Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), pour défaut de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – elle n’était pas satisfaite du règlement qu’on lui avait offert - l’AFPC a soutenu que la plainte était hors délai – la plaignante a soutenu que le dépôt de la plainte avait été fait dans le délai prévu – la Commission a donné le bénéfice du doute à la plaignante et a conclu que la plainte avait été déposée à l’intérieur du délai prévu - la plaignante a aussi allégué que l’AFPC n’avait pas consacré tous les efforts afin de défendre ses intérêts – à cet égard, la Commission a conclu que la plaignante n’avait pas établi que l’AFPC avait agi « de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi » dans sa représentation de la plaignante – en effet, le simple fait pour un employé d’être insatisfait de la représentation, d’être en désaccord avec la stratégie ou de se voir recommander un règlement qu’il ne veut pas par un agent négociateur, n’équivaut pas à un défaut de représentation équitable.

Objection rejetée.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190425
  • Dossier:  561-02-38243
  • Référence:  2019 CRTESPF 48

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

GENEVIÈVE BERGERON

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante :
Elle-même
Pour la défenderesse:
Kim Patenaude, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 27 au 29 novembre 2018, et les 16 et 18 janvier 2019.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1         Geneviève Bergeron, la plaignante, a déposé le 17 avril 2018 une plainte devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou la « défenderesse »). Elle allègue dans sa plainte que l’AFPC a commis une pratique déloyale de travail en contrevenant à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, (L.C. 2003, ch.22, art. 2; la « Loi »), qui interdit à toute « organisation syndicale […] d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation » des membres d’une unité de négociation dont elle est l’agent négociateur.

2         Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II. Résumé de la preuve

3         La plaignante a témoigné pour son compte; la défenderesse a cité à témoigner Guylaine Bourbeau, agente de griefs et à l’arbitrage à l’AFPC. Je résume la preuve des deux témoins, en mettant en lumière les points sur lesquels les témoignages étaient discordants.

4         À partir de 2009, la plaignante a occupé un poste d’adjointe administrative, classifié au groupe et au niveau AS-01, auprès de la Garde côtière canadienne. En 2010, son poste ayant été aboli, elle a accepté une mutation à un poste classifié AS-01, au sein de la direction de la Sécurité et Sûreté de la flotte de la Garde côtière canadienne.

5         Une relation conflictuelle s’est développée entre la plaignante et la direction, qui a donné lieu à plusieurs mesures disciplinaires qu’elle a contestées par voie de griefs. La présente décision ne porte que sur la relation avec l’agent négociateur. Je n’ai aucun élément de preuve au sujet des griefs et ne peux donc me prononcer sur leur bien-fondé.

6         La plaignante a porté plainte contre ses gestionnaires pour harcèlement en août 2011; en mars 2011, après enquête, la plainte a été jugée non fondée. Le rejet de la plainte a également fait l’objet d’un grief.

7         En mai 2012, le médecin traitant de la plaignante recommande que celle-ci occupe temporairement un poste dans une autre direction générale, compte tenu du stress que lui causent ses relations au travail; d’après la plaignante, la demande est refusée. Ce refus fait l’objet d’un grief.

8         De septembre 2012 jusqu’au 14 février 2014, la plaignante a eu différentes affectations dans des secteurs autres que la direction de son poste d’attache. Lorsqu’elle se retrouve sans autre affectation, elle relève de la sous-commissaire aux Opérations de la Garde côtière canadienne, qui la rencontre le 18 mars 2014, en présence de sa représentante syndicale, Nathalie Saint-Louis. Mme Saint-Louis représente les membres dans l’unité de négociation représentée par l’Union canadienne des employés des transports, un des éléments de l’AFPC. Lors de cette rencontre, la sous-commissaire donne à la plaignante trois mois pour se trouver un autre poste au sein du ministère des Pêches et des Océans  (dont fait partie la Garde côtière canadienne) ou de la fonction publique fédérale, faute de quoi elle sera licenciée. La sous-Commissaire ajoute que la plaignante peut également retourner à son poste d’attache, mais avec un billet du médecin qui confirme son aptitude à travailler.

9         La plaignante tente de trouver un autre poste, sans succès. Elle présente un grief relativement à une mutation qui ne s’est pas concrétisée. Selon la plaignante, son médecin traitant refuse de lui fournir un autre billet médical. La plaignante est licenciée le 19 juin 2014. Le licenciement fait également l’objet d’un grief.

10        L’audience au dernier palier de la procédure de grief pour les huit griefs déposés a lieu le 13 janvier 2015, devant la sous-commissaire, qui vient d’être nommée Commissaire. La plaignante est représentée par Mme Saint-Louis. Par la suite, celle-ci laisse savoir à la plaignante que ses griefs ont été renvoyés à l’AFPC le 10 mars 2015 pour analyse, afin de déterminer s’ils devraient être renvoyés à l’arbitrage.

11        Le 17 avril 2015, l’AFPC renvoie les griefs à l’arbitrage devant la Commission (alors nommée Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique). En juin 2015, la plaignante reçoit la réponse au palier final pour les huit griefs, qui sont tous rejetés.

12        Début juin 2015, la plaignante a un entretien avec Daniel Kinsella, analyste de dossiers à l’AFPC. Il lui dit qu’il pense retirer le grief contestant trois jours de suspension. D’après la plaignante, cette suspension a été imposée comme mesure de représailles parce qu’elle a porté plainte contre le harcèlement. Elle ajoute que M. Kinsella lui a dit qu’il était difficile de prouver une mesure de représailles, que la compétence de la Commission à trancher cette question pourrait être contestée parce que le grief a été déposé longtemps après la mesure disciplinaire et qu’il était préférable de laisser tomber. La plaignante refuse, elle veut que la Commission statue sur ce grief.

