Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
L’employeur a suspendu la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé en attendant une réévaluation et l’a suspendu de son emploi en attendant – il a présenté un grief contre les suspensions – il a renvoyé ses griefs à l’arbitrage, alléguant que les suspensions constituaient des mesures disciplinaires et des actes discriminatoires fondées sur la religion et l’ethnicité – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner les suspensions du fonctionnaire s’estimant lésé étant donné qu’il s’agissait de mesures administratives prises de bonne foi et pour des motifs valables – en outre, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi une preuve prima facie selon laquelle les suspensions étaient fondées sur sa religion et son ethnicité.
Grief rejeté.
L’employeur a révoqué la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé et a mis fin à son emploi – ce dernier a présenté un grief contre les deux décisions – il a renvoyé ses griefs à l’arbitrage, alléguant que la révocation constituait une mesure disciplinaire et un acte discriminatoire fondé sur sa religion et son ethnicité – la Commission a conclu qu’il n’a pas établi une preuve prima facie selon laquelle la révocation de sa cote de fiabilité était fondée sur sa religion et son ethnicité – en outre, la Commission a conclu que l’employeur a établi que la révocation de la cote de fiabilité constituait une mesure administrative prise de bonne foi et pour des motifs valables et que le licenciement était raisonnable et justifié – la Commission a également conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que la suspension constituait un acte discriminatoire.
Griefs rejetés.
Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé de ne pas être identifié dans la décision de la Commission et que certaines pièces soient mises sous scellé – la Commission a conclu qu’il était nécessaire d’accorder les demandes pour empêcher un risque grave à l’administration de la justice et que l’effet salutaire d’accorder les demandes l’emportait sur les effets préjudiciables – la Commission a conclu que la protection du fonctionnaire et de sa famille contre la discrimination dans leur vie quotidienne protégeait une valeur sociale d’une importance supérieure.
Demandes accueillies.
Contenu de la décision
Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les de relations de travail dans le secteur public fédéral
- Date: 20190516
- Dossier: 566-34-12722 à 12726
- Référence: 2019 CRTESPF 53
Devant une formation de la Commission des relations travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
ENTRE
A.B.
fonctionnaire s'estimant lésé
et
AGENCE DU REVENU DU CANADA
employeur
Répertorié
A.B. c. Agence du revenu du Canada
Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
- Devant:
- Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
- Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
- Pamela Sihota, Alliance de la Fonction publique du Canada
- Pour l'employeur:
- Zorica Guzina, avocate
du 24 au 27 octobre 2017.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
I. Résumé
1 Les éléments de preuve présentés à l’audience ont révélé qu’A.B., le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un Canadien qui travaille fort et qui est respectueux de la loi. Il a obtenu des diplômes collégiaux et universitaires et a travaillé avec acharnement pour faire progresser sa carrière et améliorer sa vie et celle de sa famille.
2 La présente affaire concerne cinq griefs individuels survenus à la suite des mêmes événements, qui ont donné lieu à la suspension de la cote de fiabilité du fonctionnaire et ensuite à sa révocation, et enfin à son licenciement au motif qu’il ne détenait pas une cote de fiabilité. Il a déposé des griefs alléguant qu’il a été victime de discrimination fondée sur la race et la religion. Il est né et a grandi en Afghanistan et s’auto-identifie en tant que musulman.
3 Le fonctionnaire a vu le jour dans des circonstances difficiles à Kaboul, en Afghanistan. Sa famille a immigré au Canada en 1999 où elle a recommencé sa vie. Puisqu’il a grandi à Kaboul, qui était en guerre, le fonctionnaire a des points de vue très solides relatifs au conflit en Afghanistan, qui a formé ses premières années. Ses points de vue diffèrent beaucoup de ceux qu’une personne née et ayant grandi en Amérique du Nord et dont les seules connaissances sur la guerre proviennent des médias d’information classiques américains pourrait avoir. Le fonctionnaire a déclaré que les nouvelles à la télévision en Amérique du Nord ne disent pas la vérité.
4 Comme l’indiquent ses articles qu’il avait publiés dans les médias sociaux, le fonctionnaire ressent une amertume à l’égard des activités militaires de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dans son pays d’origine. Il avait un appétit féroce pour les nouvelles fondées sur les médias sociaux de son pays d’origine et a commencé à publier énormément de billets dans les médias sociaux, où il exprimait des points de vue très arrêtés lorsqu’il s’est enflammé à propos des événements qui se sont déroulés dans le cadre du conflit en cours en Afghanistan et ailleurs.
5 Le fonctionnaire a profité d’un emploi d’une durée déterminée de dix jours pendant lesquels il a suivi une formation aux bureaux de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur » ou ARC) qui se trouvaient au même endroit que l’Aéroport international de Calgary (YYC) à Calgary (Alberta). Une collègue à cet endroit a reconnu le fonctionnaire et s’est rappelé un événement survenu alors qu’ils travaillaient pour le même employeur, ce qui l’a motivée à faire part de ses inquiétudes à son sujet à la sécurité de l’ARC.
6 L’employeur a découvert rapidement que le fonctionnaire avait publié plusieurs billets troublants dans les médias sociaux qui étaient ouvertement affichés au public dans sa page Twitter. Ils semblaient glorifier l’attentat terroriste à la bombe survenu lors du marathon de Boston, célébrer le décès des militaires de l’OTAN et se réjouir lorsque des aéronefs étaient abattus.
7 Certains de ces articles faisaient référence à l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS) et à un autre groupe répertorié en tant qu’entité terroriste par le gouvernement du Canada. Peu après, sa cote de fiabilité a été suspendue et il a été retiré du milieu de travail.
8 Pour les motifs expliqués plus loin dans la présente décision, je conclus que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire constituaient des mesures administratives justifiées fondées sur des raisons valables. Je n’ai donc pas compétence pour trancher le grief portant sur la suspension. De même, je conclus que le licenciement en raison de la perte de la cote de fiabilité était raisonnable et justifiable eu égard à toutes les circonstances pertinentes. J’ai également conclu que la preuve ne suffit pas à faire droit au grief concernant une dérogation à la clause de non-discrimination figurant dans la convention collective et je l’ai rejeté.
9 Pour les motifs expliqués ci-dessous, j’ai accueilli la demande du fonctionnaire et j’ordonne que son nom soit radié de cette décision, ainsi que la mise sous scellé des trois photos afin de le protéger contre le risque d’être victime de discrimination découlant des diverses questions posées en l’espèce.
II. Éléments de preuve du fonctionnaire s’estimant lésé
10 Le fonctionnaire a commencé son emploi d’une durée déterminée en tant que représentant au service à la clientèle en formation (classifié au groupe et niveau CR-04) auprès de l’ARC le 12 janvier 2015. Il a été escorté hors des bureaux de l’ARC 10 jours plus tard, soit le 22 janvier.
11 Le fonctionnaire a témoigné au sujet de son enfance difficile en Afghanistan, qui était en guerre. À l’âge de 13 ans, il a subi une blessure par balle alors qu’il roulait sur sa bicyclette. Il croit qu’un groupe militant qui combattait en alliance avec les États-Unis d’Amérique (É.-U.) lui a tiré dessus. L’hôpital où il se remettait de sa blessure par balle a fait l’objet d’un attentat à la bombe et sa famille s’est ensuite enfuie à destination d’un camp de réfugiés austère au Pakistan où les enfants n’avaient pas le droit de fréquenter l’école. Le fonctionnaire a expliqué que les garçons au camp vivaient dans la crainte d’être battus et violés par la police. Il a expliqué que ses parents étaient tous les deux bien instruits et qu’ils avaient joui de carrières fructueuses au moment où la guerre a envahi leur territoire.
12 Le témoignage du fonctionnaire et les éléments de preuve au sujet de ses articles publiés dans les médias sociaux, qui seront examinés plus loin en l’espèce, démontrent clairement qu’il estime que son éducation douloureuse a été causée par les interventions de l’OTAN et des É.-U. dans la vie afghane, peu importe si ces interventions étaient de nature politique, économique ou militaire. Il a fait remarquer que d’autres témoins assignés par l’employeur avaient fait référence aux talibans en tant que terroristes. Il a clarifié que les É.-U. avaient versé des fonds de 250 millions de dollars à ces derniers en vue d’obtenir un oléoduc.
13 Le fonctionnaire a décrit sa vie au Canada en tant que musulman et il a dit que son épouse et lui étaient souvent victimes de traitement raciste à la suite de l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 à New York. Il a indiqué que même si son épouse est de confession musulmane, elle ne porte pas son hidjab par crainte d’être victime de racisme.
14 Le fonctionnaire a témoigné quant à la difficulté qu’il ressentait au Canada en raison de sa longue barbe et parce qu’il était la seule personne à la peau brune au bureau d’affaires où il travaillait à Calgary. Il a dit que lorsqu’il se rendait dans des petites villes pour rencontrer des clients, il ressentait que les gens [traduction] « [le] regardaient comme si [il] allait faire exploser l’immeuble. » Il a décrit la façon dont il apportait sa nourriture halal pour manger à sa pause-dîner et avait des discussions animées, mais respectueuses, avec ses collègues au sujet des affaires mondiales. Il a dit qu’il estimait s’être toujours bien entendu avec ses collègues et qu’il les traitait comme s’ils étaient des membres de sa famille. Il a affirmé dans son témoignage faire entièrement confiance à ses collègues. Lui et ses collègues participaient à des activités sociales ensemble. Il a déclaré que cette confiance lui a nui.
15 Selon le témoignage du fonctionnaire, au courant de ses quatre années couronnées de succès dans une entreprise du secteur privé à Calgary, pendant l’une de ses nombreuses conversations à la pause-dîner, on lui a demandé ce qui se passait en Afghanistan. Il a répondu qu’à son avis, les Canadiens avaient des renseignements erronés parce que les nouvelles télévisées par câble au Canada ne donnaient pas la vérité. Il a affirmé qu’il était très [traduction] « contrarié » par la façon dont les nouvelles rapportaient des mensonges.
16 Il a expliqué qu’il estimait que l’intervention militaire américaine avait fait de nombreuses victimes innocentes dans son pays d’origine, y compris des militaires canadiens et des citoyens afghans. Dans son témoignage, le fonctionnaire a insisté sur le fait qu’il n’avait jamais dit que c’était bien lorsque des soldats canadiens étaient tués en Afghanistan. Il a ensuite indiqué dans son témoignage qu’il avait appris plus tard que quelqu’un avait entendu la conversation et l’avait signalé en croyant qu’il appuyait les talibans.
17 Le fonctionnaire a expliqué qu’un jour, pendant qu’il était à l’extérieur du bureau et qu’il rencontrait un client de l’entreprise, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a visité son bureau et le cherchait. En parlant à haute voix afin que le personnel puisse les entendre, les agents ont indiqué qu’ils enquêtaient sur un problème de terrorisme.
18 Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait dû téléphoner à deux reprises à l’agent de la GRC qui avait visité son bureau pour lui parler et lui demander ce qui avait suscité la visite. Dans son témoignage, le fonctionnaire a affirmé que l’agent de la GRC lui a dit que l’affaire avait été renvoyée au Service canadien du renseignement de sécurité (« SCRS ») et qu’il ne traiterait plus avec la GRC. Il a demandé d’obtenir les coordonnées afin qu’il puisse appeler le SCRS et on lui a dit qu’il devait attendre puisque le Service l’appellerait. Il a dit qu’il a demandé aux autorités de cesser de communiquer avec son entreprise de manière perturbatrice.
