Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée pour des motifs d’incapacité conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques – la fonctionnaire s’estimant lésée a prétendu qu’elle avait pris un congé de maladie parce qu’elle avait été victime d’intimidation, de harcèlement et de discrimination de la part de son employeur – la fonctionnaire s’estimant lésée a en outre prétendu que la communication de l’employeur avec elle à compter du moment de son départ en congé de maladie non payé jusqu’à son licenciement avait constitué de l’intimidation, du harcèlement et de la discrimination – la formation de la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait produit une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’incapacité – la preuve médicale a permis de confirmer que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, et il avait été conclu qu’elle répondait à la définition d’« invalidité totale » aux fins de l’assurance invalidité de longue durée – la formation a en outre conclu que l’employeur n’avait pas invoqué la Directive de façon arbitraire à la période de deux ans, mais qu’il était disposé à envisager un retour au travail, en se fondant sur la situation personnelle de la fonctionnaire s’estimant lésée, à chaque fois que le versement de ses prestations de congé de maladie était prolongé – la formation a conclu que l’employeur s’était acquitté du fardeau de prouver la contrainte excessive, et que, par conséquent, il n’avait pratiqué aucune discrimination à l’endroit de la fonctionnaire s’estimant lésée lorsqu’il avait mis fin à son emploi pour des motifs d’incapacité – la formation a en outre conclu que la communication de l’employeur avait été appropriée pendant toute cette période et que les allégations de harcèlement et d’intimidation de la fonctionnaire s’estimant lésée à cet égard étaient sans fondement.

Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190418
  • Dossier:  566-02-12849
  • Référence:  2019 CRTESPF 46

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

JO ANNE ST-DENIS

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

défendeur

Répertorié
St-Denis c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
George Walker, avocat
Pour le défendeur:
Marc Séguin, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
du 25 au 28 février 2019.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

Contexte

1         Jo Anne St-Denis, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a intégré la fonction publique fédérale en 1998 à titre de coordinatrice de la santé et sécurité au travail. Elle exerçait encore ses fonctions auprès de la direction de l’hygiène et de la sécurité au travail de Services publics et Approvisionnement Canada (« SPAC », ou l’« employeur ») lorsqu’elle a pris un congé de maladie non payé le 17 octobre 2012. Elle n’est jamais retournée au travail.

2         Un certificat médical daté du 16 mai 2013 a indiqué à l’employeur que la fonctionnaire ne se présenterait pas au travail dans un avenir prévisible. Par conséquent, le 25 juin 2013, l’employeur lui a envoyé une lettre lui décrivant ses options, notamment demander l’approbation de Santé Canada pour une retraite pour raisons médicales ou démissionner de la fonction publique.

3         Le 30 septembre 2013, le psychiatre de la fonctionnaire a présenté une lettre à l’employeur indiquant que la fonctionnaire serait en mesure de se présenter de nouveau au travail dans les six mois suivants. En réponse, l’employeur a approuvé son congé de maladie non payé jusqu’au 30 mars 2014 et a demandé une évaluation de l’aptitude au travail (EAT) en préparation de son retour au travail.

4         Le 2 avril 2014, l’employeur a de nouveau prolongé le congé de maladie autorisé de la fonctionnaire, jusqu’au 30 septembre 2014.

5         Le 18 septembre 2014, l’employeur a envoyé une lettre pour demander des renseignements supplémentaires sur l’état de santé de la fonctionnaire, lui demandant de retourner au travail, de demander la retraite pour raisons médicales, ou de démissionner.

6         Le 2 octobre 2014, l’avocat de la fonctionnaire a avisé que le médecin de la fonctionnaire produisait un certificat médical mis à jour. N’ayant rien reçu en date du 23 octobre 2014, l’employeur a envoyé une autre demande de certificat médical. L’avocat de la fonctionnaire a répondu le jour même avec un rapport médical du médecin de la fonctionnaire, daté du 10 septembre 2014, indiquant que [traduction] « […] aucun retour au travail n’était envisagé dans un avenir prévisible ».

7         Le 7 novembre 2014, l’employeur a envoyé une autre lettre décrivant les options à la disposition de la fonctionnaire. Étant donné qu’un retour au travail n’était pas prévu dans un avenir proche, on lui a rappelé ses options, soit de démissionner ou de demander la retraite pour raisons médicales. Dans la lettre, on l’a avisée que si une réponse n’était pas reçue avant le 1er décembre 2014, il pourrait être mis fin à son emploi.

8         Le 26 mars 2015, l’employeur a envoyé une lettre de suivi, rappelant à la fonctionnaire ses options et indiquant, une fois de plus, que le manque d’action pourrait entraîner le licenciement.

9         La fonctionnaire n’a choisi aucune des options qui étaient à sa disposition. Le 22 avril 2016, l’administrateur général de SPAC (le « défendeur ») l’a licenciée pour des motifs d’incapacité, en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP).

10        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Grief

11        Le 3 mai 2016, le grief de la fonctionnaire a été reçu par SPAC. Elle a allégué qu’elle était malade en raison de l’intimidation, du harcèlement et de la discrimination dont elle avait été victime de la part de l’employeur. Elle a affirmé que la décision de mettre fin à son emploi pour des motifs d’incapacité alors qu’elle était en congé de maladie non payé était injuste.

12        Selon la fonctionnaire, la communication de l’employeur avec elle à compter du moment où elle est partie en congé de maladie non payé, soit à partir du 17 octobre 2012, jusqu’à son licenciement le 22 avril 2016, constituait de l’intimidation, du harcèlement et de la discrimination.

13        Le grief a été entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs les 15 juin et 25 juillet 2016. Le sous-ministre adjoint par intérim, Direction générale des Ressources humaines de SPAC, a rejeté son grief.

14        L’affaire a été renvoyée à la Commission aux fins d’arbitrage et je l’ai entendue à Ottawa (Ontario) du 25 au 28 février 2019.

Résumé de la preuve

15        La grande majorité des éléments de preuve présentés à l’audience consistait en de la correspondance entre l’employeur et la fonctionnaire. La personne-ressource principale de l’employeur était Tiffany Hong, la gestionnaire par intérim de la santé et sécurité au travail.

16        Mme Hong a indiqué dans son témoignage qu’elle n’a été la superviseure de la fonctionnaire que pendant quelques semaines avant que la fonctionnaire ne parte en congé de maladie non payé le 12 octobre 2012.

17        Lorsque la fonctionnaire ne s’est pas présentée au travail le lundi 15 octobre 2012, Mme Hong lui a téléphoné et a appris qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle avait un rendez-vous avec un médecin, et qu’elle ne se présenterait pas au travail ce jour-là. En fait, elle n’est jamais retournée au travail. Elle avait assez de congés de maladie pour pouvoir s’absenter jusqu’au 16 octobre et le 17 octobre, elle a entamé une période de congé de maladie non payé.

18        Le 26 octobre 2012, la fonctionnaire a reçu un courriel dans sa messagerie privée provenant de son employeur concernant la nature de ses prestations d’invalidité et les devoirs et responsabilités à la fois des gestionnaires et des employés au cours d’un congé de maladie prolongé.

19        Le 2 novembre 2012, Mme Hong a envoyé un courriel à la fonctionnaire à son adresse courriel privée, accusant réception d’un certificat médical de son médecin personnel, la Dre Bidari. Ce certificat est daté du 25 octobre 2012, et se lit comme suit :

[Traduction]

Je conseille vivement que [la fonctionnaire] prenne une longue pause du travail, elle ne devrait pas être harcelée continuellement par téléphone ni par courriel. Toute communication concernant la santé de [la fonctionnaire] devrait être envoyée à mon attention.