13        M. Kinsella lui dit qu’il a l’intention de demander à la Commission de procéder par voie de médiation, au motif que la plaignante obtiendrait davantage ainsi. La plaignante accepte à contrecœur puisqu’elle ne croit pas en la médiation. Le 12 juin 2015, l’AFPC communique avec la Commission pour retirer le grief contestant les trois jours de suspension.

14        Un autre agent de l’AFPC, Mme LeCheminant-Chandy, prend la relève le 21 septembre 2015. La plaignante lui dit très clairement qu’elle n’acceptera un règlement hors cour que si l’employeur la réintègre rétroactivement ou lui paie son salaire jusqu’à la retraite (la plaignante est dans la quarantaine).

15        La plaignante est mécontente en décembre 2015 que la médiation tarde tant, puisque les griefs ont été renvoyés en avril 2015. Elle apprend le 18 décembre que la responsable des services de médiation de la Commission, après étude du dossier, juge que la situation n’est pas propice à la médiation. Les griefs seront donc mis au rôle de la Commission. Malgré des appels répétés à l’AFPC, les choses ne semblent pas bouger. Enfin, le 4 août 2017, elle est informée de la date d’audience (novembre 2017) et du nom de l’agente de griefs et d’arbitrage qui doit la représenter à l’audience, Guylaine Bourbeau.

16        Mme Bourbeau a témoigné à l’audience. Elle est maintenant à la retraite. Elle a été agente de grief pour l’arbitrage de 2006 à 2018. Auparavant, de 1994 à 2006, elle a été conseillère syndicale, représentant des membres auprès de la Commission des lésions professionnelles et d’autres tribunaux. De 1989 à 1994, elle était conseillère syndicale pour l’un des éléments de l’AFPC, soit Emploi et Immigration. Elle représentait alors les membres jusqu’au dernier palier de la procédure de grief, pour des dossiers de dotation et devant le conseil arbitral et le juge-arbitre pour des dossiers d’assurance-emploi. Elle a débuté à la fonction publique en 1971, où elle a travaillé jusqu’en 1989, alors qu’elle occupait un poste à ce qui s’appelait à l’époque la Commission de l’assurance-chômage. Elle a travaillé notamment comme conseillère à l’emploi pour aider les personnes en chômage à se trouver un emploi.

17        Pour la période pertinente à la plainte, Mme Bourbeau était agente de grief pour la région du Québec. Son bureau se trouvait à Montréal, mais elle était souvent appelée à représenter des membres à différents endroits du Québec, y compris à Gatineau et à Ottawa.

18        Dès qu’elle apprend que Mme Bourbeau va la représenter à l’arbitrage de ses griefs, la plaignante communique avec elle. Mme Bourbeau lui dit qu’elle n’a pas encore reçu son dossier, et qu’elle part en vacances sous peu, du 11 août jusqu’au 11 septembre 2017. Elles échangent au sujet du médecin traitant. Le 10 août 2017, l’adjointe de Mme Bourbeau fait parvenir un formulaire de consentement à la plaignante afin que celle-ci accorde à Mme Bourbeau la permission de parler à son médecin.

19        Mme Bourbeau a témoigné avoir pris connaissance du dossier avant de partir en vacances. Elle regarde les griefs ainsi que les analyses faites jusqu’à ce moment-là par divers intervenants syndicaux : Mme St-Louis, qui a représenté la plaignante au niveau de l’élément jusqu’au dernier palier de grief, M. Kinsella, Mme LeCheminant-Chandy et également Lyndsay Cheong, de la section d’analyse des griefs de l’AFPC. Elle communique directement avec Mme St-Louis pour avoir plus de détails sur la fin d’emploi.

20        La plaignante communique avec Mme Bourbeau le 10 août 2017. Elles discutent de la preuve médicale. D’après la plaignante, son médecin traitant  ne voulait pas signer un certificat de retour au travail, qui aurait été nécessaire pour qu’elle demeure dans son emploi.

21        De retour de vacances, Mme Bourbeau parle avec la plaignante par téléphone. Elles conviennent de se rencontrer début octobre, et qu’avant la rencontre Mme Bourbeau parlera au médecin de famille de la plaignante.

22        Mme Bourbeau parle au médecin le 22 septembre. Le médecin indique que la plaignante n’a pas de limitation fonctionnelle. Mme Bourbeau lui demande pourquoi elle  n’a pas voulu signer un billet d’aptitude au travail. Le médecin répond que c’est la plaignante qui ne voulait pas d’un billet qui la réintégrerait dans son poste d’attache. Elle  a refusé de fournir un certificat de complaisance.

23        Le médecin indique aussi qu’elle n’a pas de notes évolutives relatives à la capacité de travailler. Si de telles notes existaient, selon Mme Bourbeau, l’AFPC aurait été prête à demander à un expert de témoigner sur l’aptitude au travail. Comme les notes n’existent pas, il n’y a aucune utilité à faire témoigner un expert médical ou le médecin de famille. Le 25 septembre 2017, elle fait rapport à la plaignante de la conversation tenue avec le médecin.

24        Le 2 octobre 2017, Mme Bourbeau envoie l’avis d’audience, accompagné d’une liste de demandes du procureur de l’employeur, Sean Kelly, portant sur la preuve pour l’audience. La plaignante souligne que d’après les chaînes de courriel, Mme Bourbeau a reçu l’avis le 27 septembre et les demandes de Me Kelly le 29 septembre; pourtant, le tout n’a été transmis que le 2 octobre.