19 Le fonctionnaire a expliqué qu’un agent du SCRS lui avait téléphoné et qu’il avait invité l’agent à se présenter à son domicile pour discuter. Le fonctionnaire a expliqué qu’il a dû demander aux membres de sa famille de quitter le domicile le jour où l’agent du SCRS devait venir parce que, dans son pays d’origine, si la police visitait votre domicile, c’était habituellement parce qu’elle avait l’intention de vous assassiner. L’agent a expliqué qu’un des collègues du fonctionnaire au bureau avait appelé et avait fait part d’une préoccupation selon laquelle il y avait un terroriste au bureau. Selon le témoignage du fonctionnaire, l’agent lui a posé des questions au sujet de son séjour au camp de réfugiés au Pakistan et qu’il lui a ensuite demandé s’il accepterait de travailler pour le SCRS.
20 Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il avait rencontré un agent du SCRS deux fois et que chaque fois, il l’a assuré que les seules connaissances qu’il avait au sujet de l’EIIS ou de l’Al-Qaïda étaient ce qu’il avait entendu dans les nouvelles. Il a dit au SCRS qu’il ne souhaitait pas travailler pour celui-ci et qu’il communiquerait avec la police pour signaler toute communication qu’il pourrait avoir avec un terroriste.
21 Dans son témoignage, le fonctionnaire a affirmé que son gestionnaire d’affaires lui a ensuite parlé en vue de présenter ses excuses pour le traitement injuste qu’il avait subi étant donné que c’était un de ses collègues qui avait appelé la police.
22 Lorsqu’il a été interrogé au sujet des quatre années pendant lesquelles il a travaillé à titre de courtier d’assurance avec qui bon nombre de policiers et de militaires font affaire et où il avait accès aux dossiers des clients et à des renseignements personnels, le fonctionnaire a répondu qu’il aimait le travail, qu’il avait réussi à établir un volume d’affaires plus rentable et qu’il n’avait jamais éprouvé de problèmes avec son gestionnaire. Il a indiqué qu’il a été accusé de ne pas être digne de confiance relativement à l’accès aux dossiers et aux renseignements personnels des contribuables uniquement en raison du racisme dont fait preuve l’ARC.
23 Le fonctionnaire a expliqué qu’il lisait les nouvelles chaque heure et qu’il était devenu actif sur Twitter en 2011. Il a décrit comment il était fier de s’être vu offrir un emploi auprès du gouvernement fédéral à l’ARC, disant que les Afghans estimaient que tous ces bons emplois au gouvernement étaient réservés aux Caucasiens. Il a ajouté que c’était rare pour les Afghans d’obtenir des emplois de col blanc.
24 En interrogatoire principal, il a été interrogé au sujet des efforts qu’il a déployés pour obtenir un emploi lié à une carrière après avoir obtenu son diplôme universitaire. Le fonctionnaire a répondu qu’il était optimiste puisqu’il avait une bonne éducation et aucun casier judiciaire. De plus, pendant ses 20 ans de travail, il n’avait éprouvé aucun problème avec un gestionnaire et il n’avait jamais été congédié. Il a déclaré que seule l’ARC avait éprouvé un problème avec le fait qu’il était musulman, qu’il lisait les nouvelles et qu’il était actif sur Twitter.
25 Lorsqu’il a été interrogé au sujet de sa suspension, le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il a été retiré de la salle de formation avec un agent de sécurité devant lui et un autre derrière lui et qu’il avait honte parce que cela avait été effectué devant ses collègues. Il a indiqué que les agents de sécurité l’ont escorté à l’extérieur de l’immeuble et qu’ils sont ensuite retournés à l’intérieur pour vider son bureau de tous ses effets personnels, devant tous ses collègues.
26 Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il a cherché à coopérer immédiatement et qu’il a ensuite offert la carte de l’agent du SCRS qui l’avait interrogé. Il a dit aux représentants de l’ARC qu’ils pouvaient appeler l’agent et vérifier qu’il n’existait aucun problème.
27 Lorsque le fonctionnaire a été interrogé au sujet de l’évaluation préliminaire du risque, qui sera examinée plus loin dans la présente décision, il a parlé de sa relation amicale avec une collègue de son ancien emploi dans le secteur privé. Il a dit qu’il l’avait reconnue en tant que personne qui travaillait également à l’ARC dès qu’il a commencé sa formation. Il a indiqué qu’ils étaient amis sur Facebook depuis des années. Il a également déclaré que lorsqu’il l’avait vu à l’ARC, il croyait que si elle communiquait des renseignements au sujet de la visite de la GRC chez leur ancien employeur quelques années auparavant, cela pourrait lui causer des problèmes.
28 Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il s’était joint à un parti politique en Alberta et que lorsqu’il s’est réuni au travail avec son ancienne collègue, il lui a demandé des conseils quant à savoir s’il devait déclarer cette adhésion et le fait qu’il était chauffeur de taxi, puisqu’ils avaient reçu des directives sur le fait d’être prudent en ce qui concerne les conflits d’intérêts et la sécurité ministérielle.
29 Le fonctionnaire a ensuite fait part de son opinion selon laquelle sa collègue l’a signalé à la sécurité parce qu’il est musulman.
30 En interrogatoire principal, le fonctionnaire a été interrogé au sujet de ses croyances et de ses pratiques religieuses et il a déclaré qu’il était un musulman pratiquant et qu’il se présentait régulièrement à la mosquée pour prier. Il a déclaré que les musulmans prient cinq fois par jour et que puisqu’il était chauffeur de taxi, il se présentait à la mosquée au centre-ville puisqu’elle était à proximité d’une station de taxis où il attendait des clients.
31 Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré qu’il voyait rarement des Blancs à sa mosquée et qu’il se souvenait donc bien qu’il avait un jour vu un Blanc assister à la prière à la mosquée au centre-ville. Il a dit qu’il avait marché à côté de l’homme blanc et lui avait dit [traduction] « Que la paix soit avec vous », comme l’exige sa foi. Il a déclaré n’avoir eu aucun autre contact, communication ou réunion avec cet homme, appelé Damian Clairmont, qui serait ultérieurement connu comme « Mustafa ».
32 Le fonctionnaire a témoigné en disant que plus tard, des agents du SCRS sont allés à la mosquée et ont interrogé tout le monde au sujet de M. Clairmont. Il a expliqué que l’imam de la mosquée a ensuite informé les fidèles que les autorités surveillaient la mosquée parce que des hommes avaient voyagé en Syrie pour combattre dans la guerre là-bas. Cela a causé des problèmes pour tout le monde qui s’y présentait pour prier.
33 Helen Brown, la directrice générale de la sécurité à l’époque, a supervisé l’enquête à l’égard du fonctionnaire. Elle a témoigné en disant que grâce à sa longue carrière en sécurité, elle avait des contacts à la GRC et au SCRS. Elle a déclaré qu’elle avait utilisé ces contacts en vue d’obtenir tous les renseignements dont ils disposaient à l’égard du fonctionnaire. Dans son témoignage, elle a affirmé que les deux lui avaient indiqué qu’il ne s’agissait que d’une « personne d’intérêt » et qu’il n’aidait pas le SCRS.
34 Mme Brown a indiqué en outre dans son témoignage que les renseignements que le fonctionnaire avait fournis lorsque la sécurité de l’ARC l’avait interrogé ont ajouté à sa préoccupation quant au risque qu’il représentait. Lorsqu’il a été interrogé, il a indiqué de son propre chef qu’avant son bref emploi auprès de l’ARC il avait fréquenté la même mosquée à Calgary que M. Clairmont. Ce dernier avait fait les manchettes après s’être radicalisé dans sa ville d’origine de Calgary et s’était rendu en Syrie à la fin de 2012 à titre de combattant djihadiste étranger dans la guerre qui y faisait rage. On avait ensuite indiqué aux nouvelles qu’il avait été trouvé mort là-bas pendant le combat aux côtés des forces de l’EIIS.
35 Dans son témoignage à ce sujet, Mme Brown a déclaré que l’aveu du fonctionnaire lui a montré, entre autres, qu’il était [traduction] « dans un milieu de violence possible », ce qui ajoutait à ses préoccupations à son égard. Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de cet énoncé en contre-interrogatoire afin de savoir si son utilisation du terme « milieu » signifiait un musulman qui assistait à la prière à une mosquée, elle a répondu que cela était erroné. Elle a affirmé qu’il signifiait une personne qui souhaitait la mort des troupes de l’OTAN ouvertement dans les médias sociaux; elle ne faisait pas référence à un homme qui était simplement un musulman.
36 En interrogatoire principal, le fonctionnaire a été interrogé au sujet de certains de ses gazouillis. Des centaines de ces derniers ont été présentés en tant qu’éléments de preuve, mais uniquement quelques-uns ont été examinés à l’audience. Il a témoigné en disant qu’il a ouvert un compte Twitter en janvier 2011. Il a expliqué qu’il ne connaissait rien au sujet des fonctions « @ » ou « # » de Twitter lorsqu’il a commencé à les utiliser.
37 Après avoir discuté de la fonctionnalité de Twitter avec les deux parties, je prends connaissance d’office du fait que la fonction « @ » dans un gazouillis a comme conséquence d’envoyer un message ou au moins un lien à votre message à la personne dont le pseudonyme sur Twitter suit le symbole @. Elle peut également être utilisée d’une façon à faire apparaître un gazouillis et qu’il soit affiché dans le fil Twitter de la personne dont le nom suit le symbole « @ ». Le symbole mot-clic (« # ») est utilisé dans Twitter comme une nomenclature aux fins de l’organisation des gazouillis liés à un sujet particulier, conformément à ce qui est défini par le mot suivant le symbole mot-clic.
38 L’interrogatoire principal du fonctionnaire a été effectué relativement aux gazouillis suivants et d’autres gazouillis, dont il a confirmé être l’auteur. On lui a demandé d’expliquer chacun de ceux-ci, y compris [traduction] « 2011-02-01 #GroupeHaqani est mis sur pied par moi et renvoi à un des groupes de résistance en Afghanistan contre l’occupation américaine du pays. »
39 Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il ne se souvenait pas de la raison exacte pour laquelle il a publié ce gazouillis. Il a indiqué qu’il s’agissait peut-être simplement d’un sujet tendance. Il a ajouté que le groupe Haqani avait peut-être fait l’objet d’un reportage ce jour-là. Il a indiqué qu’il avait utilisé ce mot-clic pendant seulement deux jours et qu’il ne savait pas que le nom « Haqani » était le nom d’un groupe terroriste.
40 Étant donné que la réponse du fonctionnaire semblait être quelque peu insensible au contenu de son gazouillis, je l’ai invité à le relire, à réfléchir à son contenu et à songer encore une fois à la question de savoir ce à quoi il pensait lorsqu’il l’a rédigé.
41 Après y avoir réfléchi, le fonctionnaire a témoigné en disant qu’effectivement, il savait que le groupe Haqani est un groupe militaire qui lutte contre les É.-U. Toutefois, il a expliqué que pendant les années 1980, il était un allié des É.-U., qui lui avait fourni des armes sophistiquées à utiliser contre les Soviétiques. Il a dit qu’il ne savait pas que le groupe Haqani avait été déclaré être un groupe terroriste en vertu des lois canadiennes.
42 Il a publié le gazouillis [traduction] « 2012-05-11 #Osman Fatihi notre ami de Facebook est devenu un martyr aujourd’hui dans la province de Khost dans le cadre d’une lutte face à face avec les cochons des É.-U. Qu’Allah l’accueille. Chanceux. » Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il ne savait pas qui était Osman Fatihi et qu’il avait simplement vu la page Facebook de M. Fatihi. Dans son témoignage, le fonctionnaire a déclaré qu’il copiait simplement des textes de sites Web et qu’il les publiait dans son compte Twitter, comme : [traduction] « 2012-06-20 @BBCBreaking désolé d’entendre les décès de citoyens dans l’est d’#Afghanistan, mais très content de voir les morts de l’#OTAN. Ils le méritent. »
43 Le fonctionnaire a témoigné en disant qu’il ne se souvenait pas d’avoir rédigé ce gazouillis. Toutefois, il se souvenait que le jour où il a été rédigé, il s’était réveillé pendant la nuit et avait vu dans les nouvelles des médias sociaux qu’un militaire américain, qu’il a nommé, avait assassiné 18 citoyens afghans et qu’il avait ensuite brûlé leur corps.
