Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé chacun un grief sur la rémunération de leurs tâches à titre de formateurs – selon les trois paramètres suivants, la Commission a décidé que l’action des fonctionnaires s’estimant lésés constituait de la formation et non du mentorat : l’organisation dans le temps, la nature des tâches et l’évaluation – l’évaluation est la dimension qui apparaissait la plus importante à la Commission, car elle donnait la mesure de la responsabilité du formateur – un des facteurs décisifs était l’octroi actuel de la prime de formateur aux accompagnateurs de recrues – les griefs ne sont pas des griefs continus; ils s’agit plutôt de griefs ponctuels – la Commission n’avait pas l’autorité d’accorder des intérêts dans ce cas – la Commission ne pouvait ordonner à l’employeur de rembourser les dépenses des fonctionnaires s’estimant lésés pour avoir assisté à l’audience puisque l’affaire est une simple interprétation de la convention collective sans aucune malveillance de la part de l’employeur.

Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190501
  • Dossier:  566-02-6881, 566-02-6987
  • Référence:  2019 CRTESPF 49

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

STÉPHANE ROY ET DANIEL BERCIER

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Roy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Olivier Rousseau, UCCO-SACC-CSN
Pour l'employeur:
Andréanne Laurin, avocate
Affaire entendue à Québec (Québec),
le 4 mai 2018, et les 22 et 23 janvier 2019.

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1         Les fonctionnaires s’estimant lésés, Stéphane Roy et Daniel Bercier (les « fonctionnaires »), ont déposé chacun un grief sur la rémunération de leurs tâches à titre de formateurs. M. Roy a déposé son grief le 22 décembre 2011, et M. Bercier a déposé le sien le 6 janvier 2012; les deux griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 11 avril 2012 et le 4 mai 2012.

2         Le libellé des deux griefs invoque les mêmes clauses de la convention collective mais diffère quant aux dates. Dans le cas de M. Roy, son grief se lit comme suit :

Entre le 1 juin 2011 et le 21 décembre 2011 j’ai donné de la formation aux recrues pour une période de 453 heures à des agents correctionnels. La majorité des tâches que j’ai effectués [sic] étaient d’une classification supérieure soit CX-3.

Je demande d’être rémunéré comme prévu aux articles 45.03 et 49.07 soit de recevoir les primes prévues à 43.05 et la rémunération CX 3 prévue à l’article 49.07 pour la période du 1 juin 2011 au 21 décembre 2011.

3         Le grief de M. Bercier énonçait ce qui suit :

À partir du 3 novembre 2010 j’ai donné de la formation comme formateur pour les recrues CX (agents correctionnels) pour une période de 1200 heures jusqu’au 23 décembre 2011. La majorité des tâches que j’ai effectué [sic] étaient celles de classification supérieure soit CX-03.

Je demande d’être rémunéré comme prévu aux articles 43.05 et 49.07 soit de recevoir les primes prévues à 43.05 et la rémunération CX-03 prévue à 49.07 pour la période du 3 novembre 2010 au 23 décembre 2011 pour un total de 1200 heures [sic]

4         Les fonctionnaires travaillaient pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à titre d’agents correctionnels, au groupe et au niveau CX-01. Ils faisaient partie de l’unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN), l’agent négociateur qui a conclu la convention collective applicable avec l’employeur, le Conseil du Trésor du Canada, dont la date d’expiration était le 31 mai 2010 (la « convention collective »). Le texte de la convention collective a été déposé à l’audience.

5         Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

6         Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Résumé de la preuve

7         Les griefs des fonctionnaires réclamaient au départ la prime versée pour les tâches de formation au niveau CX-3 ainsi que la prime de formateur en vertu de la clause 43.05 de la convention collective. À l’audience, les fonctionnaires ont retiré la demande de rémunération intérimaire au niveau CX-03 pour ne demander que la prime de formateur, visée par la clause 43.05 de la convention collective, qui se lit comme suit :

43.05 Lorsqu’un-e employé-e accepte d’agir à titre de formateur, il ou elle reçoit une indemnité de deux dollars et cinquante cents (2,50$) de l’heure pour chaque heure ou partie d’heure.

8         À l’époque des événements donnant lieu aux griefs, le rôle que remplissait les fonctionnaires avait pour titre « coordonnateur de stage ».

9         Malgré la similitude des griefs, et malgré le fait que les fonctionnaires travaillaient tous deux à l’Établissement de Donnacona, la réponse de l’employeur aux deux griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs est fort différente. Dans le cas de M. Bercier, la réponse au premier palier comprend la justification suivante pour rejeter le grief :

[…]

Les fonctions des formateurs pour les nouvelles recrues n’est nullement mentionné à l’article 43 de votre convention collective. De plus au niveau national le poste de formateur pour les recrus n’est pas reconnu. Il n’est nullement mentionné que la formation que vous donné est reconnu par la région et doit-être rénuméré à titre de formateur.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

10        Dans le cas de M. Roy, l’employeur justifie sa décision de rejeter le grief dans les termes suivants au premier palier :

[…]

La description de tâches de votre poste de CX-01 comporte des responsabilités en matière de formation et vous n’avez pas été tenu d’exécuter une grande partie des fonctions d’un employé d’un niveau de classification supérieur.

De plus, le paragraphe 43.05 de la Convention collective des CX prévoit que « Lorsqu’un-e employé-e accepte d’agir à titre de formateur, il ou elle reçoit une indemnité de deux dollars et cinquante cents (2,50$) de l’heure pour chaque heure ou partie d’heure ». Il s’avère que vous avez reçu cette indemnité et que vous avez ainsi été correctement rémunéré pour la période pendant laquelle vous avez agi à titre d’instructeur.

