Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a complété en deux ans et demi un programme d’études universitaires de trois ans – la convention collective prévoyait que le niveau de rémunération du fonctionnaire s’estimant lésé était déterminé en fonction de ses années d’expérience et d’instruction – aux fins de la rémunération, l’employeur ne reconnaissait au fonctionnaire s’estimant lésé que deux années de formation pédagogique à l’égard du programme d’études universitaires en question – la Commission a conclu que l’attestation officielle exigée par la convention collective reconnaissait au fonctionnaire s’estimant lésé l’équivalant de trois années d’études universitaires à l’égard de ce programme – la Commission a conclu que l’intention de la convention collective était de reconnaître toute formation universitaire attestée par un organisme d’enseignement reconnu.

Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180920
  • Dossier:  566-02-10923
    XR: 568-02-352
  • Référence:  2018 CRTESPF 77

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

MARCO PORLIER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources naturelles)

employeur

Répertorié
Porlier c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James Cameron, avocat
Pour l'employeur:
Adam Gilani, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 3 juillet 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1        Le 3 juin 2014, Marco Porlier, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé un grief pour contester son niveau  de rémunération (dossier 566-02-10923). Le ministère des Ressources naturelles (le « Ministère), où il travaille, a rejeté le grief. En outre, à tous les paliers de la procédure de règlement de griefs, ainsi qu’au moment du renvoi à l’arbitrage, le Ministère a soulevé une objection selon laquelle le grief avait été déposé hors délai. Pour sa part, le fonctionnaire prétend que le grief a été présenté dans le délai applicable et a demandé à la Commission de proroger ce délai (dossier 568-02-352), s’il ne l’était pas.

2        Lors d’une conférence préparatoire, les parties ont demandé la permission de procéder à l’inverse de la procédure habituelle; elles m’ont demandé de rendre tout d’abord une décision sur le fond du grief avant de traiter, dans un deuxième temps, de l’objection quant au délai de présentation du grief (et de la demande de prorogation de délai, le cas échéant) et, dans un troisième temps, de toute mesure de réparation appropriée dans les circonstances. Selon elles, l’audience sur l’objet du grief serait brève, alors que celle sur l’objection serait beaucoup plus longue, notamment en raison de l’ampleur de la preuve médicale qu’elles entendent présenter à l’égard du respect du délai de présentation du grief. J’emprunte les propos exprimés par l’Honorable Juge Stratas dans Exeter c. Canada (Procureur Général), 2014 CAF 119 para 7, pour souligner que « […] [p]our faire preuve de générosité […] et dans le feu de l’action […] », j’ai accepté la procédure qui m’a été proposée conjointement par les parties. Tout comme l’Honorable Juge Stratas l’indiquait dans Exeter, « […] [e]n fait, ce n’est pas ce que [j’aurais] dû faire. […] ».

3        La résolution juste, crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi et le maintien de relations de travail harmonieuses n’ont rien à gagner de décisions que la Commission pourrait rendre sur le fond de griefs, si ces décisions peuvent par la suite devenir caduques parce que les griefs en question n’ont pas été présentés dans le délai imparti. Lorsqu’une partie cherche à faire rejeter une procédure en instance parce qu’elle serait hors délai, ou lorsque l’autre partie cherche à faire proroger le délai pour entamer cette même procédure, il est plus judicieux de traiter de la question du délai en premier lieu. De plus, la multiplication de décisions partielles dans le cadre d’une instance contrevient à l’objectif de gestion prudente des ressources publiques.

4        Cela étant dit, et puisque j’ai déjà accepté la demande conjointe des parties de traiter tout d’abord du fond du grief, la présente décision ne traite que de cette question.

5        Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que le grief est bien fondé. L’audience reprendra pour traiter du respect du délai de présentation applicable en l’instance et de la demande de prorogation de délai, le cas échéant.

6        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique.  Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013
(L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84).  En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.

7        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

8        Pour faciliter la lecture de la présente décision, le terme « employeur » est utilisé pour désigner, selon le contexte, soit le Conseil du Trésor, qui est l’employeur légal du fonctionnaire, soit le Ministère, à qui les pouvoirs de l’employeur sont délégués.

II. Résumé de la preuve

9        Tous les documents en preuve ont été déposés de consentement. Les faits ne sont pas contestés. Le fonctionnaire a témoigné pour lui-même. L’employeur a cité à témoigner Anne-Marie Gérin, qui était la superviseure du fonctionnaire jusqu’en 2011.

