Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé sa plainte dans laquelle elle alléguait que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite en refusant, à la suite d’une discussion informelle, d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner son cas individuel afin de lui fournir les mesures d’adaptation requises pour lui permettre de participer pleinement au processus de nomination – l’information additionnelle qu’elle avait partagée avec l’intimé au sujet de sa santé n’avait été découverte qu’après l’entrevue et l’examen - la plaignante a allégué avoir fait l’objet de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, soit la déficience – l’intimé a nié les allégations, faisant valoir que le comité de sélection avait consulté la plaignante avant l’administration du test et de l’entrevue afin de prendre des mesures d’adaptation qui satisfaisaient à ses besoins – l’intimé a indiqué qu’il n’était pas obligé de prendre en considération des éléments dont la plaignante elle-même n’était pas au courant au moment de l’entrevue – la Commission a conclu que l’intimé avait entravé à son pouvoir discrétionnaire, car il n’avait pas pris en compte le cas individuel de la plaignante – à la lumière de la nouvelle information soumise par la plaignante, l’intimé avait l’obligation de considérer cette nouvelle information pour ensuite décider si elle devait être réévaluée avec de nouvelles mesures d’adaptation – le fait de dire que l’information ne pouvait être considérée rétroactivement ne démontre pas une ouverture d’esprit de la part de l’intimé – la Commission a donc conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’évaluation de la plaignante – l’intimé avait entravé à son pouvoir discrétionnaire et il avait fait preuve de discrimination quand il a refusé de donner suite à la demande d’accommodement de la plaignante – la Commission a ordonné à l’intimé de verser à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral et de réévaluer la plaignante avec les bonnes mesures d’adaptation.

Plainte fondée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190130
  • Dossier:  EMP-2017-11097
  • Référence:  2019 CRTESPF 9

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

CHANTAL NADEAU

plaignante

et

SOUS-MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Nadeau c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social Canada


Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Sylvain Archambault
Pour l'intimé:
Pierre-Marc Champagne
Pour la Commission de la fonction publique:
Mylène Brackendridge et Louise Bard
Affaire entendue à Québec (Québec)
Les 20 et 21 juin 2018.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1          La plaignante, Chantal Nadeau, a posé sa candidature à un poste de chef d’équipe, classifié au groupe et au niveau PM-03, Services de traitement et de paiement, à Emploi et Développement social Canada (l’« intimé » ou « EDSC ») à Québec (Québec) (numéro du processus de nomination : 2015-CSD-IA-QUE-29736 le « processus de nomination en litige »).

2         Elle a été éliminée du processus de nomination au motif qu’elle ne répondait pas à la compétence « Engagement ». Pour être sélectionnée, la plaignante devait obtenir la note de passage finale de 60 % (note pondérée), pour  le test de jugement situationnel (TJS), communément appelé le Dolmen, et l’entrevue. Le résultat obtenu au Dolmen valait 40 % de la note finale et le résultat obtenu à l’entrevue valait 60 % de la note finale. La plaignante a obtenu 83 % pour le Dolmen et 40 % pour l’entrevue, ce qui équivaut à une note finale pondérée de 57 %.

3         Le 4 avril 2017, la plaignante a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13; la « LEFP »), dans laquelle elle soutient que l’intimé, le sous-ministre de EDSC, a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite en refusant de lui octroyer les mesures d’adaptation appropriées à l’étape de l’entrevue. Elle ne conteste pas les nominations des personnes nommées.  Elle allègue qu’elle a fait l’objet de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, soit la déficience. En conséquence, elle allègue qu’elle n’a pas été évaluée correctement lors de l’entrevue pour la compétence « Engagement ».

4         La plaignante soutient que le défaut d’accommodement dans le processus de nomination en litige a eu un impact sur sa carrière à EDSC. Elle a été privée de l’occasion d’être nommée pour une période indéterminée à un poste de chef d’équipe classifié PM-03 à la sécurité de la vieillesse depuis 2016. Avec ses atouts en matière de sécurité de la vieillesse, elle est convaincue qu’elle se serait qualifiée et que son nom aurait été ajouté au bassin de candidats qualifiés. Depuis le début de 2018, plusieurs postes de chef d’équipe classifié PM-03 ont été dotés à partir du bassin créé dans le cadre du processus de nomination 2015-CSD-IA-QUE-29736.

5         Étant donné que la plaignante a allégué avoir fait l’objet de discrimination conformément à la définition prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H­6; la « LCDP »), la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en a été informée, comme l’exige l’article 78 de la LEFP. Le 27 juin 2017, la CCDP a indiqué qu’elle n’entendait pas présenter d’arguments sur cette question.

6         L’intimé a nié les allégations. Il a fait valoir que le comité de sélection avait consulté la plaignante avant l’administration du test Dolmen et l’entrevue afin de prendre des mesures d’adaptation qui répondaient à ses besoins et que cette dernière avait consentie à toutes les mesures proposées. La « Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale » et le « Guide relatif à l’évaluation des personnes handicapées » (version HTML simplifiée), prévoient que la consultation d’un spécialiste afin de déterminer les mesures d’adaptation appropriées n’est nécessaire que lorsque le candidat ou l’employé ne sait pas quelles mesures sont nécessaires, ce qui n’était pas le cas de la plaignante.

7         La Commission de la fonction publique (CFP) a participé à l’audience et a présenté des éléments de preuve au sujet du rôle du Centre de psychologie du personnel (CPP). Elle a présenté des arguments écrits au sujet de son rôle et de ses politiques, mais n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte. 

8         Pour les motifs présentés ci-dessous, je conclus que la plainte est bien fondée. La preuve présentée permet  de conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite puisque l’intimé a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner un cas individuel avec un esprit ouvert, ce qui a mené à une pratique discriminatoire à l’égard de la plaignante.

II. Contexte

9         La plaignante travaille à EDSC, auparavant Service Canada, à la Direction des services de versement de prestations, en tant que commis classifiée au groupe et au niveau CR-04, depuis 2009. Depuis janvier 2018, elle occupe un poste intérimaire de chef d’équipe, classifié au groupe et au niveau PM-03. Il s’agit du même poste que le poste en litige, mais découlant d’un autre processus de nomination. De
2014 à avril 2016, elle a occupé un poste de chef d’équipe de niveau PM-03 par l’intermédiaire du programme de gestion des talents.

10        En ce qui concerne son avancement et développement professionnel, la plaignante a participé à plusieurs processus de nomination visant des postes de gestion et d’expertise opérationnelle. En février 2016, elle a postulé à un poste de chef d’équipe à la section de Services de traitement et de paiement, à EDSC, à Québec (« le processus de nomination en litige »). Le processus de nomination en litige avait pour but de pourvoir des postes au Centre de traitement de Québec et au Centre de traitement de la sécurité de la vieillesse de Québec, et de créer un bassin de candidats qualifiés afin de doter des postes semblables dans la région.

11        À l’automne 2016, elle a aussi participé à un processus de nomination qui avait pour but de créer un bassin de candidats qualifiés et d’offrir des postes d’avancement dans la fonction publique (le « deuxième processus »). Les candidats devaient identifier les postes pour lesquelles ils voulaient soumettre leur candidature; s’ils rencontraient les qualifications et l’expérience requises, leurs candidatures étaient retenues.

12        Le 25 novembre 2016, le comité de sélection pour le poste en litige a informé la plaignante qu’il ne donnerait pas suite à sa candidature dans le cadre du processus de nomination en litige, puisqu’elle ne répondait pas à la compétence «Engagement».

13        La plaignante a été convoquée à l’examen et à l’entrevue le 18 mai 2016. À ce moment, sa demande d’accommodement visait uniquement son trouble d’adaptation. Selon la recommandation de son médecin en date du 13 mai 2016, la plaignante avait seulement besoin de plus de temps pour faire l’examen écrit. Le certificat médical ne mentionnait aucune mesure d’adaptation pour l’entrevue.