[…]

11        En fait, M. Roy n’a pas reçu l’indemnité prévue à la clause 43.05. Au dernier palier de la procédure de grief, la réponse donnée à MM. Bercier et Roy est la même : les fonctionnaires n’ont droit à aucune rémunération supplémentaire, ni paie intérimaire ni indemnité pour formation. La lettre de réponse au dernier palier adressée à M. Roy présente le raisonnement de l’employeur de la façon suivante :

[…]

La présente répond à votre grief du 22 décembre 2011 dans lequel vous contestez le refus de votre employeur de vous verser l’indemnité pour formateur prévue au paragraphe 43.05 et la prime prévue au paragraphe 49.07 de la convention collective des agents correctionnels (CX) pour les 453 heures que vous avez passées à la préparation à l’emploi des nouvelles recrues. À titre de mesures correctives, vous réclamez le paiement de cette indemnité d’un montant de 2,50$ de l’heure et la rémunération au niveau CX-03 pour les 453 heures.

Avant de rendre la présente décision, j’ai pris en considération toute l’information soumise. Conformément au paragraphe 49.07 de votre convention collective, un employé doit être tenu « par l’employeur d’exécuter les fonctions d’un niveau de classification supérieur » et « exercer ces fonctions pendant au moins huit (8) heures de travail ». Sans quoi, il n’est pas possible de lui octroyer une rémunération d’intérim. Or, rien au dossier ne démontre que vous effectuez les fonctions d’un niveau supérieur pendant au moins huit heures de travail.

De plus, la prestation que vous avez fournie durant 453 heures relève du coaching ou du parrainage et non de la formation proprement dite. En effet, vous avez montré aux nouveaux employés comment effectuer leurs tâches, mais cette prestation ne correspond pas aux critères exigés pour qu’il s’agisse d’une formation donnant droit à l’indemnité pour formateur.

Par conséquent, je vous informe que votre grief et les mesures correctives réclamées sont rejetés.

[…]

12        À l’audience, MM. Bercier et Roy ont témoigné. Maxime Kalifa Sanu, agent correctionnel, et Hughes Demers, instructeur, ont témoigné pour les fonctionnaires. Josée Tremblay, directrice de l’Établissement de Donnacona, et François Charest, gestionnaire correctionnel en charge de l’horaire et du déploiement de 2007 à 2014, ont témoigné pour l’employeur. Dans les paragraphes qui suivent, je résume tous les témoignages, sauf celui de M. Demers. Celui-ci a témoigné sur une formation spécialisée qu’il donnait aux CX-02, sur les systèmes de sécurité extérieure, et pour laquelle il recevait la prime de formateur.

A. Daniel Bercier

13        M. Bercier a travaillé pendant 25 ans au SCC, jusqu’à sa retraite en 2017. Il a travaillé auparavant dans les services correctionnels au niveau provincial pendant cinq ans.

14        Il a toujours occupé des postes de CX-1, d’abord à titre d’officier de sécurité, ensuite à titre de manieur de chiens et ensuite maître-chien. En 2008, il a reçu une formation comme formateur et instructeur au collège qui forme les agents correctionnels. Il était maître-chien pour les chiens qui veillent à la sécurité du périmètre de l’institution, et non les chiens détecteurs de drogues. Il était instructeur pour les maîtres-chiens. L’employeur a mis fin à l’équipe canine vers 2012 ou 2013, pour des raisons budgétaires.

15        Pendant la période en cause, il formait les stagiaires qui arrivaient du CEGEP (Alma ou Gaspésie), dont la formation en services correctionnels était incomplète. Il était donc chargé de compléter leur formation. Selon M. Bercier, il s’agissait de plus que du simple mentorat, puisque le mentorat consiste à montrer le travail, à expliquer les procédures; la démonstration est essentiellement visuelle. Il n’y a pas de suivi, rien d’écrit, contrairement à une situation de formation.

16        Lorsqu’il est devenu coordonnateur de stage à l’Établissement de Donnacona, on lui a fourni des outils de travail qu’il jugeait insuffisants. Il a donc créé son propre outil d’évaluation des recrues, qu’il a amélioré en 2011 et qu’il nomme le « Doc Dan », encore utilisé aujourd’hui. Le document permettait une meilleure évaluation des stagiaires. Il a été approuvé par la direction.

17        De 2008 à 2010, M. Bercier a reçu la prime de formateur. Vers 2010 ou 2011, l’employeur a cessé de verser cette prime.

18        M. Bercier a décrit à l’audience la formation qu’il donnait aux nouvelles recrues. Après l’orientation initiale, il s’agit d’enseigner le contrôle des détenus en détail – comment fonctionnent les postes de contrôle, les passerelles, les fenêtres, comment réagir, comment faire rapport sur l’utilisation de la force. La formation doit couvrir tous les aspects du pénitencier. Au collège, les recrues ont appris les grandes lignes de fonctionnement des établissements, mais on leur enseigne surtout la réalité des établissements à sécurité minimum ou médium. À l’Établissement de Donnacona, ils doivent tout apprendre sur le fonctionnement d’un établissement à sécurité maximum.

