Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant s’auto-identifie comme ayant une difficulté d’apprentissage en ce qui concerne la coordination spatiale oculo manuelle – dans le cadre de l’évaluation des candidats pour le processus de nomination en cause, il a dû faire l’Exercice de simulation pour gestion intermédiaire obligatoire – il a été avisé qu’il devait utiliser un stylo et du papier – il a rappelé à la personne qui administrait cet exercice qu’il avait eu besoin d’utiliser un ordinateur et un clavier depuis qu’il avait commencé à travailler dans ce bureau – la personne lui a dit qu’il était trop tard et qu’il aurait dû demander la mesure d’adaptation avant de se présenter pour faire l’exercice – il ignorait qu’il ne pourrait pas utiliser un ordinateur et, par conséquent, ne savait pas qu’il fallait demander une mesure d’adaptation – néanmoins, le comité d’évaluation l’a informé qu’il devait faire l’exercice à l’aide d’un stylo et de papier ou retirer sa candidature – le plaignant n’a pas bien réussi l’exercice malgré le fait qu’il l’avait réussi lors d’un processus de nomination antérieur – la formation de la Commission a conclu que l’intimé avait fait preuve de discrimination contre le plaignant au motif illicite de l’invalidité, lorsque toute mesure d’adaptation raisonnable lui avait été refusée au moment de tenter l’exercice – la formation a ordonné le versement d’une indemnité pécuniaire en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour douleurs et souffrances et en raison de la conduite insouciante de l’intimé – la formation a aussi recommandé, au cas où il serait décidé avant l’administration d’un examen écrit qu’un stylo et du papier seront les seuls outils disponibles, que ces renseignements soient communiqués aux candidats possibles dans l’avis de possibilité d’emploi ou, à tout le moins, bien avant l’évaluation.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190313
  • Dossier:  EMP-2015-9686
  • Référence:  2019 CRTESPF 33

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

WILLIAM SPRUIN

plaignant

et

LE SOUS MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Spruin c. Sous ministre de l’Emploi et du Développement social


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoirs déposée aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant :
Sharon Barbour
Pour l'intimé:
Allison Sephton, avocate
Pour la Commission de la fonction publique:
Kimberley Jessome, avocate
Affaire entendue à Halifax (Nouvelle Écosse)
les 2 et 3 mai et les 20 et 21 juillet 2017.(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1         William Spruin (le « plaignant ») a participé à un processus de nomination interne annoncé au ministère de l’Emploi et du Développement social Canada (« EDSC »), visant le poste de gestionnaire des services, classifié au groupe et niveau PM-05.

2         Le plaignant s’auto-identifie comme ayant une difficulté d’apprentissage en ce qui concerne la coordination spatiale oculo-manuelle, qui est entièrement atténuée à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier pour effectuer son travail.

3         Lorsque le plaignant devait faire l’Exercice de simulation pour gestion intermédiaire (le « CFP 757 ») obligatoire dans le cadre de l’évaluation aux fins de la nomination qu’il cherchait à obtenir, il a été informé qu’il devait utiliser un crayon et du papier. Lorsqu’il a rappelé à la personne qui administrait l’évaluation qu’il avait demandé un ordinateur et un clavier depuis son arrivée au bureau en 2001, elle lui a dit qu’il était trop tard et qu’il aurait dû demander la mesure d’adaptation avant de se présenter. Il a répondu qu’il ne savait pas que la méthode d’évaluation comportait un crayon et du papier, puisque ces renseignements n’étaient pas disponibles. En conséquence, il lui était impossible de savoir qu’il devait demander une mesure d’adaptation.

4         Le plaignant a témoigné en disant qu’après y avoir songé, le comité d’évaluation lui avait dit qu’il devait faire l’exercice avec un crayon et du papier ou qu’il devait retirer sa candidature. Il a subi un stress et il s’est senti humilié en raison de ce traitement, et il n’a pas bien réussi l’exercice, malgré le fait qu’il l’avait réussi dans le passé.

5         À la suite d’une période d’environ trois mois au cours de laquelle il a ressenti un stress et une consternation quant à l’absence de mesures d’adaptation et à son rendement insatisfaisant dans le cadre de l’exercice, le plaignant a été autorisé à refaire le CFP 757 à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier, qui a encore une fois donné lieu à un rendement insatisfaisant et sa candidature a été éliminée.

6         Le plaignant a soutenu que l’absence d’un avis concernant les outils à utiliser au cours de l’évaluation et ensuite l’absence de mesures d’adaptation en temps opportun constituaient un abus de pouvoir et contrevenaient à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »). Le sous-ministre de l’Emploi et du Développement social Canada (l’« intimé ») nie qu’il y a eu abus de pouvoir dans le cadre de ce processus de nomination.

7         Pour les motifs énoncés dans la présente décision, je conclus que l’intimé a fait preuve de discrimination contre le plaignant au motif illicite de l’invalidité lorsque toute mesure d’adaptation raisonnable lui a été refusée lors de la première évaluation CFP 757 en mars 2014.

8         J’ordonne qu’une indemnité pécuniaire de 2 000 $ lui soit versée pour préjudice moral aux termes de l’al. 53(2)e) de la LCDP. J’accorde également au plaignant une indemnité de 2 000 $ aux termes du par. 53(3) de la LCDP pour la conduite insouciante de l’intimé.

9         Enfin, je recommande que, lorsqu’une détermination a été effectuée avant l’administration d’un test écrit selon laquelle un crayon et du papier seront les seuls outils utilisés pour faire le test, ces renseignements soient communiqués clairement aux candidats possibles dans l’avis de possibilité d’emploi (l’« APE ») ou, à tout le moins, bien avant l’évaluation.

II. Les faits

10        Le plaignant a commencé sa carrière auprès d’ESDC en 2001 et il avait été embauché dans le cadre d’un programme d’équité destiné aux personnes handicapées. Le plaignant s’auto-identifie comme ayant une difficulté d’apprentissage et a expliqué que cette difficulté avait été diagnostiquée en deuxième année. Cela lui a permis d’être placé dans une classe pour les personnes ayant des besoins particuliers, où il a obtenu une formation spéciale sur la façon d’écrire. Il a indiqué, en outre, dans son témoignage qu’il avait été victime de violence physique et psychologique pendant des années en raison de ses difficultés d’apprentissage et, entre autres, qu’il avait été traité de « retardé » par ses camarades de classe.

11        Selon le témoignage du plaignant, ce harcèlement l’a touché à tout jamais, car il sent qu’on lui a apposé une étiquette et il a déclaré qu’il éprouvait encore une grande difficulté à parler de ses difficultés. Il a expliqué qu’il a travaillé fort pour s’adapter à ses besoins particuliers, qu’il était motivé par l’envie d’être considéré comme un pair et qu’il devait travailler beaucoup plus fort et faire un meilleur travail que les autres simplement pour se sentir à leur niveau. Il a ajouté que, même s’il s’auto-identifie comme ayant une invalidité, il n’est confronté à aucune entrave lorsqu’il travaille dans un milieu sans obstacle.

12        Le plaignant a indiqué dans son témoignage qu’il écrit très lentement et que son niveau de compétence a été évalué comme étant équivalent à celui de la sixième année, mais qu’il s’est adapté et qu’il est compétent en écriture à l’aide d’un ordinateur, d’un clavier et d’un logiciel de traitement de texte. Lorsqu’il est forcé à utiliser un crayon pour écrire, il a affirmé qu’il se sent honteux et embarrassé concernant sa faible écriture, ce qui lui rappelle le harcèlement dont il a été victime étant enfant et lui cause du stress et de l’anxiété.

13        Le plaignant a postulé pour un processus de nomination annoncé à l’interne visant le poste de gestionnaire des services PM-05, dont le numéro de processus était : 2014-CSD-IA-NB-10933. La possibilité d’emploi prenait fin le 19 février 2014.