44 Le fonctionnaire a continué en donnant une longue description, selon sa mémoire, des nombreux citoyens morts en Afghanistan. Il a énuméré les dates et les emplacements, ainsi que le nombre de bombes larguées lorsqu’il a dit que les forces américaines ont assassiné des citoyens. Il a également discuté des reportages qui indiquaient qu’un membre des forces armées américaines avait profané une copie du Coran, qui est le livre saint de sa foi musulmane.
45 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’appuierait jamais l’assassinat de personnes innocentes. Il a ensuite fait part de son opinion selon laquelle [traduction] « nous ne sommes pas considérés comme des citoyens à part entière au Canada. »
46 Avant que son représentant ne lui pose une question au sujet de son gazouillis #bostonmarathon, le fonctionnaire a dit : [traduction] « Je sais que la façon dont je rédige mes gazouillis est erronée. » Le gazouillis était le suivant : [traduction] « 2013-05-03 @nytimesworld tout préjudice à l’armée d’occupation des É.-U. en #Afghanistan est une bonne nouvelle. #bostonmarathon. J’espère qu’il y en aura d’autres. »
47 À la question de savoir pourquoi il a rédigé ce gazouillis, le fonctionnaire a affirmé qu’il ne le savait pas. Il a dit que son anglais n’est pas bon et que peut-être #bostonmarathon était un sujet tendance ce jour-là. Il l’avait peut-être ajouté au milieu de son gazouillis et a ensuite continué en rédigeant [traduction] « J’espère qu’il y en […] aura d’autres. »
48 Après avoir accordé une longue pause à la suite de son témoignage, j’ai demandé au fonctionnaire s’il avait des connaissances au sujet du marathon de Boston ou si les marathons l’intéressaient en général. Il a répondu que oui et qu’il était au courant de l’attentat qui a eu lieu au cours du marathon de Boston (environ deux semaines avant que ce gazouillis ne soit publié), qui avait fait en sorte que des personnes, y compris des femmes et des enfants, ont été assassinées, brûlées et mutilées. Il a ensuite témoigné en disant que lorsqu’il a rédigé le gazouillis, il souhaitait établir un lien entre le préjudice causé au cours du marathon de Boston et un autre préjudice causé aux membres des militaires américains en Afghanistan.
49 La représentante du fonctionnaire a porté la question du groupe Haqani à l’attention de Mme Brown en contre-interrogatoire; elle a témoigné qu’il s’agissait d’un groupe terroriste menant ses activités en Afghanistan et qu’il est considéré comme [traduction] « l’une des menaces les plus importantes pour les forces militaires de l’OTAN à l’étranger ».
50 On a posé plusieurs questions à Mme Brown et par la suite au fonctionnaire sur la désignation du groupe Haqani en tant que groupe terroriste en vertu des lois canadiennes par le gouvernement du Canada, comme le moment où il a reçu cette désignation et ce que le fonctionnaire comprenait de cette désignation en vertu des lois canadiennes. On lui a aussi demandé si le fonctionnaire avait supprimé tous ses billets dans Twitter avant ou après son entrevue à l’ARC et son embauche subséquente.
51 Ces questions et réponses n’ont aucune valeur probante puisque la question de la participation du groupe Haqani à des conflits armés et à des combats était irréfutée. Le fait de savoir si le fonctionnaire savait que le groupe était désigné en vertu des lois canadiennes en tant que groupe terroriste officiellement reconnu est une question distincte et indépendante du risque posé par les activités du fonctionnaire dans les médias sociaux où il renvoyait au groupe.
52 La représentante du fonctionnaire a également soulevé la question de la conclusion tirée à la suite de l’évaluation préliminaire du risque selon laquelle le fonctionnaire travaillait à YYC. Dans cette évaluation, on indiquait que le centre d’appels de l’ARC est relié à YYC par un corridor et que le personnel de l’ARC s’y rend régulièrement pour utiliser ses concessions. Dans cette évaluation, on indiquait que le fait que les bureaux soient situés à YYC avait été mentionné dans l’avis d’offre d’emploi pour le poste du fonctionnaire. À cet égard, l’évaluation conclut que [traduction] « même si rien n’indique à l’heure actuelle que [le fonctionnaire] a cherché à obtenir un emploi dans le but précis d’accéder régulièrement à l’emplacement, on ne peut pas écarter cette possibilité ».
53 En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Brown si, compte tenu de cette information, elle était inquiète qu’un musulman travaillant à YYC parle d’abattre des aéronefs dans ses gazouillis. Dans le dossier des gazouillis du fonctionnaire présentés en tant que pièces, on a mentionné qu’il a fait le gazouillis suivant le 3 mai 2013 : [traduction] « @piersmorgan M. Morgan, avez-vous entendu l’excellente nouvelle? Un autre avion lié à l’occupation de l’#afghanistan s’est écrasé. #bostonmarathon ». Il convient de noter que le marathon de Boston avait eu lieu environ deux semaines avant la publication de ce gazouillis.
54 Mme Brown a répondu en affirmant que la préoccupation entourant la proximité du fonctionnaire à YYC n’était aucunement liée aux musulmans. Elle a plutôt expliqué qu’il s’agissait plutôt des gazouillis qu’il avait publiés et qui semblaient célébrer et glorifier des actes terroristes et qui appelaient à commettre des attaques contre les forces de l’OTAN, y compris le fait qu’il célèbre un écrasement d’aéronef.
55 La représentante du fonctionnaire a ensuite demandé à Mme Brown si le fait qu’une personne caucasienne critique l’OTAN et célèbre un écrasement d’avion l’inquiéterait aussi. Elle a répondu que la race et la religion n’ont aucune importance et a renvoyé à une affaire où un employé caucasien de l’ARC avait été corrompu par une organisation criminelle potentiellement violente afin de divulguer des renseignements personnels sur les contribuables à des fins criminelles. Mme Brown a expliqué comment l’ARC avait agi sans délai dans cette affaire afin de demander l’aide de la sécurité et des autorités policières pour tenter de protéger les renseignements personnels et intenter des poursuites pénales contre l’employé (caucasien).
56 Pendant son interrogatoire principal, le fonctionnaire a entre autres indiqué qu’il publie souvent des gazouillis sur la politique, le gouvernement municipal et le logement. Il a expliqué vouloir être un membre productif de la société et que d’autres Afghans lui demandent de l’aide et de l’argent pour venir au Canada.
57 Il a indiqué dans son témoignage que le niveau de racisme au Canada est très élevé, selon lui. Il a indiqué que le gouvernement fédéral a versé la somme de 31 millions de dollars pour l’emprisonnement injustifié de musulmans en Syrie et que des personnes ont été envoyées au Canada afin d’être torturées. Il a affirmé dans son témoignage avoir été la cible d’injures racistes dans sa communauté et a indiqué qu’on lui a demandé la raison de sa présence au Canada. Il a également expliqué que l’ancien premier ministre du Canada avait déchaîné le racisme à l’égard des musulmans.
58 Le fonctionnaire a abordé pendant son témoignage l’effet nocif de son licenciement sur sa santé. Il a indiqué avoir peur de parler à la police maintenant et il a l’impression qu’on le suit lorsqu’il conduit sa voiture. Il a indiqué craindre que la police l’attende pour l’enlever chaque fois qu’il retourne à son appartement. Il a affirmé qu’il a dû abandonner ses cours parce qu’il n’arrive pas à se concentrer et qu’il n’arrive pas à se trouver un nouvel emploi en raison de l’affirmation faite par l’ARC dans une lettre (datée du 4 mars 2015) selon laquelle il avait avoué connaître un individu ayant quitté le Canada pour devenir membre de l’EIIS. Il a indiqué que cette affirmation l’a catalogué en tant que terroriste.
59 Lorsqu’on l’a interrogé sur d’autres gazouillis qu’il avait affichés, où il était entre autres question de l’EIIS, de la Corée du Nord et d’Israël, le fonctionnaire a répondu que le fait qu’il utilise le mot-clic [traduction] #EIIS ne signifie pas qu’il le soutient. Il a également indiqué qu’il ne soutient pas la Corée du Nord. Il a réfuté la notion selon laquelle ses gazouillis à propos d’Israël pourraient être perçus comme antisémites. Il a expliqué que sa tribu, de la province de Kandahar, est de descendance juive.
60 Enfin, le fonctionnaire a indiqué que son travail à l’ARC ne lui donnait aucun accès spécial à YYC et qu’il était ridicule et raciste de la part de l’ARC d’affirmer qu’il représentait une menace susceptible de faire exploser des avions.
III. Analyse
A. La loi en ce qui concerne l’allégation de discrimination
61 Aux fins de l’audience, l’article 19 de la convention collective pertinente intègre essentiellement les interdictions de discrimination énoncées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6; la LCDP).
19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.
62 Aux termes de l’alinéa 226(2)a) de la LRTSPF, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut interpréter et mettre en application la LCDP dans les affaires renvoyées à l’arbitrage.
63 L’article 7 de la LCDP précise qu’il est discriminatoire de défavoriser un employé en cours d’emploi pour des motifs de distinction illicites, y compris la race et la religion (voir aussi le paragraphe 3(1)).
64 Afin d’établir qu’un employeur a fait preuve de discrimination, un fonctionnaire doit d’abord produire une preuve prima facie de l’existence de l’acte discriminatoire, c’est-à-dire une preuve qui couvre les allégations faites et qui, si on leur ajoute foi, serait complète et suffisante pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire s’estimant lésé, en l’absence de réponse de l’employeur (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, aux pages 558 et 559 (« O’Malley »)). Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en présentant une explication raisonnable selon laquelle ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie la discrimination (voir A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, au paragraphe 13).
65 Le fonctionnaire n’est pas tenu de démontrer que l’employeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit; voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au paragraphe 40. Il arrive parfois que des stéréotypes raciaux fassent surface par l’intermédiaire de préjugés subtils et inconscients, sans nécessairement avoir une intention discriminatoire. On l’explique en détail comme suit dans cet arrêt :
[40] Avant d’examiner les trois éléments constitutifs de la discrimination, nous croyons utile de rappeler que, tant en droit canadien qu’en droit québécois, le demandeur n’est pas tenu de démontrer que le défendeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit :
[…] conclure que l’intention constitue un élément nécessaire de la discrimination en vertu du Code serait, me semble-t-il, élever une barrière pratiquement insurmontable pour le plaignant qui demande réparation. Il serait extrêmement difficile dans la plupart des cas de prouver le mobile et il serait facile de camoufler ce mobile en formulant des règles qui, tout en imposant des normes d’égalité, créeraient […] des injustices et de la discrimination en traitant également ceux qui sont inégaux […] [Références omises; O’Malley, p. 549.]
(Voir aussi Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 173; Ville de Montréal, par. 35; Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Québec, [1989] R.J.Q. 831 (C.A.), p. 840-841, autorisation de pourvoi refusée, [1989] 2 R.C.S. vi.)
[41] Le fait de ne pas exiger la preuve de l’intention s’applique en toute logique à la reconnaissance des différentes formes de discrimination, car certains comportements discriminatoires sont multifactoriels ou inconscients.
[…]
66 Afin de prouver que l’intimé s’est livré à une pratique discriminatoire, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans O’Malley : « Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ».
67 Dans des cas comme celui-ci, un employeur peut répondre à un cas de discrimination prima facie et le réfuter en démontrant qu’il a offert des mesures d’adaptation raisonnables à l’employé ou que le fait de répondre aux besoins de l’employé aurait constitué une contrainte excessive (voir paragraphe 15(2) de la LCDP et Boivin c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., 2017 CRTEFP 8, au paragraphe 59).
68 Aux termes de l’article 15 de la LCDP, un employeur peut répondre à un cas de discrimination prima facie et le réfuter en présentant une exigence professionnelle justifiée; cette analyse comprend de songer à mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables jusqu’à ce qu’elles deviennent des contraintes excessives.
B. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination à son égard?
69 Dans ses arguments, la représentante du fonctionnaire a allégué que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi en le traitant de façon tendancieuse en raison de sa religion et de son origine ethnique. Elle a fait valoir que le premier signalement fait par sa collègue, qui avait dit aux responsables de la sécurité de l’ARC qu’il avait fait l’objet d’une enquête pour son soutien à des entités terroristes, avait biaisé les esprits des responsables de l’enquête, qui ont plus tard recommandé la suspension et la révocation de sa cote de fiabilité.
70 Elle a suggéré que cette partialité s’est poursuivie, et ce, même si le fonctionnaire était honnête et participait à l’enquête de l’employeur, qui a conclu qu’il n’avait pas de casier judiciaire. L’employeur a éventuellement conclu qu’il ne posait aucun risque de violence. Sa représentante a fait valoir que les enquêteurs ont lu ses nombreux gazouillis et ont formulé des suppositions à son égard en raison de son origine ethnique et de sa religion.
71 La représentante du fonctionnaire a fait remarquer que sa coopération et son honnêteté se sont entre autres manifestées par la présentation de son propre chef de renseignements sur sa mosquée et du fait qu’un individu qui la fréquentait s’était radicalisé, ce que les enquêteurs n’auraient jamais su autrement, selon ce qu’elle affirme.
72 La représentante du fonctionnaire a renvoyé à la déclaration de Mme Brown concernant son inquiétude quant au milieu où le fonctionnaire pratiquait sa religion en tant que preuve de la partialité raciale et religieuse qu’elle entretenait, ce qui a influencé son opinion sur l’évaluation du risque que posait le fonctionnaire.
73 La représentante du fonctionnaire a renvoyé au témoignage du fonctionnaire, dans lequel il avait indiqué que le SCRS lui avait de demandé de travailler pour lui et d’aider à identifier toute personne qui radicalisait les disciples de sa mosquée. Elle a affirmé que l’employeur avait établi un lien avec cet événement et le fait que le fonctionnaire posait lui-même une menace dans ce milieu, même si cette question n’était pas abordée dans le rapport d’évaluation du risque final.
74 La représentante du fonctionnaire a résumé son plaidoyer sur ce point en indiquant que le fonctionnaire a été victime de préjugés uniquement parce qu’il fréquentait une mosquée où une autre personne s’était radicalisée.
75 La représentante du fonctionnaire a cité la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique (BCHRT) dans Mezghrani v. Youth Orange Network Inc., 2006 BCHRT 60, au paragraphe 28, puisqu’il avait conclu que [traduction] « il existe rarement des éléments de preuve directe de discrimination raciale […] » et qu’à mesure que le racisme est devenu moins acceptable au fil du temps au Canada, [traduction] […] « le parfum subtil du racisme est peut-être devenu très difficile à détecter ». Le Tribunal a conclu qu’il devait examiner la preuve dans son ensemble afin de déterminer s’il y avait un motif raisonnable de conclure que des actes racistes avaient peut-être été commis (voir le paragraphe 29).
76 L’avocate de l’employeur a fait valoir que c’est au fonctionnaire qu’il incombait d’établir un cas prima facie d’atteinte aux droits. Elle a soutenu qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour montrer que le fonctionnaire avait été traité de manière différente et défavorable; en fait, la preuve montrait clairement que toute personne se trouvant dans la même situation que le fonctionnaire aurait subi le même traitement, peu importe sa race ou sa religion.
77 Après un examen minutieux de l’ensemble des éléments de preuve et des arguments exposés par les deux parties sur ce point, je conclus que le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer une conclusion de cas prima facie de discrimination.
78 Aucun élément de preuve ne porte à croire que l’employeur considérait le fonctionnaire comme une personne à risque uniquement parce qu’il fréquentait une mosquée. C’est plutôt le fait qu’une personne devenue radicalisée avait fréquenté la même mosquée que le fonctionnaire et que ce dernier, par l’intermédiaire de ses nombreux gazouillis troublants, s’exposait à un risque d’être recruté par des terroristes, qui ont établi un lien raisonnable et non préjudiciable avec la préoccupation relative au risque.
79 Il est entendu que je poursuivrai mon analyse de la preuve et que je déterminerai si la décision de l’employeur de révoquer sa cote de fiabilité se fondait sur une exigence professionnelle justifiée, et ce, même si j’ai conclu que le fonctionnaire n’a pas établi un cas prima facie de discrimination.
C. L’ARC a-t-elle présenté une explication raisonnable pour justifier la suspension et la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire?
80 Theresa Gill était directrice adjointe du centre d’appels du Sud-de-l’Alberta de l’ARC où le fonctionnaire avait été embauché en tant que représentant du service à la clientèle, au niveau de classification CR-04. Elle a indiqué dans son témoignage qu’un CR-04 a entre autres tâches de répondre aux appels téléphoniques de citoyens, d’entreprises et de représentants de contribuables et de leur donner des renseignements exacts en temps opportun. Elle a décrit le système informatique et la base de données qu’un CR-04 utilise et a expliqué comment tous les renseignements que l’ARC possède sur les contribuables sont facilement accessibles au moyen de cette base de données. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle contient des renseignements personnels sur les contribuables, y compris leur nom complet, leurs adresses à la maison et au travail, les membres de leur famille et leur âge, leur numéro d’assurance sociale, leurs placements, des renseignements sur les services de garde pour les enfants, leurs détails bancaires et des détails sur les saisies de salaire.
81 Mme Gill a affirmé dans son témoignage que l’un de ses formateurs lui avait dit que le fonctionnaire avait demandé, pendant un cours sur l’éthique et les conflits d’intérêts, s’il devait divulguer ses affiliations politiques et si les recherches qu’il faisait sur son dossier de contribuable seraient suivies et, le cas échéant, à quelle fréquence.
82 Mme Gill a expliqué qu’une formatrice de son équipe avait reconnu le fonctionnaire d’un ancien lieu de travail où ils avaient tous deux travaillé et qu’elle avait fait part de son inquiétude liée à la sécurité parce que le fonctionnaire avait été visé par une enquête sur ses liens avec des organisations terroristes, qui avait été menée alors qu’il occupait cet emploi précédent. Elle a indiqué que ces questions ont été transmises au bureau national de la sécurité de l’employeur le 14 janvier 2015. Elle a également témoigné qu’une téléconférence a eu lieu le 21 janvier 2015. À la suite d’un examen de l’évaluation préliminaire du risque, on a conclu que la cote de fiabilité du fonctionnaire serait suspendue et qu’il serait escorté hors du lieu de travail.
83 Mme Gill a indiqué dans son témoignage que lors de la première pause du fonctionnaire ce matin-là, on lui a demandé de se présenter à une réunion où on l’a informé de la décision. Elle a indiqué qu’il a immédiatement répondu qu’il savait de quoi il s’agissait et avait offert de tout expliquer. Elle a indiqué qu’il était très professionnel et pas contrarié.
84 Mme Gill a indiqué dans son témoignage qu’elle avait participé aux efforts déployés par la direction de l’employeur afin de trouver des solutions pour apaiser les inquiétudes liées à la sécurité et permettre au fonctionnaire de garder son emploi. Elle a expliqué que la direction s’était demandé s’il pouvait exécuter des tâches de centre d’appels pour des clients qui ne lui exigeaient pas d’accéder à la base de données complète. Elle a mentionné que l’on avait conclu que cette idée était irréalisable puisque tous les appels sont simplement dirigés à l’étage général du centre d’appels et qu’il faudrait transformer le système de gestion des appels pour sélectionner les appels et acheminer ceux de nature générale précisément au fonctionnaire. Elle a indiqué qu’il serait très fastidieux et dispendieux de restructurer le flux des appels entrants pour atteindre cet objectif.
85 Le 19 janvier 2015, l’ARC a rédigé une évaluation préliminaire du risque lié à la sécurité, dont le rapport citait la Norme sur la sécurité du personnel du Conseil du Trésor, issue de la Politique sur la sécurité du gouvernement, qui indique ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Dans la vérification de la fiabilité, la question à poser est de savoir si l’on peut se fier à la personne pour qu’elle n’abuse pas de la confiance qu’on pourrait lui accorder. Autrement dit, il faut chercher à savoir s’il pourrait voler des objets précieux, utiliser à son profit les biens et renseignements auxquels il aura accès ou ne pas protéger ces biens et renseignements, ou se comporter d’une façon qui nuirait à leur protection.
[…]
[Souligné dans l’original]
86 Le rapport présentait les renseignements généraux qui suivent :
[Traduction]
Contexte
Le 14 janvier 2015, la direction a informé la Direction de la sécurité et des affaires internes (DSAI) de ses inquiétudes relatives à un nouvel employé du centre d’appels de Calgary, [A.B.]. Il semblerait qu’une autre employée du centre d’appels de Calgary, [caviardé], a approché son équipe de direction le 12 janvier 2015 — le premier jour d’[A.B.] en tant qu’employé de l’ARC — afin de lui donner de l’information et de lui faire part de ses préoccupations au sujet d’[A.B.].
Selon [caviardé], ils ont tous deux commencé à travailler ensemble pour une compagnie d’assurance en octobre 2010 […] à Airdrie (Alberta). Au premier jour de travail de [nom de la tierce partie caviardé], la GRC s’est présentée [au bureau] et a demandé de parler avec [A.B.]. On l’a dirigée vers la direction afin d’obtenir de l’aide.
[A.B.] a par la suite parlé à [caviardé] afin de lui expliquer pourquoi la police s’intéressait à lui, en lui disant qu’il ne voulait pas qu’elle se sente mal à l’aise en sa présence étant donné qu’ils devaient travailler ensemble. Il aurait dit qu’il était visé par une enquête sur ses liens possibles avec le terrorisme ou une organisation terroriste.
L’honnêteté et l’ouverture affichées par [A.B.] ont atténué le malaise de [caviardé] (aucun détail sur la conversation n’a été donné) et les deux sont devenus amis. [A.B.] était très aimable et ouvert sur sa vie, y compris sur ses croyances et pratiques religieuses.
En octobre 2011, [caviardé] a quitté son emploi à [caviardé] et elle et [A.B.] ont échangé leurs coordonnées sur Facebook afin de garder contact. Elle est devenue amie avec [A.B.] dans le site et pendant l’année à l’année et demie suivante, elle a remarqué qu’[A.B.] publiait souvent des commentaires sur la guerre en Afghanistan. Elle a indiqué que les commentaires qu’il faisait appuyaient principalement des organisations terroristes. Qui plus est, lorsque des soldats canadiens ou américains étaient tués, il publiait des commentaires de réjouissance et de soutien. Lorsque des plans visant à commettre des actes terroristes étaient déjoués ou perturbés, il publiait des commentaires de sympathie. Il semblerait qu’il publiait souvent ce genre de commentaires. Les messages étaient parfois affichés dans une autre langue (inconnue) tout comme les réponses de ses amis Facebook.
[…]
Situation actuelle
Depuis le début de son emploi à l’ARC, [A.B.] a posé deux questions préoccupantes à [caviardé], qui était responsable de former les nouveaux employés. La première portait sur le formulaire de conflit d’intérêts : il a demandé s’il devait divulguer ses affiliations politiques ou ses liens avec des groupes politiques. La deuxième, posée après la présentation sur la sensibilisation à la sécurité, visait à savoir à quelle fréquence les vérifications de sécurité étaient menées pour chaque employé. La présentation portait sur la surveillance des systèmes opérationnels de l’ARC, y compris les accès au réseau local et à l’ordinateur central.
[Caviardé] a indiqué qu’elle était préoccupée par l’information qu’elle détenait, obtenue au cours de leur emploi commun précédent, et par les deux questions qu’il lui avait posées pendant la formation. Elle s’est sentie obligée de transmettre cette information, au cas où un événement surviendrait à l’avenir. Elle a indiqué qu’elle ne se sentait pas en sécurité et qu’elle voulait demeurer loin de tout ce qui pourrait découler de sa transmission de cette information.
