Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée à la suite d’une série de mesures disciplinaires progressives allant d’une réprimande écrite à de multiples suspensions graduelles – la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’ensemble des mesures disciplinaires constituait de la discrimination, parce qu’elle fait partie d’un groupe de minorité visible et est une mère seule, ou qu’il s’agissait de représailles pour avoir exercé son droit à se plaindre du harcèlement – la preuve présentée à la formation de la Commission a permis de confirmer que la fonctionnaire s’estimant lésée arrivait souvent en retard, prenait des congés non autorisés, refusait de suivre les directives, plagiait et refusait d’exécuter des tâches – la formation a jugé que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas établi le lien nécessaire entre la race, l’ethnicité ou la situation de famille et les mesures disciplinaires – par conséquent, la formation a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas établi de preuve prima facie de discrimination – la formation n’a relevé aucun élément de preuve du fait que la race ou l’ethnicité avait joué un rôle dans le traitement que la fonctionnaire s’estimant lésée avait subi – de plus, la formation a conclu que la situation de famille de la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait joué aucun rôle dans le traitement que celle ci avait subi, puisque ses obligations familiales avaient été prises en compte et qu’elle avait obtenu l’arrangement d’horaire de travail flexible qu’elle avait demandé – la formation a conclu que toutes les mesures du défendeur avaient été des tentatives visant à gérer la fonctionnaire s’estimant lésée en raison de son inconduite et de son rendement médiocre – la formation a aussi établi qu’aucune des mesures disciplinaires imposées, y compris le licenciement, n’avait constitué des représailles en réponse aux allégations de harcèlement de la fonctionnaire s’estimant lésée contre ses gestionnaires – la formation a conclu que la preuve avait démontré que le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée avait laissé à désirer, qu’elle avait eu des problèmes à respecter ses heures de travail, et qu’elle avait de plus en plus fait preuve d’insubordination en refusant d’exécuter des tâches – les mesures disciplinaires étaient attribuables à des motifs objectifs, liés au fait qu’une employée ne satisfaisait pas à des attentes claires – la formation a conclu que le défendeur était parfaitement en droit de conclure que la relation d’emploi n’était plus viable.

Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190408
  • Dossier:  566-02-14607
  • Référence:  2019 CRTESPF 40

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

BLANDIE SAMSON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Justice)

défendeur

Répertorié
Samson c. Administrateur général (ministère de la Justice)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle même
Pour le défendeur:
Karen Clifford, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 25 au 29 juin 2018, du 3 au 7 décembre 2018 et le 8 janvier 2019.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Le 17 novembre 2015, Blandie Samson, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a été licenciée de son emploi au ministère de la Justice (« JUS » ou le « défendeur »). Elle a déposé un grief contre son licenciement le 21 décembre 2015. Le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») le 15 novembre 2017. Le 13 novembre 2017, la fonctionnaire a aussi signifié un avis à la Commission canadienne des droits de la personne alléguant une violation des droits de la personne.

2        La fonctionnaire n’a renvoyé à la Commission que son grief sur le licenciement. Dans l’argumentation à l’appui, elle a mentionné que d’autres mesures disciplinaires avaient fait l’objet de griefs. Selon sa compréhension, tous ces griefs avaient aussi été renvoyés à la Commission. Le défendeur s’est opposé au renvoi des autres griefs.

3        J’ai décidé d’instruire les autres griefs comme si une demande de prolongation du délai de renvoi des griefs avait été présentée à la Commission. Comme les motifs de licenciement revenaient essentiellement au fait qu’une série de sanctions disciplinaires progressives n’avaient pas réglé ce que le défendeur estimait être un comportement inacceptable, j’ai déclaré dès le début de l’audience que j’entendrais la preuve relative à tous les griefs disciplinaires et que je rendrais par écrit la décision de les admettre ou non aux fins de réparation, le cas échéant.

4        Je conclus que les autres griefs n’ont jamais été renvoyés à l’arbitrage. Aucun effort n’a été fait pour les renvoyer individuellement à la Commission, comme les règles le prévoient clairement. Quoi qu’il en soit, en dernier ressort, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je décide s’il faut admettre les griefs additionnels, puisque je conclus que le licenciement était justifié, de même que toutes les mesures disciplinaires qui y ont conduit et qui ont été contestées.

II. Résumé de la preuve

5         Le défendeur a cité sept témoins. La fonctionnaire a cité son médecin traitant et a témoigné. Elle a aussi demandé de produire la déclaration sous serment d’une ancienne adjointe de son bureau, qui portait sur la façon dont Duncan Fraser, l’un de ses gestionnaires qui a témoigné à l’audience, aurait traité un cas de plagiat; à deux reprises, la fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires pour plagiat.

6         La fonctionnaire a demandé de produire la déclaration sous serment parce que sa souscriptrice ne pouvait pas venir témoigner à Ottawa, bien qu’elle ait été disposée à répondre à des questions par téléphone pendant le contre-interrogatoire.

7         La déclaration sous serment a été produite en novembre 2018, bien après le témoignage de M. Fraser en juin 2018. Elle contenait des allégations sans rapport avec le plagiat, qui visaient à dépeindre M. Fraser sous un jour défavorable. J’ai conclu que les allégations concernant un incident de plagiat présumé qui mettait en cause d’autres personnes ne seraient d’aucune utilité à l’audience. Le contexte était inexistant, les parties concernées n’auraient pas témoigné devant moi et j’aurais été incapable de tirer des conclusions à partir des faits très partiels, qui étaient de plus biaisés.

8         Comme je l’ai déclaré à l’audience, les déclarations sous serment ne sont admises par la Commission à titre d’éléments de preuve que dans des circonstances très limitées, et certainement pas pour éviter aux témoins disponibles de témoigner ni pour présenter une preuve que l’autre partie conteste.

9         La fonctionnaire est une femme de race noire d’origine haïtienne. Elle est avocate. En 2007, elle a été embauchée à la section des affaires judiciaires de JUS, à un poste classifié au groupe et au niveau LA-1. La même année, elle a reçu un [traduction] Rapport sur le rendement et l’évaluation de l’employé (« RREE ») favorable. L’évaluation narrative comprenait le commentaire suivant :

[Traduction]

Mme Samson a bien travaillé dans notre milieu collaboratif et pouvait aisément travailler en anglais et en français. Elle était compétente et responsable, a fait preuve de persévérance et a démontré un intérêt à apprendre. Elle a demandé des directives au besoin et a accepté la rétroaction de manière positive. Elle avait une attitude amicale et a fait preuve de tact et de diplomatie dans ses échanges avec autrui.

10        Le contrat aux Affaires judiciaires était à court terme. À la suite de plusieurs affectations, la fonctionnaire a obtenu un poste au sein de l’unité des litiges liés au tabac (ULT), sous la supervision de Catherine Lunn. Le premier RREE (2008-2009) a été favorable. Au cours de cette année-là, après avoir participé à un processus annoncé, la fonctionnaire a été nommée pour une période indéterminée à un poste classifié au groupe et au niveau LA-2.

11        Lisa Carson a témoigné à l’audience. Elle a œuvré dans le domaine des relations de travail pour le défendeur pendant 25 ans, jusqu’à son départ à la retraite en février 2016. Aux fins de l’audience, Mme Carson a préparé une série de calendriers chromocodés, à partir de la base de données des congés de JUS dans PeopleSoft et d’échanges de courriels, afin de montrer quels types de congés ont été pris par la fonctionnaire et les jours où elle a travaillé. Les calendriers couvrent la période de 2009 à 2015.

12        À l’audience, Mme Carson a été questionnée sur l’exactitude des calendriers. Elle a déclaré que la version présentée à l’audience était la cinquième itération, et qu’elle était à peu près sûre que toutes les erreurs avaient été corrigées.

13        Mme Carson a participé à l’audience relative à la réponse au dernier palier de la procédure de règlement du grief en qualité d’agente principale des relations de travail. Elle ne se souvient d’aucune discussion concernant une incapacité ou la mise en place d’une mesure d’adaptation. La fonctionnaire souhaitait changer de milieu de travail et avait le sentiment d’avoir fait l’objet d’un traitement inéquitable, puisque d’autres personnes qui avaient déposé des plaintes de harcèlement avaient été mutées.

14        Le défendeur a cité Mme Lunn comme témoin. Celle-ci a travaillé comme avocate plaidante pour le ministère de la Justice pendant 23 ans, principalement en Nouvelle-Écosse. Elle a fait l’objet d’un détachement de trois ans, de 2008 à 2011, au sein du gouvernement fédéral, afin d’œuvrer aux recours collectifs liés au tabac, qui avaient été intentés contre les fabricants de produits du tabac et dans lesquels le gouvernement fédéral était mis en cause. Mme Lunn a déménagé à Ottawa en août 2008, afin de mettre en place l’ULT, qui avait été conçue expressément aux fins des recours collectifs. À la fin de décembre 2008, pour reprendre les termes de Mme Lunn, l’ULT était [traduction] « en service et fonctionnelle ».

15        L’équipe de l’ULT était composée de deux groupes d’environ huit ou dix codeurs, qui étaient des parajuristes, et de quatre à six avocats (y compris la fonctionnaire) qui étaient responsables de l’assurance de la qualité, soit de veiller à ce que les documents soient adéquatement classés et codés. Le rythme de travail était accéléré en raison des délais de production et du fait qu’il fallait traiter avec des experts-conseils et des spécialistes.

16        Lorsque Mme Lunn a été questionnée au sujet des services de la fonctionnaire en tant qu’employée, elle a répondu que celle-ci avait été [traduction] « difficile à gérer ». Beaucoup de problèmes étaient survenus vers la fin de 2009. La fonctionnaire éprouvait des difficultés avec son matériel informatique et son assiduité posait problème; par conséquent, le volume de travail accompli par la fonctionnaire était insatisfaisant. Mme Lunn a essayé plusieurs solutions, sans succès.

17        Comme Mme Lunn savait que la fonctionnaire avait un jeune fils, elle a essayé de lui offrir un horaire de travail flexible. Malgré cet arrangement, la fonctionnaire n’a pas effectué le nombre d’heures de travail escompté. Elle arrivait en retard, partait tôt et ne produisait pas le volume de travail attendu. La base de données en usage, appelé « Ringtail », permettait de produire l’empreinte électronique de tous les utilisateurs. Par conséquent, Mme Lunn pouvait facilement voir que, certains jours, la fonctionnaire ne l’utilisait que pendant quelques heures.

18        Mme Lunn était très préoccupée par la lourde charge de travail de l’équipe, qui assumait la responsabilité du codage et de la production d’environ 750 000 documents. La fonctionnaire était la seule employée de l’ULT dont l’assiduité était problématique. En décembre 2009, Mme Lunn a rencontré la fonctionnaire afin d’en discuter. La fonctionnaire lui a répondu par courriel et lui a dit que, en réalité, elle travaillait très fort. Elle a ajouté qu’il était possible qu’elle n’ait pas beaucoup d’heures dans Ringtail parce qu’elle répondait à de nombreuses questions concernant le privilège et qu’elle examinait près de 2 000 documents par semaine, soit 400 par jour. La fonctionnaire a aussi confirmé un arrangement en vertu duquel elle avait une semaine de travail plus courte lorsqu’elle avait la garde de son fils, et plus longue lorsqu’elle ne l’avait pas. En janvier 2010, Mme Lunn et la fonctionnaire ont convenu que l’horaire de travail serait de 9 h à 17 h, tous les jours.

19        Mme Lunn a formulé des commentaires au sujet des notes qu’elle a prises à la suite de la rencontre avec la fonctionnaire, le 19 mars 2010. Comme ces notes reflètent la teneur du témoignage de Mme Lunn, je les ai reproduites ici intégralement :

[Traduction]

Consultation au bureau [rencontre en personne au bureau de Mme Lunn] avec Blandie

Nous avons de nouveau abordé les deux problèmes suivants :

  1. les heures de travail (sa production) dans la base dedonnées – trous dans l’historique de Ringtail – j’ai le sentiment qu’elle n’investit pas suffisamment d’heures par jour pour effectuer le travail – certains jours elle travaille sur très peu de documents et passe très peu de temps dans la base de données

    Blandie n’était pas de cet avis et a refusé d’accepter les renseignements que je lui ai montrés (l’historique de Ringtail concernant le passé récent) – elle dit que l’historique/les statistiques/l’info que je tiens de Ringtail sont erronés – elle travaille toute la journée tous les jours – elle dit que le travail est dur – elle doit prendre des pauses de l’écran tout au long de la journée

    (Je note que cela n’explique pas les heures manquantes durant la journée en ce qui concerne beaucoup de jours de travail.)


  2. le respect des heures auxquelles elle doit arriver au travail et repartir – c’est encore un problème – elle a accepté de travailler de 9 à 5, mais cela ne fonctionne pas dans son cas – elle ne travaille pas 7,5 heures par jour et je l’ai avisée que cette situation devait être corrigée – nous envisagerons à nouveau un réajustement de son horaire

    Blandiea le sentiment de faire l’objet d’un traitement inéquitable et me rappelle que nous avions convenu d’être souples

    N.B. : Oui, nous avons convenu de faire preuve de flexibilité quant à la façon dont elle pourrait cumuler 7,5 heures pour chaque jour de travail (elle peut rattraper le temps une semaine sur deux, si elle le souhaite), mais pas afin de l’autoriser à travailler moins de 7,5 heures par jour, ce qui est exigé pour chaque membre de l’équipe de notre unité

    nousdevons nous rencontrer la semaine prochaine pour fixer des objectifs


  3. Nous avons discuté des congés toujours suspens depuis janvier à l’égard desquels aucune demande de congé n’a été présentée

20        Mme Lunn a rédigé le RREE de la fonctionnaire pour l’exercice 2009-2010. Mme Lunn lui a attribué la cote 2, ce qui signifie : [traduction] « L’employée ne satisfait pas aux objectifs fixés et/ou aux exigences du poste ». Mme Lunn a évoqué les problèmes qui étaient survenus, mais a ajouté que la fonctionnaire avait exprimé un intérêt pour le contentieux, et que des efforts seraient faits pour appuyer cet intérêt. La fonctionnaire a déposé un grief contre le RREE. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « […] l’évaluation du rendement était arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi ». La fonctionnaire a refusé de la signer. Elle a fourni une liste de ses réalisations pour 2009-2010, en soulignant ceci : [traduction] « Ai obtenu une rétroaction favorable de l’avocate générale, Catharine Moore, pour mon travail au dossier [sur les recours collectifs liés au tabac] ».

21        Dans son témoignage, la fonctionnaire a dit qu’elle avait trouvé le RREE 2009-2010 extrêmement injuste. Il ne tenait pas compte des nombreux problèmes et lacunes de Ringtail, qu’elle a abondamment documenté en présentant divers courriels échangés avec le personnel des technologies de l’information. Elle les a présentés à Mme Lunn pendant son contre-interrogatoire. Mme Lunn a admis qu’il y avait des problèmes, comme dans tout système; cependant, elle ne croyait pas que ces problèmes pouvaient avoir eu une incidence sur le volume et la qualité du travail attendu de la fonctionnaire. Selon Mme Lunn, les courriels étaient des instantanés de cas où le système n’avait pas fonctionné. Cependant, dans l’ensemble, le système fonctionnait, les documents étaient codés et aucune des lacunes n’aurait eu une incidence sur le rendement de la fonctionnaire.

22        À l’audience, la fonctionnaire a aussi déclaré que son RREE insatisfaisant avait eu pour conséquence de la priver de son augmentation d’échelon de rémunération à un moment où elle avait grandement besoin de cet argent pour aider sa famille en Haïti. Le tremblement de terre de janvier 2010 avait causé des ravages dans tout le pays et sa famille n’avait pas été épargnée. Leur envoyer de l’argent aurait fait une grande différence.

23        Selon le témoignage de Mme Lunn, il était difficile d’obtenir de la fonctionnaire qu’elle enregistre ses demandes de congé dans la base de données des congés, tel que requis. Dans une lettre en date du 9 juillet 2010, Mme Lunn a demandé une note du médecin de la fonctionnaire, afin de documenter son congé de maladie (du 9 juin au 12 juillet). Elle a demandé à la fonctionnaire d’enregistrer tous les congés qu’elle avait pris, notamment en avril et en mai, dans le système des congés. Il semble que la question ait été résolue.

24        Mme Lunn a évoqué sa frustration, qu’elle a formulée par écrit dans une note en date du 26 juillet 2010, découlant de l’omission de la fonctionnaire d’effectuer la tâche qui lui a été assignée le 15 juillet, parce qu’elle avait perdu la clé d’un classeur qui contenait le matériel nécessaire pour s’acquitter de la tâche. Elle n’a dit à personne que la clé avait été égarée jusqu’à ce que Mme Lunn s’informe de son travail.

25        En septembre 2010, la fonctionnaire s’est renseignée au sujet de la possibilité de faire du télétravail. Mme Lunn a refusé, étant donné que le système dans lequel le travail s’effectuait était sécurisé et ne permettait pas l’accès à distance. L’examen des documents devait s’effectuer à l’endroit et au moment où les codeurs travaillaient, afin de permettre des corrections en temps opportun. Par conséquent, Mme Lunn a déterminé que le télétravail ne répondait pas aux nécessités du service de l’ULT. Cependant, elle a offert à la fonctionnaire un horaire flexible, avec moins d’heures lorsqu’elle avait la garde de son fils et plus d’heures lorsqu’elle ne l’avait pas, pour une moyenne de 37,5 heures par semaine. Malgré cet arrangement, l’assiduité de la fonctionnaire est demeurée insatisfaisante.

26        En mars 2011, Mme Lunn a quitté l’ULT et a été remplacée par Jacques Talbot, qui a aussi témoigné à l’audience. M. Talbot est avocat au JUS depuis une vingtaine d’années. Au cours des 15 dernières années, il a œuvré à la sécurité publique, sauf pendant un détachement d’un an à l’ULT, de mars 2011 à mars 2012. Il a supervisé la fonctionnaire de mars 2011 à janvier 2012, date à laquelle la fonctionnaire a quitté pour se joindre à une autre unité.

27        L’ULT devait être dissoute en décembre 2011, selon les prévisions, une fois achevée la production électronique ordonnée par les tribunaux à l’égard des recours collectifs. Par conséquent, les membres de l’équipe étaient un peu nerveux; bon nombre d’entre eux étaient des employés nommés pour une période déterminée et ils ignoraient si leur contrat serait renouvelé ailleurs. La fonctionnaire était la seule employée nommée pour une période indéterminée. M. Talbot avait le sentiment qu’elle n’était pas particulièrement heureuse au sein de l’ULT, ce qu’il comprenait, parce que le travail était fastidieux et laborieux. Il s’agissait d’un travail important, mais pas nécessairement stimulant. M. Talbot a donc encouragé la discussion avec la fonctionnaire, afin qu’ils puissent aborder ses désirs et ses aspirations professionnelles à JUS.

28        À l’audience, M. Talbot a formulé des commentaires au sujet du RREE de la fonctionnaire pour 2010-2011, qu’il a signé en mai 2011. Il a consulté Mme Lunn. Malgré les commentaires de celle-ci au sujet de l’assiduité de la fonctionnaire, il a décidé de voir les choses d’un bon œil et de repartir à zéro avec la fonctionnaire. Il lui a attribué une cote 3, qui était ainsi rédigée : [traduction] « L’employée satisfait pleinement aux objectifs et/ou aux exigences du poste et peut à l’occasion les dépasser ». L’évaluation narrative de M. Talbot est en partie rédigée en ces termes :

[Traduction]

[…]

J’ai consulté Catherine Lunn, sa gestionnaire antérieure. Celle-ci a exprimé l’avis selon lequel « Blandie démontre une connaissance exhaustive des questions et décisions cruciales pour le travail qu’elle effectue, ce qui constitue une part essentielle du mandat de l’équipe », et est « hautement compétente pour analyser et approfondir des sources d’information diversifiées et contradictoires, de même que pour évaluer systématiquement des possibilités permettant de trouver une solution globale pour s’acquitter des tâches assignées ».

J’ajouterai que Blandie a un grand potentiel inexploité. Elle recherche assurément d’autres défis, tels qu’une collaboration plus étroite avec le Bureau du Conseil privé sur le processus de certification des renseignements confidentiels du Cabinet, l’aide à l’intégration des nouveaux employés ou la coordination de l’équipe lorsqu’une collaboration plus étroite entre différentes personnes qui travaillent au même dossier ou projet s’avère nécessaire. Compte tenu du récent départ de l’un de nos avocats chevronnés, Blandie aura la possibilité d’assumer plus de responsabilités au sein de nos unités.

[…]

29        Au début, tant selon M. Talbot que selon la fonctionnaire, les choses allaient bien. Ensuite, selon M. Talbot, les problèmes d’assiduité et de retard sont apparus progressivement. La fonctionnaire était souvent introuvable. Elle n’enregistrait pas ses demandes de congé dans PeopleSoft, conformément à ce qui est exigé. Lorsque M. Talbot tentait d’aborder ces préoccupations avec elle, la fonctionnaire n’acceptait aucun commentaire négatif et la conversation était pénible.