14        Le 24 mai 2016, le comité de sélection pour le poste en litige a envoyé à la plaignante un courriel au sujet des mesures d’adaptation, indiquant qu’elle aurait plus de temps pour faire l’examen écrit et proposant une série de mesures additionnelles, notamment : la possibilité de faire l’examen dans une pièce à l’écart, d’écrire ses réponses dans le cahier d’examen, de prendre des pauses de 5 à 10 minutes, au besoin, et d’utiliser une règle et des crayons surligneurs. De plus, le comité de sélection lui a demandé de remplir le formulaire de demande de mesures d’adaptation intitulée « Appendice 2 Information sur les limitations fonctionnelles - associées aux troubles d’apprentissage ou au trouble de déficit de l’attention et/ou hyperactivité » (Appendice 2) et de le retourner avec sa réponse concernant les mesures d’adaptation offertes le plus rapidement possible. Selon les souvenirs de la plaignante, un formulaire de consentement de divulgation d’information médicale était joint à l’Appendice 2. Toutefois, ce document n’a pas été déposé en preuve, ce que ne conteste pas l’intimé.

15        Le 26 mai 2016, la plaignante a informé le comité de sélection que la proposition relative aux mesures d’adaptation lui convenait parfaitement. Elle a informé le comité que son congé de maladie était prolongé jusqu’au 1er juin 2016. Selon elle, les mesures d’adaptation proposées étaient valides pour le mois de juin et avaient été déterminées en fonction de l’état dans lequel elle était avant le décès de sa mère. Elle croyait être en mesure d’écrire l’examen la semaine du 6 juin 2016. Le comité de sélection n’a proposé aucune mesure d’adaptation pour l’entrevue. Au cours de cette même période, plusieurs évènements difficiles sont survenus dans sa vie personnelle. Elle a demandé à nouveau le report de son évaluation. EDSC a été compréhensif.

16        La plaignante a été en congé de maladie approuvée jusqu’à son retour progressif en octobre 2016. Le 6 octobre 2016, elle a demandé au comité de sélection d’attendre qu’elle travaille quatre jours par semaine avant de la convoquer à l’examen. Elle avait besoin de ce temps pour lui permettre de réintégrer ses fonctions. Elle craignait échouer l’examen, car elle éprouvait de la difficulté à se concentrer. La plaignante n’a pas informé l’intimé de ce problème. Le comité de sélection a accepté sa demande.

17        Le 3 novembre 2016, elle a rempli le formulaire « Appendice 3 – Formulaire de consentement à divulguer de l’information » (l’ « Appendice 3 ») dans le cadre du deuxième processus. L’Appendice 3 accordait à l’intimé la permission, dans le cadre de ce deuxième processus, de communiquer avec le médecin de la plaignante dans le but de trouver une mesure d’adaptation qui répondrait à ses limitations fonctionnelles.

18        En plus d’un trouble d’adaptation, la plaignante a indiqué qu’elle souffrait d’un problème de concentration. Elle a souligné qu’elle devait relire le même document à plusieurs reprises, le surligner et annoter le texte. Elle a ajouté qu’elle se ferait évaluer pour un trouble de dyslexie-dysorthographie. Elle a également mentionné qu’elle souffrait de dépression épisodique et qu'elle consultait une psychologue.

19        L’intimé était au courant que la plaignante avait besoin d’une pièce à l’écart pour faire l’examen ainsi que du temps additionnel pour se préparer. Il savait également qu’elle aurait besoin d’une pause de 15 minutes entre les étapes de l’évaluation. Il lui a aussi permis d’utiliser une règle et d’écrire directement sur le questionnaire.  

20        Le 8 novembre 2016, le comité de sélection pour le poste en litige a envoyé un courriel à la plaignante pour confirmer les propositions de mesures d’adaptation. Il s’agissait des mêmes mesures qu’au mois de mai et celles-ci ne visaient que le trouble d’adaptation de la plaignante. La même journée, la plaignante a répondu que les mesures d’adaptation pour l’examen écrit lui convenaient très bien. Les mesures accordées étaient fondées sur les informations fournies par la plaignante dans  l’Appendice 2.

21        Le 9 novembre 2016, afin de mettre en place les mesures d’adaptation requises pour le deuxième processus, la CFP a communiqué avec des représentants de ce comité de sélection pour obtenir le formulaire « Information recueillie auprès d’un professionnel ou d’une professionnelle de la santé pour fins d’adaptation ». Le CPP est responsable de mettre en place les mesures d’adaptation pour les examens de la CFP. La plaignante devait faire l’examen de compétence générale niveau 2 (ECG-314) et l’examen de mises en situation pour la gestion intermédiaire (MSGI-840).

22        Selon le Dr David Forster, psychologue à la CFP, lorsqu’un ministère demande à un candidat de passer un examen de la CFP dans le cadre d’un processus de nomination, il a l’obligation de consulter le CPP pour toute mesure d’adaptation. À la suite d’une revue du dossier de la plaignante, le comité de sélection pour le deuxième processus a déterminé que davantage d’information était nécessaire pour l'élaboration des mesures d’adaptation.

23        La plaignante a été convoquée à un examen et à une entrevue le 21 novembre 2016, dans le cadre du processus de nomination en litige. Le jour en question, le comité de sélection lui a accordé 50 % plus  de temps pour sa préparation à l’entrevue, soit 90 minutes au lieu de 60 minutes, suivi d’une courte pause. Comme les autres candidats, elle a ensuite eu 30 minutes pour faire sa présentation aux membres du comité de sélection, suivi d’une heure de pause pour le dîner. À la fin de l’entrevue, elle a fait l’examen en français communication écrite. La seule pause dont elle a bénéficié a eu lieu entre la fin de sa préparation et sa présentation aux membres du comité de sélection et a duré moins de 10 minutes. La plaignante n’a présenté aucune preuve qu’elle aurait demandé une pause plus longue qui lui aurait été refusée.

24        Deux membres du comité de sélection, dont Mme Manon St-Pierre, et la plaignante ont participé à l’entrevue téléphonique. La pause repos de la plaignante a été raccourcie, car  les membres du comité de sélection étaient déjà au téléphone. Par conséquent, à l’entrevue, elle n’arrivait plus à réfléchir et elle a manqué de temps. Elle a mentionné qu’il n’y avait pas d’heure dans la salle d’entrevue et qu’elle avait mentionné avant le début de l’entrevue qu’elle ne voyait pas d’horloge.

25        Selon la plaignante, Mme Marie Larocque, la personne responsable du déroulement de l’entrevue lui a dit qu’elle ne voyait pas l’importance de voir l’heure. Cependant, cette question était importante pour elle puisqu’elle ne voulait pas manquer de temps. Elle se souvient d’avoir mentionné la question de l’heure à Mme Larocque lors de sa préparation. Elle en a été complètement déstabilisée. Elle n’en a pas parlé aux membres du comité de sélection qui était au bout du téléphone, mais elle se souvient l’avoir mentionné. Elle a précisé qu’elle était mêlée et que rien ne fonctionnait pour elle. Elle revenait alors de son congé de maladie et elle avait encore de la difficulté à mettre ses idées en place.   

26        La plaignante a souligné qu’elle avait été très inconfortable lors de l’entrevue. Elle n’a pas pu dire pourquoi. Elle n’avait pas mentionné l’absence d’une horloge au comité de sélection. Elle a ajouté qu’elle ne réalisait pas que la médication pouvait avoir un effet sur sa façon de s’exprimer oralement. Elle a également mentionné qu’elle n’était pas la même personne aujourd’hui que lors de l’entrevue. Quand on souffre de dépression, on est dans le déni, ce qu’elle ne réalisait pas à l’époque. Elle était convaincue que les membres du comité de sélection avaient communiqué avec son médecin.