[…]
Recherche des faits préliminaire
Il a été impossible de trouver un profil Facebook pour [A.B.] à la suite de recherches dans des sources ouvertes. Un compte Twitter a cependant été découvert (@[A.B.]) et on y trouve de l’information inquiétante aux yeux de la DSAI. On a vu [A.B.] utiliser Twitter pour valoriser le martyr et l’insurrection contre les troupes de l’OTAN en Afghanistan; exprimer sa sympathie à l’égard du réseau Haqani, une organisation répertoriée comme entité terroriste au Canada; et justifier des attaques terroristes commises en Occident.
Examinez ce qui suit :
2011-02-01
#GroupeHaqani a été lancé par moi et renvoie à l’un des groupes de résistance en Afghanistan contre l’occupation américaine du pays.
2012-05-11
#Osman Fatihi notre ami Facebook est devenu martyr aujourd’hui dans la province de Khost à la suite d’une lutte face à face contre les cochons américains. Puisse Allah le recevoir. Chanceux.
2012-06-20
@BBCBreaking désolé pour les décès de civils dans l’est de l’#Afghanistan, mais très content des décès de membres de l’#OTAN. Ils le méritent.
2013-03-02
@BBCBreaking nous les Afghans nous voulons que ces assassins quittent l’#Afghanistan maintenant. Nous ne voulons pas d’excuses. Nous voulons nous venger. L’OTAN doit payer le prix.
2013-03-12
@BBCBreaking les choses s’améliorent chaque jour. J’espère voir plus de soldats américains et de l’OTAN souffrir au cours des prochains jours.
2013-04-01
@globeandmail l’occupation le mérite. Nous saluons le courage de cet enfant. [on soupçonne qu’[A.B.] faisait référence au meurtre (au couteau) d’un soldat américain par un adolescent afghan en Afghanistan lorsqu’il a envoyé ce gazouillis]
2013-04-22
@BBCBreaking les #talibans doivent obtenir la libération de Mujaheddin en échange des étrangers; s’ils refusent, ils devraient tous être exécutés.
2013-05-03
@nytimesworld c’est une bonne nouvelle chaque fois qu’un occupant de l’armée américaine est blessé en #afghanistan. #bostonmarathon. J’espère que d’autres événements comme celui-ci suivront.
[…]
Détermination du risque pour les employés, les renseignements et les biens
[A.B.] est réputé poser un risque pour les employés, les renseignements et les biens de l’ARC.
Employés et biens
Les groupes extrémistes encouragent depuis fort longtemps leurs idéologues à lancer des attaques contre des cibles occidentales. Les attaques récentes survenues en Amérique du Nord, en Australie et en Europe portent à croire que les individus qui se sont radicalisés à la violence répondent à ces appels aux armes.
Comme il est indiqué ci-dessus, on a vu [A.B.] valoriser le martyr, exprimer sa sympathie à l’égard d’une organisation répertoriée comme entité terroriste au Canada et justifier des attaques terroristes commises en Occident. Même si les gestes posés par [A.B.] à ce jour n’ont pas été de nature violente, il a néanmoins exprimé son soutien aux gestes violents commis par d’autres.
Si [A.B.] devait recourir à la violence ou la faciliter pour faire progresser le programme radical qu’il semble soutenir, le personnel ou l’infrastructure de l’ARC pourraient être des cibles.
Renseignements
En raison de la nature de son poste, [A.B.] doit avoir accès aux systèmes de l’ARC. Il y a un risque qu’[A.B.] utilise ces renseignements à des fins malveillantes.
Examinez ce qui suit :
En octobre 2014, des radicaux violents ont tué deux membres des Forces armées canadiennes (FAC) en sol canadien. On croit généralement que les deux membres des FAC ont été ciblés en raison de la participation active du Canada à la lutte internationale contre l’extrémisme violent et que les deux assassins étaient inspirés par une idéologie soutenue et propagée par des entités terroristes établies à l’étranger. Toujours en octobre (2014), un bulletin de renseignements de la US Army mettait en garde le personnel militaire américain et lui suggérait de faire preuve de vigilance après que des militants de l’EIIS aient appelé leurs adeptes à rechercher les adresses de leurs proches dans les médias sociaux et de se présenter [chez eux] et les massacrer.
Si [A.B.] continue d’avoir accès à des renseignements sur les contribuables, il y a un risque qu’il les utilise pour obtenir accès à des renseignements personnels sur des Canadiens, y compris des membres des FAC et des représentants de l’application de la loi, et les utiliser ou les échanger à des fins autres que celles prévues.
Facteurs aggravants possibles
Atteinte à la réputation de l’Agence
Si [A.B.] devait commettre un acte violent à l’égard d’employés ou de biens de l’ARC ou en faciliter la commission, ou s’il devait utiliser les renseignements de l’ARC pour faciliter la commission d’un acte violence, la réputation de l’Agence serait lourdement touchée.
Emplacement du centre d’appels de Calgary
Le centre d’appels de Calgary est situé au Airport Corporate Centre, relié par un couloir intérieur à l’Aéroport international de Calgary. Les employés du centre d’appels se rendent souvent à l’aérogare de l’aéroport pour accéder à des installations de concession.
Il convient de noter que l’emplacement du centre d’appels de Calgary à l’Airport Corporate Centre a été annoncé dans l’avis de possibilité d’emploi public, le concours qui a donné lieu à l’emploi d’[A.B.] à l’Agence. Même si rien n’indique à l’heure actuelle qu’[A.B.] a cherché à obtenir un emploi dans le but précis d’accéder régulièrement à l’emplacement, on ne peut pas écarter cette possibilité.
[…]
[Souligné dans l’original]
87 Michael Lafleur était le gestionnaire qui supervisait l’enquête sur les inquiétudes relatives à la sécurité que posait le fonctionnaire. Son témoignage a porté sur le contenu de l’évaluation du risque lié à la sécurité. Il a interrogé le fonctionnaire dans le cadre de l’enquête et a rédigé les recommandations qui ont mené à la suspension et à la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire.
88 M. Lafleur a renvoyé à la politique de l’employeur sur l’examen justifié de la cote de sécurité, au paragraphe 15 de l’annexe A, qui indique entre autres que la protection des renseignements de l’ARC et le fait d’afficher un comportement qui aurait une incidence défavorable sur l’intégrité de l’ARC sont des questions à prendre en considération au moment de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de révoquer une cote de fiabilité.
89 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’il a communiqué avec la GRC, à la suite d’inquiétudes soulevées par une enquête policière menée en 2010, afin d’expliquer la situation actuelle et de garantir qu’aucun geste posé par l’employeur n’entraverait toute affaire policière en cours. Il a indiqué que la GRC avait confirmé qu’elle avait eu un intérêt quelconque à l’égard du fonctionnaire par le passé, mais qu’elle l’avait assuré qu’il n’y avait aucun conflit avec ses activités et que l’ARC devrait agir comme elle le ferait en temps normal.
90 M. Lafleur a examiné une pièce contenant 303 gazouillis dont le fonctionnaire avait reconnu être l’auteur. M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’ils provenaient de sources ouvertes dans Internet, ce qui signifiait que n’importe qui pouvait y accéder et les consulter et qu’aucun contrôle de la confidentialité n’avait été mis en place.
91 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que ces gazouillis se regroupaient dans les quatre catégories suivantes :
- des gazouillis personnels, comme ceux envoyés au maire de Calgary sur des questions civiques;
- des gazouillis sur la politique et les affaires mondiales, souvent adressés précisément à des membres des médias d’information et à des dirigeants élus comme le président Obama, qui représentaient le volume le plus élevé de ses gazouillis;
- des gazouillis où il faisait la promotion de la violence ou la justifiait;
- des gazouillis à des individus radicalisés et à des groupes extrémistes répertoriés en tant qu’entités terroristes par le gouvernement du Canada ou à propos de ceux-ci.
92 M. Lafleur a fait remarquer que le fonctionnaire avait lancé le mot-clic [traduction] #GroupeHaqani et qu’il l’avait mentionné dans quatre de ces gazouillis et que le gouvernement du Canada avait répertorié un groupe portant ce nom en Afghanistan en tant que groupe terroriste. Dans son gazouillis, il indique que ce groupe renvoie à [traduction] « […] l’un des groupes de résistance en Afghanistan contre l’occupation américaine du pays ».
93 M. Lafleur a mentionné que le fonctionnaire avait partagé deux gazouillis faits par « @Abalkhi », qui est, selon ce qu’il a indiqué dans son témoignage, un porte-parole officiel d’un groupe d’insurgés afghans qui lutte contre les forces de l’OTAN. Un billet publié dans Internet par @ABalkhi a été déposé en tant que pièce. Il affiche la bannière [traduction] « ÉMIRAT ISLAMIQUE D’AFGHANISTAN » et les mots [traduction] « VOIX DU JIHAD ».
94 M. Lafleur a également relevé des gazouillis faits par le fonctionnaire qui utilisaient le mot-clic #Osman Fatihi et qui indiquaient [traduction] « […] notre ami Facebook est devenu martyr aujourd’hui dans la province de Khost à la suite d’une lutte face à face contre les cochons américains. Puisse Allah le recevoir. Chanceux ».
95 Il a aussi renvoyé au gazouillis de « @zabihmujahid […] » partagé par le fonctionnaire et a indiqué que la personne à qui il renvoyait était l’un des deux porte-parole officiels des talibans en Afghanistan.
96 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’avec ces gazouillis en tête et à la lumière des autres reproduits ci-haut en l’espèce qui valorisent le martyr, semblent faire l’apologie des groupes terroristes, célèbrent et justifient la violence, et appellent à l’exécution d’otages étrangers, il a considéré le fonctionnaire comme une cible de recrutement et de radicalisation par des groupes extrémistes qui pourrait transmettre des données sur les contribuables à utiliser pour préparer une attaque en sol canadien.
97 M. Lafleur a fait remarquer que deux militaires canadiens avaient été assassinés à la suite d’attaques d’inspiration terroriste en sol canadien, quelques mois plus tôt seulement, et que l’attaquant en cause dans l’incidence survenu à Ottawa avait ensuite attaqué les édifices du Parlement avant d’être arrêté. M. Lafleur a expliqué que l’information provenant du renseignement de sécurité à ce moment avertissait que des groupes terroristes appelaient leurs adeptes à se présenter au domicile de militaires dans leur pays et à les massacrer. M. Lafleur a aussi indiqué dans son témoignage qu’un militaire britannique avait récemment été victime d’une attaque d’inspiration terroriste pendant qu’il marchait dans sa communauté après avoir fait des courses.
98 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que si une entité terroriste avait recruté le fonctionnaire, ce dernier avait accès aux renseignements personnels de tous les contribuables canadiens, y compris leur adresse domiciliaire, les renseignements sur leur conjoint et leurs enfants, et des détails comme l’adresse du service de garde, puisqu’ils se trouvent tous dans les dossiers électroniques de l’ARC. Il a également indiqué qu’il était possible d’identifier les membres des Forces armées canadiennes au moyen de leurs dossiers fiscaux de l’ARC.
99 Dans son témoignage où il expliquait l’évaluation préliminaire du risque, qui avait conclu que le fonctionnaire était réputé poser un risque imminent à la sécurité des employés, des biens, des renseignements et de la réputation de l’ARC, M. Lafleur a renvoyé aux gazouillis du fonctionnaire dans lesquels il se réjouissait que des personnes aient été tuées et qu’un avion ait été abattu, et appelait à exécuter des otages et à tirer les violeurs accusés dans la tête. M. Lafleur a renvoyé particulièrement aux gazouillis publiés par le fonctionnaire environ trois semaines après l’attaque terroriste du marathon de Boston, où il indiquait [traduction] « J’espère qu’il y en aura d’autres ». De nombreux hommes, femmes et enfants ont été tués et mutilés à la suite de cette attaque. M. Lafleur a indiqué que le fonctionnaire affichait manifestement des pensées violentes selon lui.