19        M. Bercier donne des précisions à l’audience sur le Rapport d’évaluation des recrues (première version du Doc Dan) qu’il a rempli pour évaluer une nouvelle recrue, qui malheureusement a échoué à l’entraînement. Il explique les différents aspects de l’évaluation et pourquoi la recrue ne satisfaisait pas aux exigences. Essentiellement, dans ce cas, le stress l’a emporté et a empêché cette recrue de réagir de façon adéquate aux situations du pénitencier, ce qui peut causer un danger réel et immédiat pour les autres employés et les autres détenus. Le rapport se termine sur la recommandation de M. Bercier que la recrue ne peut fonctionner comme agent correctionnel dans un établissement à sécurité maximum comme l’Établissement de Donnacona. Il lui souhaite de pouvoir poursuivre sa carrière dans un établissement à sécurité moindre.

20        M. Bercier commente la deuxième version du Doc Dan, auquel il a ajouté d’autres éléments pour le rendre plus utile. Dans le rapport vu précédemment, on coche des cases pour indiquer le niveau de rendement, avec un espace de quelques lignes où l’évaluateur donne des exemples afin de justifier l’évaluation. Dans la dernière version, M. Bercier a ajouté des sections après les cases sur le rendement, à savoir : « Commentaires du formateur sur le rendement », « Points positifs et/ou à améliorer », « Plan d’action (fixer des objectifs) ». À la fin du rapport, il y a un espace prévu pour les « Commentaires généraux du formateur » et les « Commentaires du directeur adjoint aux opérations ».

21        M. Bercier témoigne que dans ses fonctions de coordonnateur de stage, il était chargé de la formation et il remplissait le formulaire, donc, il était responsable de l’évaluation des nouvelles recrues. Il a également travaillé avec des agents transférés d’autres établissements qui avaient besoin d’une formation dans un établissement à sécurité maximum. Il a donné l’exemple de son travail avec un agent qui avait connu des moments difficiles en raison de troubles de comportement et de consommation. M. Bercier a réussi à bien faire son intégration à l’Établissement de Donnacona.

B. Stéphane Roy

22        M. Roy  a fait sa formation au collège en 1989, puis il a été affecté pendant deux ans à l’Établissement de Port-Cartier. En septembre 1991, il est arrivé à l’Établissement de Donnacona et il y est depuis dans un poste d’agent correctionnel de niveau CX-1. Il a été au niveau CX-2 à titre intérimaire pendant environ deux ans.

23        À partir de 2011, il a été coordonnateur de stage pendant environ deux ans et demi. Son superviseur à l’époque, Jean Simard, lui avait demandé s’il était intéressé, il avait répondu par l’affirmative, et il avait été accepté dans l’équipe de coordonnateurs de stage qui comprenait M. Bercier et Nicolas Boissonneault. M. Roy a demandé à la sous-directrice de l’Établissement de Donnacona de suivre le cours de formateur, mais elle lui aurait répondu que son expérience suffisait.

24        M. Bercier lui a laissé entendre qu’il aurait droit à une prime de formateur, mais il ne l’a jamais reçue, d’où le présent grief. M. Bercier pour sa part avait cessé de recevoir cette prime à la même époque.

25        M. Simard lui remettait un horaire pour la formation des recrues, et il proposait un horaire de travail en conséquence, afin d’assurer que les recrues soient exposées aux trois quarts de travail : jour, soir et nuit.

26        Il a pris connaissance de ses fonctions de coordonnateur de stage en consultant les documents qui étaient gardés dans un classeur cadenassé, auquel seuls les formateurs avaient accès. On rangeait dans le classeur tous les dossiers de formation.

27        M. Roy parle à l’audience du document intitulé Guide de stage, qui décrit la formation des nouvelles recrues pendant 10 jours après leur formation au collège. Il est d’accord avec la description que donne le document de la période de stage. Le passage se lit comme suit :

[…]

La période de stage de 10 jours arrive à la fin de la formation formelle au Collège. Cette période de stage est une formation pratique en milieu de travail avant l’assermentation officielle et la graduation. Tout comme la formation au Collège, la période de stage nécessite un encadrement, des objectifs à atteindre, un suivi et une évaluation. Il est entendu que chaque recrue/stagiaire soit accompagné d’un coordonnateur de stage en milieu de travail pendant cette période de formation pratique.

[…]

28        Le rôle de M. Roy était justement d’agir à titre de coordonnateur de stage. Il dit avoir davantage utilisé le document intitulé Programme de stage qui présente la formation des nouvelles recrues. Ce document décrit les préparatifs avant l’arrivée des recrues, l’accueil le premier jour, puis détaille la formation qui devrait être donnée pendant neuf jours (qui sera évaluée avec le document Doc Dan). Le document intitulé Programme de stage détaille de la façon suivante ce que doit comprendre la formation, et précise la responsabilité du coordonnateur de stage :

[…]

Pendant les neuf jours :

  1. Ils doivent rencontrer (employés) :
    1. Programme d’aide aux employés (nom)
    2. Le syndicat (nom)
    3. Simdut [Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail] (nom)
    4. Le directeur (aller voir sa secrétaire plusieurs jours d’avance)
    5. Ergonomie (nom)
    6. DA [directrice adjointe] Josée Tremblay
    7. Santé Sécurité (nom)
    8. Incendie (nom)
    9. ARS [agent de renseignements de sécurité]
  2. Pour les besoins du Pénitencier de Donnacona, les recrues font 4 heures de contrôle pavillonnaire par jour.
  3. Faire une partie sur les alarmes (cellule et de feu).
  4. Faire les passerelles avec eux, leur donner les ordres de poste, les expliquer et les laisser seul pour qu’ils s’orientent.
  5. Les envoyer dans le contrôle T deux fois si possible même s’ils sont sur une ligne du 240.
  6. Leurs montrer la routine des escortes (vidanges intérieurs, fouille des camions). Peut se faire en groupe.
  7. Aller avec eux sur la patrouille motorisée et expliquer tout. Ne pas oublié de monter le bouton pour l’arme, pour les alarmes les secteurs selon le sens que l’on tourne et les deux lumières tournantes au-dessus de la station du dégrilleur (bleu avertir le gestionnaire et rouge même chose mais urgent). Montrer les tours en même temps.
  8. Faire les autres postes, en priorité les contrôles et les postes isolés.

