Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent des services frontaliers (ASF), a contesté le refus de l’employeur de verser l’indemnité de premiers soins prévue en vertu de la directive du Conseil national mixte intitulée Indemnité versée aux employés qui dispensent les premiers soins au grand public (la « directive ») – le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas témoigné – la Commission a conclu que les politiques et les procédures opérationnelles normalisées de l’employeur exigent que les ASF dispensent des premiers soins aux voyageurs, et que ceux ci font partie du « grand public » – cependant, la Commission a conclu qu’elle ne disposait pas de renseignements suffisants pour déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé remplissait toutes les exigences d’admissibilité énoncées dans la directive.

Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190117
  • Dossier:  566-02-11491
  • Référence:  2019 CRTESPF 5

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ALAIN BOUCHARD

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

employeur

Répertorié
Bouchard c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Pamela Sihota, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Joshua Alcock, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 5 juin et le 2 août 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1         Alain Bouchard, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a formulé un grief à l’encontre de l’interprétation par l’employeur (Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)) de la directive du Conseil national mixte (CNM) intitulée Indemnité versée aux employés qui dispensent les premiers soins au grand public (la « directive »). En particulier, il s’est plaint de la décision de l’employeur qui lui a refusé rétroactivement l’indemnité versée aux employés qui dispensent les premiers soins (l’« indemnité ») en vertu de cette politique.

2         Le 21 avril 2013, le grief a été présenté au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 3 septembre 2015, l’affaire a été renvoyée à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique.

3         Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé laCommission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et dispositions transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84).En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013,une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

4         Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

5         Au début de l’audience, j’ai été informée qu’il y avait 300 autres griefs apparentés non réglés. Le fonctionnaire ne souhaitait ni témoigner ni comparaître à l’audience. Le 5 juin 2018, sa représentante a obtenu un ajournement jusqu’au 2 août afin de déterminer si l’un des 300 autres cas pouvait remplacer celui-ci. Le jour de l’audience en août, elle a informé la Commission de son intention de procéder avec le présent grief, sans l’avantage du témoignage du fonctionnaire. Un cahier de preuves documentaires conjoint a été présenté, dont les onglets 1, 2, 3, 4, 6, 9, 10, 11, 12 et 15 sont déposés à titre de pièces.

II. Résumé de la preuve

6         Essentiellement, cette affaire porte sur une question d’interprétation de l’article 5.1 de la directive. Le fonctionnaire, un agent des services frontaliers (ASF), cherche à se faire verser l’indemnité à laquelle ont droit les employés qui travaillent à un emplacement où les installations médicales d’urgence ne sont pas aisément disponibles dans la zone immédiate (dans un rayon de 10 kilomètres). Selon sa représentante, au moment du dépôt du grief, le lieu de travail du fonctionnaire répondait à ce critère.

7         Un différend est survenu à l’égard de l’article 5.1.2, lequel affirme que les employés sont formellement tenus par l’employeur de dispenser sur une base régulière, et en plus de leurs fonctions normales, les premiers soins au grand public. L’ASFC maintient que les ASF n’ont pas cette fonction additionnelle; ils sont tenus de dispenser les premiers soins uniquement à leurs collègues ou à quiconque est détenu ou blessé en raison d’un recours à la force.

8         Le 15 mars 2013, l’employeur a publié un communiqué affirmant que les ASF ne satisfaisaient plus à toutes les exigences de l’article 5.1 depuis le 14 juin 2011. Selon l’interprétation de l’employeur, les ASF ne sont pas tenus de dispenser les premiers soins au grand public. Le présent grief a franchi les paliers de la procédure de règlement des griefs. Le Comité exécutif du CNM l’a traité, mais il a atteint une impasse (pièce 1, onglet 1).

9         André Beaulieu est un ASF dont le poste d’attache est au point d’entrée de Woodstock, au Nouveau-Brunswick. Selon son témoignage, les ASF interagissent tout au long de leur quart de travail avec des membres du grand public qui souhaitent entrer au Canada. Les ASF sont des agents de la paix. Puisqu’ils sont des agents d’application de la loi en uniforme, les personnes en détresse s’adressent à eux pour obtenir de l’aide. Une de ses conditions d’emploi est qu’il maintienne un certificat en premiers soins à jour. L’employeur organise et inscrit au calendrier la formation de certificat en premiers soins à l’intention des employés, et il rémunère ces derniers lorsqu’ils y participent.

