Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée travaillait comme assistante dentaire à la clinique dentaire d’une base militaire exploitée par l’employeur – dès le début de son emploi, elle a éprouvé des problèmes de rendement, qui ont éventuellement entraîné son licenciement trois ans plus tard – les problèmes de rendement étaient liés à une incapacité et la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que son licenciement était discriminatoire – la Commission a conclu qu’il y avait une preuve prima facie de discrimination en l’espèce – l’incapacité de la fonctionnaire s’estimant lésée a été un facteur dans son licenciement – cependant, l’employeur a invoqué une défense valable selon laquelle il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée sans en subir une contrainte excessive – il ne pouvait pas continuer à l’employer comme assistante dentaire puisqu’elle n’était pas en mesure d’exercer les fonctions – l’employeur ne pouvait lui offrir aucun autre poste à la clinique – il n’était pas tenu de créer pour elle un poste sur mesure qui ne correspondait ni à ses besoins ni à son budget – en outre, la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est pas montrée intéressée par la recherche d’un emploi ailleurs à la fonction publique et n’a fait aucun effort en ce sens.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190104
  • Dossier:  566-02-11817, 11818, 11819, 11820, 11821, 11822 et 11823
  • Référence:  2019 CRTESPF 1

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

JOHANNE LAVOIE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Lavoie c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Leslie Robertson, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur:
Marc Séguin, avocat
Affaire entendue à Québec (Québec),
du 10 au 13 juillet et le 14 septembre 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1        Johanne Lavoie, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaillait comme assistante dentaire sur la base des Forces armées canadiennes de Valcartier, au Québec. Elle a été licenciée le 24 juin 2015, pour incapacité médicale. La fonctionnaire faisait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« l’agent négociateur » ou « AFPC »).

2        Le 7 décembre 2015, par l’entremise de l’AFPC, elle a renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique sept griefs essentiellement fondés sur des allégations de harcèlement et de discrimination.

3        L’AFPC et le Conseil du Trésor du Canada ont conclu une convention collective qui vise l’unité de négociation de la fonctionnaire. La convention collective venait à échéance le 4 août 2014; elle était encore en vigueur au moment des événements donnant lieu aux griefs. Aux fins de la présente décision, l’expression « employeur » renvoie, selon le contexte, soit au Conseil du Trésor, l’employeur légal, soit au ministère de la Défense nationale, à qui les pouvoirs d’employeur sont délégués.

4        Les griefs sont résumés brièvement comme suit :

Dossier 566-02-11817: Grief déposé le 4 mars 2013, alléguant que l’employeur n’a pas accommodé la fonctionnaire selon les recommandations du rapport du psychologue, daté du 17 avril 2012. Renvoi à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

Dossier 566-02-11818: Grief déposé le 13 mars 2013, alléguant qu’un représentant de l’employeur a fait preuve  d’intimidation à l’endroit de la fonctionnaire. Renvoi à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

Dossier 566-02-11819: Autre grief déposé le 13 mars 2013, alléguant que le représentant de l’employeur a fait preuve d’abus de pouvoir à l’endroit de la fonctionnaire. Renvoi à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

Dossier 566-02-11820: Grief déposé le 7 mai 2015 à la suite de la réception par la fonctionnaire d’une lettre recommandant son licenciement pour incapacité. Renvoi à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

Dossier 566-02-11821: Même grief que le précédent, mais renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi.

Dossier 566-02-11822: Grief déposé le 26 juin 2015 contestant le licenciement de la fonctionnaire. Renvoi à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

Dossier 566-02-11823: même grief que le précédent, mais renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)c)(i) de la Loi.

5        Le 16 décembre 2015, l’agent négociateur a donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne qu’il entendait soulever une question liée à l’interprétation et à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H-6), soit la discrimination fondée sur l’incapacité médicale. L’agent négociateur prétend que l’employeur n’a pas rempli ses obligations d’accommodement à l’égard de la fonctionnaire.

6        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique etde la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »),  la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral etla Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

7        Pour les motifs qui suivent, la Commission rejette les griefs.

II. Résumé de la preuve

8        L’employeur a cité sept témoins : la major Tiffany Kisway, dentiste; Maryse Binette, coordonnatrice de la clinique dentaire de la base de Valcartier en 2012 et 2013; le capitaine Maxime Fournier, dentiste; le lieutenant-colonel Michael Kaiser, commandant du détachement dentaire de la base de Valcartier de 2011 à 2013; David Jacques, conseiller en ressources humaines; le lieutenant-colonel Alain Ouellet, commandant du détachement dentaire de la base de Valcartier de la fin août 2013 à juillet 2016; et le colonel Dwayne Lemon, dentiste en chef pour les Forces armées canadiennes. La fonctionnaire a témoigné, et a cité à témoigner le Dr Alain Simard, psychologue expert en neuropsychologie qui l’a évaluée pendant son emploi.

9        La fonctionnaire a travaillé comme assistante dentaire à la base de Valcartier à partir de 2008. D’après l’employeur, entre 2008 et 2011,  la fonctionnaire a manifesté des difficultés de rendement, et ce, dès le début. D’après la fonctionnaire, la surveillance constante est devenue une forme de harcèlement qui l’a empêché de donner son plein rendement.

10        À l’audience, les témoignages ont porté surtout sur les trois dernières années de service de la fonctionnaire, de 2012 à 2015. Afin de faciliter la compréhension des événements, la preuve est présentée de façon chronologique, en évitant les répétitions lorsque les témoignages concordent. Il y a lieu de décrire d’abord le contexte dans lequel se déroulent les événements. Ce contexte a été abordé par les différents témoins et ne prête pas à différend.

11        Les Forces armées canadiennes disposent de 26 cliniques dentaires, dont celle de la base de Valcartier, qui offre des soins dentaires généraux et spécialisés. Chaque clinique relève du commandant militaire du détachement dentaire pour la base. Le commandant est nommé au rang de lieutenant-colonel. Son adjoint pour la clinique est nommé au rang de major. La coordination du détachement dentaire est assurée par un adjudant maître. La chaîne de commandement est donc militaire. Le personnel de la clinique (dentistes, hygiénistes et assistantes dentaires) est composé d’employés civils et de militaires.

12        Les dentistes militaires doivent s’entraîner, comme tous les militaires, à raison de deux après-midi par semaine. De plus, comme le vendredi après-midi est consacré à l’entretien de la clinique, il n’y a pas de rendez-vous.

13        La clinique dentaire de Valcartier offre des services complets aux militaires de la base. Chaque militaire subit un examen par année (phase 1), au cours duquel le dentiste détermine si des traitements sont nécessaires. Le cas échéant, le militaire recevra ces soins (phase 2). Le résultat de la phase 1 et le plan de traitement de la phase 2 sont entrés dans une base de données. Dans la mesure du possible, les militaires reçoivent un traitement dentaire aussi complet que possible avant leur déploiement à l’étranger. Néanmoins, les dentistes militaires peuvent également être déployés à l’étranger pour offrir des soins d’urgence.

14        Chaque jour de la semaine débute par la « parade des malades », c’est-à-dire une période d’environ une heure, de 7 h 30 à 8 h 30, où les militaires de la base peuvent se présenter pour urgence dentaire à la clinique, sans rendez-vous. À partir de 9 heures, les patients sont vus sur rendez-vous.

15        Les assistantes dentaires sont appariées à un dentiste. Certains dentistes sont spécialisés, par exemple en chirurgie maxillo-faciale ou en périodontie. Les spécialistes peuvent avoir plus d’une assistante dentaire. Le travail de l’assistante dentaire consiste à assister le dentiste à la chaise, pour réaliser ce que les dentistes appellent la « dentisterie à quatre mains ». Pendant que le dentiste pratique diverses interventions, l’assistante dentaire assure le maniement des instruments et du matériel, ce qui signifie qu’elle doit prévoir les besoins du dentiste en fonction de l’intervention et préparer les instruments et le matériel nécessaires.

16        Outre l’aide directe au dentiste dans le contexte du travail à la chaise, l’assistante dentaire exécute plusieurs autres tâches. Elle prépare la salle en fonction des traitements prévus ce jour-là. Elle accompagne le patient, ce qui signifie souvent l’aider à gérer son anxiété. Elle est responsable du nettoyage et de la stérilisation des instruments. Elle prend des radiographies et des empreintes pour les moules. Enfin, elle gère les dossiers informatiques des patients dans une base de données appelée SISFC (Système d’information de santé des Forces armées canadiennes), et entre les données lors de l’examen de phase 1. Ces données comprennent un plan de traitement, soit un document médico-légal, dont le dentiste assume la responsabilité entière.

17        L’assistante entre également des données dans une base de données appelée DentiS, où divers codes de procédure relatifs aux interventions dentaires sont consignés. Cette base de données sert à produire des rapports statistiques qui permettent aux Forces armées canadiennes de compiler les interventions et de prévoir les besoins en soins dentaires.

A. Major Tiffany Kisway

18        La major Kisway est militaire et dentiste. Elle a commencé sa carrière de dentiste à la base de Valcartier en juin 2010; elle était alors capitaine. Elle a quitté la base de Valcartier pour la base de Petawawa en avril 2012. La fonctionnaire a été son assistante de juillet 2011 à janvier 2012. La major Kisway décrit l’expérience comme ayant été difficile.

19        Dès le départ, la fonctionnaire faisait des erreurs assez surprenantes compte tenu de sa longue expérience comme assistante dentaire. Elle était très gentille, très disposée à bien faire, mais elle commettait beaucoup d’erreurs.

20        À titre d’exemples d’erreurs, la major Kisway a mentionné  un mauvais choix de fraises ou de matériel d’obturation, ou le fait de lui tendre une fraise qui visiblement n’avait pas été nettoyée correctement même si elle se trouvait dans un sac de stérilisation. La multitude de petits problèmes a conduit la direction à demander à la major Kisway de faire une évaluation suivie de la fonctionnaire, ce qui a causé beaucoup de stress à la fonctionnaire et n’a pas amélioré son rendement.

21        Au mois de décembre 2011, la major Kisway a rédigé un rapport sur le rendement de la fonctionnaire pendant les cinq derniers mois (juillet à décembre). Le rapport fait état de nombreuses lacunes. Il faut tout expliquer à la fonctionnaire, malgré ses nombreuses années d’expérience. La major Kisway dit ne pas pouvoir lui faire confiance et devoir sans cesse vérifier que la fonctionnaire lui remet le bon instrument.

22        À l’audience, la major Kisway a comparé la fonctionnaire à une autre assistante dentaire avec qui elle a pu établir immédiatement une bonne relation de collaboration, ce qui n’a pas été le cas avec la fonctionnaire qui, selon la major Kisway, ne cherchait pas à s’adapter au travail du dentiste. La fonctionnaire était incapable d’anticiper le travail à accomplir et devait donc sans cesse être dirigée.

23        Je cite un passage du rapport qui résume bien le témoignage de la major Kisway :

[…] Elle est incapable d’anticiper le travail à faire et de commencer une tâche avant qu’on ne lui demande. Par exemple, si pendant une chirurgie je suis en train de suturer une plaie avec les pinces hémostatiques en main, elle enlève les ciseaux du plateau d’instruments alors même que je vais en avoir besoin pour couper les points. Je sais que cela peut sembler un incident sans gravité, mais après des mois de petits « désagréments » de cette nature, les frustrations s’accumulent et il devient évident que nous n’arriverons pas à former une équipe.

