Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte en vertu du Code dans laquelle il alléguait avoir été victime de représailles de la part de son employeur pour avoir porté plainte contre ses gestionnaires, alléguant qu’il y avait eu de la violence dans le lieu de travail – son poste d’attache se situait aux bureaux de l’employeur à Gatineau (Québec) – son médecin a indiqué qu’en raison du stress et de l’anxiété qu’il vivait au travail, il devait être transféré dans un emploi similaire dans un autre secteur ou une autre organisation – afin de répondre à ses besoins, l’employeur l’a affecté à un autre secteur, dans ses bureaux situés à Ottawa, en Ontario – plusieurs mois après le début de l’affectation, le plaignant a déposé une plainte de violence au travail à l’encontre de son superviseur et d’autres cadres supérieurs, alléguant qu’il était victime d’intimidation et de harcèlement, ce qui lui causait un préjudice psychologique – deux jours plus tard, après avoir rencontré la directrice générale de la direction générale à laquelle il avait été affecté, son entente d’affectation a pris fin – puisque son poste d’attache se trouvait aux bureaux de Gatineau où, selon les instructions de son médecin, il ne pouvait plus travailler, et comme il avait déjà épuisé tous ses crédits de congé de maladie en raison de la maladie ayant donné lieu aux instructions du médecin, il a été contraint de prendre un congé non payé – il a allégué que s’il n’avait pas exercé ses droits en vertu du Code afin de signaler la violence dans le lieu de travail, il n’aurait subi aucun préjudice – la Commission n’était pas convaincue que la décision d’annuler son affectation a été prise en guise de représailles à ses plaintes de violence dans le lieu de travail – il avait informé la directrice générale que, si elle ne l’aidait pas [traduction] « dès que possible », il risquait de subir d’autres blessures invalidantes possibles – elle a donc été convaincue qu’il serait inapproprié de laisser le plaignant occuper un emploi sous la supervision des gestionnaires, vu ses allégations de violence dans le lieu de travail – aucun autre gestionnaire n’était disponible pour le superviser dans sa direction générale, ce qui signifie qu’elle n’avait d’autre choix que de mettre fin à l’affectation – bien que la fin de son entente ait eu un effet préjudiciable puisque cela l’a contraint de partir en congé non payé, les mesures de la directrice générale ont été prises uniquement en raison de sa demande urgente d’être protégé contre d’autres préjudices – en outre, la Commission n’était pas convaincue que la décision prise par l’équipe de gestion du secteur d’attache du plaignant de rejeter sa demande de congé payé après l’annulation de l’affectation avait été prise en guise de représailles aux plaintes de violence dans le lieu de travail – aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer que l’équipe avait connaissance des circonstances qui avaient donné lieu à l’annulation de l’affectation.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190508
  • Dossier:  560-02-00130
  • Référence:  2019 CRTESPF 52

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

MATHIEU STIERMANN

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR (MINISTÈRE DE L’INDUSTRIE)

défendeur

Répertorié
Stiermann c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie)


Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Peter Engelmann, avocat
Pour le défendeur:
Karl Chemsi, avocat
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 14 au 16 février et le 16 avril 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé de la preuve

1         Mathieu Stiermann (« le plaignant ») a déposé la plainte en l’espèce aux termes de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « Code »), en alléguant avoir souffert de mesures de représailles de la part de son employeur après avoir déposé des plaintes en vertu du Code à l’encontre de ses gestionnaires, dans lesquelles il alléguait de la violence au travail.

2         Le plaignant a indiqué dans son témoignage qu’il était atteint d’une maladie à l’époque pertinente et que cette maladie avait été en partie déclenchée par le stress et l’anxiété qu’il vivait au travail et qu’il attribuait à une relation acrimonieuse avec ses superviseurs. Par conséquent, son médecin était d’avis qu’il devait être retiré de façon permanente de son lieu de travail, tant sur le plan géographique qu’organisationnel. On l’a donc assigné à une autre direction du ministère.

3         Toutefois, après avoir déposé la deuxième de deux plaintes de violence au travail dans son nouveau lieu de travail, l’employeur a mis fin à l’entente d’affectation du plaignant en lui disant qu’il n’y avait plus de bureaux disponibles où il pourrait travailler ni de gestionnaires qui n’avaient pas été accusés de commettre des actes de violence au travail à son égard qui pouvaient le superviser.