30        Tout comme Mme Lunn, M. Talbot a relevé les problèmes de productivité, comme en témoignait la piste de travail dans Ringtail. La fonctionnaire était la seule employée à éprouver ces problèmes; les autres membres de l’équipe se présentaient au travail afin d’effectuer toutes leurs heures et étaient productifs. M. Talbot a également refusé d’autoriser la fonctionnaire à travailler de la maison, car la nature du travail ne s’y prêtait pas.

31        Pour sa part, la fonctionnaire a estimé que M. Talbot la surveillait de manière excessive et qu’il s’était emporté contre elle. En septembre 2011, elle avait de nombreuses plaintes à son égard. Elle a formulé ces plaintes en détail dans un courriel adressé au représentant de son agent négociateur.

32        M. Talbot était frustré par la désinvolture apparente de la fonctionnaire à l’égard de questions qu’il jugeait importantes. Si elle voulait assister à une conférence, elle devait demander l’autorisation. Elle ne voyait pas la nécessité de demander l’autorisation, parce qu’elle pensait que ce genre de participation était encouragé et qu’il lui suffisait d’informer son adjointe.

33        Dans son témoignage, la fonctionnaire a souligné qu’elle avait avisé M. Talbot de la formation qu’elle avait l’intention de suivre. Elle a présenté divers courriels à ce sujet. Cependant, aucun n’indiquait qu’elle avait demandé l’autorisation de suivre une formation.

34        M. Talbot a longuement parlé d’un incident qui, m’a-t-il semblé, le mettait encore mal à l’aise des années plus tard. Les avocates de JUS avaient été encouragées à assister à une conférence d’une heure sur les femmes en droit, donnée par une juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La fonctionnaire y a assisté sans avoir demandé l’autorisation (qui aurait été accordée), mais M. Talbot a dû lui rappeler qu’il fallait obtenir l’autorisation pour assister à une conférence donnée à l’extérieur durant les heures de travail.

35        L’heure d’arrivée était 9 h, et comme M. Talbot s’y attendait, la fonctionnaire est arrivée en retard. Une avocate haut placée qui assistait à la conférence, Anne Turley, a remarqué l’arrivée tardive de la fonctionnaire et en a informé Catharine Moore, la directrice de M. Talbot. Mme Moore a aussi été informée que la fonctionnaire était vêtue de manière [traduction] « inappropriée » pour la conférence. Sa jupe était trop courte, trop moulante, ou les deux. Mme Moore a prié M. Talbot d’en toucher un mot à la fonctionnaire.

36        Encore là, des années plus tard, M. Talbot était mal à l’aise en racontant cette anecdote. Il a soulevé la question auprès de la fonctionnaire, qui s’est montré outragée qu’un superviseur lui dise comment s’habiller. M. Talbot a déclaré que la conversation ne s’était pas bien déroulée, puis a laissé entendre qu’il aurait peut-être été préférable qu’une femme ait cette conversation avec la fonctionnaire.

37        La fonctionnaire n’a pas manqué de porter la même jupe à l’audience (selon elle), afin que M. Talbot se prononce à nouveau sur ce sujet. M. Talbot n’a pas reconnu la jupe et a refusé de formuler des commentaires. Lorsqu’il a été questionné sur le code vestimentaire qu’il appliquait à son bureau, il a simplement dit que les gens y travaillaient à leur ordinateur et n’interagissaient pas avec le public, et que, pour cette raison, ce qu’ils portaient ne le préoccupait pas vraiment. S’ils participaient à une activité à l’extérieur, ils devaient avoir une tenue plus habillée.

38        Dans la présentation de son grief à la Commission, ainsi que dans son témoignage, la fonctionnaire a relaté l’incident et a déclaré que M. Talbot lui avait crié après. Ce dernier a témoigné qu’il n’avait pas crié à ce moment-là, mais qu’il se rappelait avoir haussé le ton à une autre occasion, parce que la fonctionnaire n’écoutait tout simplement pas ce qu’il tentait de lui communiquer.

39        La fonctionnaire avait un autre souvenir de l’incident lié à la tenue professionnelle. Elle a prétendu que M. Talbot l’avait humiliée, à la demande de Mme Moore. En réalité, Mme Moore n’est pas allée à la conférence, mais a répondu à la demande de Mme Turley voulant que quelqu’un parle à la fonctionnaire. Mme Turley n’a pas témoigné à l’audience. Cependant, la preuve documentaire qui ressort d’un courriel de sa part établi qu’elle a offert de discuter de la question avec la fonctionnaire et que celle-ci a décliné l’invitation.

40        La communication avec la fonctionnaire était problématique à plusieurs niveaux. À titre d’exemple, M. Talbot avait mis en place un tableau des allées et venues à l’entrée du bureau. Son adjointe indiquait qui se trouvait sur place ou à l’extérieur et le motif de toute absence absence, qui aurait pu être un congé, une formation, une rencontre avec un client, etc. Selon M. Talbot, aucun employé ne s’en est indigné, sauf la fonctionnaire. Les employés ont plutôt jugé le tableau utile pour savoir où se trouvaient leurs collègues et si leur présence pouvait être attendue au bureau. Il s’agissait d’un outil de gestion utile aux fins de la planification, puisqu’en y jetant un coup d’œil, M. Talbot pouvait voir qui était au bureau et disponible dans l’éventualité où un projet urgent se présenterait pendant la journée. La fonctionnaire, en revanche, a perçu ce tableau comme un outil servant à surveiller son temps et à la micro-gérer de façon injuste.

41        M. Talbot a évoqué la nécessité de documenter les absences pour des motifs de planification et de reddition de compte. Les absences pouvaient être autorisées, bien entendu, mais il devait s’assurer qu’elles étaient autorisées et qu’il disposait de toutes les ressources nécessaires pour s’acquitter du mandat de l’ULT. Souvent, la fonctionnaire ne voyait pas la nécessité de demander l’autorisation ou de rendre compte de ses allées et venues au bureau. Il fallait lui demander à maintes reprises de remplir les formulaires de demande de congé; quand elle les remplissait après le fait, ils n’étaient d’aucune utilité pour la planification.

42        En octobre 2011, les retards, les absences et le défaut de rendre compte de son temps de la fonctionnaire ont incité M. Talbot à lui demander un certificat médical pour chaque congé de maladie. La fonctionnaire a réagi en citant la convention collective, selon laquelle une déclaration signée par l’employée indiquant qu’elle ne pouvait pas travailler suffisait. M. Talbot lui a souligné dans un courriel que la clause est précisée par la déclaration liminaire suivante : « À moins d’indication contraire de la part de l’Employeur […] ». La fonctionnaire a répondu qu’elle était victime de discrimination, puisqu’aucun de ses collègues n’était tenu de présenter un certificat médical pour chaque congé de maladie.

43        Au cours de l’automne 2011, M. Talbot a envisagé la mise en œuvre d’un plan de gestion du rendement à l’égard de la fonctionnaire pour remédier à son absentéisme et à son manque de productivité lorsqu’elle ne venait pas au travail. M. Talbot a déclaré qu’elle avait un très bon rendement lorsqu’elle le voulait, mais qu’elle investissait rarement les six ou sept heures escomptées d’elle au cours d’une journée de travail normale. À ce moment-là, la fonctionnaire a présenté une plainte informelle de harcèlement contre M. Talbot. Celui-ci a offert de régler le problème par voie de médiation. Il croyait que la fonctionnaire n’avait aucun intérêt pour le travail de l’ULT, qu’il a reconnu être à la fois exigeant et fastidieux.

44        Les questions n’ont pas été résolues au moyen de la médiation, mais une solution est apparue en décembre 2011, lorsque le directeur du contentieux et de l’administration de la preuve électronique (e-Discovery), M. Fraser, a offert de prendre la fonctionnaire dans son équipe nouvellement créée. M. Talbot a pensé qu’il s’agirait d’une excellente occasion pour la fonctionnaire d’effectuer un travail plus intéressant, qui exploiterait sa connaissance du codage de documents, qui avait constitué le mandat de l’ULT. La fonctionnaire a accepté la proposition et a commencé à travailler sous la supervision de M. Fraser au début de janvier 2012.

45        À partir de ce moment, M. Talbot a cessé d’avoir des rapports avec la fonctionnaire, sauf pour fournir l’évaluation narrative figurant dans son RREE de 2011-2012. M. Talbot y a souligné les bonnes réalisations de la fonctionnaire, mais lui a de nouveau attribué la cote [traduction] « ne satisfait pas » aux exigences de son poste, en raison de son manque de productivité dans Ringtail et de la difficulté d’obtenir d’elle qu’elle réponde aux exigences sur le plan administratif, par exemple en remplissant les formulaires de congé. M. Talbot a conclu l’évaluation narrative par le commentaire suivant qui, a-t-il-dit à l’audience, résumait son année de supervision :

[Traduction]

Il est difficile, à vrai dire impossible, de discuter avec Blandie au moment de lui présenter une rétroaction sur un problème de rendement, afin qu’elle puisse corriger la situation à la satisfaction de la direction. Elle n’est pas du tout réceptive et élude toute responsabilité.

46        En mars 2012, M. Talbot est retourné à son poste d’attache à la sécurité publique. Une plainte officielle de harcèlement, déposée en septembre 2012, n’a pas donné lieu à une enquête exhaustive, parce qu’il a été décidé qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour aller de l’avant.

47        M. Fraser a témoigné à l’audience. Il a travaillé comme avocat à JUS de juin 1996 à avril 2015. Il exerce maintenant en pratique privée. En 2009, il a été muté de Winnipeg (Manitoba) à Ottawa pour travailler sur la gestion électronique des renseignements, qui est devenue le projet de recherche de documents électronique. Au cours de sa carrière, M. Fraser a encadré et formé un grand nombre d’avocats. Il a aussi été chargé de cours à la faculté de droit de l’Université du Manitoba.

48        M. Fraser a déclaré qu’il avait fait la connaissance de la fonctionnaire lors d’une séance de formation à l’automne 2011; elle s’était adressée à lui afin de discuter de son intérêt pour la preuve électronique et le contentieux. M. Fraser savait qu’elle avait travaillé au codage et à l’examen de documents dans l’ULT, et elle semblait être une bonne candidate pour l’équipe qu’il mettait sur pied aux fins du projet d’administration de la preuve électronique. La fonctionnaire a déclaré n’avoir jamais exprimé le moindre intérêt; au contraire, M. Fraser l’avait priée de travailler dans son unité.

49        La fonctionnaire a fait ses débuts en administration de la preuve électronique en janvier 2012. En avril 2012, M. Fraser a rédigé son RREE. L’évaluation narrative de M. Fraser visait les trois derniers mois de l’exercice se terminant le 31 mars 2012.

50        Dans son évaluation narrative, M. Fraser affirme qu’il s’attendait à ce que l’intégration de la fonctionnaire dans son équipe soit marquée par une courbe d’apprentissage abrupte, puisqu’elle ne possédait aucune expérience du contentieux. Au début, elle semblait motivée et enthousiaste. M. Fraser lui a confié plusieurs tâches, dont elle s’est acquittée parfois de façon compétente, mais pas toujours. La tâche principale consistait à mettre à jour le chapitre traitant de la communication préalable du Manuel du contentieux des affaires civiles. L’idée était de familiariser la fonctionnaire avec les règles liées à la recherche, tout en exigeant d’elle qu’elle applique les compétences attendues pour la rédaction et l’analyse.

51        M. Fraser a été déçu de la première ébauche de la fonctionnaire, comme l’indique son commentaire :

[Traduction]

[…]

[…] D’après mon évaluation de sa comptabilisation du temps,ainsi que du temps consacré à la tâche, j’ai estimé qu’une centaine d’heures avaient déjà été consacrées à la première ébauche. J’ai examiné le document, puis j’ai rencontré Blandie afin de lui présenter une rétroaction. La qualité et la quantité de travail effectuée étaient insatisfaisantes. Il y avait un certain nombre d’erreurs factuelles importantes, ainsi que de nombreux cas où le langage employé était malhabile ou inexact. En dernier lieu, le document était mal structuré et ne peut être qualifié que de désorganisé […] Selon mon évaluation générale du travail, il n’aurait pas dû demander plus d’une vingtaine d’heures, et la qualité de la rédaction et de l’analyse était insatisfaisante. J’ai exprimé mes préoccupations à Blandie en ce qui concernait sa gestion du temps et ses compétences en rédaction et en recherche. Comme le travail était inacceptable pour une avocate de son niveau, je lui ai présenté cette rétroaction, ainsi que des suggestions pour cibler son travail et améliorer sa rédaction.

[…]

Dans l’ensemble, pour les trois derniers mois de 2011-2012, Blandie a apporté une contribution inférieure à celle d’une avocate de niveau 2A, et la qualité globale de son travail n’a pas satisfait aux attentes liées à son poste.

[…]

52        M. Fraser était également préoccupé du fait que la fonctionnaire n’était pas réceptive à larétroaction. À l’instar de M. Talbot, M. Fraser a attribué la cote [traduction] « ne satisfait pas » à la fonctionnaire pour son rendement.

53        La fonctionnaire a réagi à l’évaluation dans un courriel volumineux dans lequel elle a donné sa version des faits et affirmé qu’on ne lui avait aucunement parlé des attentes liées à son poste. À son avis, son travail n’était pas erroné. Elle a mentionné, à titre d’exemple, d’autres tâches qu’elle avait effectuées pour lesquelles elle avait été complimentée. Elle a demandé que les évaluations narratives de MM. Fraser et Talbot soient en partie modifiées. M. Fraser a modifié la sienne, mais le résultat final, tel qu’il est démontré dans l’extrait cité, demeurait passablement défavorable.

54        M. Fraser n’a signé l’évaluation du rendement qu’en juillet; la fonctionnaire a refusé de la signer. En juin et en juillet, elle était en congé de maladie, suivant la recommandation de son médecin. Elle a déclaré qu’il était très stressant de travailler pour M. Fraser.

55        Dès le 4 juin (date de début du congé de la fonctionnaire), M. Fraser a exprimé dans un courriel sa crainte que la fonctionnaire n’ait peut-être pas suffisamment de crédits de congé de maladie pour couvrir l’absence. Il lui a offert une avance de congé de maladie, mais elle n’a pas répondu.

56        Lorsque la fonctionnaire a fait part, dans un courriel, que son médecin avait prolongé son congé de maladie, M. Fraser a de nouveau soulevé la question des crédits de congé. En s’appuyant sur la date de retour au travail prévue, il a calculé que la fonctionnaire serait à court de crédits de congé de maladie et de vacances. Encore une fois, il lui a offert une avance de congé de maladie. Il lui a demandé une réponse, mais en vain.

57        En juillet, lorsque la fonctionnaire est rentrée au travail, M. Fraser l’a priée de rédiger une note de service, en lui donnant des instructions précises quant au contenu. La fonctionnaire a rédigé la note et l’a présentée à temps. Lorsqu’il a examiné la note, M. Fraser a été convaincu qu’elle avait été plagiée en grande partie, ce qu’il a confirmé en effectuant des recherches sur le Web.

58        La fonctionnaire a été avisée qu’une enquête administrative aurait lieu afin de déterminer s’il y avait eu plagiat. Plus particulièrement, elle a reçu une lettre énonçant les motifs d’enquête suivants :

[Traduction]

[…] dans votre travail, il se peut que vousayez :

  1. omis de mentionner la source des idées non originales;
  2. présenté un travail comme étant le vôtre, alors qu’en réalité, il a été rédigé ou préparé, en totalité ou en partie, par une ou plusieurs autres personnes;
  3. omis de mentionner de manière appropriée la source d’une citation directe ou indirecte.

[…]

59        La lettre indiquait que si les allégations étaient fondées, [traduction] « […] des mesures administratives et/ou disciplinaires pouvant aller jusqu’à la révocation de la cote de sécurité et/ou au licenciement pourraient être prises ». L’enquête a permis de conclure que les allégations étaient fondées. Une réprimande écrite a été délivrée à la fonctionnaire, en janvier 2013, en guise de mesure disciplinaire.

60        Dans un courriel en date du 26 juillet 2012, M. Fraser a demandé à la fonctionnaire d’enregistrer les congés qu’elle avait pris en juin et en juillet au plus tard le 31 juillet. Il a accepté de lui accorder une avance de crédits de congé de maladie payé, mais il restait un solde qui devait être couvert au moyen de la paie de vacances ou d’un congé de maladie non payé. M. Fraser a réitéré à maintes reprises sa demande d’enregistrement du congé. Il a envoyé un courriel à la fonctionnaire le 2 août. Celle-ci a répondu le 3 août, en disant qu’elle était malade et qu’elle s’occuperait du congé à son retour au travail.

61        Le 9 août, la fonctionnaire a présenté une note de son médecin indiquant qu’elle serait absente jusqu’au 5 septembre. M. Fraser a répondu que le problème lié au congé commençait à devenir important, puisqu’il ne lui restait plus de crédits de congé payé. Le 6 septembre, après le retour de la fonctionnaire, M. Fraser a à nouveau prié celle-ci d’enregistrer son congé. Le 12 septembre, il lui a envoyé par courriel un compte rendu exhaustif des congés qu’elle avait pris (et qu’elle n’avait pas enregistrés). La fonctionnaire avait été surpayée et devait rembourser l’excédent. Elle n’avait toujours pas enregistré le congé. Le 13 septembre, elle a écrit ce qui suit à M. Fraser :

[Traduction]

[…]

J’ai envoyé un courriel à la rémunération afin de discuter des répercussions financières d’une demande de congé non payé ou d’autres possibilités dans ma situation (une copie de ce courriel vous a été adressée). J’attends encore une discussion avec un conseiller en rémunération qui devrait avoir lieu demain. Ensuite, j’enregistrerai mes congés dans PeopleSoft.

[…]

62        En dernier ressort, le 17 septembre, M. Fraser a enregistré le congé lui-même et a avisé la fonctionnaire en ces termes :

[Traduction]

Blandie,malgré mes nombreuses demandes et des délais clairs, en date de ce matin vous n’aviez pas rendu compte de vos congés depuis le 4 juin.

Dans ces circonstances, j’ai dû m’en acquitter moi-même, en transmettant des copies papier à la section de la rémunération et des avantages sociaux, afin que les congés puissent être affichés dans le système.

Voici une copie de chacun des formulaires que j’ai envoyés. Si vousavez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi, ou avec votre conseiller en rémunération et avantages sociaux.

[…]

63        La fonctionnaire a réagi dans un courriel virulent, en dénonçant la micro-gestion dont elle faisait l’objet et en s’opposant vigoureusement à ce que M. Fraser prenne en charge son dossier de rémunération. M. Fraser a offert de discuter de la question, ainsi que du travail relatif aux dossiers de la fonctionnaire.

64        L’examen du travail de la fonctionnaire s’est avéré difficile. En raison de l’enquête administrative en cours sur la note de service prétendument plagiée, la fonctionnaire hésitait à partager son travail avec son superviseur, de crainte que son travail ne soit utilisé contre elle. À la suite d’une rencontre avec elle le 4 octobre 2012, M. Fraser a écrit à un conseiller en relations de travail afin de demander des conseils. Il a exprimé ses préoccupations comme suit :

[Traduction]

[…]j’ai rencontré Blandie cet après-midi […] afin d’examiner ses travaux en cours. La rencontre a été difficile.

Blandie a confirmé que sur les quatre tâches assignées, elle n’avait travaillé qu’à deux d’entre elles depuis le 26 juillet. L’une est une note de service sur l’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) et la divulgation, tandis que l’autre porte sur Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et des dépôts publics. La comptabilisation du temps de Blandie montre qu’environ 33 heures ont été allouées à chaque note depuis le 5 sept.

Blandie […] a refusé de se plier à ma demande de me fournir, à l’avance, des copies de sa version en cours de son travail relatif aux deux documents, et a refusé de les verser dans iCase [lecteur commun de JUS]. Il s’agissait de son troisième refus.

Lors de la rencontre, j’ai confirmé ce qui précède et j’ai sommé Blandie de me fournir des copies de son travail. Je l’ai informée des raisons pour lesquelles je devais le voir – elle a éprouvé des problèmes de rendement dans ses recherches, ses analyses et ses rédactions dans le passé, et je dois m’assurer qu’elle est sur la bonne voie. Je dois aussi m’assurer que le travail qu’elle fait est effectué de manière efficace – c’est-à-dire qu’il justifiait les 33 heures. J’ai exprimé clairement les besoins et l’objectif. J’ai dit à Blandie qu’afin de m’acquitter adéquatement de mes fonctions, je devais voir son travail. Elle a refusé catégoriquement – en disant que je pourrais le voir lorsqu’elle aurait terminé – et que c’était ma faute si elle ne me le laissait pas voir – parce que j’avais lancé une enquête administrative.