14        Le plaignant a passé le test et a ensuite déposé sa plainte aux termes de l’al. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13, la « Loi ») en alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir pour évaluer le mérite en ceci qu’il n’a pas pris de mesure d’adaptation à son égard, faisant ainsi preuve de discrimination à son encontre.

15        L’intimé n’a pas remis en question ou contesté l’invalidité du plaignant et la nécessité d’une mesure d’adaptation. La plainte a été présentée à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) le 7 avril 2015.

16        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

III. Analyse

17        Je dois décider si l’intimé a fait preuve de discrimination envers le plaignant dans le cadre de ce processus de nomination et, dans l’affirmative, si la mesure d’adaptation nécessaire pour répondre aux besoins du plaignant était équivalente à une contrainte excessive pour l’intimé.

18        L’article 77 de la Loi prévoit que tout candidat non retenu du secteur de sélection d’un processus de nomination interne peut présenter une plainte à la Commission pour indiquer qu’il n’a pas été nommé pour une nomination en raison d’un abus de pouvoir. La Commission a statué que la gravité et la nature de toute erreur ou omission, et la mesure dans laquelle une conduite est inappropriée peuvent déterminer s’il y a eu abus de pouvoir.

19        Le fardeau de la preuve repose sur le plaignant, qui doit présenter une preuve suffisante pour que la Commission détermine, selon la prépondérance des probabilités, qu’une conclusion d’abus de pouvoir est justifiée (voir Tibbs c. Sous-ministre de la défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49, 50, 55, 65 et 66).

20        L’article 80 de la Loi prévoit que la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’elle détermine si une plainte est fondée sur l’art. 77. L’article 7 de la LCDP prévoit qu’il est discriminatoire, dans le cadre d’un emploi, de faire une distinction défavorable à l’égard d’un employé, pour un motif de discrimination illicite. L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de discrimination illicites, y compris l’invalidité.

21        Afin de prouver que l’intimé s’est livré à une pratique discriminatoire, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 (« O’Malley ») : « Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. »

22        Dans des cas comme l’espèce, un intimé peut répondre à une allégation de discrimination prima facie en démontrant qu’il offrait des mesures d’adaptation raisonnables à l’employé ou que le fait de répondre aux besoins de l’employé lui aurait causé un préjudice injustifié (voir le par. 15(2) de la LCDP et Boivin c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 8, au paragraphe 59).

23        Lorsque la Commission conclut qu’un défendeur s’est livré à une pratique discriminatoire dans le cadre d’un processus de nomination, une plainte d’abus de pouvoir sera maintenue. (Voir, par exemple, Murray c. le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et al., 2009 TDFP 33, au par. 125.)

24        Le plaignant a renvoyé à sa demande en ligne concernant le poste, qui a été soumise le 14 février 2014. Dans sa demande, il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Comme cela était indiqué dans l’annonce, vous avez demandé aux membres visés par l’équité de s’auto-identifier. J’ai obtenu mon poste à RHDCC dans le cadre d’un concours fondé sur l’équité liée à mon trouble d’apprentissage. Je suis pleinement en mesure de répondre à mes besoins liés à mon trouble en milieu de travail et il n’a aucune incidence sur mes fonctions actuelles.

[…]

25        Dans l’espace approprié du formulaire de demande intitulé « Formulaire d’autodéclaration des membres des groupes désignés au titre de l’équité en matière d’emploi », le plaignant a sélectionné « oui », au sens qu’il était une personne handicapée et a indiqué que son invalidité était visée par « (23) Autres troubles d’apprentissage ».

26        Après avoir postulé, sa candidature a été retenue et le plaignant a été invité, par un courriel envoyé le 12 mars 2014, à prendre part à une évaluation la semaine suivante, soit le 19 mars, lors de laquelle il devait passer le CFP 757. L’invitation ne comprenait aucun détail quant au fait que l’exercice devait se faire au moyen d’un crayon et de papier, mais elle comprenait le texte suivant dans un courriel signé par Arlene van Diepen, qui était la présidente du comité d’évaluation :

[Traduction]

[…]

Si vous avez des limitations physiques ou relatives à la santé qui pourraient toucher votre rendement pendant une étape du processus de sélection, ou si une mesure d’adaptation doit être prise pendant l’évaluation, on vous encourage fortement à communiquer avec Jacinta Campbell … dans les plus brefs délais.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

27        Afin de se préparer au CFP 757, le plaignant a affirmé dans son témoignage qu’il avait lu attentivement l’APE, et que ce dernier indiquait uniquement qu’un [traduction] « examen écrit pourrait être donné ». Il a expliqué que cela ne lui avait causé aucune préoccupation puisqu’il effectuait du travail écrit quotidiennement dans le cadre de son travail à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier et qu’il s’attendait à ce que les outils de son travail quotidien soient disponibles à l’examen.

28        Le plaignant a témoigné en disant qu’il avait fait une recherche dans le site Web de la Commission de la fonction publique (CFP) pour déterminer les outils utilisés aux fins du CFP 757. Dans son témoignage, il a dit qu’il n’avait trouvé aucun renseignement notifiant que l’examen se ferait à l’aide d’un crayon et du papier.

29        Je fais remarquer que l’APE énonçait également ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La Fonction publique du Canada est résolue à élaborer des processus de nomination et des milieux de travail inclusifs et sans obstacle. Si on communique avec vous concernant ce processus, veuillez informer le représentant de l’organisation du fait que vous avez besoin d’une mesure d’adaptation afin de vous permettre d’être évalué de manière juste et équitable.

[…]

30        Dans son témoignage, le plaignant a déclaré qu’il avait déjà fait le même CFP 757 au cours de deux autres processus de nomination. Il a déclaré que, dans le premier processus, il avait demandé un ordinateur et un clavier et qu’ils lui avaient été fournis, et que, dans le deuxième, tous les candidats avaient le choix de le faire à l’aide d’un crayon et du papier ou d’un ordinateur et d’un clavier.

31        En contre-interrogatoire, le plaignant a déclaré qu’il ne se souvenait pas s’il avait demandé à l’avance de ces deux exercices si un ordinateur et un clavier seraient disponibles pour qu’il puisse les utiliser. On lui a ensuite présenté ses courriels suivants, des 21 et 22 mars 2011, au sujet d’un processus de 2011 concernant un poste PM-05, au cours duquel le même problème relatif à l’outil d’évaluation avait été soulevé.

32        Le plaignant a reconnu avoir rédigé les courriels. Ils démontraient que, dans le cadre de ce processus, il avait envoyé un courriel à un représentant des ressources humaines quelques jours avant l’exercice d’évaluation en vue d’amorcer un dialogue au sujet de son invalidité et du fait qu’il supposait que l’exercice tiendrait compte du lieu de travail et lui permettrait d’utiliser des outils de travail qui n’étaient pas indiqués, mais qui, selon lui, renvoyaient à son ordinateur et son clavier. Il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai un trouble d’apprentissage qui touche ma coordination spatiale oculo-manuelle, rendant mon écriture illisible. J’ai supposé que l’examen tiendrait compte du lieu de travail et permettrait d’utiliser les outils de travail – mais je crois que je pourrais avoir tort. Puisque l’écriture manuscrite ne constitue ni un critère essentiel ni une qualification constituant un atout dans les concours, je ne pense pas m’identifier comme ayant besoin d’une mesure d’adaptation.

33        Le représentant des ressources humaines a répondu et a demandé précisément s’il demandait une mesure d’adaptation et, dans l’affirmative, d’indiquer la mesure exacte. Le plaignant a répondu comme suit :

[Traduction]

Je suis désolé de la confusion – lorsque j’ai examiné pour la première fois les données en ligne et que j’ai constaté l’exigence d’un rapport écrit de trois pages, j’ai supposé que je pourrais utiliser un ordinateur. Lorsque j’ai fait l’examen l’année dernière, j’ai tapé trois pages.