27        En contre-interrogatoire, la plaignante a reconnu que  la préparation et l’entrevue avaient eu lieu le matin du 21 novembre 2016, et que l’examen de communication écrite avait eu lieu en après-midi, le même jour. Elle a confirmé avoir eu une pause d’une heure pour le diner. Elle ne savait pas si les autres candidats avaient fait l’objet d’une telle mesure d’adaptation.

28        Elle était au courant que si elle souffrait d’une indisposition physique ou psychologique, avant ou après l’examen, dont la gravité pouvait nuire à son rendement, il lui incombait d’en informer Mme Larocque et qu’elle ne serait pas pénalisée. Le cas échéant, l’examen ou l’entrevue aurait été à une date ultérieure. Toutefois, si elle choisissait d’entreprendre ou de continuer l’examen en dépit de son indisposition, elle devait en accepter les résultats et les conséquences qui en découlent.

29        L’intimé a cité Mme Larocque à témoigner. Cette dernière est conseillère en matière de projets, depuis novembre 2016, et chef d’équipe des agents de service à l’intégrité. Elle est classifiée au groupe et au niveau PM-03. Elle était responsable de la supervision de l’administration et de la préparation de l’entrevue de la plaignante dans le cadre du processus de nomination en litige. Elle devait s’assurer que les directives reçues de la part du comité de sélection étaient suivies.

30        Mme Larocque ne se souvient pas précisément de ce cas. Selon ses souvenirs, elle a confirmé l’identité de la plaignante et le processus de nomination. Elle ne se souvient d’aucune demande particulière de la part de la plaignante. Elles ont discuté des demandes et des directives reçues par courriels, sans plus. Mme Larocque était au courant qu’il n’y avait pas d’horloge dans cette salle. Habituellement, lorsqu’il n’y a pas d’horloge, elle prête sa montre aux candidats qui en font la demande, ce que la plaignante n’a pas fait. Mme Larocque a dit qu’elle était habituée aux demandes de mesures d’adaptation en raison de son expérience à la CFP.

31        Au moment de l’examen et de l’entrevue pour le processus en litige, Manon St-Pierre était chef d’équipe PM-03. Elle faisait partie du comité de sélection avec Magalie Ouellette, Stéphane Mercier et Danielle Lambert. Elle a participé à la présélection et à l’élaboration des outils d’évaluation. Elle a participé à l’administration de l’examen Dolmen et de l’entrevue, à la correction de l’examen, à la vérification des références, aux discussions informelles et à l’élaboration des réponses aux questions des candidats.

32        Les deux seuls outils d’évaluation utilisés pour évaluer la compétence « Engagement » étaient l’examen Dolmen et l’entrevue. L’examen Dolmen donnait peu d’occasions au candidat de se faire valoir. L’entrevue donnait l’occasion au candidat de démontrer ses capacités de faire le travail. La pondération de 60/40 pour les deux examens avait été prévue au printemps, avant le début des examens.

33        Mme St-Pierre a eu connaissance de la plaignante en discutant avec son collègue, M. Mercier, qui s’occupait de répondre aux demandes des candidats de Québec. M. Mercier lui avait parlé des demandes d’accommodement de la plaignante ainsi que de la demande de report de l’examen en raison du congé de maladie de la plaignante. À la suite d’une discussion avec Mme Lambert, des mesures d’adaptation ont été proposées à la plaignante et l’examen a été reporté.

34          Les mesures d’adaptation proposées ont été discutées avec le comité de sélection. Les mesures offertes étaient celles qui étaient normalement offertes pour accommoder des troubles d’adaptation et correspondaient au billet médical de la plaignante. De plus, la plaignante a bénéficié de mesures additionnelles telles : l’utilisation d’un surligneur et d’une règle, ainsi que des pauses additionnelles.

35         Le 24 mai 2016, le comité de sélection a envoyé un courriel à la plaignante pour confirmer les mesures d’adaptation offertes et lui demander de remplir un formulaire à cet égard. Le formulaire demandait des précisions quant à la condition de la plaignante et les mesures d’adaptation requises.

36        À la demande de la plaignante, l’examen et l’entrevue ont été reportés jusqu’à son retour de congé de maladie en octobre 2016. Le comité de sélection a accepté d’attendre qu’elle soit de retour à une semaine de travail de quatre jours avant de fixer l’examen Dolmen et l’entrevue.

37        Selon Mme St-Pierre, le comité de sélection avait suffisamment d’information pour proposer des mesures d’adaptation. De plus, puisque la plaignante était d’accord avec les mesures proposées et qu’il ne s’agissait pas d’un examen standardisé de la CFP, ils ont pu aller de l’avant sans avoir à communiquer avec son médecin. Elle a confirmé que le formulaire comprenait un consentement au cas où il serait nécessaire d’obtenir des renseignements additionnels.  

38        L’entrevue s’est déroulée le 21 novembre 2016, par téléphone. Mme Larocque était sur place pour l’administration de l’entrevue et avait des consignes précises à suivre. Cette dernière a demandé à la plaignante de passer l’entrevue en premier pour accommoder les membres du comité qui venaient de l’extérieur de la ville.

39        Pour l’entrevue, le Comité de sélection a appliqué les mesures d’adaptation en fonction de l’Appendice 2. Le Comité de sélection posait les questions à tour de rôle et rédigeait les réponses; il ne faisait pas de suivi par rapport aux réponses données. Les candidats étaient maîtres de leurs réponses et responsables de leur temps. Le comité de sélection faisait ensuite la correction.

40        Mme St-Pierre ne se souvient pas de l’entrevue. Elle se rappelle seulement que la plaignante était nerveuse et stressée. L’entrevue consistait en une mise en situation, soit un problème en milieu de travail. Le but de la question était d’évaluer l’Engagement à titre de compétence. Les candidats devaient tenir compte du plan opérationnel et développer un plan d’action pour améliorer la situation en ressources humaines. Le comité de sélection s’attendait à ce qu’il y ait une référence à l’organigramme et aux personnes à consulter.

41        La grille d’évaluation utilisée avait été développée avec les trois personnes du comité de sélection et contenait la liste des réponses attendues. La grille était utilisée pour noter les réponses de chaque candidat. Les réponses de la plaignante comportaient certaines lacunes et étaient trop générales. Elle faisait référence à ce qui devait être fait plutôt que d’expliquer concrètement les mesures qu’elle mettrait en place. Elle a présenté de bons éléments sans toutefois les couvrir concrètement. Elle n’a pas suffisamment abordé le volet des ressources humaines ou de la consultation avec des partenaires ou intervenants, et elle n’a pas mentionné que des rencontres individuelles pourraient être requises. Il y avait plusieurs éléments positifs, mais en raison des lacunes au niveau du plan d’action et des mesures à mettre en place, elle n’a pas répondu à l’exigence relative à la compétence Engagement.

42        Le 22 novembre 2016, le comité de sélection pour le deuxième processus a envoyé un deuxième message à la plaignante pour obtenir le formulaire rempli par son médecin. Elle a répondu que son médecin avait reçu le document le 11 novembre 2016, et qu’elle espérait qu’il le remplisse cette semaine.

43        Le 25 novembre 2016, le comité de sélection pour le poste en litige a informé la plaignante qu’ils ne donneraient pas suite à sa candidature pour le poste de chef d’équipe PM-03, puisqu’elle ne répondait pas à toutes les compétences, notamment celle relative à l’Engagement. Elle a demandé une rencontre informelle avec le comité de sélection pour comprendre pourquoi elle avait échoué et comment s’améliorer pour les autres processus. Après deux demandes, une rencontre a finalement été prévue pour le 19 décembre 2016.

44        Le 29 novembre 2016, huit jours après l’entrevue pour le poste de nomination en litige, son médecin de famille a rempli le formulaire requis dans le cadre du deuxième processus. Il y a indiqué que la plaignante souffrait d’un trouble d’adaptation permanent et d’un trouble de dépression épisodique et qu’il y avait deux pathologies présentes. Le médecin a souligné que la médication affectait le rendement de la plaignante et qu’elle devait la prendre de façon constante.