J’ai rappelé à Blandie à quel point son refus posait un problème sérieux – qu’elle devait me présenter le travail et qu’il pourrait y avoir des conséquences graves en cas de refus. Je l’ai priée de se raviser. Elle arefusé[…]

[…]

65        Dans ce courriel, M. Fraser a demandé s’il pouvait répliquer au moyen d’une sanction, par exemple une suspension sans traitement, jusqu’à ce que les documents demandés soient fournis. Le conseiller en relations de travail lui a conseillé de commencer par imposer une réprimande écrite, puis, si la fonctionnaire persistait dans son refus, d’augmenter les sanctions progressivement. À l’audience, M. Fraser se souvenait que la rencontre avait été [traduction] « surréaliste ». Il n’avait jamais rencontré auparavant un employé qui refusait de montrer son travail à un superviseur direct.

66        Au début d’octobre 2012, M. Fraser a été avisé que la fonctionnaire avait déposé une plainte officielle de harcèlement contre lui. Par conséquent, le 12 octobre, l’affectation de la fonctionnaire a été terminée; elle est retournée à son poste d’attache. Comme l’ULT avait cessé ses activités, sa section était devenue l’unité de la gestion des recours collectifs et des litiges de masse (UGRCLM).

67        En novembre 2012, un avocat de la Direction du contentieux a porté à l’attention de M. Fraser une note de service distincte et incomplète rédigée par la fonctionnaire et dont de grandes parties semblaient avoir été extraites d’un avis rédigé par un autre avocat. M. Fraser a renvoyé la note de service au directeur de la gestion des affaires de la Direction du contentieux et n’a plus été mêlé à cette affaire.

68        M. Fraser a rédigé une partie de l’évaluation narrative du RREE (2012-2013) de la fonctionnaire, soit pour la période au cours de laquelle il avait été son superviseur. Il a parlé du travail qu’elle avait effectué et du fait qu’elle était devenue de plus en plus difficile à gérer. Il a à nouveau attribué à son rendement la cote [traduction] « ne satisfaisait pas aux attentes au cours de la période où elle faisait partie de mon groupe ». En contre-interrogatoire, la fonctionnaire lui a demandé s’il pouvait l’évaluer de manière équitable, étant donné qu’il était visé par une plainte officielle de harcèlement. M. Fraser a répondu qu’il était demeuré aussi professionnel que possible au moment de faire le RREE.

69        La fonctionnaire a déclaré qu’au moment de déposer la plainte officielle contre M. Fraser, elle s’attendait à ce que l’enquête qu’il avait lancée soit cessée, puisque la plainte de harcèlement l’entachait, ce qu’elle a expliqué comme suit à la conseillère principale de la Direction de la prévention et du règlement des différends de JUS, Sylvie Matteau, le 12 octobre 2012 :

[Traduction]

[…]

Simon [Forthergill] m’a aussi avisée que le processus desmesures administratives/disciplinaires que Duncan a entamé se poursuivrait avec Catherine Lawrence. Cependant, cette question relève de ma plainte de harcèlement. Poursuivre ce processus revient à autoriser d’autres représailles contre moi pendant que l’affaire est sous enquête […]

[…]

70        La direction a soustrait la fonctionnaire à la supervision de M. Fraser. Dans un autre courriel à Mme Matteau, le 15 octobre 2012, la fonctionnaire s’est plainte de devoir travailler sous la supervision de Mme Moore et a présenté les motifs qui suivent pour justifier son mécontentement :

[Traduction]

[…]

Je suis heureuse de ne pas travailler avec Duncan. Cependant, je suis profondément troublée par la décision de la direction de me placer à nouveau sous la responsabilité de Paul Vickery et de Catherine Moore. Vous vous souvenez que dans ma plainte de harcèlement, Catherine Moore est la personne qui s’est plainte à Jacques Talbot d’avoir été offensée par ma tenue vestimentaire, alors qu’elle n’avait même pas assisté à la rencontre officieuse avec Madame la Juge Aiken. Ses commentaires ont conduit Jacques à me qualifier d’[traduction]« embarras pour le ministère de la Justice », ce qui m’a humiliée devant mes collègues. La décision de Mme Moore m’a causé et me cause encore beaucoup d’angoisse sur les plans personnel et professionnel. Travailler avec Mme Moore ne constituera pas un milieu de travail sain pour moi. Cette tournure des événements m’angoisse profondément.

De plus, durant les trois années où j’ai relevé de Paul Vickery et de Catherine Moore, mon travail consistait principalement à examiner des documents dans la base de données Ringtail sans avoir de travail substantiel. J’ai le sentiment que le retour dans ce milieu, où j’effectuerai fort probablement un travail similaire, constitue un pas en arrière dans ma carrière. Par conséquent, je subirai encore les effets défavorables découlant des plaintes sur la conduite indésirable de mon gestionnaire. J’aimerais prendre un nouveau départ et j’ai le sentiment que ce ne sera pas le cas, puisque je dois retourner au sein de l’unité des recours collectifs, où je devrai collaborer avec Catherine Moore, qui est la source de mon angoisse, passée et actuelle.

[…]

71        La fonctionnaire a reconnu que, dans le passé, elle avait collaboré avec Mme Moore à un dossier du contentieux et qu’elle avait reçu des éloges pour son travail. Cependant, elle était mécontente que Mme Moore devienne sa gestionnaire, puisqu’elle la blâmait pour l’incident lors duquel M. Talbot lui avait reproché sa tenue vestimentaire à la conférence avec la Juge Aiken.

72        Mme Moore a témoigné à l’audience. À l’époque pertinente, elle était avocate générale et gestionnaire des recours collectifs. Entre 12 et 20 personnes relevaient d’elle, la moitié était des avocats, alors que les autres étaient des parajuristes et des employés de soutien. Sa section avait pour mandat de plaider les recours collectifs importants.

73        Mme Moore a témoigné avoir eu une expérience de travail positive avec la fonctionnaire au cours de l’exercice 2009-2010, lorsque cette dernière avait apporté son aide dans le litige mené à Terre-Neuve (l’« affaire Sparks »). Mme Moore a déclaré qu’elle était présente lorsque Mme Lunn avait fourni le RREE 2009-2010. Mme Lunn, la gestionnaire de la fonctionnaire à l’époque, et Mme Moore occupaient des postes classifiés au même niveau (avocate générale). Toutes deux relevaient de Paul Vickery, l’avocat général principal.

74        Comme Mme Lunn venait de la fonction publique de la Nouvelle-Écosse, elle demandait souvent conseil à Mme Moore au sujet de la fonction publique fédérale; elle lui a aussi demandé d’assister à la rencontre portant sur le RREE avec la fonctionnaire. Même si le RREE était défavorable (il indiquait : [traduction] « L’employée ne satisfait pas aux objectifs fixés et/ou aux exigences du poste »), la fonctionnaire a elle-même écrit dans son exposé des faits qu’elle avait reçu une rétroaction positive de Mme Moore au sujet de sa participation dans l’affaire Sparks. À l’audience, Mme Moore a convenu qu’elle avait été satisfaite de la contribution de la fonctionnaire.

75        Cependant, Mme Moore se souvenait aussi que l’un des points négatifs concernait l’assiduité de la fonctionnaire au travail. La question a fait l’objet d’une discussion à la rencontre, et Mme Moore a suggéré le travail à temps partiel. La fonctionnaire n’était pas du tout disposée à accepter cette suggestion. En dernier ressort, un arrangement d’horaire de travail flexible a été pris avec Mme Lunn, comme il a déjà été mentionné.

76        Lorsque la fonctionnaire a commencé à travailler sous la direction de Mme Moore, l’arrangement a été maintenu. Mme Moore était au courant de la lettre de Mme Lunn en date du 5 octobre 2010, qui prévoyait l’horaire flexible, ainsi que de sa lettre en date du 19 novembre 2010, dans laquelle l’horaire était réitéré, mais où il était aussi mentionné que les heures de présence n’étaient pas respectées.

77        Le 30 janvier 2013, le sous-procureur général adjoint à l’époque, Simon Fothergill, a signifié une réprimande écrite à la fonctionnaire pour plagiat. Il avait déterminé que la note de service rédigée à l’intention de M. Fraser contenait des renseignements non attribués. Il avait aussi constaté que la deuxième note de service renvoyée par M. Fraser ne justifiait pas une conclusion d’inconduite, parce qu’elle renfermait un avis de non-responsabilité clair, qui indiquait qu’il s’agissait d’une ébauche et que d’autres références seraient ajoutées.

78        Il ressort des échanges de courriels entre Mme Moore et la fonctionnaire au début de 2013 que la question de l’assiduité demeurait une source de tension entre elles. Mme Moore a tenté de comprendre pourquoi la fonctionnaire ne respectait pas l’horaire de travail le vendredi. La fonctionnaire a répondu que le vendredi était le jour de changement de la garde selon l’arrangement conclu avec le père de son enfant. Le ton est devenu acrimonieux. La fonctionnaire a déclaré ce qui suit : [traduction] « […] je crois comprendre que les gestionnaires de JUS ont des idées préconçues au sujet des minorités visibles […] ». Mme Moore a répondu ceci : [traduction] « Je suis offensée par vos allégations de racisme. Je les trouve insultantes et ne tolèrerai pas de pareilles allégations non fondées ». La fonctionnaire a ensuite rétorqué qu’elle se sentait traitée différemment des autres en tant que femme de couleur et mère seule.

79        Toujours au cours de ce même échange, au début de 2013, Mme Moore a déclaré ce qui suit, après avoir précisé les efforts qu’elle avait fournis pour se montrer raisonnable, tout en veillant à ce que la fonctionnaire se présente au travail :

[Traduction]

Mes gestes ont été parfaitement raisonnables et tout a été tenté afin de répondre à vos besoins; cependant, comme vous êtes manifestement convaincue d’être traitée de manière discriminatoire en raison de votre race et de votre situation familiale, je vous inviterais à déposer une plainte officielle, afin que nous puissions régler cette affaire. Je ne tolèrerai pas de perpétuelles accusations sans fondement et ne suis pas sur le point de me sentir intimidée ou forcée à manquer à mes devoirs en tant que gestionnaire de l’unité.

80        La fonctionnaire a répondu en ces termes :

[Traduction]

[…]

Je suis profondément blessée et stressée par vos allégations,qui ont contribué à rendre mon milieu de travail extrêmement toxique. Comme vous êtes ma gestionnaire, vous êtes en position de force et je me sens intimidée, harcelée et persécutée par vous. Je vous prierais de mettre fin à votre comportement et de me fournir un milieu de travail sûr.

[…]

81        La fonctionnaire a longuement commenté cet échange, tant pendant le contre-interrogatoire de Mme Moore que dans son propre témoignage. Elle voulait que Mme Moore reconnaisse qu’elle avait eu le sentiment d’être intimidée et persécutée, afin de démontrer que le milieu de travail était toxique.

82        Mme Moore a nié vigoureusement qu’elle avait eu le sentiment d’être persécutée et intimidée; au contraire, elle croyait que la fonctionnaire utilisait les allégations de discrimination afin de rejeter toute responsabilité pour son comportement.

83        Vers cette époque, la fonctionnaire a été priée de remplir un formulaire de réaménagement de l’horaire de travail (« RHT »), afin qu’il y ait un dossier officiel de l’entente négociée avec Mme Lunn. Le défendeur a soumis comme élément de preuve la correspondance d’une gestionnaire des services d’administration, qui explique que le formulaire visait simplement à s’assurer que l’entente soit officialisée. La fonctionnaire a résolument refusé de le remplir. À l’audience, elle a expliqué qu’il n’était pas nécessaire puisqu’elle avait la lettre de Mme Lunn en date du 5 octobre 2010. En contre-interrogatoire, à la question de savoir pourquoi elle n’avait pas voulu remplir et signer le formulaire, elle a réitéré qu’elle n’avait pas besoin de le faire.

84        Dès avril 2013, Mme Moore a eu de la difficulté à gérer la fonctionnaire. Un échange de courriels illustre une conversation au sujet d’une présentation que la fonctionnaire était censée faire durant une conférence téléphonique avec des collègues de l’ensemble de la section. Mme Moore a demandé une copie de la présentation. La fonctionnaire ne l’a pas fournie. Mme Moore voulait s’assurer que la présentation communique le message approprié. Lorsque la fonctionnaire a omis de fournir la présentation, Mme Moore l’a retirée de l’ordre du jour. La fonctionnaire a été très fâchée, percevant une atteinte à son professionnalisme.

85        La fonctionnaire a été en congé de maladie autorisé d’avril à août 2013. À son retour, elle a reçu le RREE 2012-2013 et une lettre d’attentes. À l’audience, Mme Moore a expliqué qu’elle avait diverses préoccupations concernant l’assiduité et le rendement de la fonctionnaire. La lettre avait pour but d’aborder ces questions et de permettre à la fonctionnaire de corriger son comportement.

86        La lettre d’attentes, en date du 1er août 2013, prévoit les exigences qui suivent à l’égard de la fonctionnaire :

  • remplir le formulaire de RHT et respecter ses modalités, [traduction] « […] plus particulièrement, l’heure d’arrivée [de la fonctionnaire] au bureau doit [lui] permettre de commencer à travailler à l’heure convenue »;
  • informer directement Mme Moore de toute absence ou tout retard imprévu, notamment l’aviser du motif, de la date de retour et de tout travail prioritaire;
  • étayer toutes les demandes de congé de maladie par des certificats médicaux;
  • reconnaître que toute absence ou tout retard non approuvé sera déduit de sa rémunération et que les arrivées tardives ne peuvent être compensées en restant au travail plus longtemps;
  • demander les congés cinq jours à l’avance et ne pas les utiliser pour combler des absences imprévues, ni les demander après les avoir pris;
  • aviser Mme Moore du début et de la fin de chaque jour de travail;
  • effectuer les tâches assignées dans les délais prévus; s’il n’est pas possible de respecter les délais, prendre d’autres arrangements à l’avance;
  • réviser avec soin tous les travaux et attribuer le travail à autrui le cas échéant;
  • assister aux réunions prévues ou présenter un motif acceptable de ne pas y assister.

87        La lettre se conclut par le paragraphe suivant :

[Traduction]

Afin de surveiller votre conformité à ces attentes, nous fixerons une réunion de suivi dans un délai d’environ quatre semaines à compter de la date de la présente lettre. Si vous ne respectez pas l’une de ces exigences, des procédures administratives et/ou disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pourront être engagées contre vous.

88        Le RREE 2012-2013 indiquait que la fonctionnaire ne satisfaisait pas aux objectifs de son poste; par conséquent, celle-ci s’est vu refuser toute augmentation de salaire. Le RREE comprenait les exposés de M. Fraser et de Mme Moore, puisque M. Fraser avait été le superviseur de la fonctionnaire pendant la première moitié de l’exercice.

89        La fonctionnaire a vivement réagi au RREE et à la lettre d’attentes dans un courriel adressé à Mme Moore le 30 août 2013. Elle a qualifié l’utilisation de l’exposé de M. Fraser de violation de la justice naturelle, puisque sa plainte de harcèlement contre lui était en cours. Il lui semblait évident que le fait de la priver d’augmentation de salaire était en fait un acte de représailles de sa part. Dans le RREE, M. Fraser a dit que le travail de la fonctionnaire était médiocre et qu’il devait être repris. Il mentionnait aussi ce qui suit : [traduction] « […] a été difficile d’obtenir que la fonctionnaire se présente au travail, enregistre ses congés et réponde à mes demandes de renseignements », ce dont il a longuement témoigné à l’audience.

90        Mme Moore a signalé des problèmes de rendement (qualité du travail et respect des délais) et d’assiduité dans le RREE, et a formulé le commentaire suivant:

[Traduction]

Blandie ne s’est pas montrée réceptive à la rétroaction et ne semble pas disposée à assumer la responsabilité de son comportement ni à modifier celui-ci; au lieu de cela, lorsqu’elle a dû faire face, par exemple, à ses retards, elle a adopté une attitude défensive et a trouvé des excuses inacceptables et/ou a allégué qu’elle était victime de harcèlement et de discrimination.

91        Dans son courriel, la fonctionnaire a affirmé que la lettre d’attentes allait au-delà de ce qu’on attendait raisonnablement des employés. Personne d’autre au bureau n’était tenu de signaler ses arrivées ou ses départs. La fonctionnaire a souligné qu’elle avisait déjà Mme Moore de ses retards ou de ses absences, que ses gestionnaires précédents avaient accepté l’utilisation des crédits de congé annuel lorsqu’il ne lui restait plus de crédits de congé de maladie, et qu’elle respectait les délais. Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait remplir un formulaire au sujet d’une mesure d’adaptation dont elle bénéficiait depuis 2009.

92        Quant au commentaire sur l’attribution du travail, la fonctionnaire a formulé le commentaire suivant : [traduction] « Le ministère de la Justice a adopté une norme supérieure à ce qui est exigé de la profession d’avocat ». Elle a ensuite expliqué que la copie était une pratique acceptée pour les avocats, en citant Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, où la Cour suprême du Canada cite un extrait d’un article publié dans le University of Toronto Law Journal (« Copyright Originality and Judicial Originality » (2013), 63 Univ. of Toronto L.J. 385), notamment la phrase suivante, à la page 390 :

[] Il n’est guère nouveau que la rédaction juridique soit enracinée dans un réseau de précédents, de formules et de modèles, qu’elle reflète une préférence générale pour la tradition plutôt que pour la nouveauté, et qu’elle dépende couramment de pratiques — la répétition textuelle des mots d’autrui, l’adoption des textes et des arguments d’autrui — qui pourraient entraîner des allégations de contrefaçon dans le cadre d’un litige en matière de propriété intellectuelle.

93        En septembre 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Moore, afin de lui demander du travail plus intéressant. Elle a affirmé que Mme Moore avait été influencée de manière défavorable par l’évaluation de M. Fraser au sujet de ses compétences juridiques et par l’atteinte à sa réputation professionnelle découlant de l’accusation d’[traduction] « absence de mention des sources et manque d’originalité d’une ébauche de produit du travail ». La fonctionnaire a écrit qu’il n’aurait pas dû y avoir violation de ses habiletés professionnelles, puis elle a soulevé les points suivants :

  • Les allégations de M. Fraser contreviennent aux principes de la primauté du droit, puisqu’en vertu de l’art. 12 de la Loi sur le droit d’auteur, (L.R.C. 1985, ch. C-42), il ne peut y avoir de droit d’auteur sur les idées ou le travail des services juridiques.
  • Le directeur général et l’avocat général principal de la Direction du contentieux des affaires civiles avaient souligné, dans un courriel en date du 12 décembre 2012 (qui n’a pas été produit comme élément de preuve), qu’aucune règle ne précise l’ajout des citations correctes dans les ébauches de document.
  • L’article de M. Fraser, que la fonctionnaire était accusée d’avoir plagié, ne faisait mention ni du titre, ni de la date, ni des noms des auteurs; comment était-il possible de l’attribuer?
  • Selon la fonctionnaire, M. Fraser avait remarqué que le texte avait été copié en raison de son expérience en qualité de professeur de droit, ce qui avait entaché son jugement en qualité d’avocat du contentieux des affaires civiles à JUS. La fonctionnaire a ajouté ce qui suit dans son courriel : [traduction] « Une personne raisonnable percevra sans doute un conflit d’intérêts et une violation possible du Code de conduite de JUS ».

94        La lettre d’attentes n’a pas produit les résultats escomptés. Mme Moore a présenté en guise d’exemple des courriels de la fonctionnaire qui ne répondaient pas aux attentes. Le 11 septembre 2013, à 16 h 57, la fonctionnaire a envoyé un courriel pour dire qu’elle partait tôt afin d’aller à un rendez-vous chez le médecin. Dans un courriel envoyé à 16 h 58, Mme Moore a demandé à quelle heure elle partirait. La fonctionnaire a répondu ceci le 13 septembre : [traduction] « Je suis partie à 17 h ». Mme Moore a ensuite répondu en ces termes : [traduction] « Étant donné que votre courriel a été envoyé à 16 h 57, vous ne m’avez pas effectivement avisée de votre départ anticipé. Cela n’est tout simplement pas suffisant et ne correspond pas à la lettre d’attentes qui vous a été adressée ».

95        Dans son témoignage, la fonctionnaire a présenté l’incident comme un cas de harcèlement. Elle avait donné un préavis, puisque son heure de départ habituelle aurait été 18 h 30. Par conséquent, elle estimait que l’avis avait été présenté une heure et demie, et non trois minutes, à l’avance.

96        Mme Moore a expliqué que le but de l’avis était de s’assurer qu’aucun travail prioritaire ne soit abandonné et, aux fins de la planification, de savoir qui était disponible au bureau pour accepter une tâche imprévue, ce qui arrivait souvent à la section du contentieux des affaires civiles.