J’ai un trouble d’apprentissage qui touche la coordination spatiale oculo-manuelle et, plus particulièrement, l’écriture manuscrite – l’effet net est que mon écriture manuscrite est illisible. Puisque cela n’a aucune incidence sur ma capacité au travail et que la plupart des milieux d’examen permettent les ordinateurs, je ne le considère plus comme une invalidité. Puisque j’utilise maintenant un ordinateur presque toujours, mon écriture manuscrite s’est détériorée davantage en raison d’un manque de pratique. Si le document de trois pages rédigées à la main fait partie de l’évaluation, je dois utiliser un ordinateur.

Je suis désolé de ne pas avoir soulevé ce fait plus tôt, mais j’aurai besoin d’une mesure d’adaptation.

[…]

34        En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’a pas présenté de demande de renseignements et pourquoi il n’a pas demandé expressément une mesure d’adaptation au cours du processus en cause, tel qu’il a fait pour le processus auquel il a participé en 2011, le plaignant a répondu qu’il avait choisi de ne pas le faire (en 2014) parce qu’il veut et il s’attend à être traité de manière égale et à ne pas être confronté à des obstacles au lieu de travail.

35        Il a ajouté qu’il essaie, dans la mesure du possible, de ne pas s’auto-identifier comme une personne handicapée puisqu’il estime que ce faire l’abaisse. Il a témoigné en disant que, chaque fois qu’il devait s’auto-identifier de cette manière, cela [traduction] « portait atteinte » à son estime de soi. Dans son témoignage, le plaignant a déclaré que, sans avis d’un obstacle, il s’attend à un traitement sans obstacle de la part de son employeur et des organismes gouvernementaux.

36        Le plaignant a renvoyé aux documents de politiques de la CFP à l’appui de son argument selon lequel l’APE et l’administration du CFP 757 étaient discriminatoires à son égard.

37        La Politique de nomination de la CFP en vigueur pendant la période visée par la présente plainte ordonne aux administrateurs généraux que les évaluations ne doivent pas créer des obstacles systémiques. Les administrateurs généraux sont informés qu’en plus d’être tenus responsables du respect de l’énoncé de la politique, ils doivent fournir des renseignements en temps opportun aux personnes à évaluer au sujet des méthodes d’évaluation qui seront utilisées, de leur droit de recevoir des mesures d’adaptation et de la façon d’exercer ce droit. Ils doivent s’assurer que ceux chargés des évaluations utilisent des outils qui ne créent pas des obstacles systémiques à l’emploi.

38        En ce qui concerne les personnes handicapées, la Politique de nomination de la CFP énonce que les administrateurs généraux doivent répondre aux besoins des personnes pendant toutes les étapes du processus de nomination concernant, jusqu’au point de contrainte excessive, les inconvénients découlant de motifs illicites de discrimination. Ils doivent utiliser des outils et des processus d’évaluation qui sont conçus et mis en œuvre sans partialité et qui ne créent aucun obstacle systémique.

39        Le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP, à l’article intitulé « VI. Exigences des lignes directrices », déclare que les administrateurs doivent effectuer ce qui suit :

[…]

i. fournir des renseignements en temps opportun aux personnes à évaluer au sujet des méthodes d’évaluation qui seront utilisées, de leur droit de recevoir des mesures d’adaptation et de la façon d’exercer ce droit;

Il est important que les personnes visées soient informées, en temps opportun des méthodes qui seront utilisées lors de l’évaluation. Cette mesure améliorera la transparence et permettra à la personne de se préparer en vue de l’évaluation. Le fait d’inviter une personne à subir un test et de lui fournir le plus de renseignements possible, dans la mesure de ce qui est raisonnable, sur l’administration de ce test permettrait de répondre à cette exigence. […]

Il est important de noter que la personne ne doit pas obligatoirement avoir un handicap ou avoir rempli le formulaire d’« auto-identification » pour demander des mesures d’adaptation pendant le processus de nomination. Lors du premier contact avec le postulant ou la postulante, la ou les personnes responsables de l’évaluation à qui les pouvoirs ont été subdélégués (il pourrait s’agir du conseiller ou de la conseillère en RH) devraient obtenir les renseignements nécessaires concernant les besoins de la personne en matière de mesures d’adaptation, s’il y a lieu. Cela laissera assez de temps pour déterminer la meilleure façon de fournir des mesures d’adaptation à la personne, avant l’évaluation, et cela pourrait également empêcher tout retard injustifié dans le processus d’évaluation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

40        Le plaignant a parlé longuement et avec éloquence de la raison pour laquelle il choisit de ne pas vivre ou travailler d’une manière qui l’oblige de s’auto-identifier constamment comme ayant une invalidité.

41        Les documents de la CFP examinés à l’audience portent sur ses efforts visant à présenter des outils d’évaluation sans obstacle.

42        Le plaignant a témoigné en disant qu’antérieurement, il avait été autorisé à passer le CFP 757 à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier et il a demandé que l’intimé soit tenu de donner la même autorisation en l’espèce. Il a également demandé que son bon rendement antérieur concernant le CFP 757 soit retenu plutôt que d’avoir à obtenir encore une fois un aussi bon rendement dans le cadre du processus en litige.

43        La CFP a participé à l’audience. Son avocat a cité à témoigner David Forster, de son Centre de psychologie du personnel. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie. Ses qualifications et ses compétences ont été examinées et il était qualifié pour donner un témoignage d’expert sur les questions concernant les examens professionnels et l’évaluation des compétences normalisées. Ces outils d’examen et d’évaluation sont développés dans son bureau et administrés selon les conseils et les lignes directrices de son bureau aux ministères et organismes clients dans l’ensemble de la fonction publique.

44        Les documents que la CFP a déposés en preuve indiquent que le CFP 757 évalue six des principales compétences en supervision, à savoir la communication, la gestion des ressources humaines, la capacité de raisonnement, le leadership, le renforcement de l’esprit d’équipe et le souci du service à la clientèle.

45        Il faut trois heures pour faire l’exercice, au cours duquel les candidats remplissent un résumé écrit de trois pages portant sur des décisions. Ils proposent des solutions et des recommandations, préparent une présentation orale de 30 minutes, cernent les problèmes organisationnels, prennent des décisions donnant lieu à des solutions possibles, étudient des solutions de rechange et décrivent les répercussions de chaque solution de rechange.

46        M. Forster a témoigné au sujet des détails relatifs au CFP 757 et a déclaré qu’il pouvait être fait au moyen d’un ordinateur et d’un clavier. Toutefois, à son avis, tous les candidats participant au processus devraient avoir un clavier afin de s’assurer qu’aucune partialité ne surviendrait dans le cadre du processus puisque, par exemple, une personne ayant des compétences avancées sur un clavier bénéficierait d’un avantage par rapport à ceux qui utilisent un crayon et du papier.

47        Voici ce qui était indiqué clairement dans la section [traduction] « Renseignements sur le candidat » pour le CFP 757 :

Si vous avez une déficience et que vous avez besoin de dispositions particulières, veuillez aviser les responsables de l’administration de l’examen bien avant la session d’examen afin que ceux-ci prennent les démarches nécessaires pour déterminer les dispositions particulières à prendre.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

48        En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il estimait que le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation déclarait que l’administrateur général devait informer les personnes qui allaient être évaluées, en temps opportun, des méthodes d’évaluation qui seraient utilisées, M. Forster a répondu que cela avait pour but de permettre aux candidats de déterminer s’ils avaient besoin d’une mesure d’adaptation.