45        En tenant compte de la médication, le médecin indique que le meilleur temps pour évaluer la plaignante est le matin. La médication a un impact modéré sur son rendement aux examens écrits, aux entrevues et aux évaluations interactives. Sa mémoire à court terme, son niveau d’énergie, sa capacité organisationnelle, sa vitesse de traitement de l’information et son temps de réaction sont également affectés à un niveau modéré. Ça va de soi pour sa capacité de contrôler son stress et son anxiété.

46        Dans le cadre du deuxième processus, sur la base de ces informations, les services des ressources humaines de EDSC ont envoyé deux courriels à la plaignante pour l’informer des mesures d’adaptation recommandées par la CFP et le CPP en ce qui concerne l’examen de compétence générale, niveau 2, et l’examen de mises en situation pour la gestion intermédiaire.

47        Pour les deux examens concernant le deuxième processus, le CPP a recommandé ce qui suit : l’administration de l’examen le matin dans une pièce séparée et calme, 50 % plus de temps pour compléter l’examen, de courtes pauses de 5 à 10 minutes, au besoin, ou toutes les 30 minutes, l’utilisation de surligneurs, d’une règle, d’une calculatrice et de feuilles de brouillon, et la possibilité d’écrire dans le cahier d’examen.

48        En contre-interrogatoire, la plaignante a reconnu qu’au moment de son entrevue et de son examen pour le poste de nomination en litige, le 21 novembre 2016, l’intimé n’avait pas l’information additionnelle de son médecin qui avait été fournie dans le cadre du deuxième processus. Cette information avait été fournie au comité de sélection de ce deuxième processus le 5 décembre 2016.

49        La rencontre informelle a eu lieu le 19 décembre 2016, par téléconférence. La plaignante a expliqué qu’elle revenait alors d’un congé de maladie de plusieurs mois, qu’elle venait de perdre sa mère et que, selon elle, les mesures d’adaptation n’étaient pas adéquates. Le 8 novembre 2016, elle n’était pas en mesure de confirmer que les mesures proposées par le comité étaient suffisantes. Elle se fiait au comité de sélection pour qu’ils déterminent les bonnes mesures. Ils étaient en désaccord sur ce qui s’était passé pendant l’entrevue en ce qui concerne la pause et l’heure. Elle a demandé au comité de sélection de la réévaluer et de réviser la note en tenant compte de ces nouvelles informations.  

50        À la suite de la rencontre du 19 décembre 2016, elle était troublée. Le poste de chef d’équipe PM-03 lui tenait à cœur. Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé et ne pouvait pas croire qu’elle avait échoué. Elle a occupé ce poste par intérim pendant 18 mois auparavant par l’intermédiaire du programme de gestion des talents. Elle se retrouvait prise dans son poste d’attache de commis de prestation des programmes et services classifiés CR-04, à la Direction des services de versement des prestations.

51        Le 27 février 2017, elle a envoyé un courriel au comité de sélection pour obtenir une réponse quant à sa demande de révision du 19 décembre 2016. Durant cette même période, elle a participé à d’autres processus de nomination où elle a dû remplir le formulaire de l’ « Appendice 3 – Formulaire de consentement à divulguer de l’information » (l’ « Appendice 3 »). En réponse à l’information fournie, l’expert en mesure d’adaptation du CPP à la CFP a déterminé qu’ils devaient obtenir des renseignements supplémentaires auprès de son médecin. Elle a expliqué qu’elle les avait informés du décès de sa mère et qu’elle ne souffrait pas seulement d’un trouble d’adaptation. Par manque de connaissance, elle n’avait pas évalué l’impact du décès de sa mère lorsqu’elle a rempli l’Appendice 2 dans le cadre du processus de nomination en litige.

52        Au niveau de la discussion informelle, Mme St-Pierre lui a donné des pistes pour améliorer son rendement, notamment, de parler plus au « je » et de décrire davantage les mesures qu’elle mettrait en place. La plaignante croyait qu'il suffirait de revoir son examen avec Mme St-Pierre, mais elle a finalement demandé qu’on revoie son dossier. La plaignante les a informés qu’il y avait certains éléments dont le comité de sélection n’était pas au courant et a demandé d’être réévaluée. Mme St-Pierre a consulté Manon Pellerin, conseillère aux ressources humaines.

53        Le 22 mars 2017, le comité d’évaluation lui a répondu qu’avant la rencontre informelle, ils avaient révisé son dossier afin de s’assurer que la note attribuée était juste et équitable et qu’aucune erreur n’avait été commise, par suite de quoi le comité de sélection a confirmé que la note demeurerait inchangée. Pour ce qui est des mesures d’adaptation qui lui ont été consenties au Dolmen et à l’entrevue, celles-ci avaient été approuvées par Danielle Lambert, la gestionnaire responsable du processus, et Mme Pellerin, qui avait travaillé avec le comité de sélection afin d’optimiser ses chances de réussite. Selon eux, les informations fournies par la plaignante étaient suffisamment détaillées pour leur permettre de lui proposer des mesures d’adaptation pertinentes et que la communication avec le médecin n’était pas nécessaire.

54        Le comité d’évaluation a de plus indiqué que la plaignante avait accepté leurs propositions et qu’elle avait bénéficié de mesures d’adaptation à toutes les étapes de l’évaluation. Il a précisé que les avis de médecin n’étaient requis que pour certains types d’outils d’évaluations, notamment les examens standardisés de la CFP ou lorsque des outils élaborés par des firmes externes sont utilisés. Enfin, il a informé la plaignante que les informations portées à l’attention du comité de sélection après son évaluation ne seraient pas considérées rétroactivement.

55        Selon Mme Pellerin, conseillère en ressources humaines, le comité de sélection n’était aucunement obligé de prendre en considération des éléments dont la plaignante elle-même n’était pas au courant au moment de l’entrevue. Le comité de sélection a alors décidé de maintenir la note. Mme St-Pierre a expliqué qu’il n’y avait pas de latitude pour modifier la note. Selon elle, puisqu’il ne s’agissait pas d’un examen standardisé de la CFP, il n’était pas nécessaire d’impliquer le CPP de la CFP dans le processus d’accommodement.

56        Selon la page 10 de la « Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale » et la page 4 du « Guide relatif à l’évaluation des personnes handicapées » (version HTML simplifiée), la consultation d’un spécialiste afin de déterminer les mesures d’adaptation appropriées n’est nécessaire que lorsque le candidat ou l’employé ne sait pas quelles mesures sont nécessaires, ce qui n’était pas le cas de la plaignante. Le certificat médical de la plaignante ainsi que les informations prévues dans le formulaire de l’Appendice 2 correspondaient aux mesures standards de trouble d’adaptation. Le comité de sélection n’a donc pas jugé nécessaire d’obtenir des informations additionnelles du médecin de la plaignante.

57        En contre-interrogatoire, Mme St-Pierre a indiqué que selon Mme Pellerin, conseillère en ressources humaines, il n’y avait aucune obligation, selon les politiques sur les mesures d’adaptation, de reconsidérer des informations qui n’étaient pas disponibles à la plaignante au moment de l’entrevue.

58        Selon la plaignante, l’intimé devait communiquer avec son médecin traitant pour tous les processus de nomination. Pour le poste contesté, le comité de sélection n’a pas demandé les mêmes informations que le comité de sélection pour le deuxième processus de nomination. Elle était convaincue qu’ils iraient chercher les informations pertinentes auprès de son médecin. La plaignante a cru, par erreur, que le comité de sélection pour le poste en litige communiquerait avec son médecin puisqu’elle leur en avait donné l’autorisation avec l’Appendice 2.