Dernière journée en p.m.

Évaluations, peut être commencée avant pour les commentaires.

Pendant les dix jours de stage, sous la supervision du coordonnateur, la recrue fait la tournée de tous les postes de travail avec celui-ci ou jumelé avec des agents d’expérience et volontaires. Les agents ont été trié par le coordonnateur parce qu’ils seront un bon exemple à suivre pour la recrue.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

29        Un autre document sert pour l’orientation et l’évaluation des agents correctionnels qui viennent d’autres établissements, et dont le stage dure cinq jours plutôt que dix.

30        M. Roy traite d’un document intitulé Grille de vérification des tâches destiné à montrer quelles tâches ont été effectuées par le stagiaire à chaque quart de travail. Il explique que chaque tâche doit être enseignée par le coordonnateur de stage. Un autre document d’évaluation est rempli à la fin de chaque quart de travail de 4 heures que la recrue doit faire à chaque jour dans un poste de contrôle. Le coordonnateur de stage le remplit, et le signe avec le stagiaire. Les rubriques sont les suivantes :

  • Maîtrise des consoles de contrôle
  • Maîtrise des ondes alpha [communication radio avec codes]
  • Maîtrise des communications téléphoniques
  • Est à l’aise lorsqu’il y a 2 ou 3 demandes en même temps
  • Maîtrise des communications avec l’intercom Dans les contrôles
  • Maîtrise des communications Alpha, téléphonique
  • Capacité à entendre les ondes alpha et répondre au téléphone en même temps
  • Travailler avec les miroirs du contrôle ainsi que ceux des paliers
  • Capacité de travailler efficacement avec les miroirs sans se retourner
  • SÉCURITÉ : gestions des situations

    Dénombrements :

    Fouille

  • Esprit d’équipe

31        Il y a ensuite une section pour les commentaires du coordonnateur de stage, et une grille des notes à inscrire sous les différentes rubriques comme suit :

Bon (+ ou -) : Amélioration à faire. (B)

Satisfaisant : Apte à faire le travail. Peut faire le travail sans supervision. (S)

Insatisfaisant : Ne peut faire les tâches d’un contrôle sans supervision. (I)

32        M. Roy utilisait le Doc Dan amélioré, tout comme M. Bercier, pour faire l’évaluation globale d’une nouvelle recrue. C’est le document qu’il envoyait au collège pour rendre compte du stage. Il arrivait qu’il fasse une recommandation négative et que la direction décide de prolonger de cinq à dix jours la période de stage; dans ce cas, un autre coordonnateur de stage prenait généralement la recrue en charge.

33        M. Roy dit avoir été coordonnateur de stage à partir de juin 2011, pendant un an environ. Voilà six ans qu’il n’est plus coordonnateur de stage.

C. Maxime Kalifa Sanu

34        M. Sanu est arrivé à l’Établissement de Donnacona à titre d’agent correctionnel, au niveau CX-01, en juin 2011. Il avait alors complété un programme de 13 semaines de formation correctionnelle au Collège de Laval. Cette formation porte sur tous les aspects du travail d’un agent correctionnel. Elle traite des lois et politiques qui s’appliquent au domaine carcéral, enseigne des techniques de gestion de conflit, instruit les recrues sur tous les équipements dont ils devront se servir, et enseigne des techniques pour résoudre les différents problèmes auxquels ils seront confrontés.

35        La formation est nécessairement théorique dans une large mesure, en ce sens qu’elle ne peut inclure la réalité d’un pénitencier en particulier.

36        Lors de son arrivée à l’Établissement de Donnacona, il faisait partie d’un groupe d’environ sept nouvelles recrues qui a été accueilli par deux coordonnateurs de stage. La première journée est consacrée à une visite de l’établissement et beaucoup de détails administratifs. D’après M. Sanu, le document Programme de formation des recrues correspond assez bien à son souvenir de la formation. Pendant les neuf jours de formation, ce sont les coordonnateurs de stage qui s’occupent d’instruire les recrues sur tous les aspects du travail dans l’établissement. À la fin de de la formation, un des coordonnateurs tient une rencontre individuelle avec chaque recrue, pour discuter avec elle de ses points forts et des points à améliorer. M. Sanu se rappelle de la séance de rétroaction, mais non d’un document.

37        M. Sanu se rappelle notamment dans sa formation de l’enseignement du poste de contrôle. Le poste de contrôle est un poste armé, entouré d’une vitre, qui donne sur les zones où habitent les détenus. Le mouvement des détenus est contrôlé par des portes, dont les boutons d’activation sont dans le poste de contrôle. Au début, le coordonnateur de stage indique quel bouton correspond à quelle porte (de cellule, de section, de couloir etc.). Graduellement, la recrue devient responsable d’activer les portes.

38        Un autre aspect de la formation porte sur les ondes radio, qui au début, d’après M. Sanu, sont incompréhensibles, parce que les communications sont entièrement codées.