49        L’avocate de l’intimé a cité à témoigner Mme Van Diepen. Elle était la directrice de la prestation de services (maintenant à la retraite) dont les services avaient été retenus aux termes d’un contrat pour diriger le soutien ministériel aux fins du processus de dotation dans le Canada atlantique, visant à créer un répertoire de personnel PM-05 qualifié. Elle a élaboré l’APE et l’énoncé des critères de mérite et a aidé la direction à mettre sur pied trois comités d’évaluation dans l’ensemble des provinces maritimes en vue de tenir trois processus parallèles. Elle a témoigné en disant que les formulaires de ressources humaines normalisés étaient utilisés pour inviter les candidats dont la candidature avait été retenue à participer au CFP 757. Elle a également confirmé que l’invitation ne comportait aucun avis selon lequel l’exercice serait effectué au moyen d’un crayon et de papier.

50        Mme Van Diepen a déclaré que la CFP lui avait fourni, ainsi qu’au reste des équipes d’évaluation, des ressources en matière de formation en vue de les aider à procéder à l’évaluation et au processus de nomination. Elle a également confirmé que le CFP 757 pouvait être effectué avec un crayon et du papier.

51        Elle a expliqué la façon dont le processus d’évaluation était effectué concurremment dans trois villes différentes. Elle a affirmé qu’il avait été décidé qu’il valait mieux éviter le travail supplémentaire d’essayer de donner à tous les candidats dans les trois villes des ordinateurs et des claviers dont l’accès aux ressources en ligne interdites aux fins du CPF 757 serait bloqué.

52        Dans son témoignage, M. Forster a expliqué pourquoi une note de passage d’un CFP 757 antérieur, obtenue dans le cadre d’un autre processus de nomination, ne devrait pas être utilisée dans le cadre d’une évaluation future. Il a indiqué que chaque comité d’évaluation peut demander d’évaluer différentes compétences ou demander qu’un accent soit mis sur certains aspects de l’exercice, ce qui rendrait le résultat incompatible avec un autre processus. M. Forster a affirmé dans son témoignage que son bureau n’autoriserait jamais que les résultats du CFP 757 soient utilisés encore au cours d’un processus de nomination ultérieur.

53        En contre-interrogatoire, lorsqu’il a été interrogé au sujet de résultats antérieurs, M. Forster a témoigné en disant que, conformément à l’expérience du plaignant, la CFP ne s’attend aucunement à obtenir les mêmes résultats lorsque la même personne effectue le CFP 757 au cours d’un autre processus. Il a expliqué qu’il est entièrement possible qu’un comité d’évaluation puisse demander différentes preuves d’un critère particulier par rapport à ce qui aurait pu avoir lieu dans un processus antérieur. Il a également expliqué que le CFP 757 a été organisé pour la première fois au cours des années 1990 et qu’il n’est effectué qu’avec un crayon et du papier. Il a ajouté qu’il est maintenant organisé uniquement aux fins de l’utilisation en ligne et que les demandes de mesures d’adaptation, comme celle qui est survenue à l’égard du plaignant, doivent être évaluées et décidées individuellement.

54        Dans son argument relatif à cette question, le plaignant a allégué qu’il n’était pas juste que l’intimé refuse d’accepter son bon rendement antérieur du CFP 757 comme répondant à l’exigence du processus en litige. Il a également allégué que le personnel de l’intimé n’avait pas suivi une formation appropriée. Je n’ai pas à examiner cette formation, puisque je mettrai plutôt l’accent sur le résultat de ce processus. J’examinerai les résultats antérieurs du CFP 757 plus tard.

55        Le plaignant a invoqué Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al., 2007 TDFP 11, au par. 77, qui énonce ce qui suit :

[77] L’article 36 de la LEFP prévoit que l’administrateur général peut avoir recours à toute méthode d’évaluation indiquée dans un processus de nomination interne. Pour que le Tribunal considère qu’il y ait abus de pouvoir dans le choix des méthodes d’évaluation, la plaignante doit démontrer que le résultat est inéquitable et que les méthodes d’évaluation sont déraisonnables et ne peuvent évaluer les qualifications prévues à l’énoncé des critères de mérite, qui n’ont aucun lien avec ceux-ci ou qu’elles sont discriminatoires.

[Je souligne]

56        Le plaignant a également invoqué Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24, au par. 69, qui a conclu que « […] en vertu de la LEFP, les administrateurs généraux et leurs gestionnaires délégataires ont clairement l’obligation de se conformer aux lignes directrices de la CFP établies en vertu du paragraphe 29(3) ».

57        Le plaignant a soutenu qu’une évaluation au moyen d’un crayon et de papier n’était pas sans obstacle, que la méthode d’évaluation n’avait pas été divulguée de manière appropriée et que le personnel qui faisait passer le CFP 757 n’avait pas pris de mesure d’adaptation à son égard avant le début de l’exercice. Tout ceci est obligatoire en vertu du Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP et du Guide pour la mise en œuvre des Lignes directrices sur l’équité en matière d’emploi dans le processus de nomination.

58        Au début de son argument, l’avocate de l’intimé a déclaré qu’il incombait au plaignant d’indiquer qu’il avait besoin d’une mesure d’adaptation, comme il l’avait fait dans le passé. Elle a soutenu que, selon la preuve dont je suis saisi, je devrais conclure que les personnes qui donnaient l’examen n’étaient pas au courant du fait qu’il avait une invalidité qui pourrait toucher sa capacité à l’effectuer.

59        L’intimé a cité Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, à l’appui de son argument selon lequel des énoncés généraux comme [traduction] « divers moyens » ont été jugés suffisants pour englober les méthodes d’évaluation et qu’il ne devrait pas être tenu de respecter la norme d’un processus parfait et sans obstacle. Son avocate a indiqué que l’APE en l’espèce dont je suis saisi déclarait qu’un [traduction] « examen écrit » et une entrevue orale faisaient partie de l’examen, ce qui respecte entièrement le vaste éventail d’avis maintenus dans Visca.

60        Je distingue Visca par rapport aux faits puisque la question importante concernant une personne atteinte d’un trouble d’apprentissage qui essaie de déterminer s’il est confronté à des obstacles dans le cadre d’un processus d’évaluation éventuel n’y est pas examinée. Si je retenais l’argument de l’intimé concernant Visca, le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation, qui énonce qu’il est nécessaire de « fournir des renseignements en temps opportun aux personnes à évaluer au sujet des méthodes d’évaluation qui seront utilisées, de leur droit de recevoir des mesures d’adaptation et de la façon d’exercer ce droit; […] » n’aurait aucune pertinence.

61        L’intimé a invoqué Costello c. le sous-ministre de Pêches et Océans Canada, 2009 TDFP 32, qui est fondée à son tour sur Neil c. Sous-ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 4. Dans Neil, il a été conclu que l’omission d’informer les candidats d’une définition particulière liée à un critère de mérite ne constitue pas en soi un abus de pouvoir. Je conclus que ni l’une ni l’autre des affaires, traitant de l’insuffisance de renseignements sur les critères de mérite et les outils d’évaluation, ne revêt une importance suffisante pour mériter une explication approfondie.

62        L’intimé a fait remarquer l’élément de preuve selon lequel le plaignant s’était informé au sujet de la possibilité d’avoir besoin d’une mesure d’adaptation sous forme d’un clavier pour le CFP 757 au cours d’un processus de nomination antérieur et qu’il aurait dû le faire encore une fois en l’espèce. Son avocate a fait remarquer, en outre, que les [traduction] « Renseignements sur le candidat » de la CFP et le courriel d’invitation envoyé au plaignant indiquaient clairement que ceux qui avaient besoin d’une mesure d’adaptation devaient en informer l’administrateur de l’examen.

63        Je retiens le témoignage du plaignant selon lequel, lorsqu’il a envisagé l’évaluation, il souhaitait être égal aux autres candidats. Sans avis d’un obstacle à sa participation égale, il ne voyait pas la nécessité de demander une mesure d’adaptation en plus de l’autodéclaration dans sa demande selon laquelle il était atteint d’une invalidité. Il aurait dû être en mesure de se fier à la Politique de nomination de la CFP qui énonce que l’employeur doit « fournir des renseignements en temps opportun aux personnes à évaluer au sujet des méthodes d’évaluation qui seront utilisées […] ».