Mme Lavoie est une employée positive et réagit aux commentaires directs. Elle aide ses collègues lorsqu’elle le peut. Je suis consciente qu’elle essaie de faire de son mieux et de fournir un bon rendement. Cependant, toute cette bonne volonté ne peut compenser son incapacité à bien faire son travail. Elle ne semble rien retenir de ce qu’elle apprend et semble incapable d’adapter ses compétences techniques à nos besoins quotidiens.

[…]

24        La major Kisway a produit trois autres rapports d’évaluation pour les périodes du 3 au 13 janvier 2012, du 16 au 20 janvier et du 23 au 27 janvier 2012. Le rapport du 3 au 13 janvier est bref et, dans l’ensemble, assez positif. La fonctionnaire a fait preuve d’initiative, elle a bien identifié des empreintes et elle  a suivi l’exemple de la dentiste pour nettoyer des limes d’endodontie. Il y a bien deux petites erreurs signalées, mais le rapport conclut sur la phrase suivante : « On commence à travailler mieux ensemble ». Bien que des erreurs y soient relevées, le rapport du 16 au 20 janvier est également bref et assez positif.

25        Le dernier rapport est moins positif. La major Kisway signale plusieurs erreurs et écrit ce qui suit : « Je ne peux pas comprendre comment quelqu’un avec n’importe quelle expérience du tout fait ces erreurs. Je m’attends à ce que quelqu’un avec 6 mois d’expérience exécute mieux que ceci ».

26        Après le départ de la major Kisway en janvier 2012, la fonctionnaire est affectée à d’autres tâches dans la clinique, mais non à la chaise, jusqu’à ce qu’elle commence à assister le capitaine Fournier en octobre 2012.

27        Le 3 février 2012, l’employeur demande à la fonctionnaire de consentir à une évaluation de l’aptitude au travail par Santé Canada, ce que la fonctionnaire accepte. Elle est toutefois partie en congé de maladie à compter du 14 février 2012. Le 15 février 2012, l’employeur a envoyé une demande d’évaluation de l’aptitude au travail au médecin de famille de la fonctionnaire pour déterminer si celle-ci était apte à exécuter ses fonctions, si elle avait une incapacité et s’il y avait des restrictions fonctionnelles. La lettre fait état des difficultés de la fonctionnaire à effectuer correctement ses tâches.

28        Le 29 février 2012, le médecin de famille de la fonctionnaire prolonge indéfiniment le congé de maladie de cette dernière et recommande une évaluation en neuropsychologie, qui sera faite le 3 avril 2012. Le neuropsychologue produit un rapport le 17 avril 2012 et répond aux questions posées par l’employeur. Entre-temps, à partir du 14 mars 2012, la fonctionnaire revient au travail avec la permission de son médecin, qui prescrit un « retour au travail allégé (travail de bureau) ».

B. Rapports et témoignage du neuropsychologue

29        Le Dr Simard a témoigné à l’audience, et ses deux rapports, datés du 17 avril 2012 et du 15 août 2014, ont été déposés en preuve. Dans le premier rapport, le Dr Simard conclut que la fonctionnaire semble avoir des difficultés « […] au niveau des habiletés d’organisation/planification » qui pourraient « […] s’expliquer par un déficit de l’attention entre autre ». Il ajoute : « Cette condition, une fois bien prise en charge au niveau pharmacologique entre autres, ne nuit probablement pas à une prestation normale et adéquate au travail. »

30        À la question de l’employeur à savoir s’il s’agit d’une incapacité temporaire ou permanente, le Dr Simard répond dans son premier rapport : « Pour l’instant, on peut parler d’incapacité temporaire, le temps de mettre en place un protocole pharmacologique et un suivi psychologique adéquat ». Il mentionne également ce qui suit :

Madame devrait être en mesure de reprendre progressivement ses fonctions dans quelques semaines une fois les suivis pharmacologiques et psychologiques en place. Il serait opportun de clarifier la situation en regard de ce que madame prétend être du harcèlement et voir à mettre en place les interventions administratives pertinente [sic] s’il y a lieu.

31        Enfin, en ce qui concerne la nature et la durée des limitations fonctionnelles, le Dr Simard écrit :

Madame doit prendre son temps pour être en mesure d’offrir un service de qualité. Elle ne doit pas tenter d’augmenter sa cadence pour être plus rentable au détriment de la qualité de son travail. Elle doit évoluée [sic] dans un environnement structuré à l’abri des interférences. Elle ne doit pas être sous pression afin de ne pas augmenter l’anxiété.

32        Dans son premier rapport, le Dr Simard ne précise pas la durée de ces restrictions.

33        Le Dr Simard a témoigné à l’audience que le déficit de l’attention se soigne bien à l’aide de médicaments. Il était d’avis qu’après la première évaluation, un suivi psychologique est également utile pour traiter l’anxiété, qui peut également avoir un impact négatif sur le rendement. Le retour au travail doit se faire sans pression, pour augmenter les chances de la fonctionnaire de bien fonctionner.

34        Le Dr Simard a déclaré avoir été surpris qu’on communique à nouveau avec lui en 2014, parce que dans la grande majorité des cas, le déficit de l’attention se règle grâce aux médicaments et à l’ajustement des modalités de travail. Dans le cadre de son second mandat, on lui pose les trois questions suivantes :

  1. Madame Lavoie est-elle apte à effectuer, à plein temps, les tâches du poste dont elle est titulaire, soit d’assistante dentaire telles que décrites dans sa description de travail, ci-jointe?
  2. Si Mme Lavoie présente des restrictions fonctionnelles, veuillez svp, en indiquer la nature.
  3. Si Mme Lavoie présente des restrictions, celles-ci sont-elles temporaires ou permanentes? Advenant le cas de restrictions temporaires, dans combien de temps Mme Lavoie sera-t-elle apte à effectuer les tâches de son poste sans restriction?

35        Dans son deuxième rapport, le Dr Simard répond de la façon suivante aux trois questions :

Première question :

Des progrès sont objectivés lorsque comparés aux résultats d’avril 2012. Madame est actuellement apte à effectuer, à temps plein, les tâches du poste d’assistante dentaire. Un retour progressif pourrait être envisagé dans des conditions respectant sa cadence afin de l’aider à gérer la pression.

Deuxième question :

Madame ne doit pas tenter d’augmenter son rythme de travail au détriment de la qualité du service. Elle a de la difficulté à gérer la pression et les critiques. Elle a des difficultés à exécuter des tâches variées et complexes qui demandent un haut niveau de raisonnement.

Troisième question :

Des progrès sont objectivés lorsque comparés aux résultats d’avril 2012. Les restrictions sont probablement permanentes, quoique des progrès puissent être envisageables avec un ajustement de la médication. Je laisse le soin à madame et à son médecin de famille de faire les choix pharmacologiques appropriés.

36        À l’audience, le Dr Simard a expliqué que bien qu’il ne soit pas médecin, il connaît bien les médicaments utilisés pour traiter le déficit de l’attention. Il a souligné que d’après les normes de traitement pharmacologique, la fonctionnaire prenait un médicament bien connu et que le dosage pourrait être augmenté. Il a précisé qu’il s’agissait bien sûr d’une conversation que la fonctionnaire devrait avoir avec son médecin traitant, pour discuter des différents médicaments, de leur effet thérapeutique et de leurs effets secondaires. Le Dr Simard ne voulait donc pas se prononcer sur le caractère permanent des restrictions, comme l’indique sa réponse à la question 3. Il a néanmoins laissé entendre qu’après deux ans de traitement, il était possible qu’on ait atteint un plateau pour ce qui était de l’intervention pharmacologique; toutefois, il a souligné qu’il existait bon nombre de médicaments et que la fonctionnaire était bien en deçà de la dose maximale.

37        Pour résumer ses constatations lors du deuxième examen, le Dr Simard a dit qu’il avait noté une amélioration dans la concentration et la fluidité verbale de la fonctionnaire, mais qu’il restait encore un problème d’emmagasinage de l’information.

38        Selon lui, il n’y a aucune raison pour laquelle la fonctionnaire ne pourrait faire son travail, puisque selon lui le travail d’assistante dentaire est composé de tâches relativement simples. Il n’y a pas de grandes responsabilités ni de répercussions majeures. Il a répété que le déficit de l’attention pouvait être contré par les médicaments et un ajustement des tâches.

39        Le Dr Simard n’a pas communiqué avec le médecin de famille de la fonctionnaire, et n’était pas au courant que le 20 septembre 2012, le médecin avait recommandé un retour au travail sans restrictions. Selon lui, les restrictions auraient toujours dû s’appliquer. Le retour progressif au travail était aussi préférable. La fonctionnaire lui a dit qu’elle avait dû reprendre toutes ses fonctions soudainement en septembre 2012, qu’elle avait été placée immédiatement « dans le feu de l’action », ce qui, selon lui, était à déconseiller.

40        Il était complètement d’accord avec les recommandations du médecin de famille datées du 2 septembre 2014, qui reprenaient textuellement les siennes à la question 2. Il était d’accord avec l’énoncé suivant du médecin de famille : « Les restrictions sont permanentes, quoique des progrès puissent être envisageables avec un ajustement de la médication ».

C. Maryse Binette

41        Mme Binette a travaillé comme assistante dentaire de 1989 à 2010, toujours dans des cliniques militaires. À partir de 2010, elle a occupé des fonctions de superviseure. Elle était adjudant maître et coordonnatrice de la clinique dentaire de la base de Valcartier d’août 2012 à juin 2013. Elle a pris sa retraite des Forces armées canadiennes il y a deux ans et continue de travailler dans le secteur dentaire au sein de la fonction publique.

42        À titre de coordonnatrice de la clinique dentaire, son rôle était d’assister le commandant du détachement dentaire en assurant la répartition des tâches et l’évaluation du rendement des hygiénistes et des assistantes dentaires. Les décisions en matière de discipline relèvent du commandant, avec recommandations de la coordonnatrice de la clinique.

43        Lors de l’entrée en fonction de Mme Binette à la clinique dentaire de la base de Valcartier, en août 2012, la fonctionnaire ne travaille pas avec un dentiste à la chaise. Elle a été réaffectée à diverses tâches à titre d’assistante volante. Ses tâches comprennent l’envoi de modèles au laboratoire, la réception des patients, l’entrée de données dans DentiS, les radiographies, et l’aide à d’autres assistantes, par exemple pour la stérilisation des instruments.

44        En septembre 2012, Mme Binette reçoit deux billets du médecin de famille de la fonctionnaire. Le premier, daté du 19 septembre, indique ce qui suit : « La patiente peut poursuivre son travail avec restrictions. (Radiographies permises). Demande de consultation en spécialité (PSYCHIATRIE) pour opinion médicale. »

45        Le second billet, daté du lendemain, 20 septembre, se lit comme suit : « Retour à travail régulier sans restriction autorisé – Discussion en psychiatrie. Trouble de l’attention traité médicalement. » Sous la signature du médecin, une note manuscrite a été ajoutée comme suit : « En date du 21/9/2012 ».

46        Après avoir reçu ce deuxième billet, Mme Binette discute avec la fonctionnaire de son retour comme assistante à la chaise. Mme Binette dresse une entente de rendement qui couvre tous les aspects du travail d’une assistante dentaire. Mme Binette et la fonctionnaire signent l’entente le 12 octobre 2012. L’entente précise ce qui suit :

Mme Lavoie débutera son travail en équipe avec le Capt Fournier à compter du lundi 22 octobre. Capt Fournier s’engage à rencontrer madame en raison d’au moins une fois semaine ou plus au besoin, pour une rétroaction jusqu’à nouvelle ordre du commandant du détachement ou le coordinateur de la clinique.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

47        Mme Binette a expliqué à l’audience que le capitaine Fournier était un dentiste et un officier militaire. Elle pensait qu’il serait la personne idéale pour faciliter le retour de la fonctionnaire à la chaise, car il était calme, posé et d’humeur égale. Il n’avait jamais travaillé avec la fonctionnaire, et n’aurait donc pas d’idée préconçue.

