Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été mise en disponibilité – elle a obtenu le statut d’employée prioritaire pour une période d’une année après cela en vertu du paragraphe 41(4) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) et la Directive sur le réaménagement des effectifs – au cours de cette année-là, elle a posé sa candidature à un poste classifié AS-01, mais elle a été éliminée – dans une décision antérieure, cette Commission avait conclu que cet acte était discriminatoire – les parties avaient par la suite présenté leurs arguments concernant la réparation – la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé d’être nommée au poste ou dans l’alternative d’être réintégrée à la liste de priorité pour 12 mois – l’employeur et la Commission de la fonction publique ont soutenu que la Commission n’avait pas la compétence pour ordonner ces réparations – ils ont souligné que le délai du statut prioritaire était expiré et ont soutenu que la Commission n’avait pas l’autorisation d’accorder un statut prioritaire supplémentaire – la Commission a convenu qu’elle n’avait pas la compétence de nommer la fonctionnaire s’estimant lésée à un poste – toutefois, elle a indiqué que le paragraphe 226(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral indique que, lors d’une décision concernant un grief, la Commission doit rendre une ordonnance qu’elle juge appropriée selon les circonstances – étant donné que la fonctionnaire s’estimant lésée a été privée de la possibilité de poser sa candidature pour un poste lorsqu’elle avait le statut prioritaire en raison d’un acte discriminatoire, la réparation appropriée serait de lui redonner cette possibilité – le pouvoir de réparation de la Commission a pour objectif de placer les fonctionnaires s’estimant lésés, dans la mesure du possible, dans la position dans laquelle ils seraient s’ils n’avaient pas subi le tort – la Commission a conclu que, dans ces circonstances, la réparation appropriée était de remettre la date de la mise en disponibilité à la date de la décision de la Commission et de réintégrer ainsi la fonctionnaire s’estimant lésée à la liste de priorité en vertu du paragraphe 41(4) de la LEFP pour une autre période de 12 mois.

Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

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  • Date:  20181019
  • Dossier:  566-02-11222
  • Référence:  2018 CRTESPF 85

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

EKARINA SANTAWIRYA

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Santawirya c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Marie Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Jean Michel Corbeil, avocat
Pour l'employeur:
John Craig, avocat
Pour la Commission de la fonction publique:
Lesa Brown, avocate
Alexandra Pullano, stagiaire en droit
Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 8 août et le 7 septembre 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Détermination de la réparation à la suite de l’arbitrage

1         Le 9 juillet 2018, j’ai rendu une décision au sujet d’un grief dans Santawirya c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2018 CRTESPF 58 (la « Décision »), dans laquelle j’ai accueilli le grief relatif à la discrimination, mais réservé ma décision quant à la réparation en attendant d’autres observations. En raison de la nature de la réparation envisagée, j’estimais qu’il était nécessaire d’obtenir des observations non seulement des parties, mais également de la Commission de la fonction publique (la « CFP »).

2         En conséquence, la Commission a demandé à la CFP de fournir des observations dans les 30 jours suivant la date de la décision, soit le 8 août 2018. L’employeur, soit le Conseil du Trésor, et la fonctionnaire s’estimant lésée, Ekarina Santawira (la « fonctionnaire »), ont tous deux fourni des observations supplémentaires le 7 septembre 2018.

3         Pour les motifs qui suivent, la fonctionnaire est réputée avoir été mise en disponibilité à la date de la présente décision. Conformément au paragraphe 41(4) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP ») et de l’article 11 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334; « REFP »), elle aura droit à un statut prioritaire pendant une période de 12 mois.

II. Résumé de la décision

4         En 2000, la fonctionnaire a été embauchée dans le cadre d’un programme d’équité en matière d’emploi à Industrie Canada. Elle est atteinte d’une déficience qui exige des mesures d’adaptation ergonomiques. En 2012, elle a été informée que ses services ne seraient plus requis dans le contexte de la réduction des dépenses à l’échelle du gouvernement.

