Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant n’a pas pu poser sa candidature à deux processus de nomination – il a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant de ne pas les annoncer – il a aussi allégué que les processus étaient entachés de favoritisme personnel – en dernier lieu, il a soutenu que l’intimé avait abusé de son pouvoir en établissant les qualifications essentielles et en nommant des candidats qui n’y satisfaisaient pas – le plaignant a aussi soulevé diverses questions préliminaires, notamment en contestant la validité constitutionnelle de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), en soutenant que le fardeau de la preuve incombait à l’intimé, et en demandant l’anonymisation de la décision et le report de l’affaire après l’audience, afin qu’il soit possible de présenter des arguments écrits – la formation de la Commission a statué contre le plaignant à chacune des questions préliminaires – en premier lieu, la formation a refusé de tenir compte de son argument concernant la validité constitutionnelle, parce qu’il avait omis de signifier un avis de question constitutionnelle aux procureurs généraux – la formation a qualifié de frivole l’argument portant sur le fardeau de la preuve qui a été présenté par le plaignant, et elle a expliqué que celui ci avait déjà soulevé le même argument, qu’une autre formation de la Commission avait rejeté dans une décision antérieure – la formation de la Commission a déterminé que la demande d’anonymisation de la décision était non fondée, et qu’elle était malhonnête parce que le plaignant avait déposé 48 plaintes distinctes et que, par conséquent, il pouvait être considéré comme une personne qui est fréquemment partie à des instances – dans le même ordre d’idées, vu sa vaste expérience devant la Commission, sa demande de reporter l’affaire et de présenter des arguments écrits après l’audience a été refusée – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en omettant d’insister sur les valeurs en matière de dotation qui figurent dans le préambule de la LEFP ainsi que sur l’équité en matière d’emploi lorsqu’il avait choisi des processus de nomination non annoncés – la formation de la Commission a souligné que les gestionnaires bénéficient de souplesse lorsqu’il s’agit de prendre des mesures de dotation – la preuve a établi qu’il existait des motifs de bonne foi, liés aux besoins organisationnels, dans le choix des processus non annoncés – la formation a aussi conclu que le plaignant n’avait pas établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il avait utilisé le même énoncé des critères de mérite que celui qui avait été utilisé par un autre organisme pour doter des postes similaires – la formation a en outre déterminé qu’aucun élément de preuve ne justifiait l’allégation de favoritisme personnel – en dernier lieu, la formation de la Commission a conclu que le plaignant n’avait produit aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle les personnes nommées ne satisfaisaient pas aux qualifications essentielles exigées pour les postes.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20180621

Dossiers: EMP-2015-9774 et EMP-2015-9775

Référence: 2018 CRTESPF 53

Loi sur la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur

public fédéral et Loi sur

l’emploi dans la fonction publique

Arms of Canada/Armoiries du Canada

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral


ENTRE

 

PAUL ABI-MANSOUR

 

plaignant

 

 

et

 

SOUS-MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

intimé

 

et

 

AUTRES PARTIES

 

 

Répertorié

Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans

 

 

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir visée aux alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

 

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant :   Lui-même

Pour l’intimé : Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

les 17 et 18 avril 2018,

arguments écrits déposés le 30 avril et les 3 et 11 mai 2018.

(Traduction de la CRTESPF)


motifs de décision


I.
Introduction

[1]          Le plaignant, Paul Abi-Mansour, était dans la zone de sélection pour deux processus de nomination, mais il n’a pas été en mesure de poser sa candidature parce que l’intimé, le sous-ministre du ministère des Pêches et des Océans («MPO»), avait choisi des processus non annoncés.

[2]          L’intimé a procédé à la nomination de deux postes d’analyste-programmeur (classifiés au groupe et au niveau CS-02) à la Garde côtière canadienne, au sein de sa Direction générale des services techniques intégrés. Les processus portaient les numéros 15-DFO-NCR-INA-CCG-122635 et 15-DFO-NCR-INA-CCG-123167. La zone de sélection était limitée aux employés du MPO qui occupent un poste dans la région de la capitale nationale.

[3]          Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir, comme suit :

      en choisissant des processus non annoncés;

      en permettant au favoritisme personnel d’influencer les nominations;

      en établissant les qualifications essentielles pour les deux postes;

      en nommant deux candidats qui ne satisfaisaient pas aux qualifications essentielles, dans l’application du mérite.

[4]          L’intimé a nié toutes les allégations et a soutenu que le comité d’évaluation avait agi de manière appropriée en tout temps et que les personnes nommées répondaient aux qualifications essentielles.

[5]          La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience. La CFP a présenté des arguments écrits concernant le cadre réglementaire et stratégique des processus de nomination. Elle n’a pas pris de position quant au bien-fondé des allégations dans la présente affaire.

[6]          Pour les motifs qui suivent, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, qui lui incombait de démontrer que l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé, en établissant les qualifications essentielles, en concluant que les personnes nommées satisfaisaient à ces qualifications ou en permettant au favoritisme personnel d’influencer les nominations.

[7]          Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la «Commission») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

II. Questions préliminaires et arguments frivoles présentés par le plaignant

A. La validité constitutionnelle du processus de plainte en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et le fardeau de la preuve

[8]          Pendant l’audience, le plaignant a déclaré qu’il souhaitait contester la validité constitutionnelle de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la «Loi») au motif qu’il avait été privé d’un accès direct à la Cour fédérale pour demander le contrôle judiciaire des décisions en matière de dotation, ce qui, soutenait-il, l’avait obligé à répondre à une norme plus élevée pour établir ses allégations devant la Commission. Il a soutenu qu’un tel contrôle judiciaire pouvait être confirmé à la découverte d’une simple erreur ou omission.

[9]          Je ne donnerai pas suite à l’argument du plaignant fondé sur la validité constitutionnelle dans la présente décision, car les avis requis dans une telle affaire en application de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., (1985), ch. F-7) n’ont pas été signifiés aux divers procureurs généraux.

[10]       Le plaignant a également fait valoir qu’en fait, le fardeau de la preuve reposait maintenant à l’intimé plutôt que de reposer exclusivement sur lui.

[11]       L’arbitre de grief Perrault a examiné et a rejeté ces mêmes questions d’une manière concise lors d’une audience en 2016 portant sur deux des dossiers du plaignant. Voir Abi-Mansour c. Président de la Commission de la fonction publique, 2016 CRTEFP 53 («Abi-Mansour 2016») aux paragraphes 14 à 17, comme suit :

[…]

[14]     Dans son argumentation, le plaignant a affirmé que la compétence de la Commission était en réalité beaucoup plus vaste que ce qui est prescrit par l’article 77 de la LEFP, en vertu duquel elle peut entendre une plainte pour abus de pouvoir dans un processus de nomination. Selon le plaignant, les parties à un litige ont le choix entre la Commission et la Cour fédérale pour se faire entendre sur des questions de dotation – le choix dépend de leurs ressources financières. Il serait injuste, selon ce raisonnement, d’accorder des motifs supplémentaires de contrôle judiciaire et d’autres recours à la partie la plus influente. Par conséquent, la Commission devrait garder à l’esprit l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F-7) (qui traite les questions de contrôle judiciaire relativement à des décisions administratives fédérales) lorsqu’elle tranche des questions d’abus de pouvoir. Selon le plaignant, le fait que les plaintes relatives aux processus de nomination externes, qui ne sont pas du ressort de la Commission, soient traitées directement par la Cour fédérale constitue une preuve supplémentaire de ce choix.

[15]     Étant donné que le plaignant a accordé une certaine importance à ces arguments, je tiens à dissiper tout malentendu immédiatement.

[16]     Lorsque le législateur prévoit un recours administratif à l’égard d’une décision de l’administration publique fédérale, les parties au litige doivent d’abord chercher à obtenir réparation par l’intermédiaire du processus administratif. Les tribunaux ne permettront pas aux parties de contourner ce recours, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit dans Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 et 31 :

[30] En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustrée par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point […].

 

[31] La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[…]

[Je souligne]

[17] En ce qui concerne les plaintes relatives à des processus de nomination externes qui se rendent directement devant la Cour fédérale, un recours administratif est prévu à l’article 66 de la LEFP.

[12]       Dans cette même affaire (aux paragraphes 21 à 24), la Commission a répondu à l’argument du plaignant au sujet du fardeau de la preuve, comme suit :

[…]

[21]     En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le plaignant a invoqué Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, au paragraphe 29, et a fait valoir qu’il était renversé lorsqu’une preuve prima facie était démontrée. Selon l’intimé, une lecture appropriée de Lahlali permet de conclure que, tout au long de l’affaire, il incombe au plaignant de s’acquitter du fardeau de la preuve.

