Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte contre le défendeur pour refus de négocier collectivement et pour négociation de mauvaise foi – la question était de savoir si la Loi no. 1 sur le plan d’action économique de 2015 (la « Loi de 2015 ») stipule qu’une partie doit avoir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement et si le devoir de négocier collectivement est en suspens en attendant la décision de la Commission sur la demande de regroupement des unités de négociation du défendeur – le plaignant et la partie intéressée étaient du même avis – le droit de négocier collectivement est garanti par la loi par l’entremise des articles 37 et 38 de la Loi sur les relations de travail au Parlement et de manière constitutionnelle en vertu de la liberté d’association protégée par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») – le législateur n’obligeait aucunement une partie à une convention collective d’obtenir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement, sauf dans un cas précis, qui n’était pas le cas en l’espèce – le défendeur a soutenu qu’une partie à une convention collective doit avoir une autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement, ce que le plaignant n’a pas fait – le défendeur a soutenu qu’il serait prématuré et illogique d’entamer des négociations avant que la Commission n’ait déterminé l’unité de négociation appropriée et l’agent négociateur pour les employés visés – le devoir de négocier collectivement du défendeur est en suspens jusqu’à ce que la Commission ait tranché sur le bien-fondé de sa demande de regroupement – les dispositions de la Loi de 2015 qui s’appliquent ne doivent pas être interprétées conformément à la Charte puisqu’il ne s’agit pas de dispositions législatives qui se prêtent à des interprétations divergentes – la Commission a conclu que la Loi de 2015 prévoit à plus d’une occasion que la convention collective en question doit être maintenue en place – pour la Commission, il était clair que dans la situation prévue à l’article 108 de la Loi de 2015, le législateur n’a pas cru bon d’imposer aux parties l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement – la Commission a conclu que la Loi de 2015 ne prévoit pas que l’autorisation de la Commission est nécessaire afin qu’une partie à une convention collective puisse donner un avis de négocier collectivement – le devoir de négocier collectivement d’une partie à une convention collective n’est aucunement mis en suspens en attendant la décision de la Commission relativement à la demande de regroupement.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20181010
  • Dossier:  461-PP-28
  • Référence:  2018 CRTESFP 79

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ASSOCIATION DES EMPLOYÉ(E)S DU SERVICE DE SÉCURITÉ DE LA CHAMBRE DES COMMUNES

plaignant

et

SERVICE DE PROTECTION PARLEMENTAIRE

défendeur

et

ASSOCIATION DES EMPLOYÉ(E)S DU SERVICE DE SÉCURITÉ DU SÉNAT

partie intéressée

Répertorié
L'Association des employé(e)s du service de sécurité de la Chambre des communes c. Service de protection Parlementaire


Affaire concernant une plainte en vertu des articles 10, 37 et 38 de la Loi sur les relations de travail au Parlement


Devant:
Stéphan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Me Sylvain Beauchamp, avocat
Pour le défendeur:
Me George Vuicic, avocat
Pour la partie intéressée:
Me Geneviève Brunet-Baldwin, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 29 mars 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Le 6 mars 2017, l’Association des employé(e)s du Service de sécurité de la Chambre des communes (« AESS ») a déposé auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») une plainte pour refus de négocier collectivement et de négociation de mauvaise foi à l’égard du Service de protection parlementaire (« SPP ») qui comprend également une requête pour ordonnance provisoire, en vertu des articles 10, 37 et 38 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, (L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.)) (la « LRTP »).

2        Dans sa réponse du 31 mars 2017, le SPP a nié avoir refusé de négocier avec l’AESS, alléguant que les articles 104 et 108 de la Loi no. 1 sur le plan d’action économique de 2015, Section 10, (L.C. 2015, c. 36) (la « Loi de 2015 ») privaient d’effet les articles 37 et 38 de la LRTP.

3        Le 27 février 2018, l’Association des employé(e)s du Service de sécurité du Sénat (« AESS du Sénat ») a demandé et obtenu le statut de partie intéressée.

4        Pour les motifs qui suivent, la plainte de l’AESS est accueillie. Il n’y a pas lieu de trancher la requête pour ordonnance provisoire puisqu’elle a été retirée par l’AESS en début d’audience.