64        Bien que le plaignant qualifie la méthode d’évaluation comme une méthode au moyen d’un crayon et de papier, cela est inexact. La méthode d’évaluation n’est pas en soi ce qui est problématique. La méthode d’évaluation en cause est l’examen écrit, c.-à-d. le CFP 757. Ce qui est problématique est la décision, comme j’en ai pris connaissance au moyen du témoignage de Mme Van Diepen, d’éviter le travail supplémentaire qu’implique la mise à disposition d’ordinateurs et de clavier pour tous les candidats, en utilisant un crayon et du papier. Il s’agit de l’absence d’avis aux candidats éventuels des outils qui seront utilisés conjointement avec la méthode d’évaluation choisie que je trouve inquiétante. Si l’intimé avait simplement informé les candidats éventuels dans l’APE ou, à tout le moins, bien à l’avance du CFP 757, que l’évaluation serait effectuée au moyen d’un crayon et de papier, et que les candidats n’auraient pas accès à un ordinateur et à un clavier, alors, non seulement M. Spruin, mais également toute autre personne atteinte d’une invalidité qui avait besoin d’une mesure d’adaptation, en aurait été convenablement informé.

65        Malheureusement, l’intimé ne s’est pas prévalu de cette simple communication et a ensuite aggravé la situation en ce qui concerne M. Spruin, comme nous le constaterons dans le reste de mon analyse.

66        Le plaignant a témoigné en disant que dès son arrivée à l’emplacement où le CFP 757 devait avoir lieu le 19 mars 2014, Yvonne Hartlin l’a rencontré; elle aidait le comité en tant qu’administratrice de l’examen. Elle a accueilli les candidats et a préparé la salle et les documents. Le plaignant a déclaré qu’elle l’a vu entrer dans la salle et qu’elle a dit [traduction] « Vous avez besoin d’un ordinateur, n’est-ce pas? » Dans son témoignage, il a dit qu’il a répondu [traduction] « Oui, c’est exact. » et que Mme Hartlin a répondu [traduction] « Les ordinateurs ne sont pas autorisés. »

67        Dans son témoignage, le plaignant a affirmé en outre qu’elle lui a ensuite demandé [traduction] « Pourquoi n’as-tu pas demandé une mesure d’adaptation? » et qu’elle a ensuite dit [traduction] « C’est trop tard pour en demander une maintenant », et le plaignant a répondu qu’il ne savait pas qu’il en avait besoin.

68        Le plaignant a témoigné en disant que Mme Hartlin a consulté le comité d’évaluation et est revenue pour l’informer qu’il avait deux options, soit effectuer l’évaluation sur papier en écriture manuscrite, soit se retirer du processus de nomination. Il a dit que cet énoncé l’a beaucoup bouleversé puisqu’il estimait qu’il pourrait s’écouler plusieurs années avant qu’un tel poste ne soit disponible de nouveau et à l’égard duquel il pourrait demander une nomination. Dans son témoignage, Mme Hartlin a affirmé qu’elle ne se souvenait pas de cet ultimatum.

69        Mme Hartlin a confirmé dans son témoignage qu’elle avait travaillé pendant 14 ans au même endroit que le plaignant et qu’elle le connaissait assez [traduction] « pour dire bonjour ». Lorsqu’elle a été interrogée, elle a déclaré qu’elle ne savait pas qu’il était membre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi ni qu’il était atteint d’un trouble d’apprentissage, et qu’elle ne lui avait jamais fait passer un examen auparavant. Elle a déclaré, en outre, qu’elle ne savait pas du tout s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation lorsqu’il est arrivé pour passer le CFP 757.

70        Mme Hartlin a témoigné en disant que, lorsque le plaignant est arrivé pour effectuer le CFP 757, il est entré dans la salle d’examen, a lu les directives et a vu qu’il devait le faire au moyen d’un crayon et de papier.

71        Elle a ensuite affirmé que le plaignant a dit qu’il avait besoin d’un ordinateur et d’un clavier. Dans son témoignage, elle a ensuite affirmé qu’elle lui a dit [traduction] « Vous demandez d’utiliser un OP [ordinateur personnel]? » et qu’il avait répondu « Oui. »

72        Mme Hartlin a déclaré dans son témoignage qu’elle s’est ensuite présentée au comité d’évaluation pour l’informer que le plaignant avait demandé un OP. Elle a ensuite déclaré que Mme Van Diepen lui a dit que, s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation, il aurait dû en demander une à l’avance. Elle a ensuite témoigné en disant qu’elle a informé le comité d’évaluation qu’il lui avait dit que son écriture manuscrite était mauvaise et que le comité ne serait donc pas en mesure de la lire s’il n’utilisait pas un OP.

73        Dans son témoignage, Mme Hartlin a déclaré, en outre, que lorsqu’elle avait reçu la réponse du comité d’évaluation au sujet d’une mesure d’adaptation, il s’agissait de la première fois qu’elle avait entendu cette phrase (en anglais) utilisée de cette manière, puisqu’elle pensait qu’elle signifiait rester dans un hôtel ou un endroit semblable. Elle a également expliqué qu’on lui avait dit d’en informer les Ressources humaines. Elle a ensuite témoigné en disant qu’elle est retournée vers le plaignant et lui a dit que s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation, qu’il aurait dû en faire la demande au préalable.

74        Dans un courriel du 19 mars 2014, qui a été envoyé à 12 h 34 à une conseillère en ressources humaines, Donna Bolton, Mme Hartlin a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Bill Spruin effectue maintenant l’exercice de simulation.

Il souhaite rédiger sa présentation sur un ordinateur – et non à la main.

Il a fait cet examen de simulation antérieurement et il a toujours été en mesure de préparer sa présentation sous forme électronique.

Il n’a pas demandé de mesure d’adaptation parce que la méthode de présentation des notes n’avait pas été fournie dans l’invitation. Il s’attendait à pouvoir taper ses réponses, comme il l’a fait dans le passé.

[…]

75        Mme Bolton a répondu au moyen d’un courriel 36 minutes plus tard et a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] [D]’après ce que je comprends, les comités avaient décidé que tous les candidats devaient effectuer l’exercice à la main et qu’un accès à un ordinateur ne serait pas accordé. D’autres ont demandé d’utiliser un ordinateur, mais les demandes ont été refusées. En conséquence, un accès à un ordinateur ne devrait pas lui être accordé […]

[…]

76        Deux minutes plus tard, Mme Hartlin a répondu encore en affirmant [traduction] « [s]on argument est qu’il n’avait pas été informé de la façon dont il devait effectuer l’exercice et, par conséquent, il ne pouvait pas demander “une mesure d’adaptation”.»

77        Le plaignant a affirmé dans son témoignage que le jour après avoir fait le CFP 757, il a envoyé un message à Mme Bolton, qu’il connaissait puisqu’ils avaient travaillé ensemble. Il l’a informé qu’il estimait qu’il avait fait le CFP 757 sous contrainte et qu’une mesure d’adaptation aurait dû être prise, mais qu’il n’avait pas été informé des méthodes d’évaluation et, en conséquence, n’avait pas pu demander de mesure d’adaptation.

78        Plus tard, dans la chaîne des nombreux courriels qui en ont découlé, le 24 mars 2014, à 20 h 08, Mme Van Diepen, la présidente du comité d’évaluation, a envoyé le message suivant à Mme Bolton et à d’autres :

[Traduction]

[…]

Bill avait informé la personne chargée du soutien administratif, Yvonne Hartlin, qu’il voulait utiliser un ordinateur. Yvonne a vérifié si cela était possible auprès l’équipe d’évaluation et nous lui avons demandé de communiquer avec les RH. Donna Bolton nous a donné des renseignements. Le comité a examiné les renseignements provenant de Donna et a convenu que Bill avait eu plusieurs occasions d’indiquer qu’il avait besoin d’une mesure d’adaptation. Nous avons également convenu qu’il incombait au candidat de clarifier si l’exercice devait être fait par écrit ou par ordinateur. En conséquence, nous avons déterminé que le client devrait continuer par écrit et avons demandé à Yvonne d’en informer le candidat.

