Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont pris un congé avec étalement du revenu (CER) – le CER est une modalité de travail spéciale permettant à un employé de prendre un congé non payé de cinq semaines à trois mois, au cours d’une période précise d’un an – la rémunération de l’employé est réduite au prorata, étalée sur l’année, et des montants réguliers sont versés toutes les deux semaines – chaque fonctionnaire s’est vu refuser des crédits de congé annuel ou de congé de maladie pour des périodes de congé non payé de leur CER – en vertu de leurs conventions collectives, des crédits de congé annuel et de congé de maladie leur sont accordés pour chaque mois où ils ont reçu une rémunération équivalente à au moins 75 heures – la Commission a conclu qu’un congé non payé pris au cours d’un mois n’est pas inclus dans le calcul du seuil des heures requis – par conséquent, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas établi que l’employeur avait contrevenu aux conventions collectives en refusant de leur accorder des crédits de congé annuel ou de congé de maladie.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190219
  • Dossier:  566 02 11212, 14183, 14184, et 14366 et 568 02 355
  • Référence:  2019 CRTESPF 23

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

KERRY CARROLL, MAREK JANCZARSKI, STEPHEN HARTLING ET MARCELO FERME

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministère de l’Industrie)

employeur

Répertorié
Carroll c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministère de l’Industrie)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage et affaire concernant une demande de prorogation de délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Denise Giroux et Sarah Godwin, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur:
Adam Gilani, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 24 janvier et les 14 et 22 février 2018,
et d’une conférence de cas en personne tenue le 16 janvier 2019.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé

1        La présente affaire concerne le programme de congé avec étalement du revenu (CER) offert aux employés du Conseil du Trésor et la mesure dans laquelle les employés accumulent des crédits de congé annuel et de congé de maladie lors de leur participation à ce programme.

2        Le congé avec étalement du revenu est une modalité de travail spéciale permettant à l’employé de prendre un congé non payé, de cinq semaines à trois mois, au cours d’une période précise d’un an. La rémunération de l’employé est réduite au prorata, étalée sur l’année, et des montants réguliers sont versés toutes les deux semaines.

3        L’affaire concerne quatre employés qui ont déposé des griefs au cours de trois années différentes et qui sont visés par trois conventions collectives différentes pour deux ministères différents. Le fait qu’ils soient tous des employés du Conseil du Trésor et qu’ils soient représentés par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») constitue leur dénominateur commun.

4        Les trois conventions collectives en litige ne prévoient aucune disposition liée directement au programme de CER. Cependant, un libellé prévoyant que l’employeur peut accorder un congé payé ou non payé pour d’autres motifs figure dans les trois conventions collectives. L’employeur a créé la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales (la « Directive ») dans laquelle le CER est une forme de congé non payé. En guise de référence, la Directive prend à partie les articles des conventions collectives sur l’accumulation de crédits de congé annuel et de congé de maladie.

5        Les articles pertinents des trois conventions collectives ont en commun le libellé qui énonce que les crédits de congé annuel et de congé de maladie sont accumulés pour les mois civils « au cours duquel » ou « durant lequel » l’employé « touche la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures. » En l’espèce, il faut déterminer en quoi consiste le fait de toucher « la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures » pendant un mois?

6        Chaque fonctionnaire s’est vu refuser des crédits de congé annuel ou de congé de maladie pour des périodes où ils n’ont pas travaillé ou des périodes de congé non payé de leur CER. Selon la position de l’employeur, les portions de leurs modalités de travail spéciales où ils ne travaillaient pas constituaient un congé non payé. Il ajoute que les employés ne devraient pas cumuler des crédits de congé annuel et de congé de maladie au cours des mois où leurs heures de travail ne correspondent pas au seuil de 75 heures.

7        Les griefs contestent ce refus. Selon la position de tous les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), collectivement Kerry Carroll, Marek Janczarski, Stephen Hartling et Marcelo Ferme, des crédits de congé annuel et de congé de maladie auraient dû leur être accordés pendant toutes les portions non-payées de leur entente de congé puisque, pour chaque mois en cause, ils ont reçu une rémunération équivalente à au moins 75 heures (ou, dans le cas d’un fonctionnaire qui est un employé à temps partiel, à au moins 60 heures).

8        L’employeur et l’agent négociateur affirment que le libellé de la convention collective est clair et non ambigu. Je ne suis pas du même avis. L’exercice d’interprétation requis n’est ni simple ni facile.

9        Toutefois, pour les motifs qui suivent, je conclus que les fonctionnaires ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait, soit d’établir que les conventions collectives ont été violées. Par conséquent, les griefs sont rejetés.

II. Griefs renvoyés à l’arbitrage

10        Tel qu’il a été mentionné, la présente affaire concerne quatre griefs distincts renvoyés à l’arbitrage.

11        Pendant la période pertinente, Mme Carroll travaillait pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, maintenant Services publics et Approvisionnement Canada. Son poste était classifié au groupe et au niveau CS-01 et était visé par la convention collective des Systèmes d’ordinateurs (CS), venant à échéance le 21 décembre 2014. Mme Carroll était une employée à temps partiel et elle travaillait 30 heures normales par semaine. À l’origine, son grief visait deux périodes de CER, en 2013 et en 2014. Son grief a été renvoyé à l’arbitrage le 21 mai 2015 (dossier 566-02-11212).

12        L’employeur s’est opposé au motif que la partie du grief abordant la période de CER de 2013 était hors délai. En réponse, Mme Carroll a demandé une prolongation du délai et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) a ouvert le dossier 568-02-355. Dans des observations subséquentes, son représentant a retiré la période de 2013 du grief, rendant théorique la demande de prolongation du délai. En conséquence, j’ordonne la fermeture du dossier 568-02-355.

13        Dans son grief, Mme Carroll a tout d’abord contesté le refus de l’employeur de remplacer une période du CER de 2014 par un congé de deuil. Cependant, son représentant a ultérieurement abandonné cet aspect du grief. Par conséquent, le reste de son grief concerne le refus d’accorder des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour le mois d’août 2014, soit pendant une période de CER allant du 29 juillet au 29 août 2014.

