Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimé avait présenté un avis de déclaration d’intérêt pour des nomination intérimaires à des postes classifiés au groupe et au niveau WP-05 – l’occasion a été offerte uniquement aux personnes dont le poste d’attache était au groupe et au niveau WP-04 – les plaignants étaient employés au groupe et au niveau WP-03 et étaient à l’affût des possibilités d’acquérir de l’expérience en supervision – ils ont été déçus de ne pas pouvoir être pris en compte pour les nominations intérimaires et, en particulier, du renouvellement pour deux mois de la nomination intérimaire d’une personne – la Commission a remarqué que, en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, les gestionnaires ont un pouvoir clair pour déterminer la zone de sélection d’un processus de nomination – il n’existait aucun élément de preuve indiquant que l’intimé avait abusé de son pouvoir pour établir la zone de sélection – cependant, les éléments de preuve indiquaient également que l’agent négociateur du groupe d’employés avait beaucoup influencé la décision de l’intimé de renouveler la nomination intérimaire et avait présenté des facteurs externes pour influer sur le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi à l’intimé de procéder à une nomination – cela constituait une entrave au pouvoir discrétionnaire de l’intimé et un abus de pouvoir.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180827
  • Dossier:  EMP-2016-10310 et 10312
  • Référence:  2018 CRTESPF 70

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

KIRK MCINTOSH ET DONNA MYSKIW

plaignants

et

COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada


Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les plaignants:
Eux-mêmes
Pour l'intimé:
Zorica Guzina, avocate
Pour la Commission de la fonction publique:
Louise Bard (arguments écrits)
Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
le 27 juin 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Kirk McIntosh et Donna Myskiw (les « plaignants ») sont des agents de programmes sociaux, de classification WP-03, à l’Établissement de Stony Mountain, près de Winnipeg, au Manitoba. Ils sont tous les deux employés de longue date avec le Service correctionnel du Canada (SCC), et ils sont tous les deux à la recherche de possibilités d’avancement professionnel. Ils ont été offusqués par un avis pour une nomination intérimaire pour une période de quatre mois moins un jour, à titre de gestionnaire de programmes (de classification WP-05) assurant la supervision de leur secteur. L’avis indiquait que la possibilité était uniquement ouverte aux employés dont la classification était au moins au groupe et niveau WP-04, ce qui leur niait l’occasion d’exprimer leur intérêt pour cette nomination.

2        Plusieurs employés ont été nommés, à tour de rôle, dans le poste à titre intérimaire, y compris une personne d’un autre secteur de programme, Teresa McDonald, à qui on a accordé deux nominations successives au poste, pour une période cumulative de six mois. Chaque plaignant a déposé une plainte en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C.  2003, ch. 22, articles 12 et 13; la « Loi ») au sujet de la seconde de ces nominations, alléguant un abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite et le choix du processus.

3        Les plaignants ont déposé leurs plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral le 5 avril 2016. Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale, changeant le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique par, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

4        La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas présente à l’audience. Elle a présenté des arguments écrits au sujet du cadre réglementaire et stratégique du processus de nomination. Il n’a pas pris position sur le bien-fondé des allégations dans cette affaire.

5        Pour des raisons qui seront énoncées en détail plus loin dans la présente décision, je conclus qu’il existe une preuve claire et convaincante que la nomination de deux mois était fondée en partie et, dans une mesure bien matérielle, sur des observations du Syndicat des employés du Solliciteur général (le « syndicat ») dans laquelle il a exprimé des opinions bien arrêtées à la gestionnaire responsable de l’embauche au sujet du poste, de la nomination, et de la décision de prolonger la nomination de la personne nommée pour deux mois.

6        De telles observations du syndicat qui influent clairement sur une décision de nomination sont inappropriées du point de vue du droit administratif. Elles imposent des facteurs externes à l’exercice du pouvoir discrétionnaire législatif délégué de faire des nominations. Par conséquent, une telle influence sur le décideur équivaut à un but illégitime dans le régime législatif de la Loi, ce que je considère comme très grave et un abus de pouvoir.