Par la présente, je certifie que j’ai évalué [la fonctionnaire] une 2e fois aujourd’hui. Une première évaluation a eu lieu le 15 octobre 2012 et j’ai bien envoyé [la fonctionnaire] en congé de maladie pendant 3 semaines. Selon l’évaluation de ce jour, la santé de [la fonctionnaire] s’est sensiblement détériorée, elle souffre d’une grave dépression et le harcèlement du travail ne fait qu’empirer son état.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

20        Selon son témoignage, Mme Hong était consternée par la phrase « harcèlement du travail ». Elle ne savait pas à quoi la médecin faisait référence.

21        Dans son courriel à la fonctionnaire daté du 2 novembre, Mme Hong l’a informée que [traduction] « […] à titre de votre gestionnaire par intérim, il est bien nécessaire que je maintienne un certain niveau de contact avec vous pendant que vous êtes en congé ». Mme Hong a ajouté : [traduction] « puisque vous avez été mise en CMNP [congé de maladie non payé], il se peut que vous soyez admissible aux prestations de maladie de l’assurance-emploi par l’entremise de Service Canada ». Mme Hong a également inclus le nom et les coordonnées du conseiller en rémunération de la fonctionnaire en vue de fournir des renseignements sur les prestations d’assurance-invalidité.

22        Le 23 novembre 2012, Mme Hong a de nouveau envoyé un courriel à la fonctionnaire à son adresse courriel privée. Elle a commencé par : [traduction] « J’espère que vous allez mieux. » Elle a informé la fonctionnaire qu’elle ne serait pas au bureau et elle a fourni les coordonnées de la personne qui la remplaçait. Elle a conclu par : [traduction] « Si votre absence devait se prolonger, veillez à nous fournir un nouveau certificat médical. »

23        La fonctionnaire a envoyé à Mme Hong un certificat médical de la Dre Bidari daté du 16 mai 2013, qui se lit comme suit :

[Traduction]

Veuillez ne communiquer qu’avec moi (la Dre Bidari), médecin de famille de [la fonctionnaire], pour toute mise à jour concernant son état de santé ou son plan de retour au travail. Veuillez ne pas communiquer directement avec [la fonctionnaire].

Par la présente, je certifie que [la fonctionnaire] ne retournera pas au travail dans un avenir prévisible. Son état de santé ne s’est pas amélioré, elle est suivie régulièrement à l’Hôpital Montfort par un psychiatre, le Dr Tempier. Elle demeurera en congé à durée déterminée.

24        Le 25 juin 2013, Mme Hong a envoyé une lettre adressée à la fonctionnaire au cabinet de la Dre Bidari. Il s’agissait d’une réponse au certificat médical, qui indiquait que la fonctionnaire ne se présenterait pas au travail dans un avenir prévisible. Mme Hong a inclus quelques renseignements sur le « Programme d’aide aux employés et aux organismes », ainsi que les coordonnées d’un spécialiste de la rémunération. Elle a poursuivi son message, en partie, comme suit :

[Traduction]

La Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales indique que s’il est clair que la personne ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, la personne ayant le pouvoir délégué doit envisager d’accorder un congé non payé d’une durée suffisante pour permettre à cette personne de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d’emploi de l’administration publique centrale pour raisons médicales.

À la lumière de ce qui précède, je vous demande d’examiner les options suivantes qui vous sont disponibles.

Vous pouvez demander l’approbation de Santé Canada pour une retraite pour raisons médicales ou, sinon, donner votre démission […]

25        Mme Hong a demandé à la fonctionnaire de communiquer sa décision, par écrit, au plus tard le 31 juillet 2013.

26        Mme Hong n’a pas eu de nouvelles de la fonctionnaire, par conséquent, elle a envoyé une lettre de suivi à la Dre Bidari le 22 août 2013, indiquant : [traduction] « [a]ucune réponse n’a été reçue […] ». Elle a informé la Dre Bidari de ce qui suit :

[…]

Veuillez noter que la direction doit être en mesure de communiquer avec un employé sur les questions liées au travail. La lettre vous a été envoyée parce que vous avez demandé que l’on ne communique pas directement avec l’employée. Par conséquent, je vous écris pour vous informer que, si aucune réponse n’est reçue d’ici le13 septembre 2013, j’enverrai la correspondance directement à l’employée […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

27        À la mi-septembre, Mme Hong n’avait toujours aucune nouvelle ni de la fonctionnaire ni de la Dre Bidari, par conséquent, elle a envoyé, par courrier recommandé, une lettre à la fonctionnaire, datée du 16 septembre 2013, qui commençait comme suit :

[Traduction]

La présente est une lettre de suivi aux lettres ci-jointes qui vous ont été envoyées par l’intermédiaire du cabinet de votre médecin. Aucune réponse n’a été reçue aux lettres ci-jointes. Votre médecin avait demandé que l’employeur communique avec vous par son intermédiaire. Étant donné que l’employeur ne reçoit aucune réponse à la correspondance, je n’ai plus aucun choix que de communiquer directement avec vous. Veuillez noter que, lors d’une absence prolongée d’un employé, un employeur doit être en mesure de communiquer avec l’employé sur les questions liées au travail.

[…]

28         Dans cette lettre, Mme Hong a de nouveau indiqué les renseignements qu’elle avait déjà fournis concernant le CMNP et les prestations de maladie de l’assurance-emploi. Elle a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Si votre état de santé s’est amélioré et que vous êtes en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, veuillez demander à votre médecin de produire un certificat indiquant le moment où vous serez apte à retourner au travail et toutes les limites fonctionnelles nécessitant une mesure d’adaptation dans le milieu de travail. Vous devez me fournir ce nouveau certificat médical, le cas échéant, avant le 10 octobre 2013.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

29        En guise de conclusion, Mme Hong a répété les options de la fonctionnaire de soit démissionner, soit demander la retraite pour raisons médicales si elle n’était pas en mesure de retourner au travail. Elle a également redonné les coordonnées déjà fournies du Centre des pensions de la fonction publique, du Programme d’aide aux employés et aux organismes, et du spécialiste de la rémunération.

30        Le 19 septembre 2013, la fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Hong, accusant réception de la lettre du 16 septembre 2013, et ajoutant : [traduction] « Je me renseigne au sujet des options. »

31        La réponse par courriel de Mme Hong était brève : [traduction] « Je vous remercie de m’avoir informée que vous avez reçu la lettre. N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez d’autres questions. »

32        Mme Hong a indiqué dans son témoignage qu’elle a reçu une lettre de la Dre Imen Ben Cheikh, une psychiatre à l’Hôpital Montfort d’Ottawa, concernant la fonctionnaire. La lettre, datée du 30 septembre 213, informe du retour possible de la fonctionnaire au travail dans les six mois suivants et suggère un changement de lieu de travail en raison du stress lié au milieu de travail.