10        Le fonctionnaire est professeur de français langue seconde au Ministère. Il a été embauché en 2005, et il a été nommé pour une période indéterminée en 2008. Il fait partie de l’unité de négociation du groupe Enseignement et bibliothéconomie, représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« AFPC »). Les parties ont déposé les extraits pertinents des conventions collectives conclues par le Conseil du Trésor et l’AFPC à l’égard de l’unité de négociation depuis le 19 novembre 2001. Le libellé en litige n’a pas changé pour l’essentiel. Les modifications qui ont été apportées à la convention collective du 1er mars 2011, applicable en l’espèce (la « convention collective »), ne changent rien au grief.

11        Le salaire des professeurs est déterminé en fonction de deux éléments : les années d’expérience et le niveau d’instruction. Les grilles salariales apparaissent à l’Annexe A2 de la convention collective. L’Annexe A2 comprend également des « Notes sur la rémunération du sous-groupe ED-LAT ». Le sous-groupe ED-LAT, dans lequel est classé le poste du fonctionnaire, est le groupe chargé de l’enseignement des langues.

12        Le salaire du fonctionnaire a été établi comme correspondant à huit années d’expérience et à un niveau 3 d’instruction. Le fonctionnaire ne conteste pas l’évaluation de son expérience. Par contre, il conteste le fait qu’il est rémunéré au taux du niveau 3 d’instruction, alors qu’il estime avoir droit au taux du niveau 4. Le paragraphe 4 des notes sur la rémunération apparaissant à l’Annexe 2 de la convention collective, précise ce qui suit :

4. Niveaux d’instruction

Dans les cas de diplômes acquis à l’étranger, le niveau d’instruction de l’employé-e doit être attesté par un organisme reconnu par l’Employeur. [Ce texte a été ajouté le 6 février 2009]

Niveau d’instruction 1 (B.A.)

Ce niveau exige un baccalauréat ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne.

Niveau d’instruction 2 (B.A. + 1)

  1. Ce niveau exige un baccalauréat spécialisé ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne.
  2. ou

  3. Un baccalauréat ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne en plus d’une (1) autre année de formation pédagogique au sens où l’entend la note 6.

Niveau d’instruction 3 (B.A. + 2)

  1. Ce niveau exige un baccalauréat spécialisé ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne en plus d’une (1) autre année de formation pédagogique au sens où l’entend la note 6.
  2. ou

  3. Un baccalauréat ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne en plus de deux (2) autres années de formation pédagogique au sens où l’entend la note 6.

Niveau d’instruction 4 (B.A. + 3)

  1. Ce niveau exige un baccalauréat spécialisé ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne en plus de deux (2) autres années de formation pédagogique au sens où l’entend la note 6.
  2. ou

  3. Un baccalauréat ou un diplôme équivalent reconnu par une université canadienne en plus de trois (3) autres années de formation pédagogique au sens où l’entend la note 6.

13        Le paragraphe 4 renvoie au paragraphe 6 pour la définition de « formation pédagogique » :

6. Dispositions diverses

L’expression « formation pédagogique », aux fins de l’application du présent régime de rémunération, décrit la formation attestée par un organisme reconnu par l’Employeur et se compose de l’un ou l’autre ou d’une combinaison des éléments suivants :

  1. Une année d’études donnant droit à un certificat ou brevet d’enseignement reconnu.
  2. **

  3. Une année d’études universitaires avec attestation officielle par un établissement d’enseignement. [Le paragraphe a été modifié le 1er mars 2011; auparavant, on énumérait les domaines d’études reconnus. Le domaine d’études du fonctionnaire y était reconnu.]

14        Le niveau 4 que revendique le fonctionnaire exige trois années d’études additionnelles après le baccalauréat. Après l’obtention d’un premier baccalauréat en psychologie, en décembre 1993, le fonctionnaire a poursuivi ses études. Il a obtenu un deuxième baccalauréat, en éducation, en novembre 1995. Ce deuxième baccalauréat est un programme de trois ans, mais le fonctionnaire a pu écourter cette période en prenant diverses mesures. Il a expliqué qu’il devait terminer en 1995, puisqu’il s’agissait de sa dernière année d’admissibilité au système de prêts et bourses universitaires.