5        L’audience de cette affaire a eu lieu le 29 mars 2018. Les parties n’ont présenté aucun témoignage et s’entendent sur la version des faits qui suit.

6        En 2015, le Parlement du Canada a adopté la Loi de 2015, qui modifiait la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985) ch. P-1, créant ainsi le SPP, une nouvelle entité parlementaire chargée des questions de sécurité physique partout dans la Cité parlementaire et sur la Colline parlementaire. Depuis le 23 juin 2015, les employés du SPP sont répartis entre trois unités de négociation : les membres de l’AESS, les membres de l’AESS du Sénat, et les membres de l’unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada travaillant comme scanographe et superviseur à la scanographie.

7        Le 19 novembre 2015, le SPP a déposé auprès de la Commission une requête en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi de 2015, demandant une ordonnance confirmant que les trois unités actuellesde négociation des employés du SPP (ci-haut mentionnées) ne forment désormais qu’une seule unité, et demandant également à la Commission de déterminer l’agent négociateur de cette unité de négociation. Cette demande est toujours devant la Commission. L’audience a débuté en novembre 2017 et se poursuivra en octobre 2018 et mai 2019, la disponibilité des quatre avocats impliqués dans cette affaire représentant l’obstacle le plus important à une audition rapide.

8        La Loi de 2015 prévoit les dispositions transitoires suivantes :

100. (1) Les personnes qui, à l’entrée en vigueur de la présente section, occupant un poste au sein du Service de sécurité du Sénat ou du Service de protection de la Chambre des communes occuperont leur poste au sein du Service
[de protection parlementaire] à compter de cette entrée en vigueur.

(2) le paragraphe (1) ne change rien à la situation des personnes qui, à l’entrée en vigueur de la présente section, occupaient un poste au sein du Service de sécurité du Sénat ou du Service de protection de la Chambre des communes, à la différence près que, à compter de cette entrée en vigueur, elles l’occupent au sein du Service [de protection parlementaire].

101. (1) Sous réserve des articles 102 à 113, la convention collective ou décision arbitrale qui s’applique aux employés occupant un poste au sein du Service de sécurité du Sénat ou du Service de protection de la Chambre des communes à l’entrée en vigueur de la présente section et qui est toujours en vigueur à cette entrée en vigueur est maintenue en vigueur jusqu’à la date prévue pour son expiration.

9        Avant l’entrée en vigueur de la Loi de 2015, l’AESS et la Chambre des communes étaient liés par une convention collective conclue en 2014 et venant à échéance le 31 mars 2017. Cette convention collective a été maintenue en vigueur et est appliquée par le SPP et l’AESS depuis le 23 juin 2015.

10        Le 6 février 2017, l’AESS a transmis au SPP un avis de négocier collectivement, en invoquant l’article 37 de la LRTP. Cet article prévoit ce qui suit :

37 (1) Une fois l’accréditation obtenue par une organisation syndicale, l’agent négociateur – au nom des employés de l’unité de négociation visée - ou l’employeur peut, par avis écrit, requérir l’autre partie d’entamer des négociations collectives en vue de la conclusion d’une convention collective.

(2) Un avis de négocier collectivement peut être donné :

  1. n’importe quand, si aucune convention collective ou décision arbitrale n’est en vigueur et si aucune des parties n’a formulé de demande d’arbitrage au titre de la présente partie;
  2. dans les deux derniers mois d’application de la convention ou de la décision qui est alors en vigueur.

11        L’AESS a proposé au SPP des dates de rencontre et lui a rappelé qu’en vertu de l’article 38 de la LRTP, il avait l’obligation d’entamer les négociations dans un délai de vingt (20) jours suivant l’avis de négocier collectivement. L’article 38 prévoit ce qui suit :

38 Le plus tôt possible, dans les vingt jours suivant celui où un avis de négocier collectivement a été donné ou dans le délai supplémentaire éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et les représentants de l’employeur doivent se rencontrer et entamer de bonne foi des négociations collectives et faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

12        Le 8 février 2017, le SPP a informé l’AESS qu’il n’entendait pas donner suite à l’avis de négocier collectivement. Le SPP n’a pas rencontré l’AESS dans le but d’entamer des négociations collectives. Il a souligné que l’AESS n’avait pas la capacité de lui donner un avis de négocier collectivement en l’absence d’une permission de la Commission. Il a ajouté que les parties étaient dans l’impossibilité de négocier en raison de l’incertitude concernant l’unité de négociation et l’agent négociateur appropriés en attendant la détermination de la Commission à cet égard (la demande en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi de 2015).