25        Mme Bourbeau souligne qu’elle était à Québec les 27, 28 et 29 septembre 2017, donc loin de son bureau. Elle recevait ses messages, mais il lui était plus facile de fonctionner à partir de son bureau. Le lundi suivant, le 2 octobre, elle fait parvenir les documents à la plaignante et lui donne rendez-vous pour une rencontre le 5 octobre, aux bureaux de l’AFPC, à Gatineau.

26        La plaignante prétend qu’à cette première rencontre, Mme Bourbeau l’a tutoyée dès le début, ce qui l’a indisposée. De son côté, Mme Bourbeau affirme qu’elle n’a jamais tutoyé la plaignante et qu’agir ainsi aurait été complètement contraire à ses habitudes professionnelles, soit de vouvoyer les personnes qu’elle rencontrait. Selon elle, elle ne tutoyait que des personnes qu’elle connaissait depuis longtemps, et ce, avec leur permission.

27        La plaignante attendait que Mme Bourbeau lui présente une liste de questions pour se préparer pour l’audience; elle soutient que malgré les promesses de Mme Bourbeau, elle n’a jamais reçu cette liste et que sa confiance en a été ébranlée.

28        Mme Bourbeau, pour sa part, a expliqué qu’il s’agissait de préparer le dossier en comprenant bien la séquence des événements. Elle avait revu les documents au dossier, et son intention était de repasser la preuve avec la plaignante pour préparer son témoignage. Elles ont travaillé toute la journée.

29        Mme Bourbeau a témoigné que la discussion avait été difficile parce que la plaignante revenait toujours sur la façon dont elle avait été traitée par les gestionnaires; Mme Bourbeau essayait de lui expliquer que, aux fins de l’audience, des faits étaient nécessaires.

30        Selon Mme Bourbeau, le grief contestant le licenciement était le plus important. La prétention de l’employeur était qu’il avait fait de son mieux pour accommoder la plaignante, qu’elle n’avait pas sérieusement cherché un autre emploi et qu’il n’y avait aucun certificat médical appuyant sa réintégration dans son poste d’attache ou justifiant la mise en place d’un accommodement médical. Il fallait des preuves solides d’une recherche sérieuse d’emploi. Mme Bourbeau a aussi exploré les possibilités d’envisager un poste ailleurs, par exemple à Montréal.

31        La plaignante a alors partagé beaucoup de son vécu avec Mme Bourbeau, qui dit l’avoir écoutée avec attention et compassion. Mme Bourbeau comprenait que le licenciement, en soi toujours une chose difficile à vivre, s’ajoutait à d’autres expériences pénibles.

32        Mme Bourbeau a tenté de ramener la discussion à des questions concrètes, c’est-à-dire les preuves de recherche d’emploi. La plaignante a répondu que toute l’information était sauvegardée sur une clé USB qu’elle avait remise au syndicat, et qui faisait état de ses recherches jusqu’en 2016. Mme Bourbeau voulait que la plaignante dresse un tableau avec les postes auxquels elle avait posé sa candidature et le résultat de ses démarches.

33        La plaignante revenait beaucoup à l’idée que son licenciement était un congédiement déguisé. Mme Bourbeau a tenté de lui expliquer que ce ne pouvait être le cas, puisqu’elle avait été licenciée – il n’y avait rien de déguisé. Mme Bourbeau a promis de parler à Mme Saint-Louis qui, selon la plaignante, avait plaidé le congédiement déguisé au dernier palier de la procédure de grief.

34        Mme Bourbeau a expliqué le déroulement de l’audience à la plaignante. Elle lui a dit qui étaient le commissaire et l’avocat de l’employeur. Elle lui a dit que l’employeur ou le commissaire pourrait encourager la médiation. La plaignante a vivement réagi à cette idée : elle n’en voulait pas. Mme Bourbeau lui a dit qu’elle comprenait qu’elle n’avait pas le mandat de proposer la médiation. Par contre, a ajouté Mme Bourbeau, s’il y avait une offre faite par l’employeur pour régler le dossier, elle avait le devoir d’en aviser la plaignante, qui aurait le loisir de l’accepter ou de la refuser.

35        À cette rencontre du 5 octobre 2017, la plaignante a été fort surprise que Mme Bourbeau lui dise qu’au fond son dossier était assez simple. D’après la plaignante, Mme Bourbeau ne voulait pas convoquer de témoins.

36        Un courriel daté du 10 octobre 2017 confirme que Mme Bourbeau a communiqué avec Mme Saint-Louis au sujet du libellé du grief. À l’audience, la plaignante a beaucoup insisté que ce fait l’avait choquée. Je crois comprendre que c’est parce que Mme Bourbeau semblait douter que Mme Saint-Louis ait parlé de congédiement déguisé. Les notes de Mme Saint-Louis ont été déposées en preuve à l’audience. Elle ne parle pas de congédiement déguisé; dans le grief, on parle de « décision injuste ».

37        Selon la plaignante, Mme Bourbeau semblait réticente à plaider certains aspects du dossier. Par exemple, elle ne voulait pas plaider qu’il y a avait eu discrimination quant à l’accommodement pour des raisons médicales. Elle soutenait que la Commission n’aurait pas compétence pour trancher un dossier de dotation, et la plaignante en a déduit qu’elle ne voulait pas plaider le grief de mutation.

38        La plaignante avait déposé un grief demandant qu’une journée de congé prise pour un rendez-vous médical soit convertie en congé de maladie . Mme Bourbeau était contre l’idée de plaider ce grief. Elle était également contre l’idée de plaider le grief concernant le rejet de la plainte de harcèlement. Finalement, a témoigné la plaignante, seuls les deux griefs de suspension et le grief contre le licenciement seraient plaidés. Elle se sentait trahie; elle avait l’impression que Mme Bourbeau voulait faire plaisir à l’employeur. La plaignante ne comprenait pas pourquoi des griefs que l’AFPC avait renvoyés à l’arbitrage soudain n’étaient plus arbitrables.

