Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé autre que d’exploitation – il a déposé deux griefs alléguant que l’employeur avait contrevenu à une disposition de la convention collective en modifiant ses heures de travail afin de répondre aux besoins des mises à l’essai d’un certain équipement à bord d’un navire amarré au port d’une base militaire – cette disposition indique que les heures normales de travail prévues d’un employé autre que d’exploitation sont de 37,5 heures par semaine, réparties sur 5 quarts de travail consécutifs de 7,5 heures, du lundi au vendredi, entre 7 heures et 18 heures – le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait habituellement de 8 h à 16 h – si l’intention des parties était que les quarts soient déterminés, elles l’auraient énoncée explicitement dans la disposition ou ailleurs dans la convention collective – il a été laissé au pouvoir discrétionnaire de l’employeur de se servir d’une autre disposition pour déterminer tous les quarts de travail entre 7 h et 18 h, pour autant que l’employeur se conforme aux deux conditions préalables de la convention collective – la phrase « leur horaire journalier normal » est utilisée dans la phrase qui suit immédiatement « leurs heures de travail journalières normales » – puisque les heures de travail journalières normales sont énoncées dans cette disposition, à savoir de 7 h à 18 h, alors, logiquement, les heures en dehors de ces heures doivent être entre 18 h et 7 h – l’objectif de la disposition est d’empêcher l’employeur de prévoir des heures de travail normales entre 18 h et 7 h, alors que, normalement, les employés seraient avec leurs familles ou se reposeraient durant ces heures – prévoir du travail au cours de ces heures entraîne des coûts supplémentaires pour l’employeur.

Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20190522
  • Dossier:  566-02-12270 et 12271
  • Référence:  2019 CRTESPF 55

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

RICHARD HOMER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Homer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James L. Shields, avocat
Pour l'employeur:
Nour Rashid, avocat
Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
le 19 février 2019.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1         Richard Homer, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était employé à un poste classé EL-06 à la Base des Forces canadiennes (BFC) Esquimalt, en Colombie-Britannique, lorsque l’employeur, le ministère de la Défense nationale (MDN), a modifié ses heures de travail de 8 h à 16 h pour 10 h à 18 h pour la période du 2 au 5 février 2015, afin de répondre aux besoins des mises à l’essai d’un certain équipement à bord d’un navire amarré au port de cette base. Il a également présenté un grief lorsque cette mesure a été répétée pour la période du 2 au 5 mars 2015, pour le même motif.

2         Le fonctionnaire a allégué que l’employeur a contrevenu à la clause 23.04 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et la section locale 2228 de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE) pour le groupe Électronique (Tous les employés), qui est venue à échéance le 31 août 2014 (la « convention collective »). Le fonctionnaire est un membre du groupe d’employés autre que d’exploitation visé par cette convention.

3         Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Résumé de la preuve

4         Le fonctionnaire est un expert en la matière rattaché au Groupe d’armes sous-marines des Forces armées canadiennes à l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Breton du MDN. Il participait à l’installation de gyroscopes à laser très techniques à bord d’un navire attaché à la jetée de la BFC Esquimalt pour réparations. Les gyroscopes étaient mis à l’essai pendant que le navire était attaché la nuit pour annuler l’effet de la lumière du soleil sur la coque du vaisseau. Le fait que le vaisseau était attaché à la jetée est important, pour distinguer cet essai de ceux effectués en mer. Les parties ont convenu que même si les essais étaient menés sur un vaisseau militaire, ce n’était pas en mer, et que l’article 32 de la convention collective, intitulé « Indemnité d’essais en mer », ne s’appliquait pas.

5         Il était prévu qu’il y aurait quatre parties au processus de mise à l’essai. Le fonctionnaire devait prendre part à la troisième et à la quatrième partie. Il était prévu qu’il participe aux essais planifiés pour décembre, qui ont été annulés.