4         Le plaignant a indiqué à son employeur que son état de santé l’empêchait de travailler pour tous les gestionnaires de sa section d’attache également. Après avoir épuisé ses congés payés, il a pris un congé non payé. Il a ensuite déposé sa plainte où il alléguait avoir été victime de représailles, une pratique interdite en vertu du Code.

5         Pour les motifs expliqués plus tard dans la présente décision et après avoir examiné attentivement l’ensemble de la preuve et des arguments, je conclus que la preuve ne suffit pas à me permettre de conclure que les mesures exposées par le plaignant constituaient des mesures, des pénalités, des mesures disciplinaires ou des mesures de représailles prises par l’employeur en réponse à ses plaintes de violence au travail.

II. Contexte

6         Le plaignant a fait des études en droit, après lesquelles il a commencé sa carrière dans la fonction publique à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE). Au moment où les événements liés à l’affaire en l’espèce sont survenus, il possédait une expérience de 15 ans dans la fonction publique et occupait un poste classifié au groupe et niveau EC-05 à l’OPIC. Il était assujetti à la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels qui est arrivée à échéance le 21 juin 2014 (la « convention collective »).

7         Le plaignant a témoigné qu’à la fin de l’année 2015, le stress qu’il vivait au travail l’a mené à demander une mesure d’adaptation afin de travailler ailleurs et sous la direction d’un superviseur différent. À l’audience, on a présenté la lettre d’un médecin datée du 23 octobre 2015, qui indique que la source principale du stress que le plaignant vivait était attribuable à (traduction) « […] une mauvaise relation avec son superviseur actuel, qui est responsable de superviser ses activités depuis mars 2015. »

8         La lettre indique également que ses symptômes ne se sont pas atténués, même s’il collabore au traitement. Le médecin a recommandé qu’il (traduction) « […] se voie offrir la possibilité de travailler dans un nouvel endroit où il pourrait éviter la relation antagoniste avec son superviseur actuel. »

9         Le plaignant a aussi présenté des billets rédigés par son médecin et son psychiatre à l’intention de l’employeur, qui indiquent entre autres que le plaignant (traduction) « […] doit IMMÉDIATEMENT changer d’emplacement physique et géographique », et ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les limitations fonctionnelles [du plaignant] sont permanentes, ce qui signifie qu’il ne peut pas faire l’objet de mesures d’adaptation dans son poste d’attache ou dans son secteur et sa région actuels […]

[Il] doit occuper un poste différent aux tâches semblables et il doit être transféré dans un emploi similaire mieux adapté à ses limitations fonctionnelles et à ses besoins dans un autre secteur ou une autre organisation, comme il est indiqué ci-dessus, ce qui peut être réalisé par une mutation latérale.

[…]

10        Afin de répondre aux besoins du plaignant, l’employeur l’a affecté à un autre secteur du ministère, à la Direction générale de l’aérospatiale, de la défense et de la marine du Secteur de l’industrie, dont les bureaux sont situés à Ottawa (Ontario) plutôt qu’à Gatineau (Québec), là où se trouvait son poste d’attache. L’affectation devait durer du 18 juillet 2016 au 17 janvier 2017.

11        En octobre 2016, le plaignant a déposé une plainte de violence au travail à l’encontre de son superviseur au bureau d’Ottawa. Le 15 novembre 2016, il a déposé une plainte auprès du directeur général de la direction générale afin de déclarer que son directeur et son directeur adjoint où il avait été affecté à Ottawa l’avaient aussi soumis à de la violence au travail, particulièrement en l’intimidant et en le harcelant, ce qui constituait un dommage psychologique.

12        Le 17 novembre 2016, on a informé le plaignant que son affectation était terminée.

13        La plainte de représailles écrite présentée à ce que l’on connaît maintenant sous le nom de Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), datée du 22 mars 2017, et qui fait l’objet de l’audience, contient l’allégation suivante :

[Traduction]

[…]

Le 20161115, j’ai déposé une plainte officielle – et une preuve prima facie – de violence dans le lieu de travail aux termes de la partie XX[Prévention de la violence dans le lieu de travail] du [Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304)] à ma directrice générale d’attache à ce moment, Mme Mary Gregory, qui, le 20161117 – je soutiens, dans un acte de représailles – m’a informé que mon affectation était « terminée ». Le 20161118, le directeur de mon secteur d’attache, M. Scott Vasudev, m’a ensuite informé que l’on me plaçait – en effet – en congé administratif non payé à moins d’instructions contraires. M. Vasudev a revu et a confirmé sa décision prise le 20161118 par courriel le 20161222.