10        Selon la preuve, les membres du public se présentent à un ASF pour un examen primaire à un poste frontalier terrestre lorsqu’ils souhaitent entrer au Canada. Ils sont autorisés à entrer lorsqu’ils satisfont aux exigences de toutes les lois applicables à l’examen primaire ou secondaire, selon le cas. N’importe qui peut être assujetti à un examen secondaire, lequel constitue une détention arbitraire. Cette personne n’est pas libre de partir jusqu’à ce que l’ASF menant l’un ou l’autre des examens l’autorise. Si la personne tente de partir, elle peut être accusée de défaut de se soumettre à l’examen. Les ASF mettent en état d’arrestation et détiennent toute personne qui échoue l’examen secondaire.

11        Si une personne qui fait l’objet d’un examen primaire ou secondaire devient malade ou a besoin d’attention médicale, l’ASF intervient et dispense les premiers soins. Une ambulance est dépêchée. Le formulaire d’entrée et d’examen complémentaire est rempli, et les documents de voyage de la personne sont saisis. Les soins sont dispensés jusqu’à l’arrivée des ambulanciers paramédicaux. La personne reçoit l’instruction de revenir au point d’entrée dès qu’elle obtient son congé de l’hôpital. Lorsque cette situation survient aux douanes, le véhicule de la personne est saisi. Selon M. Beaulieu, en tant qu’agent de la paix, il a l’obligation de dispenser les soins à une personne qui est sous son contrôle.

12        À d’autres moments, les personnes en détresse demanderont l’aide des ASF. M. Beaulieu a témoigné que lorsque le public voit un ASF en uniforme, il voit un policier. Le public considère que les ASF sont là pour porter assistance et assurer leur protection, par exemple en cas d’urgences médicales.

13        Les points d’entrée urbains reçoivent un plus grand volume de gens et disposent de plus de ressources. Les services de police, d’incendie et d’ambulance interviennent plus rapidement. Inversement, les points d’entrée éloignés comptent moins d’agents en fonction et les délais d’intervention des services d’urgence sont considérablement plus longs. Il n’y a pas d’installations médicales d’urgence dans un rayon de 10 kilomètres.

14        Selon les procédures normales d’exploitation de l’employeur sur le recours à la force (pièce 1, onglet 9), les ASF doivent dispenser les premiers soins à toute personne blessée dans un incident de recours à la force, y compris toute personne qui n’est pas directement impliquée, ce qui comprend le détenu impliqué dans l’incident, ainsi que les collègues de travail et le grand public.

15        M. Beaulieu a donné des exemples d’urgences médicales qui sont survenues alors qu’il travaillait à un point d’entrée éloigné et où il a dû dispenser les premiers soins. Ces incidents incluaient un conducteur souffrant de symptômes cardiaques, un passager d’autocar touristique qui ne pouvait plus marcher après avoir fait une chute dans une boutique hors taxe, une voiture dont un passager affichait des symptômes d’accident vasculaire cérébral, et une personne qui est tombée sans connaissance lors d’une inspection secondaire.

16        Lance Markell est le directeur du district St. Laurent de l’employeur, qui inclut le point d’entrée de Prescott, en Ontario. Des 600 000 personnes qui ont traversé la frontière à Prescott en 2017, 50 ont été détenues. Il est responsable des opérations de premières lignes et de la supervision de toutes les activités frontalières aux points d’entrée du district. Il a témoigné que les ASF sont tenus de dispenser les premiers soins aux membres du public dont ils ont la charge et la garde en raison d’une arrestation ou d’une détention, ou s’ils sont blessés dans un incident de recours à la force. Les ASF sont également tenus de dispenser les premiers soins aux employés du gouvernement dans le lieu de travail.

17        Les politiques de l’ASFC régissent les fonctions et les responsabilités des ASF à titre d’effectif armé. Les plus importantes sont celles qui se rapportent à l’exécution des fonctions, comme la politique sur le recours à la force et celles qui portent sur le soin et le contrôle des personnes détenues. Le manuel d’exécution de l’ASFC (pièce 3) est un exemple de document dans lequel l’employeur fixe des limites claires et directes sur ce que les ASF peuvent et ne peuvent pas faire. Lorsqu’ils transportent des détenus, tous les ASF sont tenus d’avoir un certificat en premiers soins (pièce 1, onglet 12, paragraphe 9). Les ASF offrent la capacité de première intervention aux points d’entrée, ce qui comprend les premiers soins, laquelle est prévue dans leur description de travail.