D. Capitaine Fournier

48        Le capitaine Fournier est dentiste depuis 2011. Sa première affectation a été à la base de Valcartier à partir d’octobre 2011. Il est demeuré à cette base jusqu’en juillet 2014. On lui a demandé en octobre 2012 de travailler avec la fonctionnaire et de l’évaluer, ce qu’il a fait pendant 6 semaines.

49        Selon la compréhension du capitaine Fournier, son rôle était d’aider la fonctionnaire à réintégrer ses fonctions d’assistante dentaire à la chaise, après une absence de huit mois. Il a témoigné qu’au départ, il avait été agréablement surpris. La fonctionnaire avait visiblement beaucoup d’expérience et elle avait pris la peine de parler avec les autres assistantes dentaires qui avaient travaillé avec lui pour se renseigner sur ses pratiques et les instruments qu’il aimait utiliser.

50        Les premières semaines, le capitaine Fournier attribuait les erreurs de la fonctionnaire au fait qu’elle revenait de 8 mois d’absence à la chaise, et se disait  qu’il fallait prévoir une période d’adaptation. Malheureusement, les erreurs ont perduré et la courbe d’apprentissage paraissait négative. D’après lui, le plateau atteint était trop bas, et il n’a jamais été rehaussé par la suite.

51        Le capitaine Fournier rédigeait une évaluation hebdomadaire du rendement de la fonctionnaire. Pour la première semaine, il note les points forts et faibles, et conclut comme suit :

En général, malgré quelques lacunes qui devront être évaluées davantage, ma première semaine avec Mme Lavoie s’est bien déroulée. À la chaise, elle est une assistante dentaire efficace qui connaît bien son métier. Cependant, il reste plusieurs aspects à évaluer au cours des prochaines semaines.

52        Le rapport de la deuxième semaine comporte également des points forts et faibles. Le capitaine Fournier y signale une erreur dans le choix de la seringue pour administrer l’anesthésie locale, ce qui a causé « un important inconfort » au patient et retardé le traitement. Il y mentionne toutefois des améliorations et une prise d’initiative positive.

53        Le rapport de la troisième semaine fait état d’une erreur récurrente en ce qui concerne la pose de la digue dentaire (écran de caoutchouc pour faciliter l’isolement de la région sur laquelle travaille le dentiste). La fonctionnaire avait tendance à utiliser le mauvais crampon ou à mal orienter la digue. À l’audience, le capitaine Fournier a témoigné combien cette erreur avait été fréquente pour l’ensemble des six semaines, et combien cela l’irritait.  Cependant, des commentaires positifs figurent aussi dans le rapport, comme suit :

Le reste de la semaine s’est assez bien déroulé. Mme Lavoie connaît bien les étapes de mes traitements. Nous avions aussi plusieurs extractions et elle était bien préparée pour ces procédures. Elle a aussi confirmé tous les patients de la semaine en avance.

54        Il note les difficultés de la fonctionnaire à travailler sur l’ordinateur, par exemple pour entrer les plans de traitement et donner des rendez-vous aux patients. Il souligne une erreur dans l’identification de radiographies. Il fait remarquer qu’elle ne travaille pas au même rythme que les autres assistantes dentaires.

55        Le ton se poursuit dans le rapport de la quatrième semaine. Cependant, il souligne que la fonctionnaire fonctionne bien pour les procédures effectuées fréquemment, qu’elle surveille le temps écoulé selon les exigences des différentes procédures, qu’elle propose des instruments et qu’elle prépare bien les instruments nécessaires au rendez-vous.

56        Par contre, il souligne qu’elle a de la difficulté à maîtriser les nouvelles techniques et que, selon lui, elle y consacre plus de temps que les autres assistantes. Il termine ce rapport sur la remarque suivante :

En général, tout va relativement bien. Cependant, je remarque que certaines journées se déroulent beaucoup mieux que d’autres. Je ne sais pas ce qui affecte ces hauts et bas, mais parfois il y a des journées où Mme Lavoie semble distraite et ceci ralenti [sic] le travail.

57        Dans le rapport du 23 novembre, le capitaine Fournier note que la fonctionnaire semble oublier ce qu’elle a déjà appris. Il note également que la fonctionnaire lui a dit à quel point elle trouvait stressant de se faire évaluer sans cesse.

58        Le dernier rapport déposé en preuve est daté du 30 novembre. Il signale encore une fois la lenteur de la fonctionnaire avec les logiciels, ainsi qu’une erreur d’inattention. Le capitaine Fournier conclut le rapport de la façon suivante :

Je trouve ces manques de jugement et faiblesses informatiques assez frustrantes à la longue. Mes journées paraissent plus lourdes qu’auparavant et je suis épuisé à la fin de la semaine. Au début, je laissais passer les petites fautes aux détails tel que la digue qui n’est pas relâchée au centre pour faciliter le placement. Mais jeudi, la stagiaire qui a quelques semaines d’expérience me l’a préparé de la bonne façon. Après six semaines ensemble, je croyais que nous formerions une équipe efficace et dynamique; cependant, je n’ai pas vu une grande amélioration depuis le début. C’est vrai qu’elle a appris quelques techniques, mais alors même que je crois qu’elle les a maîtrisé elle oublie des étapes (tel que noté dans l’évaluation hebdomadaire du 19 au 23 novembre 2012).

[Sic pour l’ensemble de la citation]

59        Au mois de décembre, la fonctionnaire a été assignée à un autre dentiste, le capitaine Lucsanszky, pour faire de l’entrée de données dans le cadre des examens de phase 1.

E. Lieutenant-colonel Michael Kaiser

60        Le 12 février 2013, le lieutenant-colonel Kaiser, le commandant de l’unité dentaire de la base de Valcartier de 2011 à 2013, a adressé une lettre à la fonctionnaire faisant état de sa recommandation de licenciement pour rendement insuffisant. Le passage suivant en illustre bien la teneur :

Depuis mars 2009, nous avons travaillé avec vous en vous fournissant de la rétroaction verbale et écrite sur votre rendement et sur nos attentes. Après plus de 3 ans de suivis, d’encadrements et de plans d’action, vous ne rencontrez toujours pas les exigences de votre poste au groupe et niveau HS-PHS-06. Il est maintenant clair pour moi que vous ne possédez pas les compétences et habiletés requises pour occuper un poste d’assistante dentaire.

61        Le lieutenant-colonel Kaiser est lui-même dentiste. Quand il est devenu commandant de l’unité dentaire de la base de Valcartier, la coordonnatrice de la clinique dentaire à l’époque a porté à son attention les lacunes dans le rendement de la fonctionnaire. Après un certain temps, il est devenu évident que ses habiletés étaient insuffisantes pour être assistante dentaire à la chaise, d’où la décision de la placer dans un rôle d’aide volante.

62        Le lieutenant-colonel Kaiser a été informé du billet du médecin selon lequel la fonctionnaire pouvait réintégrer l’ensemble de ses fonctions, sans restrictions. Il a décidé de l’assigner au capitaine Fournier, sur la recommandation de Mme Binette, avec l’obligation pour le capitaine Fournier d’évaluer le rendement de la fonctionnaire.

63        L’évaluation insatisfaisante du capitaine Fournier a amené le lieutenant-colonel Kaiser à recommander le licenciement de la fonctionnaire. Les renseignements dont l’employeur disposait à ce moment-là étaient que la fonctionnaire était apte à travailler, sans restrictions médicales. Selon le lieutenant-colonel Kaiser, la fonctionnaire n’était pas en mesure d’offrir des soins au niveau voulu. Elle était incapable de former une équipe avec un dentiste de façon à offrir véritablement un service de dentisterie à quatre mains.

64        L’employeur ne donne pas suite à la recommandation de licenciement de février 2013, en raison d’événements subséquents que décrit le prochain témoin.

F. David Jacques

65        M. Jacques travaillait comme généraliste en ressources humaines au moment des événements donnant lieu aux griefs. Son rôle consistait à donner des conseils à la gestion. Il a été engagé dans le dossier de la fonctionnaire à partir de 2011.

66        En mai 2012, après la réception du rapport du Dr Simard, M. Jacques a préparé des formulaires de consentement pour une évaluation de l’aptitude au travail et d’autorisation de divulgation d’information médicale aux fins de signature par la fonctionnaire. Ces documents étaient destinés à Santé Canada. L’employeur jugeait que les renseignements du Dr Simard étaient insuffisants pour répondre à toutes les questions, et donc demandait l’avis de Santé Canada sur les restrictions médicales, temporaires ou permanentes qui s’appliquaient à la fonctionnaire.

67        Il y a eu plusieurs échanges. Finalement, le 26 août 2013, Santé Canada a répondu qu’il lui était impossible de se prononcer dans ce dossier, car les difficultés paraissaient être d’ordre administratif plutôt que médical. Santé Canada a ajouté que les problèmes de rendement semblaient distincts du problème médical et qu’il n’est pas du ressort de Santé Canada dire si une personne est apte à faire telle ou telle tâche (en donnant l’exemple de la stérilisation des instruments).

68        En mars 2013, la fonctionnaire dépose trois griefs contre le harcèlement qu’elle dit subir au travail, notamment la recommandation de licenciement pour rendement insuffisant. À l’audition des griefs, le 30 avril 2013, elle remet à l’employeur un billet de son médecin de famille, en date du 27 mars 2013, qui mentionne : « Respecter les restrictions fonctionnelles (cf expertise [illisible] neuropsychologue Dr Simard) ».

69        Le 23 juillet 2013, l’employeur écrit au médecin de famille pour résoudre la contradiction entre ses deux billets, celui daté du 20 septembre 2012 où il écrit que la fonctionnaire peut travailler sans restriction, et le plus récent, du 27 mars 2013, où il écrit qu’il faut respecter les limitations prescrites par le neuropsychologue. L’employeur demande donc au médecin traitant de répondre aux questions suivantes :

Est-ce que les restrictions de Mme Lavoie sont temporaires ou permanentes?

Advenant le cas où ces restrictions sont temporaires, dans combien de temps sera-t-elle apte à effectuer les tâches de son poste sans restrictions?

70        La lettre se poursuit avec la précision suivante :

À partir  de vos recommandations concernant la condition médicale de Mme Lavoie, l’employeur sera en mesure de faire un choix éclairé dans le traitement de son dossier de rendement et sera en mesure d’honorer adéquatement son devoir d’accommodement, s’il y a lieu. Cependant, si ses restrictions sont permanentes, étant donné la nature des tâches reliées au poste d’assistante dentaire, nous ne voyons pas comment nous pourrons respecter ces restrictions, notamment, lorsqu’elle travaille à la chaise avec un dentiste. Vous trouverez, en pièce jointe, la description de travail de Mme Lavoie. Nous avons souligné, en jaune, les conditions que nous croyons incompatibles avec les restrictions fonctionnelles indiquées par le Dr. Simard.

71        Le 21 septembre 2013, le médecin de famille recommande une nouvelle évaluation par le Dr Simard « […] pour statuer sur sa condition et ses restrictions temporaires ou permanentes ».