[…]

III. Questions

14        Les parties s’entendent sur le fait que je dois trancher quatre questions afin de déterminer s’il y a eu atteinte à l’article 147 du Code. Ces questions sont énoncées dans la décision rendue par la Commission dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, au paragraphe 64, que je reformule ainsi :

  1. Le plaignant a-t-il exercé ses droits aux termes du Code (article 147)?
  2. A-t-il subi des représailles?
  3. Les représailles étaient-elles de nature disciplinaire telles que définies à l’article 147 du Code?
  4. Existe-t-il un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures qu’il a subies?

15        Étant donné que le deuxième et le quatrième volet du critère sont étroitement liés, je les aborderai donc ensemble dans mon analyse.

16        Les articles pertinents du Code sont les suivants :

[…]

133 (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[…]

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[…]

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

IV. Analyse

A. Le plaignant a-t-il exercé ses droits aux termes du Code (article 147)?

17        Au départ, l’employeur a contesté les allégations de l’employé, en indiquant dans ses arguments écrits qu’elles ne donnaient pas lieu à l’exercice d’un droit en vertu du Code et qu’elles ne correspondaient pas à la définition du terme « violence » (voir les pages 3 de 6 des arguments écrits du 13 avril 2017).

18        Toutefois, l’employeur a reconnu à l’audience que la première étape de l’exigence prévue à l’article 147 du Code avait été atteinte.

B. A-t-il subi des représailles directement liées à l’exercice de ses droits aux termes du Code?

19        Le plaignant a fait valoir que deux jours après avoir déposé ses allégations de violence dans le lieu de travail à l’encontre de ses gestionnaires, l’employeur a décidé de mettre fin à son entente d’affectation. Il a soutenu que la direction savait qu’il avait épuisé ses congés annuels lorsque son affectation a été terminée prématurément et qu’elle savait ou aurait dû savoir qu’il devrait donc prendre un congé non payé.

20        Le plaignant a envoyé un courriel à Mary Gregory, qui était la directrice générale de la direction générale où il était affecté, à 9 h 52 le 15 novembre 2016. Il écrit :

[Traduction]

Objet : Signalement de violence dans le lieu de travail – URGENT

Madame Mary Gregory, directrice générale,

Je vous signale que j’ai subi de la violence dans le lieu de travail, ou de la « VLT » – en particulier, j’ai été victime d’intimidation et de harcèlement constituant un préjudice psychologique, principalement de la part de ma directrice, Mme Sharon Irwin, et, dans une mesure moindre, de mon directeur adjoint, M. Denis Bourque – comme il est défini à la section 3.4 de la Politique sur la prévention de la violence dans le lieu de travail d’ISDE.

Ces allégations reposent sur une série d’événements qui, je le crois de tout cœur, constituent des exercices manifestement illégitimes et inappropriés de leurs pouvoirs et responsabilités, lorsque l’on met en contexte les gestes qu’ils ont posés ou qu’ils n’ont pas posés.

Je vous demande par la présente de m’aider à tenter de régler ma plainte – et d’éviter d’autres blessures invalidantes éventuelles – DÈS QUE POSSIBLE.

À cette fin, j’aimerais vous rencontrer le plus tôt possible afin de décrire les incidents, qui, encore une fois, constituent selon moi de la VLT, et d’en discuter afin de trouver des options pour la voie à suivre, y compris une éventuelle solution qui pourrait prendre la forme d’une possibilité au même niveau dans un autre secteur d’ISDEC.

Veuillez noter que je dois m’absenter immédiatement pour un rendez-vous médical; je serai de retour à 13 h 25 et je pourrai vous rencontrer par la suite.

Veuillez également noter que je me réserve le droit d’être représenté pour l’instant.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués, Mathieu.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

21        Mme Gregory a indiqué dans son témoignage qu’après avoir reçu cette lettre, elle ne pouvait pas permettre au plaignant de retourner dans le même lieu de travail sous la supervision des mêmes gestionnaires qui étaient désormais visés par son accusation de violence dans le lieu de travail.