5         La Directive sur le réaménagement des effectifs (DRE) est un protocole qui a été intégré dans les conventions collectives conclues entre le Conseil du Trésor et les différents agents négociateurs, y compris la convention collective qui couvrait l’emploi de la fonctionnaire à ce moment-là. L’objectif de la DRE est d’optimiser les possibilités des employés nommés pour une période indéterminée touchés par un réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans la mesure du possible, d’autres possibilités d’emploi leur soient offertes, et ce, au moyen de plusieurs options. La fonctionnaire a choisi l’option qui lui permettait de continuer d’occuper son poste pendant un an tout en bénéficiant d’un statut prioritaire à l’égard des nominations au sein de la fonction publique, et qui lui permettait de maintenir son statut prioritaire pendant une autre année après sa mise en disponibilité.

6         Pendant cette deuxième année, la fonctionnaire a posé sa candidature à un poste classifié AS-01 à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elle a été éliminée à l’étape de la présélection et, dans la décision, j’ai conclu que cette mesure était discriminatoire. En raison de cette mesure, elle a perdu une possibilité d’être considérée pour un poste à l’égard duquel elle aurait pu être qualifiée.

7         En ce qui concerne la réparation, en plus d’une indemnité pour le préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »), que j’ai accordée, la fonctionnaire a demandé d’être nommée au poste classifié AS-01 pour lequel elle n’a pas été évaluée.

8         Il est clair que la Commission n’a pas compétence pour nommer une personne à un poste, puisqu’il s’agit du droit exclusif de la CFP en vertu de la LEFP. Subsidiairement, la fonctionnaire demande à être de nouveau inscrite à la liste de priorité pendant 12 mois.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la Commission de la fonction publique

9         La CFP tient à jour un inventaire de personnes ayant un droit de priorité accordé en vertu de la LEFP.La période d’admissibilité est établie en vertu du REFP.

10        La CFP soutient que la Commission n’a pas compétence pour accorder un droit de priorité supplémentaire. Puisque le droit de la fonctionnaire a pris fin en octobre 2014, elle ne répond plus aux exigences de la LEFP et du REFP.De plus, aucun pouvoir n’est prévu en vertu de la LEFP ou du REFP en ce qui concerne la prolongation du droit de priorité.

11        La CFP renvoie à Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CF 523, concernant l’énoncé suivant, au paragraphe 48 : « La LEFP ne prévoit pas la prolongation de la période de validité du droit de priorité. »

12        La CFP estime que, puisque la loi est muette quant à la possibilité de prolonger la période d’admissibilité, on doit conclure que le législateur n’avait pas l’intention de permettre une telle prolongation. Comme l’a soulevé la CFP dans ses observations, [traduction] « […] il faut supposer que l’intention du législateur était que ces périodes d’admissibilité soient inaltérables. »

13        Le paragraphe 41(4) de la LEFP prévoit que la personne mise en disponibilité a droit à une priorité de nomination pendant la période prévue par la CFP. Conformément à l’article 11 du REFP, la CFP a fixé cette période à un an. La CFP ajoute que le Guide sur les droits de prioritéde la CFP énonce expressément que la CFP prévoit les dates de début et la durée des droits de priorité et que celles-ci ne peuvent être modifiées.

14        Malgré les vastes pouvoirs de réparation conférés à la Commission en vertu des articles 226 et 228 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTSPF », auparavant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ou LRTFP), la CFP fait valoir que la Commission n’a pas [traduction] « […] le pouvoir de réécrire les lois et les règlements fédéraux afin de remédier à un grief ». Puisque le mécanisme visant la prolongation de la période d’admissibilité n’existe pas dans la LEFP, la Commission ne peut pas le créer.

15        La Commission a reconnu dans la Décision qu’elle n’avait pas le pouvoir de faire des nominations au sein de l’administration publique centrale, puisque ce pouvoir exclusif est conféré à la CFP. La même contrainte s’applique à la prolongation du droit de priorité.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

16        La fonctionnaire soutient que la Commission a le pouvoir de prolonger le droit de priorité de 12 mois.

17        La fonctionnaire convient que le droit de priorité découle de la LEFP et que la CFP a le pouvoir de fixer la période d’admissibilité dans son règlement, le REFP, ce qu’elle a fait à l’article 11. La fonctionnaire indique que la CFP a élaboré le REFP, puisque la LEFP lui confère, au paragraphe 22(1), le pouvoir de« […], par règlement, prendre toute mesure nécessaire, selon elle, à l’application des dispositions de la présente loi portant sur les questions qui relèvent d’elle. »