39        Selon la plaignante, Mme Bourbeau a tenté de la convaincre de renoncer à ses droits en lui disant que même si elle avait gain de cause et réintégrait son poste, elle serait victime de représailles de la part de l’employeur, qui organiserait mieux le licenciement la prochaine fois. La confiance de la plaignante était vraiment minée.

40        Mme Bourbeau a nié avoir dit que si la plaignante était réintégrée dans son poste elle serait victime de représailles. Bien qu’elle ait songé que les dossiers disciplinaires auraient plus de chances de succès en arbitrage de grief, elle n’a pas imposé le retrait de quoi que ce soit.

41        Mme Bourbeau a témoigné qu’à plusieurs reprises elle avait demandé à la plaignante de lui fournir la liste des postes auxquels elle avait posé sa candidature. D’après la plaignante, toute cette information figurait sur une clé USB qu’elle avait déjà remise au syndicat. Cette clé comprenait les démarches faites jusqu’en avril 2016; elle avait compilé cette liste à la demande de Mme LeCheminant-Chandy. D’après la plaignante, Mme Bourbeau n’a pas regardé la clé USB.

42        Mme Bourbeau a dit avoir regardé tous les documents, mais elle voulait une liste claire. De plus, elle avait reçu de l’employeur une liste de documents demandés pour l’audience concernant l’état médical de la plaignante et ses démarches de recherche d’emploi.

43        La plaignante s’est plainte de commentaires « infantilisants » qu’aurait faits Mme Bourbeau, du genre « Pauvre petite fille […] ». Mme Bourbeau a nié catégoriquement avoir tenu ce genre de propos.

44        Le 10 octobre 2017, Mme Bourbeau propose à la plaignante une offre de règlement présentée par l’employeur. Après y avoir réfléchi, la plaignante refuse l’offre. Le 11 octobre 2017, la plaignante téléphone à l’AFPC pour se plaindre des agissements de Mme Bourbeau qui, selon elle, la harcèle pour qu’elle règle le dossier sans audience. La plaignante a aussi l’impression que Mme Bourbeau ne comprend pas son dossier.

45        Le même jour, Mme Bourbeau l’appelle. D’après la plaignante, Mme Bourbeau aurait tenu des propos inappropriés, du genre, elle pardonne mais n’oublie pas. La plaignante ne comprend pas – elle n’a rien à se faire pardonné. Selon elle, c’est plutôt Mme Bourbeau qui devrait s’excuser, elle ne comprend pas bien le grief de licenciement. Mme Bourbeau a nié avoir tenu ce discours et a dit ne pas avoir été au courant de la plainte à ce moment-là.

46        La plaignante prétend avoir voulu « limiter les dommages » lorsqu’elle envoie le courriel suivant à Mme Bourbeau après son appel :

Suite à notre conversation téléphonique qui vient de se terminer. Merci de votre appel. Je me sens mieux éclairée sur les processus et la stratégie. Et puis, j’ai laissé un message d’explication au bureau de coordination disant que mes inquiétudes sont dissipées.

47        Le 13 octobre, Mme Bourbeau transmet à la plaignante une nouvelle offre de l’employeur. Mme Bourbeau indique à la plaignante qu’elle trouve l’offre particulièrement généreuse. Selon la compréhension de la plaignante, elle devait recevoir une somme libre d’impôt. Mme Bourbeau a témoigné qu’elle n’a jamais dit que la somme, fondée sur le salaire, serait libre d’impôt, puisqu’une telle condition n’est jamais accordée.

48        La plaignante insiste pour que le salaire soit au taux de 2017 plutôt qu’au taux de 2014, l’année du licenciement. L’employeur accepte. L’offre comprend également la radiation des mesures disciplinaires et une lettre de référence.

49        Le 13 octobre, par courriel, la plaignante accepte en principe l’offre de règlement, même si elle est dépitée de l’impôt imposé. Lorsque Mme Bourbeau reçoit le protocole d’entente le 17 octobre, elle y trouve les conditions négociées. Elle l’accepte en principe et envoie un avis à la Commission pour faire annuler l’audience, selon la procédure habituelle.

50        Toutefois, lorsque la plaignante reçoit le protocole d’entente par courriel, le 17 octobre 2017, elle le rejette parce que la lettre de référence est en réalité qu’une simple lettre de confirmation d’emploi. Le 19 octobre 2017, l’AFPC lui fait parvenir le protocole d’entente par courrier express. Du 19 octobre au 30 novembre 2017, la plaignante cesse tout contact avec Mme Bourbeau. Elle est convaincue de s’être fait avoir. L’audience n’a pas eu lieu en raison du protocole d’entente.

51        La plaignante était convaincue qu’en acceptant le protocole d’entente, elle aurait à rembourser les prestations d’assurance-emploi, ce que lui a confirmé une personne avec qui elle a communiqué.

52        Mme Bourbeau a témoigné à l’audience qu’en fait, compte tenu du règlement et de la non-réintégration de la plaignante, celle-ci n’aurait pas à rembourser l’assurance-emploi. Elle a dit que ce genre de situation se produisait souvent, que le syndicat était habitué, et qu’il saurait conseiller la plaignante sur la procédure à suivre. La plaignante ne la croyait pas.