14        Pendant la période pertinente, M. Janczarski travaillait au ministère de l’Industrie, maintenant Innovation, Sciences et Développement économique Canada (« ISDE »). Son poste était classifié au groupe et au niveau SG-PAT-05 et était visé par la convention collective Sciences appliquées et examen des brevets (SP), venant à échéance le 30 septembre 2014. Son grief, déposé le 3 décembre 2016, a été renvoyé à l’arbitrage le 19 mai 2017 (dossier 566-02-14183). Il concerne les quatre périodes non travaillées suivantes, prises en vertu de deux ensembles distincts de modalités de CER.

  • du 2 janvier au 6 février 2015 et du 22 août au 19 octobre 2015;
  • du 4 janvier au 4 février 2016 et du 22 août au 7 octobre 2016.

15        Pendant la période pertinente, M. Hartling travaillait également pour ISDE. Son poste était classifié au groupe et au niveau SG-PAT-05 et était visé par la même convention collective SP que M. Janczarski. Son grief, déposé le 22 juillet 2016, a été renvoyé à l’arbitrage le 19 mai 2017 (dossier 566-02-14184). Il concerne six ententes de CER et les six périodes non travaillées suivantes :

  • du 14 juillet au 15 août 2008;
  • du 13 juillet au 14 août 2009;
  • du 15 juillet au 20 août 2010;
  • du 11 juillet au 12 août 2011;
  • du 12 juillet au 29 août 2014;
  • du 1er août au 2 septembre 2016.

16        Pendant la période pertinente, M. Ferme a également travaillé pour ISDE. Son poste était classifié au groupe et au niveau EN-ENG-03 et était visé par la convention collective Architecture, génie et arpentage (NR), venant à échéance le 30 septembre 2014. Son grief, déposé le 3 mai 2017, concerne deux périodes non travaillées dans le cadre d’une entente de CER, soit du 4 juillet au 19 août 2016 et du 3 janvier au 6 février 2017. Son grief a été renvoyé à l’arbitrage le 18 juillet 2017 (dossier 566-02-14366).

17        Au moment des renvois à l’arbitrage, les quatre griefs avaient tous été présentés à la CRTEFP.

18        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79) pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

19        Tel qu’il a été proposé par l’agent négociateur, la Commission a ordonné que les quatre dossiers de griefs soient regroupés avec la demande de prolongation de Mme Carroll, dont l’audience avait été initialement été prévue les 4 et 5 janvier 2018.

20        À la suite d’une conférence préparatoire à l’audience tenue le 29 novembre 2017, la Commission a ordonné que l’affaire soit instruite sur la base d’arguments écrits. Les arguments écrits de l’agent négociateur ont été reçus le 24 janvier 2018, ceux de l’employeur ont été reçus le 14 février 2018, et ceux de l’agent négociateur ont été reçus le 22 février 2018.

21        En plus des objections concernant le respect des délais, au moment du renvoi à l’arbitrage du grief de Mme Carroll, l’employeur a soulevé des objections quant au respect des délais relativement aux griefs de M. Janczarski et de M. Hartling. Il les a retirées lors de la conférence préparatoire à l’audience et dans ses observations. Toutefois, à cette conférence, l’employeur a indiqué son intention d’invoquer le principe énoncé dans Canada (Office national du film) c. Coallier (C.A.F.), [1983] A.C.F. no 813 (QL), pour limiter les redressements demandés.

22        En novembre 2018, j’ai été désigné à titre de formation de la Commission pour trancher l’affaire. À la suite d’une analyse initiale, j’ai invité les parties à clarifier certains aspects de leurs arguments écrits, ce qui a été fait par plaidoiries au cours d’une conférence de cas tenue le 16 janvier 2019, en présence des parties.

III. Questions en litige

23        Les trois questions suivantes sont ressorties des observations des parties :

  1. Question 1 : Les conventions collectives pertinentes contraignent-elles l’employeur à créditer des crédits de congé annuel et de congé de maladie aux employés, et ce, pendant toute la période d’un CER où ils n’ont pas travaillé?
  2. Question 2 : Était-il interdit à l’employeur de soulever Coallier parce qu’il ne l’a pas fait au moment où les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage?
  3. Question 3 : S’il ne lui était pas interdit de le faire, le principe énoncé dans Coallier limite-t-il les redressements auxquels ont droit les fonctionnaires dans les circonstances particulières de l’affaire?

24        La première question représente l’enjeu fondamental de ces griefs. Si la réponse à cette question est affirmative, les deux autres questions seront soulevées en fonction des observations des parties, relativement à Coallier.

25        Dans ses observations, l’agent négociateur s’oppose à ce que l’employeur soulève Coallier à la conférence préparatoire à l’audience (après le renvoi à l’arbitrage). Selon sa position, l’employeur devait soulever son objection relative à Coallier à chaque palier de la procédure de règlement des griefs et dans les 30 jours suivant les renvois à l’arbitrage. À l’appui de sa position, il cite l’article 95 du Règlement, ainsi que la jurisprudence.

26        L’employeur réfute l’objection. En conséquence, la deuxième question est soulevée. Si je tranche cette question en sa faveur, la troisième et dernière question sera soulevée.

27        Tel qu’il est expliqué ci-dessous, je conclus que la réponse à la première question est « non » et que les griefs doivent être rejetés. En conséquence, les deuxième et troisième questions sont théoriques et je ne les examinerai pas davantage dans mes motifs.

IV. Motifs

A. Question 1 : Les conventions collectives pertinentes contraignent-elles l’employeur à créditer des crédits de congé annuel et de congé de maladie aux employés, et ce, pendant toute la période d’un CER où ils n’ont pas travaillé?

1. La Directive

28        Les deux parties reconnaissent que les conventions collectives ne comprennent aucune disposition particulière sur le CER. Toutefois, dans leurs arguments, les parties citent longuement la Directive.