97        La lettre d’attentes indiquait que la fonctionnaire devait signaler directement à Mme Moore sa présence ou ses absences. Le 20 septembre 2013, Mme Moore a émis une deuxième lettre d’attentes, puisque la première n’avait pas été respectée. Le formulaire de RHT n’avait toujours pas été rempli, la fonctionnaire n’informait pas Mme Moore de ses arrivées et départs, et elle avait manqué deux réunions consécutives sur l’état des travaux, et ce, sans préavis ou excuses. Par conséquent, les conditions de la première lettre ont été maintenues.

98        Au cours des mois suivants, la fonctionnaire a informé Allison, l’adjointe de Mme Moore, de ses arrivées tardives ou de ses absences, ce qui n’était pas conforme à la lettre d’attentes. Au moins dix exemples de courriels ont été présentés à l’audience. La fonctionnaire a répliqué dans sa preuve qu’Allison avait envoyé à tout le personnel du bureau un courriel réitérant qu’elle était la personne qui devait recevoir ces avis. Mme Moore a déclaré qu’il avait été signifié clairement à la fonctionnaire que sa lettre d’attentes l’emportait sur cette directive. La fonctionnaire a dit qu’il s’agissait d’un exemple de discrimination.

99        Un échange de courriels donne un aperçu du travail de la fonctionnaire durant cette période (octobre 2013). L’échange débute par un courriel que celle-ci a envoyé à son équipe, composée de deux parajuristes et d’un assistant juridique, dans lequel elle assignait des tâches. La parajuriste principale lui a ainsi répondu :

[Traduction]

[…]

La liste de tâches dont vous faites mention ci-dessous me semble raisonnable, mais je souligne qu’il semble y avoir un volume de travail important qui est effectué par Allison, James et moi-même, et un très petit volume que vous effectuez vous-même. D’après ce que je comprends, James ne collaborera pas à ce projet, ce qui veut dire que les tâches devront être partagées entre nous trois. Cela étant, la répartition des tâches dont vous faites mention ci-dessous doit être ajustée.

Comme je comprends que ces tâches doivent être effectuées d’ici lafin du mois, par conséquent, je suggère que nous travaillions toutes les trois aux mises à jour, et non Allison seulement. Allison est chargée des mises à jour et peut les partager en trois. Allison, peux-tu commencer à nous renvoyer des mises à jour demain, afin que nous puissions nous y mettre?

[…]

100        La parajuriste principale suggérait ensuite d’autres répartitions de tâches et a conclu son courriel par le commentaire suivant : [traduction] « Compte tenu de ce qui précède, vous jugerez peut-être utile de suivre la formation sur Ringtail qu’offre le Centre de services juridiques (CSJ) et qui est adaptée expressément à notre base de données; cela vous aidera à imprimer des rapports, à entrer des données dans les champs, à effectuer des recherches et à établir des liens ».

101        Dans sa réponse, la fonctionnaire a réitéré le mode de répartition des tâches, en fonction duquel elle assignait les tâches et les autres les effectuaient. Elle a transmis une copie à Mme Moore, qui a envoyé le bref courriel suivant le lendemain : [traduction] « Blandie – il existe dans notre unité une culture axée sur la collaboration générale dans le but de respecter les délais, ce qui explique en grande partie notre réussite en tant qu’équipe. Par conséquent, je compte sur votre pleine collaboration à ce projet ».

102        La fonctionnaire a réagi en disant qu’elle était censée effectuer le travail lié à un poste classifié au niveau LA-2A, et non un travail de parajuriste. Elle a conclu son courriel par la phrase suivante : [traduction] « Je demande d’effectuer le travail d’une avocate sur cette question, comme en font état les courriels ci-dessous. Dans le cas contraire, je demande à être retirée de ce projet et de recevoir le travail substantiel d’une avocate occupant un poste classifié au niveau LA-2A ».

103        Quarante minutes plus tard, la fonctionnaire a écrit ce qui suit à Mme Moore :

[Traduction]

[…]

J’aiprévu une réunion à 10 h 15 afin de discuter de ce projet, et Tonia et Allison ne se sont pas présentées. Elles m’ont seulement avisée que vous m’aviez retirée de ce projet sans me donner de préavis – c’est inacceptable. Encore une fois, cela témoigne d’un énorme manque de respect envers moi en tant que professionnelle.

[…]

104        Mme Moore a répondu comme suit : [traduction] « Comme vous avez indiqué que vous souhaitiez être retirée du projet, je l’ai fait. Je suis désolée si le message ne vous a pas été communiqué en temps opportun; toutefois, j’ai été retenue par un appel pendant la plus grande partie de la matinée ».

105        Mme Moore a déclaré qu’en raison de la charge de travail considérable qui devait être effectuée dans son unité, les voies hiérarchiques étaient souvent floues. Elle a ajouté que bien qu’elle était gestionnaire et avocate générale, elle-même s’attelait souvent à la tâche afin de collaborer au traitement des documents.

106        En octobre 2013, la fonctionnaire a écrit à la directrice responsable de la résolution informelle de conflits à JUS, Mme Matteau, afin de se plaindre du harcèlement de Mme Moore. Le sous-procureur général adjoint (et gestionnaire de Mme Moore), Geoffrey Bickert, en a été informé.

107        M. Bickert a déclaré qu’il avait eu recours à un processus de résolution informelle de conflits avec la fonctionnaire, afin de déterminer comment l’aider. Elle avait demandé une mutation dans une autre unité de JUS. Avant d’y consentir, M. Bickert souhaitait mieux comprendre ses intérêts et ses difficultés, tant pour son bien que pour celui de la section où elle pouvait être mutée. M. Bickert savait que la fonctionnaire avait changé d’unité à deux reprises en deux ans et qu’elle avait déposé des plaintes de harcèlement contre ses deux superviseurs précédents. Il était aussi au courant des absences prolongées de la fonctionnaire. Il pensait qu’il y avait peut-être un problème plus sérieux et qu’un processus de résolution informelle de conflits offrirait un espoir de régler la situation. M. Bickert a rencontré la fonctionnaire à deux reprises, en compagnie d’un membre de l’équipe de résolution informelle de conflits. Cela n’a donné aucun résultat. Selon M. Bickert, la fonctionnaire n’a jamais exprimé clairement ce qu’elle voulait faire, ni où elle voulait aller à JUS. Elle était plutôt déterminée à dénoncer le harcèlement dont elle pensait faire l’objet.

108        En janvier 2014, la fonctionnaire a écrit à Mme Moore pour se plaindre de ses conditions de travail. Elle a affirmé qu’elle avait présenté une plainte formelle contre Mme Moore et que cette dernière exerçait des représailles contre elle en déménageant son bureau. En réalité, Mme Moore a déclaré qu’elle avait déménagé le bureau de la fonctionnaire afin de la surveiller plus étroitement, parce qu’elle ne signalait toujours pas ses arrivées et départs. La fonctionnaire a écrit à Mme Moore, avec copie conforme à Mme Matteau, et a affirmé ce qui suit : [traduction] « Vous avez maintenant admis que vous me surveillez constamment, cet aspect fait partie de ma plainte officielle de harcèlement qui a été présentée à Mme Sylvie Matteau le vendredi 11 octobre 2013 ».

109        Le même jour, Mme Matteau a écrit séparément à la fonctionnaire et à Mme Moore. Elle a écrit ce qui suit à la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

Vous m’avez mis en copie conforme dans un courriel adressé à votre gestionnaire aujourd’hui, qui apparaît ci-dessous. Afin de préciser l’état actuel de votre dossier à notre bureau, la présente vise à confirmer que votre plainte est toujours considérée comme étant informelle et qu’elle reste en suspens en attendant les résultats du processus de résolution dans lequel vous êtes engagée actuellement.

Je communiquerai avec vous dès que j’aurai été avisée de l’issue du processus informel. Il est à espérer que ce processus sera fructueux et qu’il vous procurera le genre de solution qui vous convient. Si votre plainte n’est pas réglée dans le cadre du processus informel, je vous prierais de fournir les renseignements requis pour déterminer les prochaines étapes. Je vous renvoie à mon courriel du 21 octobre 2013 :

« veuillez remplir le formulaire ci-joint afin de me donner des précisions sur vos plaintes (incidents, moment, documents, témoins – suivant le cas). Cela me permettra d’examiner votre plainte en profondeur, afin de déterminer si elle relève de la politique de prévention du harcèlement. »

[…]

110        Mme Matteau a écrit à Mme Moore afin de préciser que la plainte était toujours considérée comme étant informelle. La fonctionnaire n’a jamais fourni les renseignements demandés pour que la plainte passe à l’étape de l’examen.

111        Mme Moore a parlé d’une note de service rédigée par la fonctionnaire que Travis Henderson, qui a aussi témoigné à l’audience, avait portée à son attention. La note concernait les ordonnances de confidentialité qui avaient été rendues dans un recours collectif lié au cannabis médical, qui était en cours en Nouvelle-Écosse. M. Henderson a déclaré que la note de service aurait pu être utile, parce qu’il travaillait à une affaire similaire en Colombie-Britannique, dans laquelle une ordonnance de confidentialité avait également été demandée.

112        La note de service semblait être finale. Rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une ébauche. Les citations semblaient être complètes. La note comprenait des conclusions et aucune mention « Ébauche » en filigrane n’y apparaissait. Lorsqu’une note de service était encore inachevée ou provisoire, son auteur utilisait la mention « Ébauche » en filigrane ou indiquait au début que le document était encore inachevé.

113        M. Henderson espérait que la note de service l’aiderait, puisqu’il n’avait que trois jours pour répondre à la demande. Dans la note de service, il a trouvé une déclaration plutôt surprenante à l’appui de la demande, qui était apparemment extraite d’un jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La référence apparaissait dans une note de bas de page, mais lorsque M. Henderson a tenté de repérer l’affaire, elle était impossible à trouver. Lorsqu’il l’a recherchée dans Google, il a trouvé un autre document sur la confidentialité, auquel je donnerai le titre abrégé « Qui a gain de cause ».

114        M. Henderson pensait que cet article pourrait être utile pour retrouver l’affaire dans laquelle la déclaration avait été faite. Il a rapidement réalisé que de grandes parties de l’article avaient été utilisées textuellement, ou presque, dans la note de service de la fonctionnaire. M. Henderson a également constaté que la déclaration qui était à l’origine de ses recherches figurait aussi dans cet article. Il s’agissait d’une mésinterprétation de ce que le juge avait dit. Il semblait à M. Henderson que la fonctionnaire avait simplement adopté la conclusion et qu’elle n’avait pas lu l’affaire.

115        En dernier ressort, M. Henderson a décidé de ne pas utiliser la note de service de la fonctionnaire et a mené ses propres recherches. Il a porté la note de service à l’attention de Mme Moore lorsque celle-ci est revenue au bureau la semaine suivante. À la demande de Mme Moore, il a mis en évidence dans le document ce qu’il estimait avoir été copié. M. Henderson n’a eu aucune autre participation à l’enquête disciplinaire.

116        La note de service a été présentée le 2 décembre 2013. La fonctionnaire a été absente de la mi-janvier à la mi-juin 2014. Le 3 juillet 2014, Mme Moore lui a envoyé un courriel, afin de lui demander ses commentaires sur la similitude, en l’absence de mention des sources, entre la note de service et l’article intitulé « Qui a gain de cause ». La fonctionnaire a répondu que cette demande constituait du harcèlement et des représailles en réponse à son allégation de harcèlement contre Mme Moore. Elle a aussi repris son argument fondé sur Cojocaru selon lequel la copie ne constitue pas du plagiat en rédaction juridique.

117        La question a été soulevée auprès de M. Bickert. Il a écrit à la fonctionnaire afin d’organiser une réunion pour discuter de la question des représailles. La fonctionnaire a répondu en associant les questions de Mme Moore sur la note de service à l’allégation de harcèlement contre M. Fraser, puis en donnant des exemples de ce qu’elle estimait être des représailles de la part de M. Fraser, qui avait fourni une évaluation du rendement défavorable en 2013, pendant que l’enquête sur la plainte de harcèlement était en cours.

118        M. Bickert a en partie répondu ce qui suit :

[Traduction]

[]J’avoue que dans vos remarques ci-dessous, je ne relève aucune preuve me permettant d’établir un lien plausible entre l’examen de votre gestionnaire actuel au sujet d’un élément important d’un document de source inconnue apparaissant dans votre avis juridique, d’une part et, d’autre part, une plainte de harcèlement qui a été déposée il y a longtemps contre un gestionnaire différent, appartenant à un groupe différent et qui a été jugée sans fondement. J’interprèterai votre courriel comme un refus de ma proposition de vous rencontrer pour discuter de ces liens, en dehors de votre simple affirmation.

119        Mme Moore a analysé les deux documents et a conclu que la fonctionnaire avait plagié l’article intitulé « Qui a gain de cause » pour produire sa note de service sur les ordonnances de confidentialité. Elle était préoccupée non seulement par le plagiat, mais aussi par le fait que l’utilisation d’un document trouvé sur le Web et ne provenant pas d’une source faisant autorité (l’auteur du document n’était pas nommé) rendait la note de service inutile aux fins d’une procédure judiciaire.

120        Les deux documents ont été soigneusement comparés à l’audience, pendant le contre-interrogatoire de la fonctionnaire. Celle-ci a constamment nié avoir copié quoi que ce soit. Au contraire, elle a affirmé que les similitudes découlaient du fait que les conclusions juridiques avaient tendance  à être similaires dans une affaire donnée.

121        Je conclus sans hésitation que la fonctionnaire a effectivement copié des parties de l’article intitulé « Qui a gain de cause » pour produire sa propre note de service, sans mentionner ses sources. Certaines phrases sont pratiquement identiques. La fonctionnaire a souligné des modifications à la ponctuation ou aux choix de mots, mais cela ne suffisait pas pour démentir que, de toute évidence, elle avait copié le texte. Un exemple (sur un grand nombre) suffit pour illustrer ce point :

[Extrait de la note de service :]

[Traduction]

[…]

Depuis lors, les parties qui souhaitent introduire une procédure sous un pseudonyme ou en utilisant des initiales s’appuient sur Sierra Club. De même, les parties ayant déposé des déclarations sous serment des faits ont également cherché à préserver leur anonymat par crainte de réprobation publique oud’embarras […]

[…]Dans Adult Entertainment Association of Canada v. Ottawa (City), la Ville d’Ottawa a adopté un règlement interdisant les attouchements entre les danseuses et les clients. Quarante-cinq artistes pour adultes ont sollicité le dépôt de déclarations sou sermet des faits à l’appui de la contestation du règlement sous des pseudonymes. L’une des demanderesses s’est identifiée comme étant C.D., les autres par leur nom de scène (« Jasmine », « Roxy », etc.). Le contenu respectif des déclarations sous serment déposées était pratiquement identique, et C.D. était la seule demanderesse qui avait exprimé le besoin de protéger son identité, en faisant mention de la stigmatisation sociale et de la menace de préjudice […]

[…]

[Extrait de l’article intitulé « Qui a gain de cause » :]

[Traduction]

[…]

Dans plusieurs affaires des parties ont souhaité introduire une procédure sous un pseudonyme ou en utilisant des initiales. Des parties ayant déposé des déclarations sous serment ont également cherché à préserver leur anonymat par crainte de la réprobation publique ou en raison de la gêne.

Adult Entertainment Association of Canada v. Ottawa (City) a donné lieu à la contestation d’un règlement adopté par la Ville d’Ottawa afin de régir les spectacles pour adultes – plus particulièrement, à la contestation de l’interdiction des attouchements entre les danseuses et les clients, et de la disposition selon laquelle tous les spectacles devaient être offerts dans des lieux ouverts et désignés. Quarante-cinq artistes pour adultes ont sollicité le dépôt de déclarations sous serment à l’appui de la contestation du règlement sous des pseudonymes : la première  s’est identifiée comme étant C.D., les autres par leur nom de scène (« Jasmine », « Roxy », etc.). Les déclarations sous serment déposées étaient pratiquement identiques pour ce qui était du contenu et seul celui de C.D exprimait un besoin de protection, en faisant mention de la stigmatisation sociale et de la menace de préjudice.

 […]

122        L’autre indice de plagiat concerne le fait qu’à l’égard de cinq décisions commentées dans la note de service et dans l’article intitulé « Qui a gain de cause », le vocabulaire utilisé pour certains points est le même, mais diffère de celui que le juge a utilisé dans la décision pertinente. Cela se produit trop souvent pour être fortuit.

123        En septembre 2014, M. Bickert a rencontré la fonctionnaire, en compagnie d’une représentante de l’agent négociateur, d’une personne de soutien et d’un représentant de la section des relations de travail du défendeur. Ils se sont réunis pour discuter de la plainte de harcèlement de la fonctionnaire contre Mme Moore. Après la réunion, M. Bickert a écrit à Mme Matteau et a mentionné ce qui suit :

[Traduction]

J’ai rencontré Blandie Samson le 12 août, afin de faire le suivi de sa plainte de harcèlement. Une représentante de l’Association des juristes de justice (AJJ) nommée Antonia Aphantitis et une personne de soutien nommée Marie-Jude Étienne, une fonctionnaire qui a affirmé posséder une grande expérience de la résolution informelle de conflits en milieu de travail, accompagnaient Blandie. Un représentant des relations de travail du ministère de la Justice, Max Baier, était également présent. Blandie s’est dite déçue que vous ne soyez pas présente, mais semble ne vous avoir invitée qu’à la dernière minute. J’ai offert de reporter la réunion, afin de voir si vous y assisteriez ou pour permettre à Blandie de vous parler. Cette dernière a indiqué qu’elle souhaitait procéder. Elle avait apporté un dossier très volumineux, mais ne s’y est finalement pas référée. Après qu’elle a parlé longuement j’ai dit qu’elle semblait souhaiter revoir une longue liste de questions anciennes – y compris une plainte déposée il y a quelques années à l’égard d’un autre gestionnaire dans une autre unité (Duncan Fraser), qui avait été jugée comme étant non fondée. J’ai dit que l’objectif de cette rencontre était d’examiner une plainte en cours qui avait apparemment été déposée durant l’été, alors que sa gestionnaire poursuivait la gestion du rendement. Blandie a insisté sur le fait que toutes les affaires étaient reliées et qu’elles relevaient toutes d’une tendance constante. J’ai indiqué que je souhaitais vraiment qu’elle se sente respectée dans le milieu de travail, qu’elle ait un travail ayant un sens et qu’elle soit heureuse de venir au travail tous les jours. J’ai dit que je pouvais constater aisément qu’elle n’avait pas le sentiment qu’il en était ainsi, mais que je craignais que son approche ne contribue au problème. Par la suite, Blandie a continué à parler pendant un certain temps et sa personne de soutien l’a interrompue pour lui demander si elle m’écoutait attentivement, en disant que si c’était le cas, à son avis il y avait une ouverture permettant de régler les affaires et qu’elle devait me prendre au mot. Blandie n’a pas répondu directement à sa personne de soutien, mais à un moment donné, elle a semblé se plaindre que l’AJJ ne l’avait pas appuyée.

J’ai indiqué au cours de la discussion que je n’avais rien entendu de nouveau qui me donnait l’impression que je pourrais, ou que je devrais, donner suite en qualité de gestionnaire chargé de surveiller sa superviseure. En dernier lieu, j’ai dit que je serais toujours disposé à la rencontrer en compagnie de toute personne qu’elle jugerait bon d’emmener (représentant syndical, personne de soutien, vous, etc.)

[…]

124        Le 7 octobre 2014, Mme Moore a imposé à la fonctionnaire une suspension d’un jour pour plagiat, que la fonctionnaire devait purger le lendemain. La fonctionnaire n’a pas assisté à la réunion disciplinaire. Elle a répondu à l’invitation à la réunion par courriel, en affirmant que l’accusation de plagiat était [traduction] « […] la même accusation que celle faite par M. Duncan Fraser, qui a été soumise à une enquête dans le cadre de mon allégation de harcèlement […] ». La fonctionnaire a ajouté ce qui suit : [traduction] « Il semble y avoir un piège dans le cadre duquel une tâche m’a été assignée uniquement pour m’imposer des mesures disciplinaires ».

125        La fonctionnaire a répondu immédiatement au courriel de suspension de Mme Moore, comme suit :

[Traduction]

Catharine,

Comme je vous l’ai déjà mentionné, vos gestes constituent des représailles par suite de l’allégation de harcèlement faite contre vous qui n’a pas encore été tranchée […] À ce titre, je n’accepte pas votre suspension et je me présenterai au travail demain.

126        Mme Moore et la fonctionnaire ont toutes deux livré un témoignage sur les événements qui ont suivi cet échange. Selon Mme Moore, au moment où elle passait à côté du bureau de la fonctionnaire pour aller prendre un café, elle a clairement entendu celle-ci dire : [traduction] « salope ». Une vingtaine ou une trentaine de minutes plus tard, à son retour, elle a clairement entendu à nouveau le même commentaire. À l’audience, Mme Moore a déclaré qu’une fois aurait pu être compréhensible, mais que le dire deux fois équivalait à un comportement inacceptable.