[22]     En effet, pour l’ensemble de l’analyse, le plaignant doit s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. Toutefois, tel qu’il est indiqué dans McGregor c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 197, l’intimé peut avoir à s’acquitter d’un fardeau tactique afin de répondre à la preuve du plaignant.

[23]     McGregor est antérieure aux changements qui ont été apportés à la LEFP en vertu desquels le Tribunal a été créé. Quoi qu’il en soit, les principes du fardeau de la preuve décrits comme suit aux paragraphes 27 à 29 de McGregor s’appliquent toujours dans le contexte actuel :

[27]      Pour que l’appel fondé sur l’article 21 soit utile, il faut que l’appelant axe sa preuve sur les éléments précis du processus de sélection qui démontrent, selon lui, que le principe du mérite n’ait pas été respecté. Plus la cause de l’appelant est solide, plus le ministère d’embauche élaborera ce qu’on pourrait appeler un «fardeau tactique» en vue de présenter des éléments de preuve pour réfuter ceux sur lesquels l’appelant se fonde, de crainte d’une décision défavorable. Toutefois, ce fardeau tactique ne repose pas sur la loi, mais sur le simple bon sens. En tout temps, c’est sur l’appelant que repose le fardeau ultime et la charge de persuader le comité d’appel que le jury de sélection n’a pas respecté le principe du mérite (voir John Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999, aux paragraphes 3.47 et 3.48).

[28]      Le fait que les enquêtes prévues à l’article 21 sont conçues de manière à s’assurer que le principe du mérite est respecté ne justifie pas de déplacer la charge de la preuve de l’appelant à l’intimé. M. McGregor s’attache à une déclaration que l’on trouve dans l’arrêt Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217, à la page 1221, dans lequel notre Cour a déclaré que l’objet du droit d’appel institué par l’article 21 de la LEFP «n’est pas de protéger les droits de l’appelant, mais plutôt d’empêcher une nomination contraire au principe du mérite». Suivant M. McGregor, cet objet justifie de déplacer le fardeau de la preuve sur le ministère d’embauche pour établir que le principe du mérite a été respecté. Je ne suis pas de cet avis.

[29]      Ainsi que je l’ai déjà expliqué, il n’est pas concevable d’obliger dans chaque cas le jury de sélection à démontrer que la procédure suivie respectait le principe du mérite à tous les égards. Le facteur est le même, peu importe que l’article 21 vise l’objectif d’intérêt public plus large consistant à s’assurer que le principe du mérite est respecté à l’échelle de la Fonction publique. Il n’est pas dans l’intérêt du public de consacrer d’abondantes ressources à réfuter des allégations qui ne peuvent être étayées. […]

 

[24] Le plaignant allègue qu’il y a eu abus de pouvoir et qu’il a fait l’objet de discrimination. Il doit présenter une preuve à l’appui de ces allégations, et l’intimé doit y répondre en présentant ses propres éléments de preuve. Une fois que les deux parties ont présenté leurs éléments de preuve, la Commission doit décider, selon la prépondérance des probabilités, si la preuve présentée par le plaignant suffit à conclure en sa faveur.

[…]

[13]       Je ne me livrerai pas à une autre analyse de ces mêmes questions au profit du plaignant, car j’ai lu l’analyse et l’issue dans Abi-Mansour 2016 et j’y souscris. Cependant, j’ajouterai que le fait d’examiner les mêmes arguments non retenus du plaignant ne constitue pas une bonne utilisation du temps de la Commission. Le Black’s Law Dictionary (6e édition abrégée) définit le terme [traduction] «frivole» comme suit : [traduction] «Un acte de procédure est frivole lorsqu’il est manifestement insuffisant à première vue […]»

[14]       L’audition répétée par la Commission de ces arguments frivoles de ce plaignant que je viens de souligner ne devrait pas être présentée de nouveau à la Commission sans l’appui de la jurisprudence d’une cour d’appel qui n’a pas déjà été examinée et rejetée par la Commission.

B. Demande de rendre anonyme la décision

[15]       Le plaignant a demandé que l’on rende anonyme la présente décision. Il a ensuite demandé l’autorisation de présenter des arguments écrits après l’audience. Malgré l’opposition de l’intimé à l’égard de la demande de retarder l’ensemble des arguments, puis de poursuivre en se fondant sur des arguments écrits, l’avocat a indiqué qu’il s’opposait moins fortement à un retard pour le dépôt d’arguments écrits portant sur cette seule question de rendre anonyme la décision.

[16]       À l’appui de cette demande, le plaignant a invoqué son témoignage en affirmant qu’on lui avait dit que les gestionnaires responsables de l’embauche refusaient de prendre sa candidature en considération aux fins de nomination, car il était connu pour être fréquemment partie à des instances devant la Commission.

[17]       Le plaignant a indiqué qu’il avait plaidé quatre affaires devant la Commission (y compris son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique («TDFP»)), et que les décisions écrites y résultant, et qui sont conservées dans le domaine public, continuent d’être retenues injustement contre lui.

[18]       L’intimé s’est opposé à cette demande, citant le droit profondément ancré et reconnu par la Constitution au Canada à une audience publique, qui comprend l’accès du public aux décisions judiciaires et quasi judiciaires.

[19]       L’intimé a précisé que la Cour suprême du Canada avait déclaré dans les arrêts Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 et R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442 que, compte tenu de la protection du principe de la publicité des débats fondée sur la common law et sur la Charte, une ordonnance de confidentialité ne doit être rendue que si :

–elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

– ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

[20]       Dans l’arrêt Re Vancouver Sun, [2004] 2 R.C.S. 332, la Cour suprême a confirmé de nouveau le critère énoncé dans Dagenais/Mentuck, en faisant remarquer que la publicité fait partie intégrante de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux, ainsi que de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice.

[21]       En examinant le principe de la publicité des débats dans le contexte d’un tribunal administratif quasi judiciaire, la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans Lukács c. Canada (Transport, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140, ce qui suit aux paragraphes 35 à 37 :

[35]          Pour rechercher s’il convenait de restreindre l’application du principe de la publicité des débats judiciaires dans chacune de ces affaires, les juges ont suivi l’approche préconisée par la jurisprudence de la Cour suprême : Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 120 D.L.R. (4th) 12, et Mentuck (le critère dit de Dagenais/Mentuck). La Cour suprême a défini ce critère, comme suit, dans l’arrêt Toronto Star Newspapers (au paragraphe 4) :

 

Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire. La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice.

 

Autrement dit, le critère consiste à rechercher si les effets bénéfiques de la restriction demandée au principe de la publicité des débats judiciaires l’emportent sur ses effets préjudiciables.

[36]          Un autre important facteur à considérer est celui de savoir si le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique uniquement aux cours de justice, ou s’il s’applique également aux tribunaux quasi judiciaires.

L’Office et le principe de la publicité des débats judiciaires

[37]          Il n’est nullement controversé entre toutes les parties à la présente demande que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique à l’Office lorsqu’en sa qualité de tribunal quasi judiciaire, il instruit une procédure de règlement des différends. Cette doctrine s’appuie sur la jurisprudence R. v. Canadian Broadcasting Corporation, 2010 ONCA 726, 327 D.L.R. (4th) 470, où le juge Sharpe a observé, au paragraphe 22 :

 

[traduction]

 

[22] Le principe de la publicité des débats judiciaires, qui permet au public d’avoir accès aux renseignements relatifs aux juridictions, est solidement ancré dans le système judiciaire canadien. Le principe cardinal d’intérêt public qui consiste à favoriser la transparence et le « maximum de responsabilité et d’accessibilité » quant aux actes judiciaires et quasi judiciaires est antérieur à la Charte : Nouvelle‑Écosse (Procureur général) c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, [1982] A.C.S. no 1, à la page 184). Ainsi que la déclaré le juge Dickson, aux pages 186 et 187 : «À chaque étape, on devrait appliquer la règle de l’accessibilité du public et la règle accessoire de la responsabilité judiciaire » et « restreindre l’accès du public ne peut se justifier que s’il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance. »

[Non souligné dans l’original.]

[22]       Enfin, je souligne l’application du critère Dagenais/Mentuck établi par la Cour suprême du Canada pour décider si une ordonnance de confidentialité devrait être accordée à une société d’État relativement à certains documents. La Cour suprême a insisté sur l’importance de se demander si la demande de confidentialité dans le cadre de l’instance judiciaire était nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important et si cela l’emporte sur les effets préjudiciables, y compris l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires (Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), [2002] R.C.S., au paragraphe 53).