18        La fonctionnaire souligne le vaste pouvoir de la Commission en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTSPF de rendre l’ordonnance qu’elle « juge indiquée ». Elle soutient également qu’en vertu de l’alinéa 226(2)a) de la LRTSPF, qui permet à la Commission d’interpréter et d’appliquer la LCDP, la Commission a le pouvoir d’accorder une réparation en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP, qui libellé comme suit :

53(2)b) […] la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire […] d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée; […]

19        Selon la fonctionnaire, le pouvoir de réparation de la Commission n’est pas limité par la loi, comme le soutient la CFP. Étant donné les vastes pouvoirs de la Commission, une limite du pouvoir de modifier l’application d’un droit de priorité devrait être énoncée expressément. La modification de la période prévue à l’article 11 du REFP relève du pouvoir de la Commission de rendre l’ordonnance qu’elle juge indiquée. Le Parlement a limité le pouvoir de la Commission, par exemple en excluant les dispositions relatives à la parité salariale de la LCDP des dispositions législatives portant sur l’emploi que la Commission peut interpréter et appliquer. En l’absence d’une telle limitation imposée à la Commission concernant la prolongation de la période d’admissibilité, une limite ne doit pas être inférée.

20        La CFP a fait une analogie avec le fait que la Commission n’avait pas le pouvoir de procéder à une nomination au sein de la fonction publique fédérale. Toutefois, la fonctionnaire soutient que cette question n’a rien à voir avec la présente affaire.

21        La LEFP confère à la CFP le pouvoir exclusif de procéder à des nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci. Toutefois, la réparation proposée en l’espèce consiste simplement à remettre la fonctionnaire dans la même situation dans laquelle elle aurait été, avec la possibilité de postuler à un emploi pendant sa période d’admissibilité au statut prioritaire, n’eût été le traitement discriminatoire dont elle a fait l’objet. Elle avait droit à la période d’admissibilité donnant droit au statut de priorité. Si elle a été privée de ce droit, rien n’empêche la Commission de le rétablir. Cela n’usurpe aucun pouvoir exclusif de la CFP et ne contredit aucune disposition législative.

22        Ultimement, il doit exister un recours utile lorsqu’une personne se voit refuser un avantage qui lui est accordé par la loi. En prolongeant la période d’admissibilité donnant droit au statut de priorité, la Commission ne confère aucun nouveau droit à la fonctionnaire, mais rétablit plutôt une possibilité refusée par le biais d’un acte discriminatoire.

C. Pour l’employeur

23        La priorité est un statut conféré par la loi, et non par la Commission. Si la Commission prolongeait une priorité, elle irait à l’encontre du régime législatif. En outre, en tant que réparation, même si la prolongation du statut prioritaire était possible en vertu de la LEFP, celle-ci ne serait pas appropriée puisqu’elle n’a rien à voir avec la question, qui en est une de discrimination. L’ASFC n’a pas mis fin au droit de priorité, qui a pris fin en vertu de l’application de la LEFP et du REFP. Par conséquent, une réparation prolongeant ce droit n’aurait aucun lien avec la conduite reprochée.

24        L’employeur souscrit aux observations de la CFP. Ni la CFP ni la Commission n’ont le pouvoir de prolonger un droit de priorité puisqu’un tel pouvoir n’existe pas en vertu de la LEFP. La prolongation du droit ou l’ordonnance d’une nouvelle période d’admissibilité contournerait et perturberait le régime législatif.

25        L’employeur invoque Stringer c. Canada (Procureur général), 2013 CF 735. Dans cette décision, la Cour fédérale a infirmé une décision rendue par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique qui ordonnait le paiement des intérêts sur une indemnité accordée en vertu de la LCDP. Puisque la nouvelle LRTFP prévoit un contexte précis pour le paiement des intérêts et qu’elle précise les dispositions de la LCDP en vertu desquelles un arbitre de grief peut accorder des dommages-intérêts, l’arbitre de grief n’avait aucun pouvoir d’accorder des intérêts, étant donné que la disposition de la LCDP portant sur les intérêts n’avait pas été ajoutée à la LRTFP, comme l’ont été les dispositions portant sur l’indemnité. En conséquence, la Commission ne peut s’appuyer sur l’alinéa 53(2)b) de la LCDP, comme l’a soutenu la fonctionnaire, pour accorder une réparation.