[…]

79        Après une attente d’environ trois mois,  le plaignant a enfin été autorisé à passer le CFP 757 avec un clavier et un ordinateur le 19 juin. Il a témoigné au sujet de son anxiété pendant cette longue période et a déclaré qu’il n’avait pas bien réussi l’évaluation. Dans son témoignage, il a déclaré qu’il avait été informé le 26 juin que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination au poste PM-05 à l’égard duquel il avait postulé, en raison de son faible rendement relativement au CFP 757.

80        Le témoignage et la correspondance par courriel au sein du bureau du plaignant et avec la CFP visent plusieurs semaines en avril au cours desquelles l’intimé a tenté de déterminer s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation et, dans l’affirmative, si la CFP l’approuverait. Voici un exemple de cette correspondance du 21 avril 2014, à 14 h 25, dans laquelle le plaignant a envoyé le message suivant à son supérieur :

[Traduction]

[…]

Il s’agit de la deuxième occasion où mon ministère m’a demandé d’insister pour obtenir une mesure d’adaptation plutôt que de me soutenir afin que je puisse utiliser les outils communs de mon lieu de travail. La plupart des personnes à qui je parle sont étonnées que le gouvernement fédéral utilise même des examens au moyen d’un « crayon et de papier » en premier lieu. Je suis forcé de défendre les questions relatives à l’invalidité alors, qu’effectivement, tout ce que je souhaite est que chaque candidat ait la liberté d’utiliser les outils dont il dispose en milieu de travail. Cette question a eu d’importantes répercussions sur moi puisqu’elle me ramène chaque fois à une période très difficile de ma vie que j’ai surmontée il y a plusieurs années.

[…]

81        L’intimé a invoqué le classeur d’administration de la CFP aux fins du CFP 757. Sa gestionnaire, Mme Hartlin, a témoigné en disant qu’elle a utilisé la directive pour répondre au plaignant lorsqu’il a exprimé sa préoccupation selon laquelle il ne pouvait pas faire preuve d’un bon rendement dans le cadre de l’exercice sans un ordinateur et un clavier. Le classeur énonce ce qui suit au paragraphe 2.2 :

[Traduction]

Vous êtes sur le point de commencer la simulation de gestionnaire (757). Si, avant ou pendant la séance, vous éprouvez un malaise physique ou psychologique qui pourrait nuire à votre rendement à l’examen, il vous incombe de m’en aviser immédiatement afin que d’autres dispositions puissent être prises. Vous n’aurez pas à divulguer de détails relatifs à votre état ou à votre maladie à ce moment-là. De même, si vous avez des préoccupations au sujet des conditions de l’examen, vous devez les soulever immédiatement. Si vous choisissez de poursuivre l’examen sans m’informer d’une maladie, d’un problème perçu relativement aux conditions d’examen ou à tout autre malaise physique ou psychologique, vous devez accepter les résultats de l’examen et les contraintes de nouvel examen qui les accompagnent.

[…]

82        M. Forster a reconnu également être au courant des politiques de la CFP invoquées plus tôt, qui déclarent que des renseignements doivent être fournis en temps opportun aux personnes à évaluer au sujet des méthodes d’évaluation qui seront utilisées, de leur droit de recevoir des mesures d’adaptation et de la façon d’exercer ce droit. Il a également reconnu les politiques de la CFP, qui énoncent que les outils d’évaluation ne doivent pas créer d’obstacle systémique, et il a reconnu que son bureau cherche effectivement à créer des outils sans obstacle, ce qui ne peut pas toujours réussir. Il a ajouté que la CFP a reconnu que la méthode d’évaluation au moyen d’un crayon et de papier aux fins du CFP 757 n’était pas sans obstacle.

83        Lorsqu’il a été interrogé au sujet de l’expérience du plaignant concernant le CFP 757, M. Forster a confirmé que la CFP conserve des dossiers sur les mesures d’adaptation approuvées pour les évaluations, mais il a déclaré que les candidats doivent demander la mesure d’adaptation chaque fois qu’ils participent à une évaluation et qu’ils sont confrontés à un obstacle. Il a indiqué que les mesures d’adaptation précises pour une personne peuvent changer avec le temps et peuvent varier selon la méthode d’évaluation, et il a insisté sur le fait qu’il incombe à chaque candidat qui a besoin d’une mesure d’adaptation de la demander.

84        Le plaignant a également invoqué Song c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2016 CRTEFP 73, aux par. 23 et 25, où il a été conclu qu’un abus de pouvoir avait eu lieu lorsqu’une demanderesse semblait être malade pendant une évaluation et, après une brève pause a continué le test, même si les membres du comité d’évaluation avaient envisagé d’appeler une ambulance en raison de son malaise. Les parties dans cette affaire ont contesté l’ampleur des renseignements qu’elle avait donnés aux membres du comité au sujet de son malaise. La CRTEFP a conclu que l’intimé dans cette affaire aurait dû demander plus de renseignements et aurait dû faire preuve d’une réflexion approfondie et d’une discussion poussée concernant les mesures appropriées à prendre.

85        Je conclus que les faits de l’affaire dont je suis saisi diffèrent beaucoup, de sorte que Song ne constitue pas une autorité utile.

86        Le plaignant a également invoqué une décision du prédécesseur de la Commission, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), dans Rajotte c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 25, aux paragraphes 128, 131 et 166. Dans cette affaire, lorsqu’elle a contre-interrogé ses gestionnaires, la plaignante a été en mesure de présenter des éléments de preuve selon lesquels ils avaient présumé qu’elle ne serait pas disponible pour travailler des heures supplémentaires de manière régulière en raison de ses responsabilités parentales bien connues, ce qui aurait pu avoir un effet sur la décision de procéder avec un processus de nomination non annoncé qui l’excluait. Le TDFP a jugé que, ce faisant, elle a présenté une preuve prima facie de discrimination, que l’intimé n’a pas réfutée.

87        Le TDFP a conclu que la plaignante aurait dû bénéficier d’une évaluation individualisée de ses besoins afin de ne pas être privée de ses possibilités d’avancement par la présomption de l’intimé quant à sa disponibilité à travailler selon des horaires flexibles en raison de ses obligations familiales.

88        Ici encore, j’estime que les faits dans Rajotte sont très différents de ceux de l’affaire dont je suis saisi, ce qui rend cette décision inutile.

89        Dans son argumentation concernant cette question, l’avocate de la CFP a déclaré que, contrairement à l’observation du plaignant, aucune situation inappropriée ou discriminatoire ne découlait du fait que son rendement antérieur réussi dans le cadre du CFP 757 ne pouvait être utilisé à une date ultérieure dans le processus de nomination en litige. L’avocate a renvoyé au témoignage de M. Forster, dans lequel il a déclaré que chaque évaluation peut être administrée de manière différente, en vue d’obtenir différents aspects des compétences déclarées et de faciliter le placement de la bonne personne pour le poste particulier.

90        Je retiens l’argument de la CFP sur ce point. Les gestionnaires peuvent chercher différents ensembles de compétences aux fins d’une nomination particulière et les habiletés d’un candidat peuvent changer avec le temps. Le fait de permettre un rendement antérieur réussi lors d’un examen normalisé ultérieur, peut-être à perpétuité, semble imprudent et contraire aux principes du mérite sur lesquels la Loi est fondée.