72        Par ailleurs, à la même époque, les services des ressources humaines de l’employeur tentent d’aider la fonctionnaire à trouver un autre poste. L’employeur a notamment déposé en preuve plusieurs courriels qui témoignent des efforts de M. Jacques pour trouver un poste pour la fonctionnaire, notamment en assurant le suivi pour qu’elle refasse son c.v., en communiquant avec ses collègues pour savoir si un poste est disponible, en encourageant la fonctionnaire à faire des demandes et en lui envoyant des liens à cet égard. Entre-temps, la fonctionnaire continue de travailler comme aide volante.

73        En juillet 2014, l’employeur écrit au médecin de famille de la fonctionnaire pour qu’il valide les limitations imposées par le Dr Simard. Une nouvelle évaluation par celui-ci est prévue pour août 2014. Le 2 septembre 2014, le médecin de famille répond de la façon suivante aux questions de l’employeur, en tenant compte des nouvelles conclusions du Dr Simard :

Question 1 : Mme Lavoie est-elle apte à effectuer à plein temps les tâches du poste dont elle est titulaire soit assistante dentaire, telles que décrites dans sa description de travail ci-jointe.

[Réponse] En accord avec les conclusions du Dr Simard.

Mme est apte à effectuer à plein temps les tâches de son poste comme assistante dentaire.

Retour au travail de façon progressive comme assistante dentaire à 2 jours espacés 1 semaine x 2 semaines à augmenter de 1 jour/semaine x 2 semaines, couplé avec son travail connexe (radiographies, secrétariat, etc.) les autres jours.

Question 2 : Si Mme Lavoie présente des restrictions fonctionnelles, veuillez svp, en indiquer la nature.

[Réponse] En accord avec les conclusions du Dr Simard.

Mme ne doit pas tenter d’augmenter son rythme de travail au détriment de la qualité du service.

Elle a de la difficulté à gérer la pression et les critiques.

Elle a des difficultés à exécuter des tâches variées et complexes qui demandent un haut niveau de raisonnement.

Question 3 : Si Mme Lavoie présente des restrictions, celles-ci sont-elles temporaires ou permanentes? Advenant le cas de restrictions temporaires, dans combien des temps Mme Lavoie sera-t-elle apte à effectuer les tâches de son poste sans restrictions?

[Réponse] : En accord avec les conclusions du Dr Simard.

Les restrictions sont permanentes, quoique des progrès puissent être envisageables avec un ajustement de la médication.

Actuellement [dosage]. Le dosage de la médication sera à réévaluer selon l’évolution.

74        Les restrictions précisées à la question 2 reproduisent exactement les recommandations du Dr Simard dans son deuxième rapport, daté du 15 août 2014.

G. Lieutenant-colonel Alain Ouellet

75        Le lieutenant-colonel Ouellet a été commandant du détachement dentaire de la base de Valcartier d’août 2013 à juillet 2016. Il décrit à l’audience le cadre des soins donnés dans les cliniques dentaires des Forces armées canadiennes. Il explique la responsabilité des Forces armées canadiennes en ce qui concerne la santé dentaire des soldats déployés à l’étranger. Parce qu’il s’agit de fonds publics, il est important d’utiliser les ressources allouées de la façon la plus efficiente possible.

76        Le lieutenant-colonel Ouellet était au courant des difficultés de la fonctionnaire lorsqu’il était à la clinique de la base de Valcartier comme dentiste, de 2009 à 2011. Lorsqu’il est revenu à la base de Valcartier en 2013, il a été informé qu’en février 2013, une recommandation de licenciement de la fonctionnaire pour rendement insuffisant avait été émise. La démarche a été interrompue et, de l’automne 2013 au printemps 2014, on a tenté d’aider la fonctionnaire à trouver un autre emploi. Par ailleurs, elle continuait de travailler à la clinique comme aide volante, offrant un service d’appui aux autres assistantes dentaires.

77        Le lieutenant-colonel Ouellet a témoigné au sujet de l’incertitude qui entourait le cas de la fonctionnaire. En septembre 2012 un billet de médecin recommandait le retour au travail de la fonctionnaire sans restrictions, mais la réintégration de cette dernière à la chaise a échoué. L’employeur cherchait donc à déterminer quelles étaient les limitations, et si celles-ci étaient temporaires ou permanentes.

78        À l’audience, le lieutenant-colonel Ouellet a passé en revue un document daté du 2 décembre 2014, qu’il a préparé pour le dossier de la fonctionnaire. Dans ce document, il fait une analyse détaillée du travail de l’assistante dentaire au regard des mesures d’accommodement demandées par le médecin de famille et le neuropsychologue. Il tient également compte des demandes d’accommodement que la fonctionnaire lui a fait parvenir le 14 septembre 2014.

79        Dans ses demandes, la fonctionnaire reprend les recommandations du neuropsychologue et du médecin, et précise comment elle voudrait que ces recommandations soient mises en œuvre. Les demandes de la fonctionnaire sont les suivantes :

  1. Ne doit pas tenter d’augmenter son rythme de travail au détriment de la qualité du service.
    • Reprendre progressivement le système de phase 1 en ayant un appui pour finaliser le dossier et ne pas avoir un évaluation de mes premières phase 1.
    • Retour graduelle à mes taches d’assistante dentaire afin de ne pas avoir l’impression d’être prise en faute à la moindre action posée.
    • Ne pas faire une évaluation sévère pour les premières semaines juste l’asepsie pour ne pas mettre de la pression.
  2. Difficulté à gérer la pression
    • Il me faut du temps pour retrouver une technique de travaille pour être efficace
    • Ne pas comparer avec d’autres assistantes le temps pour nettoyer ma salle les premières fois
    • Ne pas m’évaluer avec des stagiaires
    • Ne pas m’évaluer à la moindre erreur (seulement si je mets la vie en danger du patient)
  3. Difficulté à gérer les critiques
    • Il serait bon d’avoir une évaluation juste et équitable adapte à ma situation
    • Tenir compte que ça prend un temps raisonnable d’adaptation pour être à l’aise avec un dentiste donc en tenir compte avant de m’évaluer.
    • Sur l’ordinateur si je suis plus lente c’est normal au début je dois y aller graduellement
  4. Difficultés à exécuter des tâches variées et complexes qui demandent un haut niveau de raisonnement.
    • Recevoir une petite formation quand il y a une nouveau programme car si il y a beaucoup de donnée je crois que je ne peux apprendre ça d’une seule fois. Et aussi ne pas avoir une évaluation de ceci la première fois.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

80        Le document du lieutenant-colonel Ouellet débute avec une description du travail de l’assistante dentaire, avec l’attribution d’un pourcentage de temps consacré à chaque tâche, comme suit :

  • Travail à la chaise : 77,5%
  • Service de dentisterie préventive (traitements) : 0,5%
  • Radiographies : 6%
  • Procédures de laboratoire : 4%
  • Entretien du matériel dentaire : 9%
  • Roulement d’inventaire : 1%
  • Administration des dossiers : 2%

81        L’analyse se poursuit uniquement en fonction du travail à la chaise, puisqu’il constitue, selon le lieutenant-colonel Ouellet, plus de 75 % des tâches d’une assistante dentaire. Il établit dans son analyse que les restrictions imposées par le médecin de famille et le neuropsychologue, ainsi que les demandes d’accommodement qui en découlent, sont incompatibles avec les exigences du travail.

82        En ce qui concerne la première limitation, il mentionne les facteurs suivants : le rythme de travail est rapide, l’assistante dentaire doit avoir d’excellentes habiletés informatiques, elle doit être en mesure de s’adapter rapidement à diverses situations et de suivre le rythme du dentiste. Il n’est pas possible de respecter la première limitation (ne pas augmenter le rythme de travail au détriment de la qualité), parce qu’aucune solution pratique ne s’offre pour ralentir le rythme de travail de la clinique.

83        Pour la seconde limitation, qui tient de la difficulté à gérer la pression, le lieutenant-colonel Ouellet note que « la pression fait partie intégrante du travail d’assistante dentaire ». L’assistante doit prévoir et être prête à réagir rapidement, elle doit composer avec les urgences, l’état psychologique des patients et la multiplicité des tâches. L’employeur ne peut pas alléger cette pression.

84        La troisième limitation concerne la difficulté à gérer les critiques. Dans son analyse, le lieutenant-colonel Ouellet souligne que le dentiste doit en tout temps assurer la santé et la sécurité de ses patients. Si une erreur est commise, il doit la relever immédiatement. Aucune mesure d’accommodement ne peut être envisagée à cet égard.

85        Finalement, la quatrième limitation a trait à la difficulté pour la fonctionnaire d’exécuter des tâches variées qui demandent un haut niveau de raisonnement. Le lieutenant-colonel Ouellet signale dans son rapport que la clinique dentaire de la base de Valcartier offre toute une gamme de soins très variés et spécialisés. Les assistantes dentaires doivent donc être en mesure de prévoir et de fournir une assistance pour toutes sortes d’interventions. On dépend justement d’elles pour exécuter des tâches variées et pour faire preuve d’une bonne capacité de raisonnement. Encore une fois, aucune mesure d’adaptation n’est envisageable.

86        Le lieutenant-colonel Ouellet témoigne qu’il a également envisagé, puis écarté, la solution de garder la fonctionnaire dans un rôle d’assistante flottante, c’est-à-dire comme aide générale dans la clinique, sans dentiste attitré. Un tel rôle, selon lui, ne fait pas partie des postes de la clinique. L’assistante dentaire doit être en mesure de travailler à la chaise, car c’est son rôle principal. Elle doit également assumer la responsabilité des autres tâches connexes. En attribuant ces tâches à la fonctionnaire, on paie deux fois pour le même service : les autres assistantes dentaires ne remplissent pas pleinement leur rôle, et on crée un rôle parallèle mais non nécessaire pour la fonctionnaire.

87        La conclusion du rapport est la suivante :

Après étude et analyse des limitations fonctionnelles permanentes de Mme Lavoie et de ses tâches d’assistante dentaire à la chaise (77.5% de ses tâches), nous en venons à la conclusion qu’aucune mesure d’accommodation ne peut être mise en place sans compromettre la santé et la sécurité des patients du Détachement dentaire de Valcartier. Ainsi, nous estimons qu’il est impossible d’accommoder Mme Lavoie dans ses tâches à la chaise parce que les caractéristiques et la nature même de ces tâches sont incompatibles avec les limitations permanentes identifiées chez Mme Lavoie. Conséquemment, accommoder Mme Lavoie dans ses tâches principales constituerait une contrainte excessive pour l’organisation.

88        Le lieutenant-colonel a résumé sa position à l’audience en disant que les limitations fonctionnelles permanentes de la fonctionnaire ne cadraient pas avec la réalité du travail d’une assistante dentaire. Depuis son arrivée en 2008, la fonctionnaire n’a jamais réussi à s’adapter au rythme de travail de la clinique dentaire de la base de Valcartier. Les contraintes du travail ne dépendaient pas de la volonté de l’employeur, mais bien du travail lui-même, dicté par des réalités opératoires, chirurgicales et sanitaires. Il a conclu qu’il n’était pas possible d’accommoder la fonctionnaire sans compromettre la santé et la sécurité des patients.

89        En janvier 2015, après avoir reçu le rapport du lieutenant-colonel Ouellet, la fonctionnaire a demandé une nouvelle évaluation pour son travail à la chaise. Dans un courriel daté du 31 mars 2015, le lieutenant-colonel a refusé cette demande, parce qu’il n’y avait aucune nouvelle information médicale qui modifiait les limitations fonctionnelles identifiées par le médecin en septembre 2014, de sorte que les conclusions du rapport demeuraient inchangées.