13        Le 27 mars 2018, l’AESS a déposé une plainte modifiée dans laquelle elle a demandé à la Commission de lui permettre, si nécessaire, de donner au SPP un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP et d’ordonner au SPP de se conformer à ses obligations en vertu de l’article 38 de la LRTP dès réception de cet avis.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’AESS

14        Selon l’AESS, la position du SPP n’est pas juridiquement valable. L’article 38 de la LRTP prévoit clairement trois obligations découlant de la transmission d’un avis de négocier collectivement. Premièrement, l’obligation pour les parties de se rencontrer dans les vingt jours de l’avis. Deuxièmement, l’obligation d’entamer de bonne foi des négociations collectives dans le même délai. Troisièmement, l’obligation continue de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

15        L’AESS souligne que la Cour suprême a déclaré à nombreuses reprises que la liberté d’association englobe le droit à la négociation collective et qu’on ne peut porter atteinte à ce droit que dans la mesure où il est possible de la justifier aux termes de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés (Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11(R.-U.) (la « Charte »). Au soutien de cet argument, l’AESS m’a renvoyé à Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 RCS 391 (paragraphe 98 à 100), Ontario (Procureur général) c. Fraser, [2011] 2 RCS 3, et Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 3 (paragraphe 66 et 67).

16        L’AESS est d’avis que le droit de ses membres à la négociation collective est garanti par la loi par l’entremise des articles 37 et 38 de la LRTP, et de manière constitutionnelle en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte. Selon elle, la position et la conduite du SPP portent non seulement atteinte aux articles 37 et 38 de la LRTP, mais constituent également une atteinte substantielle à la liberté d’association protégée par l’alinéa 2d) de la Charte.

17        L’AESS soutient que la position du SPP, selon laquelle la Loi de 2015 prive d’effet les articles 37 et 38 de la LRTP, n’est pas fondée. Elle ajoute que non seulement ladite loi ne prive aucunement d’effet les articles 37 et 38, elle renforce également le droit à la négociation collective dans certaines circonstances et doit être interprétée conformément à la Charte.

18        Selon l’AESS, la seule disposition de la Loi de 2015 qui prévoit clairement qu’un avis donné en vertu de l’article 37 de la LRTP peut être invalidé est l’article 106, qui s’applique lorsqu’un avis de négocier collectivement a été donné avant l’entrée en vigueur de ladite loi, ce qui n’est pas le cas en espèce et qui de toute manière doit être interprétée de façon restrictive. L’AESS soutient donc que puisque la Loi de 2015 ne contient aucune disposition autre que l’article 106, soit un avis de négocier collectivement donné avant l’entrée en vigueur de la Loi de 2015, privant expressément d’effet les articles 37 et 38 de la LRTP, il est manifeste que le législateur n’a pas souhaité priver d’effets le régime de négociation collective prévu dans la LRTP, sauf dans le seul cas expressément prévu. Si le législateur avait voulu un résultat si exorbitant du droit constitutionnel, le législateur l’aurait exprimé clairement et expressément.

19        De plus, l’AESS suggère que la Loi de 2015 renforce le droit de négocier collectivement en donnant aux parties, en vertu du paragraphe 105(1), une occasion supplémentaire de mettre en œuvre leur droit de négocier collectivement lorsque l’une ou l’autre des parties souhaite modifier la structure des unités de négociation. Le paragraphe 105(1) de la Loi de 2015 prévoit ce qui suit :

105 (1) À défaut de présentation de la demande visée au paragraphe 103(1) dans le délai fixé au paragraphe 103(2), le Service ou tout agent négociateur lié par une convention collective ou une décision arbitrale qui est maintenue en vigueur en vertu du paragraphe 101(1) peut demander à la Commission de lui permettre, par ordonnance, de donner à l’autre partie, au titre de l’article 37 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, un avis de négocier collectivement.