[23]       La CFP a précisé dans son argument en réponse à cette demande que le TDFP s’était penché sur cette même question dans Boivin c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 6, et a décidé ce qui suit au paragraphe 157 :

 […]

157    Le Tribunal estime que, compte tenu de son mandat et de sa nature quasi judiciaire, il est lié par les règles qui encadrent le principe de l’audience publique. Le Tribunal applique les principes juridiques pertinents et tient compte de la preuve lorsqu’il formule ses conclusions. Les audiences sont également publiques. Les plaintes sont présentées au Tribunal par des employés à titre individuel, et les décisions qu’il rend présentent un intérêt pour toutes les parties au conflit. De plus, d’autres intervenants ont un intérêt valable en ce qui a trait à ces décisions. Compte tenu de son mandat, les questions en litige et les intérêts en jeu entre les différentes parties ont une incidence sur la fonction publique et sur le public dans son ensemble. Les valeurs énoncées dans le préambule de la LEFP définissent l’esprit et la lettre de la loi, et le Tribunal assume un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit de démontrer au public que ces valeurs sont respectées.

[…]

 

[24]       Comme l’a souligné l’intimé dans sa réplique à cette requête, tous les employés qui envisagent de déposer une plainte en vertu de la Loi sont informés par la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission qu’ils «s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques». Il ajoute également que «[l]es décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins […]».

[25]       Le plaignant a soutenu que les plaintes infructueuses qu’il a présentées à la Commission et auxquelles il a donné suite dans des demandes de contrôle judiciaire ultérieures devant la Cour fédérale ont créé une notoriété qui, selon ce que lui auraient dit deux gestionnaires, le suit dans les processus de nomination, dans lesquels les gestionnaires responsables de l’embauche s’abstiennent de lui offrir des nominations en raison de la crainte d’être entraînés dans des audiences quasi judiciaires avec le plaignant plus tard.

[26]       Le plaignant laisse entendre qu’il est exposé à un risque sérieux de ne pas être en mesure de trouver un emploi, et ce, à partir de maintenant jusqu’à sa retraite. Plus particulièrement, il laisse entendre que ce risque de chômage le suivra du secteur public canadien, au secteur privé, aux organismes des Nations Unies et chez les employeurs au Moyen-Orient, qui est, d’après ses affirmations, sa région d’origine.

[27]       Le plaignant a fait valoir que le principe de la publicité des débats ne s’applique pas automatiquement à la Commission. Cet argument contredit directement la jurisprudence abondante de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédéral sur laquelle s’est appuyé le TDFP et, ensuite, la Commission, qui permet la tenue d’audiences publiques, rend les dossiers de plainte accessibles à l’examen minutieux du public au greffe de la Commission et publie les décisions de la Commission pour qu’il soit loisible au public et aux médias d’information de les examiner minutieusement.

[28]       Le plaignant souligne particulièrement le fait que la Commission rend publiques toutes ses décisions dans un site Web ouvert. Il convient de noter qu’en fait, la base de données des décisions de la Commission est protégée, de sorte que les moteurs de recherche Internet sont empêchés d’effectuer des recherches par nom de sorte qu’une personne qui cherche le nom d’une partie ou d’un témoin devant la Commission ne soit pas redirigée vers les décisions de la Commission les concernant dans son site Web.

[29]       Le plaignant invoque en outre le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C., 1985, ch. P-21) en soutenant qu’il lui confère la protection des renseignements personnels détenus par la Commission. Il précise également l’exception prévue au sous-alinéa 8(2)m)(i) qui permet la communication de renseignements lorsque les raisons d’intérêt public justifieraient une éventuelle violation de la vie privée.

[30]       Le plaignant soutient que ni la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral ni la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la «Loi») ne disposent que les audiences de la Commission doivent être ouvertes au public. Il cite également l’article 103.1 de la Loi, qui dispose que la Commission doit rendre une décision à l’égard d’une plainte, puis en fournir une copie aux parties à la plainte.

[31]       En réponse au fait que l’intimé ait invoqué l’affaire Lukács, susmentionnée, de la Cour d’appel fédérale, le plaignant laisse entendre que cette affaire-là découle d’une décision de l’Office des transports du Canada (OTC) qui, selon lui [traduction] «fonctionne exactement comme une cour supérieure» en raison de l’article 25 de la Loi sur les transports au Canada (L.C. 1996, ch. 10), qui dispose :

L’Office a, à toute fin liée à l’exercice de sa compétence, la comparution et l’interrogatoire des témoins, la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses arrêtés ou règlements et la visite d’un lieu, les attributions d’une cour supérieure.

[32]       Le plaignant fait valoir que la Commission n’a pas de tels pouvoirs d’attributions et, par conséquent, elle ne devrait pas se sentir obligée de tenir des audiences publiques et de rendre publiques ses décisions.

[33]       La Cour d’appel fédérale a traité clairement du rôle des tribunaux administratifs quasi judiciaires lorsqu’elle a parlé de l’importance du principe de la publicité des débats s’appliquant à eux, comme je l’ai déjà indiqué.

[34]       Le plaignant a également présenté des arguments et de la jurisprudence portant sur la protection des intérêts économiques et un droit à l’emploi en vertu de l’article 7 de la Charte. Je conclus que ces arguments ne sont ni convaincants ni pertinents.

[35]       L’intimé souligne l’exception à la protection des renseignements personnels visée au paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui exempte les renseignements qui sont accessibles au public.

[36]       Compte tenu de la pondération des intérêts requise dans une demande de rendre anonyme et de mettre les dossiers d’une affaire sous scellé, tel qu’il est énoncé dans le critère Dagenais/Mentuck, je n’hésite aucunement à conclure qu’une telle ordonnance ne devrait pas être accordée en vertu des deux volets du critère. Une ordonnance limitant le principe de la publicité des débats est inutile dans le contexte du présent litige pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important. En outre, les effets bénéfiques de l’ordonnance ne l’emporteraient très certainement pas sur les effets préjudiciables sur le droit du public à des procédures d’arbitrage publiques et accessibles. Le préjudice pour l’intérêt public à l’égard de la publicité des débats devant la Commission l’emporte de loin sur l’avantage que demande le plaignant pour échapper à la notoriété qu’il a lui-même créé en raison de ses comparutions fréquentes devant la Commission.

[37]       Le préjudice auquel renvoie le plaignant et son risque d’être inapte au travail sont de nature conjecturale. Plus important encore, s’il subit effectivement une perte de possibilités d’emploi, cette situation ne peut être rectifiée rétroactivement.

[38]       Je me fonde sur des années de jurisprudence constante de la Cour suprême, de la Cour d’appel fédérale et de pratique de la Commission en matière de tenue d’audiences et de publication de décisions qui sont accessibles au public, transparentes et responsables pour orienter ma décision de rejeter les arguments du plaignant portant sur la mise sous scellé des documents de la présente audience et de rendre anonyme la présente décision.

[39]       Le plaignant est conscient du fait que, chaque fois qu’il dépose une plainte en vertu de la Loi, elle donnera lieu à une audience publique et à une décision publique de la Commission. Il n’a aucun droit à la vie privée concernant l’objet de sa plainte et de la décision qui en découle.

[40]       Je crois que le Canada jouit d’une forte démocratie parlementaire inégalée fondée sur le principe de la primauté du droit. Bien que les citoyens jouissent de nombreux droits et libertés qui dépendent de notre gouvernement ouvert et démocratique, il y a une responsabilité concomitante liée à l’exercice de droits d’une personne.

[41]       Une personne qui choisit de déposer 48 plaintes distinctes à l’encontre du gouvernement devrait être suffisamment responsable pour accepter la responsabilité selon laquelle il pourrait être connu comme une personne qui est fréquemment partie à des instances. Il s’agit d’un résultat naturel de l’exercice d’un droit d’accéder au système de justice qui est offert dans le cadre de la démocratie constitutionnelle du Canada et de notre respect de la primauté du droit.

[42]       Par ailleurs, si je devais accueillir la demande du plaignant, alors littéralement tout plaignant qui comparaît devant la Commission pourrait raisonnablement demander que son affaire ne soit pas publiée de crainte qu’un préjudice quelconque puisse découler du fait d’assujettir des gestionnaires de la fonction publique à un processus d’audience.

[43]       Enfin, compte tenu des longs antécédents de litige comportant 48 plaintes, en vertu de la Loi, déposées par le plaignant, et du fait que les nombreuses décisions des tribunaux y découlant sont toutes accessibles dans le site Web de la Commission, en réalité, il est trop tard pour qu’il se soucis du stigmate associé à son nom en raison des procédures judiciaires intentées contre le gouvernement fédéral.