59        À la suite des mesures d’adaptation reçues, la candidature de la plaignante a été retenue dans le cadre du deuxième processus de nomination. La plaignante n’a pas contesté les mesures d’adaptation mises en place par l’intimé dans le cadre du deuxième processus. Au contraire, elle a souligné que les mêmes mesures auraient dû être mises en place pour le processus contesté. L’Appendice 3 autorisait l’intimé à communiquer avec son médecin. Elle croyait que l’intimé communiquerait avec son médecin dans les deux processus. En contre-interrogatoire, l’intimé lui a demandé quelle était la différence entre les mesures d’adaptation offertes dans le processus en litige et celles offertes dans le deuxième processus de nomination. Elle n’a pas pu répondre.

60        En octobre 2017, à la suite d’un examen externe, la plaignante s’est qualifiée pour un poste de chef d’équipe classifié PM-03 aux Services de versement des prestations; son nom a été ajouté à un bassin de candidats qualifiés. Puisqu’il s’agissait d’un examen d’une firme externe, la politique de la CFP exige que le CPP soit consulté pour toutes les demandes de mesures d’adaptation. EDSC a communiqué avec la CFP et le CPP dans l’élaboration des mesures d’adaptation.

61        Selon la plaignante, elle était la seule candidate qui satisfaisait à toutes les exigences en matière d’expérience de travail, y compris la supervision du personnel en matière de sécurité de la vieillesse. Les personnes nommées satisfaisaient à toutes les exigences en matière d’expérience, sauf en ce qui concerne la supervision du personnel en matière de sécurité de la vieillesse. EDSC a regroupé tous les postes de chef équipe classifiés au niveau PM-03 et a doté plusieurs postes de ce niveau à partir de ce bassin de candidats qualifiés. 

62        Le 4 avril 2017, la plaignante a déposé sa plainte contre EDSC alléguant qu’il avait refusé, à la suite de la discussion informelle, d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner son cas individuel afin de lui fournir les mesures d’adaptation requises pour lui permettre de participer pleinement au processus de nomination en litige. L’information additionnelle qu’elle a partagée avec EDSC au sujet de sa santé n’a été découverte qu’après l’entrevue et l’examen. Elle a hésité à déposer une plainte puisqu’elle craignait pour son avancement professionnel étant donné sa condition particulière.

III. Question

63        La plaignante soutient qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite en ce qui concerne l’évaluation de la compétence « Engagement ».

64        Au moment de l’entrevue, elle ne savait pas qu’elle souffrait à la fois d’un trouble d’adaptation permanent et d’un trouble de dépression épisodique, et qu’il y avait deux pathologies présentes. Elle ignorait l’impact de la médication sur son rendement aux examens écrits, aux entrevues et aux évaluations interactives. Elle ne l’a appris qu’après l’entrevue. Les mesures d’adaptation étaient inadéquates, ce qui a eu un impact direct dans l’attribution du pointage.

65        La question qui se pose est donc la suivante : l’intimé a-t-il  abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante lorsque cette dernière lui a fait part de son problème de santé qui a été découvert après que l’entrevue ait eu lieu?  

IV. Analyse

A. Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante lorsque cette dernière lui a fait part de son problème de santé qui a été découvert après que l’entrevue ait eu lieu?  

66        Afin de répondre à cette question, il faut d’abord aborder les concepts d’entrave au pouvoir discrétionnaire et de discrimination, puisqu’ils sont tous deux étroitement liés à la présente affaire.

67        L’article 77 de la LEFP précise qu’une candidate non reçue dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne annoncé peut présenter une plainte à la Commission selon laquelle elle n’a pas été nommée à un poste ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination pour un poste en raison d’un abus de pouvoir.

68        Comme il est indiqué dans Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au paragraphe 71, un abus de pouvoir peut inclure un geste, une omission ou une erreur que le législateur ne peut avoir envisagé comme faisant partie du pouvoir discrétionnaire accordé aux personnes titulaires des pouvoirs délégués de dotation.

69        L’abus de pouvoir est une question de degré. Pour en arriver à la conclusion qu’il y a eu abus de pouvoir, l’erreur ou l’omission doit être à ce point grave qu’elle ne puisse être inhérente au pouvoir discrétionnaire délégué du gestionnaire (voir, par exemple, Renaud c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26, au paragraphe 32). Ceci comprend la violation aux droits de la personne d’un ou d’une plaignante. Le plaignant doit s’acquitter de ce fardeau de la preuve qui lui incombe, selon la prépondérance des probabilités (voir Tibbs, au paragraphe 50).

Pouvoir discrétionnaire

70        Une des catégories d’abus de pouvoir énoncée dans Tibbs est la suivante : Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

71        Le concept de pouvoir discrétionnaire a été expliqué dans Bowman c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 12 :

 [123] […] On peut déterminer qu’une application stricte de la ligne directrice entrave la capacité du délégué de tenir compte des cas individuels avec un esprit ouvert.

[…]

[127]En outre, dans le contexte de la LEFP, où le recours met maintenant l’accent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les processus de nomination, un comité d’évaluation ne doit pas refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire au moyen d’une application stricte d’une ligne directrice qui entrave sa capacité d’évaluer chaque candidat avec un esprit ouvert. Lorsque le Tribunal détermine que le comité d’évaluation a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de cette façon, il peut déterminer que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir.

                   […]

72        De plus, en vertu de l’article 80 de la LEFP, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’elle analyse une plainte pour abus de pouvoir en vertu de l’article 77 de la LEFP.

73        Il n’est pas contesté que la plaignante avait des problèmes médicaux qui justifiaient la mise en place d’une mesure d’adaptation. La plaignante a allégué que l’intimé avait refusé de considérer les nouvelles informations par rapport à son état de santé au moment de l’entrevue et de l’examen de communication écrite à l’étape de la discussion informelle.

74        La discussion informelle vise principalement à permettre à un candidat de discuter des raisons du rejet de sa candidature dans le cadre d’un processus. Si, pendant cette discussion, on découvre qu’une erreur a été commise dans l’évaluation du candidat, le gestionnaire doit prendre des mesures pour corriger cette erreur. (voir Rozka. c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 46, et Poirier c. le sous-ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 3)

75        Au moment de l’entrevue et de l’examen de communication écrite, la plaignante savait qu’elle souffrait d’un trouble d’adaptation permanent. Toutefois, elle ne savait pas qu’elle souffrait également d’un trouble de dépression épisodique et qu’il y avait deux pathologies présentes. Elle l’a appris le 29 novembre 2016, huit jours après l’entrevue et l’examen de communication écrite. Elle a indiqué avoir bénéficié de mesures d’adaptation différentes dans le cadre du deuxième processus de nomination au sein de EDSC. Elle a soulevé que l’intimé était au courant de ces mesures d’adaptation. Selon elle, ces mesures étaient appropriées.

76        C’est en prenant connaissance du document rempli par son médecin, soit l’Appendice 3, à la demande de la CFP dans le cadre du deuxième processus de nomination, et du document « Information recueillie auprès d’un professionnel ou d’une professionnelle de la santé pour fins d’adaptation » qu’elle a appris que le meilleur temps pour l’évaluer était le matin et que la médication qu’elle prenait avait un impact sur sa performance aux examens écrits, aux entrevues et aux évaluations interactives de façon modérée. Sa mémoire à court terme, son niveau d’énergie, sa capacité organisationnelle, sa vitesse de traitement de l’information et son temps de réaction étaient affectés à un niveau modéré. Ça va de soi pour sa capacité de contrôler son stress et son anxiété.

77        Après avoir pris connaissance de ces impacts, la plaignante en a informé l’intimé lors de la discussion informelle. Elle ne pouvait pas demander une mesure d’adaptation pour une déficience qu’elle ne savait pas qu’elle avait.  L’intimé a refusé de prendre en compte le cas individuel de la plaignante avec un esprit ouvert. En fait, Mme St-Pierre a indiqué à l’audience que, selon l’avis des ressources humaines, le comité de sélection n’était aucunement obligé de prendre en considération des éléments dont la plaignante elle-même n’était pas au courant au moment de l’entrevue.