20        Selon l’AESS, le législateur a ainsi octroyé aux parties le droit de demander la permission à la Commission de donner à l’autre partie un avis de négocier collectivement à un moment autre que les délais habituels prévus à l’article 37 de la LRTP. Si aucune demande en vertu de l’article 103 de la Loi de 2015 n’est déposée à l’intérieur des délais prescrits, les parties peuvent demander à la Commission de déposer une demande de négocier collectivement avant la période prévue à l’article 37 de la LRTP. Peu importe si une demande a été déposée en vertu de l’article 103 de la Loi de 2015, chaque partie conserve ses droits en vertu des articles 37 et 38 de la LRTP, dans les délais prévus à l’article 37.

21        Finalement, l’AESS soutient que toute interprétation de la Loi de 2015 doit favoriser la pleine réalisation de son droit constitutionnel à la négociation collective et que les articles 37 et 38 de la LRTP doivent être appliqués puisqu’ils constituent l’incarnation statutaire de ce droit constitutionnel.

22        Tel qu’il est indiqué ci-dessus, l’AESS demande à la Commission d’ordonner au SPP de se conformer immédiatement à ses obligations en vertu de l’article 38 de la LRTP. Subsidiairement, elle demande à la Commission de lui permettre de donner au SPP un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP et d’ordonner au SPP de se conformer à ses obligations en vertu de l’article 38 de la LRTP dès réception de cet avis. En ce qui a trait à la question des dommages potentiels, l’AESS m’a demandé de réserver ma compétence sur cette question advenant que la plainte soit accueillie.

B. Pour l’AESS du Sénat

23        L’AESS du Sénat indique qu’elle invoque et appuie les arguments de l’AESS.

24        L’AESS du Sénat me demande également de considérer certains arguments additionnels. Premièrement, elle renvoie au sens et à la portée de l’alinéa 113(1)d) de la Loi de 2015, qui prévoit ce qui suit :

113(1) Les dispositions de la partie I de la Loi sur les relations de travail au Parlement ainsi que toute règle établie et tout règlement pris en vertu de cette loi s’appliquent à l’égard de ce qui suit et de toute question connexe :

[…]

d) les conventions collectives ou décisions arbitrales maintenues en vigueur en vertu du paragraphe 101(1);

25        Selon l’AESS du Sénat, il ressort clairement que les articles 37 et 38 de la LRTP continuent de s’appliquer à l’égard d’une convention collective qui est maintenue en vigueur en vertu du paragraphe 101(1) de la Loi de 2015, ce qui est le cas en l’espèce. Ces articles ne sont donc aucunement privés d’effet.

26        Deuxièmement, l’AESS du Sénat me renvoie au sens et à la portée de l’article 115 de la Loi de 2015, qui prévoit ce qui suit :

115. Les dispositions de la section I de la partie I de la Loi sur les relations de travail au Parlement ainsi que toute règle établie et tout règlement pris en vertu de cette loi, dans leur version antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente section, continuent de s’appliquer à l’égard de toute plainte déposée sous le régime de cette section avant cette date et liée au Service de sécurité du Sénat ou au Service de protection de la Chambre des communes.

27        Selon l’AESS du Sénat, il ressort clairement que les articles 37 et 38 de la LRTP continuent de s’appliquer à l’égard de la plainte dont il est question ici.

28        Troisièmement, l’AESS du Sénat me renvoie également au sens et à la portée du paragraphe 104(1) de la Loi de 2015. Selon l’AESS du Sénat, le législateur n’oblige aucunement une partie à une convention collective d’obtenir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP, sauf lorsque la Commission a décidé qu’une convention collective restera en vigueur à la suite d’une demande présentée en vertu de l’article 103 de la Loi de 2015, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

29        L’AESS du Sénat ne demande aucune réparation, puisqu’elle n’a pas déposé de plainte à l’égard du SPP et qu’elle n’agit qu’à titre de partie intéressée dans ce litige.

C. Pour le SPP

30        La position du SPP se résume comme suit. Dans un premier temps, il soutient que, conformément à la Loi de 2015, une partie à une convention collective doit avoir une autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP, ce que l’AESS n’a pas fait.

31        Dans un deuxième temps, le SPP soutient qu’il serait prématuré et illogique d’entamer les négociations avant que la Commission ait déterminé l’unité de négociation appropriée et l’agent négociateur pour les employés visés. Il fait valoir que son devoir de négocier collectivement est en suspens jusqu’à ce que la Commission ait tranché sur le bien-fondé de sa demande de regroupement.