[44]       Comme nous le disons dans les Prairies, à cet égard [traduction] «Il est trop tard pour fermer l’écurie, quand le cheval s’est sauvé».

C. Demande de reporter l’argumentation et de procéder ultérieurement, par des arguments écrits

[45]       Le plaignant a demandé un délai supplémentaire après l’audience pour effectuer des recherches et présenter des arguments écrits concernant la question de la définition de l’expression «abus de pouvoir». L’intimé s’est opposé à sa demande.

[46]       J’avais déjà rejeté sa demande de mener l’audience dans son intégralité au moyen d’arguments écrits, que la Commission avait reçus environ deux semaines avant la tenue de l’audience. La demande a été reçue bien après la conférence préparatoire à l’audience, au cours de laquelle il aurait pu être approprié de soulever une telle demande aux fins de discussion.

[47]       Compte tenu du témoignage du fonctionnaire selon lequel il était connu au sein de la fonction publique fédérale, je lui ai demandé le nombre de plaintes en matière de dotation qu’il avait déjà plaidées. Il a répondu qu’il en avait plaidé quatre ou cinq. L’avocat de l’intimé est intervenu et a laissé entendre qu’il croyait que ce nombre était plus élevé, compte tenu de son expérience avec les affaires précédentes du plaignant, devant la Commission et la Cour fédérale.

[48]       Le greffe de la Commission m’a informé que le plaignant a déposé 48 plaintes en vertu de la Loi qui, comme il a déclaré, ont donné lieu jusqu’à présent à cinq décisions écrites, dont deux ont fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il compte 27 plaintes ouvertes inscrites au rôle de la Commission, ce qui donnera lieu à la tenue de 22 autres audiences, compte tenu du regroupement de certains de ces dossiers.

[49]       Les deux plaintes dont je suis saisi dans le cadre de cette audience commune ont été formulées le 4 juin 2015 et sont incluses dans ce total.

[50]       Vu la vaste expérience du plaignant devant la Commission en matière d’affaires d’abus de pouvoir, les objections de l’intimé selon lesquelles il était prêt à plaider l’affaire à l’audience et le fait que le report de celle‑ci afin qu’elle soit plaidée ultérieurement par écrit créerait un fardeau supplémentaire associé à l’inscription au rôle et aux travaux pour rédiger les arguments, ainsi que le fait que le plaignant a disposé de près de trois ans depuis le dépôt de ces plaintes pour préparer ses arguments, j’ai rejeté sa demande de report pour présenter des arguments écrits ultérieurement et j’ai plutôt accueilli son autre demande d’une pause de 90 minutes pour se préparer avec le représentant de son agent négociateur, qui, selon les indications du plaignant, n’avait été affecté au dossier que le jour précédent.

III. Contexte

[51]       Le plaignant a commencé à travailler au MPO en 2009 et travaille dans le secteur de la gestion des données de sa Direction générale de la planification de la flotte depuis 2012.

IV. Questions en litige

[52]       Je dois trancher les questions suivantes :

      L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en choisissant de pourvoir aux deux postes en litige au moyen de processus non annoncés?

      L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en utilisant le même énoncé des critères de mérite que celui qui a  été utilisé par un autre organisme fédéral?

      L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en permettant au favoritisme personnel d’influencer les décisions de nomination?

      L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en concluant que les personnes nommées satisfaisaient à tous les critères de mérite essentiels?

V. Analyse

A. Définition de l’expression «abus de pouvoir»

[53]       Il est prévu au paragraphe 77(1) de la Loi que la personne dont la candidature n’a pas été retenue dans le cadre d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte devant la Commission pour des raisons d’abus de pouvoir.

[54]       Il incombait au plaignant de prouver, selon la balance des probabilités, que l’intimé a commis un abus de pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

[55]       La Loi ne prévoit aucune définition de l’expression «abus de pouvoir»; toutefois, le paragraphe 2(4) offre l’orientation suivante : «Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel.»

[56]       Les arguments écrits de la CFP portent sur la définition et la portée de l’abus de pouvoir aux paragraphes 13 à 30, inclusivement, de son recueil d’arguments généraux et propres à une politique. La CFP cite la jurisprudence et la doctrine à l’appui de son argument selon lequel le législateur avait l’intention de distinguer un abus de pouvoir d’une erreur ou d’une omission (au paragraphe 28) et, dans les affaires portant sur des questions autres que la discrimination, que toute faute grave comme la mauvaise foi et le favoritisme personnel comprend un détournement de pouvoir délibéré (au paragraphe 19) qui pourrait comprendre la corruption ou le manque de soins extrêmes, ainsi que la malhonnêteté et l’hostilité personnelle (au paragraphe 20).

[57]       Dans ses arguments, le plaignant a contesté les arguments écrits de la CFP portant sur la définition de l’expression «abus de pouvoir». Il a fait valoir que sa suggestion selon laquelle la Commission devrait se pencher sur l’intention qui sous‑tend une certaine forme d’acte répréhensible pour justifier une conclusion d’abus de pouvoir constitue un critère beaucoup trop exigeant.

[58]       Je suis d’accord avec le plaignant, dans la mesure où la CFP fait allusion à un abus de pouvoir comme étant un acte répréhensible si grave qu’il équivaut à un acte intentionnel. La Commission a constamment jugé qu’il s’agissait d’une norme trop élevée pour qu’un plaignant puisse y satisfaire.

[59]       Le plaignant a fait valoir qu’une erreur ou une omission devrait être considérée comme justifiant éventuellement une allégation d’abus de pouvoir et que la gravité des répercussions de l’erreur ou de l’omission sur une personne ayant qualité pour déposer une plainte devrait être prise en compte au moment de décider si un abus de pouvoir a eu lieu.

[60]       Comme la présidente de la Commission, Mme Ebbs, l’a précisée dans sa décision récente, Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au paragraphe 14, la Commission et l’ancien TDFP ont établi que le paragraphe 2(4) de la Loi doit être interprété de façon générale.

[61]       Cela signifie que l’expression «abus de pouvoir» ne doit pas être limitée à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition d’«abus de pouvoir» visée au paragraphe 2(4) de la Loi n’est pas exhaustive et qu’elle peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée.

[62]       En outre, comme la Commission le conclut de façon constante, la nature et la gravité de la conduite irrégulière ou de l’omission détermineront s’il s’agit d’un abus de pouvoir. Voir Tibbs, au paragraphe 66.

[63]       De plus, le paragraphe 30(1) de la Loi dispose que les nominations internes à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite. Selon l’alinéa 30(2)a), pour être nommée, une personne doit posséder les qualifications essentielles établies par l’administrateur général.

B. L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en choisissant des processus non annoncés?

[64]       Le plaignant a soutenu que je dois interpréter les articles pertinents de la Loi dans le contexte de son préambule qui, dans ses arguments, mentionne les principes d’imputabilité, de transparence et d’équité ainsi que la nécessité d’être représentatif de la diversité du Canada.

[65]       Le plaignant a fait valoir que je devrais interpréter la Loi de manière à conclure que les gestionnaires délégués responsables de l’embauche sont tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une façon plus ciblée, en vue de mettre davantage l’accent sur les principes mentionnés dans le préambule.

[66]       Je précise la directive de la Cour fédérale sur l’objet de la Loi. Aux paragraphes 16 à 19 de Lahlali, M. le juge de Montigny a écrit ce qui suit :

[…]

A. Le Cadre législatif

[16]     La LEFP est entrée en vigueur le 31 décembre 2005, et représente la première réforme législative d’envergure en la matière en plus de 35 ans. L’objectif de cette nouvelle loi était de réformer l’ancien régime de dotation, jugé trop complexe et trop lent. Le nouveau régime de dotation permet aux gestionnaires de doter les postes vacants en temps utile par des personnes qualifiées afin que la fonction publique puisse bien s’acquitter de son rôle de servir les Canadiens.

[17]     Pour atteindre cet objectif d’efficience, le Parlement a décidé d’accorder aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire accru en ce qui a trait aux questions de dotation. Cette nouvelle philosophie trouve écho dans le préambule de la LEFP, et notamment dans l’attendu suivant :

Attendu :

[…]

que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens;

[18]     Le législateur s’est également éloigné du régime antérieur en privilégiant une version du principe du mérite axée sur le mérite individuel plutôt que sur le mérite comparatif, tel qu’en fait foi l’article 30 de la LEFP. Dorénavant, un gestionnaire ne sera donc plus tenu de nommer à un poste le candidat le plus qualifié; il suffira qu’une personne possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour pouvoir être nommée à un poste. L’alinéa 30(2)b) de la LEFP précise que la Commission de la fonction publique (la Commission) peut également tenir compte de toute qualification supplémentaire considérée comme un atout pour le travail à accomplir, des besoins actuels ou futurs de l’administration ainsi que de toute exigence opérationnelle actuelle ou future. Cette disposition se lit comme suit :

30. (1) Les nominations – internes ou externes – à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

Définition du mérite

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

 

Meaning of merit

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

 

(b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

[19]     De plus, le comité d’évaluation dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation. À cet égard, l’article 36 de la LEFP stipule :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

36. In making an appointment, the Commission may use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

[…]

[67]       Le plaignant a également fait valoir que les gestionnaires responsables de l’embauche devraient se laisser guider par la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44) et être jugés tenus d’y accorder une plus grande importance.