33        Le 4 octobre 2013, Mme Hong a envoyé une lettre au domicile de la fonctionnaire, accusant réception du contenu du certificat médical de la Dre Ben Cheikh suggérant un retour au travail dans les six prochains mois. Par conséquent, Mme Hong a informé la fonctionnaire que son congé de maladie non payé avait été prolongé jusqu’au 30 mars 2014. Dans la lettre, Mme Hong a demandé à la fonctionnaire de faire l’objet d’une EAT avec Santé Canada, afin de clarifier ses limites fonctionnelles. En particulier, Mme Hong a indiqué qu’elle avait besoin de clarification concernant la suggestion voulant que la fonctionnaire retourne travailler dans un autre [traduction] « ministère ». Mme Hong a indiqué dans son témoignage que l’employeur n’était pas en mesure de décider de la mesure d’adaptation à prendre à l’égard de la fonctionnaire sans indication claire des limites fonctionnelles, et que l’EAT devait fournir cette clarification.

34        Le 10 octobre 2013, Danielle Perron-Roach, une travailleuse sociale à l’Hôpital Montfort, a écrit à Mme Hong pour confirmer la possibilité du retour au travail de la fonctionnaire dans six mois. Toutefois, la lettre indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] nous déconseillons qu’elle donne son consentement pour subir votre évaluation de l’aptitude au travail avec Santé Canada. Le résultat d’une évaluation de ce type ne serait pas considéré comme représentatif de toutes ses capacités et pourrait ne pas être un indicateur efficace de sa capacité fonctionnelle au moment de son retour au travail.

[…]

35        Mme Hong a répondu une semaine plus tard. Le 17 octobre 2013, elle a écrit à Mme Perron-Roach au sujet de l’EAT, l’informant que plusieurs mois pouvaient s’écouler entre le moment où le rendez-vous est demandé et le moment de la réception du résultat final, ce qui peut retarder le retour au travail. Elle a expliqué la raison d’être de l’EAT comme suit :

[Traduction]

[…] Les évaluations de Santé Canada sont menées par des médecins qualifiés employés par Santé Canada. Par conséquent, la communication des renseignements médicaux se fait entre les professionnels des soins de santé. En fin de compte, l’employeur ne reçoit qu’une évaluation de l’aptitude au travail (oui ou non), et les limites fonctionnelles […]

36        Dans cette lettre, Mme Hong a de nouveau inclus un formulaire de consentement pour une EAT. Elle a réitéré que le congé de maladie de la fonctionnaire avait été prolongé jusqu’au 30 mars 2014, et a indiqué : [traduction] « On s’attend à ce qu’elle fournisse un pronostic à jour pour le retour au travail avant cette date. »

37        Le 6 février 2014, Mme Hong a écrit à la fonctionnaire, de nouveau par courrier recommandé à son domicile, lui rappelant que son congé de maladie non payé n’était autorisé que jusqu’au 30 mars 2014. Elle a indiqué : [traduction] « […] il est important que vous nous fournissiez une mise à jour concernant votre aptitude à travailler avant le 14 mars 2014 » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Mme Hong a de nouveau décrit l’EAT comme un moyen de clarifier les limites fonctionnelles de la fonctionnaire, indiquant que [traduction] « La clarification de vos limites fonctionnelles sera essentielle si vous n’êtes pas en mesure de retourner à votre poste d’attache ». Une fois de plus, un formulaire de consentement pour subir une EAT était inclus. En conclusion, Mme Hong a renvoyé la fonctionnaire au Programme d’aide aux employés du ministère, et à l’agent négociateur de la fonctionnaire en tant que sources possibles d’aide ou de soutien.

38        L’élément de correspondance suivant dans la série des événements est une lettre datée du 14 mars 2014, d’un avocat, Ronald J. Boivin, LL.B., à Mme Hong et à Ruth Rancy, la directrice de la santé et sécurité au travail.

39        La lettre accuse à la fois Mme Rancy et Mme Hong d’un programme d’intimidation et de harcèlement sans répit de la fonctionnaire pendant qu’elle était en congé de maladie. Elle accuse Mme Rancy d’avoir [traduction] « agressivement poursuivi [la fonctionnaire] avec une litanie de machinations machiavéliques, le tout visant à éliminer ce qu’elle perçoit comme des menaces à sa propre carrière et au petit empire qu’elle construit ».

40        La lettre interroge l’expérience et les qualifications de Mme Hong et suggère ce qui suit :

[Traduction]

[…][qu’elle] a été élevée à son poste intérimaire actuel en grande partie à la suite des manigances de Ruth. La jeunesse de Tiffany, son manque d’expérience et sa volonté de faire plaisir à la direction en a fait un parfait laquais pour agir selon les directives de Ruth et permettre à Ruth de camoufler ses actes malveillants.

41        La lettre de M. Boivin continue de cette manière sur cinq pages à interligne simple. À la page deux, elle indique ce qui suit :

[Traduction]

Tiffany Hong, à la demande de Ruth, a intentionnellement corrompu son rôle de gestionnaire du secteur par intérim pour perpétuer une voie de harcèlement et d’intimidation sans restriction de [la fonctionnaire]. L’intention de ces actes semble être un effort mal intentionné et tout à fait délibéré de nuire davantage à la santé de [la fonctionnaire], de l’empêcher de se remettre de sa maladie, de la harceler au point où elle met fin à sa propre carrière, pour la vouer au licenciement ou à un changement de travail à son désavantage en portant des renseignements faux ou trompeurs à son dossier. Il est évident pour tous ceux qui participent à cette affaire, y compris les professionnels de la santé, que les politiques et les procédures du gouvernement en matière de maladie et d’incapacité sont utilisées à des fins inappropriées et qu’on s’en sert comme d’un bâton pour battre une victime innocente au moment où elle est le plus vulnérable.

[…]

L’abus est perpétré sous la guise de la mise en œuvre de politiques liées au congé de maladie et à l’incapacité. Il se manifeste sous la forme de diverses demandes de certificats répétés, d’évaluations de l’aptitude au travail exigées […]

42        M. Boivin a insisté pour être la personne-ressource à partir de ce moment-là pour les communications ayant trait à la fonctionnaire.

43        Mme Hong a indiqué dans son témoignage qu’elle était choquée du contenu de la lettre de M. Boivin parce qu’elle avait l’impression que ses interactions avec la fonctionnaire avaient toujours été respectueuses et positives. Elle ne considérait pas que son comportement constituait du harcèlement et n’a pas pris au sérieux les accusations de harcèlement. Sa réaction a été de demander l’intervention d’Annick Ravary, avocate de l’unité des services juridiques de l’employeur. Mme Hong savait qu’elle devait continuer d’engager la fonctionnaire dans des discussions liées à l’emploi parce que certaines questions n’étaient toujours pas réglées. Mme Hong a affirmé que le ton de la lettre et les accusations qu’elle contenait n’avaient pas d’incidence sur son approche de la question; la seule différence était que Mme Ravary y participerait.

44        Mme Ravary, qui n’a pas témoigné à l’audience, a écrit une réponse à M. Boivin. Sa lettre, datée du 19 mars 2014, a réitéré l’objectif de la lettre de Mme Hong datée du 6 février 2014, à savoir, de déterminer une date prévue de retour au travail pour la fonctionnaire, et, le cas échéant, la nécessité de régler la question de la mesure d’adaptation. Mme Ravary a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Si votre cliente est toujours invalide, mes clients exigent qu’elle fournisse un certificat médical pour justifier son absence du milieu de travail après le 31 mars 2014.

Si le ministère obtient des renseignements satisfaisants, il ne sera pas nécessaire pour le moment de demander que votre cliente subisse une évaluation auprès de Santé Canada.