39        Les agents correctionnels d’expérience qui sont aux différents postes peuvent montrer comment faire certaines actions, mais les recrues posent des questions aux coordonnateurs de stage, et non aux agents correctionnels. Ce sont les coordonnateurs de stage qui prennent le temps d’expliquer la raison des actions, généralement dans une perspective de sécurité. Nombre de gestes deviennent des automatismes pour les agents correctionnels; ce sont les coordonnateurs de stage qui peuvent les expliquer.

40        Une autre dimension de la réalité pénitentiaire est tout ce qui touche le périmètre de sécurité à l’extérieur de l’établissement : les patrouilles, l’entrée principale, la gestion des grilles. Les coordonnateurs de stage donnent aussi cette formation. Les patrouilleurs partagent également leur expérience, mais les explications, encore une fois, sont données par les coordonnateurs de stage.

41        M. Sanu se rappelle, en voyant le Doc Dan, que la dernière rencontre d’évaluation portait précisément sur son contenu.

42        M. Sanu témoigne qu’il donne lui-même de la formation maintenant, dans le cadre du programme de sensibilisation à la diversité. Il reçoit une rémunération pour cette formation.

D. Josée Tremblay

43        Mme Tremblay est directrice de l’Établissement de Donnacona depuis avril 2015. Elle travaille à cet établissement depuis 27 ans. De 2010 à 2012, elle était directrice adjointe aux opérations, et de 2012 à avril 2015, elle était sous-directrice de l’Établissement.

44        L’Établissement de Donnacona est un établissement à sécurité maximale, qui loge donc des détenus violents et mal adaptés. Outre cette réalité, l’Établissement de Donnacona a la particularité d’avoir un grand nombre de « populations incompatibles », c’est-à-dire des groupes de détenus dont les allégeances risquent de susciter beaucoup de violence entre les groupes. Autrement dit, on ne peut permettre à un membre du groupe X de croiser dans un couloir un membre du groupe Y. Le danger de blessure grave est trop grand. À l’heure actuelle, on recense 11 populations incompatibles à l’Établissement de Donnacona.

45        Mme Tremblay parle d’un document intitulé Programme d’accueil et de stage (« document PAS ») qui, selon elle, est utilisé depuis 2015, lorsque le programme a été mis en œuvre. Auparavant, toujours d’après Mme Tremblay, il n’y avait pas de programme comme tel. Le Programme d’accueil et de stage vise à remplir les besoins spécifiques de l’Établissement de Donnacona, un établissement qui est particulièrement complexe compte tenu de la population de détenus et de la configuration de l’établissement.

46        Le document PAS a été conçu, d’après son avant-propos, par Valérie Caron et Annie Perreault, maitres de stage de l’Établissement de Donnacona. Mmes Caron et Perreault n’ont pas témoigné à l’audience. On ne peut donc que supposer qu’elles se sont largement inspirées des documents qu’utilisaient déjà les fonctionnaires en 2011, y compris le Doc Dan (deuxième version), puisqu’on retrouve ces documents dans le document PAS.

47        Le programme de stage dure maintenant 14 jours, et le document PAS donne le détail de chaque jour (ce qui était résumé dans les documents antérieurs). Le document servant à l’évaluation des stagiaires (p. 14 à 21 du document PAS, qui compte 28 pages au total) est identique au Doc Dan.

48        Mme Tremblay confirme que les personnes qui dispensent le Programme d’accueil et de stage, dont le titre est maintenant « accompagnateur de recrues », reçoivent la prime de formateur au sens de la clause 43.05 de la convention collective depuis 2015. Selon elle, le programme est maintenant plus structuré, mieux défini, et comporte un encadrement plus soutenu. Mme Tremblay s’appuie sur la complexité accrue de l’Établissement de Donnacona. Elle reconnait que si on compte aujourd’hui 11 populations incompatibles, il y en avait déjà au moins sept en 2011.

49        Elle n’a pas expliqué pourquoi M. Bercier avait cessé de recevoir la prime de formateur et pourquoi M. Roy ne l’avait jamais reçue, sauf pour dire que la complexité accrue de l’établissement exige un programme de formation des recrues bien structuré. Elle ne savait pas si les agentes correctionnelles qui sont responsables du stage avaient reçu une formation particulière.

E. François Charest

50        M. Charest est arrivé à l’Établissement de Donnacona en 1986. De 2007 à 2014, il était responsable des horaires. L’horaire des agents correctionnels est assez complexe – il faut assurer trois quarts de travail, répartir les agents selon leurs horaires, congés, jours de repos et formations obligatoires.

51        Lorsque les fonctionnaires exerçaient leurs fonctions de coordonnateurs de stage, il les dégageait quelques jours pour la planification puis pendant les dix jours que durait le stage. Les fonctionnaires dressaient l’horaire de présence des recrues pour qu’elles apprennent les fonctions des différents postes de l’établissement.

52        D’après M. Charest, une partie importante de la tâche des fonctionnaires comme coordonnateurs de stage est de trouver des agents correctionnels qui seront de bons mentors pour les recrues. Certains agents sont plus réceptifs à l’idée, et sont heureux de partager leurs connaissances et expérience. Une des tâches des fonctionnaires était donc de cibler les agents correctionnels qui permettraient d’optimiser l’expérience de stage pour les recrues.

53        Les fonctionnaires assignaient des agents pour montrer les postes aux recrues, mais ils assuraient le suivi, en demandant aux agents correctionnels comment la recrue se débrouillait, en tenant une rencontre à la fin de chaque journée pour faire le point et répondre aux questions, en accompagnant plus intensément les recrues qui avaient besoin d’un accompagnement plus soutenu.