78        Bien que l’intimé ait fourni une mesure d’adaptation pour le trouble d’adaptation de la plaignante, cette dernière souffrait de dépression épisodique et la médication qu’elle prenait au moment de l’entrevue avait un impact modéré sur sa performance. Comme la plaignante n’était pas au courant de cet impact, elle n’a pas pu demander une mesure d’adaptation. De plus, il semble y avoir eu un manque de communication puisque la plaignante pensait que l’intimé avait communiqué avec son médecin pour discuter des mesures d’adaptation requises, ce qui n’a pas été fait. Ainsi, elle  a accepté les mesures proposées en pensant qu’elles avaient été recommandées par son médecin.

79        En l’espèce, je suis d’avis que l’intimé a entravé à son pouvoir discrétionnaire, car il n’a pas pris en compte le cas individuel de la plaignante. Il a tout simplement adopté une approche stricte en énonçant que les informations portées à l’attention du comité de sélection après son évaluation ne pouvaient être considérées rétroactivement. Cependant, à la lumière de la nouvelle information soumise par la plaignante, l’intimé avait l’obligation de considérer cette nouvelle information pour ensuite décider si la plaignante devrait être réévaluée avec de nouvelles mesures d’adaptation. Le fait de dire que l’information ne pouvait être considérée rétroactivement ne démontre pas une ouverture d’esprit de la part de l’intimé.

80        Pour ce qui est de la question de la discrimination, les articles 3(1) et 7  de la LCDP sont pertinents en l’espèce et sont libellés comme suit :

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 […]

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

81        La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP. Pour établir qu’il y a eu discrimination, la plaignante a le fardeau de présenter d’abord une preuve prima facie de discrimination.

82        La Cour suprême du Canada a établi le critère dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (O’Malley), comme suit :

[…]

[…] Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […]

[…]

83        Dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal [2007] 1 R.C.S. 161, la juge Abella a décrit le fardeau initial d’établir qu’il y a eu distinction discriminatoire ou discrimination à première vue. Elle indique au paragraphe 49 que les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires, et que la seule appartenance à un groupe protégé n’est pas suffisante pour garantir l’accès à des mesures correctives fondées sur les droits de la personne. Il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau initial d’établir le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou du comportement désavantageux, lequel soulève la possibilité de mesures correctives.

84        Comme il est indiqué ci-dessus, la plaignante a le fardeau de présenter une preuve suffisante, jusqu’à preuve  contraire, qu’il y a eu discrimination. Il suffit pour la plaignante de démontrer que la présumée discrimination était un des facteurs, non le seul facteur ni même le facteur principal, dans la décision de l’intimé de l’éliminer du processus de nomination pour satisfaire au critère de la preuve suffisante jusqu’à preuve  contraire. (Voir Holden c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7 (F.C.A.).) Le fardeau de la preuve dans les cas concernant la discrimination est celui de la prépondérance des probabilités.

85        La Commission ne peut pas examiner la réponse de l’employeur avant de déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été démontrée (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22). Si la plaignante établit une preuve suffisante de discrimination jusqu’à preuve  contraire, il incombe alors à l’intimé de donner une explication raisonnable non discriminatoire de ses actes. En vertu de l’article 15 de la LCDP, un employeur peut répondre à une preuve prima facie de discrimination en indiquant que sa mesure était imposée par une exigence professionnelle justifiée; cette analyse comprend l’examen de la mesure d’adaptation raisonnable jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

86        Selon les souvenirs de la plaignante, un formulaire de consentement de divulgation d’information médicale était joint à l’Appendice 2, ce que l’intimé n’a pas contesté. La plaignante reproche au comité de sélection de ne pas avoir communiqué avec son médecin traitant. Elle croyait que l’intimé avait consulté avec son médecin pour établir les mesures d’adaptation.

87        De plus, la plaignante a fait valoir que le comité de sélection aurait dû consulter le CPP. Elle a soutenu que l’intimé avait fait preuve de discrimination en refusant de tenir compte des nouvelles informations concernant sa condition médicale qu’elle a divulguée lors de la discussion informelle et que, par conséquent, il y a eu discrimination et abus de pouvoir. Elle soutient qu’avec les bonnes mesures d’adaptation, elle aurait obtenu la note de passage et aurait fait l’objet d’une nomination pour une période indéterminée.

88        Selon la preuve présentée, la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination. La preuve démontre qu’elle ignorait qu’elle souffrait d’un trouble de dépression épisodique, une déficience, au moment de l’entrevue et que la médication avait un impact sur ses interactions. Je conclus que son trouble de dépression épisodique a eu un impact et qu’il y a une relation entre ce dernier et la raison pour laquelle elle a échoué l’entrevue et été éliminée du processus de sélection. L’intimé a carrément refusé sa demande d’être évaluée de nouveau et accommodée.

89        L’intimé a le fardeau de fournir une explication raisonnable, non fondée sur la discrimination, relativement à sa décision de ne pas prendre en considération la nouvelle information fournie par la plaignante lors de la discussion informelle.

90        Le Dr. Forster, psychologue au CPP à la CFP a présenté des éléments de preuve au sujet des lignes directrices et politiques qui s’appliquent aux mesures d’adaptation dans le contexte de l’évaluation d’un processus de nomination. En l’espèce, le Dr. Forster a fait remarquer que, puisque l’intimé avait préparé l’examen et l’entrevue, il ne s’agissait pas d’un outil d’évaluation normalisé de la CFP et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de consulter le CPP. Toutefois, il peut y avoir consultation si le comité de sélection juge qu’il pourrait bénéficier de l’expertise du CPP dans la mise en application de mesures d’adaptation.

91        L’intimé soutient que le comité de sélection a mis en place des mesures d’adaptation basées sur l’information qui était à leur disposition et qui a été fournie par la plaignante avant l’entrevue. Ils ont pris en considération les outils d’évaluation utilisés, les qualifications à évaluer et l’information fournie par la plaignante. De plus, la plaignante a accepté toutes les mesures proposées et n’a jamais demandé de mesure d’adaptation pour l’entrevue.

92        L’intimé a fait valoir qu’il avait donné suite à la demande de la plaignante concernant son trouble d’adaptation et que celle-ci n’avait pas informé le comité d’évaluation que les mesures d’adaptation prises étaient insuffisantes. Par conséquent, l’intimé a conclu qu’il n’était pas obligé de prendre d’autres mesures. Le comité de sélection a conclu qu’il n’était pas nécessaire de communiquer avec le médecin traitant puisqu’ils avaient suffisamment d’information pour accommoder la plaignante et que cette dernière avait accepté toutes les mesures proposées. Il a fait valoir que la plaignante n’avait pas assumé les responsabilités qui lui incombaient en ce qui a trait aux mesures d’adaptation, c’est-à-dire de l’informer de ses limitations fonctionnelles par rapport aux entrevues.

93        À l’appui de son argument, l’intimé m’a renvoyé à Boivin c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 6. Dans cette affaire, l’entrevue comprenait une question qui nécessitait de la lecture et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP » ou le « Tribunal ») a conclu que, en raison de la déficience visuelle du plaignant, il y avait discrimination à première vue. Toutefois, l’employeur avait mis en place toutes les mesures d’adaptation nécessaires. Dans ce cas, comme en l’espèce, le plaignant n’avait pas informé l’intimé pendant l’évaluation que la mesure d’adaptation comportait des lacunes. Le TDFP a déclaré ce qui suit :

[133] Le processus d’accommodement exige donc un effort de communication et un engagement des deux parties. Les critères qui permettent d’établir que toutes les parties ont rempli leurs obligations dans un tel processus ne sont pas figés et ne peuvent pas être catégorisés de façon définitive. En effet, il faut parfois adapter la façon dont les mesures sont prises, et il faut également que l’intimé et l’employé participent tous deux au dialogue et soient prêts à collaborer. Les résultats de l’accommodement ne sont pas toujours parfaits, en particulier s’il est clair que la partie qui doit donner suite à la demande ne connaît pas l’existence du problème.

