite […] n’en demeure pas moins en-deçà des attentes qu’un employeur au service duquel elle est depuis 29 ans devrait être en droit d’avoir […] ». Pour ces raisons, le licenciement était justifié.

99        Toutefois, toujours dans Millar, l’arbitre de grief a déterminé que les circonstances atténuantes justifiaient la réintégration de la fonctionnaire. La pondération des circonstances atténuantes afin de déterminer si le licenciement devrait être maintenu ou modifié exige, notamment, l’examen des facteurs suivants : l’ensemble des faits et circonstances, y compris les qualités personnelles et la situation personnelle, toute admission de responsabilité du comportement qu’on reproche et le risque que le comportement se reproduise, et l’existence d’un dossier disciplinaire. La seconde étape consiste à examiner tous ces faits et considérations sous l’angle de l’employeur, en tenant compte de la nature de ses activités et de ses opérations, ce qui jette un peu plus de lumière sur les conséquences de la conduite reprochée, sans oublier le rôle du poste occupé dans les opérations de l’employeur.

100        Dans Millar, l’arbitre de grief a réintégré Mme Millar sur la base des facteurs atténuants suivants : il n’y avait pas de lien direct entre le comportement reproché et la nature de son travail; elle a obtenu de l’aide pour son problème de jeu compulsif et semblait l’avoir maîtrisé; son comportement n’avait pas causé de préjudice notable ou un tort irréparable; l’éventualité d’un autre trop payé pouvait être surveillée par l’employeur; certaines conditions supplémentaires pouvaient être imposées à Mme Millar afin d’assurer sa bonne réintégration et la protection de l’employeur (paragraphe 61).

101        Dans Spawn c. Agence Parcs Canada 2004 CRTFP 25, M. Spawn a déposé un grief à l’encontre de la décision de l’Agence de le rétrograder de son poste de pompier surveillant à temps plein à un poste d’ouvrier jardinier saisonnier pour des motifs disciplinaires. M. Spawn a reconnu avoir volé de l’essence à l’Agence à plusieurs reprises et au-delà de ce que l’enquête avait permis de révéler. Il a exprimé des remords. M. Spawn souffrait d’une dépression majeure qui affectait son jugement. Bien qu’il comprenne la différence entre le bien et le mal, ses gestes étaient devenus ceux d’une personne dont la capacité était réduite. Un arbitre de grief a soutenu que la rétrogradation à un taux de rémunération inférieur et à un poste saisonnier, équivalent à 40 % du poste à temps plein antérieur, constituait une sanction excessive qui s’apparente à un licenciement. Étant donné que la conduite de M. Spawn était survenue pendant une période de grand stress, alors que son rendement au travail était     jusque-là entièrement satisfaisant, qu’il n’avait jamais tenté de tromper l’Agence ou qui que ce soit, et qu’il avait été puni plus sévèrement que les deux autres pompiers qui avaient été trouvés coupables de vol d’essence, l’arbitre de grief a réintégré M. Spawn dans un poste à temps plein d’une durée indéterminée.

102        En l’espèce, la fonctionnaire prétend avoir avoué ses torts dès la première occasion. Au sujet du prêt du téléphone cellulaire, elle a dit à Mme Rossignol que « ce n’était pas fort ». Elle a avoué ses torts dans une lettre qu’elle a écrite à son gestionnaire. Elle ne s’attendait pas à ce que le prêt de l’appareil à son conjoint entraîne de telles répercussions. Elle voulait rembourser ses appels personnels et elle a exprimé des remords. La fonctionnaire a eu un bon rendement pendant ses huit années de service et elle était une employée dévouée. Elle a même offert de travailler pendant son congé de maternité.

103        Prenant en considération tous les faits atténuants, la seule faute d’avoir prêté un téléphone cellulaire à son conjoint et d’avoir réinstallé le système d’exploitation d’un seul appareil, le licenciement est nettement excessif. Le lien de confiance n’est pas irrémédiablement rompu. La fonctionnaire avait raison de faire confiance à son conjoint et elle n’est nullement responsable des frais encourus. Pour toutes ces raisons, elle doit être réintégrée.  