6         Le 30 janvier 2015, il a reçu un courriel de l’officier du génie des systèmes de combat (OGSC) l’avisant qu’en prévision des prochains essais, ses heures de travail pour la période du 2 au 5 février 2015 seraient modifiées pour être de 10 h à 18 h. Selon le fonctionnaire, ses heures de travail normales sont de 8 h à 16 h. Il a travaillé ces heures durant les 21,5 années de son emploi au MDN à la BFC Esquimalt.

7         Une fois de plus, le 27 février 2015, l’OGSC a confirmé que le changement des heures de travail s’appliquerait pour les dates de mise à l’essai en mars. Les courriels constituaient l’avertissement officiel, mais plus tôt, l’OGSC avait également avisé verbalement le fonctionnaire du changement. Les deux fois, les horaires du fonctionnaire ont été modifiés en raison de considérations pécuniaires, selon les courriels. L’OGSC souhaitait éviter de payer des heures supplémentaires.

8         Ce n’était pas la première fois qu’une telle modification se produisait. En novembre 2014, l’employeur avait ordonné à l’OGSC d’effectuer la même modification pour faciliter d’autres travaux à bord de vaisseaux à la BFC Esquimalt (pièce 3, onglet 1, à la page 5), mais il n’a pas effectué le changement. Ces jours-là, le fonctionnaire n’a pas travaillé les heures modifiées de travail pour les essais et a été payé pour des heures supplémentaires après 16 h au lieu d’après 18 h. Lorsque l’OGSC a effectué la modification en février et mars 2015, le fonctionnaire a été payé pour des heures supplémentaires pour les heures qu’il a travaillées après 18 h.

9         Le commandant Damien Chouinard-Prévost a indiqué dans son témoignage qu’il était l’OGSC à titre de capitaine de corvette en 2015 et que le superviseur du fonctionnaire relevait de lui. Le commandant Chouinard-Prévost a présenté la description de travail du fonctionnaire (pièce 4), et a indiqué dans son témoignage qu’elle énumère, parmi les activités principales, la planification, la coordination et la mise à l’essai, y compris la rédaction de rapports. L’exigence de travailler des heures supplémentaires est comprise.

10        Les essais à bord du navire peuvent être effectués au port ou en mer. Chaque système à bord d’un navire subit un certain nombre d’essais et a un ensemble de conditions à satisfaire spécifiques aux essais. Les conditions peuvent inclure les incidences environnementales, telles que l’absence de vagues ou de vent, ou l’exigence que les essais soient effectués la nuit. Elles peuvent également comprendre la disponibilité du système ou de l’équipement des essais. Si un problème est indiqué qui a une incidence sur un essai, il doit être cerné et rectifié.

11        En l’espèce, la mise à l’essai exigeait que les vérificateurs surmontent l’obstacle de l’effet du soleil sur la coque du vaisseau, de sorte que la vérification devait être effectuée la nuit. Les essais étaient prévus de commencer à la fin de l’après-midi, après que les travaux préparatifs soient terminés au milieu de l’après-midi. Entre 10 h, lorsque les employés arrivaient, et le moment où les préparatifs commençaient, les employés étaient censés effectuer d’autres travaux. S’ils n’en avaient pas, ils attendaient que les préparations commencent. Le fait d’avoir d’autres travaux à faire ou non dépendait de leur chef de section.

12        Le commandant Chouinard-Prévost a indiqué dans son témoignage que les navires passent par un cycle d’exploitation et qu’ils sont assujettis à des essais en préparation à ce cycle. Les navires doivent également être assujettis à des essais si un système échoue et que des réparations sont effectuées. Un navire doit normalement faire l’objet de mises à l’essai de quatre à huit fois par année. Lorsqu’un navire fait l’objet d’un entretien normal, les équipes de travail ont quelques mois de préavis des essais, selon ce que le navire est censé faire. Dans le cas d’un échec du système, il se peut qu’il n’y ait que quelques semaines de préavis de mise à l’essai; il est possible que ce préavis ne soit que d’une semaine.