15        À l’université du Québec, où le fonctionnaire a fait ses études, une année universitaire à temps plein équivaut à 30 crédits, soit cinq cours de trois crédits pour chacune des sessions d’automne (de septembre à décembre) et d’hiver (de janvier à avril). Il faut donc trois ans d’études à temps plein pour terminer un baccalauréat qui compte 90 crédits. Au cours de la session d’hiver 1993, alors qu’il terminait son baccalauréat en psychologie, le fonctionnaire a suivi un cours supplémentaire de trois crédits, qui a été reconnu pour le baccalauréat suivant, en éducation. Il a également suivi un cours pendant la session d’été 1993. Durant trois des quatre sessions suivantes, il a suivi un cours supplémentaire de trois crédits, en plus de la charge habituelle de 15 crédits. Finalement, cinq cours de trois crédits, suivis dans le cadre du baccalauréat en psychologie, lui ont été crédités pour son baccalauréat en éducation.

16        Dans son témoignage, Mme Gérin a souligné que l’employeur considérait les années consacrées aux études comme étant la mesure des années additionnelles. Le fait qu’un diplôme ait été accordé pour un programme de trois ans ne changeait rien au fait que le fonctionnaire n’avait poursuivi ses études que pendant deux ans après son baccalauréat en psychologie, et qu’il devait donc être rémunéré au niveau d’instruction 3.

17        L’attestation officielle du deuxième baccalauréat, obtenu en novembre 1995, est un relevé de notes qui porte la mention suivante : « Crédits réussis : 90 ». L’attestation confirme que le fonctionnaire est titulaire d’un baccalauréat en éducation.

III. Argumentation des parties

A. Pour le fonctionnaire

18        Selon le fonctionnaire, il faut trouver l’interprétation de la convention collective qui fait un minimum de bon sens. L’intention de l’employeur et de l’AFPC ne peut être qu’un fonctionnaire est pénalisé parce qu’il travaille plus fort qu’un autre et réalise en deux ans ce qu’un autre ferait en trois, voire quatre ans.

19        Il est clair que le second baccalauréat du fonctionnaire est décerné après un programme qui prend habituellement trois ans à compléter. L’interprétation de l’employeur est une anomalie : on récompenserait l’étudiant qui prend plus de temps, par paresse par exemple, alors qu’on punirait celui qui prend moins de temps.

20        L’intention sous-jacente de l’employeur et de l’AFPC est de reconnaître la formation additionnelle, et non pas la diligence ou la paresse. La formation additionnelle du fonctionnaire correspond à trois ans d’études, et il a donc droit à la reconnaissance du niveau 4.

B. Pour l’employeur

21        L’employeur soutient qu’il a correctement appliqué les dispositions de la convention collective. Les « années de formation pédagogique » correspondent à des années civiles, sans égard aux crédits universitaires cumulés. L’agent négociateur n’a pas réussi à prouver qu’il y avait eu violation de la convention collective.

22        La disposition en cause prévoit la rémunération pour les années d’études; l’obtention d’un diplôme n’a aucune incidence sur le calcul. Il faut interpréter « année d’études universitaires » comme signifiant, justement, une année d’études.

23        L’employeur a convenu que l’expression « année d’études universitaires » n’est pas définie dans la convention collective. Il m’a renvoyé à diverses instances de la convention collective où l’on parle d’année scolaire et d’année financière dans d’autres contextes. J’y reviendrai dans mes motifs.

24        L’intention de l’employeur et de l’AFPC est claire, il s’agit de reconnaître les années d’études. Depuis le début des années 2000, le libellé est resté essentiellement le même. C’est dire que les parties s’entendent sur le sens des dispositions et ne les ont pas remises en question.

C. Réplique du fonctionnaire

25        Trois remarques s’imposent.

26        D’abord, lorsqu’on parle du sens courant des mots, il faut interpréter les mots selon leur sens normal. Une année civile n’est pas la même chose qu’une année scolaire, qui débute en septembre et se termine fin juin; de façon semblable, l’année universitaire a aussi une autre durée, de septembre à avril.

27        Ensuite, l’interprétation que fait l’employeur de l’année d’études universitaires mène à un résultat absurde. On pénalise l’étudiant travaillant qui fait preuve d’initiative, on récompense l’étudiant paresseux qui complète deux ans d’études sans cumuler le nombre de crédits attendus.

28        Finalement, la seule façon logique de compter les années d’études universitaires est de vérifier le résultat : puisque le fonctionnaire a complété un programme de trois ans, on doit lui reconnaître trois ans d’études.