2. L’argumentation de l’employeur

104        L’employeur maintient que les actions de la fonctionnaire sont d’une gravité telle que la confiance nécessaire au maintien du lien d’emploi, dans un son poste à SPC, est irrémédiablement rompue. Le licenciement n’était pas excessif dans les circonstances. Elle était responsable de la commande d’appareils cellulaires et des services cellulaires associés à ces appareils. Elle était également responsable de la gestion des comptes téléphoniques, de répondre aux questions des clients et de réparer les appareils. Elle était la seule spécialiste dans son domaine. Elle occupait un poste de confiance et de responsabilité à SPC, elle était chargée de protéger ces biens et d’en assurer une utilisation conforme.

105        La représentante de  SPC m’a renvoyée à Horne c. Agence Parcs Canada 2014 CRTFP 30, au paragraphe 200 et suivants, dans laquelle un arbitre de grief a reconnu que, en l’absence de facteurs atténuants importants, le licenciement est une sanction habituelle en matière de malhonnêteté. Les faits de cette décision sont semblables aux circonstances de la présente affaire. L’Agence Parcs Canada avait confié des pouvoirs d’achat à M. Horne, et il a fait preuve de malhonnêteté en s’appropriant des  pneus Cooper. Il a  menti dans le cadre de l’enquête et, par conséquent, l’Agence a mené une enquête plus détaillée et plus longue que nécessaire. Il n’a admis son erreur qu’environ un mois après qu’on lui eut présenté des faits incontestables, soit de nombreux mois après son vol. La malhonnêteté est une faute professionnelle grave. La malhonnêteté dans cette affaire, comme en l’espèce, se rapporte à un élément fondamental de la relation d’emploi, l’achat et la responsabilité de biens gouvernementaux. L’employeur doit pouvoir faire confiance à la fonctionnaire. Il n’y a pas de place pour la malhonnêteté.

106        À l’appui de sa prétention, la représentante de SPC m’a renvoyée à Gangasingh c. Administrateur général (Commission canadienne du lait), 2012 CRTFP 113, dans laquelle un arbitre de grief a maintenu le licenciement pour violation au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, qui est une condition d’emploi dans la fonction publique. Dans cette instance, Mme Gangasingh a fourni à une société faisant l’objet d’une vérification des conseils sur les façons de retarder ou de faire piétiner le processus de vérification. L’arbitre de grief a tenu compte des circonstances atténuantes : les conséquences économiques du licenciement, les neuf années de service sans tache et le fait qu’il s’agissait d’un incident isolé. Même si Mme Gangasingh a reconnu la responsabilité de ses actes, elle l’a fait seulement une fois qu’on lui a présenté la transcription d’une de ses conversations téléphoniques. L’arbitre de grief a déterminé que les gestes posés par Mme Gangasingh étaient incompatibles avec la nature des fonctions qu’elle devait exercer. L’arbitre de grief a déterminé que les circonstances atténuantes ne l’emportaient pas sur la nature de la conduite de Mme Gangasingh.

107        Dans Kelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2002 CRTFP 74, un arbitre de grief a maintenu le licenciement d’un agent de service correctionnel pour avoir eu une relation inappropriée avec un détenu dans le cadre d’une opération de blanchiment d’argent. L’arbitre de grief a soutenu que la conduite de M. Kelly, même s’il s’agissait d’un événement isolé, était grave, voire incompatible avec ses fonctions d’agent correctionnel. Pour cette raison, l’arbitre de grief était convaincu que le lien de confiance entre M. Kelly et son employeur avait été irrémédiablement rompu.

108        Dans Rahim c. Administrateur général (Service Correctionnel du Canada),2016 CRTEFP 121, la Commission devait déterminer si le licenciement était excessif dans les circonstances. Le licenciement a été maintenu au motif que M. Rahim avait reçu un avantage lié à la vente d’une propriété dont il n’était pas propriétaire et à l’égard de laquelle il ne détenait aucun intérêt financier, contrairement à la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte. M. Rahim a plaidé qu’il ignorait les avantages auxquels il avait droit. M Rahim n’a pas participé aux séances sur la réinstallation et n’a jamais consulté les politiques et directives pour déterminer ce à quoi il avait droit. Il n’a pris aucune mesure pour déterminer quels étaient ses droits, même si les outils nécessaires lui avaient été fournis. La Commission s’est demandée si une personne ordinaire trouverait excessif de demander un avantage lié à la vente d’une propriété dont elle n’est pas propriétaire ou à l’égard de laquelle elle ne détient aucun intérêt financier. Cette même personne ne verrait-elle pas l’étendue du mal que le fonctionnaire s’est donné pour obtenir les fonds, sachant très bien qu’il n’y avait pas droit, comme un facteur aggravant au moment de déterminer si le lien de confiance entre son employeur et M. Rahim a été rompu? La Commission a soutenu que le bon sens veut que la recherche active d’un avantage comme l’a fait M. Rahim constitue un facteur aggravant au moment de déterminer une mesure disciplinaire. La défense d’ignorance de la fonctionnaire quant au problème de jeu de son époux devrait donc être rejetée.