13        Lorsqu’une mise en essai doit être prévue, on donne autant de préavis que possible aux employés, selon les circonstances. Le coordinateur de la mise à l’essai doit discuter de la disponibilité du personnel avec le chef de la sous-section et les experts en la matière, ce qui devient le premier préavis de la mise à l’essai. Dans l’idéal, le préavis formel de la mise à l’essai est donné une semaine avant la mise en essai elle-même.

14        En prévision de cette mise à l’essai, le commandant Chouinard-Prévost a discuté avec le délégué syndical de la section locale de la FIOE, R. Oxman, à la fin de l’automne, pour discuter la modification de l’heure du début du travail pour 10 h aux termes de la clause 23.04 de la convention collective. Selon l’interprétation de la clause par le commandant, cela permettrait toujours une journée de travail de 7,5 heures dans le cadre des heures normales de travail définies de 7 h à 18 h. M. Oxman n’a vu aucun problème avec cette approche de prévoir les heures de travail pour autant que la journée de travail soit de 7,5 heures consécutives dans les heures normales de travail, avec une demi-heure de pause-repas.

15        Selon le commandant, le fonctionnaire est allé voir Paul Cameron, l’administrateur adjoint de la section locale 2228 de la FIOE, lorsqu’il a entendu parler de ce plan. Il a demandé si l’employeur pouvait modifier ses heures de travail. On lui a indiqué que cela ne pouvait être fait sans verser une prime. Cela ne correspondait pas à l’interprétation de la clause 23.04 par le commandant ni à sa discussion avec M. Oxman. Il a tenté de discuter avec M. Cameron et Doug Pittman, un autre représentant de la FIOE, mais sans succès.

16        Dans un courriel à M. Cameron, le commandant Chouinard-Prévost a expliqué son raisonnement derrière le changement des heures de début et de fin de la journée de travail au cours des prochains essais (pièce 3, onglet 1, pages 1 et 2). L’économie était le motif principal de la modification. Les heures de travail devaient être prévues de façon à limiter le nombre d’heures supplémentaires, tel qu’il était ordonné par le directeur de l’ingénierie, le commandant Ryan Solomon. La décision de modifier les heures de travail pour la mise à l’essai n’était pas arbitraire, mais était directement liée à l’horaire de la mise à l’essai et au besoin de réduire les heures supplémentaires.

17        La mise à l’essai prévue pour décembre 2014, qui a été discutée à la fin de l’automne de 2014, a été annulée. Le fonctionnaire a continué à travailler de 8 h à 16 h, et a continué de contester le pouvoir de l’employeur de modifier ses heures de travail pour un horaire de 10 h à 18 h.

18        Le 10 décembre 2014, le superviseur du fonctionnaire a envoyé un courriel au commandant Chouinard-Prévost, demandant des éclaircissements (pièce 3, onglet 3).

19        Le 9 janvier 2015, le commandant a envoyé un courriel à ses chefs de section, résumant la position de l’employeur que la direction a le droit de modifier les heures de début et de fin dans les limites des heures normales de travail (pièce 3, onglet 5).

20        Le 30 janvier 2015, le fonctionnaire a été avisé que ses heures de travail au cours de la semaine d’essais prévus du 2 au 5 février 2015 seraient de 10 h à 18 h. Il a également été avisé que les motifs de ce changement d’heures étaient la nature des essais et des considérations pécuniaires. Il a reçu ces renseignements par courriel (pièce 3, onglet 6). Les mêmes renseignements ont été transmis pour les essais du 2 au 5 mars (pièce 3, onglet 7). Il n’était pas d’accord, étant donné qu’à son avis, la modification était contraire à la convention collective.

21        Au cours du contre-interrogatoire, on a demandé au commandant Chouinard-Prévost s’il avait indiqué dans son courriel à M. Cameron (pièce 3, onglet 1, page 2) concernant le changement des heures de travail pourquoi il ne pensait pas que la clause 23.15 serait applicable. Il a expliqué qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles, tel qu’il est prévu dans cette clause.