54        Si l’un des coordonnateurs de stage disait qu’une recrue avait besoin d’un peu plus de formation, le gestionnaire de M. Charest lui confirmait de dégager le coordonnateur de stage et la recrue pour quelques jours additionnels.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

55        M. Bercier a une formation de formateur. Selon la preuve, il s’occupait des recrues du début jusqu’à la fin de leur stage. Il organisait leur horaire, il planifiait leurs journées, il les accompagnait pendant le temps nécessaire, soit deux, parfois trois semaines. Il était dégagé de ses fonctions habituelles pendant le temps qu’il s’occupait des recrues.

56        M. Bercier a travaillé sur les documents nécessaires au stage, et notamment l’outil principal d’évaluation, le Doc Dan, qui a été approuvé par son chef. Pendant un certain temps, son travail de formateur a été reconnu par le versement d’une prime. Cette prime a cessé, sans explication.

57        M. Roy a rempli un rôle de formateur auprès des recrues, bien qu’il n’ait pas eu la formation qu’il avait pourtant demandée. Il travaillait avec M. Bercier pour accueillir les nouvelles recrues, les encadrer et les évaluer. Il était chargé de leur enseigner ce qu’elles n’avaient pas appris au collège, c’est-à-dire les tâches concrètes du pénitencier telles que les fouilles, les contrôles armés, l’utilisation de la radio avec ses codes, les patrouilles de périmètre, etc.

58        Les fonctionnaires avaient beaucoup d’autonomie, on leur faisait confiance pour former les nouvelles recrues et pour les évaluer afin de déterminer si elles étaient prêtes à assumer toutes les fonctions d’un agent correctionnel dans un établissement à sécurité maximum. Le document dont se servent aujourd’hui les accompagnateurs de stage n’est qu’un reflet des documents qu’ils ont eux-mêmes développés.

59        Ce qui différencie le travail de formation de celui de mentorat, ce que l’employeur soutient avoir été leur tâche, c’est le degré d’autonomie et de responsabilité. L’agent correctionnel qui agit comme mentor n’est pas responsable de la recrue; il doit lui montrer ses tâches, mais ce n’est pas lui qui l’évaluera ni qui corrigera ses erreurs. Les fonctionnaires n’étaient pas des mentors : ils choisissaient des mentors pour les recrues, comme en a témoigné M. Charest.

60        Selon les fonctionnaires, il n’y a aucune logique à refuser le versement de la prime qui leur est due, alors que les accompagnateurs qui font le même travail aujourd’hui à l’Établissement de Donnacona reçoivent cette prime. Les témoins de l’employeur ont reconnu que la formation est nécessaire pour les recrues qui entrent à l’Établissement de Donnacona. La formation reçue au collège ne suffit pas. L’argument de Mme Tremblay que la réalité est maintenant plus complexe et que cela justifie le paiement d’une prime pour le stage ne tient pas. La réalité d’un établissement pénitentiaire exige le stage pour les nouveaux arrivés, même pour les agents correctionnels d’expérience s’ils ne connaissent pas l’Établissement de Donnacona. Ce besoin a toujours existé.

61        MM. Sanu et Demers ont témoigné que la formation qu’ils donnaient était rémunérée. Il n’y a pas lieu de refuser la prime de formateur aux fonctionnaires. Leurs tâches étaient bien davantage que du mentorat.

62        Selon les fonctionnaires, on peut définir leurs tâches dans le cadre du stage des nouvelles recrues comme étant de la formation en considérant les quatre caractéristiques suivantes :

  1. Il y a transfert de connaissances;
  2. Ces connaissances sont nécessaires au métier d’agent correctionnel;
  3. Le transfert de connaissances est structuré, avec un programme, un horaire et un contenu définis.
  4. Le transfert de connaissances se fait à la demande de l’employeur.

63        La décision Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.F.) (QL) que soulève l’employeur ne trouve pas application ici. Lorsque M. Bercier apprend que sa prime va être coupée, il s’adresse à son gestionnaire, qui dit qu’il attend une réponse de la direction. Lorsque la cessation de la prime est confirmée, M. Bercier va cesser son rôle de formateur. Dans le cas de M. Roy, on lui a promis la prime. Elle n’est pas versée et il dépose un grief. Dans toutes les réponses aux griefs, à tous les paliers, l’employeur n’a jamais soulevé d’objection quant au délai; il ne peut l’invoquer à l’arbitrage. Les fonctionnaires ont accompli des tâches pour lesquelles ils avaient droit à une rémunération; celle-ci devrait être versée.

64        Les fonctionnaires demandent une interprétation claire de la clause 43.05 de la convention collective. M. Bercier demande la rémunération de 1 200 heures, énoncées dans son grief. Il n’y a eu aucune preuve contraire. M. Roy précise 453 heures dans son grief, du 1er juin 2011 au 21 décembre 2011. À l’audience, on soutient qu’il y aurait des heures additionnelles, de décembre 2011 à juin 2012, et de juin 2012 à décembre 2012.

65        Les fonctionnaires réclament aussi l’intérêt au taux légal, le remboursement des dépenses raisonnables pour avoir assisté à l’audience, et demandent à la Commission d’ordonner une date précise pour le remboursement, le cas échéant.

B. Pour l’employeur

66        Il s’agit d’interpréter la clause 43.05 de la convention collective. La clause vise l’employé qui agit à titre de formateur, et non l’employé qui montre aux nouveaux employés ce que sont les tâches à accomplir en donnant l’exemple.