II. Contexte

7        Autour du mois d’août 2014, l’employeur a distribué par courriel un appel de candidatures pour des possibilités de postes intérimaires de gestionnaire de programmes (WP-05) (l’avis de possibilité d’affectation intérimaire). Selon une liste de contrôle préparée par l’intimé après la nomination en cause dans la présente affaire, il y a eu un degré élevé d’intérêt et il a été décidé d’offrir des affectations intérimaires à plusieurs personnes, à tour de rôle, y compris Mme McDonald.

8        Mme McDonald a été nommée pour plusieurs affectations, y compris pour une période de quatre mois moins un jour commençant le 30 novembre 2015. À la fin de cette période, elle a obtenu une nouvelle affectation intérimaire dans le cadre d’un processus interne non annoncé du 30 mars au 27 mai 2016 (processus no 2016-PEN-ACIN-PRA-111080). Les plaintes se rapportent à cette dernière nomination.

9        L’Information concernant une nomination intérimaire affichée au sujet de cette nomination le 21 mars 2016 indique que les candidats peuvent déposer une plainte s’ils sont à l’intérieur de la zone de sélection, en l’occurrence les employés du SCC occupant un poste à l’Établissement de Stony Mountain.

10        Au début, un représentant du syndicat représentait les plaignants dans cette affaire. Il a participé à une conférence préparatoire à l’audience (CPA) par téléphone que j’ai convoquée pour préparer les parties pour l’audience, qui avait été prévue pour le 15 mars 2018. Quelque temps après la CPA, il a retiré sa représentation et, plus tard, il a été découvert que les plaignants avaient été incapables de communiquer avec le bureau syndical, en Saskatchewan, qui s’occupait jusque-là des plaintes. Ils ont informé la Commission qu’en raison de cette rupture de communication, ils ont été incapables d’obtenir l’information au sujet de leurs plaintes que le syndicat avait versée au dossier.

11        À la suite de ces événements, Mme Myskiw a demandé un report jusqu’au 6 mars 2018. Après que la Commission ait demandé à plusieurs reprises pour des justifications à l’appui de sa demande, et après seulement avoir reçu comme réponse que [traduction] « certains problèmes personnels ont surgi », la Commission a refusé la demande et Mme Myskiw a retiré sa plainte le 9 mars.

12        Au cours de l’après-midi du jour avant la tenue de l’audience, le 14 mars 2018, M. McIntosh a envoyé un long courriel au greffe de la Commission expliquant la situation et déclarant qu’il était sous contrainte et qu’il estimait qu’il n’avait d’autre choix que de retirer sa plainte. Il a en outre indiqué qu’il n’avait pas été en mesure d’avoir accès à ses dossiers et qu’il n’était pas au courant du processus de règlement des plaintes de la Commission.

13        Après avoir reçu ce message du greffe le matin de l’audience, soit le 15 mars, je lui ai demandé de communiquer avec M. McIntosh pour l’aviser que ses droits procéduraux lui permettaient d’assister à son audience ce matin-là et d’expliquer la situation dans laquelle il se trouvait et qu’il pourrait alors demander que l’audience soit ajournée pour lui accorder le temps nécessaire pour rassembler les documents de sa plainte et se préparer à présenter sa cause. M. McIntosh a assisté à l’audience, et après avoir expliqué la situation, il a fait une demande d’ajournement à laquelle l’intimé ne s’est pas opposé. J’ai accédé à la demande.

14        Lorsqu’elle a appris que l’affaire avait été ajournée, Mme Myskiw a demandé l’autorisation de la Commission, le 21 mars, pour réactiver sa plainte. L’intimé s’est opposé à sa demande et a fait valoir qu’une fois qu’une plainte est retirée, la Commission devient functus officio et n’a pas compétence pour l’entendre (voir Howarth c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2009 TDFP 11).

15        En examinant la demande, j’ai remarqué qu’il était clair que Mme Myskiw avait retiré sa plainte à la suite de tentatives infructueuses de reporter l’audience. Elle estimait qu’elle ne pouvait pas se préparer adéquatement pour l’audience une fois que son représentant syndical avait cessé de la représenter. Elle a retiré sa plainte plutôt que d’aller de l’avant dans ces circonstances difficiles. M. McIntosh avait tenté de retirer sa plainte pour les mêmes raisons.