22        Le commandant Solomon a indiqué dans son témoignage qu’il était le directeur de l’ingénierie de l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Breton lorsque les griefs ont été déposés. Il avait reçu une directive de son commandant de travailler dans le cadre des enveloppes salariales et des heures supplémentaires limitées qu’on lui avait fournies. Avec son personnel, il devait déterminer la façon dont leurs fonds devaient être utilisés pour accomplir le travail nécessaire aussi efficacement que possible.

23        À l’automne de 2014, le commandant Solomon a pris connaissance du fait que le fonctionnaire n’était pas content des modifications de son horaire de travail qui avait été proposé en raison de l’incidence qu’elles auraient sur ses heures supplémentaires accumulées. Le commandant Chouinard-Prévost (alors capitaine de corvette) a porté ce fait à l’attention du commandant Solomon. Le commandant Solomon a demandé si c’était contraire à la convention collective. Lorsqu’on l’a avisé que ce n’était pas le cas, il a ordonné de continuer d’exécuter les ordres du commandant et de modifier les horaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

24        Aux termes de la clause 7.01 de la convention collective, la direction conserve le droit d’organiser les quarts de travail et de maintenir l’ordre et l’efficacité du milieu de travail. La clause 7.02 précise les droits de la clause 7.01 et exige que l’exercice des droits de la direction soit soupesé contre d’autres dispositions de la convention collective qui l’emportent sur la clause 7.01.

25        Le sous-alinéa 23.04(a)i) indique que les heures normales de travail prévues aux termes de la convention collective sont 7,5 heures travaillées du lundi au vendredi se situant dans les heures normales de 7 h et 18 h. La clause 23.15 indique que lorsque les circonstances le justifient, certains employé-e-s autres que d’exploitation peuvent être tenu-e-s d’effectuer leurs heures de travail journalières normales selon un horaire qui déroge à leur horaire journalier normal. La question en l’espèce est de savoir si la décision de modifier l’heure du début du travail du fonctionnaire de 8 h à 10 h constituait une dérogation aux heures normales de travail.

26        Le droit de l’employeur de déroger à un horaire n’est pas absolu lorsque la clause 7.02 est lue conjointement avec les clauses 23.04 et 23.15. Selon Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 5:3110, les droits de la direction ne peuvent être exercés d’une façon qui n’est pas conforme aux dispositions expresses d’une convention collective. Lorsque la convention collective énonce des heures normales de travail, il n’est pas approprié qu’un employeur exige que les employés travaillent régulièrement un horaire autre que celui énoncé dans une convention collective.

27        Les clauses 23.04 et 23.15 devraient être lues conjointement. La clause 23.04 constitue une interdiction absolue de modifier les heures de travail d’un employé sans mettre en œuvre la clause 23.15. Lorsqu’il mentionne « leur » horaire normal quotidien, l’employeur reconnaît spécifiquement que les employés travaillent 7,5 heures et que ces heures ne peuvent être modifiées simplement pour éviter de payer les heures supplémentaires. Rien dans l’article concernant les heures supplémentaires n’interdit la modification des horaires pour éviter de payer les heures supplémentaires.

28        L’objectif fondamental de la Commission est de déterminer l’intention des parties d’après le libellé de la convention collective. Les parties sont censées avoir voulu dire ce qui était écrit. Tous les termes sont censés avoir une signification et ne sont pas censés se contredire. D’après ce qui était écrit, le droit de l’employeur de déroger à l’horaire du fonctionnaire n’était pas illimité. Si les parties avaient eu cette intention, elles se seraient appuyées uniquement sur la clause 7.01. En revanche, elles ont inclus le sous-alinéa 23.04(a)i), qui comprend le terme « normale », et la clause 23.15, qui comprend les termes « horaire journalier normal », à titre de limite telle que décrite à la clause 7.02.