[…]

45        En ce qui concerne les questions de harcèlement et d’intimidation qui avaient été soulevées, Mme Ravary a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le ministère prend les allégations de harcèlement et de discrimination au sérieux. Si votre cliente souhaite aborder des questions liées au harcèlement ou à la discrimination, ou tout autre type de manque de respect dans le milieu de travail, elle dispose d’options de règlement officielles et informelles. Afin d’obtenir de plus amples renseignements concernant ces options, votre cliente peut contacter [M. A.P.], Gestionnaire, Relations de travail et coordonnateur national de la prévention du harcèlement […]

46        Mme Ravary a indiqué en bas de sa lettre que M. A.P., le gestionnaire des relations de travail et coordonnateur national de la prévention du harcèlement, a été mis en copie.

47        M. Boivin a répondu à la lettre de Mme Ravary demandant un certificat médical le 28 mars 2014. Un certificat médical de la Dre Bidari indiquant que la fonctionnaire serait absente du travail pour des raisons de santé du 31 mars au 30 septembre 2014 était joint à cette lettre.

48        Par conséquent, l’employeur a approuvé une autre prolongation du congé de maladie non payé de la fonctionnaire jusqu’au 30 septembre 2014. Dans la lettre à M. Boivin l’avisant de la prolongation, Mme Ravary a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Veuillez noter qu’avant le 30 septembre 2014, mes clients demanderont des renseignements médicaux en vue de prolonger l’absence de votre cliente du milieu de travail ou d’obtenir la confirmation qu’elle est en mesure de retourner au travail. À cet égard, pourriez-vous aviser si mes clients doivent communiquer avec la Dre Bidari ou avec vous-même?

En dernier lieu, vous faites allusion à la note médicale de la Dre Cheikh du 30 septembre 2013. Si une mesure d’adaptation est nécessaire au moment du retour de [la fonctionnaire] au travail en octobre, mes clients auront besoin d’une clarification des limites de votre cliente.

[…]

49        M. Boivin a répondu le 20 mai 2014 à la question de la mesure d’adaptation. Il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La mesure d’adaptation dont [la fonctionnaire] a besoin est comme suit :

Un transfert permanent immédiat à un ministère du gouvernement fédéral (non à un organisme privé, aucune possibilité d’un transfert pour retourner au ministère des Travaux publics) dans son poste approprié avec description de travail semblable à celle qu’elle a actuellement. L’emplacement doit être acceptable. Le ministère de l’Environnement, du Travail, sont des possibilités.

[…]

50        Le 9 juin 2014, Mme Ravary a répondu comme suit :

[Traduction]

Je vous remercie de votre lettre du 20 mai 2014. Bien que nous appréciions la recommandation de la Dre Imen Ben Cheikh du 30 septembre 2013, afin que TPSGC puisse prendre une mesure d’adaptation à l’égard de [la fonctionnaire], la première étape est de connaître ses capacités fonctionnelles, ses limites ou ses restrictions vis-à-vis les exigences physiques et cognitives de son travail. TPSGC aura également besoin de son pronostic, c’est-à-dire si les restrictions ou les limites identifiées sont considérées comme temporaires ou permanentes. Une fois que ces renseignements sont obtenus, TPSGC sera en mesure de déterminer, de concert avec [la fonctionnaire], quelles mesures d’adaptation prendre à l’égard de ces limites et/ou ces restrictions. Comme vous le savez, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est une responsabilité partagée et TPSGC travaillera en étroite collaboration avec votre cliente, le professionnel ou les professionnels de la santé qui la traitent et le coordonnateur de retour au travail de l’assurance.

Vous avez également indiqué dans votre lettre que TPSGC n’a fait aucun effort pour accommoder votre cliente une fois qu’il a reçu la lettre de la Dre Ben Cheikh du 30 septembre 2013. La lettre indiquait « Je recommande un changement de milieu de travail comme un transfert vers un autre départment [sic], pour minimiser les risques de décompensation lors du retour au travail » [en français dans l’original]. Premièrement, il ne s’agit pas d’une limite ou d’une restriction médicale, mais plutôt d’une mesure d’adaptation. Deuxièmement, « départment » en français n’a pas le même sens qu’en anglais. Si la recommandation était un transfert vers un autre ministère, la note aurait dû se lire « vers un autre ministère » [en français dans l’original]. Un autre « department » [sic] pour mes clients signifie une autre partie de TPSGC.

En outre, même si TPSGC a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des limites ou des restrictions fonctionnelles de votre cliente, cette obligation ne s’étend pas nécessairement à l’ensemble de la fonction publique […]

[…]

51        Mme Ravary a cité Fontaine c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2012 CRTFP 91, pour la proposition que « [d]’exiger d’un ministère de nommer un de ses employés à un nouveau poste dans un autre ministère est non seulement excessif, cela va clairement à l’encontre de la LEFP ».

52        Mme Ravary a ajouté qu’une évaluation de Santé Canada peut encore être nécessaire pour évaluer les problèmes de mesures d’adaptation pour la fonctionnaire.

53        Enfin, Mme Ravary a réitéré la nécessité de soulever les allégations de harcèlement le plus rapidement possible. Elle a fourni des instructions spécifiques concernant la manière de le faire et a inclus de nouveau le nom et les coordonnées de M. A.P.

54        Le 18 septembre 2014, deux ou trois semaines avant la date d’expiration prévue du congé de maladie autorisé de la fonctionnaire, Mme Ravary a envoyé une autre lettre à M. Boivin parce qu’il n’y avait eu aucune nouvelle. Elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…] Même si un congé de maladie non payé est accordé afin d’assurer la continuité d’emploi pendant une période prolongée de congé de maladie, il ne peut pas être accordé indéfiniment. Comme vous le savez peut-être déjà, la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor exige que l’employeur réexamine chaque cas afin de s’assurer que le congé non payé accordé pour maladie ou blessure survenue au travail n’est pas prolongé sans raison médicale valable. La Directive prévoit également que ces cas de congé non payé doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, quoique chaque cas doit être évalué sous réserve de ses circonstances particulières. Votre cliente est en congé non payé depuis le 15 octobre 2012.

[…]

55        Enfin, Mme Ravary a réitéré les options dont disposait la fonctionnaire dans le cas où sa période d’absence devait se prolonger au-delà du 15 octobre 2014, soit le retour au travail, la retraite pour des raisons de santé, ou la démission de la fonction publique.

56        M. Boivin a répondu à la lettre de Mme Ravary le 2 octobre 2014, indiquant que la Dre Bidari était en train d’envoyer un certificat médical. Il a ajouté en partie ce qui suit :

[Traduction]

Je considère la majeure partie de votre correspondance à ce jour comme un effort de l’employeur de déroger de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de cette employée.

Notre correspondance a été très claire que la grave maladie (dépression) de [la fonctionnaire] était un résultat direct du harcèlement, de l’intimidation et de la discrimination dans le milieu de travail qui ont été infligées à [la fonctionnaire] par les superviseurs, les gestionnaires et d’autres membres du personnel. Non seulement a-t-elle été précipitée par cela, mais le harcèlement et l’intimidation se sont poursuivis pendant que [la fonctionnaire] était gravement malade au point que le personnel médical soit d’avis qu’ils devaient intervenir et faire des commentaires sur le caractère inapproprié des mesures contre [la fonctionnaire].

Ce serait une farce totale si l’employeur essayait maintenant de larguer l’employée pour tenter d’éviter ses responsabilités.