16        Lorsque la demande d’ajournement de M. McIntosh fut accordée, Mme Myskiw a agi promptement pour déposer sa demande. Il est à noter qu’aucune des parties ne s’était opposée à sa demande de report originale. Compte tenu des détails de ce cas, dans lequel M. McIntosh et Mme Myskiw ont tous deux déposé essentiellement la même plainte avec les mêmes allégations, et compte tenu du fait que l’audience avait déjà été ajournée jusqu’au mois de juin 2018, j’ai conclu que l’intimé ne subirait aucun préjudice si je prenais ce que je considère être une mesure extrêmement rare et extraordinaire de permettre à Mme Myskiw de réactiver sa plainte, alors j’ai acquiescé à sa demande. Faire autrement aurait semblé trop formaliste et injuste dans les circonstances.

III. Discussion

17        Les deux plaintes, qui ont été regroupées pour cette audience, ont été déposées en vertu de l’art. 77 de la Loi. Les nominations de moins de quatre mois sont exclues de l’application de l’art. 77, sauf si elles servent à prolonger la période cumulative de la nomination intérimaire d’un employé à quatre mois ou plus (voir le par. 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334)). Comme le renouvellement de la nomination en question a prolongé la période cumulative des nominations intérimaires de Mme McDonald à plus de quatre mois, les plaignants avaient droit de déposer leurs plaintes en vertu de l’art. 77.

18        Selon l’art. 77 de la Loi, lorsqu’il s’agit de processus de nominations internes non annoncées, toute personne qui se trouve dans la zone de sélection peut présenter une plainte devant la Commission selon laquelle elle n’a pas été nommée à un poste ou n’a pas fait l’objet d’une proposition pour un poste en raison d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite ou dans le choix de processus. Le plaignant a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son autorité (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

19        Le par. 30(1) de la Loi précise que les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique doivent être fondées sur le mérite, et l’alinéa 30(2)a) précise qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir, tel qu’il a été établi par l’administrateur général.

20        « Abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi; toutefois, le par. 2(4) offre les conseils suivants : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoirla mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

21        Comme l’a noté la présidente Ebbs de la Commission dans sa décision récente, Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au par. 14, la Commission et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) ont établi que le par. 2(4) de la Loi doit être interprété de façon large.

22        Cela signifie que le terme « abus de pouvoir » ne doit pas se limiter à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition de « abus de pouvoir » au par. 2(4) de la Loi n’est pas exhaustive et qu’elle peut inclure d’autres formes de comportements inappropriés.

23        La nature et la gravité de la conduite irrégulière ou de l’omission détermineront si elle constitue un abus de pouvoir. Voir Tibbs, au par. 66.

IV. Questions : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en omettant de fonder la nomination sur le mérite?

24        Les plaignants ont témoigné en disant que, lorsqu’ils ont vu l’avis de possibilité d’affectation intérimaire affiché en août 2014, ils ont été très déçus de découvrir qu’on y indiquait que les possibilités seraient limitées aux personnes dont la classification était d’au moins de niveau WP-04. Les deux plaignants ont déclaré qu’ils sont très dévoués à leur carrière et qu’ils surveillent de près toutes les possibilités d’avancement à l’Établissement de Stony Mountain. Ils ont indiqué que leurs plans de perfectionnement personnel expriment clairement leur désir d’obtenir une promotion et de progresser et qu’ils avaient communiqué avec Barb Seavers, directrice adjointe pour les Interventions, à plusieurs reprises pour l’informer de leur intérêt pour l’avancement professionnel et, plus précisément, pour lui demander de les prendre en considération pour les nominations intérimaires afin de leur permettre d’acquérir de l’expérience en supervision pour accroître leurs chances lors de futurs processus de nomination.

25        Bien que les deux plaignants aient parlé en bien de Mme McDonald, ils demeurent convaincus qu’ils ont été traités injustement par leur employeur en étant rejetés pour des nominations intérimaires et en excluant leur classification WP-03 de la zone de sélection pour l’éventuelle nomination au poste WP-05.

26        Les plaignants ont aussi déclaré que depuis 2016, la direction leur dit qu’elle prépare une possibilité de nomination WP-05, mais que, jusqu’à maintenant, elle continue de voir uniquement le renouvellement à court terme de la nomination intérimaire. Ils ont fait valoir qu’il s’agit d’une preuve de mauvaise foi de la part du Service correctionnel du Canada (l’employeur).