29        Il existe une présomption contre la redondance. L’arbitre d’un grief doit supposer que les parties n’ont pas convenu d’un libellé superflu ou inutile au moment de façonner leur entente (voir Selkirk and St. Andrews Regional Library c. Canadian Union of Public Employees, Local 336 (2003), 119 L.A.C. (4e) 141 au paragraphe 36; et Dufferin-Peel Catholic Separate School Board c. Ontario Elementary Catholic Teachers’ Association, 2006 CarswellOnt 10088).

30        Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 2 (« FIOE ») est la décision qui fait autorité pour l’interprétation des clauses 23.04 et 23.15. Cette affaire, contrairement à l’espèce, portait sur un essai en mer. Elle a établi qu’une condition préalable devait être respectée avant que l’employeur n’ait le droit d’exiger des employés autres que d’exploitation de travailler des horaires autres que leurs heures de travail normales.

31        La condition préalable est que les circonstances doivent justifier la modification. La question, en l’espèce, est de savoir si l’employeur a évalué la situation pour déterminer si les circonstances justifiaient le changement des heures de travail du fonctionnaire. Les considérations financières ne constituent pas un examen approprié. L’employeur a indiqué que sa principale préoccupation était financière.

32        Selon le paragraphe 105 de FIOE, chaque modification devrait être décidée selon une évaluation au cas par cas. Selon le courriel décrivant la position de l’employeur concernant la modification des heures de travail (pièce 2, onglet 3), il est manifeste que les coûts étaient le facteur déterminant. C’est réitéré dans d’autres courriels (pièce 2, onglet 2, et pièce 3, onglet 1, page 2). Au cours du contre-interrogatoire, le commandant Chouinard-Prévost a témoigné que la clause 23.15 n’aurait pas pu être invoquée parce que la condition préalable ne pouvait être respectée.

33        Afin de procéder d’une façon appropriée à un changement des heures de travail du fonctionnaire, l’employeur devait examiner les clauses 7.01, 7.02, 23.04, et 23.15. Si la condition préalable à la clause 23.15 peut être respectée, et si les circonstances qui justifient le changement des heures de travail existent, l’employeur peut alors les modifier. Dans la négative, il ne peut pas les modifier. Un essai qui doit être effectué dans le noir ne respecte pas la condition préalable.

B. Pour l’employeur

34        L’agent négociateur avait le fardeau de démontrer clairement sur une prépondérance des probabilités que la situation alléguée a eu lieu. S’acquitter du fardeau de la preuve, c’est bien plus que de déposer des documents qui, de prime abord, sont flous (voir Arsenault et al. c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17, au paragraphe 29).

35        L’intention des parties doit ressortir de leur libellé écrit (voir Brown et Beatty, au paragraphe 4:2100). Le libellé qu’ils utilisent est une véritable expression de leur intention. La Commission est limitée par les conditions expresses de la convention collective et ne peut interpréter et appliquer que ce libellé. Pour déterminer l’intention réelle des parties lorsqu’elles ont conclu une convention collective, la Commission doit prendre les mots utilisés par les parties dans leur sens ordinaire, tout en tenant compte du reste de la convention collective, qui, dans son ensemble, forme le contexte (voir Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112).

36        La direction a le droit de modifier les heures normales de travail en vertu de son droit général de diriger sa main-d’œuvre (voir Brown et Beatty, au paragraphe 5:0000). L’employeur s’est servi de ses droits à l’article 7 et à la clause 23.04 pour rajuster les heures de travail du fonctionnaire pour les essais de février et de mars 2015. La convention collective n’imposait pas de limites à ces droits et ne contenait rien qui aurait empêché l’exercice de ces droits. L’employeur n’avait pas besoin de s’appuyer sur FIOE, qui est distincte étant donné qu’elle portait sur des essais en mer. Ces derniers font l’objet de l’article 32 et n’ont pas eu lieu en l’espèce.