57        Mme Ravary a répondu à M. Boivin le 23 octobre 2014, indiquant que l’employeur n’avait pas encore reçu de nouveau certificat médical pour couvrir l’absence de la fonctionnaire du milieu de travail au-delà du 30 septembre 2014, et lui demandant d’envoyer une copie du certificat médical le plus récent.

58        M. Boivin a répondu le même jour avec une copie d’un rapport signé et daté par la Dre Bidari le 10 septembre 2014. À la deuxième page, la Dre Bidari a écrit [traduction] « En ce qui concerne le retour au travail, le faible niveau d’énergie conjointement avec les problèmes de fonctionnement cognitif pose des limites importantes sur sa capacité de retourner au travail. Aucun retour au travail n’est prévu dans un avenir prévisible ».

59        Le 7 novembre 2014, Mme Ravary a répondu, soulignant le pronostic de la Dre Bidari qu’aucun retour au travail n’était prévu dans un avenir prévisible. Elle a fait remarquer que la compagnie d’assurance Sun Life a avisé l’employeur que la fonctionnaire répondait à la définition d’« invalidité totale » et par conséquent elle a été mise en invalidité permanente de longue durée. Étant donné son incapacité de retourner au travail, ses options ont été répétées une fois de plus, notamment, de démissionner de la fonction publique ou de demander la possibilité de prendre la retraite pour des raisons de santé, sous réserve de l’approbation de Santé Canada. Mme Ravary a demandé une réponse à ces options au plus tard au 1er décembre 2014, et a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je dois vous informer que si votre cliente ne suit pas ce processus et ne fournit pas sa décision au ministère, une recommandation de mettre fin à son emploi pourrait être envisagée conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[…]

60        Le 19 décembre 2014, M. Boivin a répondu, indiquant que la fonctionnaire [traduction] « envisagerait la possibilité d’une retraite pour des raisons de santé », à condition de recevoir une promotion rétroactive au groupe et au niveau AS-06 avec des rajustements à sa rémunération et à ses prestations de retraite. En outre, elle souhaitait racheter sa pension pour la période pendant laquelle elle était en congé de maternité et pour les périodes de congé non payé.

61        Mme Ravary a répondu le 8 janvier 2015. Elle a indiqué ce qui suit : [traduction] « Mon client ne nommera pas votre cliente à un poste AS-06 et n’envisagera aucun règlement d’ensemble en dehors des paramètres énoncés dans ma lettre du 7 novembre 2014. » Elle a renvoyé la fonctionnaire au Centre des pensions pour ses préoccupations concernant sa pension et a conclu en ajoutant [traduction] « Bien que dans ma lettre du 7 novembre 2014 j’aie demandé une décision sur les options disponibles avant le 1er décembre 2014, mon client a convenu de prolonger cette période au 1er février 2015. »

62        M. Boivin a répondu le 30 janvier 2015, avec une lettre qui répétait les allégations d’intimidation, de harcèlement et de discrimination. Il a indiqué en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…] Ma cliente a demandé des mesures d’adaptation et une aide pour permettre son retour au travail, mais toutes ses demandes ont été rejetées. Tout ce que vous avez fait est de lui montrer la porte de sortie à maintes reprises et par là même, vous avez complètement manqué à vos obligations envers cette employée.

Ma cliente n’a pas encore pris de décision […]

63        Le 26 mars 2015, Mme Ravary a accusé réception de cette lettre. Une fois de plus, elle a aiguillé la fonctionnaire au Centre des pensions pour régler ses problèmes de pension. Mme Ravary a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Je dois vous informer qu’en l’absence d’une décision concernant les options présentées à votre cliente dans ma lettre du 7 novembre 2014, mes clients feront une recommandation à l’autorité ministérielle appropriée de la licencier conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur la gestion des finances publiques.

64        À aucun moment la fonctionnaire n’a exercé l’une des options dont elle disposait.

65        Presque une année plus tard, le 11 février 2016, le gestionnaire des dossiers-capacités de la Sun Life a avisé Mme Hong de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les restrictions appuyées par les certificats médicaux de [la fonctionnaire] sont sévères pour qu’elle retourne à son propre emploi ou à un autre emploi.

Nous ne cherchons pas le retour au travail pour [la fonctionnaire][…] Selon les renseignements médicaux au dossier, nous ne prévoyons pas que sa condition s’améliore à un tel point qu’elle sera en mesure de reprendre n’importe quel emploi […]

[…]

66        Dans une lettre envoyée à l’adresse de domicile de la fonctionnaire, l’employeur a souligné qu’elle n’a choisi aucune des options dont elle disposait, et l’a licenciée pour des motifs d’invalidité, à compter du 22 avril 2016.

67        Dans une lettre datée du 20 avril 2016, M. Boivin a indiqué que [traduction] « […] l’ordre du médecin qui interdit à l’employeur de communiquer directement avec [la fonctionnaire] a de nouveau été ignoré ». Il a ajouté en partie ce qui suit :

[Traduction]

Les différentes communications qui ont été envoyées à [la fonctionnaire] y compris plusieurs demandes pour qu’elle retourne au travail ou, d’une façon quelconque, démissionne ou accepte la retraite pour des raisons de santé, ont toutes été accompagnées d’une lourde menace de mettre fin à son emploi si elle ne le faisait pas. Il s’agit d’intimidation et de discrimination pour des motifs d’invalidité qui se sont poursuivies littéralement à partir du moment où [la fonctionnaire] est tombée malade. Et il convient de noter aussi justement que la maladie de [la fonctionnaire] est une conséquence directe de l’intimidation, du harcèlement et de la discrimination exercées sur elle par ses superviseurs et ses collègues […]

68        André Latreille, sous-ministre adjoint par intérim, Direction générale des Ressources humaines de SPAC, a indiqué dans son témoignage qu’il était l’autorité compétente pour le licenciement de la fonctionnaire. Il a signé la lettre de licenciement pour des motifs d’invalidité. Il était au courant des allégations d’intimidation, de harcèlement et de discrimination mentionnées par M. Boivin à plusieurs reprises. Il a indiqué dans son témoignage qu’il n’avait connaissance d’aucune plainte déposée à cet égard. Il a indiqué dans son témoignage qu’il était convaincu que l’affaire de la fonctionnaire n’avait pas été traitée différemment de toute autre affaire semblable d’invalidité à long terme, et qu’il était convaincu que l’affaire était traitée dans le cadre des paramètres de la loi et de la politique.

69        M. A.P. n’a pas témoigné, mais tous les témoins, y compris la fonctionnaire, ont confirmé qu’aucune plainte formelle de harcèlement, d’intimidation ou de discrimination n’a jamais été portée à son attention.

70        Mme Hong et Mme Rancy ont indiqué dans leurs témoignages que la manière dont le dossier de la fonctionnaire a été traité était conforme à ce qu’on leur a indiqué sur la loi et la politique existantes en ce qui concerne les affaires d’invalidité à long terme, et ce qu’elles en connaissaient. Elles ont indiqué dans leurs témoignages que l’affaire de la fonctionnaire n’avait pas été traitée différemment de toute autre affaire semblable.

71        La fonctionnaire a admis que ni le ton ni le contenu de la correspondance de l’employeur n’avaient été irrespectueux ni menaçants. Elle a convenu que le ton et le contenu des communications étaient toujours professionnels. Toutefois, elles la bouleversaient parce qu’elles provenaient de ce qu’elle appelait [traduction] « un milieu de travail toxique ».