91        L’avocate de l’intimé a parlé du contexte général de la jurisprudence en matière de droits de la personne au Canada. Elle a renvoyé aux motifs rédigés par la juge Abella dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, aux par. 40, 48, 49 et 53, comme suit :

40      L’employeur est tenu d’offrir un milieu de travail exempt de discrimination. Il importe donc d’établir clairement ce qui constitue de la discrimination et ce qui n’en constitue pas, afin que les employeurs connaissent leurs obligations et les employés, leurs droits.

[…]

48      La prémisse voulant qu’une pratique, une norme ou une exigence du milieu de travail ne puisse pas désavantager un individu par l’attribution de caractéristiques stéréotypées ou arbitraires est au cœur de ces définitions. Le but de la prévention des obstacles discriminatoires est l’inclusion. Ce but est atteint si on empêche que des individus soient soustraits à des possibilités et à des agréments fondés non pas sur leurs aptitudes réelles, mais sur des aptitudes qu’on leur attribue. La discrimination réside essentiellement dans le caractère arbitraire de son incidence négative, c’est-à-dire le caractère arbitraire des obstacles érigés intentionnellement ou inconsciemment.

49      Il en résulte une différence entre discrimination et distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux – à première vue ou de par son effet – qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur.

[…]

53      Il n’est pas nécessaire de justifier ce qui, à première vue, n’est pas discriminatoire. Alors, contrairement à la juge Deschamps, j’estime que la question est non pas de savoir si l’employeur a établi, comme moyen de défense fondé sur la justification, qu’il a raisonnablement accommodé la demanderesse, mais plutôt de savoir si la demanderesse s’est acquittée de l’obligation préliminaire de démontrer qu’il y a discrimination à première vue, c’est-à-dire qu’elle a été désavantagée par le comportement que l’employeur a adopté sur la foi de suppositions stéréotypées ou arbitraires concernant les personnes ayant une déficience, de sorte qu’il appartient à l’employeur de justifier ce comportement.

92        L’intimé a cité Martin v. Carter Chevrolet Oldsmobile, 2001 BCHRT 37, au par. 28, en vue d’invoquer la conclusion selon laquelle un employeur peut supposer que les employés handicapés sont en mesure d’exécuter leur travail, à moins qu’ils n’informent l’employeur du contraire ou à moins qu’il soit évident, de par la nature du travail ou la façon dont ils l’exécutent, que l’invalidité touche leur rendement dans une certaine mesure. Il est bien établi qu’il incombe aux employés de porter à l’attention de leur employeur la nécessité d’une mesure d’adaptation.

93        Je suis la même logique que le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans Martin lorsque je conclus que, même si les employeurs doivent être en mesure de supposer que les employés sont aptes à travailler tant qu’ils ne sont pas informés du contraire, j’estime que les fonctionnaires devraient pouvoir librement supposer que les exercices d’évaluation aux fins de nominations ne comportent aucun obstacle, à moins qu’ils n’en soient informés autrement au moyen de l’APE et d’une invitation à participer en divulguant toute méthode d’évaluation détaillée qui n’est pas entièrement accessible.

94        En ce qui concerne le critère O’Malley, je conclus que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination puisqu’il a fait l’objet d’un traitement différent, à son détriment, fondée sur le motif illicite de son invalidité physique puisque les seuls outils disponibles (crayon et papier) constituaient un obstacle important à sa participation.

95        En réponse, tel que je l’ai indiqué ci-dessus, même s’il a essentiellement admis que rien n’a été fait pour donner un avis approprié quant aux outils qui seraient à la disposition des candidats pour passer le CFP 757, l’intimé est d’avis que le plaignant aurait dû en faire davantage pour confirmer ces renseignements et déclarer son besoin d’une mesure d’adaptation sans savoir qu’il en avait besoin (voir O’Malley, au par. 28).

96        L’intimé a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, à la p. 994, dans laquelle elle a jugé qu’un demandeur en matière de droits de la personne avait une obligation d’être un participant actif et qu’il avait l’obligation d’aider le processus à trouver une mesure d’adaptation appropriée. La Cour s’est prononcée en ces termes :

[…]

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. […]Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre.[…]

[…]

97        Le TDFP a examiné Renaud dans le contexte d’une plainte présentée aux termes du paragraphe 77(1) de la Loi alléguant une discrimination et un défaut de prendre des mesures d’adaptation dans Boivin c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 6, aux paragraphes 133 et 134. Dans cette décision, le TDFP a conclu ce qui suit :

133 Le processus d’accommodement exige donc un effort de communication et un engagement des deux parties. Les critères qui permettent d’établir que toutes les parties ont rempli leurs obligations dans un tel processus ne sont pas figés et ne peuvent pas être catégorisés de façon définitive. En effet, il faut parfois adapter la façon dont les mesures sont prises, et il faut également que l’intimé et l’employé participent tous deux au dialogue et soient prêts à collaborer. Les résultats de l’accommodement ne sont pas toujours parfaits, en particulier s’il est clair que la partie qui doit donner suite à la demande ne connaît pas l’existence du problème.

134 Les parties sont tenues d’agir de façon raisonnable et de collaborer en vue de trouver des solutions aux demandes d’accommodement. S’il y a une faille dans le processus d’accommodement, il faut alors déterminer qui en est responsable. L’issue de la plainte dépendra de la réponse à cette question. En l’espèce, le Tribunal doit donc déterminer comment la faille s’est produite dans le processus, et à quel moment.

98        L’intimé a également cité la décision de la Cour fédérale dans Kandola c. Canada (Procureur général), 2009 CF 136, qui a examiné le contrôle judiciaire portant sur la seule question de savoir s’il y avait eu manquement au droit à l’équité procédurale du demandeur pendant une enquête d’une plainte concernant le milieu de travail (voir le paragraphe 12). Dans le paragraphe d’introduction de cette décision, au paragraphe 1, la Cour énonce ce qui suit :

[1] Un employé qui a besoin de mesures d’adaptation en raison d’une déficience doit en informer son employeur, à moins que la déficience ne soit évidente, puis collaborer au processus d’élaboration des mesures d’adaptation, sans quoi, c’est l’employé qui doit en subir les conséquences. Admettre une déficience et solliciter l’aide de l’employeur est difficile pour certaines personnes. Cependant, lorsque la déficience n’a pas été révélée et qu’aucune demande de mesures d’adaptation n’a été présentée, l’employé ne peut ultérieurement demander à ce que l’évaluation de son rendement effectuée par l’employeur, qui n’était pas au courant de la déficience, soit annulée,[…].

[Je souligne]

99        L’avocate de l’intimé a cherché à appliquer Martin aux faits en soutenant que le personnel qui faisait passer le CFP 757 le jour où le plaignant est arrivé pour le faire n’avait aucune idée à ce moment-là qu’il était atteint d’une invalidité qui toucherait son rendement.

100        Le plaignant est atteint d’un trouble d’apprentissage qui avait été diagnostiqué et déclaré à EDSC. Selon son témoignage, l’examen tel qu’il lui a été administré l’a désavantagé compte tenu de son handicap et l’a empêché de profiter d’une occasion équitable de démontrer qu’il était qualifié pour le poste. Cet obstacle s’est traduit par une distinction défavorable à son égard dans le cadre de son emploi, ce qui constitue  une preuve prima facie de discrimination.

101        Le témoignage du plaignant m’a convaincu que, dès son arrivée à l’examen, le personnel a reconnu qu’il avait besoin d’un ordinateur. Même si Mme Hartlin n’était pas au courant à ce moment-là, elle en a certainement été informée avant qu’il ne commence l’examen. Selon la preuve sans équivoque, elle a ensuite porté cette question à l’attention des membres du comité d’évaluation et ils ont amorcé une discussion pour savoir s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation et s’il devait se voir accorder une telle mesure. Je fais remarquer de manière importante que ce sont les membres du comité d’évaluation eux-mêmes et non le plaignant qui ont amorcé des discussions au sujet de son besoin d’une mesure d’adaptation.