37        La clause 23.15 stipule une condition préalable, qui est le nœud de la présente affaire; c’est lorsque les circonstances le justifient. Cette condition est liée à l’exercice du droit de la direction de modifier les heures de travail à celles en dehors des heures normales de travail de 7 h à 18 h. Pour les modifier, l’employeur doit chercher un seuil plus élevé, qui est l’exigence d’examiner si les circonstances justifient la modification. Étant donné que la modification effectuée en l’espèce était dans le cadre des heures normales de travail, la clause 23.15 ne s’applique pas.

38        Le simple fait que le fonctionnaire a travaillé le même quart pendant 21 ans n’empêchait pas la direction d’exercer ses droits de le modifier. À moins que ce ne soit interdit autrement à la direction expressément ou par inférence, elle peut exercer ses droits de gestion pour modifier les horaires de travail dans le cadre des heures normales de travail. Les responsabilités de la direction demeurent entières, sauf toute disposition contraire énoncée dans la convention collective (voir P.S.A.C. v. Canada (Canada Grain Commission), 5 FTR 51 (T.D.); et Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236).

39        En l’espèce, il n’y avait aucune restriction de la sorte, par conséquent, la direction a modifié les heures de travail du fonctionnaire dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. Le sens simple et ordinaire du libellé de la clause 23.04 est manifeste concernant le fait que pour autant que les heures de travail soient situées entre 7 h et 18 h, la convention collective n’est pas transgressée.

40        Lorsqu’il a fait face à des contraintes budgétaires, l’employeur a choisi de ne pas prévoir le travail nécessaire en dehors des heures de travail normales ou obligatoires. Pour le travail qui ne pouvait être terminé dans le cadre de ces heures, l’employeur a rémunéré ses employés au taux applicable des heures supplémentaires, y compris le fonctionnaire. Il avait des motifs opérationnels légitimes pour effectuer la modification. Le fonctionnaire n’a pas été pris à part. La modification s’appliquait à tous les employés. On leur a donné autant de préavis que possible. Le syndicat a été consulté à l’avance, et la modification n’a duré qu’aussi longtemps que nécessaire pour effectuer les essais. L’employeur a agi de manière raisonnable dans les circonstances.

IV. Motifs

41        Le présent grief remet en question l’interprétation et l’interaction entre trois dispositions de la convention collective, à savoir, l’article 7, « Droits de la direction », et les clauses 23.04 et 23.15 de l’article 23, « Durée du travail ». Pour faciliter les renvois, je reproduirai chacun de ces articles et ces clauses, et soulignerai ce que je considère comme étant les phrases principales, comme suit :

ARTICLE 7

DROITS DE LA DIRECTION

7.01 La section locale reconnaît et admet que l’Employeur a et doit continuer d’avoir exclusivement le droit et la responsabilité de diriger ses opérations dans tous leurs aspects, y compris les suivants qui ne sont pas limitatifs :

  1. planification, direction et contrôle des opérations; choix des méthodes, des processus et du matériel et règlement des autres questions de fonctionnement; choix de la localisation des installations et détermination du degré de fonctionnement de ces installations ou de leurs parties;
  2. direction du personnel, y compris le droit de décider du nombre d’employé-e-s, d’organiser et d’attribuer le travail, d’établir le tableau des postes de travail et de maintenir l’ordre et l’efficacité, d’imposer des sanctions disciplinaires, ce qui comprend la suspension et le renvoi pour un motif justifié;

et il est explicitement entendu que les droits et responsabilités de ce genre qui ne sont ni précisés ni modifiés d’une façon particulière par la présente convention appartiennent en exclusivité à l’Employeur.