26        L’interprétation de la LRTSPF de manière à permettre à la Commission de créer des droits qui ne sont pas prévus dans la LEFP irait à l’encontre du principe de la cohérence législative. En outre, les dispositions particulières de la LEFP constituent une exception au pouvoir général et vaste de réparation prévu à l’article 228 de la LRTSPF.

27        L’employeur fait valoir que l’octroi d’une réparation donnerait lieu à un résultat absurde puisque la fonctionnaire se verrait alors accorder une période d’admissibilité donnant droit au statut de priorité de trois ans, plutôt que la période habituelle de deux ans.

28        Enfin, l’employeur réitère son objection initiale selon laquelle la fonctionnaire n’était plus une fonctionnaire au moment où les événements donnant lieu au grief sont survenus puisqu’elle avait été mise en disponibilité et que le paragraphe 64(4) de la LEFP énonce qu’un fonctionnaire mis en disponibilité perd sa qualité de fonctionnaire.

29        Si d’autres réparations sont envisagées, l’employeur demande la possibilité de présenter des observations complètes.

IV. Analyse

30        En ce qui concerne l’objection de l’employeur selon laquelle la fonctionnaire n’était pas une fonctionnaire, je réponds en indiquant seulement que je crois que la question a été entièrement réglée dans la décision rendue par le vice-président Olsen dans Santawirya c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTESPF 10. Le droit de la fonctionnaire au droit de priorité continuait après la mise en disponibilité en vertu de la DRE et de son ancien statut de fonctionnaire. Je n’estime pas que ses droits se sont éteints parce qu’elle a perdu sa qualité de fonctionnaire à ce moment-là. La présente décision concerne la réparation pour un droit refusé.

31        Les parties ont reconnu  qu’au moment de trancher un grief, la Commission doit rendre l’ordonnance qu’elle juge indiquée (par. 228(2) de la LRTSPF). Selon l’alinéa 226(2)a) de la LRTSPF, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP,sauf les dispositions de celle-ci portant sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes concernant toute question renvoyée à l’arbitrage. Puisque l’application de la LCDP a déjà été soulevée en l’espèce, la fonctionnaire soutient que la Commission a également le pouvoir de prendre la décision appropriée en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP.

32        Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de me prononcer sur l’application de l’alinéa 53(2)b) en l’espèce. On pourrait soutenir que, puisqu’en vertu de l’alinéa 226(1)b) de la LRTSPF, la Commission se voit conférer le pouvoir explicite d’ordonner des réparations en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(2) de la LCDP, elle ne peut se prévaloir des autres réparations prévues par la LCDP. Dans Stringer, la Cour fédérale a déclaré que l’arbitre de grief ne peut accorder d’intérêts sur une indemnité accordée en matière de droits de la personne, puisque le pouvoir d’accorder des intérêts conféré au Tribunal canadien des droits de la personne en vertu du paragraphe 53(4) de la LCDP n’avait pas été spécifiquement conféré à un arbitre de grief en vertu de la LRTFP.

33        Toutefois, dans la même décision, la Cour fédérale a conclu que l’arbitre de grief avait fait une erreur en décidant de ne pas tenir compte d’une telle réparation systémique envisagée à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, malgré le fait que cette disposition n’était pas mentionnée explicitement non plus dans la LRTFP. Il est possible que la Cour ait voulu laisser entendre que le pouvoir de rendre une telle décision découlait du pouvoir qui est conféré directement à la Commission aux termes du paragraphe 228(2) de la LRTSPF. Dans les circonstances et compte tenu de cette contradiction possible concernant les pouvoirs de réparation tirés de la LCDP, je préfère m’appuyer sur les pouvoirs de la Commission en vertu du paragraphe 228(2).