53        La plaignante a manifesté son mécontentement à l’égard de Mme Bourbeau à l’AFPC dès le 30 octobre 2017. Mme Bourbeau a témoigné avoir communiqué avec la plaignante ce jour-là, et que celle-ci lui aurait annoncé le décès de sa grand-mère, dont elle était très proche.

54        La plaignante a déclaré à l’audience que c’était impossible, puisque sa grand-mère est décédée en décembre. Elle a concédé que pendant cette période, elle était fort préoccupée par sa grand-mère qui était mourante.

55        À partir du 30 novembre 2017, les discussions reprennent et Mme Bourbeau tente de solutionner le problème de la lettre de référence. La plaignante ne peut proposer le nom d’un gestionnaire qui pourrait écrire une telle lettre, parce ses affectations ont été trop courtes. Mme Bourbeau tente de la convaincre qu’une lettre faisant état de son service au Ministère des Pêches et Océans pourrait suffire, mais Mme Bergeron insiste pour obtenir une lettre de référence, sans proposer qui la signerait. Le 22 décembre 2017, la plaignante a signifié par lettre son rejet du protocole d’entente.

56        Le 18 janvier 2018, la plaignante reçoit une lettre de l’employeur à la suite de son rejet du protocole d’entente. Joints à cette lettre se trouvent des échanges courriel entre Me Kelly et Mme Bourbeau au sujet du protocole d’entente. La plaignante constate que le 17 octobre 2017, Mme Bourbeau a accepté en bloc l’offre de l’employeur, alors que la plaignante n’avait pas encore vu le texte final. Le même jour, Mme Bourbeau a signifié à la Commission une demande de remise d’audience sine die. Ces courriels ont confirmé à la plaignante le manque de loyauté de Mme Bourbeau, et c’est à ce moment qu’elle a décidé de déposer une plainte contre le syndicat.

57        La plaignante continue ses échanges avec l’AFPC en janvier et février 2018. Le 1er mars 2018, l’AFPC informe Mme Bergeron qu’un nouvel agent de griefs et d’arbitrage a été assigné à son dossier. L’AFPC continue de représenter la plaignante.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

58        La lettre de référence promise n’était pas une véritable lettre de référence, et Mme Bourbeau n’a fait aucun effort pour obtenir une telle lettre de l’employeur.

59        Mme Bourbeau n’a pas consacré tous les efforts pour défendre les intérêts de la plaignante. Elle semblait préférer le règlement plutôt que de plaider le dossier à l’arbitrage de grief. Elle a beaucoup insécurisé la plaignante, au point de lui faire accepter le principe du règlement hors cour. La plaignante s’est sentie manipulée.

60        La plaignante reproche à Mme Bourbeau d’avoir accepté le protocole d’entente, le 17 octobre 2017, avant même de lui montrer. En même temps, l’audience a été reportée sine die, à l’insu de la plaignante; elle n’a jamais eu la chance de plaider sa cause devant la Commission.

61        Mme Bourbeau n’a pas utilisé ce qu’elle avait pour le dossier, par exemple, la preuve de recherche d’emploi qui se trouvait sur une clé USB. La plaignante avait déjà expliqué à Mme Saint-Louis et Mme LeCheminant-Chandy ses démarches pour trouver un autre emploi avant d’être licenciée. L’agent négociateur avait l’information en main.

62        Mme Bourbeau a dit que le dossier était simple, qu’on aurait le temps de préparer l’audience; en même temps, elle se plaignait qu’il manquait des documents. La plaignante ne savait plus sur quel pied danser. Surtout, elle était déçue que Mme Bourbeau ne semble pas convaincue de la justesse de sa cause.

63        La plaignante a le sentiment qu’on ne l’a pas représentée de la façon dont elle voulait être représentée, et l’acceptation immédiate du protocole en est un signe.

B. Pour la défenderesse

64        Le libellé de l’article 187 est clair : la plaignante a le fardeau de prouver que l’agent négociateur a agi « … de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation… » de la plaignante. La jurisprudence a établi que ce fardeau est élevé. Il ne s’agit pas pour la Commission de décider si l’agent négociateur a pris de bonnes ou mauvaises décisions, mais plutôt de déterminer s’il a agi de façon arbitraire ou discriminatoire ou avec mauvaise foi.

65        La défenderesse a passé en revue quelques décisions de la jurisprudence qui confirment le rôle de la Commission et la portée du défaut de représentation équitable, notamment Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, Kozar and Professional Employees’ Association and The Government of the Province of British Columbia, 2011 (CanLII) 75286 (BC LRB), Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20 et Sayeed c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 44, qui offrent nombre de points en commun avec la situation en l’espèce. J’y reviendrai dans mon analyse.

66        Essentiellement, la jurisprudence établit que la représentation que doit fournir l’agent négociateur n’est pas nécessairement celle qui est souhaitée ou voulue par le membre représenté. Un désaccord de stratégie, une évaluation différente de la force des griefs, une négociation qui n’obtient pas tout ce que souhaiterait le membre – toutes ces actions ne constituent pas une preuve que le syndicat a agi de façon arbitraire ou discriminatoire ou avec mauvaise foi.

67        Pour établir de tels agissements, il faut plus. Une action arbitraire est une action qui n’a pas de lien logique avec la situation, ou qui est gravement négligente. Agir de façon discriminatoire signifie traiter le membre représenté de façon défavorable pour des motifs qui trahissent un préjugé à l’égard du membre. Enfin, la mauvaise foi se manifeste par un comportement clairement hostile et contraire aux intérêts du membre.

68        La défenderesse soutient que, dans la présente situation, on ne trouve aucune trace d’une action qui serait arbitraire ou de mauvaise foi. La discrimination n’a pas été alléguée.