7.02 L’exercice de tels droits ne doit pas être incompatible avec les dispositions explicites de la présente convention.

[…]

23.04 Employé-e-s autres que d’exploitation

    1. La semaine de travail normale de l’employé-e autre que d’exploitation est de trente-sept virgule cinq (37,5) heures réparties sur cinq (5) jours consécutifs allant du lundi au vendredi inclusivement et la journée de travail est de sept virgule cinq (7,5) heures (à l’exclusion d’une pause-repas) et se situe entre 7 h et 18 h, heure locale.
    2. Nonobstant le sous-alinéa (i), à la demande de l’employé-e et avec l’approbation de l’Employeur, l’heure mentionnée, soit 7 h, peut être modifiée à 6 h. En cas d’une telle entente, l’Employeur avisera le représentant syndicat local ou le bureau de la FIOE de ce changement des heures de travail prévues.
  1. Ces employé-e-s bénéficient d’une pause-repas prévue non payée d’au moins trente (30) minutes consécutives et d’au plus une (1) heure qui commence durant la période que constituent la demi-heure (1/2) qui précède et l’heure (1) qui suit le milieu de la période de travail, sauf qu’une pause-repas de moins de trente (30) minutes peut être accordée pour compenser les heures d’été. Il est reconnu que dans les circonstances atténuantes, la pause-repas peut être avancée ou retardée à cause des nécessités du service. Toutefois, si l’employé-e peut prendre une pause-repas d’au moins une demi-heure (1/2) qui commence pendant la période prescrite, elle est considérée comme répondant aux exigences du présent paragraphe. Si un employé-e ne peut pas prendre de pause-repas pendant la période de temps prescrite, la période de la pause-repas est comptée comme temps de travail effectué.

[…]

23.15 Il est reconnu que, lorsque les circonstances le justifient, certains employé-e-s autres que d’exploitation peuvent être tenu-e-s d’effectuer leurs heures de travail journalières normales selon un horaire qui déroge à leur horaire journalier normal aux termes du paragraphe 23.04. Lorsqu’un employé-e autre que d’exploitation est tenu d’effectuer ses sept virgule cinq (7,5) heures de travail journalières normales à d’autres moments que ceux précisés au paragraphe 23.04, il ou elle touche son taux de rémunération journalier normal plus une prime qui se calcule ainsi :

Pour les jours où, dans un mois civil, il ou elle travaille en conformité avec les dispositions précédentes,

  1. pour les premiers et deuxième jours – selon la note 7 de l’appendice « B-1 » pour chaque jour;
  2. pour les troisième, quatrième et cinquième jours – selon la note 8 de l’appendice « B-1 » pour chaque jour;
  3. pour le sixième jour et les jours subséquents – selon la note 9 de l’appendice « B-1 » pour chaque jour.

Si l’employé-e travaille moins de trois virgule soixante-quinze (3,75) heures, il ou elle reçoit la prime intégrale pour la journée et revient à son horaire normal pour cette journée-là qui est réduite du nombre équivalent des heures de travail qu’il ou elle a effectuées. Si l’employé-e travaille trois virgule soixante-quinze (3,75) heures ou plus, il ou elle reçoit la prime intégrale pour la journée plus son taux de rémunération journalier normal.

Les heures de travail effectuées en excédant des sept virgule cinq (7,5) heures de travail journalier sont assujetties à l’article 25.

[Je souligne.]

42        Je ne peux accepter l’interprétation du fonctionnaire des clauses 23.04 et 23.15. Avec tout le respect que je dois à la décision de 2009 dans FIOE, je ne pense pas que ce soit une application appropriée du libellé dans ces clauses dans les circonstances de l’espèce.

43        Le sous-alinéa 23.04(a)i) indique que les heures normales de travail prévues de l’employé-e autre que d’exploitation, tel que le fonctionnaire, sont de 37,5 heures par semaine, qui consistent en 5 quarts de travail consécutifs de 7,5 heures, du lundi au vendredi, situés entre 7 heures et 18 heures. Cela signifie un quart de huit heures, compte tenu de la pause-repas d’une demi-heure. Le quart commence entre 7 h et 10 h et se termine entre 15 h et 18 h, du lundi au vendredi (à moins que l’heure du début ne soit modifiée pour 6 h par une entente conclue conformément au sous-alinéa 23.04(a)ii)). En général, le fonctionnaire travaillait de 8 h à 16 h, selon son témoignage. C’était l’un des quarts possibles dans le cadre des heures normales de travail, tout comme le quart que l’employeur lui a demandé de travailler au cours des essais sur les navires en février et mars 2015.