90        Le 28 avril 2015, le médecin de famille envoie une lettre qui indique, d’une part, que la fonctionnaire est « apte à effectuer à plein temps les tâches de son poste comme assistante dentaire, incluant ses fonctions à la chaise […] » et, d’autre part, que « [l]es restrictions fonctionnelles sont identiques à celles déjà émises par le neuropsychologue ».

91        Dans une lettre datée du 30 avril 2015, adressée à la fonctionnaire, le lieutenant-colonel Ouellet indique que la lettre du médecin ne change rien à son analyse. Il aborde aussi de front l’idée de tâches alternatives comme mesure d’accommodement. Il écrit que le fait pour la fonctionnaire d’accomplir les tâches connexes des hygiénistes ou assistantes n’ajoute rien à la productivité de la clinique. Cela ne permet pas de traiter un plus grand nombre de patients. Par conséquent, il écrit que « [m]a chaîne de commandement ne serait pas justifiée de donner l’autorisation de créer un tel poste puisque celui-ci serait non productif pour l’organisation ». Il indique à la fonctionnaire qu’il recommandera le licenciement pour incapacité médicale.

92        Le 26 mai 2015, le lieutenant-colonel Ouellet a donc recommandé au colonel Lemon et au brigadier-général Bernier (chef des services médicaux pour l’armée, titulaire de la délégation nécessaire pour un licenciement au ministère de la Défense nationale) le licenciement de la fonctionnaire pour incapacité médicale.

H. Colonel Lemon

93        En 2011, le colonel Lemon a été nommé dentiste en chef des Forces armées canadiennes. Le 26 mai 2015, le lieutenant-colonel Ouellet lui a adressé la recommandation de licenciement de la fonctionnaire. Le colonel Lemon a lu la recommandation et le rapport, a demandé conseil au service des ressources humaines et en a discuté avec lieutenant-colonel Ouellet. Au bout du compte, il était d’accord avec la recommandation, et il a expliqué pourquoi à l’audience.

94        L’unité dentaire qu’il commande est responsable de l’hygiène et des soins dentaires pour tous les militaires. Il faut assurer des soins de première qualité. La responsabilité est déléguée aux différents détachements, dont celui de Valcartier. Le colonel Lemon connaît le lieutenant-colonel Ouellet depuis vingt ans et il lui fait confiance. Il a constaté que l’analyse de la situation était exhaustive et complète. Toutes les possibilités d’accommodement ont été envisagées, mais finalement, le plus important est d’assurer la sécurité des patients. Par ailleurs, malgré des recherches, aucun autre emploi n’a été trouvé pour la fonctionnaire. Il a donc recommandé au brigadier-général de la licencier.

I. La fonctionnaire

95        La fonctionnaire a d’abord fait son cours d’auxiliaire infirmière, puis son cours d’assistante dentaire, de 1984 à 1986. À partir de 1987, elle a travaillé chez des dentistes généralistes, avec qui elle effectuait les diverses tâches d’une assistante dentaire. En 2008, elle a obtenu un poste à la base militaire de Valcartier. Pour obtenir ce poste, elle a dû réussir plusieurs tests.

96        La fonctionnaire a reconnu avoir fait quelques erreurs, mais, selon elle, toutes les assistantes en font de temps en temps. Elle a été soumise à un régime stressant d’évaluation constante, ce qui a accru son anxiété et, par conséquent, les erreurs commises.

97        Elle a eu beaucoup de difficultés avec la coordonnatrice de la clinique qui a précédé Mme Binette. Cette coordonnatrice, selon la fonctionnaire, était toujours fâchée et critiquait tout ce qu’elle faisait.

98        En février 2012, elle a dû prendre un congé parce qu’elle se sentait harcelée et qu’elle n’arrivait plus à dormir. Elle est revenue au travail en mars 2012, avec un billet de médecin qui recommandait un retour au travail progressif, c’est-à-dire du travail administratif à raison de trois jours par semaine au début, pour ensuite augmenter progressivement.

99        En avril 2012, la fonctionnaire a été évaluée par le neuropsychologue, qui a diagnostiqué un déficit de l’attention. Elle a compris les recommandations du neuropsychologue comme signifiant que l’employeur devait exercer moins de pression à son égard et cesser de surveiller ses moindres gestes pour y déceler des erreurs. Le neuropsychologue lui aurait expliqué que l’augmentation du stress amplifie les problèmes liés au déficit de l’attention.

100        Dans son rapport, le neuropsychologue a parlé d’un suivi pharmacologique. La fonctionnaire a expliqué qu’à ce moment-là, elle n’était pas prête à prendre un médicament pour régler son problème et qu’elle préférait laisser passer l’été en prenant des remèdes naturels. Elle était inquiète des effets secondaires. Elle a parlé du médicament avec le médecin de famille, qui l’a rassurée en lui disant qu’il avait eu un trouble semblable et que le médicament l’avait aidé.

101        La fonctionnaire a été un peu vague en ce qui concerne les deux notes consécutives du médecin, datées respectivement des 19 et 20 septembre 2012. La première parle de travail avec restrictions. La seconde, d’un retour au travail régulier sans restrictions. La fonctionnaire a dit à l’audience que le médecin avait oublié de parler de médication dans sa note du 19 septembre, alors qu’il en a parlé dans sa note du 20 septembre. Elle ne savait pas pourquoi, d’un jour à l’autre, il était passé de « avec restrictions » à « sans restrictions ».

102        Lorsqu’elle a commencé à travailler avec le capitaine Fournier, les choses allaient bien. Cependant, elle était un peu nerveuse du fait qu’il a commencé tout de suite à l’évaluer, alors que selon elle, il faut environ un mois pour qu’une assistante dentaire apprenne à bien travailler avec un dentiste.

103        Elle n’a pas contredit le témoignage et les rapports du capitaine Fournier, mais elle a donné des explications de son comportement. Par exemple, pour expliquer avoir tendu une fraise qui malgré sa stérilisation n’était pas propre, elle a dit que la fraise était dans le sac fermé post-stérilisation. Elle n’a pas vu que la fraise n’était pas propre, et on ne lui a pas montré. En ce qui concerne sa lenteur à entrer les données informatiques, elle a mentionné qu’elle n’avait pas pratiqué depuis plusieurs mois. Pour ce qui est de demander au capitaine Fournier de répéter les informations pour entrer le plan de traitement, elle a souligné qu’il y avait beaucoup de chiffres, et que d’autres assistantes dentaires le faisaient aussi.

104        Elle a admis avoir présenté la radiographie d’un autre patient au dentiste. En ce qui concerne la digue dentaire, selon elle, elle la plaçait correctement, mais en utilisant d’autres crampons que ceux auxquels le capitaine Fournier était habitué. Elle a expliqué l’erreur de la seringue comme un défaut de communication.

105        L’évaluation par le capitaine Fournier la stressait énormément. Elle avait l’impression que chaque erreur était amplifiée, ce qui augmentait son stress, et ses erreurs.

106        Elle dit à l’audience avoir été « vraiment surprise » lorsqu’elle a reçu la lettre en février 2013 qui recommandait son licenciement pour rendement insuffisant. Le problème, selon elle, était dû au fait que ses restrictions n’avaient pas été respectées. Les évaluations n’étaient pas adaptées à sa condition. C’est pour cette raison qu’elle a déposé son premier grief en mars 2013.

107        L’aide de l’employeur pour trouver un autre poste à la fonctionnaire n’a pas été entièrement positive. La fonctionnaire a donné comme exemple un courriel daté du 22 décembre 2014, qu’une conseillère en relations de travail a envoyé à divers correspondants (personnes en ressources humaines sur diverses bases militaires) pour faire part de la disponibilité de la fonctionnaire. La teneur du courriel est la suivante :

Il y a près d’un an [15 janvier et 14 mars 2014], David [Jacques] vous a fait parvenir le CV d’une employée (HS-PHS-06) qui n’est plus en mesure d’effectuer les tâches de son poste d’assistante dentaire (voir les courriels ci-bas). David cherchait alors un poste de soutien administratif pour cette employée à Valcartier ou Québec. L’employée est d’ailleurs affectée à des tâches administratives à la clinique dentaire depuis près de deux ans compte tenu de son incapacité à accomplir son travail en dentisterie. Dans les derniers mois, cette employée a fait l’objet d’une évaluation médicale et des limitations fonctionnelles permanentes ont été émises, limitations qui sont fort probablement à l’origine de son incapacité à accomplir ses tâches d’assistante dentaire. Comme ses limitations sont permanentes aucun retour n’est possible pour l’employée dans son poste d’attache.

Vous trouverez ci-bas les limitations fonctionnelles de l’employée. Si vous avez un poste disponible de soutien administratif (même s’il s’agit d’un poste de niveau d’entrée et donc inférieur au poste d’attache de l’employée) n’hésitez pas à nous faire signe, David ou moi. C’est une employée qui a de bonnes relations interpersonnelles, beaucoup de volonté et qui performe bien dans des tâches simples et routinières.

Relativement à son CV, l’employée a indiqué dans son profil avoir une bonne capacité à travailler dans un environnement informatisé. J’aimerais toutefois apporter un bémol à cette déclaration puisque selon les commentaires et l’évaluation de la gestion, un environnement informatisé peut poser des défis à l’employée.

Limitations :

  1. Ne doit pas tenter d’augmenter son rythme de travail au détriment de la qualité du service.
  2. Difficulté à gérer la pression
  3. Difficulté à gérer les critiques
  4. Difficultés à exécuter des tâches variées et complexes qui demandent un haut niveau de raisonnement.

Merci!

108        À l’audience, la fonctionnaire a commenté qu’un tel message ne lui était pas favorable, et n’encouragerait personne à l’embaucher. Dans son témoignage, M. Jacques a parlé de ce courriel et a dit que les ressources humaines avaient l’obligation d’être honnêtes lorsqu’ils cherchaient à placer un employé.

109        La fonctionnaire a dit qu’elle n’avait pas de problèmes informatiques, puisqu’elle avait entré des données pour les examens de phase 1, et qu’elle était capable d’apprendre.

110        La fonctionnaire a témoigné qu’elle était capable de travailler avec un dentiste, mais qu’il fallait lui donner le temps de s’acclimater. Par conséquent, elle ne devait pas être évaluée dès le départ. La pression du métier, pour elle, ne vient pas des patients ou de l’instrumentation, mais bien du stress de s’habituer à un nouveau dentiste, ce qui prend au moins un mois. Elle dit être capable de suivre le rythme de la clinique et du dentiste, et de répondre aux urgences médicales qui, selon elle, arrivent fréquemment.

111        Pour ce qui est de recevoir des critiques, elle a dit qu’il faudrait que les critiques soient d’abord positives, ce qui aide à ensuite accepter des critiques pour s’améliorer. Elle trouvait difficile de gérer les critiques, parce que celles-ci étaient toujours négatives. Elle avait aussi de la difficulté à être évaluée sur des procédures qu’elle ne connaissait pas et qu’elle devait apprendre.

112        Elle ne trouvait pas réaliste le chiffre donné par le lieutenant-capitaine Ouellet quant au pourcentage de temps consacré par l’assistante dentaire à la chaise. En contre-interrogatoire, elle a indiqué que ce chiffre devrait être 60 %, chiffre qu’elle a calculé en tenant compte des deux après-midi où les dentistes militaires s’entraînent, de sorte que leurs assistantes dentaires ne sont pas à la chaise. Les radiographies selon elle demandent plus de temps, 12 % plutôt que 6 %.