29        Dans ses observations, l’employeur soutient que le CER est ancré dans les dispositions de la convention collective qui lui confèrent le pouvoir discrétionnaire d’accorder des congés qui ne sont pas par ailleurs précisés dans les conventions. Il renvoie aux clauses suivantes :

[…]

[Convention collective CS]

17.16 Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

[…]

[Conventions collectives NR et SP]

17.21 Autres congés non payés

À sa discrétion, l’Employeur peut accorder un congé non payé pour n’importe quelle autre fin y compris l’enrôlement dans les Forces armées canadiennes et l’occupation d’une charge municipale élue à plein temps.

[…]

30        L’employeur explique qu’en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’accorder d’autres congés non payés, il a créé les dispositions du CER au moyen de la Directive.

31        Dans ses observations, l’agent négociateur n’a pas contesté cette relation entre les conventions collectives et la Directive.

32        La Directive englobe plusieurs parties puisqu’elle régit un éventail de congés et de modalités spéciales. Elle compte quatre annexes, en plus du contenu général. En l’espèce, l’annexe D – « Congé avec étalement du revenu – Modalités de travail spéciales » fait l’objet du litige.

33        Lorsqu’elles citent la Directive et son annexe D, les deux parties ont choisi de mettre l’accent sur certaines clauses et, en fait, certains termes de la Directive. L’agent négociateur cite l’article 4 de la Directive, « Définitions », en soulignant ce qui suit :

congé avec étalement du revenu (leave with income averaging)

Désigne les modalités de travail autorisées qui permettent à la personne de réduire son nombre de semaines de travail au cours d’une période de douze mois en prenant un congé non payé d’une durée pouvant aller de cinq semaines à trois mois. La rémunération de la personne participante est réduite en conséquence et est étalée sur l’année, mais son niveau de participation aux régimes de pension et d’avantages sociaux (y compris les primes et cotisations payables) demeure inchangé.

[Le passage est mis en évidence par l’agent négociateur]

34        L’agent négociateur cite l’article 1 de l’annexe D, en soulignant ce qui suit :

1. Modalités de travail spéciales

Le congé avec étalement du revenu permet à la personne admissible de réduire son nombre de semaines de travail au cours d’une période de douze mois en prenant un congé non payé d’une durée pouvant aller de cinq semaines à trois mois.

La rémunération de la personne participante est réduite en conséquence et est étalée sur l’année, mais son niveau de participation aux régimes de pension et d’avantages sociaux (y compris les cotisations payables) demeure inchangé.

La personne demeure assujettie à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables, et sa situation d’emploi (temps plein, temps partiel, etc.) demeure la même.

Le congé proprement dit peut être pris en deux périodes à l’intérieur des douze mois. Chaque période doit être d’une durée d’au moins cinq semaines et la somme des deux périodes ne peut excéder trois mois.

Bien que la personne participant à une entente de congé avec étalement du revenu reçoive un revenu tout au long de la période de douze mois, elle est réputée être en congé non payé les jours non travaillés.

[Le passage est mis en évidence par l’agent négociateur]

35        Enfin, l’agent négociateur cite la clause 5.13 de l’annexe D qui prévoit des directives explicites relativement aux crédits de congé annuel et de congé de maladie, comme suit :

5.13 Crédits de congés annuels et de congés de maladie

Les crédits de congé annuel et de congé de maladie continueront de s’accumuler conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables.

Les crédits de congé annuel et de congé de maladie accumulés peuvent être utilisés uniquement lors des jours de travail de la personne. Au cours de la période de congés non payés de l’entente sur les modalités de travail, les crédits de congé annuel et de congé de maladie continueront de s’accumuler conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables.

[Le passage est mis en évidence par l’agent négociateur]

36        Selon la position de l’agent négociateur, l’employeur s’appuie injustement sur le libellé mis en évidence à la fin du dernier paragraphe de l’article 1, à savoir « […] elle est réputée être en congé non payé les jours non travaillés. » Il soutient ce qui suit :

[Traduction]

[…] les réponses des employeurs ont complètement omis de traiter, d’expliquer, d’interpréter ou d’appliquer les dispositions particulières figurant à l’annexe D qui orientent l’employeur quant à la question de savoir comment les crédits de congés annuels et de congés de maladie […] doivent être traités pendant les jours non travaillés du CER et d’expliquer la façon dont son approche est conforme au libellé des conventions collectives.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

37        Grâce à son choix de mettre l’accent sur certains termes de la clause 5.13, l’agent négociateur soutient que le libellé clair de la Directive indique que les crédits de congé annuel et de congé de maladie sont accumulés pendant la période de congé non payé.

38        L’employeur cite le même article, mais en soulignant différents termes, comme suit :

5.13 Crédits de congés annuels et de congés de maladie

Les crédits de congé annuel et de congé de maladie continueront de s’accumuler conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables.

Les crédits de congé annuel et de congé de maladie accumulés peuvent être utilisés uniquement lors des jours de travail de la personne. Au cours de la période de congés non payés de l’entente sur les modalités de travail, les crédits de congé annuel et de congé de maladie continueront de s’accumuler conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables.

[Le passage est mis en évidence par l’employeur]

39        Au moyen de ses observations, l’employeur cherche à faire valoir que la période non travaillée constitue un congé non payé et que les crédits s’accumuleront conformément à la convention collective applicable.

40        Même si la Directive existe en marge de la convention collective, les deux parties l’invoquent largement dans leurs arguments. En outre, les représentants de l’agent négociateur me renvoient à Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84, au paragraphe 55, comme suit, à l’appui de la proposition selon laquelle la Directive pourrait être assujettie à l’arbitrage :

55      Toute politique adoptée par un employeur, qu’elle soit ou non incorporée à la convention collective, est sujette à l’arbitrage si le différend se rapportant à la politique concerne son application ou sa compatibilité avec la convention collective. […]

41        Quoi qu’il en soit, à mon avis, la Directive nes’est pas avérée très instructive quant à la question de savoir si les fonctionnaires ont le droit d’accumuler des crédits de congé annuel et de congé de maladie pendant toute la période de leur CER. Plus particulièrement, je n’ai pas trouvé les passages en évidence de la Directive utiles. J’estime qu’il est juste de la lire, sa clause 5.13 en particulier, dans son ensemble et dans le contexte de la convention collective. Le sens ordinaire du libellé de la clause 5.13 selon lequel les crédits « continueront de s’accumuler » est modifié grandement par l’expression « […] conformément à la convention collective […] applicable. »