18        L’obligation de dispenser les premiers soins figure dans deux politiques de l’ASFC seulement : dans le [traduction] « Manuel d’exécution » de l’ASFC (à la partie 6 du chapitre 2 intitulée [traduction] « Garde et contrôle des personnes détenues sous garde – Politique et procédure » (pièce 1, onglet 11), et au chapitre 8, intitulé [traduction] « Transport par véhicule de personnes en état d’arrestation ou en détention ») et dans les [traduction] « Procédures normales d’exploitation sur les premiers soins et les défibrillateurs externes automatisés (DEA) » (pièce 2), qui s’appliquent à l’obligation de dispenser les premiers soins aux collègues.

19        Les membres du public qui demandent l’entrée au Canada à l’examen primaire ne sont pas libres de partir avant d’être relâchés. Par conséquent, ils sont sous la garde et le contrôle des ASF pendant cette période, même s’ils n’ont pas été mis en état d’arrestation. Et encore, à l’inspection secondaire, ils ne sont pas libres de partir avant que les ASF les relâchent. Ils ont été détenus. Après leur arrestation, ils ne sont plus membres du grand public.

20        Selon M. Markell, les ASF dispensent les premiers soins par souci de professionnalisme pour lequel ils sont reconnus, en tant que service public, et parce qu’ils sont bienveillants. L’employeur ne leur a jamais donné pour instruction de dispenser les premiers soins à qui que ce soit sauf aux personnes désignées.

21        Les ASF doivent adhérer à des normes d’éthique et de professionnalisme élevées. Ils sont tenus de maintenir l’intégrité de l’ASFC et du gouvernement du Canada. Le fait de ne pas agir ou d’agir d’une manière qui porte atteinte à la réputation de l’ASFC ou du gouvernement du Canada donne lieu à des mesures disciplinaires. Le manquement à la dispense de premiers soins pourrait ternir l’image de l’ASFC et du gouvernement du Canada et pourrait justifier la prise de sanctions disciplinaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

22        Pour savoir si l’ASF est tenu de dispenser les premiers soins au grand public en plus de ses fonctions régulières, il faut savoir qui constitue un membre du grand public et si l’employeur exige formellement qu’il le fasse. La réponse au grief et les témoignages établissent clairement que les ASF sont tenus de dispenser les premiers soins aux personnes détenues ou en état d’arrestation, lesquelles, selon M. Markell, constituent des membres du grand public.

23        L’ASFC exige que les ASF dispensent les premiers soins à toute personne qui traverse un point d’entrée. Le communiqué de l’employeur suit deux décisions du CNM : la décision 20.4.231 du 15 décembre 2010 (la « décision 1 ») et la décision 20.4.232, du 20 avril 2011 (la « décision 2 »). Le résultat dans les deux cas est que les ASF avaient satisfait aux quatre critères et qu’ils avaient donc droit à l’indemnité, payée en versements toutes les deux semaines.

24        À la suite des commentaires exprimés dans la décision 2, à la page 4, le Comité de santé et sécurité au travail du CNM a publié un bulletin dans lequel il précise la définition de « grand public ». Il renvoie à la population en général. En publiant ce document, le CNM avait l’intention d’empêcher que d’autres griefs soient déposés à ce sujet. L’employeur l’a interprétée de façon incohérente avec les deux décisions du CNM. Il est peu probable que le CNM publie quelque chose qui contredirait deux de ses décisions. Dans les deux premiers griefs dans lesquels le CNM s’est penché sur la question d’admissibilité à l’indemnité, le Comité exécutif du CNM a tiré la même conclusion. Deux ans plus tard, pour le présent troisième grief, le CNM a rendu une décision partagée et a atteint une impasse.