22        Je mentionne que la Politique sur la prévention de la violence dans le lieu de travail d’ISDE a été présentée en tant que pièce. Elle indique, aux sections 8.1 et 8.2 que la haute direction, les gestionnaires et les superviseurs sont responsables de ce qui suit :

  • Fournir un milieu de travail sain, sécuritaire et exempt de violence;
  • Répondre à tout cas de violence dans le lieu de travail en prenant les mesures requises pour protéger les employés dans la mesure du possible […]

23        Mme Gregory a indiqué dans son témoignage qu’elle a entendu parler de la plainte pour la première fois lorsqu’un employé des Ressources humaines lui a dit qu’un employé travaillant dans une division ministérielle à Gatineau éprouvait des problèmes personnels et avait besoin d’une mesure d’adaptation sous la forme d’un déménagement à Ottawa. On lui a dit que le ministère souhaitait le transférer dans l’une des directions générales qu’elle supervisait à Ottawa selon sa demande.

24        Mme Gregory a parlé de ses nombreuses tâches et des dossiers urgents qui exigeaient tous les jours son attention afin de tenir le ministre au courant. Elle a indiqué qu’elle devait souvent participer à des réunions ou à des événements, parfois à court préavis, avec le ministre ainsi que d’autres cadres supérieurs du gouvernement et de l’industrie.

25        Mme Gregory a indiqué dans son témoignage qu’après avoir entendu parler de la première allégation de violence dans le lieu de travail faite par le plaignant qui était survenue dans sa division, elle a accepté sans tarder d’assigner des superviseurs différents afin de surveiller son travail et de ne plus le faire superviser par l’accusé.

26        Elle a indiqué qu’elle a immédiatement consulté les Ressources humaines lorsqu’elle a reçu le courriel du plaignant qui contenait la deuxième allégation de violence. À la première occasion, soit le 15 novembre 2016, elle a rencontré le plaignant de toute urgence. Elle a indiqué dans son témoignage que le plaignant lui a dit, lors de cette réunion, qu’il se sentait rabaissé par son gestionnaire parce qu’on lui confiait des tâches sans intérêt et qu’une personne ayant un poste de groupe et niveau EC-05 devrait mener des analyses et formuler des recommandations. Il lui a aussi expliqué comment son gestionnaire, celui de sa division, l’ignorait tout comme les commentaires à valeur ajoutée qu’il formulait sur le travail de la direction générale. Il lui a dit que l’un de ses gestionnaires lui a présenté ses excuses à un moment donné pour le manque d’attention dont il souffrait et il lui aurait expliqué que le gestionnaire avait d’autres travaux urgents à faire.

27        Il lui a dit qu’il avait organisé plusieurs réunions, mais qu’elles avaient toutes été annulées. Selon lui, cette affectation dans sa division lui avait été imposée, il n’aimait pas le travail qu’on lui confiait et il voulait concentrer son énergie à trouver un meilleur emploi ailleurs.

28        Dans son interrogatoire principal, on a demandé à Mme Gregory de donner des détails sur les allégations de violence dans le lieu de travail. Elle a répondu que le plaignant lui avait dit que trois membres de son équipe de direction l’avaient intimidé. Cette affirmation l’a surprise puisqu’elle connaissait bien les gestionnaires et qu’elle n’avait jamais eu de problèmes avec eux. Elle a indiqué qu’elle traitait tout de même les allégations avec sérieux.

29        Mme Gregory a indiqué dans son témoignage qu’elle croyait qu’il serait inapproprié de permettre au plaignant de continuer de travailler sous la supervision des trois gestionnaires, vu ses allégations selon lesquelles ils avaient commis des actes de violence dans le lieu de travail à son égard.

30        Mme Gregory a expliqué qu’aucun autre de ses gestionnaires subalternes n’était disponible pour accepter une affectation immédiate du plaignant dans leur direction générale. Elle a mentionné qu’elle avait aussi cherché d’autres options dans sa division, tout en précisant qu’il s’agissait d’une période extrêmement chargée. Un dossier de très grande envergure était géré pour le gouvernement; un important employeur du secteur privé consultait les cadres supérieurs du gouvernement à cet égard. Son équipe de direction et elle travaillaient souvent pendant de longues journées et en soirée pour ne pas prendre de retard dans leur travail, qui attirait l’attention du public.