32        Le SPP reconnait que la Loi de 2015 n’aborde pas explicitement la situation actuelle, c’est-à-dire lorsqu’une demande en vertu du paragraphe 103(1) pour la détermination de la composition des unités de négociation est déposée alors que la convention collective maintenue en vigueur par cette loi vient à échéance après le délai prévu pour le dépôt d’une demande visée au paragraphe 103(1), mais avant la détermination par la Commission de la demande. Selon lui, l’existence d’un tel vide législatif au sein de la Loi de 2015 devrait être interprétée à la lumière du contexte législatif et de l’intention du législateur.

33        Le SPP soutient que, lorsque lus conjointement, les articles 104 et 105 de la Loi de 2015 prévoient clairement qu’une partie à une convention collective ne peut donner un avis de négocier collectivement sans l’autorisation de la Commission, et qu’il est évident que le législateur avait l’intention d’empêcher qu’une partie donne un avis de négocier collectivement avant qu’une demande déposée en vertu du paragraphe 103(1) ne soit déterminée par la Commission. Selon le SPP, un avis de négocier collectivement donné après le dépôt d’une demande, mais avant la détermination par la Commission de la demande, constitue une situation analogue à celles prévues aux articles 104 et 105 de la Loi de 2015 et ne peut donc être présenté qu’avec l’autorisation de la Commission, et ce, une fois que la Commission a rendu sa décision à l’égard de la demande.

34        Le SPP me demande de conclure que l’intention du législateur visait à ce que toute question concernant la structure des unités de négociation ou l’agent négociateur soit résolue avant le début des négociations collectives.

35        Selon le SPP, il ne serait pas cohérent de permettre à l’AESS, à l’instar des deux autres associations, d’aller de l’avant et de donner un avis de négocier collectivement sans la permission de la Commission dans le contexte de l’unification de la sécurité parlementaire et des dispositions transitoires prévues dans la Loi de 2015. Permettre à l’AESS de négocier collectivement sans l’autorisation de la Commission mènerait à des conséquences incompatibles avec l’objet de ladite loi. Au soutien de ces arguments, le SPP m’a renvoyé au paragraphe 27 de Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (re), [1998] 1 RCS 27 (Annexe 6), et à la page 494 de R. c. Nabis, [1975] 2 RCS 485 (Annexe 4), deux arrêts de la Cour Suprême du Canada.

36        Le SPP soutient également que même si l’AESS avait obtenu la permission de la Commission de donner un avis de négocier collectivement, toute négociation collective serait futile et superficielle en l’absence d’une détermination par la Commission quant à la composition de l’unité, ou des unités, de négociation, à l’identification
de la convention collective qui s’applique, et à la détermination de l’agent négociateur de l’unité de négociation.

37        De plus, le SPP est d’avis que les dispositions de la Loi de 2015 qui s’appliquent n’ont pas à être interprétées conformément à la Charte puisqu’il ne s’agit pas de dispositions législatives qui se prêtent à des interprétations divergentes. Il s’agit plutôt d’une situation qui n’est pas prévue par ladite loi. La Commission ne peut donc pas, en l’absence d’ambigüité véritable, avoir recours aux valeurs de la Charte pour combler ce vide législatif. Elle doit plutôt se fier à l’intention du législateur.

38        Le SPP demande une déclaration selon laquelle l’AESS n’a pas la capacité de donner un avis de négocier collectivement sans l’aval de la Commission et que son devoir de négocier collectivement est suspendu jusqu’à ce que la Commission se prononce au sujet de la demande en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi de 2015.

D. Réplique de l’AESS

39        Selon l’AESS, il s’agit ici d’un refus de négocier collectivement de la part du SPP, rien de plus. La Loi de 2015 n’empêche aucunement le SPP de négocier collectivement et n’oblige pas l’AESS d’obtenir la permission de la Commission pour donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP dans les circonstances qui s’appliquent. Bien que la loi vise à créer un seul service de protection parlementaire, et ainsi améliorer la coordination de la réponse sécuritaire sur la Colline parlementaire , elle ne vient en rien fusionner les unités de négociation en place, pas plus qu’elle ne suspens les devoirs et obligations des parties à la convention collective qui est en vigueur. Une demande en vertu de l’article 103 de la Loi de 2015 n’engendre aucune suspension de ce genre.