67        Le programme est devenu plus structuré en 2015, en raison des particularités de l’Établissement de Donnacona, dont sa complexité croissante, comme en a témoigné Mme Tremblay.

68        L’essentiel du rôle des fonctionnaires consistait en du mentorat, qui fait partie de leurs tâches régulières. La description de tâches des agents correctionnels de niveau CX-01, que tous les témoins ont reconnue, comporte la mention suivante parmi les tâches de l’agent correctionnel : « Le ou la titulaire participe à l’encadrement des recrues lors de leur arrivée en milieu correctionnel. »

69        L’employeur fait la distinction entre la situation des fonctionnaires et celles où la Commission a conclu qu’il y avait formation, citant les décisions suivantes : Jones c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 70 et Enger c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 6. J’y reviendrai dans mon analyse.

70        Finalement, l’employeur cite les décisions Coallier et Canada (Procureur général) c. Timson, 2012 CF 719, comme autorités sur le délai pour déposer un grief, et réitère la règle que l’indemnisation financière dans le cas d’un grief continu ne peut remonter qu’au temps prévu pour le dépôt du grief.

IV. Analyse

71        Les parties m’ont soumis de la jurisprudence dont j’ai pris connaissance. Je ne mentionne dans mon analyse que les décisions qui me paraissent pertinentes à la question que je dois trancher. Essentiellement, il s’agit de déterminer le sens du mot « formateur » dans la clause 43.05 de la convention collective, qui prévoit le versement de la prime à l’employé-e qui « accepte d’agir à titre à titre de formateur ».

72        La décision Jones portait sur le versement d’une paie intérimaire au niveau CX-03 à des agents correctionnels qui donnaient une formation d’appoint sur l’appareil de protection respiratoire autonome (APRA). Compte tenu du retrait de cet aspect de la demande des fonctionnaires devant moi, la décision n’est pas vraiment applicable en l’espèce. Je note toutefois que dans cette affaire, la prime de formation prévue à la clause 43.05 était versée aux agents correctionnels.

73        Dans l’affaire Enger, la question était de savoir si les agents correctionnels qui faisaient partie de l’équipe d’urgence, et qui donnaient une formation sur le travail de l’équipe d’urgence, avaient droit au cumul de primes. En effet, la convention collective prévoit une prime pour la formation, et une prime pour le travail exécuté comme membre de l’équipe d’urgence; cette dernière prime couvre expressément les périodes de formation pour ceux qui reçoivent la formation.

74        La Commission a jugé dans l’affaire Enger qu’il n’y avait pas obstacle au cumul de primes, puisque les membres de l’équipe d’urgence qui agissaient à titre de formateurs remplissaient alors deux rôles, et les indemnités visaient des travaux différents.

75        L’employeur ne contestait pas dans Enger le rôle de formateur des agents correctionnels qui acceptaient ce rôle dans l’équipe; il contestait le cumul des deux primes. La description du rôle de formateur dans le contexte de l’affaire Enger est la suivante :

[…]

4 Lorsqu’ils s’occupent de la formation des membres de l’équipe d’urgence à titre de formateurs, M. Enger et les autres formateurs préparent la formation en visionnant des vidéos pertinentes, en mettant en place des scénarios et en assurant la sécurité des munitions et de l’équipement de sécurité. Pendant la formation, les formateurs doivent veiller au respect des protocoles de sécurité et au respect des normes de formation nationales établies par l’employeur. Ils sont également responsables de consigner les présences des étudiants et de leur faire passer des examens. Lorsqu’il n’est pas occupé à donner une formation, le fonctionnaire assiste d’autres formateurs pendant leurs séances. M. Enger enseigne tous les aspects des cours de certification et de renouvellement de la certification de l’équipe d’urgence. Les heures qu’il consacre à la formation lui sont créditées en vue de ses propres exigences de renouvellement de la certification de l’équipe d’urgence (voir la transcription de la formation, pièce 5, page 5).

76        Compte tenu de la preuve que j’ai entendue, il me semble que le rôle que jouaient les fonctionnaires auprès des nouvelles recrues correspond largement à une définition de formateur. Je suis d’accord avec les fonctionnaires que, lorsqu’ils étaient coordonnateurs de stage, ils donnaient de la formation au sens de la clause 43.05 de la convention collective.

77        Les fonctionnaires m’ont demandé une définition de la formation pour que ce type de situation ne se reproduise plus.  Ce n’est pas le rôle de la Commission que de donner une définition définitive qui règlera toutes les situations. Les paramètres qui suivent  me font décider que l’action des fonctionnaires constituait de la formation, et non du mentorat.

78        Premier critère : l’organisation dans le temps. La formation est prévue pour dix jours, et les documents détaillent le contenu de la formation. Il s’agit d’un programme organisé, avec des buts très précis de montrer tous les différents éléments de l’établissement aux recrues. Les fonctionnaires étaient responsables de ce programme, pendant les 10 jours de sa durée. M. Charest a témoigné qu’il les dégageait pour un ou deux jours de préparation, et ensuite pour la durée du programme.

79        Deuxième critère : la nature des tâches. Les formateurs se consacrent entièrement à la formation pendant les 10 jours. Ils sont dégagés de leurs tâches habituelles, contrairement aux agents qui agissent à titre de mentors. Ces derniers n’assurent aucun suivi, alors que les formateurs s’assurent que les recrues retiennent ce qu’ils ont appris.