100 M. Lafleur a également indiqué dans son témoignage que des employés de l’ARC avaient déjà été corrompus par des organisations criminelles par le passé. À titre d’exemple, un gang de motards avait recruté et forcé un employé de l’ARC à faire des recherches informatiques non autorisées pour donner aux motards des renseignements personnels sur des personnes qui leur devaient de l’argent, des policiers et un avocat. Il a expliqué que dans ce cas datant de 2009, l’ancien employé de l’ARC, qu’il a nommé, avait été condamné à une peine d’emprisonnement et qu’un deuxième cas semblable était actuellement devant les tribunaux. Il a indiqué que ces deux cas montrent que l’ARC doit être vigilante en tout temps afin de protéger les renseignements personnels des Canadiens contre une utilisation à des fins criminelles.
101 Dans son témoignage sur la proximité du lieu de travail du fonctionnaire à YYC, M. Lafleur a indiqué qu’il est généralement reconnu dans l’application de la loi et les services de sécurité que les attaques terroristes se fondent la plupart du temps sur la surveillance de la cible afin d’aider à planifier l’attaque. Il a indiqué que ce fait a accentué son inquiétude quant au fait que les bureaux de l’ARC où travaillait le fonctionnaire étaient reliés à YYC, puisqu’il pouvait accéder quotidiennement à l’aéroport et l’utiliser, et que sa présence serait passée inaperçue parce que de nombreux employés de l’Agence se rendent à l’aéroport pour leurs pauses-café et leurs pauses-repas.
102 À la suite de l’évaluation préliminaire du risque, le fonctionnaire a participé à une « entrevue préventive » accompagné du président de son syndicat local afin de répondre aux inquiétudes. M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait coopéré pendant l’entrevue et qu’on lui avait demandé d’expliquer ses nombreux gazouillis. Il a avoué les avoir écrits. En ce qui concerne le contenu des nombreux gazouillis dont il a été question, il semblerait avoir expliqué qu’il savait que le groupe Haqani était un groupe connu de combattants de l’EIIS, mais il a assuré au personnel de sécurité qu’il ne connaissait personnellement aucun de ses membres. M. Lafleur a mentionné que le fonctionnaire avait aussi expliqué que les militants d’Haqani se battaient seulement dans les régions occupées par l’armée américaine. Par conséquent, il était peu probable qu’ils aient tué des Canadiens.
103 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’on a demandé au fonctionnaire s’il avait un intérêt quelconque à l’égard d’YYC. Le fonctionnaire a répondu par une description des efforts d’éducation et d’avancement de carrière qu’il avait déployés et qui l’avaient mené à obtenir un emploi à l’ARC. Il a indiqué qu’il avait comme objectif d’obtenir un bon emploi. YYC n’était qu’une coïncidence dans sa recherche d’emploi.
104 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’on a demandé au fonctionnaire s’il connaissait des personnes radicalisées et si l’une d’elles s’était rendue en Syrie pour devenir membre de l’EIIS. On lui a posé des questions précises sur ses gazouillis à propos de M. Fatihi, que le fonctionnaire avait glorifié parce qu’il était « chanceux » d’être devenu martyr dans la lutte contre les « cochons américains ». M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait expliqué qu’il savait que M. Fatihi combattait au sein d’un groupe militaire d’insurgés en Afghanistan, mais qu’il ne le connaissait pas personnellement. Il avait simplement copié du matériel du site Web « Fatihi-Jihad » et l’avait collé dans ses gazouillis.
105 M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait répondu à la question sur les combattants étrangers en affirmant de son propre chef qu’il connaissait en fait une personne, ce qu’il avait déjà divulgué au SCRS. M. Lafleur a expliqué que le fonctionnaire avait mentionné au cours de l’entrevue qu’il connaissait un homme appelé Mustafa, mais qu’il l’avait seulement accueilli lorsqu’il avait visité la mosquée qu’il fréquentait. Le fonctionnaire avait mentionné que Mustafa s’appelait en réalité Damian (Clairmont). M. Lafleur a indiqué que M. Clairmont était en fait un résident de Calgary qui avait fait les manchettes parce qu’il s’était converti à l’Islam et, après s’être radicalisé au Canada, avait décidé de se rendre en Syrie, où il a été largement signalé qu’il est mort en 2014 pendant qu’il était combattant de l’EIIS.
106 M. Lafleur a indiqué que le fonctionnaire a affirmé qu’il s’agissait de la même personne dont il avait parlé lorsqu’on lui a posé la question; autrement, il semblait évasif et se sentait mal à l’aise lorsqu’on lui avait posé plus de questions sur ses contacts avec M. Clairmont ou d’autres personnes radicalisées. M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait raconté avoir parlé à la GRC et au SCRS et refusé leurs demandes de devenir un informateur pour eux. Il avait dit que le SCRS l’avait interrogé à trois reprises, la dernière fois après que plusieurs hommes de Calgary se soient radicalisés et rendus en Syrie pour lutter aux côtés de l’EIIS.
107 M. Lafleur a indiqué que le fonctionnaire avait été interrogé une deuxième fois et qu’il avait été en mesure de répondre aux conclusions sur les risques qu’il posait. M. Lafleur a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait affirmé n’avoir jamais songé à commettre un acte de violence à l’égard de quiconque et qu’il était une personne religieuse dont les croyances ne lui permettraient jamais de commettre un tel acte. Il a indiqué qu’il communiquerait avec la police pour signaler toute tentative de le recruter à des fins criminelles. Il a indiqué qu’il ne volerait jamais de données de l’ARC ou en ferait un mauvais usage et qu’il aurait aimé pouvoir effacer tous ses billets dans les médias sociaux. Il a indiqué qu’il avait tenté de supprimer tous les messages en fermant ses comptes sur Facebook et Twitter. Il a ajouté qu’il n’utiliserait plus jamais les médias sociaux. Il a fait remarquer aux personnes qui l’interrogeaient qu’il avait travaillé pendant quatre ans pour une firme de courtage d’assurance et qu’il avait eu accès pendant ce temps aux dossiers de tous les clients, y compris ceux de certains membres du personnel militaire et policier, et qu’il n’avait jamais fait quoi que ce soit d’inapproprié.
108 M. Lafleur a indiqué qu’on a de nouveau interrogé le fonctionnaire sur le fait qu’il connaissait M. Clairmont pendant la deuxième entrevue. Il a dit que le fonctionnaire lui avait assuré que sa relation avec M. Clairmont se limitait au fait qu’il l’accueillait à la mosquée et qu’il n’avait eu aucun contact avec lui à l’extérieur. Le fonctionnaire lui a de nouveau assuré qu’il ne ferait jamais un mauvais usage des données de l’ARC et qu’il signalerait à la police toute tentative d’entrer en contact avec lui à des fins criminelles.
109 En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Lafleur si le fonctionnaire lui avait caché des renseignements pendant les entrevues à l’ARC. M. Lafleur a répondu qu’il ne le croyait pas, mais il a jouté qu’il était inquiétant que le fonctionnaire affirme en savoir très peu sur le cas très médiatisé de M. Clairmont et qu’il utilise des phrases qualitatives, par exemple, qu’il ne soutiendrait pas la violence ici et qu’il n’appuierait jamais le meurtre d’innocents. M. Lafleur a indiqué qu’il s’inquiétait que cela puisse signifier que le fonctionnaire soutiendrait le recours à la violence ailleurs.
110 En contre-interrogatoire, on a aussi confirmé que, selon M. Lafleur, les gazouillis les plus inquiétants du fonctionnaire étaient peut-être des emportements émotionnels déclenchés par sa passion pour la lecture de l’actualité en Afghanistan.
111 En contre-interrogatoire, on a aussi relevé que le fonctionnaire avait adressé bon nombre de ses gazouillis à des figures mondiales, comme le président américain Barack Obama et des personnalités célèbres de CNN et de la BBC, mais que l’employeur n’alléguait pas qu’il connaissait personnellement ces personnes.
112 Dans le rapport définitif sur l’évaluation du risque lié à la sécurité daté du 3 mars 2015, on a relevé les nombreux gazouillis cités ci-haut et formulé de nombreuses observations positives sur la coopération et la franchise du fonctionnaire tout au long de l’enquête. Dans le rapport, on mentionne qu’il a affirmé avec véhémence sa loyauté à l’égard du Canada et qu’il a exprimé à maintes reprises son dévouement à honorer son serment de fonctionnaire. Dans le rapport, on a conclu qu’il posait un risque très faible de commettre un acte de violence dans une installation de l’ARC ou à proximité de celle-ci et on acceptait qu’il n’y eût aucun lien entre l’intérêt du fonctionnaire à obtenir un emploi à l’ARC et le fait que le poste convoité se trouve près d’YYC.
113 Dans ce rapport, on conclut aussi qu’il était impossible d’atténuer adéquatement le risque qu’une tierce partie puisse influencer le fonctionnaire ou le forcer à donner des renseignements de nature délicate provenant de la base de données de l’ARC, que des groupes extrémistes pourraient utiliser pour causer du tort à des personnes au Canada dans l’avenir. Le rapport a conclu que les commentaires publiés en ligne par le fonctionnaire affichaient une idéologie qui posait une grave préoccupation liée à la sécurité, surtout s’il continuait de les afficher dans la communauté élargie, où des personnes radicalisées pourraient vouloir se lier d’amitié avec lui. Enfin, le rapport a déterminé que le risque d’atteinte grave à la réputation de l’ARC si un incident de sécurité survenait pendant qu’il était employé était très faible.
114 Lorsqu’il a résumé ses conclusions sur le risque que posait le fonctionnaire, M. Lafleur a indiqué que les contacts répétés entre le SCRS et le fonctionnaire montraient qu’il était en contact avec des personnes dans la mire des autorités ou qu’il pouvait l’être. Même s’il a conclu que le fonctionnaire ne lancerait aucune attaque, les nombreux commentaires qu’il avait faits dans les médias sociaux, dans lesquels il soutenait et justifiait la violence, et les liens menant à de la propagande extrémiste signifiaient qu’il pouvait être recruté et influencé à faire un mauvais usage des données personnelles sur les contribuables.
115 M. Lafleur a présenté une analyse très détaillée des commentaires publiés dans les médias sociaux par le fonctionnaire et a indiqué qu’il avait continué d’afficher du contenu qui appuyait le terrorisme et les actes extrémistes même après que la GRC et le SCRS aient communiqué avec lui à ce sujet. M. Lafleur a indiqué que les détails mentionnés dans les commentaires du fonctionnaire étaient si clairement destinés aux listes de commentaires de #Taliban et [traduction] #EIIS, en ne citant que deux exemples parmi de nombreux, qui comprenaient aussi des gazouillis directs envoyés au moyen du symbole « @ » à des terroristes reconnus, qu’il aurait facilement pu être identifié en tant que recrue par des terroristes ou des extrémistes partout dans le monde.
116 M. Lafleur a indiqué que l’on avait examiné des mesures possibles pour atténuer les risques posés par la présence en ligne prolifique du fonctionnaire et a indiqué qu’à ce moment-là, la sécurité des données était en place pour assurer le suivi des accès aux dossiers par des employés, mais qu’elle ne pouvait pas le faire en temps réel. Par conséquent, si des employés de l’ARC étaient compromis par des organisations criminelles, l’usage inapproprié de données des contribuables qui s’en suivrait ne serait découvert qu’après coup. Il a également indiqué qu’à la suite des attaques commises récemment en sol canadien et inspirées par une idéologie extrémiste, on avait conclu qu’une autre attaque d’inspiration terroriste pourrait être catastrophique au point où l’on ne pouvait pas accepter le risque que le fonctionnaire puisse être recruté ou influencé à faire un mauvais usage des données des contribuables.