27        J’ai expliqué à l’audience que les événements survenus après la nomination de deux mois en question ne pouvaient pas être invoqués dans ces plaintes. Les plaignants ont répliqué qu’ils ont compris et que d’autres plaintes avaient été déposées en réponse aux nominations subséquentes.

28        Dans son témoignage sur la question des qualifications minimales pour la nomination, Mme Seavers a expliqué qu’il y avait un important bassin d’environ 25 employés de classification WP-04 ou supérieure à l’Établissement de Stony Mountain, plus un autre 25 agents de libération conditionnelle et 2 enseignants qui pouvaient tous avoir été intéressés par la nomination. Par conséquent, l’employeur a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de réduire les qualifications pour attirer encore plus de candidats potentiels.

29        Elle a aussi témoigné quant aux compétences requises pour le poste WP-05 et a déclaré être d’avis que les employés de niveau WP-04 possédaient de façon plus adéquate les compétences et l’expérience requises pour exécuter les fonctions de WP-05 que les employés de niveau WP-03. Les plaignants ont contesté son témoignage en déclarant qu’ils possèdent les mêmes compétences ou des compétences semblables aux employés de niveau WP-04 pour ce qui est de la rédaction de rapports, etc., pour se qualifier pour le poste WP-05. La personne qui occupe ce poste supervise la rédaction des rapports et effectue des tâches de contrôle de la qualité des rapports rédigés par d’autres.

30        Je ne tire aucune conclusion de fait sur la question de savoir si un employé de niveau WP-03 peut en fait posséder suffisamment de compétences en rédaction de rapports pour exercer les fonctions de WP-05.

31        Je note que le par. 34(1) de la Loi indique clairement que les gestionnaires ont l’autorité pour déterminer une zone de sélection en établissant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels.

32        Cette Commission a toujours reconnu la souplesse dont disposent les gestionnaires pour établir les qualifications comme bon leur semble. Son prédécesseur, le TDFP, en faisait autant. À moins que des éléments de preuve autres que ceux dont je suis saisi aujourd’hui appuient une allégation de favoritisme personnel, de mauvaise foi ou d’autres abus de pouvoir sur cette question, la Commission ne saurait contester les décisions des gestionnaires.

33        L’avocate de l’intimé a souligné le fait que j’ai traité cette même question générale d’établir des critères essentiels et l’accès à des possibilités de nominations intérimaires dans ma récente décision dans Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53, comme suit :

[…]

[120] Il est bien établi qu’un gestionnaire responsable de l’embauche bénéficie d’une grande marge de manœuvre pour établir les qualifications essentielles et celles constituant un atout adaptées aux besoins opérationnels propres au milieu de travail. L’administrateur général bénéficie également d’une grande souplesse pour déterminer les critères visant à recruter la bonne personne pour le poste et le candidat qui y répond le mieux.

[…]

[122] L’intimé à invoqué la décision de la Cour fédérale dans Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, au paragraphe 70, qui soutenait que la création des qualifications essentielles est confiée aux gestionnaires et que ce n’était pas au TDFP (ou à la Commission) de les établir pour un poste.

[123] Dans Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, au paragraphe 25, le TDFP a conclu de manière similaire que les administrateurs généraux possèdent les attributions particulières d’établir les qualifications essentielles et les qualifications supplémentaires ainsi que de préciser toute exigence opérationnelle et tout besoin futur de l’organisation.

[…]

[129] Comme je l’ai indiqué dans Warford c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2016 CRTEFP 56, au paragraphe 21, les actes en milieu de travail qui peuvent sembler favoriser un employé au moment de préparer cette personne aux fins d’une nomination peuvent être raisonnablement justifiés au moyen d’éléments de preuve qui montrent que les actions contestées en milieu de travail étaient effectivement nécessaires pour les exigences opérationnelles du bureau.

34         Malgré le fait que lorsque la nomination de deux mois a été faite, le poste avait déjà été occupé de façon intérimaire par d’autres personnes pendant un an et demi, et selon les éléments de preuve dont je suis saisi, je ne conclus pas que ce fait à lui seul constitue un comportement fâcheux ou un abus de pouvoir.