31        Elle a indiqué que l’équipe de direction n’avait tout simplement pas la capacité d’organiser une affectation immédiate pour le plaignant afin qu’il occupe de nouvelles fonctions et de l’aider ensuite à faire la transition vers ses nouvelles tâches et le superviser. Mme Gregory a indiqué dans son témoignage que le plaignant avait déjà trouvé un poste dans une division différente qui l’intéressait. Elle a expliqué qu’elle n’avait aucun contrôle sur cette division et lui a suggéré de communiquer avec les Ressources humaines pour explorer cette option.

32        Mme Gregory a expliqué qu’elle était convaincue, au terme de leur première réunion, que l’affectation du plaignant ne pouvait pas se poursuivre puisqu’il lui avait mentionné qu’il voulait étudier d’autres options. Elle a ajouté qu’elle croyait qu’il ne pouvait plus rendre compte à aucun des trois membres de l’équipe de direction, qui, selon ce qu’il avait déclaré (dans deux plaintes distinctes), avaient commis des actes de violence dans le lieu de travail à son égard.

33        La réunion a pris fin lorsque Mme Gregory a dit au plaignant qu’elle se pencherait sur ses allégations de violence dans le lieu de travail. Ils se sont de nouveau rencontrés deux jours plus tard le 17 novembre. Ils étaient tous deux accompagnés d’une autre personne. La réunion a été brève, comme Mme Gregory l’a indiqué dans son témoignage, puisqu’elle a essentiellement dit au plaignant qu’elle mettait fin à son entente d’affectation dans sa division et qu’il devrait retourner dans sa direction générale d’attache, l’OPIC, et traiter avec le personnel des Ressources humaines là-bas pour obtenir de l’aide avec son poste.

34        J’ai entendu des témoignages et une longue argumentation visant à déterminer si le plaignant avait accepté la fin de son entente d’affectation ou s’il y avait acquiescé par son silence. Le plaignant a soutenu que l’employeur tentait d’étayer sa preuve en décrivant de façon inappropriée que la fin de son entente d’affectation était consensuelle. L’avocat du plaignant a aussi soutenu que je devrais tirer des conclusions négatives sur la crédibilité des témoins appelés par l’employeur pour la même raison.

35        Mme Gregory a indiqué dans son témoignage que le plaignant s’est présenté à leur première rencontre en lui faisant part de son vif intérêt à être affecté à un poste différent dans un autre secteur du ministère qu’il avait déjà trouvé. Elle a ajouté qu’il a également fait part de sa frustration par rapport aux tâches sans intérêt, selon lui, que ses gestionnaires lui confiaient.

36        Dans sa description de leur deuxième rencontre, où elle a annoncé au plaignant la fin de son affectation dans sa division, Mme Gregory a indiqué dans son témoignage qu’il n’a rien répondu après qu’elle lui a annoncé cette nouvelle. Elle a indiqué qu’elle a conclu que son silence signifiait qu’il était d’accord avec sa décision. Elle a reconnu qu’il lui a demandé si le ministère paierait son traitement de counseling psychiatrique. Elle a répondu qu’elle lui a conseillé de parler de ce sujet avec sa direction générale d’attache.

37        L’avocat du plaignant a montré à Mme Gregory une copie des notes qu’elle a prises lors de cette deuxième rencontre, comme elle l’a confirmé, et a particulièrement insisté sur le fait que ce qui ressemblait à un addenda, où elle écrivait que le plaignant avait accepté la fin de l’affectation, semblait avoir été ajouté à la fin de ces notes et qu’il était daté plus de deux mois après la réunion. L’avocat est revenu sur cette question en contre-interrogatoire, et Mme Gregory a avoué que c’est elle et elle seule qui avait mis fin à l’entente d’affectation.

38        J’ai écouté le témoignage et l’argumentation afin de déterminer si l’on avait mis fin de façon inappropriée à l’entente d’affectation étant donné que celle-ci indiquait que les parties pouvaient y mettre fin d’un commun accord. Je conclus que la question visant à déterminer si l’on a mis fin à l’entente d’affectation conformément à ses dispositions n’a aucune valeur probante en ce qui concerne les questions qu’il m’appartient de trancher. Il me faut déterminer si le plaignant a subi des représailles directement liées à l’exercice de ses droits aux termes du Code.