42        D’après cette lecture et mes commentaires antérieurs, je suis parvenu aux conclusions suivantes :

  1. Aucune des conventions collectives en vigueur ne contient un libellé particulier prévoyant le CER ou régissant son administration.
  2. Les conventions collectives confèrent à l’employeur un pouvoir discrétionnaire d’accorder des congés payés ou non payés pour d’autres motifs et l’employeur a publié la Directive en vue d’offrir une orientation quant à certains aspects de la façon dont ces congés doivent être accordés, y compris l’annexe D qui porte sur le CER.
  3. La Directive prévoit que la période non travaillée d’un CER est un congé non payé. Aucune disposition de la convention collective ne modifie cette directive.
  4. La disposition particulière de la Directive ayant trait aux crédits de congé annuel et de congé de maladie prévoit que les crédits de congé annuel et de congé de maladie « continueront de s’accumuler conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables. »
  5. En fin de compte, la Directive renvoie le lecteur aux dispositions particulières de la convention collective applicable. En conséquence, il faut répondre à la question posée par ces griefs en examinant ce libellé.

2. Les conventions collectives

43        Les phrases introductives pertinentes aux clauses concernant les congés annuels des trois conventions collectives sont semblables, comme suit :

[…]

[Convention collective CS]

15.02 Acquisition des crédits de congé annuel

L’employé acquiert des crédits de congé annuel selon les modalités décrites à l’alinéa a) ci-dessous pour chaque mois civil au cours duquel il a touché la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures.

[…]

[Conventions collectives NR et SP]

15.02 Acquisition des crédits de congé annuel

L’employé acquiert des crédits de congé annuel pour chaque mois civil au cours duquel il est rémunéré pour au moins soixante-quinze (75) heures selon les modalités suivantes :

[…]

44        Les clauses pertinentes relatives au congé de maladie sont identiques dans les trois conventions collectives, comme suit :

ARTICLE 16

CONGÉ DE MALADIE

16.01 Crédits

a)       L’employé acquiert des crédits de congé de maladie à raison de neuf virgule trois sept cinq (9,375) heures pour chaque mois civil durant lequel l’employé touche la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures.

[…]

45        Il convient de noter que, puisque Mme Carroll est une employée à temps partiel dont la semaine de travail normale est de 30 heures, ses crédits de congé annuel sont accumulés au prorata. L’agent négociateur indique que les clauses particulières de sa convention collective s’appliquent aux employés à temps partiel, y compris la clause 37.02 (prévoyant le principe général de la proportionnalité), la clause 37.09 (prévoyant les dispositions particulières concernant les crédits de congé annuel) et la clause 37.10 (congé de maladie), qui disposent :

37.02 Les employés à temps partiel ont droit aux avantages sociaux prévus dans la présente convention dans la même proportion qui existe entre leurs heures de travail d’horaire hebdomadaires normales et celles des employés à plein temps, sauf indication contraire dans la présente convention.

[…]

Congés annuels

37.09 L’employé à temps partiel acquiert des crédits de congé annuel pour chaque mois au cours duquel il touche la rémunération d’au moins deux (2) fois le nombre d’heures qu’il effectue pendant sa semaine de travail normale, au taux établi en fonction des années de service dans le paragraphe 15.02, ses crédits étant calculés au prorata et selon les modalités suivantes […]

[…]

Congés de maladie

37.10 L’employé à temps partiel acquiert des crédits de congé de maladie à raison d’un quart (1/4) du nombre d’heures qu’il effectue pendant sa semaine de travail normale, pour chaque mois civil au cours duquel il touche la rémunération d’au moins deux (2) fois le nombre d’heures de sa semaine de travail normale.

46        En conséquence, en ce qui concerne Mme Carroll, plutôt que d’accumuler des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour chaque mois au cours duquel elle touche la rémunération de 75 heures, ces clauses prévoient qu’elle acquiert des crédits pour chaque mois au cours duquel elle touche la rémunération de 60 heures – à savoir, deux fois le nombre d’heures qu’elle effectue pendant sa semaine de travail normale.

3. Arguments des fonctionnaires

47        Selon la position des fonctionnaires, le sens ordinaire du libellé « au cours duquel il est rémunéré » ou « durant lequel l’employé touche la rémunération » devrait donc être interprété comme l’acte de toucher réellement une rémunération. Leurs représentants font valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…] Il est incontestable que les quatre fonctionnaires ont tous « touché une rémunération » pour chaque mois civil d’un montant correspondant aux montants minimaux énoncés dans leur convention collective, tant durant les périodes travaillées que non travaillées de leur CER, de sorte qu’ils ont accumulé les crédits de congé prévus dans leurs clauses respectives ayant trait aux congés annuels et aux congés de maladie.

48        En d’autres termes, puisque la rémunération étalée correspondait à plus de 75 heures par mois (60 heures pour Mme Carroll) et que la rémunération était versée et touchée par les fonctionnaires chaque mois civil des années pertinentes, ils devraient recevoir des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour chaque mois civil des années pertinentes.

49        L’agent négociateur affirme que l’employeur tente d’assimiler l’expression « touch[e] la rémunération » à l’expression [traduction] « acquiert une rémunération» et qu’il cherche effectivement à revenir à un terme qui a été utilisé dans les versions antérieures des conventions collectives, qui étaient libellées comme suit :

                   [Traduction]

[Convention collective CS]

19.02   L’employé qui a acquis au moins 10 jours de rémunération pour chaque mois civil d’une année financière, devra acquérir des crédits de congé annuel selon les modalités suivantes […])

[Le passage est mis en évidence par l’agent négociateur]

50        Dans le cadre des négociations de la convention collective CS qui est venue à échéance en 1986, la clause sur les congés annuels a été reformulée. Le terme [traduction] « acquis » a été remplacé par le libellé actuel, soit : « touch[e] la rémunération ». La même chose s’est produite au cours des négociations des conventions collectives SP et NR qui sont venues à échéance en 1999. Aucune des parties n’a tenté de déposer des éléments de preuve extrinsèques au sujet des négociations de ces changements. Toutefois, l’agent négociateur a invoqué ce point en guise d’appui à son affirmation qu’il existe une différence de langage clair entre [traduction] « acquérir une rémunération » (earning) et « touch[er] » une rémunération (receiving) une rémunération. Il renvoie à la définition du Merriam-Webster Dictionary du terme [traduction]« acquérir » (earn), soit un verbe qui signifie [traduction] « toucher en contrepartie d’un effort et surtout d’un travail et de services rendus […] » et à la définition de « touche » (receive) comme étant un verbe signifiant [traduction] « entrer en possession de […] ».