69        L’agent négociateur a analysé avec sérieux et diligence le dossier de la plaignante. Mme Bourbeau s’est mise à sa disposition dès que le dossier lui a été assigné. Elle a consacré du temps et de l’énergie pour bien comprendre tous les éléments du dossier. Elle a bien compris le mandat que lui avait donné la plaignante, laquelle ne voulait pas de médiation ou de règlement. Pourtant, lorsque l’employeur a fait une première offre, il était de son devoir d’en parler avec la plaignante.

70        En tout temps, Mme Bourbeau a clairement communiqué ce qui était offert. Lorsque la plaignante a demandé davantage, Mme Bourbeau l’a communiqué à l’employeur. Selon sa compréhension des échanges de courriels avec la plaignante en date du 13 octobre 2017,  la plaignante accepterait l’offre si le salaire était celui de 2017. Le protocole d’entente reçu le 17 octobre 2017 reflète cette condition; elle l’a donc accepté de bonne foi.

71        La plaignante n’était pas satisfaite de la lettre de confirmation d’emploi qui ne faisait pas état de tout son service. La lettre a été corrigée. Mme Bourbeau a demandé à la plaignante les noms de gestionnaires qui pourraient signer une lettre de référence. La plaignante ne lui a fourni aucun nom.

72        Mme Bourbeau a continué d’assurer le suivi. En décembre, le protocole d’entente a été refusé formellement par lettre. L’agent négociateur continue d’assurer la représentation pour tous les griefs.

73        En tout temps, Mme Bourbeau a agi avec professionnalisme et respect. La plaignante lui reproche de ne pas avoir assez cru en son dossier. Le rôle de l’agent négociateur est de représenter au meilleur de ses connaissances, et cela comprend de signaler au membre les forces et les faiblesses de son dossier, d’un point de vue objectif.

IV. Analyse

A. Objection quant au délai

74        La défenderesse soutient que la plainte est hors délai. Les événements relatifs à la plainte contre Mme Bourbeau étaient connus dès octobre 2017. L’insatisfaction était liée en grande partie au protocole d’entente négocié par Mme Bourbeau et Me Kelly. La date de départ pour le délai de la plainte est donc le moment où la plaignante a refusé le protocole d’entente, soit le 17 octobre 2017. Par conséquent, la plaignante n’a pas respecté le délai de 90 jours prévu à l’article 190 de la Loi, un délai de rigueur d’après la Loi et la jurisprudence qui a interprété cette disposition.

75        Pour sa part, la plaignante soutient que la plainte naît lorsqu’elle prend connaissance des échanges entre Mme Bourbeau et Me Kelly, le 18 janvier 2018. Le dépôt de la plainte le 14 avril 2018 est, selon elle, dans le délai de 90 jours.

76        L’article 190 s’applique aux plaintes présentées à la Commission, notamment pour pratiques déloyales au sens de l’article 185 de la Loi, ce qui inclut la plainte d’un membre d’une unité de négociation contre son agent négociateur pour défaut de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi. Le passage pertinent de l’article 190 se lit comme suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

77        Il s’agit de déterminer le moment où la plaignante a eu connaissance des mesures ou circonstances qui ont donné lieu à sa plainte. Je suis prête à accorder le bénéfice du doute à la plaignante, qui n’a pas vu les échanges entre Mme Bourbeau et Me Kelly avant le 18 janvier 2018. L’enjeu principal de sa plainte est qu’on n’a pas tenu compte de ses objections – Mme Bourbeau a accepté l’entente, et demandé une remise à la Commission, sur la base des discussions qu’elle avait eues avec Me Kelly, avant d’envoyer à la plaignante le protocole d’entente final.

78        Je considère donc que la plainte a été déposée à l’intérieur du délai prévu.

79        La question est de savoir si Mme Bourbeau, dans sa représentation de la plaignante, a contrevenu à l’article 187 de la Loi en ne la représentant pas de façon équitable.

B. Plainte pour défaut de représentation équitable

80        L’article 187 de la Loi se lit comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

81        L’obligation est donc imposée par la Loi, mais le point de départ de son interprétation est donnée dans une décision où l’obligation a été définie pour les syndicats qui ont l’exclusivité de la représentation devant un tribunal d’arbitrage (ce qui n’est pas le cas pour le régime de la Loi, mais la Commission et les commissions qui l’ont précédé appliquent néanmoins les principes de l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autres, [1984] 1 R.C.S. 509). La Cour suprême du Canada y énonce les principes suivants :

  • Le syndicat, qui agit à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation, a l’obligation d’assurer la juste représentation des tous les employés dans l’unité;
  • le syndicat jouit néanmoins d’une discrétion appréciable;
  • cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du dossier;
  •  « La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié ». Guilde de la marine marchande du Canada, p. 527)

82        Dans le contexte des plaintes portées devant la Commission pour défaut de représentation équitable, je retiens quelques décisions qui illustrent comment ces principes ont été appliqués.

83        La plaignante dans l’affaire Basic était également insatisfaite du règlement qu’on lui offrait. Elle avait l’impression que son agent négociateur et l’employeur s’entendaient pour lui imposer. Dans ce cas-là, l’agent négociateur a informé Mme Basic qu’il ne la représenterait pas à l’arbitrage. Mme Basic, comme la plaignante en l’espèce, était d’avis que l’agent négociateur avait mal évalué son dossier et avait saisi l’occasion du règlement pour s’en défaire.