[68]       Je souligne qu’un argument très semblable semble avoir été présenté à la Commission dans Abi-Mansour 2016, aux paragraphes 11 à 13. Lors de l’audition de cette affaire-là, le plaignant a tenté de produire des éléments de preuve sur des questions d’équité en matière d’emploi. La Commission a conclu ce qui suit :

[…]

[11]     Dans une décision précédente (Abi‑Mansour c. sous‑ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, 2013 TDFP 6), mettant en cause le même plaignant, mais un intimé différent, le Tribunal a établi qu’il ne lui appartenait pas de faire appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi, (L.C. 1995, ch. 44; la «LEE»), et que ce rôle avait été attribué à la CCDP par le législateur (voir les paragraphes 15 à 17). Toutefois, plus loin dans cette affaire, au paragraphe 20, le Tribunal a indiqué que «[b]ien que la CCDP soit chargée de faire appliquer la LEE, des questions d’équité en matière d’emploi peuvent tout de même s’avérer pertinentes dans l’examen des plaintes présentées au Tribunal en vertu de l’article 77» [je souligne]. Dans cette affaire, l’administrateur général avait mentionné dans l’énoncé des critères de mérite qu’il y avait un besoin organisationnel et que la sélection des candidats pourrait être limitée aux personnes identifiées comme appartenant à l’un des deux groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Dans cette affaire, le Tribunal avait conclu que la preuve liée à l’équité en matière d’emploi était pertinente pour déterminer si l’intimé avait abusé de son pouvoir en ce qui concerne l’évaluation du besoin organisationnel dans le cadre de ce processus de nomination.

[12]     À l’audience, je n’ai pas accepté les éléments de preuve portant sur l’équité en matière d’emploi, hormis un document général, le Plan d’action sur l’équité en matière d’emploi triennal de la Commission de la fonction publique (2010-2013), qui présente les divers objectifs et mesures de la CFP relativement à l’équité en matière d’emploi.

[13]     Je ne crois pas que des données sur l’équité en matière d’emploi puissent m’aider à déterminer s’il y a eu discrimination dans cette affaire. Comme je l’ai expliqué au plaignant, cette preuve n’est pas pertinente pour la question en cause, qui consiste à déterminer si la décision de l’intimé de l’éliminer à l’étape de la présélection, au motif qu’il ne répondait pas à l’exigence liée aux études, était entachée de discrimination. Je comprends qu’il peut être difficile de démontrer la discrimination et qu’une preuve circonstancielle peut être utilisée pour déduire qu’il y a probablement eu discrimination dans un cas particulier. Toutefois, la présente affaire ne ressemble pas à celle dans Abi-Mansour c. Président-directeur général de Passeport Canada, 2014 TDFP 12, dans laquelle le plaignant a allégué qu’il avait été éliminé du processus de nomination parce qu’il avait étudié à l’étranger. Dans l’affaire dont je suis saisie, tel qu’il est indiqué dans l’exposé conjoint des faits et dans la preuve présentée plus tard, la question consiste à déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a éliminé le plaignant du processus de nomination, puisqu’il ne répondait pas à l’exigence préalable voulant qu’il ait une spécialisation acceptable en économie, en sociologie ou en statistique. Le fait qu’une partie des études universitaires du plaignant ait été faite à l’étranger, ce qui, selon lui, constitue de la discrimination fondée sur son origine nationale ou ethnique, n’est pas une question à trancher dans la présente affaire. J’ai conclu que la preuve liée à l’équité en matière d’emploi n’était pas pertinente pour étudier la question devant moi.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[69]       Même si les faits sont quelque peu différents, étant donné que l’affaire dont je suis saisi porte sur un choix de processus qui a privé le plaignant d’une possibilité de demander une nomination, l’argument du plaignant dont je suis saisi est cohérent entre l’affaire en l’espèce et celle plaidée dans Abi-Mansour 2016.

[70]       Compte tenu de son affirmation selon laquelle les gestionnaires dans cette affaire auraient dû se laisser guider davantage par des considérations liées à l’équité en matière d’emploi au moment d’envisager un processus annoncé, qui aurait permis aux candidats faisant partie des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, comme le plaignant, de présenter leur candidature, il a présenté des données statistiques pour appuyer son affirmation.

[71]       Le plaignant a déposé en preuve (dans les pièces E‑23 et E‑24) de courts extraits de deux rapports du MPO. La copie du premier rapport ne présente même pas la page complète réelle, mais l’intimé n’a présenté aucune objection quant à son authenticité et j’ai donc autorisé son dépôt. Le rapport est intitulé Estimation nationale de l’analyse des effectifs membres des groupes de l’équité en matière d’emploi du ministère des Pêches et des Océans – Recensement de 2006 et Enquête sur la participation et les limitations d’activités – le 31 mars 2014.

[72]       Le plaignant a attiré mon attention sur ce court extrait du document qui, dans les quelques chiffres non caviardés toujours visibles dans la page, montre un écart (indiqué comme étant «- 1») pour le groupe Systèmes d’ordinateurs (CS) sous la colonne des minorités visibles. Les deux parties ont convenu que cette statistique représentait le groupe CS dans son intégralité au sein de l’effectif national du MPO et qu’elle dénotait que ce groupe manquait une personne d’une cible ou d’un quota non déclaré aux fins d’une représentativité appropriée à l’époque.

[73]       Le deuxième document semble être une page tirée de l’Analyse nationale des effectifs membres des groupes d’équité en matière d’emploi du MPO – Enquête nationale auprès des ménages de 2011 et Enquête canadienne sur l’incapacité – le 31 mars 2016. Selon ce rapport, le groupe CS affiche un écart de «-2».

[74]       L’avocat de l’employeur a interrogé les deux gestionnaires qui ont comparu à l’audience, Bertin (Bert) Paulin, gestionnaire des Solutions d’entreprise, et Sam Ryan, directeur général, Services techniques intégrés, MPO. Ils ont présenté des témoignages indépendants, mais cohérents selon lesquels au cours des trois dernières années, le groupe des Services techniques a rapidement connu une expansion après la réorganisation importante dont a fait l’objet la Direction générale des services de soutien de la technologie de l’information (TI) du MPO afin de créer un groupe centralisé.

[75]       M. Paulin a témoigné que le nombre de membres du personnel au bureau est passé de 8 à 40. Il a affirmé que, parmi ce nombre, 20 % se sont identifiés comme membres des minorités visibles. Il a ajouté que, sur environ 30 nouveaux postes qui ont été dotés, seulement 4 l’ont été au moyen de processus non annoncés. Il a expliqué que le ministère et lui prennent très au sérieux leurs responsabilités en matière de représentativité dans le cadre des décisions de nomination et qu’il avait cela à l’esprit alors que la réorganisation a mené à une croissance rapide du nombre de postes au sein de la direction générale.

[76]       Lorsqu’il a été interrogé à cet égard, M. Ryan a indiqué qu’à sa connaissance, 10 % des postes que la direction générale avait récemment dotés pendant son expansion l’avaient été au moyen de nominations non annoncées. Il a ajouté qu’il préférait avoir recours à des processus annoncés, car il croyait en l’importance de la diversité dans le recrutement du personnel. Il a ajouté qu’à l’heure actuelle il n’y avait aucune sous‑représentation à la Direction générale de la TI.

[77]       Le plaignant a souligné que les deux témoins de l’intimé ont omis de déposer une preuve documentaire corroborante pour appuyer leur témoignage quant au fait qu’ils s’appuyaient essentiellement sur des processus annoncés et sur la représentativité. Il a soutenu que je devrais tirer une conclusion défavorable en raison du fait que l’intimé n’avait pas déposé ces éléments de preuve.

[78]       Même si leur témoignage avait été renforcé de manière utile s’ils avaient déposé une preuve documentaire à l’appui en vue de confirmer les statistiques qu’ils affirmaient avoir atteintes, je ne tirerai aucune conclusion de fait défavorable uniquement en raison de l’absence de cette preuve documentaire supplémentaire.