127        Mme Moore s’est ensuite rendue à son bureau, a fermé la porte, puis a appelé la Sécurité afin de demander que la carte d’accès de la fonctionnaire soit suspendue le lendemain. Pendant qu’elle parlait au téléphone, la fonctionnaire a frappé très fort à sa porte, à tel point que la personne de la Sécurité qui écoutait au téléphone a demandé à Mme Moore si elle voulait qu’un commissionnaire se rende à l’étage. Mme Moore a accepté l’offre.

128        Dans son témoignage, la fonctionnaire a vigoureusement nié avoir dit [traduction] « salope » au passage de Mme Moore. Selon elle, agir ainsi aurait été contraire à ses valeurs et à son éducation. Elle a aussi nié avoir frappé à la porte du bureau de Mme Moore; au contraire, elle a renvoyé à un courriel dans lequel elle affirmait ne pas vouloir parler à Mme Moore. Cependant, ce courriel était en réponse à un courriel antérieur de Mme Moore qui indiquait ceci : [traduction]  « Compte tenu de votre attitude hostile, je ne suis pas disposée à vous rencontrer aujourd’hui ». La fonctionnaire a répondu comme suit : [traduction] « Je n’ai pas l’intention de vous rencontrer non plus […] ». Selon le témoignage de la fonctionnaire, le refus de se rencontrer découlait de sa propre initiative.

129        Le 15 octobre 2014, Mme Moore a imposé une suspension de deux jours, essentiellement parce que la fonctionnaire ne s’était pas conformée aux lettres d’attentes en date d’août et de septembre 2013. La fonctionnaire n’informait toujours pas Mme Moore de ses arrivées et départs, elle s’était absentée pendant 10 jours sans avoir demandé un congé ou présenté un certificat médical (les dates étaient énumérées), elle était arrivée en retard ou était partie tôt à 11 reprises (les dates étaient énumérées) et elle avait manqué des réunions sur l’état des travaux sans préavis ou explication.

130        Dans la lettre de suspension, Mme Moore a souligné que la fonctionnaire n’avait donné aucun préavis de ses absences et n’avait pas précisé ses dates de retour prévues ou s’il y avait un travail prioritaire en suspens. Mme Moore a réitéré les attentes, soit de l’aviser des absences imprévues avant le début de la journée de travail en précisant une date de retour prévue et tout travail prioritaire, de fournir des certificats médicaux pour les congés de maladie, de l’aviser de ses arrivées et départs quotidiens et d’assister à toutes les réunions prévues, à moins de présenter au préalable un motif acceptable pour ne pas y assister.

131        À un certain moment pendant son témoignage, Mme Moore a été questionnée au sujet des compétences professionnelles que la fonctionnaire apportait à sa section. Elle a répondu que la maîtrise du français de la fonctionnaire constituait un atout énorme, puisque les recours collectifs avaient débuté au Québec avant d’avoir cours dans les provinces assujetties à la common law. De plus, la fonctionnaire avait souvent une approche différente, qui offrait une perspective nouvelle; il est toujours utile d’avoir un point de vue différent.

132        Cependant, la relation a continué à se détériorer. À la suite de la suspension de deux jours, une suspension de cinq jours a été imposée à la fonctionnaire parce que celle-ci ne respectait pas les modalités très claires des lettres d’attentes, qui avaient été réitérées dans la lettre de suspension de deux jours, notamment d’informer directement Mme Moore de ses arrivées et départs. M. Bickert a signé la lettre de suspension de cinq jours. La lettre énonçait les motifs de suspension suivants :

  1. vous avez régulièrement et délibérément refusé de vous conformer aux attentes qui ont initialement été établies à votre égard il y a quinze mois et qui ont été confirmées périodiquement depuis;
  2. même lorsque confrontée à un courriel d’enquête, votre refus de collaborer persiste; à ce jour vous n’avez pas donné avis de  vos arrivées et vos départs;
  3. confrontée à vos actes, vous avez refusé d’assumer la responsabilité de votre comportement; vous avez plutôt accusé votre gestionnaire d’exercer des représailles contre vous et d’avoir d’autres motivations inappropriées;
  4. vous avez déjà fait l’objet de mesures disciplinaires les 7 et 15 octobre 2014.

133        M. Bickert a déclaré que, selon lui, la suspension de cinq jours était appropriée. Dans toutes les communications qu’il avait reçues de la fonctionnaire, tant par écrit que de vive voix, celle-ci ne s’était jamais excusée d’un écart de conduite de sa part, que ce soit à l’égard du plagiat ou des heures de travail manquées. Tout tournait autour de ses allégations de harcèlement et de représailles.

134        Le 28 janvier 2015, M. Bickert a imposé une suspension de 10 jours, principalement en raison du comportement agressif de la fonctionnaire le 7 octobre 2014, lorsqu’elle a refusé de purger la suspension d’un jour et ensuite supposément qualifié Mme Moore de salope. M. Bickert a évalué les deux versions des faits et a conclu qu’il penchait en faveur de celle de Mme Moore, notamment parce que la réaction agressive de la fonctionnaire à la suspension d’un jour avait été confirmée par le courriel qu’elle avait envoyé à Mme Moore.

135        À l’audience, lorsque M. Bickert a été interrogé à savoir comment il avait tranché entre les deux versions soit, essentiellement, une situation de type « elle a dit, elle a dit », il a répondu qu’il s’agissait d’une question de déterminer qui croire. Il était peu probable qu’une gestionnaire fasse une pareille allégation, compte tenu des problèmes que cela aurait occasionnés; l’employée avait toutes les raisons de nier. Le défaut de la fonctionnaire de respecter une suspension disciplinaire, le fardeau qui en a découlé pour JUS afin de s’assurer que des mesures de sécurité soient prises, ainsi que le fait que la fonctionnaire ne reconnaisse pas le caractère inapproprié de ses actes ont été considéré comme des facteurs aggravants.

136        L’assiduité problématique de la fonctionnaire s’est poursuivie en 2015. En mai 2015 (la lettre est sans date, mais la suspension devait être purgée à partir du 11 mai 2015), M. Bickert a imposé une suspension de 20 jours à la fonctionnaire. À partir de mars 2015, la fonctionnaire avait commencé à se conformer à l’exigence d’envoyer un courriel pour signaler son arrivée. Cependant, à diverses reprises, il a été constaté qu’elle arrivait à son bureau une dizaine de minutes après avoir envoyé le message indiquant qu’elle était arrivée. Dans un échange antérieur, alors que Mme Moore demandait à la fonctionnaire à quelle heure elle était arrivée, celle-ci avait répondu de façon itérative en donnant les heures prévues pour son arrivée, plutôt que son heure d’arrivée. De plus, les retards sont demeurés un problème, comme il est souligné à des dates précises.

137        La suspension de 20 jours était fondée sur les motifs énoncés ci-dessous; la lettre de suspension tenait compte de la justification de la fonctionnaire à l’égard de son comportement :

[Traduction]

[…]

A. Jusqu’au 10 mars 2015, vous avez continué à ne pas signaler votre arrivée et votre départ du bureau à votre gestionnaire, Mme Moore[…]

 […]

B. Après le 10 mars 2015, vous avez fourni des courriels indiquant à quel moment vous arriviez et quittiez le bureau; cependant, à plusieurs reprises on vous a vue arriver à votre bureau après l’heure indiquée dans lecourriel[…]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

138        La fonctionnaire envoyait un courriel dès qu’elle entrait dans l’immeuble, sans toutefois être à son poste de travail : [traduction] « C. Vos retards excessifs persistent[…] ».[Le passage en évidence l’est dans l’original]

139        Des dates précises ont été présentées, comme suit :

[Traduction]

[…]

D. Malgré les demandes précises de Mme Moore, vous ne lui avez pas envoyé de copie des courriels concernant votre assiduité durant son absence, du 19 décembre 2014 au 5 janvier 2015. De plus, vous n’avez pas signalé par courriel vos heures d’arrivée et de départ à M. Henderson, qui remplaçait Mme Moore en son absence, du 9 au 20 mars 2015 […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

140        La fonctionnaire n’a pas nié l’allégation. Elle n’a pas suivi les directives précises qu’elle avait reçues. En outre, elle s’est sentie insultée que M. Henderson la surveille puisqu’ils étaient classifiés au même niveau de classification dans leurs postes d’attache. La suite de la lettre de suspension était ainsi rédigée : [traduction] « E. Le 26 janvier 2015, vous avez fourni des renseignements confidentiels/privilégiés à l’AJJ. Lorsque Mme Moore a demandé que les renseignements soient supprimés par les destinataires, vous avez diffusé à nouveau les mêmes renseignements sensibles […] ».[Le passage en évidence l’est dans l’original].

141        La fonctionnaire a soulevé en défense que toute allégation de privilège avait été abolie, conformément à Lipson v. Cassels Brock & Blackwell LLP, 2014 ONSC 6106. Selon elle, elle devait montrer son travail à son agent négociateur afin de se protéger. M. Bickert a affirmé en réponse que l’affaire citée mettait en cause un client ayant renoncé au privilège au moment de présenter des allégations d’inconduite contre son avocat, dans la mesure où c’était nécessaire pour permettre à ce dernier d’assurer sa défense. M. Bickert a dit que cette affaire ne s’appliquait pas dans un cas où un gestionnaire soulève des préoccupations au sujet du travail.

142        La fonctionnaire s’est vu rappeler ses obligations en matière de confidentialité, ce qu’elle considérait comme un obstacle à sa défense. M. Bickert a écrit ce qui suit : [traduction] « F. Le 10 mars 2015, vous avez refusé d’effectuer une tâche assignée, plus particulièrement une demande de recherche concernant le litige Jones […] ».[Le passage en évidence l’est dans l’original] M. Bickert a déclaré qu’à ses yeux, le refus était injustifié et déraisonnable, étant donné que tout le travail aux dossiers du contentieux visait des renseignements de nature sensible qui, par conséquent, ne devaient pas être communiqués à l’extérieur de JUS.

143        La suite de la lettre de suspension était rédigée comme suit : [traduction] « G. Du 17 au 19 mars 2015, vous avez participé à un échange de courriels avec M. Henderson concernant une absence du bureau non autorisée empreint de sarcasme et d’accusations de discrimination ».[Le passage en évidence l’est dans l’original]

144        La fonctionnaire a répondu en présentant une allégation de discrimination fondée sur la situation familiale et a déclaré qu’elle n’utilisait pas un langage grossier. À l’audience, la déclaration suivante, que la fonctionnaire a communiquée à M. Henderson par courrier électronique, a fait l’objet d’une longue discussion : [traduction] « S’il vous plaît, Travis, il n’est pas nécessaire de me le dire, je sais, vous êtes profondément désolé de demander à la Rémunération de déduire trois heures de ma paye ». En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a demandé à M. Bickert d’expliquer pourquoi la déclaration était inappropriée ou sarcastique. Elle a maintenu que la déclaration était polie. Finalement, après avoir tenté d’expliquer pourquoi le ton était inapproprié, M. Bickert a simplement haussé les épaules.

145        M. Bickert a terminé la lettre en soulignant plusieurs facteurs aggravants, y compris ce qui suit : [traduction] « Vous n’assumez pas la responsabilité de vos actes et ne donnez aucune indication que vous êtes disposée à modifier votre comportement », et ce, malgré les diverses mesures disciplinaires qui lui avaient déjà été imposées en raison d’un comportement souvent similaire.

146        Mme Moore a donné des exemples du travail insatisfaisant de la fonctionnaire. Elle lui a demandé une mise à jour au sujet du recours collectif lié à la catastrophe ferroviaire survenue à Lac-Mégantic. La fonctionnaire lui a transmis le courriel qu’elle avait reçu en réponse à la demande de renseignements de l’avocat du gouvernement fédéral qui travaillait à ce dossier. Mme Moore a dit que c’était inacceptable, et qu’elle souhaitait obtenir une note de service adéquate. La fonctionnaire a résumé ses recherches dans une note de service et a ajouté des renseignements sur le règlement imminent. Elle a envoyé une copie de la note de service à son agent négociateur. Mme Moore a écrit à l’agent négociateur pour lui demander de supprimer la note de service étant donné qu’elle était confidentielle. Mme Moore a déclaré avoir reçu de l’agent négociateur la confirmation que la note avait été supprimée.

147        Dans un autre exemple, Mme Moore a laissé des directives afin qu’une note de service soit préparée pendant que M. Henderson la remplaçait à titre intérimaire. La fonctionnaire a simplement refusé d’y travailler, car elle croyait que cette note de service serait utilisée contre elle, comme ses notes de service antérieures l’avaient été.

148        En avril 2015, Mme Moore a chargé la fonctionnaire d’examiner des documents auxquels avait été attribué le code [traduction] « documents judiciaires », afin de déterminer lesquels étaient de véritables plaidoiries. Une connaissance du contentieux civil et des documents judiciaires du Québec était nécessaire pour effectuer cette tâche. La fonctionnaire a rechigné devant les directives, parce qu’elle estimait que le travail n’était pas à son niveau. À la suite de quelques échanges, Mme Moore a écrit à la fonctionnaire le courriel suivant :

[Traduction]

Je ne sais plus trop comment vous expliquer davantage la tâche qui vous a été assignée, et nous en sommes au point où je m’attendais que la tâche soit achevée.

Je vous demande expressément de me dire si vous refusez le travail. Si c’est le cas, je l’assignerai à quelqu’un d’autre.

[…]

149        Ultimement, la fonctionnaire n’a pas effectué le travail. À la question de savoir qui l’avait fait, Mme Moore a répondu qu’elle l’avait fait elle-même.

150        En octobre 2015, la structure hiérarchique de l’unité de recours collectifs a été modifiée. La fonctionnaire ne devait plus relever de Mme Moore mais d’une autre gestionnaire, Catherine Lawrence. Dans le cadre de la nouvelle structure, la fonctionnaire devait signaler ses heures d’arrivée et de départ à M. Henderson. Le 22 octobre 2015, elle a envoyé un courriel à M. Bickert afin de déclarer qu’elle ne se plierait pas à cette exigence.

151        M. Henderson est avocat principal à JUS depuis février 2018. Au cours des deux années précédentes, il occupait un poste de ce niveau mais à titre intérimaire. En 2013, il s’est joint à la direction de l’unité de recours collectifs en qualité d’avocat. Il connaissait la fonctionnaire à l’époque où elle travaillait à l’ULT, puisque l’unité de recours collectifs avait participé au litige lié au tabac.

152        En mars 2015, Mme Moore est partie en congé pour plusieurs semaines et M. Henderson l’a remplacée à titre intérimaire. En cette qualité, il a supervisé une équipe d’une douzaine de personnes composée d’avocats, de parajuristes et d’adjoints. La fonctionnaire faisait partie de cette équipe. Elle est revenue au travail à la suite d’un congé, et M. Henderson a été son superviseur pendant deux semaines.

153        La fonctionnaire a déclaré à l’audience qu’elle avait trouvé difficile d’être supervisée par M. Henderson, puisque leurs postes d’attache étaient les mêmes. Elle estimait injuste qu’on demande à M. Henderson d’agir à titre de superviseur par intérim alors qu’elle n’avait encore jamais eu cette possibilité.

154        À l’audience, M. Henderson s’est rappelé qu’il avait été extrêmement difficile de superviser la fonctionnaire au cours de ces deux semaines. Elle ne se présentait pas au travail à l’heure convenue, elle arrivait en retard et elle s’absentait souvent. Elle refusait d’effectuer les tâches que Mme Moore lui avait assignées. Elle a refusé de faire un travail, d’après un courriel qu’elle a envoyé à Mme Moore. Elle a réitéré le refus dans un courriel adressé à M. Henderson, qui était rédigé comme suit :

[Traduction]

[]

Après avoir examiné de plus près mes droits à titre dedemanderessedans une procédure de grief, je regrette de vous dire que je ne travaillerai pas au dossier traitant de l’envoi sur le cannabis médical, qui fait l’objet d’un prochain grief. Les instructions de Mme Moore interdisant de communiquer le produit de mon travail constituent une tentative de déni de mon droit à la communication intégrale afin de me défendre contre sesallégations […]

[…]

155        La fonctionnaire a poursuivi en invoquant laprocédure de grief qui était, dans ses mots, [traduction] « établie par le Parlement », le Code dedéontologie du Barreau du Haut-Canada et, encore une fois dans ses mots, [traduction] « la législation et la réglementation fédérale ». Elle a conclu son courriel comme suit : [traduction] « Vos menaces de mesures disciplinaires constituent des représailles pour avoir déposé le grief et je refuse de me laisser intimider ».

156        M. Henderson a expliqué que la tâche assignée en mars 2015 n’avait rien à voir avec le sujet de la note de service sur la confidentialité. Mme Moore avait rappelé à la fonctionnaire que le travail effectué pour JUS était confidentiel et qu’il ne devait pas être communiqué à l’extérieur de la section, ce que la fonctionnaire a interprété comme une violation de son droit de se défendre contre des accusations de travail insatisfaisant ou plagié.

157        M. Henderson a aussi été témoin du fait que la fonctionnaire avait envoyé un courriel indiquant qu’elle était arrivée alors que, en réalité, elle n’était pas encore dans son bureau.

158        M. Henderson et la fonctionnaire ont eu un différend au sujet du départ hâtif de celle-ci le 16 mars 2015, afin d’aller à un rendez-vous chez le médecin. La fonctionnaire a produit une note du médecin en date du 16 mars, qui indiquait seulement qu’elle avait été en congé de maladie le 9 mars 2015. M. Henderson a refusé de lui accorder trois heures de congé payé, malgré son argument selon lequel elle y avait droit. À cet égard, M. Henderson lui a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[]

Je suis désolé que vous ayez le sentiment que mes actes sont discriminatoires et visent à enfreindre vos droits à la protection des renseignements personnels. Je vous assureque je m’efforce seulement d’appliquer la directive, conformément aux normes en matière de relations de travail et de ressourceshumaines […]

Malheureusement, si vous omettez de soumettre une demande dans PeopleSoft et d’appliquer des crédits de congé de maladie, ou s’il ne vous reste plus de crédits de congé de maladie, je devrai communiquer avec la Rémunération afin de retirer trois heures sur votre paye.

[]

159        La fonctionnaire a répondu qu’elle jugeait cette position injuste, étant donné que [traduction] « [] les autres demandent simplement un rendez-vous chez le médecin de façon sporadique sans avoir à utiliser leurs congés de maladie. Je suis manifestement victime de discrimination et traitée différemment des autres ». Elle a ensuite ajouté le commentaire suivant, qui a déjà été débattu dans la présente décision : [traduction] « S’il vous plaît, Travis, il n’est pas nécessaire de me le dire, je sais, vous êtes profondément désolé de demander à la Rémunération de déduire trois heures de ma paye ».

160        M. Henderson a évoqué un incident lors duquel la fonctionnaire a consulté des collègues au sujet d’une tâche qui lui avait été confiée concernant un recours collectif lié à la divulgation des renseignements personnels de bénéficiaires de prêts étudiants. Certains employés de JUS étaient parties au recours et, par conséquent, des mesures avaient été prises afin qu’ils n’aient pas accès au dossier. Avant de travailler au dossier, les employés devaient vérifier qu’ils n’étaient pas parties au recours.

161        La fonctionnaire a été autorisée à travailler au dossier, car elle avait été soumise au processus de vérification. Dans le cadre de ses consultations avec ses collègues, elle a envoyé des renseignements confidentiels à une personne qui était partie au recours, ce qui a passablement contrarié M. Henderson. En dernier ressort, la divulgation a été maintenue. Le destinataire qui était partie au recours a supprimé les renseignements.

162        M. Henderson a été contrarié que la fonctionnaire n’ait pas semblé prendre le manquement au sérieux. Elle a prétendu qu’elle ignorait qui était partie ou non au recours, et a laissé entendre que l’équipe aurait dû être mieux renseignée.

163        À l’audience, M. Henderson a expliqué que maints rappels des questions de protection des renseignements personnels et de confidentialité liées à cette affaire avaient été envoyés. Comme la fonctionnaire avait été autorisée à travailler au dossier, elle aurait dû être au courant de sa nature délicate et aurait pu vérifier qui était également autorisé à recevoir des renseignements. Elle n’a pas pris cette mesure et une fois avisée, plutôt que de reconnaître son erreur, elle a blâmé le système de ne pas l’avoir renseignée.

164        M. Henderson a évoqué un autre conflit d’ordre professionnel avec la fonctionnaire, alors qu’à nouveau, il jouait un rôle de supervision à titre intérimaire. Mme Moore avait assigné des recherches à la fonctionnaire au sujet du nouveau Consumer Rights Act 2015 adopté au Royaume-Uni. La fonctionnaire et M. Henderson ne s’entendaient pas sur la portée et le contenu des recherches. Comme ce dernier l’a dit à l’audience : [traduction] « Mes tentatives de fournir une orientation ont été accueillies avec une certaine hostilité ». Il se serait attendu à ce qu’une personne à qui il donnait des directives dise : [traduction] « merci, je vais me rediriger », au lieu de présenter la réponse de la fonctionnaire, qui revenait essentiellement à dire : [traduction] « je ne suis pas d’accord avec votre position ».