40        L’AESS souligne également qu’une privation d’effet des articles 37 et 38 de la LRTP implique une privation d’effet des articles 46 à 49 de ladite loi portant sur le règlement des différends, ainsi que des articles 50 et 51 portant sur la demande d’arbitrage, puisque ces articles ne s’appliquent qu’en cas d’échec de la négociation collective, ce dont l’AESS est privé. Par conséquent, non seulement les employés représentés par l’AESS sont privés du droit à la grève en vertu de l’article 73 de la LRTP, ils sont également privés du droit à la négociation collective et du droit à l’arbitrage, tant et aussi longtemps que la Commission n’aura pas tranché la demande de regroupement du SPP. Il s’agit là, selon l’AESS, d’une atteinte flagrante aux droits constitutionnels garantis par la Charte à ses membres.

41        Finalement, l’AESS soutient qu’il n’existe aucun vide juridique dans la présente situation et que même s’il existait un vide juridique, il n’appartient pas à la Commission de combler ce vide, son rôle se limitant plutôt à interpréter les lois qui s’appliquent dans ce litige.

III. Motifs

42        Les articles 37 et 38 de la LRTP permettent aux parties d’entamer des négociations collectives et crée les trois obligations suivantes : (1) L’obligation pour les parties de se rencontrer dans les vingt jours de l’avis de négocier collectivement; (2) L’obligation d’entamer ces négociations de bonne foi; (3) L’obligation continue de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

43        En l’espèce, il faut déterminer si la Loi de 2015 prévoit effectivement que l’autorisation de la Commission est nécessaire afin qu’une partie à une convention collective puisse donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP et si le devoir de négocier collectivement qui découle de l’article 38 est mis en suspens en attendant la décision de la Commission sur la demande de regroupement des unités de négociation du SPP.

44         Je suis d’accord avec les allégations de l’AESS et de l’AESS du Sénat qu’il n’existe aucun vide législatif ou juridique en l’espèce et que, même s’il existait un tel vide, il n’appartient pas à la Commission de le combler, son rôle se limitant plutôt à interpréter les lois qui s’appliquent à ce litige.

45        Les enseignements de la Cour suprême du Canada concernant la nécessité d’employer une méthode moderne d’interprétation des lois, qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi ainsi qu’avec l’intention du législateur, ne sont certes pas contestés. Toutefois, je suis d’avis qu’il serait imprudent d’associer l’intention du législateur de créer un service de sécurité intégrée dans la Cité parlementaire et sur la Colline parlementaire pour assurer des interventions uniformes en cas de menaces à l‘intention de regrouper les trois unités de négociation en place et de priver d’effet les dispositions législatives traitant du droit des parties à négocier collectivement et des obligations correspondantes.

46        La Loi de 2015 prévoit à plus d’une occasion que la convention collective en question doit être maintenue en place (voir à titre d’exemple le paragraphe 101(1) et l’alinéa 113(1) d)) et ne prive aucunement d’effet les articles 37 et 38 de la LRTP, sauf dans un cas précis (voir l’article 106), qui ne s’applique pas en l’espèce. L’article 106 traite de la caducité d’un avis de négocier collectivement donné avant l’entrée en vigueur de la Loi de 2015.

47        Dans la situation qui nous concerne, le fait que le SPP ait déposé une requête en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi de 2015 n’oblige en rien l’AESS d’obtenir une autorisation de la Commission avant de se prévaloir de l’article 37 de la LRTP. L’article 104 de la Loi de 2015 n’est d’aucun secours au SPP puisque la Commission n’a pas encore statué sur sa demande, et encore moins entendu les arguments des parties à ce sujet :

104. (1) Si, en application de l’alinéa 103(1)c), la Commission décide qu’une convention collective ou une décision arbitrale donnée restera en vigueur, l’une des parties à celle-ci peut lui demander de lui permettre, par ordonnance, de donner à l’autre partie, au titre de l’article 37 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, un avis de négocier collectivement.

[Je souligne]

48        Je ne peux souscrire aux arguments du SPP voulant que le législateur ait eu l’intention d’obliger les parties à obtenir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis en vertu de l’article 37 de la LRTP dans la présente situation, simplement parce que celui-ci l’a prévu aux articles 104 et 105 de la Loi de 2015. Bien que le législateur ait cru bon prévoir cette obligation dans certaines dispositions de ladite loi, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas cru bon le faire dans toutes les circonstances, tel que le démontre le paragraphe 108b) de la Loi de 2015.