72        La fonctionnaire a indiqué dans son témoignage un incident dans un contexte de règlement de différends qui a eu lieu avant qu’elle ne parte en congé de maladie et qui avait été particulièrement pénible pour elle. Mme Rancy en avait supposément été témoin, mais a indiqué dans son témoignage qu’elle n’en avait aucun souvenir.

Arguments de l’employeur

73        L’avocat de l’employeur était axé sur la simplicité de la question. Était-ce raisonnable que l’employeur licencie la fonctionnaire pour des motifs d’invalidité, étant donné qu’il n’y avait aucune possibilité qu’elle retourne au travail dans un avenir prévisible?

74        Il est bien établi en droit qu’une fois qu’un employé présente des preuves d’une invalidité, l’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’employé, jusqu’au point d’une contrainte excessive. La citation suivante provient de l’affaire de la Cour suprême du Canada intitulée Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) (Hydro-Québec), 2008 SCC 43, au paragraphe 19 :

[19] L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

75        Pour l’employeur, la question devient alors, que signifie le terme « avenir prévisible »? L’avocat de l’employeur s’est penché sur l’affaire Maher c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 93, dans laquelle, au paragraphe 46, le commissaire cite la page 32 de McCormick c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-262274 (19950918), [1995] C.R.T.F.P.C. No 92 (QL), comme suit :

[46] […] Il faut définir l’« avenir prévisible » en fonction des circonstances de chaque cas, définition qui variera par ailleurs suivant le domaine de droit en cause […] Je suis d’avis que, après près de deux ans d’absence, une période de six mois pourrait raisonnablement constituer l’avenir prévisible […]

76        L’avocat de l’employeur a fait valoir qu’en ce qui concerne les faits de cette affaire, la question devient de savoir si l’employeur a agi raisonnablement lorsqu’on lui a présenté les renseignements fournis par les médecins de la fonctionnaire.

77        Lorsque, le 17 mai 2014, le médecin personnel de la fonctionnaire a écrit qu’il n’y avait aucun projet de retour au travail dans un avenir prévisible, l’approche de l’employeur était raisonnable. Aussitôt que ce pronostic a semblé changer, en septembre 2013, lorsque la Dre Ben Cheikh a suggéré la possibilité d’un retour au travail dans les six mois, l’employeur a de nouveau agi raisonnablement en prolongeant la période de congé de maladie non payé et en demandant plus de renseignements sur ses capacités et ses limites fonctionnelles, afin d’aider au processus de prise de mesures d’adaptation.

78        L’employeur a demandé des clarifications pour déterminer les limites fonctionnelles de la fonctionnaire. Il a précisément mentionné les problèmes de mesures d’adaptation que son avocat avait mentionnés. L’employeur a demandé une EAT à trois reprises, pour aider au processus de prise de mesures d’adaptation. Toutes ont été catégoriquement refusées.

79        Ensuite, le 23 octobre 2014, lorsque l’avocat de la fonctionnaire a présenté un certificat médical du médecin de la fonctionnaire qui indiquait de nouveau qu’il n’était pas prévu qu’elle retourne au travail dans un avenir prévisible, la réaction de l’employeur était raisonnable. Malgré avoir demandé plusieurs fois que la fonctionnaire exerce ses options, et malgré avoir fourni des avertissements clairs concernant la possibilité de licenciement si elle ne choisissait aucune des options, la fonctionnaire n’a exercé aucune des options dont elle disposait.

80        L’avocat de l’employeur a soutenu que dans ces circonstances, la décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire pour des motifs d’invalidité était raisonnable.

81        Loin d’être des exemples de harcèlement, le ton et le contenu des nombreux articles de correspondance de l’employeur étaient administratifs et professionnels et visaient à aider la fonctionnaire à prendre des décisions difficiles.

82        L’avocat de l’employeur a souligné l’importance d’une enquête multipartite en ce qui concerne les mesures d’adaptation. L’affaire de la Cour suprême du Canada intitulée Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 sous le titre « L’obligation du plaignant » à la page 994, est une autorité manifeste pour cette proposition. Ce passage se lit comme suit :

La recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable. La participation du plaignant à la recherche d’un compromis a été reconnue par notre Cour dans l’arrêt O’Malley. Le juge McIntyre y affirme, à la p. 555 :

Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d’atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l’absence de concessions de sa propre part, comme l’acceptation en l’espèce d’un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

83        L’avocat de l’employeur a réitéré le fait que la fonctionnaire n’a même pas tenté de répondre aux questions légitimes de l’employeur concernant ses limites fonctionnelles. En l’absence d’une EAT, ses médecins auraient pu participer à un dialogue significatif concernant les limites fonctionnelles, mais aucun dialogue de la sorte n’a eu lieu.

84        L’avocat de l’employeur a conclu ses arguments en renvoyant à des affaires qui appuient la proposition que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’implique pas une rétention indéterminée. Si aucun retour au travail n’est prévu dans un avenir raisonnablement prévisible, garder le poste ouvert constitue une contrainte excessive; voir English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24, au paragraphe 95, comme suit :

[95]  L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’exige pas que les employeurs conservent indéfiniment dans leur effectif des employés incapables en permanence d’accomplir leurs tâches (Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, paragr. 21). La fonctionnaire s’estimant lésée n’a avancé aucune preuve contredisant la conclusion qu’elle sera incapable de s’acquitter de ses fonctions « dans un avenir prévisible » (McCormick) ni qu’elle sera capable de retourner au travail « dans un délai raisonnable » (Centre universitaire de santé McGill). À mon avis, « dans un avenir prévisible » et « dans une période raisonnable » correspondent à la même norme. Je conclus par conséquent que l’employeur est arrivé au point où il en résulte une contrainte excessive pour lui de conserver la fonctionnaire s’estimant lésée dans son effectif et où la licencier pour incapacité était justifié dans les circonstances.

85        De même, Gauthier c. Conseil du Trésor (Comité des griefs des Forces canadiennes), 2012 CRTFP 102, au paragraphe 42, indique en partie ce qui suit : « Si l’employeur démontre que l’employé ne peut travailler dans un avenir raisonnablement prévisible, il établit l’existence d’une contrainte excessive. »

86        L’avocat de l’employeur a conclu que, par conséquent, le grief devrait être rejeté.

Arguments de l’avocat de la fonctionnaire s’estimant lésée

87        La présente affaire n’est pas aussi simple que l’employeur l’a indiqué pour la simple raison que la fonctionnaire est devenue invalide de manière permanente en raison des actes de l’employeur. L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir qu’il l’a effectivement harcelée au point de la pousser vers l’invalidité permanente.

88        Les professionnels de la santé ont exprimé des préoccupations voulant que la capacité de guérison de la fonctionnaire serait compromise si on ne lui laissait pas le temps et l’espace pour guérir convenablement. Mme Hong a délibérément ignoré cette préoccupation et a communiqué directement avec la fonctionnaire.

89        Malgré l’admission de l’employeur qu’une EAT n’était pas obligatoire, il a insisté pour qu’une EAT soit effectuée. L’employeur n’a pas mentionné que les professionnels de la santé de la fonctionnaire auraient pu fournir des renseignements sur ses limites fonctionnelles.

90        La lettre de la Dre Ben Cheikh du 30 septembre 2013 recommandait un transfert vers un autre ministère à titre de condition préalable au retour au travail de la fonctionnaire. Au lieu de suivre cette recommandation, l’employeur a choisi de disputer la traduction anglaise du terme « département » [en français dans l’original].