117 Lorsque ce risque a été déterminé, la cote de fiabilité du fonctionnaire a été révoquée. Étant donné que cette cote est une condition d’emploi fondamentale, on l’a licencié.
118 Dans deux des cinq griefs dont je suis saisi en l’espèce, on indique « mesures disciplinaires » sous le titre des dispositions de la convention collective visées par le grief individuel. Étant donné que l’article 17 de la convention collective n’a pas été cité dans aucun des arguments du fonctionnaire, je n’aborderai pas cette partie de la convention dans mes conclusions.
IV. Conclusion
119 Pour clore son argumentation, la représentante du fonctionnaire a fait valoir que les actes posés par l’employeur étaient de nature disciplinaire et discriminatoire. Elle a renvoyé aux témoignages qui indiquaient que le fonctionnaire était un Canadien respectueux des lois, à qui l’on avait demandé d’aider le SCRS et qui avait promis de communiquer avec la police si des criminels ou d’autres personnes mal intentionnées entraient en contact avec lui. Elle a renvoyé aux témoignages des enquêteurs de l’employeur, qui avaient indiqué que le fonctionnaire était poli et professionnel et qu’il leur avait transmis de son propre chef de l’information en sa possession, selon laquelle il avait vu à une occasion M. Clairmont, qui allait par la suite se rendre en Syrie pour lutter aux côtés de l’EIIS. Elle a renvoyé aux éléments de preuve qui montraient qu’il n’y avait jamais eu de relation entre le fonctionnaire et M. Clairmont. On a mentionné pendant l’argumentation que le simple fait que le fonctionnaire fréquentait cette mosquée avait été utilisé contre lui, donnant lieu à une discrimination au motif de la religion.
120 On a également indiqué qu’il avait été conclu, dans l’évaluation définitive du risque, que le fonctionnaire disait regretter ses nombreux gazouillis qui étaient en litige, qu’il avait supprimé son compte Twitter et que l’on avait déterminé qu’il ne posait pas un risque potentiel pour les employés ou les installations de l’ARC.
121 La représentante du fonctionnaire a renvoyé au témoignage de Mme Brown, qui avait indiqué s’inquiéter du milieu dans lequel évoluait le fonctionnaire, puisque cela faisait en fait référence, selon ce qu’elle soutenait dans ses arguments, au fait que le fonctionnaire était musulman et qu’il fréquentait une mosquée, ce qui constituait une preuve claire de discrimination. Elle a également renvoyé au fait que l’employeur s’inquiétait au départ du risque que le fonctionnaire pouvait poser à YYC et aux avions, ce qui constituait un acte discriminatoire puisqu’il était également lié à sa confession musulmane, selon ce qu’elle soutenait.
122 La représentante du fonctionnaire a fait valoir que ses nombreux gazouillis en litige n’étaient que des emportements émotionnels en réponse à sa passion pour l’actualité mondiale et sa surveillance continue de l’actualité de sa terre natale. Elle a renvoyé à son témoignage, où il affirmait ne pas vouloir réellement communiquer directement avec des terroristes en envoyant des gazouillis au moyen du symbole « @ » aux personnes nommées dans ses gazouillis et il avait expliqué avoir utilisé les mots-clics [traduction] #EIIS et #Bostonmarathon uniquement parce qu’ils étaient populaires ce jour-là. Elle a indiqué que le fonctionnaire a avoué dans son témoignage que ses gazouillis les plus inquiétants, qui célébraient la mort de personnes ou appelaient à leur assassinat, étaient inappropriés.
123 En réponse à l’allégation de discrimination, l’avocate de l’employeur a soutenu que la preuve établit que les mesures prises pour répondre aux inquiétudes l’auraient été, peu importe la race, les principes, la couleur ou la religion du fonctionnaire. Elle cite la décision rendue par la Commission dans Bassett c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 60, au paragraphe 59, qui se lit ainsi :
[59] Afin de s’acquitter du fardeau de la preuve ou de présenter une preuve prima facie de discrimination, il ne suffit pas de déclarer que l’employeur savait qu’il avait une invalidité et que tout ce qui pourrait le troubler constituerait de la discrimination. Un fonctionnaire doit établir qu’il existe un lien entre un motif de distinction illicite de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont il ou elle se plaint ou, en d’autres termes, que le motif en cause était un facteur de distinction, d’exclusion ou de préférence. Il n’est pas essentiel que ce lien soit exclusif : pour qu’une décision ou une mesure particulière soit considérée comme discriminatoire, il faut seulement démontrer que le motif de distinction illicite y a contribué (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, aux paragraphes 48 et 52, et Bodnar c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 71, au paragraphe 142).
124 L’avocate de l’employeur a fait valoir que l’on ne trouve pas le lien relevé dans Bassett requis pour étayer une allégation de discrimination dans la preuve dont je suis saisi.
125 Vu le témoignage de Mme Brown dans son ensemble, je conclus que le commentaire contesté qu’elle a formulé sur le milieu est directement lié au fait qu’un autre résident de Calgary, M. Clairmont, qui fréquentait la même mosquée que le fonctionnaire, s’était en fait radicalisé pendant qu’il se trouvait au Canada, comme elle l’a indiqué dans son témoignage. Il s’est plus tard joint à l’EIIS et s’est rendu en Syrie pour participer au combat.
126 J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel tout employé, peu importe sa race ou sa religion, qui aurait affiché le même comportement troublant que le fonctionnaire se serait exposé aux mêmes conséquences, soit la révocation de sa cote de fiabilité, par crainte qu’il pose un risque au bien-être des Canadiens puisque son accès à des renseignements personnels sur les contribuables pourrait être compromis.
127 Ce fait rendait l’inquiétude de l’employeur justifiée et liée de façon rationnelle à la radicalisation d’un Canadien qui fréquentait la même mosquée que le fonctionnaire. Par conséquent, on ne pouvait pas s’y opposer puisqu’elle n’était pas motivée par la race ou la religion du fonctionnaire ou un autre motif de distinction illicite.
128 Si j’ai commis une erreur en concluant que la preuve ne suffit pas à établir un cas prima facie de discrimination, quoi qu’il en soit, je conclurais que les mesures prises par l’employeur étaient permises en vertu de l’article 15 de la LCDP, qui permet à un employeur de réfuter un cas de discrimination prima facie en présentant une exigence professionnelle justifiée. Cette analyse comprend de songer à mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables jusqu’à ce qu’elles deviennent des contraintes excessives.
129 L’avocate de l’employeur s’est opposée à ma compétence pour entendre le grief lié à la suspension de la cote de fiabilité du fonctionnaire puisqu’elle a soutenu qu’elle l’avait été pour des raisons administratives valides liées à une évaluation du risque et de la fiabilité du fonctionnaire. Vu l’ensemble de la preuve que j’ai documentée ci-dessus, j’accepte cet argument et je conclus que les inquiétudes de l’employeur quant aux risques que posait le fonctionnaire étaient raisonnables et liées correctement à ses obligations de garantir la fiabilité des employés. Cette mesure était donc de nature administrative, et pas disciplinaire, ce qui signifie que je n’ai pas compétence pour la trancher.
130 L’employeur a reconnu que la Commission a compétence (aux termes de l’alinéa 209(1)c) de la LRTSPF et de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques) pour vérifier si un licenciement administratif ou disciplinaire a été mené adéquatement et qu’il « […] repose sur un motif valable » (voir Canada (Procureur général) c. Féthière, 2017 CAF 66, au paragraphe 32). C’est également bien établi maintenant.
131 Conformément à la décision qu’elle a rendue dans Féthière, la Cour d’appel fédérale a développé la question des licenciements non disciplinaires attribuables aux révocations de cotes de fiabilité dans Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, au paragraphe 77, où s’exprime en ces termes :
[77] […] si la révocation est justifiée eu égard aux politiques pertinentes, le licenciement qui en résulte est motivé. Autrement dit, lorsque l’employeur licencie un employé pour des motifs non disciplinaires, par exemple parce que l’employé a perdu sa cote de fiabilité, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission doit décider si la révocation à l’origine du licenciement était justifiée. […]
132 Dans Heyser, la Cour a également cité la décision qu’elle a rendue dans Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, au paragraphe 23, où elle a conclu que « [l]a cote de fiabilité désigne la fiabilité et la loyauté d’un employé et signifie qu’on peut lui confier des renseignements confidentiels et des biens de l’État ».
133 La représentante du fonctionnaire a fait valoir que je devrais conclure que les décisions Heyser et Féthière sont convaincantes pour sa cause. Je ne suis pas d’accord et je différencie l’issue de ces deux décisions en raison de leurs faits différents.
134 L’employeur a conclu de manière raisonnable que le fonctionnaire présentait un risque d’être recruté afin d’aider des terroristes ou des groupes extrémistes, étant donné qu’il savait que des groupes terroristes cherchaient à recruter des sympathisants pour attaquer les forces de l’OTAN au pays (ce qui s’est en fait produit à deux reprises, lorsque des militaires canadiens ont été assassinés en sol canadien).
135 Comme il est indiqué dans la politique de l’employeur sur l’examen pour un motif valable d’une cote de fiabilité, au paragraphe 15 de l’annexe A, afin de protéger l’information de l’ARC, l’employeur devait éviter le risque que posait le soutien voué par le fonctionnaire à des groupes extrémistes et terroristes, qui le rendait vulnérable à un recrutement à des fins inappropriées. Je conclus aussi que les mesures requises pour atténuer entièrement les risques auraient constitué une contrainte excessive pour l’employeur.
136 J’accepte également l’argument de l’employeur selon lequel le fait d’agir autrement, c’est-à-dire de permettre à une personne, peu importe sa race, ses croyances, sa couleur ou sa religion, qui célébrait et défendait les décès de militaires de l’OTAN et les assassinats d’otages d’occuper un poste dans la fonction publique fédérale où elle pouvait accéder ouvertement à des renseignements personnels sur chaque contribuable entraînerait un risque inacceptable pour l’information et la réputation de l’employeur.
137 Vu ces déterminations, je conclus que la révocation de la cote de fiabilité était justifiée et que son licenciement connexe l’était tout autant.
V. Demande de maintien de l’anonymat du fonctionnaire s’estimant lésé
138 Le fonctionnaire a affirmé vivre dans la peur constante d’être étiqueté comme un terroriste. Il a raconté comment sa femme et lui ont été les cibles de commentaires racistes et il a indiqué que sa femme ne porte plus le hidjab en raison de la stigmatisation sociale qu’il lui cause.
139 Le fonctionnaire a indiqué craindre, en raison du racisme dont il est victime, de devenir non employable si la décision l’identifie une fois publiée, parce qu’il s’inquiète que la preuve de son activité dans les médias sociaux portera à croire qu’il est un sympathisant terroriste.
140 Le fonctionnaire a demandé de maintenir son anonymat dans cette décision afin de protéger son identité. Sa représentante a fait valoir qu’aucune preuve n’établit de lien entre le fonctionnaire et le terrorisme, et que celui-ci n’a publié que des gazouillis. Elle a soutenu que le fait qu’il soit identifié dans cette décision entraînerait un risque considérable qu’il soit traité comme un sympathisant terroriste et qu’il soit encore plus victime de racisme tout au long de sa vie et de sa carrière.
141 Le fonctionnaire s’est appuyé sur la décision rendue par le BCHRT dans LD v. A Health Authority, 2015 BCHRT 13 afin d’étayer sa demande d’anonymat. Cette décision portait sur une requête en vue de rejeter une demande qui n’avait aucune chance de réussite à l’audience du bien-fondé de la cause.