51        Même s’il est possible que les fonctionnaires n’aient pas acquis (earned) une rémunération au cours de certains mois afin de respecter les seuils requis, ils ont en fait touché (receive) une rémunération au niveau requis. En conséquence, l’agent négociateur soutient que le sens ordinaire des clauses exige qu’ils reçoivent les crédits de congé annuel et de congé de maladie auxquels ils ont droit.

52        En outre, l’agent négociateur fait valoir que, si j’interprétais l’expression « touch[er] une rémunération » (receive pay) comme exigeant que les employés aient travaillé 75 heures au cours d’un mois, je modifierais la convention collective, ce que je n’ai pas le droit de faire en vertu de l’article 229 de la Loi, qui est libellé comme suit :

229    La décision de l’arbitre de grief ou de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

53        De plus, l’agent négociateur mentionne le principe selon lequel aucune limite ne devrait être imposée aux droits issus de la convention collective à moins qu’elle ne soit expressément indiquée. À cet égard, il m’a renvoyé à Delios c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 133, au paragraphe 22, confirmée dans 2015 CAF 117 et à Cianciarelli c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2017 CRTEFP 32, aux paragraphes 7 à 12 et 36 à 39. L’agent négociateur soutient que, puisque la convention collective ne comporte aucun libellé qui élimine clairement le droit aux crédits de congé annuel et de congé de maladie, les fonctionnaires devraient avoir le droit de les accumuler.

4. Argumentation de l’employeur

54        L’employeur fait également valoir le sens ordinaire du libellé de la convention collective et déclare que les clauses en litige sont « claires et non ambiguës », comme suit :

[Traduction]

47.     Le sens ordinaire du terme « rémunération » est interprété comme étant la rémunération pour des services rendus. L’employeur soutient que, même si les employés assujettis à une entente de CER touchent des sommes de l’employeur pendant la période non travaillée de CNP [congé non payé], il ne s’agit pas d’une rémunération pour cette période non travaillée au sens des conventions collectives.

48.     Les sommes touchées par les employés en CER pendant la période de CNP sont mieux comprises comme des sommes touchées en échange de services rendus pendant les périodes travaillées, qui sont retenues par l’employeur et réparties de manière différée (ou avancée), conformément à ce qui a été convenu dans chacune des ententes de CER.

55        L’employeur me renvoie à la clause 47.02 de la convention collective CS et aux clauses 46.02 des conventions collectives SP et NR, qui portent sur l’administration de la rémunération. Les clauses énoncent : « L’employé a droit de recevoir pour les services qu’il rend : […] la rémunération […] » et « [u]n employé a droit à une rémunération pour services rendus : […] », respectivement. En d’autres termes, la rémunération est liée au travail exécuté. Pour l’employeur, au moment de lire « est rémunéré pour au moins soixante-quinze (75) heures […] », le terme « pour » devient un terme clé. Il exige que l’on se pose la question [traduction] « Pourquoi? » De plus, puisque la rémunération est touchée pour des heures travaillées, on doit interpréter la clause de manière à exiger que la rémunération soit pour des services rendus au cours de la période en litige.

56        Lorsqu’on lui a demandé de donner des précisions relativement à cet argument, l’employeur a reconnu que la rémunération est également touchée en conséquence des dispositions de la convention collective négociées par les parties, comme les congés annuels, les congés de maladie et plusieurs autres formes de congés payés (comme le congé parental) et que de tels congés payés contribuent également à la réception d’une rémunération et, par conséquent, à franchir les seuils des clauses 15.02 et 16.01 des conventions collectives.

57        À l’appui de sa proposition que le libellé de la convention indique véritablement l’intention des parties, l’employeur renvoie à Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112. En ce qui concerne la proposition selon laquelle le sens ordinaire doit être appliqué malgré le fait que le résultat puisse sembler odieux ou injuste, l’employeur renvoie à Allen c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 76, confirmée dans 2017 FCA 81. De plus, pour ce qui est de la proposition que, en ce qui concerne le libellé clair et non ambigu, il n’est pas nécessaire d’examiner le contexte plus large ou des éléments de preuve extrinsèques, l’employeur renvoie à Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17. La Cour d’appel fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire de cette décision en concluant que ses conclusions étaient raisonnables (Canada (Attorney General) v. Fehr, 2018 FCA 159).

58        Contrairement à l’argument de l’agent négociateur selon lequel aucune limite ne devrait être imposée relativement aux droits issus de la convention collective à moins qu’elle ne soit expressément indiquée, l’employeur soutient que, conformément à la jurisprudence de la Commission et à l’état du droit des relations de travail, une intention clairement exprimée est requise pour conférer un avantage financier. Il soutient que les prestations de congé annuel et de congé de maladie constituent une forme d’avantage pécuniaire et il renvoie à Wallis c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CRTFP 180, au paragraphe 37, à l’appui de la proposition selon laquelle les employés qui travaillent en vertu de modalités de travail spéciales ne peuvent pas obtenir un avantage qui l’emporte sur celui qu’obtiennent ceux qui travaillent des heures régulières, « […] à moins que ce ne soit clairement précisé dans la convention collective. »

59        L’employeur soulève le fait que, même si des clauses particulières de la convention collective offrent un paiement des crédits de congé annuel non utilisés au moment de la cessation d’emploi ou d’un décès et que des clauses particulières prévoient l’avance et la récupération de crédits de congé de maladie, rien dans la convention collective ne confère clairement un avantage pécuniaire au titre de crédits de congé annuel et de congé de maladie aux employés qui sont en congé non payé.