94        Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que les parties étaient tenues d’agir de façon raisonnable et de collaborer en vue de trouver des solutions aux demandes d’accommodement. S’il y a une faille dans le processus d’accommodement, il faut alors déterminer qui en est responsable. L’issue de la plainte dépendra de la réponse à cette question.

95        En l’espèce, je dois donc déterminer le moment ou la faille s’est produite dans le processus. Ce principe est bien établi dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, qui précise qu’une mesure d’adaptation raisonnable est une préoccupation non seulement pour l’employeur mais également pour l’employé et son agent négociateur, le cas échéant. L’employeur et l’employé ont un rôle à jouer afin de veiller à ce qu’une mesure d’adaptation raisonnable soit prise, l’employeur en offrant la mesure d’adaptation et l’employé en fournissant des renseignements nécessaires et en collaborant à la recherche de solutions raisonnables.

96        La preuve a démontré que la plaignante n’était pas au courant qu’elle souffrait d’un trouble de dépression épisodique avant qu’elle passe l’entrevue pour le poste contesté. Elle l’a appris par la suite, soit le 29 novembre 2016, et en a informé l’intimé lors d’une discussion informelle en lui demandant d’être réévaluée en tenant compte de cette déficience et en lui fournissant des mesures d’adaptation appropriées. 

97        Il n’était pas possible pour elle de demander une mesure d’adaptation avant, puisqu’elle n’était pas au courant de son état de santé et de l’impact de la médication sur ses intéractions au moment où elle a rempli l’Appendice 2. De plus, elle croyait que l’intimé allait communiquer avec son médecin afin d’établir des mesures d’adaptation appropriées étant donné qu’elle avait rempli l’Appendice 3. Ainsi, la faille dans le processus d’accommodement a eu lieu au moment de la discussion informelle, lorsque la plaignante a annoncé à l’intimé qu’elle venait d’apprendre qu’elle souffrait de dépression épisodique et qu’elle avait donc besoin d’une mesure d’adaptation pour l’entrevue. C’est à ce moment que le processus d’accommodement a été enclenché.

98        La version intégrale du « Guide relatif à l’évaluation des personnes handicapées » présentée par le Dr. Forster comporte une section relative aux « problèmes de santé mentale ». Plusieurs exemples y sont mentionnés, notamment des séances individuelles, du temps additionnel, des pauses supplémentaires et la souplesse de l’horaire des séances d’évaluation. De plus, le guide indique clairement que les mesures d’adaptation doivent être élaborées en fonction de chaque cas et qu’il faut tenir compte des limitations fonctionnelles des candidats, de l’outil d’évaluation et de la qualification à évaluer.

99        L’intimé a refusé de prendre en considération la demande de la plaignante en indiquant : « Malheureusement, les informations portées à l’attention du comité de sélection après votre évaluation ne peuvent être considérées rétroactivement ».

100        Dans Boivin, le plaignant n’avait pas fait de demande d’accommodement pour sa déficience visuelle, ni pendant ni après l’entrevue. Il n’avait pas suivi les étapes nécessaires pour permettre au processus de s’enclencher. L’intimé avait même offert au plaignant de le réévaluer une fois qu’il avait eu connaissance de la plainte devant le Tribunal. Toutefois, ce dernier avait refusé cette offre. Par conséquent, le Tribunal a conclu que, dans les circonstances, le plaignant n’avait pas établi qu’il avait fait l’objet de discrimination fondée sur sa déficience. 

101        La plaignante n’a jamais demandé de mesures d’adaptation pour l’entrevue concernant son trouble de dépression puisque le billet médical fait référence à une mesure d’adaptation pour les examens écrits seulement. À l’Appendice 2, en date du 3 novembre 2016, la plaignante a indiqué au comité de sélection qu’elle avait reçu des mesures d’adaptation lors d’un processus de nomination pour un poste PM-05 à l’étape de l’entrevue et du test écrit pour son trouble d'adaptation. L’intimé a fait valoir que les mesures d’adaptation pour le deuxième processus de nomination étaient identiques à celles reçues dans le cadre du processus de nomination du poste en litige. En contre-interrogatoire, la plaignante n’a pas pu répondre à la question de l’intimé concernant la différence entre les mesures d’adaptation offertes dans les deux processus.

102        Selon la plaignante, l’intimé a fait preuve de discrimination lorsqu’il a refusé de la réévaluer à l’étape de la discussion informelle pour son trouble de dépression. Il n’est pas contesté que la plaignante avait des problèmes médicaux qui justifiaient sa demande de mesures d’adaptation et que l’intimé n’a jamais nié ses obligations de prendre des mesures d’adaptation pour son trouble d’adaptation. La plaignante a reçu et accepté toutes les mesures d’adaptation, pour cette déficience, qui lui ont été proposées et accordées.

103        Pour l’entrevue, l’intimé a indiqué qu’en comparant les mesures d’adaptation du processus en litige et celles du deuxième processus, il avait effectivement  mis en place les mêmes mesures d’adaptation. Les mesures offertes dans le deuxième processus pour les examens standardisés sont les mêmes que celles reçu pour l’examen de communication écrite dans le cadre du processus contesté. Par conséquent, selon l’intimé, il avait rempli son obligation d’accommodement. Il  a affirmé qu’il n’avait pas consulté le médecin de la plaignante ni le CPP dans le processus en litige puisqu’il n’était pas tenu de le faire étant donné qu’il n’utilisait pas un test standardisé de la CFP.

104        Pour fins de comparaison, voici les mesures d’adaptation mises en place pour le processus de nomination en litige et celles élaborées pour le deuxième processus de nomination:

Mesures d’adaptation pour le processus en litige 2015-CSD-IA-QUE-29736

(selon le courriel de l’intimé en date du 8 novembre 2016 intitulé « Propositions de mesures d’adaptations [sic] »)

Mesures d’adaptation pour le deuxième processus de nomination pour les tests standardisés ECG-314 et le MSGI-840

(selon les rapports d’adaptation des évaluations créées par le CPP en date du 19 décembre 2016)

  • Une pièce à l’écart
  • 50 % plus de temps de préparation et une pause entre les étapes
  • Une règle mise à votre disposition
  • Écrire vos réponses directement dans le cahier d’examen

Voici comment cela se traduit lorsque nous l’appliquons à notre évaluation :

1ère partie Entrevue :

  • 1.5 heure de préparation, suivi d’une pause au besoin (plutôt que 1 heure habituellement)
  • Maximum de 30 minutes pour votre présentation aux membres du jury (aucun changement)

Pause habituelle entre les deux parties de l’évaluation (votre période de dîner plutôt que 15 minutes habituellement)

2e partie Examen de communication écrite:

  • 1.5 heure maximum pour compléter l’examen (plutôt que 1 heure)
  • Écrire vos réponses directement dans le cahier d’examen (plutôt que sur la feuille-réponse)

Le courriel de l’intimé en date du 14 novembre 2016 précisait ce qui suit en plus des mesures déjà mentionnées le 8 novembre 2016 :

1ère partie Entrevue – 9h30

Autres : La candidate pourra utiliser une règle au besoin pour les deux parties de l’évaluation, et pourra écrire directement dans les cahiers d’examen à l’aide de crayons et surligneurs.  On veillera à mettre le matériel requise à la disposition de la candidate.

HORAIRE :

Il est recommandé d’administrer un examen par jour le matin, ou selon la convenance de la candidate.