102        Selon la thèse de l’intimé, le plaignant n’a pas demandé une mesure d’adaptation lorsqu’on lui a demandé de passer le CFP 757 la première fois. J’ai déjà tranché la question relative à l’absence d’un avis approprié des outils qui devaient être utilisés pour passer l’examen CFP 757 et je n’insisterai pas sur ces points.

103        Même si j’avais conclu que l’intimé n’était pas tenu de porter cela à l’attention des candidats bien à l’avance, les témoins de l’intimé ont déclaré que l’administrateur de l’examen et le comité d’évaluation ont discuté de la question d’une mesure d’adaptation à son égard. Évidemment, il existait une connaissance suffisante de son invalidité et de la nécessité de prendre une mesure d’adaptation si je dois attribuer cette connaissance à l’intimé, comme la Cour fédérale l’a indiqué dans Kandola.

104        Puisque j’ai conclu que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination et qu’il avait informé l’intimé de son besoin d’une mesure d’adaptation avant de faire l’examen, il incombe maintenant à l’intimé de me convaincre qu’il a offert au plaignant une mesure d’adaptation raisonnable. Qu’a fait l’intimé lorsque le plaignant l’a informé, par l’intermédiaire de Mme Hartlin, qu’il avait besoin d’un OP?

105        Selon le plaignant, il lui a offert deux options : faire l’examen à l’aide d’un crayon et de papier ou retirer sa candidature du processus de nomination. Même si Mme Hartlin ne se souvenait pas de cet ultimatum, elle ne l’a pas nié. Je conclus que ce sont les deux seules options présentées au plaignant.

106        Je retiens également en totalité l’explication du plaignant concernant la raison pour laquelle il a tout de même passé l’examen ce jour-là; il estimait qu’il pouvait s’écouler plusieurs années avant qu’un tel poste ne soit disponible de nouveau. Selon les éléments de preuve présentés à l’audience, je conclus que l’intimé a omis de fournir au plaignant toute mesure d’adaptation raisonnable au moment de sa demande. Le fait de lui offrir de refaire l’examen à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier environ trois mois plus tard ne lui permet pas de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fait de lui fournir un ordinateur et un clavier environ trois mois après sa première tentative de faire l’examen était tardif et, par conséquent, ne constituait pas une mesure d’adaptation raisonnable pour répondre à ses besoins.

107        Je conclus que l’omission de fournir au plaignant une mesure d’adaptation en temps opportun pour faire le CFP 757 (aggravé, tel que cela a été indiqué, par l’absence d’un avis approprié aux candidats au sujet des outils devant être utilisés pour faire l’examen écrit) constitue une pratique discriminatoire et donc un abus de pouvoir au sens de la Loi.Ces omissions ont pour conséquence qu’il a droit à une indemnité en vertu de la LCDP.

IV. Mesures correctives

108        Le plaignant a demandé une somme de 20 000 $ au titre de dommages aux termes de la LCDP, divisée également entre les deux catégories d’indemnité disponibles aux termes de la LCDP, soit douleurs et souffrances et une indemnité spéciale pour conduite délibérée ou inconsidérée. Il a également demandé une indemnité pécuniaire pour ce qu’il soutient être des pertes de salaire.

109        Le plaignant a soutenu que sans le mauvais traitement de la part de l’intimé de son évaluation du CFP 757, il aurait obtenu la promotion au poste PM-05 comportant une augmentation de salaire plus tôt qu’il ne l’a été. Il a témoigné en disant que, même après l’élimination de sa candidature du processus en litige, il a ensuite été promu à titre intérimaire au poste PM-05. À la date de l’audience, il occupait en fait un poste intérimaire au groupe et au niveau PM-07. Son avocat a soutenu que ce poste constituait la preuve qu’il aurait obtenu la promotion à l’occasion antérieure si le CFP 757 avait été administré de manière appropriée.

110        L’intimé a soutenu qu’il n’a commis aucune erreur et qu’il a offert une mesure d’adaptation raisonnable lorsque le plaignant a demandé tardivement, après avoir fait le premier examen CFP 757, une mesure d’adaptation. Subsidiairement, l’intimé a fait valoir que, même si je trouve une erreur dans la manière dont le CFP 757 a été décrit dans les documents préalables, cette erreur n’équivaut pas à un abus de pouvoir. Il a également soutenu que je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour justifier l’octroi d’une indemnité aux termes de la LCDP.

111        Conformément au paragraphe 81(2) de la Loi, les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP peuvent faire partie des mesures correctives.

112        Je conclus que l’intimé aurait dû fournir des renseignements plus précis afin de permettre au plaignant de déterminer s’il avait besoin d’une mesure d’adaptation, vu la politique détaillée de la CFP portant sur la fourniture de renseignements sur les méthodes d’évaluation et, compte tenu des problèmes graves qu’il a subis en raison de cette absence de renseignements.

113        Je recommande que, lorsqu’une détermination a été faite avant l’administration d’un examen écrit selon laquelle un crayon et du papier seront les seuls outils utilisés pour faire l’examen, que ces renseignements soient clairement divulgués aux candidats éventuels dans l’avis de possibilité d’emploi (« APE ») ou, à tout le moins, bien avant l’évaluation.

114        Je conclus également que l’intimé avait suffisamment de connaissances au sujet du plaignant et de son besoin d’une mesure d’adaptation sous la forme d’un ordinateur et d’un clavier à utiliser aux fins du CFP 757 que dès sa présence ou, à tout le moins, dès qu’il a soulevé le fait qu’il avait besoin d’un clavier auprès du comité d’évaluation, par l’intermédiaire de Mme Hartlin, l’intimé aurait dû répondre de manière plus convenable à ses besoins d’une mesure d’adaptation. Je conclus que, pendant la période pertinente, l’intimé n’a rien fait pour répondre à l’invalidité du plaignant.

115        Étant donné cette conclusion quant aux connaissances de l’invalidité du plaignant et à son besoin d’une mesure d’adaptation par le comité d’évaluation et l’absence de leur réponse, je conclus que ces actes sont visés par la définition d’acte inconsidéré aux termes de la LCDP, tel que l’a établi la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au paragraphe 155, confirmée dans 2014 CAF 110 :

[155] Pour accorder une indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi, le Tribunal doit être convaincu que l’acte discriminatoire était délibéré ou inconsidéré. Il s’agit d’une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels. On entend par « acte inconsidéré » celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

[Je souligne]

116        Je fais également remarquer que, même si le plaignant a témoigné au sujet de l’anxiété et de la frustration qu’il a subie en raison de l’incident et du fait qu’il a été forcé d’attendre anxieusement pendant environ trois mois pour reprendre son CFP 757, mais à l’aide d’un ordinateur et d’un clavier, son examen au moyen d’un crayon et de papier constituait un incident isolé. J’ai tenu compte de ces questions lorsque j’ai déterminé son indemnité pécuniaire.

117        Je ne suis pas disposé à examiner la demande du plaignant d’une indemnité pour perte de salaire. Elle exige que j’ordonne qu’il soit nommé au poste qu’il a demandé dans le cadre du processus en litige, ce qui n’est évidemment pas un pouvoir qui m’a été conféré par le législateur (voir l’art. 82 de la Loi), ou que j’ignore la nature spéculative des efforts d’une personne afin d’être nommée dans le cadre d’un processus.

118        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

119        La plainte est fondée.

120        Je déclare que l’intimé a fait preuve de discrimination contre le plaignant dans le cadre de ce processus de nomination et, par conséquent, un abus de pouvoir a eu lieu dans l’application du mérite.

121        J’ordonne qu’une indemnité de 2 000 $ soit versée au plaignant aux termes de l’al. 53(2)e) et une de 2 000 $ au titre d’indemnité spéciale aux termes du par. 53(3) de la LCDP dans les 60 jours suivant cette décision.

Le 13 mars 2019.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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