39        En revenant sur la question visant à déterminer si la décision de mettre fin à l’entente était viciée d’une quelconque façon, l’avocat a contre-interrogé Mme Gregory afin de savoir si elle était au courant des circonstances entourant la plainte. Elle a confirmé qu’elle savait, avant son arrivée dans sa division, que le plaignant était affecté dans le cadre de mesures d’adaptation prises pour régler des problèmes dans sa direction générale d’attache, mais qu’elle ignorait les détails connexes.

40        Après la fin de l’affectation, le plaignant est retourné dans sa direction générale d’attache à l’OPIC, où son gestionnaire serait Scott Vasudev, l’un des gestionnaires que le plaignant avait déjà accusés de mauvais traitement, ce qui avait mené à son affectation à l’extérieur de la direction générale et de Gatineau.

41        M. Vasudev a indiqué dans son témoignage que le syndicat du plaignant, après avoir appris la fin de l’entente d’affectation, lui avait demandé de prolonger le congé payé du plaignant pendant qu’il demandait une nouvelle affectation, mais cette demande a été rejetée. On a demandé à M. Vasudev pourquoi il n’avait pas approuvé le congé payé à ce moment, alors qu’il l’avait déjà fait pour le plaignant en février 2016.

42        M. Vasudev a expliqué qu’il a signé une lettre, le 22 décembre 2016, dans laquelle il indiquait que le plaignant demeurerait à la maison en congé de maladie et pas en « autre congé payé » comme il avait été demandé. Dans cette lettre, M. Vasudev a indiqué que les billets médicaux de janvier et de mars 2016 rédigés par les médecins du plaignant indiquent qu’il était incapable de façon permanente de travailler à l’OPIC pour des raisons d’ordre médical. M. Vasudev a expliqué que les billets médicaux étaient ambigus en ce qui concerne la nature précise des limites fonctionnelles du plaignant. Étant donné qu’ils indiquaient qu’il était dans l’incapacité permanente d’exercer toute fonction à l’OPIC, on a décidé de le laisser en congé de maladie.

43        M. Vasudev a ensuite indiqué qu’il avait de longs antécédents avec le plaignant, qui avait souvent épuisé ses congés de maladie payés avant la fin de l’exercice. M. Vasudev s’attendait à ce que la situation se reproduise une fois l’entente d’affectation terminée.

44        Il a ajouté qu’il n’avait eu aucun contact avec le plaignant à la suite du traitement de sa demande de prestations ou de sa recherche d’un nouveau poste parce que son médecin avait indiqué qu’il ne devait avoir aucun contact avec l’OPIC.

45        Lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait, à sa discrétion, prolonger le congé payé du plaignant dans cette situation après qu’il ait épuisé ses congés payés réguliers, M. Vasudev a répondu par l’affirmative. Il a renvoyé à la clause 21.17 de la convention collective, intitulée « Congés payés ou non payés pour d’autres motifs », qui se lit ainsi :

L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

  1. un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;
  2. un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

46        Il a aussi indiqué dans son témoignage que cette décision était conforme à la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales du Conseil du Trésor du Canada. L’annexe A, intitulée Congés payés et temps libre payé, indique ce qui suit :

1. Gestion des congés payés ou du temps libre payé

Sur demande d’une personne nommée à l’administration publique centrale, les personnes ayant le pouvoir délégué peuvent approuver un congé payé conformément à la convention collective ou aux conditions d’emploi applicables. On pourra par ailleurs accorder du temps libre payé en conformité avec les dispositions de la présente annexe.

1.1 Les personnes ayant le pouvoir délégué, qui approuvent un congé payé ou du temps libre payé ont le droit de planifier ces absences en tenant compte des besoins opérationnels. Toute absence du travail doit être autorisée par la personne ayant le pouvoir délégué.

[Souligné dans l’original]

47        L’avocat du plaignant a soutenu que ce dernier n’aurait subi aucun préjudice s’il n’avait pas exercé ses droits aux termes du Code afin de signaler la violence dans le lieu de travail, comme le garantit l’article 147.