91        Bien que la fonctionnaire ait manifestement fait face à des difficultés avec son environnement de travail, aucun effort n’a été entrepris pour la transférer à un autre milieu de travail. Par conséquent, son état de santé s’est détérioré davantage, comme l’avaient prédit la Dre Bidari ainsi que la Dre Ben Cheikh.

92        L’employeur a reconnu que le rôle de sa conseillère en gestion d’invalidité est d’aider les employés, mais à aucun moment Mme M.A., qui était cette conseillère, n’a communiqué avec la fonctionnaire.

93        L’avocat de la fonctionnaire a soutenu qu’il était déraisonnable de n’attendre que huit mois avant d’obliger la fonctionnaire à choisir entre la retraite pour des raisons de santé ou la démission alors que les lignes directrices de l’employeur mentionnent une période de deux ans.

94        Le seul sens que l’on peut donner à ce comportement, c’est de l’envisager dans le cadre d’un schéma d’intimidation et de harcèlement. Le refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire était inéquitable et déraisonnable.

95        L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que l’affaire Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3, est instructive. Dans cette affaire, l’équivalent de 3 ans de rémunération et 38 000 $ de dommages ont été accordés après la conclusion que l’employeur n’a fait aucun effort réel relatif aux mesures d’adaptation à l’égard des incapacités du fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il s’est livré à des pratiques discriminatoires de façon délibérée et inconsidérée. En fait, la conclusion de l’arbitre de grief au paragraphe 146 est particulièrement pertinente aux circonstances de l’espèce. Elle se lit en partie comme suit : « Le retard a frustré son retour au travail, a exacerbé sa situation et a entraîné la détérioration de sa santé, alors qu’il s’inquiétait d’un retour au travail et d’une situation financière de plus en plus désespérée. »

96        L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que Nicol fait miroir aux circonstances de l’espèce. L’employeur n’a rien offert du tout à la fonctionnaire. Par conséquent, dans la mesure du possible, il faudrait qu’elle soit indemnisée intégralement. Elle devrait recevoir 20 000 $ pour le préjudice moral et 20 000 $ en guise d’indemnité spéciale, en application de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

Décision et motifs

97        Je ne suis catégoriquement pas d’accord avec la qualification des faits de l’espèce par la fonctionnaire. Je souscris aux arguments de l’employeur et à la jurisprudence qui a été soumise à l’appui de ces arguments.

98        Le grief est entièrement rejeté pour les motifs suivants.

99        La fonctionnaire allègue avoir été victime de discrimination au motif d’une invalidité. L’employeur ne nie pas que la fonctionnaire avait une invalidité, mais les éléments de preuve démontrent que la fonctionnaire n’a pas été traitée différemment de tout autre employé dans des circonstances semblables, à savoir, en congé de maladie prolongé sans aucun retour au travail dans un avenir prévisible.  Il n’y a aucun élément de preuve indiquant que l’employeur a agi en dehors des paramètres de ses politiques ni de la LGFP.

100        La Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor contient une partie spécifique intitulée « Gestion des congés non payés – Situations particulières ». La Partie 2, intitulée « Maladie ou blessure survenue au travail », se lit, en partie, comme suit :

La personne ayant le pouvoir délégué doit réexaminer chaque cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non payé accordé pour maladie ou blessure survenue au travail n’est pas prolongé sans raison médicale valable. Les cas de congé non payé doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, quoique chaque cas doit être évalué sous réserve de ses circonstances particulières.

101        Je n’éprouve aucune difficulté à conclure qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie. L’invalidité de la fonctionnaire est une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de l’article 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et il n’y a aucun doute qu’elle a éprouvé une incidence négative à l’égard de son emploi - elle a été licenciée. Enfin, étant donné qu’elle a été licenciée pour des motifs d’invalidité, il s’ensuit logiquement que son invalidité était un facteur qui a contribué à son licenciement.

102        Ayant établi une preuve prima facie de discrimination au motif de l’invalidité,
l’analyse se tourne maintenant sur la question de savoir si le fait de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de l’invalidité de la fonctionnaire imposerait une contrainte excessive à l’employeur. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Hydro-Québec, au paragraphe 12, l’employeur est tenu de prouver une contrainte excessive, « qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances ».

103        Le critère de Meiorin à trois volets qui porte sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation provient de l’affaire de la Cour suprême du Canada intitulée Colombie-Britannique (Public service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union [1999] 3 RCS 3, [1999] CSC 48. Au paragraphe 54 :

Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une [exigence professionnelle justifiée]. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  2. qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

104        La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, a indiqué au paragraphe 15 :

15 Les facteurs permettant de conclure que la contrainte est excessive ne sont pas consacrés et doivent être appliqués avec souplesse et bon sens […] Comme le droit d’être accommodé n’est pas absolu, la prise en compte de tous les facteurs pertinents peut mener à la conclusion que l’impact causé par l’application d’une norme préjudicielle est légitime.

105        Aux paragraphes 14, 15, 16, 17 et 19 de Hydro-Québec, la Cour suprême a statué comme suit :

[14] […] L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.

[15] L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail.

[16] Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé.

L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[17] […] Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.

[…]

[19] […]  L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

106        La note du médecin du 10 septembre 2014 est très claire qu’il [traduction] « n’est pas prévu qu’elle retourne au travail dans un avenir prévisible ».  Ensuite, le 11 février 2016, la Sun Life s’est prononcée définitivement sur l’incapacité totale de la fonctionnaire, et sur le fait que l’assureur ne chercherait pas un retour au travail.

107        Je suis du même avis que l’avocat de l’employeur que les faits dans Nicol sont faciles à distinguer de l’espèce. Pour commencer, Nicol concernait « […] un employé qui a tenté d’effectuer un retour au travail à la suite d’un congé de maladie et qui n’a pas été accommodé par l’employeur » (voir le paragraphe 1). L’espèce concerne une employée qui n’est pas en mesure de retourner au travail en raison de problèmes de santé.

108        Dans Nicol, au paragraphe 143, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur « […] a différencié le fonctionnaire des autres employés en refusant de mettre en œuvre la reclassification […] ». Ce paragraphe indique également (au point i.) ce qui suit :

[143] […] L’employeur a maintenu une approche téméraire consistant à ignorer que les postes qu’il avait offerts au fonctionnaire ne tenaient pas compte de sa propre opinion médicale indépendante. L’employeur a choisi de faire ce qu’il a fait en dépit de la recommandation de son propre médecin spécialiste indépendant quant à ce que le fonctionnaire pouvait faire et ne pas faire […]

109        La dernière phrase de ce paragraphe de Nicol constitue un écart important des circonstances de l’espèce. À différents moments, l’employeur a demandé une clarification sur les limites fonctionnelles de la fonctionnaire, qui auraient ouvert la voie à un dialogue significatif au sujet des mesures d’adaptation.  Étant donné le refus constant de la fonctionnaire de fournir à l’employeur tout renseignement médical significatif concernant ses limites fonctionnelles et ses restrictions, on est forcé de se demander comment l’employeur aurait bien pu initier le processus de prise de mesures d’adaptation. Les éléments de preuve médicaux démontrent clairement que l’état de santé de la fonctionnaire était trop invalidant pour qu’elle retourne au travail. 