35        Étant donné le pouvoir légal clair que j’ai mentionné au par. 34(1) de la Loi et l’absence d’éléments de preuve indiquant une mauvaise foi ou d’autres abus dans la façon dont ce pouvoir a été exercé, je suis d’une façon similaire peu enclin à conclure que le choix du niveau WP-04 comme niveau de qualification minimum pour le poste de WP-05 pour les nominations intérimaires précédentes ait donné lieu à des problèmes.

36        Les plaignants ont attiré l’attention sur la « Liste de contrôle pour les processus de nomination non annoncés » fournie aux gestionnaires par le SCC. Mme Seavers a confirmé qu’elle avait terminé et signé ce document le 7 mars 2016 pour justifier sa décision de renouveler la nomination intérimaire pour une période supplémentaire de deux mois.

37        Dans ce document, Mme Seavers déclare qu’en raison d’une série de possibilités de perfectionnement offertes au personnel de niveau WP-05 dans sa direction générale, il existait un besoin depuis le 1er avril 2014 pour combler un ou plusieurs de ces postes de façon intérimaire.

38        Son document fait remarquer que l’avis de déclaration d’intérêt avait été émis et qu’en un an et demi, un certain nombre de membres du personnel avaient fait connaître leur intérêt. Elle a écrit que, compte tenu de ce « niveau élevé d’intérêt », il avait été décidé de nommer plusieurs employés, à tour de rôle, à ces possibilités intérimaires.

39        Le document exige également que le signataire décrive l’impact de la nomination non annoncée proposée sur les membres du personnel et, en particulier, sur son moral.

40        Tant dans son interrogatoire principal que dans son contre-interrogatoire, Mme Seavers a expliqué la justification des décisions qu’elle a prises en consultation avec les équipes des ressources humaines et de la haute direction de l’Établissement de Stony Mountain.

41        Mme Seavers a écrit ce qui suit dans le document :

[Traduction]

  • La mesure de dotation respecte les valeurs directrices énoncées (justice, accessibilité, transparence et représentativité). Un appel de déclarations d’intérêt pour des possibilités de nomination intérimaire à titre de gestionnaire de programmes avait déjà été distribué, et les employés convenables qui ont exprimé leur intérêt ont obtenu ou se sont vu offrir des possibilités d’affectation intérimaires par rotation. Le besoin actuel est pour une prolongation à court terme jusqu’à ce que les besoins à long terme puissent être confirmés et, si nécessaire, un deuxième appel de déclaration d’intérêt sera lancé.
  • Il n’est pas prévu que cette prolongation à court terme de l’affectation intérimaire de Mme McDonald aura un impact négatif sur le moral des employés ou sur leur perception de l’équité, de la transparence, de la nature arbitraire ou du favoritisme personnel. Une expression d’intérêt a fait en sorte que tous les candidats qualifiés ont eu ou se sont vu offrir l’occasion d’occuper le poste de façon intérimaire, et les employés ont été informés, par l’entremise du syndicat, qu’un autre appel de déclaration d’intérêt serait lancé si une possibilité d’affectation intérimaire plus longue devenait disponible. Fait à noter, le manque de cohérence dans le poste de gestionnaire de programmes a récemment été porté à l’attention du CSP; cette prolongation à court terme du titulaire actuel permettra d’aborder ces préoccupations en contribuant à la cohérence au sein du ministère.

42        Comme elle l’a noté dans son document écrit, Mme Seavers a témoigné en disant que le syndicat avait exprimé des préoccupations quant au nombre de membres du personnel se voyant accorder des nominations intérimaires. Elle a expliqué que cela était dû, à tout le moins en partie, aux préoccupations du syndicat par rapport à l’accès qu’auraient ces employés aux rapports d’évaluation du rendement des employés qui sont au dossier.

43        Mme Seavers a témoigné en disant que les commentaires du syndicat ont joué un rôle dans la décision de prolonger la nomination intérimaire du titulaire du poste WP-05 pour une autre période de deux mois. 

44        Compte tenu du document écrit composé par Mme Seavers mentionné plus tôt, et son témoignage mettant davantage l’accent sur ce même point, je conclus qu’il y a des preuves claires et convaincantes que les commentaires du syndicat ont eu un effet important sur la décision de Mme Seavers de renouveler la nomination de Mme McDonald.