165        À l’audience, M. Bickert a expliqué les circonstances qui ont conduit à l’envoi de la lettre de licenciement. D’après lui, il était impossible de garder la fonctionnaire dans le milieu de travail. Compte tenu des difficultés éprouvées avec trois gestionnaires distincts, et étant donné qu’elle n’avait jamais exprimé le moindre intérêt pour tout domaine de JUS sauf pour quitter l’unité à laquelle elle appartenait, il avait le sentiment qu’en toute conscience, il ne pouvait la recommander à un autre gestionnaire. Il y avait trop d’obstacles au maintien de son emploi à JUS.

166        En 2015, M. Bickert était au courant des notes du médecin en date des 10 juin et 23 octobre 2013, qui indiquaient qu’un changement de milieu de travail était recommandé pour la fonctionnaire. À l’époque, il n’avait pas été informé des notes, mais l’insatisfaction manifeste de la fonctionnaire était l’un des motifs pour lesquels il l’avait initialement rencontré, et ce, afin de déterminer comment rendre son travail plus satisfaisant. Cependant, la fonctionnaire n’a jamais exprimé un intérêt pour un autre domaine de JUS. Elle disait seulement qu’elle voulait quitter son présent milieu de travail.

167        M. Bickert était également au courant d’une note du médecin en date du 8 octobre 2015, dans laquelle le médecin de la fonctionnaire réitérait, dans les termes qui suivent, sa recommandation selon laquelle celle-ci devait changer de milieu de travail : [traduction] « La présente note confirmera que j’estime encore que Mme Blandie Samson doit être sortie de son milieu de travail hostile et toxique. Pour se rétablir, elle doit être mutée dans une autre unité ».

168        Le médecin de famille de la fonctionnaire, le Dr Patrice Barnabé, a témoigné à l’audience. Ses notes de médecin pour la période de 2012 à 2015 ont été soumises comme éléments de preuve. Il a été ordonné qu’elles soient scellées afin de protéger les renseignements personnels de la fonctionnaire.

169        Le Dr Barnabé a mentionné que la fonctionnaire lui avait dit que son milieu de travail était toxique et que la direction l’avait harcelée. Il a relevé chez elle de nombreux symptômes qui confirmaient qu’elle subissait du stress. Pour ce motif, il a rédigé les notes dans lesquelles il recommandait qu’elle soit mutée à un autre milieu de travail.

170        Le Dr Barnabé a reconnu en contre-interrogatoire qu’il ne savait rien du milieu de travail de la fonctionnaire, hormis ce qu’elle lui avait signalé. Il a aussi reconnu que les attentes de la direction en matière d’assiduité et de productivité n’étaient pas nécessairement déraisonnables ni propices à la toxicité du milieu de travail. Je retiens de son témoignage que la fonctionnaire subissait un stress, qui se manifestait par des symptômes physiques. L’un de ces symptômes entraînait le besoin de prendre des pauses-toilettes plus fréquentes, ce qui, selon la fonctionnaire, expliquait pourquoi elle devait s’absenter de son poste de travail.

171        Malgré la recommandation selon laquelle la fonctionnaire devait être mutée, M. Bickert se sentait incapable de la recommander à une autre unité. Elle avait déposé des plaintes de harcèlement contre ses trois gestionnaires antérieurs. Elle refusait de se conformer aux directives, et toute critique était accueillie par un déluge d’attaques.

172        L’incident culminant est survenu avec l’envoi de deux courriels, les 16 avril et 22 octobre 2015, dans lesquels la fonctionnaire a explicitement refusé de signaler ses heures d’arrivée et de départ. Selon elle, il s’agissait d’une mesure humiliante et dégradante qui lui avait été imposée en guise de représailles pour ses plaintes contre ses gestionnaires.

173        Dans le courriel du 16 avril, la fonctionnaire a contesté, en fait et en droit, la confirmation de M. Bickert concernant le plagiat relativement à la note de service sur la confidentialité. Elle a fait valoir l’équité procédurale (le tableau comparant sa note de service au [traduction] « document sans date et sans auteur », dans ses mots, avait été élaboré trois mois après la formulation de l’allégation). De plus, la fonctionnaire a déclaré que, selon elle, Cojocaru [traduction] « confirme l’idée selon laquelle le plagiat n’existe pas en rédaction juridique ».

174        Dans le courriel du 22 octobre, la fonctionnaire a soutenu que toutes les mesures prises contre elle étaient des représailles. Elle a mentionné un autre employé mis en cause dans une affaire de harcèlement, qui avait été muté dans une autre section, et s’interrogeait à savoir pourquoi elle ne pouvait pas être traitée de la même façon.

175        Le 26 octobre 2015, avant son licenciement, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Bickert, affirmant que les mesures disciplinaires à son égard étaient en fait des représailles pour ses allégations de harcèlement. Elle a affirmé que Mme Moore l’avait effectivement confirmé, comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Mme Moore a souligné ce qui suit dans un courriel expédié le 24 avril 2015, à 17 h 38 : « Mes tentatives de gérer votre rendement et votre attitude ont été accueillies avec beaucoup d’hostilité, des allégations de partialité, des refus d’effectuer les tâches, des allégations de représailles parce que vous aviez déposé des plaintes de harcèlement contre moi ou Duncan Fraser et des allégations de discrimination fondée sur votre race et votre situation familiale. Par conséquent, il a été nécessaire de recourir au processus disciplinaire ». Mme Moore a en outre souligné dans le RREE 2014-2015 que mon attitude envers la direction est irrespectueuse, comme en attestent les allégations de harcèlement, de représailles et de discrimination que j’ai faites. Pourquoi avoir en place une politique en matière de harcèlement si c’est pour exercer des représailles lorsqu’une employée l’utilise? […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

176        La lettre de licenciement indique que le refus de se conformer aux lettres d’attentes exigeant le signalement des heures d’arrivée et de départ constituait un acte d’insubordination, qui a donné lieu à l’incident culminant. Les motifs de licenciement sont rédigés comme suit :

[Traduction]

Pour en arriver à ma décision concernant la mesure disciplinaire appropriée, j’ai tenu compte des facteurs aggravants, ci-dessous :

  1. vos antécédents disciplinaires qui comprennent ce qui suit :
    • le 30 janvier 2013 – une réprimande écrite;
    • le 7 octobre 2014 – une suspension d’un (1) jour;
    • le 15 octobre 2014 – une suspension de deux (2) jours;
    • le 28 novembre 2014 – une suspension de cinq (5) jours;
    • le 28 janvier 2015 – une suspension de dix (10) jours;
    • le 7 mai 2015 – une suspension de vingt (20) jours;
  2. la majorité des mesures disciplinaires qui vous ont été imposées sont des conséquences de votre insubordination; vous avez fait l’objet de mesures disciplinaires dans le passé pour avoir omis de vous conformer aux exigences en matière de rapport;
  3. vous avez expressément refusé de vous conformer aux lettres d’attente à deux reprises, le 16 avril 2015 et le 22 octobre 2015;
  4. vous n’avez exprimé aucun remords ni reconnu la responsabilité de votre comportement. Au contraire, vous insistez que ces allégations découlent des représailles pour avoir déposé des plaintes de harcèlement contre Duncan Fraser et Catherine Moore.

Je ne connais aucun facteur atténuant dans la présente affaire.

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je considère le présent cas d’insubordination comme étant l’incident culminant dans un long historique de comportement  non professionnel et insubordonné. Par conséquent, je suis forcé de conclure que la mesure disciplinaire appropriée dans la présente affaire est votre licenciement.

[…]

177        La lettre est datée du 17 novembre 2015. Le même jour, la fonctionnaire a été convoquée à une réunion, mais elle ne s’est pas présentée au travail. Elle a reçu la lettre par courrier électronique, mais n’a pas ouvert la pièce jointe immédiatement. Le lendemain, M. Bickert a envoyé un bref courriel à la section de la fonctionnaire, mentionnant que celle-ci avait quitté JUS et qu’il lui souhaitait bonne chance.

178        À l’audience, tant lors de son contre-interrogatoire de M. Bickert que dans son propre témoignage, la fonctionnaire a exprimé combien le courriel annonçant son départ l’avait atterrée. Elle a affirmé qu’il s’agissait d’un mensonge, puisqu’elle n’avait pas quitté JUS mais qu’elle avait été licenciée. Selon elle, il aurait été préférable de ne rien dire. Elle a insisté sur le fait qu’il était très irrespectueux de dire qu’elle était partie alors que, en réalité, elle avait été licenciée.

179        La fonctionnaire a aussi fait valoir qu’au moment d’apprendre son licenciement, elle a envoyé un courriel très poli et respectueux à M. Bickert, qui se concluait de la manière suivante :

[Traduction]

[]

En terminant, ce n’est certainement pas de cette façon que j’imaginais la fin de mon séjour au ministère de la Justice. Depuis que je travaille, d’abord comme stagiaire, puis comme avocate à partir de 2007, j’ai eu le plaisir de collaborer avec des personnes vraiment exceptionnelles. Je reste éternellement reconnaissante pour votre générosité sur le plan professionnel et votre bienveillance. Je vous dis salut, et non au revoir!

180        Selon la fonctionnaire, ce courriel montrait qu’elle était effectivement respectueuse, contrairement au portrait que le défendeur avait brossé d’elle.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

181        La fonctionnaire a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur sa race, son origine ethnique, son genre et sa situation familiale. Cependant, elle n’a produit aucun élément de preuve établissant que ces motifs étaient des facteurs ayant contribué aux mesures que les gestionnaires ont prises pour gérer ses problèmes d’assiduité et de rendement.

182        La fonctionnaire a eu le sentiment d’être traitée différemment des autres, et ses gestionnaires ont déclaré que c’était sans aucun doute le cas, mais que ce traitement différentiel découlait de sa faible assiduité et de son refus de suivre les directives. La fonctionnaire a affirmé que le refus de la muter à un autre milieu de travail avait aussi constitué du harcèlement. Cependant, elle a aussi affirmé catégoriquement qu’aucune incapacité n’était en cause. Il n’est pas question d’accommodement, puisqu’aucune allégation n’a été formulée selon laquelle la fonctionnaire ne pouvait pas effectuer le travail pour des raisons médicales.

183        Le défendeur a reçu les notes du médecin recommandant un changement de milieu de travail. M. Bickert a déclaré qu’il était disposé à aider la fonctionnaire, et ce, dès l’automne 2013. Cependant, malgré tous ses efforts, celle-ci n’a formulé aucun commentaire à savoir où elle souhaitait aller ni ce qu’elle voulait faire. Ses propos étaient entièrement axés sur le harcèlement, la discrimination et les représailles.

184        En 2015, l’unité de travail de la fonctionnaire a été réorganisée. Par conséquent, elle a cessé de relever de Mme Moore, ce qui répondait à sa demande de longue date. Ce n’était apparemment pas suffisant.

185        Tous les gestionnaires qui ont témoigné devant la Commission ont évoqué la difficulté à gérer la fonctionnaire. Lorsqu’un gestionnaire soulevait la question de son assiduité, de son faible niveau de productivité ou de la qualité insuffisante de son travail, sa réaction était invariablement d’affirmer qu’elle était harcelée et victime de discrimination. Contrairement à ses allégations, les gestionnaires n’ont pas comploté contre elle. Il ressort clairement de leurs témoignages que chacun a conclu, de façon indépendante, que le travail de la fonctionnaire était insatisfaisant, que son attitude laissait beaucoup à désirer, et que son assiduité posait constamment un problème.

186        M. Bickert a entamé la relation avec les meilleures intentions. Il comprenait que la fonctionnaire pourrait souhaiter un nouveau défi ou avoir la possibilité de travailler dans une autre section. Pourtant, aucune proposition n’a été faite, et la fonctionnaire faisait valoir avec insistance qu’elle faisait l’objet de harcèlement, de discrimination et de représailles. Devant des preuves concrètes d’inconduite, il était difficile pour M. Bickert de conclure que les mesures disciplinaires avaient été fondées sur le harcèlement ou la discrimination.

187        Des exigences raisonnables ont été présentées à la fonctionnaire, par exemple remplir le formulaire de RHT pour confirmer l’arrangement flexible. Elle a catégoriquement refusé de le faire, pour des motifs incompréhensibles. La politique prévoit clairement que les deux parties doivent signer l’entente. La fonctionnaire a maintenu que la lettre de Mme Lunn suffisait. Elle ne pouvait tout simplement pas accepter que conformément à la politique qu’elle invoquait, ce n’était pas suffisant.

188        Toutes les mesures disciplinaires qui ont conduit au licenciement étaient justifiées.

189        La preuve présentée à l’audience a établi que la fonctionnaire avait effectivement copié un document provenant du Web pour produire une note de service, sans mentionner la source. Cette question soulève deux problèmes; d’une part, parce que le plagiat constitue un manquement à l’intégrité, d’autre part, parce que la fonctionnaire a présenté des renseignements ne faisant pas autorité comme étant les siens, ce qui voulait dire que les recherches destinées à être utilisées devant le tribunal n’avaient aucune garantie de qualité. La fonctionnaire n’a jamais reconnu son comportement et a plutôt fait valoir une défense fondée sur une fausse interprétation des décisions de la Cour suprême du Canada.

190        La suspension de deux jours a été imposée parce que la fonctionnaire ne s’est pas conformée aux lettres d’attentes en date des 1er août et 20 septembre 2013. Elle n’a pas avisé Mme Moore de ses arrivées et départs, n’a pas fourni de certificats médicaux pour justifier les congés de maladie, s’est absentée du bureau pendant 10 jours sans présenter une demande de congé et est arrivée tard ou a quitté le bureau tôt à l’occasion de 11 jours. Elle n’a pas non plus fourni de préavis pour ses absences, ses dates de retour prévues ou ses travaux prioritaires en suspens.

191        D’autres mesures disciplinaires ont été imposées parce que la fonctionnaire a continué de ne pas se conformer aux lettres d’attentes. Les suspensions se sont allongées à mesure qu’elle a continué à ne pas respecter les directives, à arriver en retard au travail et à ne pas signaler ses absences. En outre, elle a refusé d’effectuer un travail sous prétexte qu’il serait utilisé contre elle.

192        L’incident culminant est survenu lorsque la fonctionnaire a explicitement déclaré qu’elle ne se conformerait pas à une directive claire qui lui avait été donnée. Selon M. Bickert, à aucun moment elle n’a reconnu qu’elle devait modifier son comportement ou ne s’est efforcée, à tout le moins, de comprendre  les préoccupations de l’employeur. Par conséquent, la relation n’était plus viable.

193        Dans l’argumentation du défendeur, diverses décisions faisant autorité ont été commentées. Je reviendrai sur celles que j’ai jugées utiles dans mon analyse.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

194        La fonctionnaire a présenté son interprétation des faits. Elle a aussi demandé que l’argumentation qu’elle a envoyée à la Commission au moment du renvoi de son grief à l’arbitrage fasse partie de son argumentation finale. Le défendeur ne s’y est pas opposé, sous réserve des conclusions de fait de l’audience. J’ai tenu compte de cette argumentation, avec cette restriction.

195        La fonctionnaire a soutenu qu’aucun motif ne justifiait son licenciement. Le défendeur lui a imposé une mesure disciplinaire excessive qui n’était fondée ni en fait ni en droit.

196        Selon la fonctionnaire, elle a fait l’objet de mesures disciplinaires parce qu’elle a déposé deux plaintes de harcèlement. Le défendeur a établi qu’il ignorait comment gérer ces plaintes. Selon la Cour suprême du Canada dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, l’employeur est responsable des actes de ses employés et doit prendre des mesures efficaces pour protéger les victimes de harcèlement.

197        La fonctionnaire a connu des débuts prometteurs à la fonction publique, comme en atteste son RREE favorable en 2007. Mme Lunn a mentionné des choses positives telles que la promotion de la fonctionnaire d’un poste classifié LA-1 à un poste classifié LA-2 dans le RREE 2009-2010, mais les choses avaient déjà commencé à se gâter, puisque Mme Moore avait souligné à Mme Lunn qu’il manquait des heures dans Ringtail.

198        La fonctionnaire a contesté l’observation voulant qu’elle ait qualifié Mme Moore de salope, car ce type de comportement ne correspond pas à sa personnalité.

199        La fonctionnaire a mentionné que ses certificats médicaux avaient été contestés jusqu’à ce qu’on informe Mme Lunn qu’elle devait laisser tomber au motif qu’il pourrait y avoir apparence de harcèlement.

200        Dans sa preuve, la fonctionnaire a présenté les difficultés qu’elle avait eues avec le système Ringtail, ce qui n’a pas été pris en compte dans son RREE. Elle a présenté des exemples de courriels dans lesquels elle avisait les gens qu’elle serait en retard; elle a produit d’autres courriels démontrant qu’elle rattrapait le temps perdu, puisqu’ils avaient été envoyés après ses heures de départ prévues.

201        Les gestionnaires utilisaient les RREE pour se venger d’elle. À titre d’exemple, M. Talbot avait présenté la possibilité de travailler avec M. Fraser comme une opportunité. En réalité, il a écrit dans le RREE de 2011-2012 que des [traduction] « problèmes » avec la fonctionnaire avaient été résolus en la mutant à une autre section. M. Bickert considérait les RREE défavorables comme un obstacle à une mutation. Par conséquent, les RREE ont été utilisés pour la punir.

202        Le défendeur était au courant de la recommandation du médecin voulant que la fonctionnaire soit mutée au motif que le milieu de travail était toxique. Pourtant, le défendeur n’a pas donné suite à cette recommandation, contrairement à ce qui est précisé dans Robichaud, à savoir qu’au vu de conditions de travail déplorables, l’employeur a l’obligation de séparer les parties dans une situation de harcèlement. Au lieu d’agir, le défendeur a imposé des mesures disciplinaires.

203        La fonctionnaire a affirmé avoir fait l’objet de mesures disciplinaires injustes en raison de ce que le défendeur a qualifié de plagiat. En réalité, punir un employé pour plagiat est problématique pour diverses raisons.

204        Tout d’abord, il n’existe aucune règle claire à JUS. Le défendeur ne peut pas appliquer de mesures disciplinaires s’il n’existe aucune règle claire. Deuxièmement, dans le premier cas de plagiat, soit la note de service que la fonctionnaire a rédigée pour M. Fraser, celui-ci avait fourni un document qui devait être utilisé. Il n’y avait ni titre ni auteur à citer. Troisièmement, la Cour suprême du Canada a affirmé clairement dans Cojocaru que le plagiat n’existe pas en rédaction juridique et qu’il est tout à fait acceptable de copier. En outre, la fonctionnaire a fait l’objet d’un traitement déloyal. Au lieu de se voir offrir la possibilité de corriger une ébauche, elle a immédiatement été accusée d’une infraction.

205        La direction n’a jamais écouté la fonctionnaire, comme en attestent les réactions de M. Bickert à la suite des allégations de harcèlement et de représailles. Les arguments de la fonctionnaire n’ont jamais été pris en considération.

206        Le milieu de travail était harcelant et contrôlant, les mesures disciplinaires étaient excessives et personne ne se souciait des progrès de la fonctionnaire. Il ne s’agissait pas de fournir de la rétroaction mais de la punir. Même Mme Matteau, qui avait pour mandat était d’aider les personnes exposées au harcèlement et à la discrimination, faisait des menaces de mesures disciplinaires si une plainte de harcèlement faisait l’objet d’une discussion avec qui que ce soit à l’extérieur de son bureau.

207        La fonctionnaire avait le sentiment d’être traitée différemment, d’être forcée de rendre compte de tous ses déplacements; elle avait l’impression d’être une citoyenne de deuxième ordre. Peu importe les efforts consacrés, ils n’étaient jamais suffisants. On lui a demandé de signaler son arrivée au travail, mais le travail était une cible mouvante. Elle devait être à l’intérieur de son bureau au moment de signaler son arrivée, mais si elle se blessait dans un ascenseur, cet événement aurait était considéré comme un accident au « travail ».

208        La fonctionnaire a déjà eu à travailler le samedi, mais n’a jamais réclamé des heures supplémentaires. Dans le cas de la note de service sur la confidentialité, le délai était si court qu’elle a dû travailler un samedi.

209        L’argumentation de la fonctionnaire s’est poursuivie sur les thèmes de l’injustice et du harcèlement. Elle a souligné que la relation d’emploi ne se caractérise plus par le paradigme [traduction] « maître-serviteur »; au contraire, il doit s’agir d’une relation caractérisée par le respect et l’écoute mutuelle. La fonctionnaire a présenté diverses affaires à l’appui de son argumentation. J’examinerai les affaires pertinentes dans mes motifs.