5. Analyse et conclusion

60        Il est bien établi que les principes de base de l’interprétation des conventions collectives exigent qu’on attribue aux termes utilisés leur sens ordinaire, que les dispositions d’une convention ou d’un contrat soient lues dans leur ensemble, qu’il faut tenir compte de tous les termes utilisés et que les dispositions particulières doivent avoir préséance sur les principes généraux. L’employeur renvoie à ces principes de base (et d’autres) tirés de l’ouvrage de Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 5e édition, aux pages 21 à 55. L’agent négociateur cite essentiellement les mêmes principes tirés de l’ouvrage de Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, 4:200.

61        Comme je l’ai indiqué, la présente affaire dépend de la question de savoir ce que signifie le fait de toucher une rémunération pour soixante-quinze (75) heures au cours d’un mois civil. L’agent négociateur et l’employeur sont tous les deux convaincus que ces principes de base devraient m’amener à appuyer leur interprétation respective de la convention collective. Les deux sont également convaincus que les principes supplémentaires en matière d’interprétation qu’ils ont présentés ainsi que la jurisprudence invoquée m’amèneront à retenir leurs conclusions respectives.

62        L’agent négociateur estime que le sens ordinaire du libellé des clauses 15.02 et 16.01 des conventions collectives ont trait à l’acte de toucher une rémunération pendant le mois en cause. De ce seul point de vue, il est raisonnable pour les fonctionnaires de conclure qu’ils ont atteint le seuil établi par les clauses 15.02 et 16.01. Selon les faits non contestés, chacun des fonctionnaires a touché un salaire toutes les deux semaines au cours des mois en litige dans les présents griefs, selon un taux qui permet de répondre aux critères des clauses. Si l’interprétation de la convention collective doit s’arrêter au sens ordinaire de chaque mot lu dans leur ensemble dans ces clauses, les griefs doivent être accueillis.

63        L’employeur estime que le sens ordinaire des termes exige que les seuils ne puissent être atteints que s’ils touchent une rémunération en contrepartie de services rendus au cours d’un mois ou d’un congé payé au cours du mois. Un employé ne touche pas une rémunération au cours des mois où il est en congé non payé et, par conséquent, il ne peut pas toucher une rémunération pour ce mois et n’a donc pas droit à des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour ce mois.

64        Je ne peux retenir aucune des prétentions de l’une ou l’autre des parties voulant que le libellé des clauses 15.02 et 16.01 soit clair et non ambigu. L’interprétation de l’employeur ne tient pas compte de manière suffisante du sens ordinaire du terme « touche », qui est communément défini comme recevoir, entrer en possession de ou se voir présenter quelque chose. Son argument qu’il existe une distinction entre la rémunération touchée et les sommes reçues ne tient pas compte du fait qu’un montant est donné aux employés uniquement parce qu’il s’agit d’une rémunération.

65        D’autre part, l’interprétation de l’agent négociateur ne tient pas compte de manière suffisante du terme « pour » dans l’expression « est rémunéré pour », ce qui suppose que la rémunération est touchée pour quelque chose, et certainement pas pour un congé non payé.

66        Si je n’étais orienté que par le libellé exact de chaque clause, je pourrais établir une distinction entre le libellé des clauses 15.02 et 16.01. À la lecture attentive des deux clauses, on peut constater une légère différence dans le libellé de la version anglaise, comme suit :

[Convention collective CS]

15.02 Accumulation of Vacation Leave Credits

An employee shall earn vacation leave credits at the rate described in (a) below for each calendar month during which he or she receives pay for at least seventy-five (75) hours.

[…]

16.01 Credits

(a)      An employee shall earn sick leave credits at the rate of nine decimal three seven five (9.375) hours for each calendar month for which the employee receives pay for at least seventy-five (75) hours.

 [Je souligne]

67        Les versions françaises des conventions en litige contiennent également de légères différences entre les termes utilisés dans les clauses applicables portant sur les congés annuels et les congés de maladie :

[Convention collective CS]

15.02 Acquisition des crédits de congé annuel

L’employé acquiert des crédits de congé annuel selon les modalités décrites à l’alinéa a) ci-dessous pour chaque mois civil au cours duquel il a touché la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures.

[…]

16.01 Crédits

a.       L’employé acquiert des crédits de congé de maladie à raison de neuf virgule trois sept cinq (9,375) heures pour chaque mois civil durant lequel l’employé touche la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures.

[Je souligne]

68        Dans la version anglaise de la clause, l’utilisation de l’expression « during which » (« au cours duquel » dans la version française) de la clause 15.02 pourrait être interprétée comme militant plus clairement en faveur de l’interprétation de l’agent négociateur, à savoir que le fait de toucher une rémunération pendant un mois au cours duquel un employé touche une rémunération permet de déterminer le résultat. Étant donné que les employés ont touché une rémunération de 75 heures pendant les mois en litige, ils respecteraient le seuil établi.

69        D’autre part, l’utilisation de l’expression anglaise « for which » (« durant lequel » en français) dans la clause 16.01 suppose que la rémunération doit être pour ce mois, peu importe quand l’employé touche réellement la rémunération. Pour les mois en litige, les fonctionnaires étaient en congé non payé et, par conséquent, ils n’ont touché aucune rémunération « pour » ces mois; ils ne respectaient donc pas le seuil établi.

70        Dois-je donc conclure que, selon le libellé différent des clauses 15.02 et 16.01, les parties visaient un résultat différent pour les congés annuels par rapport aux congés de maladie?

71        Si je suivais le raisonnement de la Commission dans Fehr, tel qu’il a été suggéré par l’employeur, il serait possible que j’établisse cette distinction et que je détermine que les fonctionnaires ont droit à leurs crédits de congé annuel, mais non à leurs crédits de congé de maladie. Dans Fehr, l’employée en question avait changé d’unité de négociation au milieu de l’année et demandait un congé pour obligations familiales jusqu’à concurrence de 45 heures en vertu de chacune des conventions collectives. La décision de la Commission, en faveur de la fonctionnaire s’estimant lésée, s’appuyait sur la définition du terme « employé », qui a été défini comme un membre de l’unité de négociation, et sur le fait que la convention collective n’indiquait pas que les crédits de congé pour obligations familiales devaient être gagnés, contrairement à d’autres formes de congé.