[79]       Si le plaignant avait des doutes quant à la véracité de leur témoignage, il lui était loisible de les contester en contre-interrogatoire et de les confronter par des éléments de preuve contradictoires obtenus au moyen de sa propre recherche et d’autres statistiques, ce qu’il n’a pas fait.

[80]       À l’instar des issues pour le plaignant dans Abi-Mansour 2016, qui citait à son tour Abi-Mansour 2013, je ne suis pas convaincu que les déclarations générales et les statistiques citées dans l’affaire dont je suis saisi peuvent être utilisées pour conclure à un choix de processus de nomination inapproprié comme il le soutient. La Loi donne clairement aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire important dans l’établissement des processus de nomination, en plus de leur donner la souplesse de choisir le bon candidat, en fonction des critères de mérite. Si cette souplesse doit être limitée pour des raisons telles que le fait que le ministère ait une cote de «- 1» en ce qui concerne la représentativité dans une classification d’emploi particulière, je laisserai le soin à la CFP et au législateur d’examiner une telle modification.

[81]       Il ressort clairement de la preuve que, dans les documents justificatifs dans lesquels le MPO exigeait que les gestionnaires aient recours à un processus non annoncé, la question de la représentativité était désignée comme un principe directeur.

[82]       Le MPO oriente ses gestionnaires qui effectuent des nominations en publiant une Politique en matière de processus de nomination annoncés. Cette politique précise aux pages 1 et 2 qu’un processus de nomination non annoncé doit satisfaire à tous les principes suivants :

[…]

       Équité : les décisions sont rendues objectivement, exemptes de favoritisme politique ou personnel; les politiques et les pratiques tiennent compte du traitement équitable des employés et des candidats;

       Accès : avoir une possibilité raisonnable de poser sa candidature, et de voir cette dernière prise en compte pour un emploi dans la fonction publique;

       Transparence : les renseignements à propos des décisions, des politiques et des pratiques sont communiqués d’une façon transparente et opportune;

       Représentativité : les processus de nomination sont menés de façon impartiale et ne créent pas d’obstacles systémiques, afin que la fonction publique soit représentative de la population canadienne qu’elle sert.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[83]       Les gestionnaires étaient aussi orientés dans leur examen des nominations non annoncées par un formulaire «Justification» du MPO, qu’ils étaient tenus de suivre. Le formulaire énumère, entre autres, les critères qui peuvent justifier le recours à des nominations non annoncées. Parmi les 10 options présentées, M. Ryan a choisi la 7e pour justifier son choix des processus non annoncés pour procéder à une nomination aux deux postes en litige. Cette option précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La nomination d’une personne dont le nom figure dans un répertoire de candidats qualifiés à la suite d’un processus de sélection mené par une organisation fédérale assujettie à la LEFP ou une organisation dont le régime de dotation est approuvé par la Commission de la fonction publique aux fins de mobilité auquel les employés du MPO peuvent participer. Le candidat doit être qualifié dans le cadre d’un processus dont les critères de mérite essentiels sont similaires et au même groupe et niveau du poste à pourvoir.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[84]       M. Ryan a signé le formulaire le 23 avril 2015. Cependant, il ressort clairement de la preuve que les deux personnes nommées n’avaient pas été informées que leur nom avait été ajouté dans un répertoire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) avant le 15 mai 2015. M. Paulin a confirmé dans son témoignage qu’en effet, les noms des deux avaient été ajoutés à ce répertoire le 15 mai 2015.

[85]       Par ailleurs, le plaignant a déposé une preuve documentaire et a confirmé dans son contre-interrogatoire de M. Ryan et de M. Paulin qu’ils avaient décidé dès le 15 avril 2015 de procéder aux deux nominations en litige. Dans un courriel daté du même jour, M. Paulin a écrit à M. Ryan et lui a demandé de procéder aux nominations d’une durée indéterminée non annoncées des deux postes CS-02 en question. Il a déclaré que les personnes nommées s’étaient qualifiées récemment dans un processus CS-02 à la CISR, qui avait pour objet de créer un répertoire des candidats qualifiés réservés exclusivement à cet usage.

[86]       Le plaignant a également déposé en preuve une correspondance par courriel qui établissait que les «notifications de candidature retenue» (NCR) pour les deux nominations proposées en litige en l’espèce ont été délivrées rétroactivement. Elles étaient toutes les deux datées du 5 mai 2015 et étaient en vigueur jusqu’au 11 mai 2015, mais un courriel déposé en preuve indique que le 12 mai 2015, une personne des Ressources humaines a demandé si les NCR seraient prêtes ce jour‑là.

[87]       Lorsqu’il a été interrogé au sujet du formulaire de justification stipulant que les noms des deux candidats proposés aux fins de nominations non annoncées n’étaient pas réellement ajoutés à un répertoire à la date à laquelle le formulaire a été signé et rempli, M. Paulin a affirmé que le répertoire de la CISR en était aux premières étapes, que les deux candidats l’avaient tenu informé à chaque étape du processus de nomination de la CISR, et qu’ils l’avaient informé qu’ils recevaient une rétroaction très positive et qu’ils avançaient dans les étapes du processus de nomination.

[88]       Plus important encore, M. Paulin et M. Ryan ont indiqué que, à leur avis, il y avait un besoin urgent de conserver l’expertise des deux candidats, à qui on allait offrir, croyaient-ils, des postes d’une durée indéterminée ailleurs. Ils ont expliqué que la directive qu’ils avaient reçue de réduire les dépenses budgétaires consacrées aux experts-conseils externes et, en raison du fait que les candidats conservaient la mémoire organisationnelle concernant l’opération de deux programmes de TI essentiels à la mission, sur lesquels les opérations du MPO reposaient pour affecter des membres du personnel en mer et pour des fonctions connexes des ressources humaines, le risque de perdre leur expertise en raison de leur départ probable parce qu’ils n’occupaient pas des postes d’une durée indéterminée au MPO aurait été inacceptable.

[89]       M. Ryan a affirmé que de nouveaux postes d’une durée indéterminée avaient été approuvés pour la Direction générale de la TI, mais qu’il était très préoccupé par le fait que, si la direction ne faisait pas un effort spécial pour accélérer le processus de nomination normal, il serait trop tard pour retenir les deux candidats, car le processus de la CISR aurait pu se terminer et celle‑ci aurait pu leur offrir des postes d’une durée indéterminée avant que sa Direction générale du MPO soit en mesure de le faire. Il a indiqué que, pour cette raison, il a appuyé la demande de M. Paulin visant à accélérer les processus non annoncés qui prévoyaient que les noms des deux candidats seraient éventuellement ajoutés au répertoire de la CISR pour que tous les documents soient prêts. Il a affirmé que si leurs noms n’avaient pas été ajoutés au répertoire de la CISR, tous les documents auraient été déchiquetés.

[90]       Le plaignant a également présenté des éléments de preuve selon lesquels un certain membre du personnel de la CISR avait déjà fait partie du personnel du MPO et communiquait avec ce dernier au sujet des deux candidats en question. Le plaignant a laissé entendre que cette preuve était quelque peu fâcheuse. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, elle n’est d’aucune pertinence aux plaintes dont je suis saisi.

[91]       Le plaignant a soutenu que le fait d’antidater les NCR et la justification inexacte selon laquelle les noms des personnes nommées étaient ajoutés au répertoire de la CISR approximativement un mois avant qu’il soit établi constituaient des erreurs qui équivalent à un abus de pouvoir.

[92]       Le plaignant a cité Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21, dans laquelle le TDFP a conclu qu’un effort fermé en vue de nommer une personne avait mené à un écart flagrant des valeurs d’équité et de transparence en matière de dotation qui figurent dans le préambule de la Loi et dans le choix du ministère relatif aux lignes directrices en matière de dotation. En confirmant la plainte, le TDFP a conclu que la gestionnaire déléguée avait voulu dissimuler le fait qu’elle avait procédé à une nomination sans s’assurer que la personne nommée répondait à toutes les qualifications essentielles et que la décision était entachée de favoritisme personnel (voir le paragraphe 149).

[93]       Le plaignant a également invoqué Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 TDFP 20, dans laquelle on a conclu que la prétention du gestionnaire délégué concernant un besoin urgent et un souhait d’assurer la continuité opérationnelle n’était pas appuyée par les faits en concluant qu’une nomination non annoncée n’avait pas été justifiée. Le TDFP a également critiqué les modifications à l’énoncé des critères de mérite (ECM) et le fait que le gestionnaire délégué n’a pas pris en compte la façon dont d’autres employés auraient pu être admissibles si le processus avait été annoncé. Enfin, le TDFP a critiqué l’auto‑évaluation du gestionnaire délégué dans le processus de nomination quant à savoir si, effectivement, il avait respecté les critères de transparence et d’accès énoncés.