25        Le bulletin, publié le 14 juin 2011 (pièce 1, onglet 3), renvoie à ce qui suit : Rioux c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2009 CRTFP 57. À la page 2, il cite le paragraphe 49 de cette décision, particulièrement le fait que pour avoir droit à l’indemnité de premiers soins, l’obligation de prodiguer des premiers soins doit porter sur la population en général, non pas sur une partie restreinte de cette population. Les ASF peuvent être exclus de la définition de « grand public » lorsqu’ils sont des fonctionnaires au service du gouvernement du Canada. Mais les voyageurs n’en sont pas exclus.

26        Pour inférer l’intention des parties, il faut examiner les mots qu’elles emploient. Pour ce, il faut accorder à ces mots leur sens ordinaire et simple. Selon M. Markell, les personnes qui souhaitent entrer au Canada par un point d’entrée sont des membres du grand public. Même si l’interprétation de l’employeur est exacte et que cette définition exclut toute personne détenue, l’ASF qui se trouve dans une région éloignée est tout de même tenu de dispenser les premiers soins, aux fins de l’indemnité.

27        Selon la description de travail, les ASF assurent une capacité de premier intervenant. M. Markell a affirmé dans son témoignage que cette capacité inclut les premiers soins. Les voyageurs rencontrent les ASF en premier à un point d’entrée. Les ASF occupent un poste d’autorité, car peu importe où le voyageur se trouve dans le processus, il est sous la garde et le contrôle de l’ASF pendant toute cette période, jusqu’à ce qu’il soit dédouané. Le voyageur n’est pas libre de quitter le point d’entrée, même s’il est en détresse médicale, à moins que l’ASF l’autorise.

28        L’ASF est la personne la plus proche en position d’autorité qui doit avoir un certificat en premiers soins à jour. L’ASFC sait que les ASF dispensent les premiers soins au grand public; elle aime reconnaître ses employés pour ce service. L’affirmation de M. Markell qu’aucun agent n’est tenu de dispenser les premiers soins sauf dans les circonstances indiquées était fallacieuse et contraire à la conduite attendue d’un ASF. Sans être explicite, l’énoncé implique certainement ce fait en incluant la capacité de premier répondant dans la description de travail de l’ASF.

29        Un ASF qui satisfait aux trois autres exigences de la directive satisfait également à la deuxième et est admissible à l’indemnité. La justification pour verser l’indemnité aux ASF aux points d’entrée éloignés se rapporte au besoin accru et prolongé de porter assistance. S’il faut plus de temps avant que n’arrivent les soins médicaux, l’ASF est tenu de dispenser les premiers soins plus longtemps, une période au cours de laquelle la situation peut empirer. La majorité des personnes qui traversent un point d’entrée n’auront jamais besoin de premiers soins, mais lorsqu’elles en ont besoin, l’ASF est tenu d’intervenir.

B. Pour l’employeur

30        La Commission n’a pas entendu le témoignage du fonctionnaire et il lui manque un contexte de valeur, puisque le grief se rapporte personnellement à lui. Rien dans la preuve n’indique qu’il ait été tenu de dispenser les premiers soins à qui que ce soit dans le cadre de ses fonctions d’ASF. Sans cette preuve, le grief doit être rejeté.

31        Si l’ASFC exige formellement que les ASF dispensent les premiers soins, sur une base régulière, et en plus de leurs fonctions normales, ils n’ont pas droit à l’indemnité. Les questions à trancher sont à savoir si les ASF sont formellement tenus de dispenser les premiers soins, et si cette tâche s’ajoute à leurs fonctions normales, en plus de la définition de « grand public ».

32        Les ASF dispensent les premiers soins à toute personne détenue ou blessée dans un incident de recours à la force, et à leurs collègues de travail. M. Markell a expliqué l’étendue des exigences de l’employeur. Si l’obligation de dispenser les premiers soins existe, elle se trouverait dans les politiques et les procédures de l’employeur. Si elle ne s’y trouve pas, l’exigence de la directive voulant que l’ASF soit tenu formellement par l’employeur de dispenser les premiers soins au grand public n’est pas atteinte.

33        Si, en tant qu’agents de la paix, les ASF sont tenus de dispenser les premiers soins, ou si cette tâche fait partie de la description de travail, ils n’ont pas droit à l’indemnité. Si la dispense de premiers soins fait partie intégrante de leurs fonctions, ils n’ont pas droit à la rémunération supplémentaire.