72        En conséquence, les employés qui changent d’unité de négociation au milieu de l’exercice ont droit à un congé pour obligations familiales jusqu’à concurrence de 45 heures en vertu de chacune des conventions collectives, ce qui correspond à deux fois l’avantage dont bénéficie une personne qui ne change pas de convention (et, par extension, une personne qui travaille au sein de trois différentes unités de négociation aurait droit à trois fois l’allocation du congé pour un an).

73        L’agent négociateur aurait pu invoquer Fehr pour soutenir que le principe d’interprétation fondé sur le sens ordinaire doit avoir préséance sur les autres principes, même si des coûts supplémentaires ou un résultat qui pourrait être perçu comme injuste en découlent.

74        En ce qui concerne les principes d’interprétation, je préfère suivre le paragraphe suivant de Fehr :

67 Cette approche plus moderne de l’interprétation des contrats a évolué vers une démarche plus pratique et fondée sur le sens commun et n’est pas axée sur des règles de forme en matière d’interprétation. La question prédominante consiste à discerner l’intention des parties et la portée de leur compréhension. Pour ce faire, le décideur doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat.

75        Suivant ce principe, je ne peux conclure en l’espèce que les parties avaient l’intention d’avoir un résultat différent pour les crédits de congé annuel et de congé de maladie. Ni l’une ni l’autre des parties n’a invoqué ce résultat. En fait, elles ont toutes les deux soutenu que les clauses de la convention collective devaient être interprétées de la même façon.

76        De plus, toujours suivant ce principe, je ne peux conclure que l’acquisition de crédits peut être régie uniquement par le mois au cours duquel l’employé touche une rémunération, en ce sens que l’accumulation de crédits est liée au véritable dépôt de la rémunération dans le compte bancaire d’un employé, ce qui correspond effectivement à la position de l’agent négociateur.

77        Si j’assimilais le fait de toucher une rémunération au dépôt de la rémunération, certains résultats seraient absurdes. Par exemple, une employée dont le dernier jour de travail est le 31 janvier 2019. En raison de la structure du système de [traduction] « paye en arrérages », l’employée toucherait une bonne partie de sa rémunération (pour 16 jours de travail) en février 2019. Si le fait de toucher une rémunération au cours d’un mois dépend du dépôt de la rémunération au cours de ce mois, elle aurait acquis des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour le mois de février. Les deux parties ont reconnu que ce n’est pas le cas. (Toutefois, l’agent négociateur affirme que cela ne serait pas le cas parce que, en février, l’employée visée ne serait plus une employée.)

78        D’autre part, examinons l’exemple d’un employé dont la date de début est le 14 janvier 2019. En raison de la structure de paye en arrérages, elle ne toucherait aucune rémunération avant le 6 février 2019. Puisqu’elle a travaillé 14 jours en janvier, elle pourrait s’attendre à recevoir des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour ce mois. Puisqu’elle n’a pas touché de rémunération, est-ce qu’elle devrait ne pas recevoir ces congés? Je ne crois pas qu’il s’agit de l’intention des parties; en fait, un tel employé accumulerait des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour le mois de janvier 2019.

79        Les parties n’auraient pas non plus voulu que, en raison de l’échec temporaire du système de rémunération, un employé qui ne touche aucune rémunération pour trois mois consécutifs ne reçoive aucun crédit de congé annuel ou de congés de maladie. Elle s’est vue – ou se voit toujours – créditer des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour ces mois, même si elle n’a pas encore touché la rémunération qui y est associée.

80        En conséquence, l’expression « touch[e] la rémunération d’au moins soixante-quinze (75) heures » signifie manifestement quelque chose d’autre que [traduction] « J’ai reçu les dépôts de rémunération pour un total de 75 heures ou plus » au cours d’un mois donné.

81        En même temps, il est également clair que la rémunération n’est pas simplement pour des services rendus. La rémunération touchée par les employés comprend à la fois la rémunération touchée pour les services rendus et la rémunération touchée pour le congé payé autorisé et la rémunération pour les jours fériés désignés payés. Un employé qui est en congé annuel payé ou en congé de maladie payé pendant un mois ne rend aucun service direct, mais il touche quand même une rémunération pour ce mois et, par conséquent, il accumule des crédits de congé annuel et de congé maladie pour le mois en vertu des clauses 15.02 et 16.01.

82        Je conclus que, selon une interprétation appropriée, le libellé des clauses 15.02 et 16.01 entre en jeu lorsque les heures de rémunération à toucher pour un mois atteignent le seuil de 75 heures. La rémunération à toucher pour des services rendus et la rémunération à toucher sous différentes formes de congés payés négociés et pris au cours de ce mois sont comprises dans le calcul de ce seuil. Cette interprétation ne comprend aucun ajout ou modification du libellé de la convention collective; il s’agit plutôt d’une interprétation des termes et de l’ensemble de la convention.

83        En conséquence, un congé non payé pris au cours d’un mois n’est pas inclus dans le calcul du seuil des heures requis en vertu de ces clauses. Étant donné que le CER concerne d’importantes périodes de congés non payés, l’expression « non payé » doit avoir une signification et, par conséquent, doit avoir une incidence quelconque sur l’application des clauses 15.02 et 16.01.

84        De même, je conclus qu’il n’y a aucune différence entre les expressions [traduction] « acquérir une rémunération » (earns pay) et « touch[er] la rémunération » (receives pay) dans l’application de ces clauses. J’applique la logique de l’employeur selon laquelle la portée de la rémunération touchée pour des services rendus comprend les formes de congés payés négociés et, par conséquent, la portée de la rémunération acquise comprendrait également les formes de congés payés négociés.