IV. Analyse

210        D’emblée, je dois exprimer de sérieuses réserves quant à la crédibilité de la fonctionnaire. Dans les cas où sa version diffère de celle des témoins du défendeur, je crois ces derniers. Le témoignage de la fonctionnaire visait entièrement à démontrer qu’elle avait été victime de harcèlement et de représailles. À aucun moment elle n’a admis que son assiduité ou son attitude pouvaient avoir été problématiques. Elle a nié avoir copié l’article « Qui a gain de cause », malgré la preuve accablante du contraire. Elle a organisé les faits de façon à prouver ses prétentions, mais a parfois omis des faits connexes importants. Par exemple, elle a estimé que M. Fraser l’avait harcelée lorsqu’il a enregistré le congé lié à son absence prolongée. Elle a omis de mentionner que M. Fraser l’avait d’abord priée de le faire pendant plus de trois mois, et que la préoccupation de celui-ci concernait le trop-perçu qu’elle devait à l’employeur.

211        Il ne fait aucun doute que la fonctionnaire est qualifiée et apte. Cependant, son comportement constitue une entrave, tout comme ses réactions à la critique, qui consistent invariablement à ne pas écouter et à répondre automatiquement qu’elle est victime de harcèlement et de discrimination.

212        Je dois révéler qu’à un moment donné, pendant l’audience, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait une crainte raisonnable de partialité à mon égard. Selon elle, je ne la traitais pas de la même façon que l’avocate du défendeur. La fonctionnaire n’a pas présenté de requête de récusation et cette question n’a pas été soulevée de nouveau.

213        Pour le dossier, j’affirme que je n’ai effectivement pas traité la fonctionnaire de la même façon que l’avocate du défendeur. Je me suis montrée très indulgente envers la fonctionnaire, tant à l’égard de la présentation de sa preuve que de son argumentation, parce que je reconnais qu’il est très difficile de se représenter soi-même à une audience et de jouer les trois rôles, celui de fonctionnaire s’estimant lésée, celui de témoin et celui d’avocate.

214        J’ai dû intervenir ou réagir aux objections à diverses reprises, afin de rappeler à la fonctionnaire qu’en qualité d’avocate, par exemple pendant le contre-interrogatoire, elle ne pouvait pas agir comme témoin ou comme partie, ni argumenter avec un témoin pour tenter de le convaincre de son point de vue. L’avocate du défendeur n’avait pas à surmonter l’obstacle que constituait le triple rôle, et il n’a pas été nécessaire de lui rappeler les règles de la preuve. Je n’ai pas été particulièrement indulgente à son égard.

215        Pendant une longue période, le défendeur s’est efforcé de gérer la fonctionnaire, parce qu’en tant qu’employée, elle est douée et a beaucoup à offrir. Cependant, en dernier ressort, son comportement et son attitude ont causé sa perte. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un employeur maintienne en poste une employée qui n’écoute tout simplement pas, ou qui n’effectue pas le travail qu’elle doit faire.

A. Allégations de discrimination et de représailles

216        La fonctionnaire soutient que toutes les mesures disciplinaires imposées constituaient de la discrimination ou du harcèlement, au motif qu’elle fait partie d’une minorité visible et qu’elle est mère seule, ou qu’il s’agissait de représailles au motif qu’elle a exercé son droit de déposer une plainte de harcèlement. Elle a soulevé un point important lorsqu’elle a fait valoir que Mme Moore semblait avoir imposé des mesures disciplinaires par suite des plaintes de harcèlement, en faisant référence au courriel cité plus haut dans la preuve, où Mme Moore a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Mes tentatives de gérer votre rendement et votre attitude ont été accueillies avec beaucoup d’hostilité, des allégations de partialité, des refus d’effectuer les tâches, des allégations de représailles parce que vous aviez déposé des plaintes de harcèlement contre moi ou Duncan Fraser et des allégations de discrimination fondée sur votre race et votre situation familiale. Par conséquent, il a été nécessaire de recourir au processus disciplinaire. 

217        Cependant, l’allégation relative aux représailles ne résiste pas à un examen approfondi. Selon mon interprétation de l’argument de Mme Moore, la fonctionnaire semblait incapable d’assumer la moindre responsabilité d’une inconduite et elle se protégeait au moyen d’accusations de harcèlement. Ses plaintes de harcèlement ont été traitées comme suit : dans le cadre d’une enquête officielle dans le cas de M. Duncan, dans le cadre d’un processus informel dans le cas de M. Talbot, et au moyen d’une tentative, de la part de M. Bickert, de régler le conflit avec Mme Moore dans le cadre de discussions.

218        Du début à la fin, la fonctionnaire a refusé de faire sa part, notamment de reconnaître que le [traduction] « milieu de travail toxique », selon sa description répétée, lui était en partie imputable. Elle était souvent en retard; elle avisait souvent le défendeur de ses absences sans fournir de justification ou les dates de retour prévues, et elle ne mentionnait pas les travaux en cours. Elle refusait de suivre les directives. Elle a plagié et, lorsque ses gestionnaires l’ont soulevé, elle a allégué qu’une conclusion de plagiat relativement à son travail constituait du harcèlement ou des représailles. En dernier lieu, elle a refusé d’effectuer une tâche au motif que celle-ci pourrait être utilisée pour l’accuser davantage. La solution consistant à arriver à l’heure, à travailler toutes ses heures et à faire son travail de manière appropriée a semblé lui échapper. Par conséquent, d’après la preuve dont je suis saisie, il m’est impossible de conclure que la fonctionnaire a été victime de représailles. Elle a simplement cessé d’être une employée apte à l’emploi.

219        En guise de solution en ce qui concerne ses conflits avec ses gestionnaires, la fonctionnaire a proposé que le défendeur la mute à un autre poste. La réticence de M. Bickert à muter la fonctionnaire était fondée sur une évaluation objective de la situation. Lorsqu’une plainte de harcèlement est déposée, les deux parties concernées doivent être séparées. C’est ce qui s’est passé dans le cas de M. Fraser, car une plainte officielle avait été déposée.

220        Il n’y a jamais eu de plainte officielle contre Mme Moore. La fonctionnaire s’est plainte. Cependant, lorsqu’elle a été priée de fournir les précisions nécessaires, elle n’y a pas donné suite. À l’audience, elle a affirmé que la plainte avait été convertie en plainte informelle et ensuite en plainte pour représailles, que M. Bickert avait rejetée.

221        La plainte n’a pas été convertie en plainte informelle; elle a toujours été informelle. M. Bickert a rencontré la fonctionnaire afin de l’évaluer et la fonctionnaire a alors fait valoir que tous les gestes de sa gestionnaire constituaient en réalité des représailles. M. Bickert a étudié la situation avec soin et a conclu qu’il n’y avait pas eu de représailles. En réalité, les mesures disciplinaires prises par Mme Moore étaient fondées sur l’inconduite de la fonctionnaire, ce qui était une intervention de gestion appropriée.

222        La fonctionnaire a cherché à appuyer l’allégation de harcèlement par les propos d’autres personnes. Lorsque Mme Lunn a écrit à son supérieur, M. Vickery, pour dire qu’elle avait été avisée de ne pas contester un certificat médical afin d’éviter le risque d’être accusée de harcèlement, la fonctionnaire a conclu qu’il s’agissait d’une confirmation qu’elle faisait réellement l’objet de harcèlement. Il semble qu’il ne lui soit jamais venu à l’esprit que ce conseil avait pour but d’éviter à Mme Lunn d’être accusée de harcèlement, une accusation que la fonctionnaire ne tardait pas à lancer chaque fois  qu’il était conclu que son comportement laissait à désirer.

223        La fonctionnaire a maintes fois insisté qu’elle devait être sortie de son milieu de travail toxique. Cependant, elle n’a offert aucune suggestion de l’endroit où elle devait aller. M. Bickert a déclaré qu’il avait essayé d’examiner des possibilités avec elle, mais qu’elle se contentait de faire valoir ses allégations de harcèlement et de représailles. Selon M. Bickert, il aurait été difficile de la recommander à un autre gestionnaire. En réalité, chaque fois que la fonctionnaire recevait une évaluation défavorable, elle affirmait qu’elle était victime de harcèlement. Selon la fonctionnaire, à la suite du dépôt de la plainte officielle contre M. Duncan, toute autre mesure disciplinaire est devenue une mesure de représailles pour avoir déposé cette plainte. À aucun moment elle n’a reconnu que le RREE pouvait être partiellement véridique. La toxicité lui était imputable.

224        Au cours de son argumentation, la fonctionnaire a soutenu qu’elle avait fait l’objet d’un traitement injuste parce que le défendeur n’avait pas reconnu les efforts qu’elle avait fournis pour respecter les obligations prévues dans la notification. Elle a cité en exemple un échange de courriels, que je reproduirai ici par ordre chronologique. Encore une fois, j’ai de sérieuses réserves quant à la crédibilité de la fonctionnaire.

225        Le 6 août 2014, à 10 h 30, Jeff Anderson, qui remplaçait Mme Moore à titre intérimaire pendant cette semaine, a envoyé le courriel suivant à la fonctionnaire :

[Traduction]

Bonjour Blandie,

D’après ce que m’a dit Allison, vous n’êtes pas arrivée au travail aujourd’hui et vous avez dû vous absenter hier en raison d’une urgence familiale; j’espère que tout va bien.

Comme vous le savez, je remplace Catharine à titre intérimaire cette semaine; pouvez-vous, s’il vous plaît, m’envoyer et [sic] expédier un courriel ou m’appeler pour m’informer, à l’avance si possible, si vous n’êtes pas en mesure de venir au travail durant vos heures habituelles, ainsi que le motif de cette absence. De plus, veuillez faire parvenir toute demande de congé à mon attention cette semaine.

[…]

226        À 10 h 42, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à l’adjointe administrative :

[Traduction]

Bonjour Allison,

Veuillez noter que j’arriverai en retard ce matin parce que j’ai un rendez-vous en matinée.

[…]

227        À 10 h 55, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à M. Anderson :

[Traduction]

Merci de votre message, Jeff, et de m’informer que vous remplacez Catharine à titre intérimaire cette semaine. Comme toujours, avant de commencer à travailler, j’ai envoyé un courriel à Allison afin de l’aviser que j’arriverai en retard ce matin, en précisant les motifs de mon absence. Par suite de problèmes éprouvés avec le Blackberry, le message n’a été envoyé qu’à 10 h 42. Habituellement, le courriel serait adressé à Catharine avec c.c. à Allison. J’enverrai toute future notification à votre intention avec c.c. à Allison.

[…]

228        Je souligne que le courriel de 10 h 42 n’a pas été adressé à Mme Moore, seulement à « Allison ». Le courriel n’indiquait pas à quelle heure la fonctionnaire s’attendait à être au travail.

229        J’estime que les allégations de représailles ou de harcèlement ne sont pas fondées. En ce qui a trait à la discrimination, la fonctionnaire a invoqué la race et la situation familiale comme motifs illicites de discrimination.

230        Pour établir qu’il y a eu discrimination, le plaignant doit tout d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. Le défendeur doit ensuite y répondre et démontrer pourquoi il y a des motifs de conclure que, en réalité, il n’y a pas eu discrimination. Le critère applicable à la discrimination primafacie est bien connu : il prévoit l’appartenance à un groupe caractérisé par l’un des motifs interdits de discrimination, un effet préjudiciable subi par un membre d’un tel groupe, ainsi qu’un lien entre l’appartenance au groupe et l’effet préjudiciable. Il n’est pas nécessaire d’établir le lien de causalité, il faut plutôt démontrer que l’appartenance à un groupe protégé est un facteur ayant contribué à l’effet préjudiciable (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536).

231         J’estime que la fonctionnaire n’a pas présenté une preuve primafacie de discrimination, puisque je ne vois aucun lien entre sa race, son ethnicité ou sa situation familiale et les mesures disciplinaires.

232        Je n’ai été saisie d’aucune preuve que la race ou l’ethnicité ont joué un rôle dans le traitement dont la fonctionnaire a fait l’objet. Elle a été embauchée par JUS dans un poste classifié LA-1 en 2007, puis a obtenu une promotion au niveau LA-2 en 2009. Ses gestionnaires l’ont encouragée, ont reconnu son talent, ont cherché à la mobiliser. Des obstacles ont fait surface, non parce que des stéréotypes ont été imposés à la situation, mais parce que la fonctionnaire ne s’est pas conformée aux règles. La Commission doit examiner attentivement de pareilles allégations car la discrimination explicite est rare. Cependant, comme l’a déclaré le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP), « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ». (Voir Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, au paragraphe 41; demande de contrôle judiciaire rejetée : 2006 CF 785)

233        En outre, j’estime que la situation familiale de la fonctionnaire n’est pas un facteur ayant contribué au traitement dont elle a fait l’objet de la part du défendeur. Ses obligations familiales ont été prises en compte et elle a obtenu l’arrangement de travail flexible demandé. Les arrivées tardives et les départs hâtifs sont demeurés inexpliqués et aucune affirmation n’a été présentée à l’audience selon laquelle ils étaient liés à des obligations familiales particulières. Il était légitime pour Mme Moore de demander une explication au sujet d’un départ hâtif un vendredi. Il ne s’agissait pas de discrimination fondée sur la situation familiale, puisque personne, y compris la fonctionnaire, ne l’avait informée d’un changement d’horaire les vendredis.

234        Toutes les mesures prises par le défendeur visaient à tenter de gérer la fonctionnaire, en conséquence de son inconduite et de son faible rendement. La fonctionnaire n’a pas démontré que sa race, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, ou encore sa situation familiale, ont été des facteurs ayant contribué au traitement dont elle a fait l’objet. Elle n’a pas établi non plus que les mesures disciplinaires, y compris le licenciement, étaient des représailles pour avoir soulevé des allégations de harcèlement contre ses gestionnaires.

B. Mesures disciplinaires

235        La lettre de licenciement énumère les mesures disciplinaires progressives justifiant la mesure disciplinaire finale, soit le licenciement. Le rôle d’un arbitre de grief consiste à déterminer s’il y a eu inconduite et si les mesures disciplinaires étaient justifiées et proportionnelles. Dans le cas contraire, l’arbitre de grief doit déterminer quelles seraient les mesures appropriées. Comme toutes les mesures disciplinaires constituent des étapes menant au licenciement, j’ai examiné chacune d’elles en tenant compte de ces questions.

1. La réprimande écrite

236        La première mesure disciplinaire a été la réprimande écrite pour plagiat. La fonctionnaire a soutenu que cette mesure était injuste parce qu’elle n’avait été avisée d’aucune règle interdisant le plagiat. En outre, la note de service qu’elle avait remise à M. Fraser était une première ébauche, qu’elle s’attendait à modifier après la révision de M. Fraser. Ce dernier a d’ailleurs demandé à la fonctionnaire d’y travailler encore, même après lui avoir adressé une lettre indiquant que la note de service donnerait lieu à une enquête.

237        La position de la fonctionnaire à l’égard du plagiat constitue un élément important de son comportement, même si cette inconduite n’a donné lieu qu’à une mesure disciplinaire mineure, soit la réprimande écrite, et, plus tard, à la suspension d’un jour. Selon la défense présentée par la fonctionnaire, le plagiat n’existe pas dans le monde juridique. Plusieurs arguments ont été invoqués à l’appui de cette affirmation, qui est principalement étayée par deux décisions de la Cour suprême du Canada, Cojocaru et CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 (« CCH »).

238        Dans Cojocaru, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait annulé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique au motif que les motifs du juge reproduisaient en bonne partie la plaidoirie écrite des demandeurs, sans le reconnaître.

239        La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel, en indiquant que l’économie judiciaire justifiait un pareil raccourci. La question à trancher dans Cojocaru ne concernait pas le plagiat, mais plutôt si le juge s’était penché sur le problème en litige. En endossant la position des demandeurs, la Cour suprême du Canada a affirmé que oui, et qu’il n’était pas incorrect pour le juge d’avoir extrait ses motifs directement de l’argumentation, s’il souscrivait au raisonnement.

240        Lorsque la fonctionnaire a argumenté avec Mme Moore au sujet du plagiat, elle a invoqué un extrait d’un article du University of Toronto Law Journal cité dans Cojocaru, dont il a déjà été question dans la présente décision. L’extrait souligne que le travail juridique ne se caractérise pas par l’originalité, mais plutôt par la tendance des auteurs juridiques à reprendre mutuellement leurs propos. Dans ce même article, l’auteur aborde également des affaires dans lesquelles un juge copie des extraits d’une autre décision, sans citer ses sources. L’auteur formule le commentaire suivant (à la page 413) :

[Traduction]

En donnant la fausse impression qu’elle a étudié les précédents avec soin, l’auteure ressemble moins au juge qui copie des extraits des plaidoiries qu’au plagiaire qui cherche à s’approprier le mérite lié au travail d’une autre personne. Même si elle ne recherche pas des éloges à titre d’innovatrice ou de penseuse créative, ce genre de copieur judiciaire veut, à tout le moins, s’attribuer le mérite d’avoir fait preuve de diligence, en fonction du travail d’autrui. L’analyse juridique peut être incontestable, mais en la faisant passer pour sienne au lieu de l’imputer, l’auteure laisse croire qu’elle a pris le temps et consacré les efforts nécessaires pour examiner le document elle-même. La stratégie est familière aux chercheurs universitaires, qui copient les notes de bas de page des autres sans consulter réellement les sources qu’ils étayent. Alors que la juge qui reproduit les plaidoiries sans  le mentionner ne peut pas espérer cacher aux parties le fait d’avoir copié, celui qui copie la décision d’un autre espère vraisemblablement faire précisément cela. Par conséquent, cette forme de copiage – à tout le moins dans les limites de l’analyse juridique – ne soulève guère de préoccupations au sujet du caractère suffisant ou de l’équité, même si elle soulève des questions d’ordre éthique quant à l’intégrité personnelle du juge qui peuvent justifier la censure.

[Je souligne]

241        La question de l’intégrité est en jeu dans la présente affaire.

242        Dans CCH, des éditeurs de rapports ou d’autres textes juridiques ont invoqué la violation du droit d’auteur contre le Barreau du Haut-Canada, pour avoir autorisé que leurs documents soient photocopiés sans payer de redevances de droits d’auteur. La question concernait l’application de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur, (L.R.C. 1985, ch. C-42), qui définit le « droit d’auteur » comme suit, au paragraphe 3(1) :

3 (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

243        L’article 27 définit ainsi la « violation du droit d’auteur » :

27 (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

244        L’article 29, qui prévoit l’exception d’utilisation équitable à la violation, est ainsi libellé : « 29 L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur ».

245        L’affaire traitait de la question de savoir s’il fallait payer des redevances de droits d’auteur pour effectuer des photocopies. La Cour suprême a tranché qu’en autant que les documents étaient utilisés à des fins de recherche ou d’étude, aucune redevance n’était due aux éditeurs.

246        Sur ce fondement, la fonctionnaire a en quelque sorte extrapolé que la Cour suprême du Canada autorisait la copie dans le contexte de la prestation de conseils. Elle ne semblait pas comprendre que la photocopie n’a rien à voir avec la présentation d’une note de service pour laquelle l’employeur paie une employée afin qu’elle effectue une analyse juridique.

247        La fonctionnaire a soutenu devant moi que tous les décideurs relevant du défendeur avaient largement ignoré ses arguments concernant le plagiat, à savoir, M. Fothergill (qui a imposé la réprimande écrite), Mme Moore (qui a imposé la suspension d’un jour), M. Bickert (qui a imposé d’autres suspensions et le licenciement) et Johanne Bernard, la sous-ministre adjointe et dirigeante principale des finances (qui a rédigé les réponses de tous les griefs au dernier palier).

248        Au contraire, j’estime que ces décideurs ont réellement tenu compte des arguments de la fonctionnaire, mais qu’ils ont conclu que ces arguments n’étaient pas fondés en droit. J’en conviens.

249        La question à examiner  en ce qui concerne le plagiat ne vise pas l’acte de copier en soi. La question à examiner concerne l’appropriation par une personne d’un travail qu’elle n’a pas effectué. La fonctionnaire ne semble pas comprendre qu’il est important qu’un avocat donne son propre avis, après avoir mené ses propres recherches, et qu’il indique clairement qu’il n’est pas l’auteur des idées empruntées à une autre personne.

250        La fonctionnaire a fait valoir qu’il n’existe aucune règle interdisant le plagiat, où que ce soit. Elle ne semblait pas être d’avis que l’intégrité, l’une des valeurs promues par le Code de valeurs et d’éthique de JUS, suppose l’honnêteté dans son propre travail. Elle a plutôt soutenu vigoureusement que, selon le Code de discipline du Conseil du Trésor, les règles doivent être claires et exposées en détail; dans le cas contraire, les employés ne peuvent pas savoir qu’ils les enfreignent.