IV. Motifs

29        L’employeur m’a cité de la jurisprudence, dont j’accepte les principes, notamment les suivants.

30        Il incombe au fonctionnaire de prouver que l’employeur a interprété la convention collective de façon déraisonnable (Vaughan c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 74, par. 49). La Commission ne peut modifier la convention collective par sa décision (Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2010 CRTFP 112, par. 50; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2013 CRTFP 88,
par. 60; Arsenault et al. c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17, par. 38). Il faut, dans l’interprétation d’une disposition de la convention collective, tenir compte non seulement du sens ordinaire des mots, mais également de l’ensemble de la convention collective « […] parce que c’est la convention collective dans son ensemble qui forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés. […]» (Burgess c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2017 CRTESPF 20, par. 69).

31        Dans la décision Lessard c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2009 CRTFP 34, au paragraphe 32, un arbitre de grief cite un passage de l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian labour Arbitration, comme suit :

[Traduction]

On a souvent dit que, au moment d’interpréter les termes d’une convention collective, l’essentiel consiste à découvrir l’intention des parties à la convention.

[…]

En conséquence, pour déterminer l’intention des parties, l’hypothèse fondamentale est que les parties avaient l’intention de dire ce qu’elles ont dit et qu’il faut rechercher le sens de la convention collective dans ses dispositions expresses […]

[…]

En cherchant à découvrir l’intention des parties à l’égard d’une disposition particulière de la convention, les arbitres ont généralement supposé que le libellé dont ils sont saisis doit s’entendre au sens normal ou ordinaire, à moins que cette interprétation ne donne lieu à une absurdité ou à une contradiction avec le reste de la convention collective, ou à moins que le contexte ne révèle que les mots sont employés dans un autre sens.

32        Le point de départ dans l’interprétation de la convention collective est que la Commission n’a pas le pouvoir de modifier la convention collective par sa décision (art. 229 de la Loi). Il faut donc que l’interprétation respecte le libellé de la convention collective. Dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et des travailleurs du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving, Ltée , 2002 NBCA 30, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick résume ainsi la façon dont on doit procéder pour interpréter la convention collective :

[Traduction du Centre de traduction et de terminologie juridiques de l’Université de Moncton, [2002] A.N.-B. no 117 (QL)]

[…]

10      Il est admis que la tâche d’interpréter une convention collective ne diffère pas de celle devant laquelle se trouvent les autres décideurs qui interprètent des lois ou des contrats privés : voir D.J.M. Brown et D.M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., feuilles mobiles (Aurora (Ont.) : Canada Law Book Inc., 2001), à la page 4-35. Dans le contexte contractuel, il faut partir de la proposition que l’objectif fondamental de l'interprétation est de déterminer l'intention des parties. Or, la présomption de départ est que ce que les parties ont dit est censé refléter leur intention et qu’il faut d'abord chercher le sens d'une clause d’une convention collective dans son libellé exprès. Selon les auteurs de doctrine, quand ils cherchent à déterminer l’intention des parties, les arbitres partent généralement du principe que la clause en question devrait être interprétée dans son sens normal ou ordinaire, sauf si cette interprétation est susceptible d’entraîner une absurdité ou une incompatibilité avec d’autres clauses de la convention collective : voir Canadian Labour Arbitration, à la page 4-38. Pour résumer, les termes d'une convention collective doivent recevoir leur sens ordinaire, sauf s’il existe une raison valable pour en adopter un autre. Par ailleurs, les termes doivent être interprétés dans leur contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention. Sinon, l’interprétation en fonction du sens ordinaire peut entrer en conflit avec une autre clause.

[…]

33        Le fonctionnaire prétend qu’il a droit à la reconnaissance de trois années additionnelles de formation pédagogique à l’égard de son deuxième baccalauréat, en éducation. Je retiens du libellé de la convention collective que l’expression « année de formation pédagogique » utilisée au paragraphe 4 des notes sur la rémunération apparaissant à l’Annexe 2 de la convention collective comprend la définition qui suit : « [u]ne année d’études universitaires avec attestation officielle par un établissement d’enseignement ». L’employeur soutient que, selon cette définition, le fonctionnaire ne compte que deux années d’études additionnelles après l’obtention d’un premier baccalauréat, en psychologie.