84        La Commission (Commission des relations de travail dans la fonction publique à l’époque) a jugé que l’agent négociateur avait agi de bonne foi, sans discrimination ni manière arbitraire. Elle conclut son analyse de la façon suivante :

113 La plaignante a critiqué presque tous les aspects de la participation du syndicat dans les négociations relatives au règlement : du rythme des négociations au contenu du règlement, en passant par le fait qu’elle croyait avoir été obligée d’accepter un règlement inférieur à ses attentes. Son insatisfaction à l’égard de la procédure découlait, comme je l’ai mentionné, de son refus d’accepter l’évaluation de la force de ses griefs par le syndicat et de la décision de ce dernier de ne pas la représenter en arbitrage, mais ce ne sont pas des questions que je dois trancher. Aucune preuve n’indique que le syndicat a adopté, à l’égard des négociations relatives au règlement, une approche qui n’était pas professionnelle ou diligente. Il n’y a également aucune preuve qui atteste une attitude arbitraire, discriminatoire ou teintée de mauvaise foi envers la plaignante et, par conséquent, je ne peux accueillir la plainte.

85        Le plaignant dans l’affaire Kozar était insatisfait des modalités du versement du montant obtenu dans le cadre d’un règlement. M. Kozar était d’avis qu’il avait été mal représenté par son syndicat, et que celui-ci avait exercé de la pression pour qu’il accepte le règlement proposé par son employeur. L’arbitre de grief a jugé que cette pression n’était pas indue, mais plutôt partie intégrante de la négociation d’ententes dans le cadre des relations de travail. Il a conclu que le syndicat avait représenté M. Kozar avec diligence; l’arbitre de grief a dit ne pas avoir à se prononcer à savoir si le règlement aurait pu être amélioré.

86        Dans l’affaire Paquette, Mme Paquette a été représentée par un agent négociateur à l’arbitrage, mais la Commission a rejeté les deux griefs. Mme Paquette a alors porté plainte contre l’agent négociateur au motif qu’il ne l’avait pas bien représentée. La Commission a rejeté la plainte, parce qu’elle n’était pas étayée. La Commission écrit ce qui suit sur la portée de l’article 187 :

38 L’article 187 ne vise pas nécessairement les déceptions, les désaccords et les attentes non satisfaites d’une personne. En l’espèce, la plaignante suggère que le syndicat a manqué à son devoir de juste représentation puisqu’elle n’est pas satisfaite de la représentation qu’elle a reçue. Cette représentation ne satisfaisait pas à ses attentes. Toutefois, l’objet de l’article 187 n’est pas de servir de redressement aux plaignants qui invoquent le manquement au devoir de représentation dès qu’ils ne sont pas satisfaits d’une décision ou d’un geste de l’organisation syndicale. Il vise la dénonciation de gestes répréhensibles sérieux. Or, la plaignante ne dénonce pas de gestes répréhensibles sérieux dans sa plainte. Le simple fait qu’un grief soit rejeté par la Commission ne constitue pas une preuve en soi qu’un représentant syndical a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en représentant un fonctionnaire.

87        En l’espèce, les griefs n’ont pas encore été entendus. Toutefois, il y a une similitude entre l’insatisfaction de Mme Paquette et celle de la plaignante, dans le sens d’un espoir déçu quant à la représentation.

88        Dans l’affaire Sayeed, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC »), l’agent négociateur en cause, a conseillé à M. Sayeed d’accepter l’offre de règlement parce que, selon l’IPFPC, il ne pouvait espérer obtenir davantage à l’arbitrage. L’IPFPC a également signifié à M. Sayeed qu’il ne serait plus représenté s’il refusait l’offre. M. Sayeed était fort déçu de la représentation de son agent négociateur, notamment parce qu’il ne se sentait pas défendu quant au harcèlement qu’il disait avoir subi. M. Sayeed était complètement en désaccord avec le protocole d’entente qui avait été négocié, qui le privait, selon lui, de son droit d’être entendu par la Commission. Lorsque M. Sayeed a refusé le protocole d’entente, l’IPFPC a cessé sa représentation. Néanmoins, la Commission a jugé qu’il n’y avait pas pour autant représentation inéquitable.

89        Ces décisions s’inscrivent dans une jurisprudence constante de la Commission, selon laquelle l’employé n’établit pas qu’il y a eu défaut de représentation équitable du seul fait qu’il est insatisfait de la représentation, qu’il n’est pas d’accord avec la stratégie ou que l’agent négociateur lui recommande un règlement dont il ne veut pas.

90        En l’espèce, j’estime que la plaignante n’a pas établi que la défenderesse, par l’entremise de Mme Bourbeau, avait agi « de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi » dans sa représentation de la plaignante.

91        L’insatisfaction bien manifeste de la plaignante quant à la représentation de Mme Bourbeau n’est pas le barème pour la Commission. La plaignante l’a dit à l’audience : « Je voulais quelqu’un qui me donnerait son 110 pour cent, qui croirait complètement à ma cause et me défendrait jusqu’au bout ».

92        Mme Bourbeau a analysé le dossier avec sérieux. Il était de son devoir de donner l’heure juste à la plaignante, de lui dire ce qu’elle pourrait espérer gagner et ce qui d’avance semblait peu prometteur, d’où le conseil d’abandonner certains griefs. Encore une fois, les griefs n’ont pas été entendus, et il est impossible pour moi de dire quelles seraient leurs chances de succès devant la Commission. Cela dit, Mme Bourbeau avait beaucoup d’expérience en la matière, alors que, sans vouloir manquer de respect envers la plaignante, celle-ci n’en avait pas. Bon nombre de reproches adressés à Mme Bourbeau reflètent une méconnaissance des relations de travail.