80        Troisième critère : l’évaluation. Les formateurs sont chargés d’évaluer les recrues, de leur signaler les points à améliorer, de faire une recommandation de réussite ou d’échec, et de recommander un prolongement de la formation si nécessaire.

81        Cette dernière dimension m’apparait comme la plus importante, car elle donne la mesure de la responsabilité du formateur : celui-ci doit juger si la recrue a acquis ou non la formation. Il s’agit d’une responsabilité qui n’a rien à voir avec le mentorat, mais bien tout à voir avec la formation : déterminer si la formation est réussie.

82        Le programme de formation aujourd’hui est plus long, mais il s’agit essentiellement du même programme que celui que donnaient les fonctionnaires, à preuve, l’outil d’évaluation du stage est en tous points identique à celui qu’avait élaboré M. Bercier. Un des facteurs décisifs pour ma décision est l’octroi actuel de la prime de formateur aux accompagnateurs de recrues (comme on les nomme maintenant). D’après les témoignages de Mme Tremblay et des fonctionnaires, ainsi que le document Programme d’accueil et de stage, les accompagnateurs de recrues accomplissent les mêmes tâches qu’effectuaient les fonctionnaires quand ils étaient responsables du stage.

83        À mon sens, les présents griefs ne sont pas des griefs continus, au sens de Coallier. Il ne s’agit pas de redresser une situation qui perdurait. Il s’agit plutôt de griefs ponctuels, pour un défaut de verser une prime due. Les fonctionnaires ont déposé leurs griefs dans les 25 jours de la fin de la formation donnée, quand il est devenu clair que le SCC, malgré sa pratique passée, ne verserait pas la prime de formateur prévue à la clause 43.05 de la convention collective. Je ne vois pas qu’il y ait eu délai à déposer les griefs, et je suis confortée dans cette interprétation par le fait que le SCC ne l’a jamais soulevé à toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs. Je ne vois pas l’application du paragraphe 20 de la décision Timson citée par l’employeur. La prime due aux fonctionnaires pour leur travail de formateur n’est pas de la nature de dommages-intérêts. Il s’agit d’une somme due pour rémunérer un travail accompli.

84        Dans la décision Coallier, la Cour d’appel fédérale a décidé que l’employé qui avait attendu deux ans pour réclamer le salaire qui lui était dû ne pouvait réclamer l’augmentation qu’à partir des 25 jours précédant son grief, parce que rien ne l’aurait empêché de faire un grief dès le départ. Le témoignage des fonctionnaires, non contredit, est tout autre. M. Bercier avait toujours reçu la prime, il s’attendait encore à la recevoir. Il a laissé entendre à M. Roy qu’elle serait versée. D’après les témoignages des fonctionnaires, leur supérieur immédiat a dit qu’il se renseignerait, laissant entendre que lui aussi s’attendait à ce que la prime soit versée comme auparavant.

85        Il n’était pas illogique d’attendre pour voir comment les choses se règleraient. Cela n’a rien à voir avec l’inaction qu’on constate dans l’affaire Coallier. Dès qu’il a été certain que la prime ne serait pas versée, à la fin de la formation, les fonctionnaires ont déposé leurs griefs.

V. Mesures de redressement

86        C’est un principe bien établi devant la Commission que  celle-ci tranche le grief tel qu’il a été présenté à l’employeur (Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109). Dans son grief, M. Bercier réclamait 1 200 heures de primes, alors que M. Roy dans le sien réclamait 453 heures. Les fonctionnaires ont fait valoir à l’audience que M. Roy avait travaillé encore d’autres heures dans des formations subséquentes. Je le crois, mais tel n’est pas le grief devant moi. Par conséquent, j’accorde la prime prévue à la clause 43.05 de la convention collective selon les heures indiquées dans les griefs déposés en décembre 2011 et janvier 2012.

87        Les fonctionnaires réclament aussi l’intérêt au taux légal, le remboursement des dépenses raisonnables pour avoir assisté à l’audience, et demandent à la Commission d’ordonner une date précise pour le remboursement, le cas échéant.

88         La Commission a le pouvoir d’accorder des intérêts en vertu de l’alinéa 226(2)(c) de la Loi dans le cas d’un grief « portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Le législateur ayant défini les pouvoirs d’octroyer des intérêts, il s’ensuit par simple interprétation législative que la Commission n’a pas l’autorité d’accorder des intérêts dans d’autres circonstances, comme celle en l’espèce.

89        Les fonctionnaires ont également demandé le remboursement de leurs dépenses raisonnables pour avoir assisté à l’audience, alors qu’ils sont maintenant à la retraite. Leur présence à l’audience est un droit fondamental en relations de travail, mais je ne vois pas à quel titre je peux ordonner à l’employeur de rembourser leurs dépenses. L’affaire est une simple interprétation de la convention collective, il n’y avait aucune malveillance de la part de l’employeur.

90        L’ordonnance comporte une date précise pour rembourser les sommes dues aux fonctionnaires.

91        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

92        Les griefs sont accueillis.

93        L’employeur versera à M. Bercier la prime de formateur prévue à la clause 43.05 de la convention collective, soit 2,50 $ de l’heure, pour les 1 200 heures de formation donnée entre le 3 novembre 2010 et le 23 décembre 2011.

94        L’employeur versera à M. Roy la prime de formateur prévue à la clause 43.05 de la convention collective, soit 2,50 $ de l’heure, pour les 453 heures de formation donnée entre le 1er juin et le 21 décembre 2011.

95        L’employeur paiera les sommes dues au plus tard 45 jours après la date de la présente décision.

Le 1 mai 2019.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral

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