34        Dans le contexte de la convention collective, l’argument de l’employeur selon lequel l’année universitaire doit être interprétée comme une année civile est démenti par le paragraphe 5 des mêmes notes sur la rémunération apparaissant à l’Annexe 2 de la convention collective, qui traite de l’expérience. En effet, le paragraphe 5 prévoit spécifiquement que le calcul d’ « une année complète d’expérience » varie considérablement.  Le paragraphe 5 précise ce qui suit :

5. Expérience

[…]

**

b)   Une année complète d’expérience avant la nomination est accordée pour chacun des éléments suivants :

  1. toute année scolaire complétée dans une institution reconnue ou accréditée par un conseil scolaire ou un ministère de l’Éducation provincial, c’est-à-dire huit (8) mois (enseignement universitaire), dix (10) mois (enseignement élémentaire et secondaire) ou onze (11) à douze (12) mois (enseignement au gouvernement ou dans une école commerciale reconnue);
  2. toute fraction d’une année scolaire de six (6) mois ou plus;

[…]

35        Bien que ce passage ne soit pas déterminatif pour comprendre le sens de l’expression « année d’études universitaires » utilisée au paragraphe 6 des notes sur la rémunération apparaissant à l’Annexe 2 de la convention collective, il illustre cependant que le concept d’année dans le contexte de l’enseignement est assez flou. Il convient donc de s’interroger sur le sens d’une année de formation pédagogique ou d’études universitaires.

36        L’attestation officielle des trois années d’études revendiquées par le fonctionnaire prend la forme d’un relevé de notes officiel qui atteste qu’un baccalauréat en enseignement secondaire lui a été décerné en novembre 1995. Le relevé de notes du fonctionnaire indique que les 90 crédits requis ont été réussis.

37         Le fonctionnaire a pu écourter la période de trois ans ordinairement nécessaires pour l’obtention d’un baccalauréat en éducation par diverses mesures : il a suivi deux cours supplémentaires, l’un à l’hiver 1993, l’autre à l’été 1993, pendant qu’il poursuivait son premier baccalauréat, en psychologie, avant d’entamer le programme d’un deuxième baccalauréat, en éducation, pour lequel l’employeur lui reconnaît deux années de formation pédagogique. Au cours de cette période de deux ans, il a aussi suivi un cours supplémentaire pendant chacune de trois des quatre sessions.
Enfin, pour son deuxième baccalauréat, en éducation, l’université du Québec lui a reconnu 15 crédits de son premier baccalauréat, en psychologie.

38        Les parties conviennent que le fonctionnaire n’a pas étudié pendant trois années complètes pour obtenir son deuxième baccalauréat, en éducation. Il a étudié pendant deux ans et demi. Il a mis les bouchées doubles pendant trois des quatre sessions, et 15 crédits de son premier baccalauréat, en psychologie, lui ont été reconnus. Le plus important, à mon sens, est que le relevé de notes officiel exigé par la convention collective lui reconnaît l’équivalent de trois années universitaires, soit 90 crédits, pour l’obtention de son deuxième baccalauréat, en éducation. Il me semble qu’il serait erroné de ne reconnaître au fonctionnaire que deux années d’études universitaires additionnelles, alors qu’il a obtenu un deuxième baccalauréat, conféré après trois ans d’études universitaires ou leur équivalent. Encore une fois, le relevé de notes, l’attestation officielle exigée par la convention collective, lui reconnaît 90 crédits, soit l’équivalent de trois années d’études universitaires.

39        L’intention exprimée par l’employeur et l’AFPC dans les notes sur la rémunération apparaissant à l’Annexe 2 de la convention collective est de reconnaître au titre de la formation pédagogique toute formation universitaire attestée par un organisme d’enseignement reconnu. La preuve devant moi démontre clairement que l’Université du Québec à Trois-Rivières a décerné au fonctionnaire son deuxième baccalauréat, en éducation, sur la base de 90 crédits réussis, normalement trois années d’études. Il me semble que ce serait trahir l’intention exprimée par l’employeur et l’AFPC si on niait la réalisation d’un programme universitaire de trois ans en lui allouant une durée moindre.

40        Ma conclusion aurait peut-être été différente si la troisième année contestée avait été constituée uniquement de crédits réussis dans le premier programme. En l’espèce, la troisième année est constituée pour moitié par des crédits du premier programme, et pour moitié des crédits acquis dans le cadre de cours (et d’efforts) additionnels. Cela me suffit pour considérer que l’attestation officielle, qui vise un programme de 90 crédits, peut servir à calculer trois années de formation pédagogique. Ne reconnaître que deux années de formation pédagogique nierait l’obtention réelle de 15 crédits nécessaires pour le deuxième baccalauréat.

41        Puisque je suis d’avis que le grief est bien fondé, l’audience reprendra pour traiter du respect du délai de présentation applicable en l’instance.

42        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

43        Je déclare que le grief est bien fondé.

44        L’audience reprendra pour traiter du respect du délai de présentation applicable en l’instance et de la demande de prorogation de délai, le cas échéant.

Le 20 septembre 2018.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.