113        Après son licenciement, elle a travaillé comme assistante dentaire pendant un an à Québec, dans une clinique de spécialiste. Le travail était complexe, mais elle l’a beaucoup aimé et tout allait bien. Malheureusement, le salaire n’était pas intéressant et il n’y avait pas d’avantages sociaux. Cette expérience lui a quand même permis de reprendre confiance, de retrouver l’assistante dentaire qu’elle avait été avant de travailler à la base de Valcartier. Par la suite, elle a travaillé à temps partiel comme assistante dentaire.

114        La fonctionnaire termine maintenant une formation comme éducatrice.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

115        La fonctionnaire a été licenciée pour incapacité médicale. L’analyse soignée menée par le lieutenant-colonel Ouellet montre bien que les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire ne sont pas compatibles avec son poste d’assistante dentaire dans une clinique dentaire militaire, où le travail est particulièrement exigeant.

116         L’employeur renvoie à la décision Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44, pour souligner que le contexte du milieu de travail est important pour évaluer l’obligation d’accommodement de l’employeur. Il renvoie également en ce sens à l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 pour dire que l’employeur n’a pas à modifier les éléments fondamentaux de l’emploi.

117        L’employeur passe en revue la preuve entendue. La major Kisway a travaillé avec la fonctionnaire pendant 5 mois, et sa conclusion était que la fonctionnaire n’était pas apte à travailler à la chaise en raison des erreurs qu’elle commettait. Après une période de congé, la fonctionnaire est revenue graduellement au travail et des tâches administratives lui ont été attribuées, selon les recommandations de son médecin. L’employeur a fait faire une évaluation neuropsychologique de la fonctionnaire par le Dr Simard, qui a conclu qu’elle souffrait d’un déficit de l’attention qui peut être soigné, et que certaines restrictions devaient être mises en place.

118        En septembre 2012, l’employeur a reçu du médecin traitant une note permettant le retour au travail sans restrictions. Mme Binette a créé un plan de rendement pour encadrer le travail de la fonctionnaire, vu ses difficultés passées. La fonctionnaire s’est dite prête à retourner au travail à la chaise. Mme Binette a attendu un mois avant de réintégrer la fonctionnaire au travail à la chaise, pour laisser le temps aux médicaments de faire effet. On a demandé au capitaine Fournier de travailler avec la fonctionnaire; on comptait sur sa personnalité calme et sur le fait qu’il n’avait jamais travaillé avec elle.

119        Les rapports du capitaine Fournier font état de difficultés au travail, d’erreurs et de lenteur à apprendre de nouvelles techniques ou à se conformer aux techniques du dentiste. L’employeur en arrive à la conclusion qu’on doit licencier la fonctionnaire. Toutefois, il se ravise quand il reçoit le billet médical remis le 30 avril 2013 dans le cadre de l’audition des griefs de la fonctionnaire (contre le défaut d’accommodement et la recommandation de licenciement). Dans ce billet, contrairement à ce qu’il avait écrit le 20 septembre 2012, le médecin de famille indique qu’il faut respecter les restrictions fonctionnelles recommandées par le Dr. Simard.

120        L’employeur demande une évaluation à Santé Canada, qui répond que le problème est d’ordre administratif, ayant trait au rendement de la fonctionnaire. Le médecin de famille recommande une nouvelle évaluation neuropsychologique, qui donne lieu au rapport daté du 15 août 2014.

121        Entre-temps, la fonctionnaire travaille à la clinique comme aide volante aux assistantes dentaires, et reçoit son plein salaire. Elle réalise plusieurs de leurs tâches, sans travailler à la chaise. Le service des ressources humaines (RH) tente d’aider la fonctionnaire à refaire son cv et à postuler à d’autres postes dans la fonction publique.

122        En septembre 2014, le médecin confirme les restrictions qui doivent être en place pour la fonctionnaire. Le lieutenant-colonel Ouellet fait une analyse exhaustive du travail d’assistante dentaire en fonction des restrictions recommandées, et conclut qu’il est impossible de continuer à employer la fonctionnaire comme assistante dentaire à la base de Valcartier.

123        Malgré l’affirmation du médecin de famille que la fonctionnaire est « […] apte à effectuer à plein temps les tâches de son poste comme assistante dentaire, incluant ses fonctions à la chaise […] », le lieutenant-colonel Ouellet recommande le licenciement, qui se fait le 24 juin 2015.

124        L’employeur reconnaît que la fonctionnaire a établi une condition médicale qui nécessite des mesures d’accommodement. La question en litige, selon l’employeur, consiste à déterminer s’il a rempli ses obligations d’accommodement.

125        L’employeur a pris des mesures pour accommoder la fonctionnaire lorsqu’elle est revenue au travail en mars 2012, en se conformant aux directives du médecin (retour progressif, travail de bureau, ajout graduel d’autres tâches). Il a fait des efforts pour la réintégrer dans toutes ses tâches en octobre 2012, encore une fois, à la suite de la recommandation du médecin.

126        L’employeur n’a pas procédé au licenciement envisagé en février 2013, suite à la réception de la note médicale en avril 2013. Il attend la nouvelle expertise du neuropsychologue, puis les réponses du médecin, reçues en septembre 2014. Le lieutenant-colonel Ouellet procède alors à une analyse exhaustive du poste de la fonctionnaire en regard des restrictions qui continuent de s’appliquer. La conclusion est que l’accommodement dans ce poste n’est pas possible. La recherche d’un autre poste n’est pas fructueuse.

127        L’employeur n’a pas l’obligation de créer un poste qui n’a aucune valeur pour lui (voir Kerr-Alich c. Conseil du Trésor (ministère du Développement social), 2007 CRTFP 33, au paragraphe 144).

B. Pour la fonctionnaire

128        La fonctionnaire soutient que l’employeur n’avait pas un motif valable pour la licencier. L’employeur n’a pas établi que la fonctionnaire ne pouvait pas remplir ses fonctions et il ne l’a pas aidée à maintenir son emploi au sein de la fonction publique fédérale.

129         Le licenciement est discriminatoire; l’employeur est tenu d’offrir des mesures d’accommodement jusqu’au seuil de la contrainte excessive. La fonctionnaire a le droit d’être réintégrée dans son poste.

130        La fonctionnaire a commencé à travailler à la clinique de la base de Valcartier en 2008. D’après elle, ses difficultés ont commencé en 2012, alors qu’elle était soumise à des évaluations hebdomadaires dans lesquelles la dentiste documentait ses erreurs. La fonctionnaire est mise en arrêt de travail par son médecin en février 2012, pour environ un mois; elle revient ensuite au travail de façon progressive, dans des tâches administratives.

131        En avril 2012, le neuropsychologue a diagnostiqué un déficit de l’attention, une condition qui ne nuit pas au travail s’il y a une prise en charge pharmacologique. En septembre 2012, le médecin de famille de la fonctionnaire a émis deux billets consécutifs, l’un indiquant qu’elle est apte à travailler avec restrictions, l’autre, sans restrictions. Malgré cette contradiction évidente, l’employeur ne demande pas d’explications.

132        La fonctionnaire est réintégrée dans ses fonctions, sans accommodement, avec une évaluation quotidienne. Les besoins de la fonctionnaire n’ont pas été pris en compte, et son retour à la chaise est un échec, au point où en février 2013, on recommande son licenciement.

133        En mars 2013, le médecin de famille réitère qu’il faut respecter les recommandations du neuropsychologue. Il convient de souligner qu’après février 2013, la fonctionnaire n’est jamais retournée au travail à la chaise. On ne lui donne jamais la chance de travailler dans le respect de ses limitations.

134        En août 2014, le neuropsychologue fait une nouvelle évaluation, et note une amélioration. Il maintient toutefois les restrictions. L’employeur ne tente pas d’offrir à la fonctionnaire la possibilité d’exercer ses fonctions en tenant compte de ses limitations fonctionnelles. Pourtant, le médecin et le neuropsychologue sont d’avis qu’elle est apte à faire ses tâches au complet, après avoir pris connaissance de sa description de travail.

135        Le 29 avril 2015, le médecin de famille confirme encore une fois que la fonctionnaire est apte à faire toutes ses tâches. Le lendemain, le lieutenant-colonel Ouellet recommande son licenciement. Il rejette complètement l’avis du médecin.

136        La fonctionnaire est d’avis que la discrimination prima facie a été établie; d’ailleurs, l’employeur ne l’a pas contesté. Les conditions énoncées dans l’arrêt de principe Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, sont réunies : la fonctionnaire fait partie d’un des groupes protégés (déficience), elle a subi des répercussions négatives dans son emploi (défaut d’accommodement et licenciement), et il est clair que la déficience est un facteur, puisque le licenciement est fondé sur l’incapacité médicale.

137        L’employeur n’a pas justifié ses actes discriminatoires. Aux termes de l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), il doit établir que sa règle de travail, soit le rendement de la fonctionnaire à la chaise, ne peut être adaptée sans contrainte excessive. Or, la fonctionnaire soutient qu’il aurait été possible d’adapter les conditions de travail, mais que l’employeur n’a pas fait les efforts nécessaires. Le licenciement est sans motif valable parce que l’employeur n’a pas établi que la fonctionnaire était incapable de faire son travail.

138        Les reproches de la major Kisway et du capitaine Fournier, qui ont travaillé avec la fonctionnaire, faisaient référence à des erreurs somme toute assez mineures. Par ailleurs, les témoins ont souligné que la fonctionnaire était excellente avec les patients, qu’elle était disposée à bien travailler et qu’elle effectuait les tâches de la clinique sans problème.

139        La fonctionnaire a renvoyé aux décisions suivantes : Kelly v. UBC (No. 3), 2012 BCHRT 32; Giroux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 102; Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 101; Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41. J’y reviendrai dans mon analyse.

140        La fonctionnaire a été privée de son droit de retourner au travail à la chaise. Aucune aide ne lui a été fournie pendant qu’elle travaillait à la chaise, malgré les recommandations du neuropsychologue. L’employeur a fait valoir qu’elle avait eu de la formation supplémentaire, sans donner d’exemple précis. L’évaluation quotidienne fournie par le capitaine Fournier était une critique constante, qui n’était d’aucune aide pour la fonctionnaire.

141        Dans l’arrêt Meiorin, on souligne l’importance (paragraphe 66) pour l’employeur de travailler avec le syndicat pour trouver des formes d’accommodement. La preuve montre que le syndicat recevait souvent une copie conforme des échanges sur la situation  de la fonctionnaire, mais aucune preuve n’a été présentée au sujet de rencontres pour discuter de possibilités d’accommodement.

142        L’employeur a posé des questions sur les restrictions recommandées, mais semble avoir mal compris comment les appliquer. Il n’y a eu aucun suivi pour voir comment les tâches à la chaise pourraient être modifiées en fonction des recommandations, comme l’illustre l’analyse du lieutenant-colonel Ouellet. En fait, celui-ci ne semble nullement avoir considéré comment le travail à la chaise pourrait être modifié pour tenir compte des restrictions de la fonctionnaire. L’employeur n’a jamais demandé d’éclaircissement pour comprendre comment le rythme de travail pourrait être modifié, ou comment évaluer la fonctionnaire sans lui imposer trop de pression. Même la major Kisway a reconnu qu’il devait être démoralisant pour la fonctionnaire de sentir qu’elle n’avait aucune marge d’erreur.

143        La fonctionnaire a fait des suggestions raisonnables qui auraient pu l’aider dans son travail, notamment qu’elle reçoive de la formation, qu’elle cesse de faire l’objet de comparaisons et qu’elle soit évaluée sur son travail à la chaise mais sans pression indue.