48        Il m’a aussi renvoyé à une série de décisions qui indiquaient que la Commission devrait chercher à savoir si la décision contestée prise par l’employeur était viciée parce que le plaignant avait exercé ses droits, et que l’employeur avait le fardeau de prouver qu’une pénalité n’est absolument pas liée à l’exercice des droits prévus dans le Code, et que le critère à satisfaire pour conclure que l’employeur avait contrevenu au Code en faisant subir des représailles était bas, étant donné que ce dernier vise à protéger les employés.

49        L’avocat du plaignant a également soutenu que les témoins appelés par l’employeur n’étaient pas crédibles puisque leurs témoignages sous-entendaient que le plaignant était d’accord avec la fin de son entente d’affectation.

50        L’avocat de l’employeur a insisté sur l’importance du plaidoyer du plaignant, où il a indiqué qu’il avait besoin d’aide de toute urgence pour éviter d’autres (traduction) « blessures invalidantes ». L’avocat a fait valoir que Mme Gregory n’avait aucune autre option que d’agir sans tarder. L’avocat a soutenu que Mme Gregory n’avait donc personne d’autre sur qui compter dans sa division pour superviser le travail du plaignant.

51        Je ne suis pas convaincu que la décision d’annuler l’affectation a été prise en guise de représailles à la plainte déposée le 15 novembre. Le plaignant a indiqué à Mme Gregory qu’il risquait de (traduction) « subir d’autres blessures invalidantes possibles » si elle ne l’aidait pas (traduction) « DÈS QUE POSSIBLE ». Il l’a informée, lors de leur réunion du 15 novembre, des problèmes qu’il éprouvait.

52        Je conclus qu’elle était donc convaincue qu’il serait inapproprié de laisser le plaignant occuper un emploi sous la supervision des gestionnaires, vu ses allégations de violence dans le lieu de travail et qu’ils travaillaient tous les trois aux bureaux d’Ottawa. Aucun autre gestionnaire n’était disponible pour superviser le plaignant dans sa direction générale, ce qui signifie qu’elle n’avait d’autre option que de mettre fin à l’affectation.

53        Même si le plaignant a peut-être bel et bien vécu la fin de l’entente comme une mesure punitive, puisqu’elle signifiait qu’il devait rester à la maison en congé non payé, la mesure prise par Mme Gregory était néanmoins causée uniquement par sa demande urgente d’être protégé contre d’autres préjudices. Comme l’avocat de l’employeur l’a soutenu, aux termes du Code, un signalement de violence impose une obligation très importante à la direction de régler rapidement la question.

54        Après que l’avocat du plaignant a terminé son plaidoyer final, je lui ai demandé à la lumière de ces obligations imposées à la direction, ce que Mme Gregory aurait dû faire lorsqu’elle a reçu la lettre plutôt inquiétante du plaignant, dans laquelle il indiquait avoir subi de la violence de son gestionnaire, que cette affaire était urgente et qu’il avait besoin de son aide pour éviter d’autres blessures invalidantes éventuelles.

55        L’avocat du plaignant a répondu candidement et a avoué que Mme Gregory avait effectivement eu raison de conclure qu’elle ne pouvait pas renvoyer le plaignant dans le même lieu de travail sous la supervision des mêmes gestionnaires qui étaient désormais visés par des plaintes de violence dans le lieu de travail.

56        L’avocat du plaignant s’est toutefois empressé d’ajouter que la décision prise par Mme Gregory était néanmoins viciée et qu’elle aurait dû en faire beaucoup plus pour aider le plaignant; soit qu’elle aurait dû organiser une nouvelle affectation qu’il acceptait et s’assurer qu’il obtenait un congé payé illimité pendant que l’on s’employait à lui obtenir une nouvelle affectation. Après avoir observé minutieusement les témoignages de tous les témoins et après avoir examiné tous les éléments de preuve documentaire présentés en tant que pièces à l’audience, je suis convaincu que la mesure prise par Mme Gregory était motivée par une inquiétude véritable à l’égard du bien-être du plaignant et comme elle avait l’obligation de le faire selon les politiques mentionnées précédemment.

57        L’avocat de l’employeur a soutenu que la cause du plaignant portait en majeure partie sur des allégations de défaut d’accommodement. Il a renvoyé aux arguments énoncés par l’avocat du plaignant selon lesquels l’employeur aurait dû en faire davantage pour lui trouver rapidement une nouvelle affectation et lui épargner la présence de tous les gestionnaires dans sa division, qu’il aurait été bien que la direction continue de lui verser un salaire à titre gracieux pendant qu’il était en congé et attendait sa nouvelle affectation.