34        Pour déterminer ce que signifie « grand public », il faut adopter une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique qui tient compte du régime législatif dans son ensemble (voir Grand River Enterprises Six Nations Ltd. c. Canada, 2012 CAF 239). Si l’employeur voulait que les ASF dispensent les premiers soins au grand public, cette obligation aurait été précisée dans leurs descriptions de travail (voir Rioux aux paragraphes 47 à 54). Rien dans la preuve n’indique que l’obligation de dispenser les premiers soins s’applique uniquement aux points d’entrée éloignés et que les ASF aux points d’entrée urbains ne sont pas tenus de les dispenser.

IV. Motifs

35        L’avocat de l’employeur a raison. Le présent grief doit être rejeté en raison de l’absence de preuve concernant le fonctionnaire. La directive établit que l’indemnité sera versée à chaque employé qui y est admissible et qui satisfait aux quatre exigences qu’elle établit. Dans son témoignage, M. Beaulieu a expliqué pourquoi il y est admissible dans son interprétation de la directive, et il a affirmé que si j’avais à trancher son grief, les résultats pourraient bien être différents. Malheureusement, je ne suis pas saisie du grief de M. Beaulieu.

36        Bien qu’on ne m’ait pas posé la question directement, je présume que la représentante du fonctionnaire voudrait que j’accepte que le témoignage de M. Beaulieu décrive essentiellement la même expérience que celle du fonctionnaire à Prescott. Je ne peux pas faire cela, surtout parce que je n’ai pas de preuve comparant les points d’entrée de Woodstock et de Prescott, et encore moins pour savoir si les attentes de l’employeur étaient les mêmes à l’égard du fonctionnaire qu’à l’égard de M. Beaulieu.

37        Le 5 juin 2018, les périls de procéder sans le témoignage du fonctionnaire ont été expliqués à sa représentante. Elle a obtenu un ajournement jusqu’au 2 août, soit pour le convaincre de témoigner, soit pour demander à un autre des 300 employés intéressés dont les griefs étaient suspendus de se présenter. La Commission a accepté de faciliter la substitution des dossiers et aurait procédé à entendre la preuve sur l’autre personne, mais elle a été informée le 2 août que la représentante du fonctionnaire avait l’intention de procéder avec le grief dont je suis saisi.

38        Comme l’indique le témoignage plus haut, il n’y a aucun doute que le fonctionnaire satisfait à la première exigence de la directive d’être un fonctionnaire et à la troisième exigence d’être employé dans un lieu de travail éloigné. Cependant, je ne peux pas déterminer si le fonctionnaire satisfait également aux troisième et quatrième exigences. En particulier, je n’ai aucune preuve des fonctions régulières du fonctionnaire, afin de pouvoir déterminer s’il était formellement tenu par le ministère sur une base régulière et en plus de ses fonctions normales, de dispenser les premiers soins au grand public. En outre, je n’ai reçu aucune preuve quant à savoir si le fonctionnaire doit, aux frais du ministère et à sa demande, suivre et réussir une formation en premiers soins et conserver ce niveau de compétence en premiers soins.

39        Malgré le fait que le présent grief soit rejeté, selon les renseignements que j’ai entendus, je peux conclure que le sens ordinaire de « grand public » inclurait les voyageurs qui souhaitent entrer au Canada. Même si l’employeur prétendait appliquer les règles d’interprétation généralement reconnues, à mon avis, son interprétation de « membre du public » est trop stricte et étroite. Je suis convaincue que si l’on demandait à une personne qui attend en ligne à un point d’entrée si elle est membre du grand public, elle répondrait par l’affirmative.

40        Je ne suis pas d’accord que la dispense de premiers soins par l’ASF se limite strictement aux deux situations indiquées par M. Markell dans la politique. Les obligations des employés se trouvent non seulement dans les politiques et les PNE de l’employeur, mais aussi dans les descriptions de travail qu’il crée. Il est clair que les ASF sont responsables d’offrir les capacités de premier intervenant, ce qui, selon M. Markell, comprend la dispense de premiers soins au besoin. Cela fait donc en sorte que la dispense de premiers soins à un voyageur fait partie intégrante des fonctions du poste d’ASF. Les ASF sont tenus de dispenser les premiers soins, pas en raison de leur statut d’agent de la paix, mais parce que l’employeur a inclus cette obligation dans leur description de travail.

41        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

42        Le grief est rejeté.

Le 17 janvier 2019.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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