110        On a conclu dans Nicol que l’employeur a « […] omis de procéder d’une façon plus transparente » (au paragraphe 145). Je conclus que dans les circonstances de l’espèce, l’employeur était ouvert, obligeant et transparent à toutes les étapes du congé de maladie prolongé de la fonctionnaire.

111        Le paragraphe 143 de Nicol décrit aussi en détail une partie de la correspondance menaçante envoyée par l’employeur dans cette affaire : « Chaque lettre contenait un délai de réponse très court et annonçait une date de congédiement s’il ne répondait pas. À chaque nouvelle lettre, le ton et le contenu exerçaient de plus en plus de pression, par exemple, en étant intitulée, “Deuxième avis” ou “Dernier avis”. »

112        Je conclus qu’il n’y avait aucune menace de ce type en l’espèce. Au contraire, le ton et le contenu de chaque article de correspondance envoyé par l’employeur étaient respectueux et professionnels. Bien que les options présentées (la démission, la retraite pour des raisons de santé, ou le retour au travail) aient sans doute déclenché une angoisse considérable chez la fonctionnaire, la manière dont elles étaient communiquées n’était ni menaçante ni abusive.

113        Les éléments de preuve confirment que l’employeur n’a pas invoqué la Directive de façon arbitraire à la période de deux ans.  La volonté de l’employeur d’envisager l’idée d’un possible retour au lieu de travail est évidente à chaque fois que la date d’expiration des prestations du congé de maladie de la fonctionnaire était prolongée. Manifestement, l’employeur réévaluait constamment l’affaire de la fonctionnaire selon ses circonstances individuelles, à mesure que de nouveaux renseignements survenaient.

114        Je conclus, selon tous les éléments de preuve, que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve et a établi une contrainte excessive. L’employeur n’a pratiqué aucune discrimination à l’endroit de la fonctionnaire.

115        La fonctionnaire a également soutenu que l’employeur a ignoré les directives de s’abstenir de communiquer directement avec elle. Premièrement, la note de la Dre Bidari faisait explicitement allusion aux questions médicales. Toute la correspondance de l’employeur portait sur des questions administratives plutôt que médicales, néanmoins, je conclus que l’employeur a agi de bonne foi à cet égard. Il est vrai qu’il a eu recours à une communication directe avec la fonctionnaire, mais uniquement après que la correspondance envoyée à la Dre Bidari aussi bien qu’à M. Boivin n’a pas obtenu de réponse.

116        M. Boivin a au moins donné une sorte d’excuse pour avoir manqué de respecter une échéance. Dans sa correspondance du 19 décembre 2014, il a écrit ce qui suit : [traduction] « Je m’excuse pour mon retard. Mon calendrier de procès a été très chargé cet automne. Il est aussi difficile pour [la fonctionnaire] en raison de sa maladie de prendre les décisions difficiles qu’on exige d’elle et de donner des directives à son avocat. »

117        La Dre Bidari n’a donné aucune explication de ce type.

118        Par conséquent, je conclus que les communications directes de l’employeur avec la fonctionnaire étaient justifiées par les circonstances et par conséquent, qu’elles n’avaient rien d’abusif. Les communications directes n’indiquaient certainement pas un schéma d’intimidation ni de harcèlement.

119        Dans son témoignage, la fonctionnaire a mentionné que des documents liés à l’emploi lui ont été signifiés personnellement à son lieu de résidence. Elle a trouvé que c’était très désagréable et quelque peu effrayant. Il y a de fortes chances que l’employeur n’aurait pas eu besoin d’avoir recours à ce type de mesures si des voies de communication fiables avaient été établies.

120        L’intimidation et le harcèlement de la part de l’employeur constituaient l’essentiel des arguments de la fonctionnaire. À titre d’exemple de ce qu’elle a qualifié de harcèlement, elle a produit un courriel daté du vendredi 4 janvier 2013, du Directeur de la Direction de la santé et sécurité au travail. Le message se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

J’aimerais vous faire savoir que je remplace Ruth Rancy dans son rôle de directrice de la SST pendant qu’elle est en congé de maternité.

J’ai été mis au courant de votre situation et j’aimerais savoir si vous revenez bientôt ou non. Aux fins de planification pour les mois à venir, j’apprécierais si vous pouviez nous fournir une note médicale indiquant la date estimée de votre retour si vous ne revenez pas le 7 janvier 2013. Nous n’avons pas besoin d’une date précise, mais j’aimerais savoir si ce sera dans 2 semaines, un mois ou deux.

N’hésitez pas à me contacter ou à contacter Tiffany si vous souhaitez discuter des détails.

J’espère vous voir bientôt.

121        La fonctionnaire a entouré la date dans le message, le 7 janvier 2013, et a mis la partie suivante du texte sur l’imprimé du courriel, écrite à la main :

[Traduction]

le 4 janvier

reçu le vendredi à 15 h

il faut une note le lundi 7 janvier

ils veulent que je me présente au travail lundi?

ils exigent une autre note encore (la 6e au total)!

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

122        Il est possible que l’invalidité de la fonctionnaire ait eu une incidence sur son jugement, mais dans tous les cas, elle a mal interprété la signification de la date indiquée dans le courriel. L’auteur souhaitait simplement savoir si elle se présenterait au travail le lundi 7 janvier 2013, et sinon, obtenir une note du médecin pour donner une idée de sa date de retour. Dans son témoignage, toutefois, la fonctionnaire était convaincue de façon inébranlable que le courriel exigeait qu’elle obtienne la note du médecin d’une façon quelconque au cours de la fin de semaine.

123        L’employeur a encouragé la fonctionnaire à maintes reprises à présenter ses allégations de harcèlement et d’intimidation et lui a fourni des renseignements détaillés sur la façon de le faire. M. Boivin l’a même reconnu dans sa lettre du 20 mai 2014, comme suit : [traduction] « Vous avez suggéré que je communique avec [M. A.P.] et nous allons le faire maintenant. Nous avons une bonne quantité de documents que nous pouvons lui communiquer. »

124        Malgré cette promesse, aucune communication n’a eu lieu, et aucune plainte formelle de harcèlement n’a jamais été déposée par la fonctionnaire contre quiconque à SPAC.

125        Lorsque la possibilité d’un retour au travail s’est manifestée, la réaction de l’employeur était raisonnable. Il souhaitait connaître l’étendue des capacités et des limites fonctionnelles de la fonctionnaire et entamer le processus de prise de mesures d’adaptation. Quand aucun plan de retourner au travail dans un avenir prévisible n’était possible, de nouveau, l’approche de l’employeur était raisonnable. On a indiqué à la fonctionnaire soit de démissionner ou de demander la retraite pour raisons médicales. L’employeur était également raisonnable lorsqu’il a prolongé son congé de maladie non payé (pour une période importante). La fonctionnaire n’a pas été « harcelée » comme il a été suggéré. Plutôt, l’employeur a envoyé des rappels concernant les échéances en temps opportun, qui étaient systématiquement ignorés.

126        Je conclus que le défendeur a licencié la fonctionnaire à juste titre parce qu’elle n’était pas en mesure de retourner au travail dans un avenir raisonnablement prévisible. Les allégations de discrimination, de harcèlement et d’intimidation de la fonctionnaire sont sans fondement.

127        Par conséquent, le licenciement aux termes de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP est confirmé.

128        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

129        Le grief est rejeté.

Le 18 avril 2019.

Traduction de la CRTESPF

James Knopp,

une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral

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