93        La plaignante était insatisfaite du fait que Mme Bourbeau ne semblait pas convaincue que tous ses griefs avaient une chance de succès. Cette évaluation de la part de Mme Bourbeau ne découlait pas d’une absence de conviction quant à l’importance de la représentation, mais bien de son expérience. Mme Bourbeau a tenté d’expliquer son raisonnement, mais la plaignante percevait ces explications comme du défaitisme ou une concession à l’employeur.

94        Mme Bourbeau a remis en question l’insistance de la plaignante sur la notion de congédiement déguisé. Il n’était pas déraisonnable de la part de Mme Bourbeau de penser que le licenciement n’était pas déguisé – il était énoncé clairement et sans détour dans la lettre de licenciement.

95        Mme Bourbeau n’a pas retiré de griefs du dossier dont on l’avait chargée. Il était néanmoins de son devoir de souligner les faiblesses du dossier telles qu’elle les percevait. Elle aurait failli à son devoir en ne le faisant pas.

96        Mme Bourbeau a bien compris que la plaignante ne souhaitait pas un règlement hors cour, qu’elle préférait aller en arbitrage de grief. Cela dit, Mme Bourbeau avait l’obligation de présenter l’offre de l’employeur. Elle a négocié avec l’employeur pour améliorer l’offre, elle a exprimé son opinion quant à la générosité de l’offre et quant à l’incertitude qui entoure le résultat d’un arbitrage. Il n’y avait aucune malice ou mauvaise foi dans cette opinion, laquelle était fondée sur l’expérience de Mme Bourbeau comme agente de grief.

97        Un des éléments clés de la plainte est le fait que Mme Bourbeau a accepté le protocole d’entente et qu’elle a demandé la remise de l’audience avant de présenter la version finale du protocole d’entente à la plaignante. Si le protocole d’entente avait été significativement différent de l’entente à laquelle la plaignante avait donné son accord, il y aurait peut-être matière à critiquer. Mais l’entente était la même que la plaignante avait déjà accepté. La seule différence était que l’employeur n’offrait qu’une lettre de confirmation d’emploi, plutôt qu’une véritable lettre de référence.

98        Mme Bourbeau a bien expliqué les patientes démarches qu’elle a faites pour tenter d’obtenir une lettre à la satisfaction de la plaignante. La lettre a été modifiée afin d’y inclure une partie omise de l’expérience de travail de la plaignante. Cela dit, la plaignante ne pouvait suggérer le nom d’un gestionnaire qui pourrait signer une véritable lettre de référence. Compte tenu des nombreuses affectations à court terme de la plaignante, la lettre de confirmation paraissait un compromis acceptable.

99        Le dossier du protocole d’entente a été mené de façon compétente, dans l’intérêt de la plaignante. Celle-ci a refusé l’entente. C’était son droit. Mme Bourbeau a assuré le suivi, malgré le silence de la plaignante pendant près de deux mois.

100        Mme Bourbeau a fait de son mieux, mais la plaignante était insatisfaite. Encore une fois, l’insatisfaction n’est pas le critère qu’utilise la Commission pour conclure qu’il y a eu un défaut de représentation. La plaignante ne m’a présenté aucune preuve que Mme Bourbeau avait agi de façon discriminatoire, de façon arbitraire ou avec mauvaise foi.

101        Il est évident que Mme Bourbeau a consacré beaucoup de temps et d’efforts au dossier de la plaignante. Elle a étudié le dossier avec soin, elle a communiqué avec le médecin de la plaignante et avec la représentante syndicale qui avait présenté le grief à l’employeur jusqu’au dernier palier de la procédure de grief. Elle n’a pas cherché à régler le dossier, mais quand une offre de règlement a été faite, elle l’a présentée à la plaignante, comme elle devait le faire. Elle a négocié de meilleures conditions, sur les instances de la plaignante. Elle croyait sincèrement que l’offre avait été acceptée, et les courriels envoyés par la plaignante le 13 octobre 2017 démontrent que cette croyance était raisonnable.

102        On ne peut donc reprocher à Mme Bourbeau d’avoir accepté le protocole d’entente envoyé par l’employeur le 17 octobre 2017. Elle pensait sincèrement que l’offre était généreuse et acceptable. Malgré les efforts déployés pour en arriver à un règlement satisfaisant, qu’elle croyait de bonne foi être dans l’intérêt de la plaignante, elle n’a pas cherché à mettre fin à la représentation par l’AFPC. Et de fait, l’AFPC continue de représenter la plaignante.

103        Je n’ai pas à me prononcer sur le protocole d’entente ni sur les chances de succès de la plaignante si l’affaire procède devant la Commission. Je peux toutefois conclure que Mme Bourbeau a agi avec diligence, en se fondant sur son expérience, pour conseiller la plaignante. Les quelques divergences dans leurs témoignages respectifs ne changent rien à mon analyse. Les nombreux échanges courriel et les conversations attestées par les deux montrent amplement le travail effectué par Mme Bourbeau. Je n’ai noté aucun manque de respect dans la façon dont Mme Bourbeau a parlé de ses interactions avec la plaignante. Il était frappant de constater, dans les témoignages, l’analyse détachée que Mme Bourbeau faisait de la situation, par rapport à l’engagement émotif, parfaitement compréhensible, de la plaignante. Il me semble que les désaccords sur leurs échanges sont davantage attribuables à leurs perspectives différentes qu’au manque de respect de la part de Mme Bourbeau (infantilisation, tutoiement, remarques déplacées) qu’allègue la plaignante.

104        Je ne peux conclure à la mauvaise foi, à la discrimination ni au caractère arbitraire de la représentation offerte par l’AFPC. Par conséquent, je juge que la plainte n’est pas fondée.

105        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

106        La plainte est rejetée.

Le 25 avril 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.