PIÈCE SÉPARÉE :

L’examen se déroulera lors d’une séance individuelle sous surveillance, dans une pièce fermée et calme, exempte de bruit en provenance du vestibule, des bureaux adjacents, ou de toute autre activité à proximité de la salle d’examen pouvant être une source de distraction pour la candidate.

VERSION DU TEST :

La candidate sera évaluée avec la version régulière imprimée en 12pt Arial.

FORMAT DE RÉPONSE :

La candidate pourra inscrire ses réponses dans le cahier du test.  Une fois l’examen complété, l’administrateur/ l’administratrice de l’examen retranscrira les réponses sur la feuille de réponses régulière en présence de la candidate.  Le cahier d’examen sera retourné au CPP à être détruits.

TEMPS SUPPLÉMENTAIRE :

On allouera 50% plus de temps pour compléter l’examen, soit 180 minutes au lieu de 120 minutes [pour le test ECG-314] soit 270 minutes au lieu de 180 minutes [pour le test MSGI-840].

PAUSES :

La candidate pourra prendre des courtes pauses (5-10 minutes) au besoin (ou toutes les 30 minutes).  Au cours des pauses, la candidates n’aura pas accès au matériel d’examen et le chronométrage du temps devra être interrompu.

AUTRE :

L’administrateur de l’examen fournira des surligneurs, une règle, une calculatrice [pour le test ECG-314 seulement] et des feuilles de brouillon.  La candidate pourra écrire dans le cahier d’examen.

105        À la lumière des documents déposés en preuve, les évaluations étaient différentes dans les deux processus de nomination. Le processus en litige comprenait un examen écrit et une entrevue. Le deuxième processus comprenait deux tests standardisés écrits, ECG-314 et MSGI-840. Il ne semble pas y avoir eu d’entrevue. Ainsi, les mesures d’adaptation pour le deuxième processus ont été mises en place pour des examens écrits seulement et non pour des entrevues. Les méthodes d’évaluation étaient donc différentes d’un processus à l’autre. Les mesures d’adaptation auraient peut-être été différentes à l’étape de l’entrevue. Dans le cadre du poste contesté, la plaignante n’a pas eu plus de temps que les autres pour l’entrevue. C’est à l’étape de l’entrevue qu’elle a échouée.

106        D’après la preuve présentée à l’audience, il est inexact de conclure que la plaignante a bénéficié des mêmes mesures d’adaptation dans les deux processus de nomination puisque les mesures du deuxième processus visaient seulement les examens écrits et non l’entrevue. Aucune preuve n’a été présentée quant aux mesures d’adaptation fournies pour l’entrevue concernant le deuxième processus de nomination.

107        De plus, les mesures d’adaptation prises dans le deuxième processus l’ont été en fonction de toutes les limitations fonctionnelles de la plaignante. Les mesures d’adaptation pour le processus contesté ont été prisent en fonction de son trouble d’adaptation seulement, et non de son trouble de dépression épisodique et de l’effet de la médication.

108        Tel qu’il est indiqué dans le « Guide relatif à l’évaluation des personnes handicapées », les mesures d’adaptation doivent être déterminées en fonction de chaque cas, des limitations fonctionnelles et de l’outil d’évaluation. En l’espèce, la plaignante a bénéficié de plus de temps pour la préparation de l’entrevue, mais pas pour sa présentation aux membres du comité de sélection.  Je ne peux me prononcer sur la mesure d’adaptation requise ou si une telle mesure était nécessaire. Il n’en demeure pas moins que l’intimé n’a pas donné suite à la demande d’accommodement de la plaignante lorsqu’elle lui a fait part de la nouvelle information pendant la discussion informelle. Le processus d’accommodement avait été enclenché et l’intimé a choisi de ne pas l’entamer. L’intimé n’a donc pas réussi à fournir une explication raisonnable, qui ne soit pas fondée sur la discrimination, pour justifier sa décision en l’espèce.

109        À la lumière des faits, je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation de la plaignante.  Non seulement l’intimé a entravé à son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a refusé de prendre en considération les nouvelles informations de la plaignante quant à sa déficience reliée à son trouble de dépression épisodique et l’impact que la médication pouvait avoir sur ses intéractions à l’étape de l’entrevue, mais il a fait preuve de discrimination à l’égard de cette dernière quand il a refusé de donner suite à sa demande d’accommodement.

B. Mesures correctives

110        Le pouvoir de la Commission d’ordonner des mesures correctives est prévu aux articles 80 et 81 de la LEFP. Le paragraphe 81(1) prévoit que la Commission peut ordonner la révocation d’une nomination ou ne pas faire de nomination, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées dans les circonstances. Les mesures correctives décrites au paragraphe 81(2) de la LEFP incluent les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP. L’article 82 de la LEFP prévoit que la Commission ne peut ordonner à un intimé de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination.

111        En vertu de l’article 53(2)e), la Commission peut ordonner à la partie trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral en raison d’un acte discriminatoire. L’article 53(3) prévoit quant à lui une autre indemnité maximale de 20 000 $ pour la victime, si la Commission en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

112        La plaignante demande d’être réévaluée avec les bonnes mesures d’adaptation. Elle maintient qu’avec les bonnes mesures d’adaptation, elle aurait obtenu le poste contesté. Conséquemment, elle demande d’être indemnisée pour le salaire perdu du 13 mars 2017 au 14 janvier 2018, lorsqu’elle a obtenu le poste intérimaire classifié    PM-03, ce qui représente environ 10 mois de salaire, ainsi qu’une somme d’argent représentant les dommages moraux occasionnés par ce litige. Elle n’a pas fait de demande pour une indemnité en fonction de l’article 53(3) de la LCDP.

113        Puisqu’il n’y a pas de preuve ni de garantie que la plaignante aurait été nommée dans le cadre du processus en litige si elle s’était qualifiée, la plaignante n’a pas établi qu’elle a droit à une indemnisation de salaire en l’espèce. Toutefois, en vertu du paragraphe 81(1) la Commission peut ordonner que la plaignante soit réévaluée avec les bonnes mesures d’adaptation.

114        Bien que l’article 53(2)e) de la LCDP confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’accorder cette réparation lorsqu’une plainte est accueillie, son pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon judicieuse et à la lumière de tous les éléments de preuve dont elle est saisie. Voir Commission canadienne des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280 (CanLII), au paragraphe 14.

115        En l’espèce, à l’appui de la demande d’indemnisation qu’elle a présentée en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP, la plaignante a expliqué que le poste classifié PM- 03 lui tenait à cœur et qu’elle s’est sentie humiliée lorsqu’elle est retournée à son poste d’attache classifié CR-4. Elle avait occupé par intérim le poste classifié PM-03 pendant 18 mois auparavant par l’intermédiaire du programme de gestion des talents. Elle a affirmé de façon générale qu’elle s’est sentie stressée et frustrée de ne pas avoir obtenu le poste pour une période indéterminée.

116        Par conséquent, je conclus que la plaignante a démontré qu’elle avait été humiliée et qu’elle avait subi du stress à la suite du refus du comité de sélection de la réévaluer. Cependant, comme elle n’a pas fourni d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande d’indemnisation, j’estime qu’il est justifié de lui verser une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral (art. 53(2)e)).

117        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

118        La plainte est fondée.

119        Dans les 60 jours suivant cette décision, l’intimé doit réévaluer la plaignante avec les bonnes mesures d’adaptation, suivant des consultations avec son médecin traitant et le CPP, et prenant en considération que la plaignante a déjà réussi le Dolmen et l’examen de communication écrite. 

120        Si la plaignante est jugée qualifiée à la lumière de cette réévaluation, son nom sera ajouté au bassin de candidats qualifiés.

121        L’intimé doit verser à la plaignante la somme de 5 000.00 $, pour préjudice moral, dans les 60 jours suivants la présente décision.

Le 30 janvier 2019.

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.