109        L’employeur m’a aussi renvoyée aux décisions suivantes : Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26, Dhanipersad c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2001 CRTFP 72, Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64. Dans toutes ces décisions, des  arbitres de griefs ont maintenu les licenciements pour les raisons soulevées ci-dessus, et le lien de confiance a été irrémédiablement rompu et le licenciement justifié

IV. Conclusion

110        Pour les raisons qui suivent, je souscris aux arguments de l’employeur. Il est vrai que les années de service de la fonctionnaire, son dossier disciplinaire vierge et les remords qu’elle a exprimés à la fin de l’enquête sont des facteurs atténuants. Néanmoins, la fonctionnaire a abusé des fonctions et des privilèges dont elle jouissait. Le fait qu’elle ait partagé son mot de passe et remis un téléphone cellulaire à son conjoint démontre qu’elle n’a pas géré et utilisé judicieusement les ressources publiques qui étaient sous sa responsabilité. La fonctionnaire a contrevenu au Code de valeurs et d’éthique du secteur public. La preuve a démontré que la fonctionnaire a délibérément nui à l’enquête, non seulement en réinstallant le système d’exploitation des appareils mais en omettant de remettre les cartes SIM des comptes dont elle était responsable. Hormis l’appareil Z10, le seul appareil à contenir une carte SIM, aucun des appareils remis ne correspondaient aux comptes Rogers et aucune autre carte SIM n’a été remise à l’employeur.

111        De toute évidence, le licenciement a eu un impact sur la fonctionnaire et sa famille, et je suis empathique à l’égard de ces circonstances personnelles. Toutefois, les facteurs aggravants l’emportent sur les facteurs atténuants. La fonctionnaire a exprimé des remords seulement à la fin de l’enquête. Je suis d’accord avec la position de SPC selon laquelle la fonctionnaire a eu toutes les opportunités avant la fin de l’enquête pour dire à l’employeur ce qui s’était passé, mais elle ne l’a pas fait. La fonctionnaire n’a présenté aucune explication crédible permettant de comprendre pourquoi elle avait pris tant de temps à admettre qu’elle avait permis à son conjoint d’utiliser son téléphone cellulaire ministériel à des fins personnelles. Elle a désobéi à la directive de son gestionnaire de retourner les appareils de façon intacte et de ne pas discuter de l’enquête avec qui que ce soit.

112        La fonctionnaire était responsable de la commande d’appareils cellulaires et des services cellulaires associés à ces appareils. Elle était également responsable de la gestion des comptes téléphoniques, de répondre aux questions des clients et de réparer les appareils. De son propre aveu, elle était la seule spécialiste dans son domaine. Elle occupait un poste de confiance et de responsabilité à SPC, elle était chargée de protéger ces biens et d’en assurer une utilisation conforme. Les gestes commis par la fonctionnaire étaient complètement incompatibles avec la nature des fonctions et les attentes de son poste.

113        Le manque d’intégrité de la fonctionnaire au cours de l’enquête a nui au travail des enquêteurs. Ceci constitue un fait aggravant qui élime le lien de confiance qui sous-tend toute relation d’emploi. Dans la présente affaire, la confiance dont SPC étaient en droit de s’attendre de la part de la fonctionnaire a été irrémédiablement rompu par la conduite de cette dernière, tant à l’égard de la gestion des appareils dont elle avait la responsabilité qu’à l’égard de l’enquête.

114        Je conclus que le licenciement de la fonctionnaire n’était pas excessif. Le lien de confiance nécessaire à la relation d’emploi a clairement été rompu de façon irrémédiable par la conduite de cette dernière. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de de décider qu’elle autre mesure disciplinaire serait appropriée.

115        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

116        Le grief est rejeté.

Le 6 septembre 2018.

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral

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