44        Contrairement à ce que le fonctionnaire souhaiterait que j’accepte, à savoir que son quart de travail était coulé dans le béton, la clause 23.04 ne le stipule pas; la clause 23.15 non plus. Si l’intention des parties était que les quarts soient fixés, elles l’auraient énoncée explicitement dans l’article ou ailleurs dans la convention collective. En revanche, il a été laissé au pouvoir discrétionnaire de l’employeur de se servir de la clause 7.01 pour déterminer tous les quarts de travail entre 7 h et 18 h, pour autant que l’employeur se conforme aux deux conditions préalables de la clause 23.04. Ces conditions sont que les quarts de travail soient prévus du lundi au vendredi et qu’ils soient de 7,5 heures, à l’exclusion d’une pause-repas non rémunérée. Il n’y a aucune restriction nulle part ailleurs dans l’article en vertu de ce pouvoir pendant les heures de 7 h à 18 h pour les employé-e-s autres que d’exploitation.

45        En revanche, la clause 23.15 porte sur les circonstances où les employé-e-s peuvent être tenu-e-s d’effectuer leurs heures de travail journalières normales selon un horaire qui déroge à leur horaire normal, en dehors des heures indiquées à la clause 23.04. Par exemple, ce serait le cas si l’employeur mettait en place un quart de nuit plutôt que de ne fonctionner qu’avec des quarts de jour, ou s’il éliminait les quarts de jour pour les quarts de nuit.

46        La phrase « leur horaire journalier normal » est utilisée dans la phrase qui suit immédiatement « leurs heures de travail journalières normales », qui sont les heures indiquées à la clause 23.04. Puisque les heures de travail journalières normales sont énoncées dans cette clause, à savoir, de 7 h à 18 h, par conséquent, logiquement, les heures en dehors de ces heures doivent être entre 18 h et 7 h. L’objectif de la clause 23.15 est d’empêcher la possibilité que l’employeur puisse prévoir les heures de travail normales entre 18 h et 7 h pour les employé-e-s, alors que, normalement, ils ou elles seraient avec leurs familles ou se reposeraient. Prévoir du travail au cours de ces heures entraîne des coûts supplémentaires pour l’employeur.

47        L’effet que recherche le fonctionnaire serait qu’il soit rémunéré la prime indiquée à la clause 23.15 pour les heures travaillées entre 16 h et 18 h, à la suite desquelles il recevrait la prime pour le restant des heures supplémentaires travaillées ce jour-là. Ce n’est manifestement pas l’intention des parties, selon une simple lecture de la convention collective. Si le quart qu’il travaillait au cours des mises à l’essai en février et en mars 2015 avait chevauché la période qui se termine à 18 h, il aurait pu en être autrement, mais ce n’était pas le cas.

48        L’employeur a modifié les heures dans le cadre de l’horaire indiqué à la clause 23.04, que les parties ont identifié comme étant les heures normales de travail. Le fonctionnaire commençait son quart à 10 h, travaillait 7,5 heures, et terminait à 18 h, après quoi il était payé pour des heures supplémentaires, comme le stipule la convention collective. La clause 23.15 n’a jamais été en cause, et pour ce motif, il n’est pas nécessaire de déterminer si les circonstances de l’espèce justifiaient le changement des heures de travail. La clause 23.04 n’a jamais été enfreinte.

49        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

50        Le grief est rejeté.

Le 22 mai 2019.

Traduction de la CRTESPF.

Margaret T. A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.