45        L’avocate de l’intimé a soutenu que le par. 30(4) de la Loi précise qu’il n’est pas nécessaire de prendre en considération plus d’une personne dans le cadre d’une nomination pour qu’elle soit fondée sur le mérite. Cette Commission a toujours reconnu ce pouvoir en vertu de la Loi, comme elle le remarquait récemment dans Merkley c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2017 CRTEFP 47, au par. 24.

46        Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que la personne nommée ne satisfaisait pas à tous les critères essentiels.

47        L’avocate a aussi renvoyé à la décision de la Cour fédérale dans Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684. Je note que Lavigne fait référence à la décision très citée de la Cour suprême du Canada, Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, qui précise que « […] il n’y a rien de tel qu’une ‘discrétion’ absolue et sans entraves […] » dans l’exercice de leurs fonctions.

48        Dans Roncarelli, la Cour suprême a ensuite observé que [traduction] la « [d]iscrétion » implique nécessairement une bonne foi dans l’exercice d’un devoir public […] ». Notant que [traduction] « […] une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique […] », la Cour a statué que [traduction] « […] tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption » (à la page 140).

49        La Cour suprême a aussi statué dans Roncarelli que « bonne foi » signifie [traduction] « […] appliquer la loi d’une manière conforme à son intention et dans le but auquel elle tend et à agir dans une appréciation raisonnable de cette intention et de ce but, et non dans une intention hors de propos et pour un but étranger […] » (à la page 146).

50        Bien que la mauvaise foi comprend certainement les cas de faute délibérée de la part du décideur (comme dans Roncarelli), il n’est pas nécessaire de prouver la malveillance ou intention de préjudice pour réfuter la présomption de bonne foi; voir Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, au par. 40.

51        Comme la Cour suprême l’a observé dans Entreprises Sibeca c. Frelighsburg (municipalité), 2004 CSC 61, au par. 26, en plus d’actes délibérés, le concept de mauvaise foi peut comprendre des actes « […] qui se démarquent tellement du contexte législatif dans lequel ils sont posés qu’un tribunal ne peut raisonnablement conclure qu’ils l’ont été de bonne foi [je souligne] ».

52        La mauvaise foi peut englober l’insouciance ou l’indifférence grave. En effet,   « […] l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi »; voir Finney, au par. 39.

53        La Cour d’appel fédérale a étudié la question dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Canada (Procureur général), 2013 CF 34.

[…]

[41] Je conviens avec le SCEP qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire absolu et sans entraves pouvant être exercé au bon gré du décideur. Dans l’arrêt Roncarelli, précité, à la page 140, le juge Rand, en accord avec la majorité de la Cour suprême, s’est prononcé en ces termes :

[traduction]

[…]; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. […] La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique […]

[42] Selon le juge Rand, un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi doit être exercé en tenant compte des facteurs pertinents et en fonction du cadre législatif applicable. Selon le juge Rand, l’élément non pertinent qui, dans l’affaire Roncarelli, avait été pris en compte pour annuler le permis d’alcool du demandeur, était l’exercice par le demandeur de son droit [traduction] « incontestable » de fournir un cautionnement pour des témoins de Jéhovah. L’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi était fonction de l’objet de la législation sur la vente d’alcool dans les restaurants (Roncarelli, précité, à la p. 141). De même que la couleur des cheveux ou la province d’origine de quelqu’un n’ont rien à voir avec la vente de boissons alcoolisées dans un restaurant, le fait que M. Roncarelli ait fourni un cautionnement était sans pertinence (Roncarelli, précité, à la p. 140).

[…]

54        Dans Roncarelli, aux pages 139 et 140, la Cour suprême s’est prononcée en ces termes :

[Traduction]

Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut-être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l’on doit toujours sous-entendre. La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu’il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d’expression de la législature.

55        Compte tenu de mes conclusions de fait qu’en dépit du fait que la personne nommée possède les qualifications essentielles pour la nomination intérimaire, l’intervention du syndicat sur la question de savoir qui a occupé le poste avait manifestement une incidence importante sur la décision de renouveler la nomination non annoncée pour deux mois. L’incidence de l’intervention du syndicat a clairement entravé l’exercice de la discrétion du décideur et constituait un abus de pouvoir.

56        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

57        Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation du mérite en vue de la nomination.

Le 27 août 2018.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.