34        Quelle est donc la réparation appropriée dans les circonstances?

35        Mon point de départ est la prétention de la fonctionnaire qu’elle a été privée de la possibilité de postuler à un poste pendant qu’elle bénéficiait d’un statut de priorité. Dans la décision, j’ai conclu que cet argument était fondé.

36        Puisqu’une perte de possibilité a eu lieu, il me semble que la réparation appropriée consiste à rétablir la possibilité. La CFP et l’employeur font valoir que, puisque la LEFP, qui crée le système de droits, est muette quant à la prolongation d’une période d’admissibilité donnant doit au statut de priorité, ce rétablissement n’est pas possible.

37        Les pouvoirs de réparation de la Commission ne sont pas définis dans la LRTSPF. La loi est également muette en ce qui concerne un certain nombre d’autres réparations qui peuvent être accordées dans d’autres contextes, comme les dommages-intérêts, la perte de salaire et d’autres réparations qui ne sont pas prévues par la LRTSPF (voir Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2011 CRTFP 137; Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38).

38        Dans Canada (Procureur général) c. O’Leary, 2008 CF 212, l’arbitre de grief a conclu que M. O’Leary avait été renvoyé sans motif valable et qu’il avait fait l’objet de discrimination. M. O’Leary avait une incapacité qui ne pouvait être accommodée au lieu éloigné où était situé son poste. L’arbitre de grief a ordonné à l’employeur de verser à M. O’Leary le salaire et les avantages jusqu’à ce qu’un poste équivalent dans un endroit convenable puisse être trouvé. L’employeur a soutenu que l’ordonnance de l’arbitre de grief voulant qu’il verse une indemnisation pour une durée indéterminée ou qu’il offre une nomination à un autre poste équivalent constituait une usurpation du pouvoir exclusif de la CFP de procéder à des nominations. La Cour fédérale n’était pas du même avis et a conclu que l’arbitre de grief avait rendu une ordonnance qui était un « […] exercice d’un pouvoir relevant de sa compétence » et qui « dans ces circonstances […] était raisonnable et équitable ».

39        La CFP et l’employeur soutiennent que, de la même façon, la Commission ne peut ordonner une nomination, un pouvoir réservé exclusivement à la CFP dans l’administration publique centrale, et qu’elle ne peut ordonner le rétablissement du droit de priorité.

40        Un employé ne peut pas invoquer le droit à une nomination. Par contre, le droit de priorité est un droit prévu par la loi et il est accordé en vertu des conditions définies dans la LEFP. Il s’agit également d’une condition qui a été incluse dans la DRE afin de permettre aux employés qui perdent leur poste sans faute de leur part, de conserver leur emploi dans la fonction publique fédérale. Si ce droit est refusé et qu’un employé peut présenter un grief fondé à la Commission, je ne peux conclure que la Commission n’a pas l’obligation de corriger la situation afin de veiller à ce que, dans la mesure du possible, le droit soit exercé, surtout lorsque ce refus du droit découle d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP. Le pouvoir de réparation de la Commission vise à placer les fonctionnaires s’estimant lésés, dans la mesure du possible, dans la situation dans laquelle ils auraient été, n’eût été le préjudice qu’ils ont subi.

41        Dans ces circonstances, la réparation appropriée est de réinitialiser la date de mise en disponibilité, rétablissant ainsi le droit de priorité de la fonctionnaire en vertu du paragraphe 41(4) de la LEFP, ce qui lui donnera ainsi une autre période d’admissibilité donnant droit au statut de priorité de 12 mois. Je ne vois rien dans la LEFP qui empêche la Commission d’accorder cette réparation et il ne s’agirait pas non plus d’une [traduction] « réécriture » de la LEFP. La période de douze mois constitue la période prévue par le REFP, et je crois qu’elle constitue une période raisonnable permettant à la fonctionnaire d’avoir toute possibilité de postuler aux postes pour lesquels elle peut être qualifiée.

42        La CFP a renvoyé à Agnaou, plus particulièrement à la phrase qui énonce que la LEFP « […] ne prévoit aucune prolongation de la période au cours de laquelle le droit de priorité est valide » (voir le paragraphe 48).