144        L’employeur n’a pas sérieusement envisagé d’autres options d’emploi, par exemple, maintenir le poste d’assistante volante. Il n’a pas non plus fait d’efforts sérieux pour trouver un autre emploi pour la fonctionnaire.

145        La fonctionnaire n’a pas eu droit à l’accommodement auquel elle avait droit, elle a plutôt été victime de harcèlement et d’intimidation, d’où ses griefs qui devraient être accueillis.

146        La fonctionnaire demande d’être réintégrée dans son poste. Elle demande également le remboursement du salaire et des avantages sociaux perdus depuis la date du licenciement ainsi qu’une compensation en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H-6 ; la « LCDP »).

IV. Analyse

147        La fonctionnaire a été licenciée en vertu de l’article 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, (L.R.C. (1985), ch. F-11), pour incapacité médicale. Il s’agit de déterminer si ce licenciement était justifié.

148        La fonctionnaire allègue que le licenciement n’est pas justifié au motif qu’il est discriminatoire. L’employeur doit donc établir que le licenciement n’était pas discriminatoire.

149        L’employeur a reconnu d’emblée son obligation d’accommodement, mais a fait valoir qu’il ne lui était pas possible d’accommoder la fonctionnaire sans subir une contrainte excessive.

150        Le fondement juridique d’une telle défense est bien établi. La question plus difficile est de déterminer où, exactement, se situe le seuil de la contrainte excessive.

151        L’obligation d’accommodement raisonnable naît du texte de loi qui interdit la discrimination, la LCDP. Les articles pertinents sont les suivants :

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d’emploi.

25 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

déficience Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées […], s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

152        Selon l’alinéa 226(2)(a) de la Loi, la Commission peut, pour instruire toute affaire dont elle est saisie, interpréter et appliquer la LCDP, sauf les dispositions de cette loi sur la parité salariale, même si elle entre en conflit avec une convention collective.

153        Il ne fait aucun doute qu’une discrimination prima facie est établie en l’espèce : la fonctionnaire souffre d’une déficience, soit un déficit de l’attention, et son licenciement est lié à cette déficience. L’employeur doit justifier, au sens de l’article 15 de la LCDP, que l’exécution de son travail d’assistante dentaire, tel que décrit par l’employeur, est une norme justifiée, qui ne peut être adaptée aux besoins de la fonctionnaire sans constituer une contrainte excessive.

154         La contrainte excessive est définie dans la LCDP en termes de coûts, de santé et de sécurité. L’employeur a invoqué la santé des patients et les coûts d’une rémunération non justifiée pour étayer son argument de contrainte excessive.

155        Pour ce qui est de l’argument de la santé, l’employeur soutient que les erreurs commises par la fonctionnaire pourraient mettre à risque les patients. Compte tenu de la recommandation du médecin, soit de ménager le rythme de travail et les critiques, il pourrait être difficile de composer avec les besoins de la fonctionnaire dans un milieu où prime la santé du patient.

156        Si l’employeur juge qu’il peut y avoir un risque pour la santé des patients, il peut quand même envisager des tâches qui ne mettent pas à risque les patients, telles les tâches d’appoint que la fonctionnaire a exécuté pendant près de trois ans. L’argument de l’employeur contre cette solution tourne sur les coûts et la non-productivité d’un emploi d’appoint à long terme. Les autres assistantes dentaires joignent leurs tâches à la chaise et les tâches connexes. Le fait de créer un poste d’aide volante ajoute un fardeau financier, sans valeur pour l’employeur. Par ailleurs, les efforts de l’employeur d’aider la fonctionnaire à trouver un autre poste sont restés sans succès. Il semble bien, d’après la preuve, que la fonctionnaire ne cherchait pas un poste ailleurs que dans la clinique dentaire. Elle a mis du temps à travailler son cv, et je n’ai eu aucune preuve de sa part d’une recherche active. Dans les courriels des RH, on voit des efforts de l’employeur de lui chercher une assignation pour qu’elle prenne de l’expérience ailleurs.

157        L’employeur a-t-il pour autant atteint le seuil de la contrainte excessive?

158        Le critère pour déterminer si une norme de travail est justifiée est énoncé dans les termes suivants dans l’arrêt Meiorin :

54      Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités:

  1. qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  2. qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

159        En l’espèce, la norme de travail est le travail attendu de la fonctionnaire, soit son travail comme assistante dentaire. Dans l’analyse du présent dossier, la question est de savoir s’ « il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. »

160        Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême est revenue sur cette idée d’« impossible » pour nuancer sa pensée dans les termes suivants :

[16]Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

161        La question consiste donc à déterminer l’étendue de l’obligation d’aménager le poste de travail ou les tâches de la fonctionnaire.

162        La fonctionnaire a porté à mon attention plusieurs décisions où le décideur a conclu que l’employeur n’avait pas rempli son obligation d’accommodement, parce qu’il n’avait pas suffisamment considéré les possibilités de modifier les tâches de l’employé pour lui permettre de remplir ses fonctions.

163        Il s’agissait dans l’affaire Kelly d’un médecin dans un programme de spécialisation en médecine familiale. L’université de Colombie-Britannique (UBC), responsable du programme de spécialisation en hôpital, a mis fin à l’inscription du Dr Kelly. Celui-ci avait également un diagnostic de déficit de l’attention, et se faisait suivre par un psychiatre.

164        L’UBC a déterminé qu’il n’était pas possible d’accommoder le Dr Kelly dans son programme de formation. Le Tribunal des droits de la personne de Colombie-Britannique a donné raison au Dr Kelly dans sa plainte contre l’UBC au motif que l’UBC n’avait pas déployé d’efforts suffisants pour accommoder le Dr Kelly dans sa formation de spécialisation. Le Dr Kelly avait connu certains échecs dans son programme, mais avait également réussi certains aspects. Cette réussite partielle démontrait que des efforts d’adaptation pourraient peut-être l’aider. En somme, l’UBC avait renoncé trop tôt à ses efforts d’appui à l’apprentissage.

165        Dans l’affaire Giroux, il s’agissait d’une inspectrice de douanes, avec 31 ans de service, dont le rendement avait toujours été impeccable. Elle a subi un accident de travail, et son retour au travail a été difficile. Quatre ans après le retour au travail, l’employeur a mis fin à son emploi au motif qu’elle n’était plus apte à faire les fonctions de son poste. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne lui avait jamais donné la chance de démontrer si elle était capable ou non de remplir ses fonctions, et qu’il n’avait pas écouté les avis médicaux selon lesquels elle était apte.

166        L’affaire Kirby porte sur le cas d’un chauffeur aux services correctionnels qui, après un accident, ne pouvait plus remplir toutes ses fonctions, mais qui était néanmoins apte à travailler comme chauffeur d’accompagnement. L’employeur a mis fin à l’accommodement et l’employé s’est retrouvé en arrêt de travail, sans revenu, ayant épuisé ses congés et prestations d’invalidité. L’arbitre de grief a jugé que l’employeur n’avait pas justifié son refus de maintenir M. Kirby dans le poste modifié, de sorte que l’allégation de discrimination a été jugée fondée.

167        Dans l’affaire Rogers, l’employeur a refusé de mettre en place les conditions nécessaires au retour au travail de M. Rogers, qui finalement a été licencié. L’arbitre de grief a conclu qu’il y avait eu discrimination, et que l’employeur n’avait aucunement justifié son refus de collaborer au retour au travail de M. Rogers.

168        La fonctionnaire a fait le parallèle entre ces causes et sa situation : dans chaque cas, l’employeur a omis d’adapter les tâches pour répondre aux besoins d’accommodement de l’employé. Dans l’affaire Kelly, l’UBC a supposé que les problèmes de rendement du Dr Kelly étaient insurmontables parce que liés à une condition permanente. Cependant, l’UBC n’a pas véritablement considéré les options qui auraient pu permettre au Dr Kelly de réussir. Dans l’affaire Giroux, on n’a jamais donné l’occasion à Mme Giroux de faire ses tâches, de sorte que la conclusion qu’elle ne pouvait les accomplir était hâtive et mal fondée.

169        Dans l’affaire Kirby, l’employeur n’a pas justifié pourquoi M. Kirby ne pouvait continuer à occuper un poste existant. Enfin, dans l’affaire Rogers, la discrimination était due à la mauvaise volonté de l’employeur de collaborer à la réintégration de M. Rogers dans son milieu de travail.

170        Il est évident que chaque cas est un cas d’espèce, et que le décideur applique le droit existant en fonction d’une trame factuelle particulière. Dans le cas présent, je conclus que l’employeur a sérieusement étudié la situation de la fonctionnaire, et qu’il a tenté d’envisager comment son poste ou ses tâches pourraient être aménagés pour lui permettre de demeurer à l’emploi de la clinique dentaire de la base de Valcartier.

171        Je retiens de la preuve présentée à l’audience que la fonctionnaire avait bien réussi dans ses tâches d’assistante dentaire, d’après son témoignage, avant d’arriver à la clinique dentaire de la base de Valcartier. Elle a également réussi les épreuves pour obtenir le poste. Toutefois, la preuve a établi qu’elle avait de la difficulté à suivre le rythme du travail à la chaise, comme en ont témoigné la major Kisway et le capitaine Fournier.

172        Dans son évaluation des tâches de l’assistante dentaire, le lieutenant-colonel Ouellet a calculé que le travail à la chaise représentait 77,5 % du travail; la fonctionnaire était d’avis que c’était plutôt 60 %. Selon la preuve présentée, la clinique offre des soins tous les jours, sauf le vendredi après-midi, et les dentistes militaires sont absents pour entraînement deux après-midi par semaine. Les dentistes civils ne s’absentent pas pendant ces périodes.

173        Même en calculant que l’assistante dentaire qui est appariée à un dentiste militaire n’est pas appelée à travailler à la chaise avec un autre dentiste, il reste que le travail à la chaise occupe 7 des 10 demies journées de la semaine de travail, donc environ 70 % du temps. Le lieutenant-colonel Ouellet a déclaré qu’il n’était pas réaliste pour l’employeur de ne pas employer une assistante dentaire à la chaise et de lui réserver uniquement des tâches d’appoint.

174        La position de la fonctionnaire à cet égard comporte deux volets. D’une part, elle soutient qu’elle était prête et capable de travailler à la chaise, mais qu’on ne lui en avait jamais donné l’occasion de façon raisonnable, parce que l’employeur refusait de tenir compte des limitations indiquées par le Dr Simard. D’ailleurs, son premier grief porte sur l’omission de l’employeur de lui fournir l’accommodement nécessaire pour réussir.

175        La fonctionnaire a sa part de responsabilité dans ce défaut d’accommodement. Lorsque, en septembre 2012, il est question qu’elle reprenne le travail à la chaise, elle obtient de son médecin traitant une note qui précise qu’elle est apte à faire toutes ses tâches, sans restrictions. La note est claire. Mme Binette en discute avec la fonctionnaire. Celle-ci ne demande pas qu’on respecte les limitations suggérées par le Dr. Simard, bien au contraire. Elle se dit capable d’effectuer les tâches à la chaise. Par mesure de précaution, Mme Binette ne la réintègre pas au travail à la chaise dès septembre. Elle attend au 22 octobre, pour s’assurer que les médicaments de la fonctionnaire fassent effet, contrairement à ce que la fonctionnaire a dit au Dr Simard lorsqu’elle le revoit en 2014.