58        La situation se serait en fait mieux terminée pour le plaignant si elle avait choisi de le faire. Cela ne prouve toutefois pas que le choix de Mme Gregory de mettre fin à l’affectation était directement lié à l’exercice de ses droits de porter plainte.

59        Le plaignant a aussi soutenu que l’équipe de direction de son secteur d’attache avait également rejeté sa demande de congé payé après la fin de son affectation en guise de représailles à sa plainte de violence dans le lieu de travail. Toutefois, lorsque l’on a demandé à M. Vasudev s’il savait que le plaignant avait formulé des allégations de violence dans le lieu de travail à l’encontre de ses gestionnaires tout juste avant la fin de l’affectation, il a répondu ne l’avoir su que des semaines plus tard. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer que M. Vasudev était au courant de façon quelconque des circonstances qui avaient donné lieu à l’annulation de l’affectation, hormis la plainte de violence dans le lieu de travail du 15 novembre sur les événements qui étaient soi-disant survenus dans les bureaux d’Ottawa.

60        Pour ces motifs, je conclus, en réponse à la deuxième et à la quatrième question en litige, que l’employeur n’a pris aucune mesure de représailles directement liée à l’exercice des droits du plaignant aux termes du Code.

C. La mesure était-elle de nature disciplinaire?

61        Vu ma conclusion sur l’absence de mesure de représailles, la discussion visant à déterminer si la fin de l’affectation est de nature disciplinaire est théorique. Toutefois, par souci de clarté et puisque des éléments de preuve ont été présentés sur cette question, je formulerai certaines conclusions.

62        Le plaignant prétend que la fin de l’affectation et son retour dans son secteur d’attache qui en découle lui ont bel et bien imposé une pénalité financière parce qu’il ne pouvait pas travailler là-bas, selon les instructions de ses médecins, et puisqu’il avait épuisé tous ses crédits de congé de maladie payé. Par conséquent, il a été placé en fait en congé administratif non payé, selon lui.

63        L’avocat du plaignant a fait valoir que l’équipe de direction savait, non seulement que le plaignant avait utilisé tous ses congés de maladie payés, mais aussi qu’il affichait un solde de mois négatif avant la fin de son affectation, ce qui signifiait qu’il se trouvait en congé non payé.

64        Toutefois, aucune preuve ne montre que Mme Gregory, la personne qui a décidé de mettre fin à l’affectation, était au courant d’une façon ou d’une autre de l’incidence financière sur le plaignant s’il retournait dans son secteur d’attache.

65        Lorsqu’on lui a demandé si elle savait quelque chose à propos du solde de congés de maladie du plaignant lorsqu’elle a traité avec lui et mis fin à son affectation, elle a répondu qu’elle ne savait rien du tout parce que c’est sa direction générale d’attache qui gérait sa rémunération et ses avantages à ce moment. Elle a ajouté que lors de leur rencontre du 15 novembre, lorsqu’il lui a demandé la permission de rester à la maison en étant sur appel et en congé payé, elle a répondu qu’elle n’avait jamais entendu parler d’un tel état et lui a conseillé de parler au personnel de la rémunération et des avantages sociaux des Ressources humaines de sa direction générale.

66        Par conséquent, le retour du plaignant dans son secteur d’attache était la seule conséquence directe de la fin de l’affectation. Il ne s’agit pas d’une mesure punitive en soi ou d’une mesure défavorable pour le plaignant aux termes de l’article 147 du Code.

67        Ainsi, toute perte subie par le plaignant parce qu’il est retourné dans son secteur d’attache n’est pas directement liée à la fin de l’affectation; il s’agit plutôt du fruit de sa situation malheureuse, comme il a été indiqué plus tôt en l’espèce.

68        Je conclus donc que, même si la fin de l’affectation constituait une mesure de représailles, elle n’était pas de nature disciplinaire aux termes de l’article 147 du Code. Tout comme l’issue dans Vallée (au paragraphe 76), je conclus que le plaignant n’a subi aucunes représailles et, si représailles il y a eu, je conclus qu’elles sont attribuables à des raisons autres que l’exercice par le plaignant de ses droits aux termes du Code.

69        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

70        La plainte est rejetée.

Le 8 mai 2019.

Traduction de la CRTESPF.

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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