[94]       Finalement, le plaignant a cité Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, dans laquelle il a été conclu que le gestionnaire délégué dans cette affaire avait agi de façon trompeuse en fournissant une justification trompeuse et fausse pour se soustraire à la Loi et pour diviser une période de nomination intérimaire continue en deux, pour se soustraire aux exigences qui déclenchent un droit de déposer une plainte aux termes de la Loi (voir les paragraphes 127, 136 et 147).

[95]       Je souligne également que, dans Beyak, il a été confirmé que les gestionnaires ne sont pas tenus de prendre plus d’une candidature en considération pour procéder à une nomination, mais que ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et qu’il doit être exercé conformément à l’objectif législatif de la Loi (voir le paragraphe 125).

[96]       Dans le contexte de l’examen du bien-fondé des processus non annoncés, les deux gestionnaires ont expliqué la façon dont la Direction générale de la TI avait fait l’objet d’une réorganisation importante après que l’exercice du Plan d’action de réduction du déficit (PARD) a entraîné plusieurs modifications, dans le cadre desquelles la Direction générale a regroupé plusieurs postes qui avaient été réparties à l’échelle des opérations régionales. Parallèlement au déploiement rapide de nombreuses nouvelles applications logicielles, cela a créé ce que les deux témoins ont vu comme un besoin urgent d’identifier et de recruter des spécialistes en TI au sein de la Direction générale en croissance.

[97]       M. Ryan a témoigné que les deux personnes nommées avaient originalement été recrutées et nommées à des postes temporaires, l’une d’elle dans le cadre d’une affectation interne au MPO et l’autre dans le cadre d’un détachement externe. Il a également indiqué que leur recrutement faisait patrie d’une réorganisation beaucoup plus grande dans le cadre d’un plan des ressources humaines qui a découlé du PARD. Ce plan confiait à sa Direction générale la tâche de perfectionner l’expertise des membres du personnel relativement à des programmes de TI importants et de réduire son recours à des experts-conseils externes, sur qui on s’était presque entièrement fié auparavant pour obtenir une telle aide en programmation.

[98]       M. Ryan a affirmé qu’on lui avait demandé de réduire les dépenses importantes associées aux experts-conseils externes et de réduire le risque lié à la durabilité de l’infrastructure de programme essentielle en disposant d’un personnel interne apte à la programmation.

[99]       M. Ryan et M. Paulin ont tous les deux témoigné que la dualité et la complémentarité des tâches consistant à réduire la dépendance à l’égard d’experts-conseils externes pour réaliser des économies budgétaires et accroître la capacité interne justifiaient la sélection de processus non annoncés lorsque les deux titulaires ont cherché à obtenir des nominations à l’extérieur du MPO.

[100]    M. Ryan et M. Paulin ont affirmé que, lorsque la direction a été informée que les deux titulaires avançaient dans le cadre d’un processus de nomination externe au MPO, ils croyaient fermement qu’ils devaient agir très rapidement ou il y avait de fortes chances que les deux quittent le MPO pour des nominations d’une durée indéterminée pour lesquelles ils avaient déposé leur candidature.

[101]    Dans le cadre du contre-interrogatoire des gestionnaires de l’intimé, le plaignant a déposé en preuve l’argument selon lequel, si les deux employés nommés avaient quitté le MPO, alors quelque chose aurait dû être fait par l’entremise d’experts‑conseils externes ou par la formation d’autres membres du personnel, ce qui, selon lui, montrait la fausseté du témoignage des gestionnaires selon lequel les nominations non annoncées constituaient un besoin urgent. Il s’agissait d’une conclusion tirée dans Spirak.

[102]    Après avoir examiné attentivement les éléments de preuve et après avoir lu toutes les affaires présentées par les parties, je n’hésite aucunement à conclure que le plaignant n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de la preuve d’établir qu’un abus de pouvoir avait découlé de la décision de l’intimé de procéder aux nominations en litige en ayant recours à des processus non annoncés.

[103]    L’aveu de M. Paulin selon lequel il a mal présenté le fait que les noms des candidats figuraient dans un répertoire lorsqu’ils ont préparé les documents prospectivement pour justifier le recours à un processus non annoncé constitue une irrégularité.

[104]    Je souligne le témoignage de M. Ryan selon lequel, si les deux candidats n’avaient effectivement pas été inscrits au répertoire de la CISR, les documents indiquant le contraire auraient été détruits et on n’y aurait pas donné suite. Il a également affirmé que, si cela s’était produit, il aurait simplement attendu que leurs noms figurent dans un autre répertoire.

[105]    Compte tenu de la preuve susmentionnée, dans les circonstances de l’espèce, je ne suis pas prêt à conclure que ces documents de dotation prospectifs, que j’ai jugé être une irrégularité, étaient graves au point de constituer un abus de pouvoir.

[106]    La preuve a clairement établi que l’intimé avait exercé son pouvoir en vertu de l’article 33 de la Loi d’avoir recours à des processus non annoncés pour des raisons valables liées au fonctionnement stable et continu de ses programmes de TI importants.

[107]    L’intimé a répondu raisonnablement et pour des raisons liées uniquement à ses exigences opérationnelles justifiées lorsqu’il a été informé que deux employés importants participaient à un processus de nomination, dans le cadre duquel il y avait de bonnes chances qu’ils quittent le MPO.

[108]    Bien que le plaignant ait établi de manière efficace que le formulaire de justification de l’intimé a été rédigé incorrectement en indiquant que les noms des deux employés figuraient dans un répertoire alors que, dans les faits, cela a été fait environ un mois plus tard, je ne considère pas que cette imperfection est d’une ampleur semblable à ce qui a été plaidé dans Ayotte ou dans Beyak, le TDFP ayant conclu dans cette dernière que les actes du gestionnaire délégué avaient été trompeurs.

[109]    Dans la preuve dont je suis saisi, les gestionnaires responsables de l’embauche ont effectivement expliqué de manière transparente qu’ils estimaient qu’ils devaient préparer tous les documents de dotation pour maintenir en poste les deux employés pour des motifs valables, au cas où leurs noms seraient ajoutés au répertoire de la CISR et qu’ils reçoivent des offres d’emploi.

[110]    Contrairement à Ayotte et à Beyak, l’intimé en l’espèce n’a pas eu recours à la tromperie pour exécuter son plan si les noms des deux employés n’étaient ajoutés au répertoire de la CISR. Je suis saisi d’une preuve non contredite selon laquelle les mesures de dotation n’auraient pas eu lieu si les noms de ces deux personnes nommées n’avaient pas été ajoutés au répertoire de la CISR.

[111]    Le plaignant a également fait valoir que les énoncés de politique de la CFP et les énoncés de politique connexes du MPO que les gestionnaires doivent respecter pour recourir à des processus non annoncés ne comprennent pas des exigences opérationnelles; par conséquent, l’intimé n’aurait pas dû être autorisé à s’appuyer sur ses besoins opérationnels pour justifier le recours à des processus de nomination non annoncés.

[112]    Il s’agit d’un argument absurde. Son argument selon lequel les gestionnaires ne sont pas autorisés à se fonder sur les besoins opérationnels de leurs bureaux au moment de procéder à des nominations est complètement dénué de toute logique ou de bon sens.

[113]    Comme l’a indiqué le juge de Montigny en ce qui concerne l’objet et le préambule de la Loi, la raison pour laquelle on procède à des nominations dans la fonction publique est d’aider à la prestation des services gouvernementaux. Il a écrit ce qui suit au sujet du préambule de la Loi (au paragraphe 16) : «Le nouveau régime de dotation permet aux gestionnaires de doter les postes vacants en temps utile par des personnes qualifiées, de manière à ce que la fonction publique puisse bien s’acquitter de son rôle de servir les Canadiens.»

[114]    La raison pour laquelle un gestionnaire procède à une nomination est de contribuer à remplir le rôle de servir les Canadiens. Ce faisant, le gestionnaire doit se laisser guider par les principes énoncés dans les politiques que j’ai déjà décrites. Je suis convaincu que les principes pertinents ont été respectés dans les deux nominations en litige dont je suis saisi. De façon plus générale, comme les témoignages de M. Paulin et de M. Ryan l’ont clairement établi, ils prennent au sérieux leurs responsabilités de respecter ces principes, qui selon leur témoignage étaient l’atteinte des niveaux adéquats de représentativité de leur taux plutôt modeste de 10 % de nominations fondées sur des processus de nomination non annoncés.