108. Si un avis de négocier collectivement a été donné avant la date d’entrée en vigueur de la présente section :

  1. sur demande du Service ou de l’agent négociateur, présentée au moins cent vingt jours et au plus cent cinquante jours après la date d’entrée en vigueur de la présente section, la Commission décide, par ordonnance :
    1. si les employés du Service qui sont représentés par l’agent négociateur constituent une ou plusieurs unités habiles à négocier collectivement,
    2. quelle organisation syndicale sera l’agent négociateur des employés de chacune de ces unités;
  2. dans les cas où la Commission rend une ordonnance dans le cadre de l’alinéa a), le Service ou l’agent négociateur peut transmettre à l’autre partie, au titre de l’article 37 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, un avis de négocier collectivement en vue de la conclusion d’une convention collective.

49        Il est clair que dans la situation prévue à l’article 108 de la Loi de 2015, le législateur n’a pas cru bon imposer aux parties l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Commission avant de donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP. Le législateur était donc conscient que certaines situations nécessiteraient une telle autorisation et d’autres non. Il a choisi de ne pas inclure cette autorisation dans la présente situation.

50        Si le législateur avait voulu suspendre les négociations collectives après le dépôt d’une demande en vertu de l’article 103 de la Loi de 2015, il aurait pu le prévoir sans équivoque, mais il ne l’a pas fait. Ce genre de situation était parfaitement prévisible. Quoi qu’il en soit, le législateur n’a pas cru bon statuer qu’un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP ne pouvait être déposé après le dépôt d’une demande en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi de 2015.

51        Il est important de noter que la demande du SPP a été déposée en 2015 et qu’elle n’a toujours pas été entièrement entendue. Bien que la convention collective en question soit maintenue en vigueur, il n’en demeure pas moins que, depuis mars 2017, les employés visés ont été privés de la possibilité de négocier de meilleures conditions de travail et qu’ils pourraient continuer de l’être pour encore bien longtemps si j’accepte la position du SPP. Ce résultat ne peut être celui que le législateur avait en tête lorsqu’il a rédigé le libellé de l’article 103 de la Loi de 2015 et ne répond pas aux enseignements de la Cour suprême dans Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. quant à faire des efforts pour parvenir à un accord tout en évitant des retards injustifiés. Je suis d’avis que dans la présente situation, une interprétation qui favorise le maintien de la négociation collective pendant cette période d’incertitude est en parfaite harmonie avec l’esprit et l’objet de la Loi de 2015, et l’intention du législateur.

52        En ce qui concerne l’argument du SPP voulant que toute négociation collective à ce stade soit futile et superficielle, je ne peux pas souscrire à cet argument qui repose sur des considérations hautement hypothétiques et invérifiables. Il m’apparait parfaitement plausible que les parties puissent entamer des pourparlers qui porteront éventuellement fruit, tant et aussi longtemps que ceux-ci sont de bonne foi et que les parties déploient des efforts raisonnables.

53        Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que la Loi de 2015 ne prévoit pas que l’autorisation de la Commission est nécessaire afin qu’une partie à une convention collective puisse donner un avis de négocier collectivement en vertu de l’article 37 de la LRTP.

54        Je conclus également que, dans la présente situation, le devoir de négocier collectivement d’une partie à une convention collective n’est aucunement mis en suspens en attendant la décision de la Commission relativement à une demande de regroupement au titre de l’article 103 de la Loi de 2015.

55        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

IV. Ordonnance

56        La plainte est accueillie.

57        La Commission ordonne au Service de protection parlementaire de se conformer aux termes de l’article 38 de la Loi sur les relations de travail au Parlement immédiatement sur réception de cette décision.

58        L’AESS demande les honoraires judiciaires et extrajudiciaires encourus en lien avec les présentes procédures ainsi que des dommages punitifs de 100 000.00$ à titre de réparation. Je demeure saisi de la question des dommages potentiellement associés à cette plainte. La commission proposera un calendrier aux parties pour recevoir leurs arguments sur la réparation afin que je puisse trancher cette question, si nécessaire.

Le 10 octobre 2018.

Stéphan J. Bertrand,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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