43        Toutefois, la période au cours de laquelle le droit de priorité est valide en ce qui concerne cette réparation demeurera la même. La date de mise en disponibilité qui déclenche cette période sera réinitialisée. L’intention est de remédier à l’acte discriminatoire de l’employeur qui a privé la fonctionnaire d’une possibilité d’emploi.

44        En outre, je souligne que la CFP n’a pas approfondi son examen de la décision Agnaou. M. Agnaou avait présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CFP de ne pas lui accorder une mesure corrective, même si elle avait reconnu que des erreurs avaient été commises lorsque M. Agnaou n’a pas été évalué après avoir postulé dans un processus de nomination externe pendant sa période d’admissibilité au statut de priorité. Étant donné que la CFP avait adopté la position qu’elle n’avait aucun pouvoir légal de proroger la période, elle a simplement demandé que les deux gestionnaires responsables suivent une formation approfondie, sans accorder une réparation  à M. Agnaou. La Cour fédérale a accueilli la demande de M. Agnaou et déclaré ce qui suit :

[…]

[53]    Bien que les mesures correctives prises par la Commission soient évaluées sous l’angle de la décision raisonnable, cela ne signifie pas que le pouvoir discrétionnaire de la Commission à cet égard soit sans limites. La mesure corrective prise par la Commission doit respecter l’essence du préambule de la LEFP, soit la sauvegarde du principe du mérite et de la probité du processus de nomination à la fonction publique. L’atteinte d’un tel objectif nécessite la prise de mesures correctives permettant de remédier à des erreurs commises lorsque, tel qu’en l’espèce, celles-ci ont influé sur le processus de nomination en ce qu’une candidature prioritaire n’a pas été évaluée. Une décision quant à la prise de mesures correctives sera jugée déraisonnable lorsque la mesure corrective adoptée n’est pas en lien avec la violation constatée (Royal Oak Mines Inc c Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 RCS 369 au para 60)

[54]    La Cour est d’avis que l’ordonnance de la Commission en l’espèce n’est pas raisonnable en ce qu’elle ne tend pas à protéger l’intégrité du processus de nomination de la fonction publique. En effet, l’ordonnance prise par la Commission n’offre aucun remède à M. Agnaou, malgré le manquement relevé dans le processus de nomination […]

[…]

[56]    En l’espèce, M. Agnaou a été privé de l’opportunité de voir sa candidature évaluée sérieusement […]

[…]

[58]    En somme, la Cour conclut que M. Agnaou a été privé du bénéfice de son droit de priorité et que la Commission doit adopter une mesure corrective ayant un lien logique avec les manquements constatés dans son Rapport d’enquête et apportant à M. Agnaou une réparation valable.

[…]

[Je souligne]

45        La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Agnaou et a renvoyé l’affaire à la CFP afin que celle-ci détermine une nouvelle mesure corrective, conformément aux motifs du jugement.

46        Dans la recherche d’une « réparation significative » en l’espèce, je ne peux penser à aucune réparation plus appropriée dans les circonstances que celle d’accorder à la fonctionnaire une autre possibilité d’obtenir un poste au sein de la fonction publique en modifiant la date de sa mise en disponibilité, ce qui, en application des dispositions de la LEFP et du REFP, entraînera le retour du statut prioritaire de la fonctionnaire pendant une période de 12 mois. Une réparation a pour objet de placer la personne lésée, dans la mesure du possible, dans la position dans laquelle elle aurait été, n’eût été la faute commise. La fonctionnaire a perdu une possibilité d’emploi sérieuse en raison d’un acte discriminatoire; elle devrait avoir la possibilité d’avoir de nouveau cette occasion. Sa mise en disponibilité sera réputée commencer à compter de la date de la présente décision, lui donnant ainsi le droit de bénéficier de l’avantage offert en vertu du paragraphe 41(4) de la LEFP.

47        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

48        La fonctionnaire est réputée avoir été mise en disponibilité en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, (L.C. ch. 22, art. 12 et 13), à compter de la date de la présente décision. Elle a donc droit à l’avantage prévu au paragraphe 41(4) de la même Loi pendant la période prévue à l’article 11 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334.

Le 19 octobre 2018.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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