85        Il existe une deuxième manière d’examiner la question, à savoir selon le « bon sens ». Si l’interprétation des fonctionnaires était retenue, ils accumuleraient les mêmes crédits de congé annuel et de congé de maladie qu’une personne qui a travaillé pendant toute l’année.

86        Je ne pense pas qu’il s’agit de l’intention de la convention collective. En participant au programme de CER, tous les fonctionnaires ont réduit leur niveau de travail rémunéré dans une année. La plupart d’eux l’ont réduit de cinq semaines, mais selon le programme, la réduction pourrait aller jusqu’à trois mois. En conséquence, la période non travaillée ou la période de congé non payé de l’année varie entre 1/10 (5 semaines sur 52) et 1/4 d’une année (3 mois sur 12). L’application par l’employeur de la convention collective établit effectivement au prorata les crédits de congé annuel et de congé de maladie pour l’année.

87        La détermination au prorata est un principe que les parties ont appliqué dans le cadre de la convention collective lorsqu’il s’agit d’employés à temps partiel, comme Mme Carroll. Puisqu’elle travaille habituellement 30 heures par semaine, elle n’atteint pas le seuil de 75 heures prévu par la clause 15.02; elle devait plutôt atteindre le seuil de 60 heures, prévu par la clause 37.02. Les crédits au titre des heures de congé annuel qu’elle reçoit ne sont pas les mêmes que ceux que recevrait un employé à temps plein; les siens sont accordés au prorata en fonction de ses heures de travail normales. De même, les crédits au titre des heures de congé de maladie ne correspondent pas aux 9,375 heures par mois accumulés par un employé à temps plein, mais à 0,25 fois 30 heures ou 7,5 heures par mois.

88        Toutefois, l’employeur n’a pas établi au prorata les crédits de congé annuel et de congé de maladie en, par exemple, réduisant l’attribution annuelle, passant de 1/10 à 1/4. Il n’existe aucune disposition sur l’établissement direct des crédits au prorata.

89        Au contraire, l’employeur a appliqué le libellé des clauses 15.02 et 16.02. Les crédits de congé annuel et de congé de maladie ne sont pas attribués en fonction d’un pourcentage de rémunération, mais ils sont accrédités en tant qu’heures rémunérées si un seuil de rémunération minimale a été touché au cours d’un mois donné et non accrédités si ce seuil de rémunération n’est pas touché.

90        Voici l’examen d’un exemple par fonctionnaire :

  • Mme Carroll, dont la période non travaillée de son congé était du 29 juillet au 29 août 2014, a atteint le seuil de 60 heures en juillet 2014, mais non en août 2014 et, par conséquent, elle n’a accumulé aucun crédit pour ce mois.
  • Les périodes non travaillées de M. Janczarski en 2016 étaient les suivantes : du 4 janvier au 5 février et du 22 août au 7 octobre. Il a respecté le seuil de 75 heures en février, en août et en octobre et a accumulé des crédits pour ces mois. Toutefois, il n’a pas atteint le seuil en janvier et en septembre et n’a accumulé aucun crédit pour ces mois.
  • La période non travaillée de M. Hartling en 2016 était du 1er août au 2 septembre. Il n’a pas atteint le seuil de 75 heures en août et n’a accumulé aucun crédit pour ce mois, mais son congé n’a eu aucune incidence sur ces crédits de septembre.
  • Les périodes non travaillées de M. Ferme en ce qui concerne son CER allaient du 4 juillet au 26 août 2016 et du 3 janvier au 6 février 2017. En conséquence, il n’a accumulé aucun crédit pour les mois de juillet et août 2016, ni pour le mois de janvier 2017, mais il a atteint le seuil pour le mois de février 2017, et a accumulé des crédits pour ce mois.

91        En troisième lieu, les deux parties ont également reconnu que d’autres formes de congés non payés peuvent entraîner la perte de crédits de congé annuel et de congé de maladie au cours d’un mois donné. Par exemple, les congés parentaux et de maternités sont considérés comme des congés non payés et les employés qui les prennent n’accumulent aucun crédit de congé annuel et de congé de maladie pendant leur congé non payé, ce qui a été mentionné dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Tribunal des droits de la personne), 1997 CanLII 5899, [1997] A.C.F. no 1734 (1re inst.) (Q.L.). Toutefois, les parties reconnaissent qu’une femme qui commence un congé de maternité tard au cours d’un mois pourrait effectivement toucher une rémunération atteignant le seuil de 75 heures pour le mois; ainsi, elle accumulerait des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour ce mois.

92        Dans un cas concernant l’interprétation d’une convention collective, le fonctionnaire, en l’espèce les fonctionnaires, doit s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. Je conclus que les fonctionnaires et leur agent négociateur n’ont pas établi que l’employeur a contrevenu à la convention collective. Je conclus que, selon la prépondérance de la probabilité, l’employeur a examiné de façon appropriée l’application des clauses 15.02 et 16.01 et, pour ce motif, les griefs sont rejetés.

93        Cela dit, je dois commenter davantage l’affirmation de l’employeur selon laquelle les dispositions de la Directive et le libellé des clauses 15.02 et 16.01 sont clairs et non ambigus. S’il en était ainsi, je soupçonne que ces griefs n’auraient pas été renvoyés à l’arbitrage. Les employés participant au programme de CER en profiteraient grandement si l’employeur, en consultation avec le syndicat, développait un outil de communication, par exemple un document de questions et de réponses ou un formulaire de demande révisé, afin de clarifier à l’avance la façon dont les prestations de congés annuels et de congés de maladie sont affectées par le CER.

B. Question 2 : Était-il interdit à l’employeur de soulever Coallier parce qu’il ne l’a pas soulevée au moment où les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage?

C. Question 3 : S’il ne lui était pas interdit, le principe énoncé dans Coallier limite-t-il les redressements auxquels ont droit les fonctionnaires dans les circonstances particulières de l’affaire?

94        Vu ma conclusion selon laquelle les griefs n’étaient pas fondés et doivent être rejetés, les deuxième et troisième questions sont théoriques et il n’est pas nécessaire de les examiner.

95        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

96        Les griefs sont rejetés.

97        Le dossier 568-02-355 est fermé.

Le 19 février 2019.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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