251        La fonctionnaire a soutenu que la position du défendeur concernant l’attribution et les références adéquates était incohérente, et que, par conséquent, ce dernier ne pouvait pas imposer des mesures disciplinaires. Elle a illustré l’incohérence comme suit. Dans la réprimande écrite, M. Fothergill a affirmé que la deuxième note de service, qui portait la mention « Ébauche » et qui indiquait que certaines parties étaient empruntées à des collègues et qu’elles devaient être citées de manière appropriée avant la version finale, ne justifiait pas une réprimande. Dans la décision finale concernant le grief porté contre la suspension d’un jour imposée pour avoir plagié l’article « Qui a gain de cause », Mme Bernard a précisé que toutes les références devaient être incluses, même si le document se trouvait à l’état d’ébauche.

252        Cette lecture partielle de la décision de Mme Bernard est la source de la confusion, et non la position du défendeur. Mme Bernard a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Lorsqu’un document est achevé et qu’il est présenté à la direction pour examen (même s’il se trouve à l’état d’ébauche), toutes les références doivent être incluses à ce moment-là, car les sources utilisées doivent aussi être soumises à un examen et évaluées, afin de déterminer la validité des conclusions juridiques.

Je souscris à la conclusion de la direction selon laquelle vous n’aviez pas l’intention d’ajouter d’autres références au document.

 […]

253        À n’en pas douter, rien dans la note de service sur la confidentialité ne ressemblait à  l’avis de non-responsabilité soigné qui est présenté dans la deuxième note de service, que M. Fothergill a examinée. Ce dernier a écrit ce qui suit dans la lettre de réprimande :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne [la deuxième note de service], je souligne que le document portait la mention « ÉBAUCHE » et comprenait l’avis de non-responsabilité suivant : « Veuillez noter que certaines de mes conclusions sont extraites de notes de service rédigées par des collègues du ministère de la Justice qui ont fourni des avis juridiques sur ce même sujet. Leurs noms seront mentionnés à la fin du document (qui est encore une ébauche; j’ajouterai des références le cas échéant) ». Bien que j’aie des réserves à l’égard de la manière dont vous avez préparé ce document, je ne suis pas convaincu qu’il mérite une conclusion d’inconduite.

[…]

254        Je ne vois aucune incohérence dans la position du défendeur condamnant le plagiat.

255        Je trouve curieux qu’en contre-interrogatoire, la fonctionnaire ait nié vigoureusement avoir copié l’article « Qui a gain de cause » aux fins de sa note de service sur la confidentialité. Après tout, selon l’essentiel des arguments qu’elle a présentés au défendeur, à la Commission au moyen des observations présentées dans son grief et, à nouveau, dans sa plaidoirie, le plagiat n’existe plus, et tant la Cour suprême du Canada que la Loisurledroitd’auteur l’autorisent, tel qu’il a déjà été expliqué.

256        Comme le défendeur l’a déclaré par l’intermédiaire des gestionnaires de la fonctionnaire, le plagiat existe et il s’agit d’une transgression. Le vol est une transgression. L’appropriation du travail d’une autre personne sans l’attribuer comme il convient est une transgression. Présenter une analyse juridique comme étant la sienne alors qu’elle a été copiée à partir d’une source anonyme (et non vérifiée) est une transgression. La fonctionnaire, qui est diplômée en droit et qui a achevé six années d’études universitaires, devrait le savoir.

257        La réprimande écrite était justifiée afin de sanctionner l’inconduite.

2. La suspension d’un jour

258        La suspension d’un jour imposée par Mme Moore en raison du deuxième incident de plagiat a été accueillie avec beaucoup de colère par la fonctionnaire. Je ne vois pas comment elle pourrait soutenir à ce stade qu’il n’existait aucune règle interdisant le plagiat. Tant la réprimande écrite de M. Fothergill que les lettres d’attentes de Mme Moore fournissaient des directives claires. Apparemment, la fonctionnaire n’a reconnu aucune inconduite de sa part. À l’audience, elle a nié avoir copié le travail d’autrui. Elle a invoqué Cojocaru et CCH auprès de Mme Moore. Devant moi, elle a fait valoir avec insistance que l’enquête et la sanction de Mme Moore constituaient des exemples flagrants de harcèlement et de représailles découlant du processus de plainte contre Mme Moore et de la présentation d’une plainte officielle contre M. Fraser.

259        Après un premier avertissement, la tenue d’une enquête et l’imposition d’une mesure disciplinaire relativement à du plagiat ne constituent pas du harcèlement, il s’agit d’un volet de la gestion. La fonctionnaire avait reçu un avertissement formel selon lequel il fallait mentionner la source de tous les renseignements copiés. L’imposition d’une mesure disciplinaire à l’égard du plagiat de la deuxième note de service ne constituait pas des représailles mais une mesure disciplinaire à l’égard d’un comportement clairement identifié comme étant inacceptable.

260        L’un des arguments de la fonctionnaire à l’égard du caractère injuste de la suspension concernait le délai entre la date à laquelle elle a soumis la note de service (le 2 décembre 2013) et celle de la mesure disciplinaire (le 7 octobre 2014). Dans ses observations, elle a omis de mentionner qu’elle était en congé du 14 janvier au 16 juin 2014. Au début de juillet 2014, Mme Moore l’a d’abord avisée que la note de service semblait comporter des lacunes. La fonctionnaire a refusé de collaborer à l’enquête. Elle a aussi refusé de se présenter à la réunion disciplinaire, à laquelle elle avait été invitée à assister en compagnie d’un représentant de son choix.

261        J’estime que la suspension d’un jour était justifiée. J’ai tiré une conclusion factuelle selon laquelle il y a eu inconduite; comme il s’agissait d’un deuxième incident, une suspension d’un jour était raisonnable.

3. La suspension de deux jours

262        La suspension de deux jours a été imposée à la fonctionnaire pour non-respect des lettres d’attentes. Dans la lettre de suspension, Mme Moore énumère les attentes qui n’ont pas été satisfaites : s’être absentée sans avoir présenté une demande de congé ou un certificat médical, des arrivées tardives, et ne pas avoir fourni un préavis approprié quant à ses absences ni indiqué les dates ou les heures de retour prévues.

263        La fonctionnaire a donné des exemples de ses avis, mais ils n’ont servi qu’à confirmer la position du défendeur. Souvent, lorsque la fonctionnaire signalait ses absences, elle ne le faisait que quelques minutes avant l’heure du début de son travail. Elle n’a présenté aucune preuve contredisant les diverses dates énumérées par le défendeur où elle se serait absentée. Elle a principalement répondu que la surveillance constituait du harcèlement.

264        J’estime que le défendeur avait des motifs d’imposer une mesure disciplinaire pour tenter de sensibiliser la fonctionnaire au caractère sérieux des lettres d’attentes. J’estime que la suspension de deux jours était raisonnable.

4. La suspension de cinq jours

265        M. Bickert a imposé la suspension de cinq jours parce que, malgré la suspension antérieure, la fonctionnaire ne se conformait toujours pas aux lettres d’attentes et ne signalait toujours pas ses arrivées et départs à Mme Moore. M. Bickert a souligné que la fonctionnaire refusait systématiquement d’assumer la responsabilité de ses actes, accusant plutôt sa gestionnaire de harcèlement et de représailles.

266        La fonctionnaire a de nouveau répondu que les attentes constituaient du harcèlement continu.

267        Il semble qu’à ce moment-là, le défendeur ait tenté de faire comprendre à la fonctionnaire qu’elle devait modifier son comportement, sans succès. Pour tenter de signifier la désapprobation de la direction, la mesure disciplinaire était justifiée. Compte tenu de la persistance du comportement problématique, la suspension de cinq jours n’était pas excessive.

5. La suspension de 10 jours

268        M. Bickert a imposé cette sanction après avoir évalué le comportement de la fonctionnaire au moment où elle a été informée de sa suspension d’un jour pour plagiat en octobre 2014. Il y avait deux éléments remarquables : l’allégation selon laquelle la fonctionnaire avait qualifié Mme Moore de salope, et le fait que la fonctionnaire avait envoyé un courriel indiquant qu’elle n’avait pas l’intention de se soumettre à la suspension d’un jour.

269        Selon la prépondérance des probabilités, M. Bickert a conclu que la version de Mme Moore, soit d’avoir entendu la fonctionnaire dire [traduction] « salope » à deux reprises lorsqu’elle est passée à côté de son bureau, était plus crédible que le déni de la fonctionnaire. Le refus de purger la suspension était indéniable, puisque la fonctionnaire l’a signifié par courriel à Mme Moore, et ce, deux minutes après avoir reçu l’avis de suspension.

270        Je souscris à l’évaluation de la situation de M. Bickert, pour les motifs énoncés ci-dessous.

271        Il était tout à fait inacceptable de la part de la fonctionnaire de refuser la suspension. Il ne lui incombait pas de décider de purger la suspension ou non; il s’agissait d’un ordre direct, et ne pas y obéir constituait de l’insubordination. La fonctionnaire aurait certainement pu contester la suspension au moyen d’un grief, puis le renvoyer à un décideur impartial. Elle ne pouvait pas décider par elle-même que la suspension était injuste et qu’elle ne la purgerait pas. À aucun moment la fonctionnaire n’a admis qu’elle avait eu tort d’envoyer ce courriel. Au contraire, elle a blâmé Mme Moore d’avoir appelé les services de sécurité afin de veiller à ce qu’elle n’ait pas accès au bureau le lendemain.

272        Cette attitude insubordonnée déteint sur mon appréciation de la question de savoir si la fonctionnaire a effectivement dit [traduction] « salope » à deux reprises au passage de Mme Moore. À l’audience, elle a totalement nié l’avoir dit. Mme Moore a maintenu qu’elle l’avait entendu. La réaction de la fonctionnaire a été de dire qu’il n’y avait pas de témoin. Il s’agissait d’un élément de preuve juste, mais qui n’est toutefois pas pertinent pour décider ce qui s’est réellement produit. Je n’ai aucune raison de douter de la crédibilité de Mme Moore et de nombreuses raisons de douter de celle de la fonctionnaire. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les deux gestes irrespectueux sont survenus. Compte tenu de la profonde insubordination derrière le refus d’accepter une sanction imposée par son employeur, plutôt que de contester la mesure disciplinaire au moyen d’un grief, et du manque de respect flagrant découlant des insultes à l’endroit de Mme Moore, j’estime que la suspension de 10 jours était justifiée.

6. La suspension de 20 jours

273        À ce moment-là, il est compréhensible que la fonctionnaire se soit sentie victime. Selon ses mots, rien ne satisfaisait le défendeur; elle ne pouvait rien faire de bon et la direction semblait décidée à mettre fin à son emploi.

274        La perception est compréhensible; cependant, l’explication du comportement du défendeur n’est pas le harcèlement fondé sur un ou plusieurs motifs de distinction ou sur des représailles découlant des plaintes de harcèlement. Au contraire, le défendeur devenait de plus en plus frustré à cause d’une employée qui n’acceptait pas qu’on lui dise quoi faire, comme en ont attesté de nombreux exemples présentés en preuve.

275        La lettre comprenait plusieurs dates d’arrivées tardives, que la fonctionnaire n’a pas niées expressément. Elle signalait son arrivée avant d’être à l’intérieur de son bureau. Selon les affirmations de la fonctionnaire, son arrivée au travail correspondait au moment où elle entrait dans l’immeuble.

276        Lorsque M. Henderson a remplacé Mme Moore à titre intérimaire, la fonctionnaire a refusé de signaler ses arrivées et départs, ce qu’elle n’a pas nié. Elle s’est sentie insultée d’être surveillée par M. Henderson, puisqu’ils étaient au même niveau de classification dans leurs postes d’attache. La suspension s’appliquait aussi au ton irrespectueux que la fonctionnaire avait employé avec M. Henderson. À l’audience, elle a maintenu que son ton n’avait pas été irrespectueux.

277        À mon avis, l’élément le plus important se rapporte au refus de travailler de la fonctionnaire. Des tâches lui ont été assignées et elle a tout simplement refusé de les effectuer. À l’époque, puis à l’audience, elle s’est défendue en disant que les tâches auraient pu être utilisées contre elle. À d’autres moments, elle a refusé d’effectuer des tâches qu’elle estimait être au-dessous de ses qualifications. Mme Moore lui avait dit que son travail était confidentiel et qu’il ne devait pas être communiqué à l’extérieur du bureau. Au dire de la fonctionnaire, cela l’empêchait d’informer son agent négociateur du harcèlement qu’elle subissait.

278        L’argumentation présentée par la fonctionnaire pour défendre son droit de ne pas travailler est insoutenable. Il est compréhensible que le travail au sein de JUS soit confidentiel et ne doive pas être communiqué, sauf si la direction l’autorise. Une crainte de faire l’objet d’évaluations déloyales aurait certainement pu être communiquée à son agent négociateur, puis faire l’objet de discussions lors d’une réunion tripartite. Il n’était pas nécessaire de communiquer des renseignements confidentiels à l’agent négociateur pour protéger ses droits.

279        Le refus d’effectuer une tâche était incompréhensible étant donné que la fonctionnaire s’est souvent plainte de ne pas avoir suffisamment de travail. Le fait de refuser d’accomplir une tâche qui fait partie du travail de l’unité et qui est attendue des membres de l’équipe constitue aussi manifestement de l’insubordination.

280        Le défendeur a cité diverses décisions à l’appui de son exercice de mesures disciplinaires (Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35; Bétournay c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 128; Charinos c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 74). Je souscris au raisonnement dans ces décisions. Les faits en l’espèce équivalent à de l’insubordination, à un manque de respect et à un manque de volonté de modifier un comportement problématique.

281        La fonctionnaire n’a pas respecté ses obligations liées aux heures de travail, n’a pas satisfait aux attentes exprimées, a refusé de travailler et a été irrespectueuse. Le défendeur a continué d’imposer des mesures disciplinaires progressives afin de signaler à quel point la situation était grave. À aucun moment la fonctionnaire n’a dit qu’elle comprenait les préoccupations du défendeur, tant pendant la durée de son emploi qu’à l’audience.

282        La fonctionnaire a soutenu que la relation d’emploi de type maître-serviteur n’est plus d’actualité. La relation employeur-employé est beaucoup plus égalitaire, selon elle, et doit se caractériser par le respect mutuel.

283        Dans une certaine mesure, j’en conviens. Je conviens aussi que la micro-gestion de l’assiduité de la fonctionnaire de la part du défendeur, surtout en 2015, a dû être plutôt déplaisante. Cela dit, la fonctionnaire a été l’artisane de son propre malheur. Elle a créé le problème d’assiduité que le défendeur a tenté de résoudre. Elle a refusé des ordres directs, sans motif valable.

284        La fonctionnaire a refusé d’exécuter des tâches sous prétexte qu’elles pourraient être utilisées contre elle, ce qui aurait été le cas si elle s’était de nouveau adonnée au plagiat. La solution était simple : éviter le plagiat, ce qui ne semble pas avoir traversé l’esprit de la fonctionnaire.

285        Comment une relation d’emploi peut-elle se maintenir si une employée refuse de suivre les directives? Je considère la suspension de 20 jours comme un dernier avertissement. Le défendeur cherchait encore à faire valoir l’importance de se conformer aux attentes et a été forcé de recourir à des mesures disciplinaires progressives. Étant donné qu’il était difficile d’obtenir de la fonctionnaire qu’elle rende compte de ses heures et de ses absences, étant donné son refus d’exécuter des tâches qui lui étaient assignées, et étant donné l’importance des mesures disciplinaires déjà imposées et qui n’ont pas permis de modifier son comportement, j’estime que la suspension était raisonnable.

7. Le licenciement

286        J’en arrive à la lettre de licenciement, qui découle de ce que le défendeur estime être l’incident culminant, soit le refus de la fonctionnaire de se conformer aux directives énoncées dans les lettres d’attentes. Ce refus a été communiqué au défendeur à deux reprises, par voie de courriels en date des 16 avril et 22 octobre 2015.

287        La lettre indique ce qui suit : [traduction] « Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je considère le présent cas d’insubordination comme étant l’incident culminant dans un long historique de comportement  non professionnel et insubordonné ». Il est conclu que le licenciement est une mesure disciplinaire appropriée.

288        L’« insubordination » est clairement définie dans Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 7; l’arbitre de grief y a écrit ce qui suit au paragraphe 238 :

[238] Une constatation d’insubordination exige la preuve de quatre éléments : qu’une directive ait été donnée par l’employeur; que cette directive ait été communiquée clairement à l’employé; que la personne ayant donné la directive ait l’autorité requise pour le faire; que le fonctionnaire ne se soit pas conformé au moins unefois […]

289        Toutes ces conditions sont réunies en l’espèce. Les lettres d’attentes énonçaient clairement ce qui était attendu de la fonctionnaire. En sa qualité de gestionnaire directe, Mme Moore était habilitée à imposer ces attentes. Il a été démontré que la fonctionnaire ne s’est pas conformée à l’exigence d’informer Mme Moore de ses arrivées et départs, et qu’elle a refusé de le faire dans deux courriels. Même si la fonctionnaire a soutenu qu’elle s’était efforcée de se conformer, sans succès, il ressort de la preuve que, très souvent, elle ne signalait ses absences que quelques minutes avant ou après son heure d’arrivée prévue. De plus, elle ne disait pas quand elle reviendrait et ne présentait pas de demandes de congé. Toutes ses conditions étaient énoncées dans les lettres d’attentes. Selon l’argumentation de la fonctionnaire, personne d’autre ne devait se conformer à de pareilles directives, ce qu’a reconnu Mme Moore. Les conditions ont été imposées à la suite d’une assiduité insatisfaisante, d’arrivées tardives et de congés non autorisés.

290        L’autre question à poser est celle de savoir si le licenciement est une sanction proportionnelle à l’inconduite.

291        Le licenciement ne résultait pas d’un seul incident. Il s’agissait véritablement du point culminant d’une relation de plus en plus difficile avec la fonctionnaire. Des mesures disciplinaires progressives ont été imposées afin de lui signaler qu’elle devait modifier son comportement. Il ne s’agissait pas seulement d’un problème de retards et d’assiduité, mais aussi de son refus d’exécuter des tâches assignées.

292        La fonctionnaire a tout simplement refusé de se conformer aux directives. Son insubordination est devenue ingérable. J’estime que le licenciement était justifié.

V. Conclusion

293        Je conclus que le défendeur a établi l’inconduite sous-jacente à toutes les mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement. La fonctionnaire a mis fin à son emploi à JUS en refusant de travailler et d’obéir aux ordres directs, sans motif valable discernable.

294        La fonctionnaire a principalement fait valoir que les mesures disciplinaires et son licenciement étaient entièrement motivés par la discrimination, parce qu’elle est une femme noire d’origine haïtienne, ainsi que par représailles, parce qu’elle a porté plainte contre ses gestionnaires. Selon elle, les RREE insatisfaisants ne découlent pas de son rendement, mais de la discrimination, du harcèlement et des représailles exercées à son égard.

295        Tout au long de l’audience et dans son argumentation, la fonctionnaire n’a jamais évoqué les préoccupations relatives à ses retards ou à ses congés non autorisés. Elle n’a manifestement pas compris la question du plagiat, malgré des directives claires. Elle n’a pas reconnu que le refus d’effectuer une tâche causait un problème à son employeur. Elle ne s’est pas questionnée à savoir quelles pouvaient bien être les lacunes de son rendement, comme l’ont affirmé ses gestionnaires. Elle considérait que la direction était déterminée à la harceler et à faire preuve de discrimination à son endroit.

296        La preuve a établi le contraire. Dans le menu détail, la preuve a démontré que le rendement de la fonctionnaire laissait à désirer, qu’elle éprouvait des problèmes à respecter ses heures de travail, qu’elle est devenue de plus en plus insubordonnée en refusant des tâches, et qu’elle a tout simplement refusé d’écouter qui que ce soit, y compris les personnes qui cherchaient à l’aider, comme M. Bickert et Mme Matteau. Les mesures disciplinaires et le licenciement étaient attribuables à des motifs objectifs, liés au fait qu’une employée ne satisfaisait pas à des attentes claires.

297        En ce qui concerne son licenciement, la fonctionnaire n’avait demandé aucune mesure d’adaptation fondée sur une incapacité, et je ne suis saisie d’aucune allégation de discrimination sur le fondement d’une incapacité. Aucune plainte officielle de harcèlement n’a été déposée puisque la fonctionnaire n’a pas fourni les renseignements nécessaires. Celle-ci souhaitait obtenir un autre poste, mais n’a guère démontré qu’elle s’était efforcée d’obtenir un emploi ailleurs à la fonction publique. En l’absence de condition d’incapacité justifiant une mesure d’adaptation et en l’absence d’une plainte officielle de harcèlement, le défendeur n’était pas obligé de chercher un autre emploi pour elle.

298        Au moment du licenciement, la fonctionnaire ne relevait plus de Mme Moore, que les plaintes de harcèlement visaient en grande partie. Cependant, la fonctionnaire a insisté sur son droit à ne pas suivre les directives.

299        En dernier ressort, le défendeur était parfaitement en droit de conclure que la relation d’emploi n’était plus viable.

300        Pour tous les motifs énoncés ci-dessus, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

301        Le grief est rejeté.

302        La pièce G-29 est scellée.

Le 8 avril 2019.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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