[115]    Comme je l’ai souligné, le législateur a donné aux gestionnaires la souplesse de prendre des décisions en matière de dotation qui répondent à la demande à laquelle ils sont assujettis de servir le gouvernement fédéral et, par conséquent les citoyens du Canada. Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question ce que la preuve a établi comme étant des décisions de bonne foi pour des motifs liés aux besoins organisationnels et des nominations fondées sur le mérite.

[116]    Malgré le fait que le formulaire de justification ait été signé un mois plus tôt et le fait d’avoir affirmé que les noms des personnes nommées figuraient dans un répertoire, alors que ce n’était pas le cas, à mon avis, ce seul fait ne suffit pas pour tirer une conclusion d’abus de pouvoir dans le choix de processus de l’intimé. Je ne considère pas que cela constitue un abus de pouvoir compte tenu de la preuve claire et convaincante dont je suis saisi selon laquelle ce processus était fondé exclusivement sur les principes du mérite.

B. L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en utilisant le même énoncé des critères de mérite que celui qui a été établi par un autre organisme fédéral pour les deux postes?

[117]    Le plaignant a signalé le fait confirmé par les gestionnaires de l’intimé dans leur témoignage que le même ECM utilisé par la CISR a été utilisé pour établir l’ECM pour les deux postes en litige.

[118]    Le plaignant a également souligné une légère différence dans les «notifications de décision de nomination» lorsque les personnes nommées ont été embauchées pour la première fois dans des postes intérimaires comparativement aux fonctions énumérées dans les versions définitives de leurs avis.

[119]    Le plaignant a allégué qu’il s’agissait d’un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire d’utiliser l’ECM de la CISR et que l’ECM ne satisfaisait pas convenablement aux besoins des postes du MPO.

[120]    Il est bien établi qu’un gestionnaire responsable de l’embauche bénéficie d’une grande marge de manœuvre pour établir les qualifications essentielles et celles constituant un atout adaptées aux besoins opérationnels propres au milieu de travail. L’administrateur général bénéficie également d’une grande souplesse pour déterminer les critères visant à recruter la bonne personne pour le poste et le candidat qui y répond le mieux.

[121]    L’intimé a souligné que chaque gestionnaire qui a témoigné a déclaré qu’il croyait fermement que le travail accompli dans le cadre des deux postes, pour soutenir les programmes informatiques de la TI, était décrit de manière intégrale et précise, de sorte qu’ils pouvaient avoir recours au même ECM que celui utilisé par la CISR pour ses postes CS. Les gestionnaires ont témoigné que la programmation informatique au sein des deux organisations exigeait les mêmes connaissances «.NET» et que les postes au sein de chaque organisation consistaient à accomplir essentiellement le même travail.

[122]    L’intimé a invoqué la décision de la Cour fédérale dans Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, au paragraphe 70, qui soutenait que la création des qualifications essentielles est confiée aux gestionnaires et que ce n’était pas au TDFP (ou à la Commission) de les établir pour un poste.

[123]    Dans Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, au paragraphe 25, le TDFP a conclu de manière similaire que les administrateurs généraux possèdent les attributions particulières d’établir les qualifications essentielles et les qualifications supplémentaires ainsi que de préciser toute exigence opérationnelle et tout besoin futur de l’organisation.

[124]    L’affirmation du plaignant selon laquelle les gestionnaires doivent rédiger de manière indépendante chaque ECM pour une nomination pour laquelle un poste ailleurs comprend les mêmes tâches et exigent les mêmes qualifications n’a aucun sens, car cela équivaudrait à un gaspillage complet des ressources publiques.

[125]    Je conclus que le plaignant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir en utilisant le même ECM que celui de la CISR dans son processus de dotation pour pourvoir aux postes CS-02.

C. L’intimé a‑t‑il commis un abus de pouvoir en permettant au favoritisme personnel d’influencer les décisions de nomination?

[126]    En un mot, la réponse à cette allégation est : «non». Le témoignage des gestionnaires a clairement établi que leur décision de conserver les deux personnes nommées éventuelles au moyen de processus non annoncés était fondée uniquement sur le principe du mérite et le désir de les maintenir en poste aux fins de la stabilité et de l’efficacité opérationnelle de la Direction générale de la TI du MPO.

[127]    Le plaignant a allégué que les nominations étaient entachées de favoritisme personnel. M. Paulin et M. Ryan ont tous deux témoigné qu’à aucun moment ils n’ont eu une interaction ou une relation quelconque avec les deux personnes nommées en dehors de l’interaction normale de la direction avec les membres du personnel dans le milieu de travail. Il ne ressort aucunement de la preuve qu’il existait une relation personnelle quelconque entre la direction du MPO et les deux personnes nommées.

[128]    L’intimé a signalé le fait qu’il avait été bien établi devant la Commission que le favoritisme personnel doit être établi au moyen d’éléments de preuve clairs selon lesquels des facteurs autres que le mérite ont eu une incidence sur une nomination (voir Carlson-Needham et Borden c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38). En outre, il est tout à fait acceptable qu’un gestionnaire mette à profit sa connaissance personnelle d’un candidat (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24).

[129]    Comme je l’ai indiqué dans Warford c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2016 CRTEFP 56, au paragraphe 21, les actes en milieu de travail qui peuvent sembler favoriser un employé au moment de préparer cette personne aux fins d’une nomination peuvent être raisonnablement justifiés au moyen d’éléments de preuve qui montrent que les actions contestées en milieu de travail étaient effectivement nécessaires pour les exigences opérationnelles du bureau.

[130]    C’est le cas en l’espèce, où il n’y avait aucun élément de preuve que rien d’autre que le mérite et les exigences opérationnelles du milieu de travail n’a influencé la décision de recourir à des processus non annoncés et de procéder aux deux nominations qui en ont découlé.

[131]    Le plaignant a présenté son opinion selon laquelle, d’après le recours antérieur à des experts-conseils, le MPO pouvait de nouveau dépendre d’experts-conseils si les deux personnes nommées avaient quitté le ministère, et ce, sans subir de réductions relativement aux services de TI.

[132]    Cette opinion du plaignant va à l’encontre de la preuve concernant les motifs justifiés et valides de réduire la dépendance budgétaire associée aux experts-conseils et à de plus grandes connaissances internes pour améliorer la fiabilité que le MPO cherchait à atteindre au moyen de la réorganisation qui est à l’origine de toute cette affaire.

[133]    Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve pour justifier cette allégation, je conclus que le plaignant n’a pas réussi à établir que le favoritisme personnel a eu une influence sur les décisions de nomination. En conséquence, je conclus qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir relativement à cette allégation.

D. L’intimé a-t-il commis un abus de pouvoir en concluant que les personnes nommées répondaient à tous les critères de mérite essentiels?

[134]    La réponse à cette allégation est également simple – il n’en a pas commis. Le témoignage non contredit de M. Paulin était que les personnes nommées ont été évaluées en fonction de l’ECM et qu’il a été jugé qu’ils satisfaisaient à l’ensemble des critères. Il a également déclaré qu’il avait personnellement observé leur rendement et les avait trouvés très chevronnés et extrêmement bien qualifiés. M. Ryan a témoigné en disant qu’il avait personnellement examiné l’ECM et les qualifications des personnes nommées, et qu’il a conclu qu’elles dépassaient chacun des critères énoncés pour le poste.

[135]    Le plaignant a signalé que les documents du processus de nomination pour les deux personnes nommées différaient légèrement entre leurs affectations intérimaires de 2014 et leurs nominations pour une durée indéterminée de 2015, malgré le fait qu’elles occupaient les mêmes emplois. M. Paulin a expliqué que cela s’expliquait en raison de l’avis précédent faisant référence à un programme informatique en particulier qui, dans l’avis ultérieur, a été remplacé par un énoncé plus général portant sur des aptitudes en programmation informatique , qui, a-t-il affirmé, comprenaient ce programme. Je conclus que cette différence n’a aucune pertinence dans la décision à savoir si un abus de pouvoir a découlé des questions dont je suis saisi.

[136]    Le plaignant n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. Par conséquent, je conclus qu’il ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve, ce qui m’aurait permis de conclure qu’un abus de pouvoir avait découlé de cette allégation.

[137]    Je conclus que le plaignant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que ses allégations et éléments de preuve à l’appui, pris individuellement ou collectivement, constituent un abus de pouvoir de la part de l’intimé dans les deux nominations qui ont fait l’objet des plaintes en l’espèce.

[138]    Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

[139]    J’ordonne le rejet des plaintes.

Le 21 juin 2018.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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