142 Dans cette affaire, la patiente d’un hôpital alléguait que ses médecins traitants lui avaient refusé l’accès à des services de réadaptation en raison de son obésité. La requête en radiation de la déclaration a été rejetée et une ordonnance d’anonymat a été accordée sur demande des médecins intimés, qui affirmaient avoir un intérêt commun avec la plaignante à protéger leur vie privée. Ils affirmaient que les allégations infondées jusqu’à présent mettaient en péril leur réputation professionnelle et leurs relations avec d’autres patients (voir les paragraphes 65 à 68). Les paragraphes 76, 77 et 86 se lisent comme suit :
[Traduction]
[76] La juge Gray a mentionné que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a reconnu que ce processus de pondération repose essentiellement sur l’évaluation de l’attente raisonnable de vie privée et l’atteinte d’un équilibre avec la nécessité d’une interférence de l’État (citation omise). Il va sans dire que plus l’attente raisonnable de vie privée est importante et plus les conséquences à son atteinte sont lourdes, plus l’objectif de l’État et ses effets salutaires doivent être impérieux afin de justifier l’interférence à ce droit. Voir Dagenais, précité. Elle a également indiqué qu’il est rarement possible de retrouver sa vie privée une fois envahie.
[77] L’objectif impérieux de l’État d’un système de justice ouvert et accessible est reconnu en droit depuis longtemps. Toutefois, le préjudice irréparable pouvant découler de la destruction de la réputation d’une personne, surtout d’un médecin ou d’autres professionnels, par des allégations infondées d’inconduite ou, comme c’est le cas en l’espèce, d’atteinte aux droits de la personne, est lui aussi reconnu en droit. C’est l’équilibre entre les intérêts qui pose problème en l’espèce. Le contexte est important, comme dans toutes les affaires.
[…]
[86] Dans tous les cas où le Tribunal a accordé l’anonymat, il a affirmé qu’il est possible de répondre à l’intérêt du public à accéder à ses décisions en rendant accessible la décision rendue anonyme, ce qui permet de fournir le contexte, les questions, l’argumentation et le raisonnement sans divulguer d’identités. Dans Mr. K v. Z and others, 2012 BCHRT 41, où les défendeurs s’étaient opposés à ce que la décision soit rendue anonyme, le Tribunal a conclu qu’il était possible de maintenir l’accès du public même en rendant la décision anonyme. Dans cette affaire, le plaignant souffrait d’une invalidité mentale. Dans W v. Public Service Agency and others, 2010 BCHRT 201, le Tribunal a conclu que les intérêts liés à la vie privée sont plus importants lorsqu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les moyens de subsistance de l’une des parties soient touchés. (Voir : ND, au paragraphe 69) et qu’il y avait un risque d’incidence négative sur les moyens de subsistance de chaque défendeur et sur W si on les identifiait dans la décision.
[Je souligne]
143 L’avocate de l’employeur s’est opposée à la demande au motif du principe constitutionnel de transparence judiciaire, l’une des pierres angulaires de la démocratie canadienne et du principe de la primauté du droit sur lequel elle repose. Elle a mentionné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, en guise d’autorité pour proposer que dans l’examen d’une ordonnance de confidentialité, l’intérêt que l’on cherche à protéger « […] ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité » (voir le paragraphe 55).
144 L’avocate de l’employeur a également renvoyé à la décision rendue par la Commission dans McKinnon c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 32, aux paragraphes 70 et 71, où l’arbitre de grief a rejeté une demande visant à préserver l’anonymat parce qu’il n’existait aucune preuve des difficultés alléguées liées aux problèmes de santé non divulgués. L’avocate a fait valoir que le fonctionnaire avait présenté des difficultés minimes, qui ne constituaient pas une justification suffisante, selon l’arbitre de grief. La présente affaire est toutefois à distinguer en raison des faits parce que l’on m’a présenté des éléments de preuve du traitement raciste que le fonctionnaire a subi.
145 Je me suis penché sur une demande de maintenir l’anonymat présentée par le plaignant dans Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53, et j’ai mentionné la jurisprudence suivante :
[…]
[19] […] la Cour suprême du Canada avait déclaré dans les arrêts Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 et R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442 que, compte tenu de la protection du principe de la publicité des débats fondée sur la common law et sur la Charte, une ordonnance de confidentialité ne doit être rendue que si :
- elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
- ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.
[20] Dans l’arrêt Re Vancouver Sun, [2004] 2 R.C.S. 332, la Cour suprême a confirmé de nouveau le critère énoncé dans Dagenais/Mentuck, en faisant remarquer que la publicité fait partie intégrante de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux, ainsi que de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice.
[21] En examinant le principe de la publicité des débats dans le contexte d’un tribunal administratif quasi judiciaire, la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans Lukács c. Canada (Transport, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140, ce qui suit aux paragraphes 35 à 37 :
[35] Pour rechercher s’il convenait de restreindre l’application du principe de la publicité des débats judiciaires dans chacune de ces affaires, les juges ont suivi l’approche préconisée par la jurisprudence de la Cour suprême : Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 120 D.L.R. (4th) 12, et Mentuck (le critère dit de Dagenais/Mentuck). La Cour suprême a défini ce critère, comme suit, dans l’arrêt Toronto Star Newspapers (au paragraphe 4) :
Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire. La présomption de « transparence » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice.
Autrement dit, le critère consiste à rechercher si les effets bénéfiques de la restriction demandée au principe de la publicité des débats judiciaires l’emportent sur ses effets préjudiciables.
[36] Un autre important facteur à considérer est celui de savoir si le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique uniquement aux cours de justice, ou s’il s’applique également aux tribunaux quasi judiciaires.
L’Office et le principe de transparence judiciaire
[37] Il n’est nullement controversé entre toutes les parties à la présente demande que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique à l’Office lorsqu’en sa qualité de tribunal quasi judiciaire, il instruit une procédure de règlement des différends. Cette doctrine s’appuie sur la jurisprudence R. v. Canadian Broadcasting Corporation, 2010 ONCA 726, 327 D.L.R. (4th) 470, où le juge Sharpe a observé, au paragraphe 22 :
[traduction]
[22] Le principe de la publicité des débats judiciaires, qui permet au public d’avoir accès aux renseignements relatifs aux juridictions, est solidement ancré dans le système judiciaire canadien. Le principe cardinal d’intérêt public qui consiste à favoriser la transparence et le « maximum de responsabilité et d’accessibilité » quant aux actes judiciaires et quasi judiciaires est antérieur à la Charte : Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. MacIntyre, 1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 175, [1982] A.C.S. no 1, à la page 184. Ainsi que l’a déclaré le juge Dickson, aux pages 186 et 187 : « À chaque étape, on devrait appliquer la règle de l’accessibilité du public et la règle accessoire de la responsabilité judiciaire » et « restreindre l’accès du public ne peut se justifier que s’il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance. »
[Non souligné dans l’original.]
[22] Enfin, je souligne l’application du critère Dagenais/Mentuck établi par la Cour suprême du Canada pour décider si une ordonnance de confidentialité devrait être accordée à une société d’État relativement à certains documents. La Cour suprême a insisté sur l’importance de se demander si la demande de confidentialité dans le cadre de l’instance judiciaire était nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important et si cela l’emporte sur les effets préjudiciables, y compris l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires (Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), [2002] R.C.S., au paragraphe 53).
[…]
[24] Comme l’a souligné l’intimé dans sa réplique à cette requête, tous les employés qui envisagent de déposer une plainte en vertu de la Loi sont informés par la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission qu’ils « s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques ». Il ajoute également que « [l]es décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins […] ».
[…]
146 En ce qui concerne la question importante de la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission, je cite l’extrait suivant, disponible dans son site Web :
Transparence judiciaire
La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est un tribunal quasi judiciaire indépendant qui gère les instances intentées devant elle en vertu de diverses lois liées au travail, dont la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Partie II du Code canadien du travail. Le présent document décrit la politique de la Commission à l’égard de la transparence de ses procédures et explique comment la Commission traite les questions de protection de la vie privée.
Le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. De par son mandat et la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.
Sur son site Web, de même que dans ses avis, bulletins d’information et autres publications, la Commission fait savoir aux parties ainsi qu’à la communauté des relations de travail que ses audiences sont ouvertes au public. Les parties qui ont recours aux services de la Commission doivent savoir qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que les décisions rendues par la Commission seront elles aussi publiques. Les parties et leurs témoins sont assujettis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission; ils sont donc plus enclins à dire la vérité si leur identité est connue. Les décisions de la Commission indiquent le nom des parties et des témoins et fournissent toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.
[…]
147 Après un examen minutieux de la preuve, des arguments et de la jurisprudence présentée par les deux parties, je suis convaincu que le fonctionnaire a subi un traitement raciste (qui n’est pas lié aux questions soulevées en l’espèce) dans sa vie de tous les jours au Canada, comme il l’a indiqué dans son témoignage. J’accepte les arguments de sa représentante selon lesquels la décision pourrait accroître considérablement le risque d’aggravation du traitement raciste qu’il subit si elle divulguait son nom complet. Vu la preuve que sa femme et lui ont déjà été victimes de racisme, je conclus que ce risque n’est pas entièrement hypothétique.
148 Pour arriver à la décision de maintenir l’anonymat du fonctionnaire dans la décision, j’ai examiné le risque présenté par sa représentante, selon lequel il craint de devenir non employable si cette décision l’identifie (comme il suggère que cela pourrait se produire) en tant que sympathisant terroriste. Je ne puis toutefois pas accepter cet argument étant donné le fait très clairement établi qu’il était littéralement l’auteur de son propre malheur en rédigeant des gazouillis troublants affichés dans Internet et que quiconque ayant un ordinateur ou un téléphone intelligent pouvait lire. Par conséquent, je rejette ses affirmations selon lesquelles le risque de préjudice économique justifie de maintenir son anonymat en l’espèce.
149 La Commission se préoccupe grandement de rendre des décisions transparentes et responsables en tout temps, d’accroître la confiance à l’égard de l’administration de la justice au Canada, selon la prépondérance des intérêts énoncés dans le critère Dagenais/Mentuck; je conclus toutefois en l’espèce qu’il est nécessaire de maintenir l’anonymat du fonctionnaire afin de prévenir un risque grave à l’administration adéquate de la justice. Je conclus également que les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur les effets préjudiciables sur les droits et intérêts des parties et du public, y compris les effets sur le droit à la liberté d’expression et sur l’administration efficace de la justice.
150 Le fonctionnaire a participé à une audience publique ouverte et tous les détails pertinents de l’audience ainsi que la justification détaillée à l’appui de mes constatations et de ma conclusion seront publiés à des fins d’information du public, pour assurer la responsabilité de la Commission.
151 Étant donné qu’il s’agit de l’un des cas extrêmement rares, selon moi, d’un fonctionnaire qui publie un grand nombre de commentaires dans les médias sociaux qui font l’apologie de groupes que le gouvernement du Canada considère comme terroristes, je considère le maintien de l’anonymat du fonctionnaire en l’espèce comme un geste extraordinaire visant à protéger des valeurs sociales d’une importance capitale, comme l’a indiqué le juge Dickson dans A.G. (Nova Scotia) c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, soit d’empêcher la probabilité élevée que le fonctionnaire subisse autrement un traitement raciste.
152 Le Canada dans son ensemble profite de l’empêchement d’un comportement qui affiche des préjugés auquel tous sont exposés, ce qui répond à l’exigence établie dans l’arrêt Sierra Club du Canada selon laquelle la justification de la demande d’anonymat ne procure pas seulement un avantage personnel à la partie qui la présente.
153 J’ordonne aussi la mise sous scellé des photographies de la maison et de la famille du fonctionnaire que l’on trouve à l’onglet 5 de la pièce 1 afin de protéger la vie privée de ses proches.
154 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
VI. Ordonnance
155 Les griefs sont rejetés.
156 Les trois photos présentées à l’onglet 5 de la pièce 1 sont mises sous scellé.
Le 16 mai 2019.
Traduction de la CRTESPF
Bryan R. Gray,
une formation de la Commission des
relations de travail et de
l’emploi dans le
secteur public fédéral