176        D’autre part, la fonctionnaire soutient qu’elle aurait pu continuer dans ses tâches comme assistante volante. Pendant plus de deux ans, de mars à septembre 2012 et de février 2013 à juin 2015, l’employeur a offert un accommodement à la fonctionnaire, en attendant une évaluation médicale définitive. Lorsqu’il devient évident que  la fonctionnaire ne sera pas en mesure de remplir toutes ses tâches à la chaise, à moins de mettre en œuvre les recommandations du Dr. Simard, l’employeur met fin à son emploi.

177        Quelle était l’obligation de l’employeur? D’après la jurisprudence, l’employeur doit permettre à l’employé de travailler, en faisant les ajustements nécessaires, et ce, jusqu’au seuil de la contrainte excessive. Comme le dit la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec, l’employeur est en droit d’attendre une prestation de travail qui ne constituera pas une entrave à la bonne marche de son entreprise :

[18][…] Lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de convenir de mesures d’accommodement avec l’employé aux prises avec une telle maladie, mais que ce dernier demeure néanmoins incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’employeur aura satisfait à son obligation. Dans ces circonstances, l’impact causé par la norme est légitime et le congédiement sera réputé non discriminatoire. Je reprends à mon compte l’énoncé de la juge Thibault dans l’arrêt que cite la Cour d’appel, Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), [2005] R.J.Q. 944, 2005 QCCA 311, « [dans ces cas] ce n’est pas tant son handicap qui fonde la mesure de congédiement que son incapacité de remplir les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail » (par. 76).

[19]L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

[Je souligne]

178        L’employeur a fait la démonstration, dans le rapport du lieutenant-colonel Ouellet de décembre 2014, que les tâches de l’assistante dentaire à la chaise sont incompatibles avec les mesures d’accommodement que recommande le Dr Simard pour assurer le succès de la fonctionnaire au travail. Par ailleurs, le lieutenant-colonel Ouellet a déclaré qu’il n’était pas prêt à payer le salaire d’une assistante dentaire qui exécute les tâches d’appoint de ses collègues et qu’il y aurait là gaspillage des fonds publics.

179        L’employeur n’est pas tenu de créer un poste pour accommoder un employé (Kerr-Alich). En l’espèce, l’employeur ne pouvait continuer à employer la fonctionnaire comme assistante dentaire, car elle n’arrivait pas à exécuter ses tâches. L’employeur n’a pas l’obligation de composer un poste sur mesure qui ne correspond ni à ses besoins, ni à son budget.

180        Quant aux démarches de l’employeur pour l’aider à trouver un autre poste, la situation se complique du fait que la fonctionnaire était une employée spécialisée, qui ne pouvait remplir ses tâches à la satisfaction de l’employeur. Lui trouver un autre poste n’était pas évident, puisqu’elle était qualifiée pour un poste particulier, celui d’assistante dentaire. Le service de RH l’a aidée à remettre à jour son cv, a distribué des annonces et des avis pour lui chercher un poste qui pourrait convenir, mais elle avait peu de qualifications pour un autre poste. La fonctionnaire a reproché aux RH d’avoir fait part de ses limitations fonctionnelles, telles qu’énoncées par le Dr. Simard, aux autres bureaux du Ministère où elle aurait peut-être pu obtenir un emploi administratif. M. Jacques a indiqué que cette information était nécessaire, parce qu’un prochain emploi aurait à tenir compte de ses limitations. Je pense que dans leur correspondance, les RH ont fait part des qualités de la fonctionnaire, et qu’on ne peut leur reprocher d’avoir également signalé les limitations données par le médecin.

181        Par ailleurs, je n’ai vu aucun effort de la part de la fonctionnaire de trouver un autre travail au sein de la fonction publique. Elle a tardé à mettre son cv à jour, et on ne m’a pas présenté la preuve de ses propres démarches pour chercher un autre emploi. Il me semble clair, d’après la preuve et son témoignage, qu’elle voulait rester en poste comme assistante dentaire. Elle a reproché à l’employeur d’avoir relevé ses faiblesses en informatique, qu’elle semblait nier. Pourtant, après bien des années à la clinique, elle demandait encore de l’aide et de la formation pour les logiciels liés aux soins dentaires. Je conclus que pour la recherche d’un autre emploi au sein du Ministère, la recherche a été faite, mais que la spécialisation de la fonctionnaire faisait obstacle – il était difficile de lui trouver un autre poste, et elle préférait garder son poste d’assistante dentaire.

182        La Commission s’est déjà prononcée sur la nécessité pour l’employeur de chercher un emploi pour un employé dans un autre ministère que le ministère d’attache si l’employé ne peut plus y travailler (voir Hotte c. Conseil du trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2016 CRTEFP 122). Toutefois, dans le cas présent je ne crois pas que les mêmes considérations s’appliquent, encore une fois en raison du poste spécialisé qu’occupait la fonctionnaire. Par ailleurs, les faits se distinguent.

183        Dans Hotte, une employée de bureau ne pouvait revenir à son ministère d’attache car c’était la limitation prescrite par son médecin. Le ministère a fait défaut de l’aider avec son cv et de lui fournir une aide concrète pour chercher un poste dans un autre ministère, se contentant de la faire inscrire sur une liste de priorité. Elle occupait un poste d’AS-2, une classification générale dans la fonction publique. Dans le cas de la fonctionnaire, il y a eu une offre active de l’aider avec son cv. Il est vrai que la recherche s’est limitée au ministère, mais contrairement à la situation dans Hotte, ni la fonctionnaire ni son agent négociateur n’ont jamais soulevé la possibilité qu’elle travaille dans un autre ministère. Au contraire, il est clair que la fonctionnaire voulait rester dans le milieu dentaire, qui est essentiellement lié au ministère de la Défense.

184        Il ne fait pas de doute, d’après les témoignages, que la fonctionnaire était une personne pleine de bonne volonté qui contribuait de façon positive au travail de l’équipe de la clinique. Toutefois, je dois conclure que cette contribution était en-deçà de ce qu’attendait l’employeur pour la maintenir indéfiniment dans son poste. L’employeur n’a pas précipité son analyse, et durant tout le temps qu’il s’interrogeait sur l’avenir de la relation d’emploi avec la fonctionnaire, il l’a gardée dans un poste à la clinique avec son plein salaire. Il a dû toutefois se rendre à l’évidence que la fonctionnaire ne pourrait remplir ses tâches d’assistante dentaire à la satisfaction de l’employeur.

185        Le médecin de famille et le Dr Simard ont tous deux affirmé que la fonctionnaire était en mesure d’accomplir toutes ses tâches. Je préfère à cet égard le témoignage des dentistes qui ont témoigné à l’audience. On ne peut minimiser l’importance du travail de l’assistante qui seconde le dentiste. Elle doit offrir aux patients des soins de première qualité. Les erreurs mises en lumière par les dentistes qui ont supervisé la fonctionnaire ne peuvent être simplement balayées par l’employeur. C’est pour cette raison que l’analyse rigoureuse du lieutenant-colonel Ouellet est justifiée. Il n’y a pas dans ce poste la flexibilité qui pourrait avoir cours dans d’autres emplois.

186        Dans l’affaire Kirby, le poste existant de chauffeur accompagnateur n’avait pas sérieusement été considéré et analysé. Dans le cas du Dr Kelly, on n’avait pas envisagé des accommodements qui n’auraient rien changé à la qualité du travail du Dr. Kelly. En l’espèce, le poste d’aide volante n’existait pas comme tel. De plus, l’analyse du lieutenant-colonel Ouellet démontrait que les accommodements souhaités risquaient sérieusement de diminuer la qualité des soins offerts aux patients. L’employeur avait le droit d’y voir une contrainte excessive.

187        Comme le soulignait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec (paragraphe 21), la démarche d’accommodement doit être considérée dans son ensemble, et non seulement au moment du licenciement. La fonctionnaire a souligné que l’employeur avait reçu une note du médecin datée du 28 avril 2015, la déclarant apte au travail (avec restrictions), et que le lieutenant-colonel Ouellet avait signé un avis de recommandation de licenciement le 30 avril 2015. Cependant, il y avait déjà deux ans que l’employeur donnait des tâches adaptées à la fonctionnaire, en attendant de savoir si elle pourrait un jour reprendre l’ensemble de ses tâches.

188        L’analyse qu’a faite le lieutenant-colonel Ouellet, en décembre 2014, afin de déterminer s’il était possible d’accommoder indéfiniment la fonctionnaire me paraît sérieuse et rigoureuse. Il n’est pas réaliste de demander que le dentiste suive le rythme de l’assistante dentaire. Il n’est pas réaliste non plus de taire les commentaires lorsqu’une faute est commise dans le travail à la chaise, car le patient a droit aux meilleurs soins possibles.

189        Il me semble que tout le dossier démontre l’incapacité de la fonctionnaire de s’adapter au rythme et aux exigences du travail à la clinique dentaire de la base de Valcartier. L’employeur a certes une obligation d’accommodement raisonnable, et c’est ce qu’il a offert pendant tout le temps que la fonctionnaire était assistante volante. Cela dit, je ne crois pas que cette obligation soit indéfinie, ni que l’employeur ait l’obligation de créer de façon permanente un poste qui n’existe pas. La fonctionnaire a été embauchée comme assistante dentaire. Elle ne peut exécuter les tâches de ce poste sans imposer une contrainte excessive à l’employeur, en exigeant des conditions qui sont contraires à la nature même des soins dentaires, où le rythme est dicté par le professionnel qui soigne et la nature du traitement, et où les erreurs peuvent être lourdes de conséquences pour les patients. Pour cette raison, je juge que l’employeur a établi que le licenciement de la fonctionnaire ne constitue pas un acte discriminatoire.

190        Quant aux autres griefs, j’en traiterai brièvement. Le premier grief de la fonctionnaire avait trait au fait que l’employeur n’avait pas mis en œuvre les recommandations du Dr. Simard lors de son retour au travail à la chaise en octobre 2012. Or, c’est la fonctionnaire elle-même qui avait remis la deuxième note de médecin qui autorisait le retour au travail sans aucune restriction. Le médecin indiquait que le problème était désormais réglé par voie pharmacologique. On ne peut blâmer l’employeur de donner suite à la note du médecin.

191        Les autres griefs étaient soit liés à l’évaluation excessive de la fonctionnaire, soit aux recommandations de licenciement. Les premiers griefs ont donné lieu à la production d’un certificat médical en avril 2013 qui a suspendu la démarche de licenciement, alors que l’employeur considérait ses obligations d’accommodement. Somme toute, je considère que l’employeur a rempli ses devoirs d’accommodement, et qu’il a traité la fonctionnaire avec égards en maintenant son emploi jusqu’à une décision définitive. Je considère donc les autres griefs comme étant sans objet.

V. Conclusion

192        Le seuil de la contrainte excessive est atteint quand les mesures d’adaptation nécessaires empêchent l’employé de remplir la majeure partie de ses fonctions, et qu’il n’y a pas d’autre poste que l’employeur peut lui offrir. La fonctionnaire tenait à demeurer dans la clinique dentaire, et n’a fait aucun effort pour se placer ailleurs dans la fonction publique fédérale. L’employeur a certes une obligation d’aider à trouver l’accommodement, mais quand cet accommodement prend la forme d’un autre poste, l’employé doit au moins manifester un intérêt pour la démarche (voir, en ce sens, Kelly c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2010 CRTFP 80).

193        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

194        Les griefs sont rejetés.

Le 4 janvier 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission
 des relations de travail et de l’emploi
 dans le secteur public fédéral

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